Séance du 28 janvier 1999
REDÉPLOIEMENT DES FORCES DE SÉCURITÉ
Suite de la discussion d'une question orale avec débat
M. le président.
Nous reprenons la discussion de la question orale avec débat de M. Paul Masson
à M. le Premier ministre sur le redéploiement des forces de sécurité.
La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me
permettrez, tout d'abord, de rendre hommage à tous les hommes et à toutes les
femmes de la police et de la gendarmerie, qui remplissent leur noble mission au
service de la sécurité de nos concitoyens dans des conditions d'exercice de
plus en plus éprouvantes. J'ai d'ailleurs une pensée particulière en cet
instant, pour tous ceux qui ont dû payer de leur sang leur exemplaire
dévouement.
Dans sa déclaration de politique générale, M. le Premier ministre s'était
engagé à rétablir l'égalité de tous les citoyens face à l'insécurité, notamment
en menant une politique de proximité. Mais l'ordre et la sécurité ne se
décrètent pas par des déclarations ministérielles. Elles s'obtiennent par une
volonté politique forte, associée à une augmentation réelle de moyens en hommes
et en matériel.
Malheureusement les faits sont là : violence urbaine, délinquance des mineurs,
trafic de drogue ! Quel département n'est pas concerné ? Les derniers chiffres
sont accablants. Une progression de 2,7 % des crimes et délits a été constatée
pour les onze premiers mois de l'année 1998.
Cette recrudescence de la violence contraste avec le recul de plus de 10 % des
crimes et délits sur la période 1994-1997, ce qui démontre qu'une politique
rigoureuse peut combattre efficacement l'insécurité et qu'il n'y a pas lieu de
considérer celle-ci comme une fatalité.
Face à cette évolution et dans ce contexte d'insécurité croissante, il semble
assez inopportun que le Gouvernement donne des signes de désengagement dans le
maintien de la sécurité publique. Il est en effet clair que les moyens qui nous
sont proposés ne correspondent pas aux attentes de nos concitoyens.
J'avais souligné le manque de crédits du budget de la police pour 1999. La
sous-estimation des moyens dévolus au fonctionnement et aux infrastructures de
la gendarmerie a également été manifeste. Il est clair que, si l'on veut une
politique de sécurité efficace, il convient d'être vigilant au niveau des
crédits dévolus. Je ne m'attarderai pas davantage sur le point de vue
financier.
Je voudrais simplement, aujourd'hui, revenir sur le problème des effectifs des
forces de sécurité.
Chacun sait que les effectifs assurant la sécurité publique en France sont
comparables à ceux des grands pays européens. Au total, ce sont 62 000
policiers et 52 000 gendarmes environ qui se consacrent à la sécurité
publique.
En revanche, ce qui semble poser problème et qui est le coeur de notre débat
d'aujourd'hui, c'est leur répartition sur le territoire.
Le projet du Gouvernement, qui semble être remis en cause, était de fermer 94
commissariats, couvrant 193 communes rurales de moins de 20 000 habitants, et
de confier à la police la sécurité de 38 communes urbaines qui dépendent
actuellement de la gendarmerie. Ce projet de redéploiement concernerait donc 3
000 policiers et 1 200 gendarmes.
Cette décision a fait l'unanimité contre elle, je ne vous apprends rien, de la
part tant des policiers et des gendarmes que des élus. Ces derniers ont, pour
la plupart, appris la fermeture de leur commissariat ou de leur gendarmerie par
la presse, sans qu'aucune concertation préalable ait eu lieu et sans qu'on leur
dise comment allait être compensée cette perte d'effectifs. On ne peut que
regretter un tel comportement vis-à-vis des représentants des collectivités
locales.
Par ailleurs, du côté des forces de sécurité, dès le mois de septembre, le
projet a attisé les rivalités entre les deux corps, sur le thème de
l'efficacité comparée des gendarmes et des policiers.
A l'Assemblée nationale, sur les bancs de la majorité à laquelle vous
appartenez, monsieur le ministre, de vives oppositions sont apparues également.
M. Jean-Pierre Michel a menacé de quitter le Mouvement des citoyens, parce
qu'on fermait le commissariat de Lure. M. Paul Quilès n'a pas caché ses
critiques. L'affaire était donc mal engagée.
Aujourd'hui, le projet initial paraît ajourné compte tenu du rapport de M.
Fougier, qui, selon le propre communiqué du Gouvernement, recenserait les
difficultés pouvant résulter des transferts ou des dissolutions au regard de la
politique d'aménagement du territoire, des problèmes financiers et immobiliers
et du reclassement des personnels de police. Une fois encore, la méthode s'est
heurtée aux dures réalités du terrain, et vous vous retrouvez étranglé par un
serpent de mer.
Et ce n'est pas l'annonce, faite hier par le Premier ministre, d'affecter 7
000 policiers ou gendarmes supplémentaires sur trois ans dans les zones
sensibles qui peut apaiser les inquiétudes manifestes des élus, d'autant que
les modalités d'affectation de ces postes ne sont pas connues. S'ajoutent-ils
ou se substituent-ils aux effectifs prévus dans le projet initial ?
La politique de sécurité est un sujet sensible ; elle ne peut être élaborée
sans une réelle concertation. Dans ce domaine plus qu'ailleurs, il semble qu'il
faille un véritable consensus pour obtenir de bons résultats.
Nous considérons qu'il est indispensable de mener une nouvelle réflexion sur
une question si importante pour la vie de nos concitoyens, en assurant une
réelle prise en compte, d'une part, des avis des élus, des forces de police et
de gendarmerie et, d'autre part, des intérêts de la population.
Une véritable discussion doit être menée entre toutes les parties concernées
par la sécurité des biens et des personnes sur notre territoire. Aujourd'hui,
il apparaît indispensable de reprendre l'ensemble de la concertation à la base
et non d'appliquer une procédure fixée de façon bureaucratique depuis Paris.
Tout d'abord, il est nécessaire de dégager un consensus entre gendarmes et
policiers. Il ne faudrait pas déclencher une nouvelle guerre des polices en les
opposant. Il faut, au contraire, veiller à ce qu'ils puissent travailler
ensemble et, ainsi, développer des programmes communs. La recherche d'une plus
grande efficacité passe aussi par une meilleure coordination ente gendarmerie
et police.
Le redéploiement des forces de sécurité ne doit pas être vécu comme une
période de frustration, ni par leurs agents, ni par la population.
Les habitants des zones concernées par la fermeture de commissariats ou de
gendarmeries craignent de devenir les parents pauvres de la sécurité. Ils
redoutent d'être complètement abandonnés par l'Etat.
Or, vous n'ignorez pas, monsieur le ministre, que, dans les zones rurales, les
élus et les habitants sont particulièrement attachés à la présence des
gendarmes. Il s'agit autant d'une question de tranquillité d'esprit que de
sécurité. Les gendarmes sont une force de proximité connue et appréciée des
populations rurales, qui trouvent beaucoup d'intérêt au fait qu'ils vivent avec
leurs familles dans les gendarmeries, c'est-à-dire à l'endroit même de leurs
missions. Ils représentent une force visible, dissuasive et rassurante. Cette
action de proximité, dont la priorité a d'ailleurs été rappelée par le plan
Gendarmerie 2002, leur permet de bénéficier de sources importantes de
renseignements et de remplir pleinement leur rôle de prévention. La gendarmerie
remplit ainsi un rôle de surveillance générale qui lui permet de connaître à
fond la population dont elle a la charge. La présence d'une brigade par canton
doit demeurer, à cet égard, une référence essentielle. Ce principe ne peut être
remis en cause sans un examen extrêmement attentif des délais
d'intervention.
S'il semble nécessaire d'adapter la répartition de nos forces, il n'en est pas
moins clair qu'une partie des zones rurales est traumatisée par la suppression
des services publics : un jour c'est la recette des finances qui est fermée, le
lendemain, la gendarmerie est délocalisée et ainsi de suite... Comment
expliquer à la population la suppression de la plupart des services publics
?
Monsieur le ministre, dans certains cas, il apparaît nécessaire que, avec
votre collègue chargée de l'aménagement du territoire, vous réalisiez une
nouvelle répartition, à l'issue d'une analyse complète des services publics en
milieu rural, car il est certain que le redéploiement des forces de sécurité
risque d'accentuer une nouvelle fois le phénomène de désertification.
Avec la réduction des effectifs - pourquoi le nier ? - ce sont des familles
qui s'en vont, entraînant une diminution du nombre des enfants scolarisés et,
partant, une remise en cause de l'école et de tous les services publics, bref
l'existence même de villages ou de petites villes. C'est ainsi l'instauration
d'un service public à deux vitesses, en relation directe avec la politique
fantôme, ou destructrice, de l'aménagement du territoire de Mme Voynet.
S'il est exact, comme le font ressortir MM. Carraz et Hyest dans leur rapport,
que la répartition des forces de sécurité sur le territoire n'épouse pas la
géographie de la criminalité, les ratios de policiers ou de gendarmes par
habitant des vingt-cinq départements les plus touchés par la délinquance de
voie publique sont légèrement supérieurs à ceux des vingt-cinq départements les
moins criminogènes, il ne faut pas négliger l'aspect préventif de l'action des
forces de sécurité. Les implantations de celles-ci ne doivent pas tenir compte
uniquement de la délinquance constatée mais également de la population et de
l'étendue du territoire à protéger.
M. le Premier ministre déclarait le 19 juin 1997 : « Toute personne vivant sur
le territoire de la République a droit à la sécurité. On ne peut accepter une
société dans laquelle il y aurait, d'un côté, des quartiers protégés et, de
l'autre, des zones de non-droit. »
Et bien, c'est exactement ce que la réforme des forces de sécurité risque de
créer. En diminuant les forces de sécurité en zone rurale, on donnera naissance
à des zones sans aucun contrôle où pourront séjourner malfaiteurs, délinquants
et autres « sauvageons » à l'abri de tout soupçon. Par conséquent, on va non
seulement augmenter le sentiment d'insécurité des populations locales mais
surtout maintenir et favoriser la délinquance en milieu urbain, les bandes
notoires pouvant se réfugier dans les campagnes laissées sans surveillance. Il
me paraît ainsi assez périlleux d'enlever trop d'effectifs de secteurs jugés
tranquilles. N'est-ce pas lorsque la police est très présente qu'elle peut
maintenir la délinquance à bas niveau ?
En tout état de cause, il faut veiller à ce que la sécurité de communes
aujourd'hui suffisamment dotées en forces de sécurité ne soit pas compromise
par la fermeture d'un commissariat ou d'une brigade de gendarmerie. La
dispersion de l'habitat dans notre pays, spécifiquement dans notre monde rural,
nécessite en effet de protéger l'ensemble de notre territoire. Il convient donc
d'intégrer cet état de fait.
Sans contester la nécessité d'effectuer une adaptation des forces de sécurité
pour tenir compte de l'évolution des technologies et des mutations des
populations, des solutions novatrices doivent être proposées sans conduire
systématiquement à la fermeture irrémédiable des casernes de gendarmerie. Pour
mieux servir nos concitoyens, il leur faut s'adapter et se moderniser. Des
pistes nouvelles peuvent être recherchées et mises à l'étude en concertation
cette fois avec les élus locaux, à l'échelon notamment des groupements de
gendarmerie.
En effet, la situation de chaque groupement est différente et il convient donc
de tenir le plus grand compte des spécificités géographiques, sociales,
économiques de chaque collectivité. Un redéploiement des forces de sécurité ne
pourra donner des résultats satisfaisants que si les mesures retenues sont
cooptées et que si le service apporté aux habitants est de même qualité après
qu'avant la réforme. Sa réussite passera irréfutablement par la préservation du
maillage territorial de la gendarmerie dans les zones rurales.
Je me permets de suggérer une approche locale des questions de sécurité, quant
au redéploiement et à l'organisation, notamment des brigades de gendarmerie,
plutôt qu'une approche nationale.
A mon sens, le vrai chantier des années à venir peut se formuler en une
question simple, qui va bien au-delà du simple redéploiement : comment adapter
le droit à la sécurité à la décentralisation ?
Une première démarche pourrait consister à faire que le comité départemental
de sécurité qui est, je le rappelle, coprésidé par le préfet et le procureur de
la République, associe pour les questions relatives à l'organisation
territoriale des forces de police, les élus locaux et leurs représentants.
Cette initiative peut d'ailleurs être prise dans le cadre des dispositions
relatives au comité départemental de sécurité telles qu'elles sont définies par
la circulaire du 9 septembre 1993.
La sécurité est, en effet, un élément majeur de l'aménagement du territoire.
La réforme des forces de sécurité ne doit pas rompre davantage l'équilibre
entre les villes et les campagnes mais, tout au contraire, conforter ce
nécessaire équilibre.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union
centriste et des Républicains et Indépendants.)
(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le
débat d'aujourd'hui, nous abordons un thème d'une très haute importance pour
tous nos concitoyens, puisqu'il constitue la seconde préoccupation des
Français, dans tous les sondages, après l'emploi, je veux parler de
l'insécurité.
Je tiens, d'emblée, à rappeler que cette question porte précisément sur le
redéploiement des forces de police et je n'aborderai donc pas dans le détail
l'ensemble de la problématique de la sécurité.
Je dois dire que ce n'est pas un hasard si, une fois de plus, et après la
multiplication des questions des députés de droite à l'Assemblée nationale sur
le thème de l'insécurité, mardi dernier, c'est une fois encore la droite qui se
trouve à l'initiative d'un tel débat, ici même, aujourd'hui.
M. Hubert Haenel.
Il ne faut pas dire des choses pareilles ! C'est un sujet trop important pour
que l'on se laisse aller à faire de la politique politicienne !
M. Gérard Le Cam.
Mon groupe a toujours marqué son attachement au respect du principe essentiel
de la sécurité des biens et des personnes, principe trop souvent mis à mal.
Nous devons donc répondre à cette urgence.
Mais la droite ne brandit-elle pas la question de l'insécurité comme autant de
signaux démagogiques lancés dans l'unique but de flatter un certain électorat
?
L'angle sous lequel elle traite cette question - c'est-à-dire essentiellement
sous l'aspect « répression » - est dangereux.
La répression, selon nous, est et doit rester l'un des trois volets du
triptyque « prévention-dissuasion-répression », et n'est, comme l'a à juste
titre souligné Mme Guigou, que l'un des moyens de lutter contre l'insécurité,
au même titre que la lutte contre le chômage, pour l'éducation et pour le
logement.
Comment pouvez-vous critiquer la politique du Gouvernement en matière de
sécurité et de traitement de la délinquance et, dans le même temps, préconiser
sans cesse, comme vous l'avez fait lors de l'examen du budget pour 1999, des
réductions de crédits, notamment dans le domaine social, une diminution du
nombre de fonctionnaires et, plus généralement, une diminution des dépenses
publiques pour respecter les engagements européens ?
M. Josselin de Rohan.
On vous donnera une leçon particulière ; vous en avez besoin !
M. Gérard Le Cam.
On ne peut et on ne doit pas laisser les réponses sociales s'orienter de plus
en plus vers le tout répressif. C'est, certes, la solution qui apparaît la plus
facile et la plus visible par les populations, mais c'est aussi la plus
démagogique.
Or il ne faut pas ignorer les causes sociales qui sont, dans la majorité des
cas, le prélude à la délinquance.
Expliquer ne signifie ni excuser ni déresponsabiliser, mais comprendre, afin
de pouvoir agir en partenariat et en amont des trajectoires délinquantes à
l'origine des processus de socialisation délinquante.
Hugues Lagrange, sociologue, chargé de recherche au CNRS, auteur d'importants
travaux sur la sécurité urbaine, analyse ainsi la situation : « Une fraction
des hommes jeunes, qui habitent des quartiers pauvres, privés de la dignité
minimale que donnent les moyens de payer, cumulant des parents dévalués, des
échecs scolaires, des stages de formation mal adaptés, n'acceptent plus de
jouer le jeu dans les règles et essayent d'acquérir une reconnaissance par
d'autres voies. Le déficit d'emploi n'est pas temporaire : sans espoir, de
galères en magouilles et en petits trafics, certains tentent de s'en sortir par
la délinquance et la drogue. »
Nous avons eu récemment connaissance des chiffres en matière d'insécurité.
Selon le ministère de l'intérieur, il en ressort que sur les onze premiers mois
de l'année 1998, par rapport à la même période de 1997, la délinquance et la
criminalité ont augmenté de 2,73 %.
Dans le même temps, on constate que des jeunes, mais aussi des enfants,
versent de plus en plus tôt dans la délinquance et qu'ils sont de plus en plus
violents, ce qu'ont tristement illustré les événements de Toulouse et de
Strasbourg, ces dernières semaines.
La délinquance des mineurs, quant à elle, a augmenté de plus de 11 % entre
1997 et 1998 et sa part, dans l'ensemble des personnes mises en cause, devrait
s'établir à 22 %, contre un peu plus de 19 % en 1997.
Mais prenons garde à une dénonciation généralisée de la jeunesse car ces
chiffres montrent que la délinquance est très majoritairement, à concurrence de
78 %, le fait des adultes, comme l'a encore récemment montré l'assassinat à
Bordeaux d'un convoyeur de fonds, profession privée de tout statut.
A ce propos, le Gouvernement va-t-il, enfin, proposer un encadrement
législatif du marché de la sécurité privée afin d'assurer une meilleure
protection aux convoyeurs de fonds, lesquels manifestent aujourd'hui sur ce
thème ?
S'agissant du traitement de la délinquance des mineurs, comme nous l'avions
d'ailleurs évoqué lors de la discussion du budget de la justice en décembre
dernier, par la voix de mon ami Robert Bret, nous partageons les principales
orientations en matière de lutte contre la délinquance juvénile qui ont été
arrêtées lors du conseil de sécurité intérieure du 8 juin 1998 et qui ont été
précisées dans celui qui s'est tenu hier.
J'insiste sur le fait que nous estimons primordial d'inscrire l'action du
Gouvernement, en ce domaine, dans l'esprit de l'ordonnance de 1945 et de sa
démarche éducative.
A ce titre, nous demeurons très attachés à l'importante mission éducative de
prévention et de réinsertion dévolue à la protection judiciaire de la
jeunesse.
Malheureusement, force est de déplorer le manque cruel de moyens mis à sa
disposition jusqu'à présent. Même si le budget global de la justice pour 1999
est en hausse et prévoit notamment 113 éducateurs supplémentaires, le retard
pris précédemment est tel qu'il est difficile, dans ces conditions, de remonter
la pente.
Nous approuvons la création de 1000 postes d'éducateurs d'ici à 2001. Nous
aurions souhaité sur ce point, comme sur l'ensemble des mesures, souvent
intéressantes, avoir des précisions sur la nature des moyens mis en oeuvre.
Le manque d'éducateurs spécialisés rend difficile, voire impossible,
l'application des mesures pénales prises par les juges pour enfants en matière
de liberté surveillée, de formation, de travaux d'intérêt général, etc.
M. Jean-Jacques Penaud, vice-président du tribunal pour enfants de Lyon,
regrettait avant-hier cette carence en ces termes : « Elle remet en cause la
crédibilité de l'intervention judiciaire, alimente le sentiment d'impunité et
est la porte ouverte à la récidive. »
L'école manque également de psychologues scolaires qui pourraient détecter et
prendre en charge beaucoup plus tôt les enfants en difficultés.
Les juges pour enfants de Lyon estiment, pour leur part, que ce sont non pas
les dispositifs légaux mis à leur disposition qui font défaut mais bien les
moyens pour les mettre en oeuvre.
C'est aussi ce que constate le procureur du tribunal de grande instance
d'Evry, M. Laurent Davenas, quand il dit : « La République a moins besoin de
réviser ses lois que ses budgets. La protection de l'enfant n'a pas de prix.
Elle a un coût. »
J'ajouterai qu'il ne faut pas lésiner sur ce coût car c'est un pan de notre
jeunesse d'aujourd'hui qui est concerné et qui formera les adultes de
demain.
Il faut, par ailleurs, cesser de considérer le « mineur de banlieue » comme
l'ennemi public n° 1 ou comme le bouc émissaire du mal-vivre des cités et des
quartiers.
Si l'on parle de plus en plus de la délinquance juvénile, c'est, pour partie,
parce qu'elle accompagne l'idéologie sécuritaire qui se développe dans le pays,
et pour une autre part parce que, dans les faits, c'est celle-ci qui est la
plus visible, la plus subie par les populations et aussi la plus
insupportable.
La délinquance a, en effet, pris des formes nouvelles ces dernières années et
d'autres caractéristiques sont apparues, telles que le comportement même des
délinquants qui constitue un véritable défi aux institutions et à
l'environnement immédiat.
Ainsi, les rodéos, les incendies de voitures, de bâtiments de services
collectifs, l'existence territoriale de bandes sont autant d'actes agressifs et
violents qui se veulent visibles, médiatiques, contrairement aux autres vols et
agressions - disons « plus classiques » - motivés uniquement par le profit
financier et s'opérant, autant que faire se peut, dans l'ombre.
Aussi sommes-nous loin de l'époque où l'on pouvait réduire la question de
l'insécurité au simple « sentiment d'insécurité ».
Au colloque de Villepinte, en octobre 1997, le ministre de l'intérieur ne
déclarait-il pas : « Plus personne ne saurait nier ni sous-estimer ce fait : la
multiplication des crimes et délits sont passés de 500 000 par an environ au
début des années soixante à plus de 3 500 000 ces dernières années. Encore
s'agit-il là des actes connus et reconnus. Au-delà des délits proprements dits,
le développement de ce qu'on appelle les incivilités n'est pas moins
inquiétant. » ?
En tant qu'élus communistes, nous nous étions félicités de la tenue et de la
teneur de ce colloque et du fait qu'enfin la gauche, dans sa pluralité, se
réapproprie le terrain - trop longtemps laissé à la droite et son extrême - de
la sécurité, dans ses multiples aspects : prévention, dissuasion, répression,
réparation.
M. le Premier ministre a mis en avant l'objectif d'assurer l'égalité des
Français en matière de sécurité, en précisant qu'il n'y avait « pas de choix
entre la liberté et la sécurité » et que « le principe républicain de l'égalité
entre les citoyens ne pouvait ignorer ce droit à la sécurité. »
C'est dans cet esprit que M. le Premier ministre avait commandé, dès octobre
1997, un rapport à MM. Hyest et Carraz, « sur une meilleure répartition des
effectifs de la police et de la gendarmerie pour une meilleure sécurité
publique. »
Ce rapport a été rendu public le 27 avril 1998 dans les conditions que chacun
connaît ici.
Ce plan prévoyait de remplacer, sur trois ans et sur l'ensemble du territoire,
3 000 policiers par seulement 1 200 gendarmes, au profit des 26 départements
les plus touchés par l'insécurité.
Cette réforme que nous avions contestée dès son origine, en 1995, devait avoir
comme conséquence directe la fermeture de 94 circonscriptions de police
regroupant 193 communes, qui passaient ainsi de la compétence de la police à
celle de la gendarmerie.
Si une meilleure répartition des forces de police et de gendarmerie sur
l'ensemble du territoire est une nécessité, elle ne peut en aucun cas se faire
sans tenir compte des rôles et des fonctions complémentaires et spécifiques de
ces deux catégories, ni des besoins réels des populations, ni du contexte
socio-économique et géographique des villes, ni se faire au détriment des zones
rurales.
Annoncé au printemps 1998, suspendu à l'automne en raison de la colère des
syndicats de policiers et des élus locaux, peu enclins à se laisser déposséder
de leur commissariat ou de leur gendarmerie, ce dispositif ne semble pas, pour
autant, être entièrement abandonné aujourd'hui, puisque le Gouvernement
souhaite toujours procéder à un redéploiement des forces de l'ordre dans
l'hexagone, même si ce redéploiement s'accompagne cette fois-ci d'une révision
à la baisse, avec « seulement » quarante, voire trente commissariats rayés de
la carte.
La vigilance demeure donc de rigueur ; c'est en tout cas l'idée forte qui se
dégageait, samedi dernier, à Dinan, dans les Côtes-d'Armor, lors de la
manifestation régionale de la police, manifestation à laquelle je participais,
accompagné d'élus de toutes tendances.
M. Josselin de Rohan.
C'est le grand écart, tout cela ! Vous êtes dans l'opposition ou dans la
majorité ? Expliquez-nous !
M. Christian Demuynck.
Ils ne le savent pas eux-mêmes !
M. Guy Fischer.
Mais si ! Nous savons où nous sommes !
Mme Hélène Luc.
Nous sommes dans la majorité !
M. Gérard Le Cam.
Nous avons des points communs en ce qui concerne les constats si nous n'en
avons peut-être pas toujours en ce concerne les solutions.
Mme Hélène Luc.
Messieurs de la droite, si vous aviez pris des mesures avant, nous n'en
serions peut-être pas là !
M. le président.
Monsieur Le Cam, ne vous laissez pas interrompre. Veuillez poursuivre.
M. Gérard Le Cam.
J'en viens à présent à la méthode. Si de nombreux maires concernés par ce
projet ont réagi par la négative, c'est aussi parce qu'on ne peut pas à la fois
demander aux élus locaux de s'engager « pour des villes sûres », par le biais
notamment de la mise en place des contrats locaux de sécurité, et en même temps
ne pas tenir compte de leur avis à l'occasion d'un redéploiement des forces
publiques.
Concernant les griefs à proprement parler qui ont été faits à ce plan, je
pense qu'au-delà des positions corporatistes des uns et des autres, ou encore
des éventuels enjeux électoraux locaux, qui nuisent au débat de fond et nous en
éloignent, c'est l'ensemble de l'aménagement du territoire qui est concerné et
l'avenir du service public en général qui est en cause, et que cela et cela
seul devrait nous intéresser.
Alors que tout le monde parle d'aménager le territoire - je fais allusion,
vous l'aurez compris, au projet de loi débattu à l'Assemblée nationale, et dont
nous débattrons bientôt ici même - ce plan tel qu'il a été conçu aurait plutôt
comme effet principal de « déménager le territoire ».
Il existe en la matière de criantes contradictions entre certains principes
affirmés par le Gouvernement en matière de rééquilibrage de l'aménagement du
territoire et la réalité. J'en veux pour preuve le recul des services publics
dans les zones rurales avec, ici, la fermeture de petits hôpitaux, de
tribunaux, de la poste et des écoles et, là, le départ des administrations ou
des entreprises publiques, qui font que certaines villes sont asphyxiées par le
chômage, la fermeture éventuelle du commissariat ajoutant à cette situation
dramatique.
Prenons l'exemple d'un petit commissariat en zone rurale et comprenant
trente-cinq policiers. Si l'on compte les femmes et les enfants de ces
policiers, cela représente en moyenne cent quarante personnes.
Imaginez les conséquences en termes de démographie, de dépeuplement des zones
rurales si, en raison du redéploiement en question, ces cent quarante personnes
devaient quitter la commune, étant entendu que le départ de ces policiers ne
serait pas compensé par une augmentation des effectifs de la gendarmerie, bien
au contraire.
Au-delà du déracinement en tant que tel de ces personnes, quid de l'avenir des
écoles qui, dès lors, accueilleront moins d'enfants ? Quid de l'avenir de
l'hôpital, de certains de ses services, bref, des services publics en général
?
Le débat d'aujourd'hui doit également nous amener à nous interroger sur le
rôle et les missions des policiers, lesquels sont trop souvent occupés à des
tâches administratives indues ; ils effectuent en effet des gardes statiques,
ou bien ils sont affectés aux transferts ou à des gardes dans les hôpitaux de
prévenus ou de détenus, quand ils n'ont pas à effectuer des déplacements lors
de la mise en oeuvre de mesures d'éloignement du territoire.
Si, comme le souligne le rapport Hyest-Carraz, la France, avec un policier ou
un gendarme pour 252 habitants, est au-dessus de la moyenne européenne - un
pour 310 - et au-dessus de ses principaux partenaires européens - Italie : un
pour 283, Allemagne : un pour 296, Royaume-Uni : un pour 380 - ce constat
mérite néanmoins d'être nuancé.
Le ratio police/population est à manier avec précaution. En effet, à
superficies équivalentes, par exemple, la France arriverait non plus en
première position mais en dernière position des pays européens.
Par ailleurs, pour le calcul de ce ratio, le rapport prend en compte
indifféremment la présence de policiers et de gendarmes. Or leurs missions ne
se recoupent pas totalement.
Enfin, le rapport Bauer est venu mettre de l'huile sur le feu en annonçant
que, sur les 89 360 policiers en tenue, seuls 20 000 seraient présents sur le
terrain et que, à certains moments de la journée, ce chiffre tomberait à 5 000,
voire encore plus bas la nuit.
Mais il faut savoir mesure garder et rester prudent à l'égard des chiffres.
Toujours est-il qu'il est urgent de repenser la place de la police nationale
et de ses missions, qui doivent évoluer du maintien de l'ordre à la police de
proximité, de terrain.
En d'autres termes, il faut remettre les policiers dans la rue et multiplier
l'îlotage, dont on connaît l'efficacité en termes de prévention.
Il nous faut, c'est incontestable, une police de proximité renforcée, dotée de
moyens et soutenue par les magistrats et la population.
Or, nous savons tous que de telles mesures ne sont pas prises, faute de
moyens.
Fermer les commissariats dans les zones rurales, moins touchées par
l'insécurité, afin de renforcer les zones sensibles ? N'est-ce pas tenter de
résoudre le problème de la délinquance à faible coût et de façon fort aléatoire
quant au résultat ?
La délinquance ne risque-t-elle pas d'effectuer le mouvement inverse,
c'est-à-dire de se déplacer, au gré des fluctuations policières, vers des
villes moins surveillées, et de s'y développer ?
Ne faisons pas croire à la population qu'un problème est résolu parce qu'il
est déplacé.
Ne va-t-on pas, parallèlement, assister à un développement ou à un
renforcement des polices municipales et des sociétés privées de gardiennage
dans les villes où le commissariat aura été fermé, et ce pour pallier les
carences de l'Etat dans sa mission, pourtant régalienne, qu'est la sécurité
?
Quid, dans ces conditions, de l'égalité des Français sur le territoire devant
la sécurité ?
En définitive, plutôt que de redéployer, ou de déshabiller Paul pour habiller
Pierre, pourquoi ne pas prévoir le recrutement de personnes supplémentaires,
formées, là où les besoins s'en font sentir, d'autant que nous savons que, dans
les cinq prochaines années, 23 000 fonctionnaires de la police nationale
partiront à la retraite et que l'application des 35 heures devra être compensée
?
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est pour cela qu'il faut le faire maintenant !
M. Gérard Le Cam.
L'annonce hier de l'affectation de 7 000 policiers à la lutte contre la
délinquance signifie-t-elle création de postes ou redéploiement ?
M. Christian Demuynck.
C'est une bonne question !
M. Gérard Le Cam.
Ne restons pas au milieu du gué et faisons en sorte que le colloque de
Villepinte et les conseils de sécurité intérieure qui ont suivi ne se
transforment pas en un souvenir poussiéreux.
Le groupe communiste républicain et citoyen salue la volonté gouvernementale
de prendre à bras-le-corps la question de la sécurité, ...
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
C'est bien !
M. Gérard Le Cam.
... tout en soulignant la nécessité de s'attaquer aux racines sociales du
phénomène.
Nous refusons, en revanche, de nous associer aux cris d'orfraie de la droite
qui agite pour des raisons politiciennes cette grave question, alors que son
long passage au pouvoir n'a rien résolu.
(Applaudissement sur les travées du
groupe communiste, républicain et citoyen et sur les travées
socialistes.)
Mme Hélène Luc.
Il faut des policiers et des gendarmes, monsieur le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Un peu plus de toujours plus, cela ne peut pas
faire de mal ! Et puis, cela fait avancer la réflexion !
M. le président.
La parole est à M. Rouvière.
M. André Rouvière.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet de
notre discussion est toujours d'actualité. Son importance n'est pas à
démontrer, l'émotion et parfois la passion qu'il soulève sont là pour
l'attester.
Nous, sénateurs, qui sommes en contact régulier avec les maires et les élus de
nos départements, nous constatons que la lutte contre l'insécurité laisse peu
de gens indifférents.
Le Gouvernement de M. Lionel Jospin a donc raison d'en faire une priorité.
Les mesures importantes que M. le Premier ministre a fait connaître hier
témoignent d'une volonté et d'un plan qui s'élabore au fil des rapports, des
réflexions, des arguments de celles et de ceux qui sont, sur le terrain, au
contact d'une réalité complexe.
Dans un passé récent, nous avons connu des gouvernements qui s'arc-boutaient
sur des décisions prises trop vite et trop isolément. Ce n'est pas le cas du
gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre. La finalité de sa
démarche ne varie pas : assurer la sécurité pour toutes et pour tous.
En revanche, il entend discuter des moyens d'y parvenir avec les élus et les
acteurs concernés.
Ferme dans le but, souple dans la méthode, tel m'apparaît le Gouvernement de
Lionel Jospin. Il sait écouter, réfléchir, s'adapter et, ce qui est encore plus
indispensable, décider.
Je le félicite très sincèrement d'avoir su entendre et comprendre les
démarches de nombreux élus dont je fais partie.
Monsieur le ministre, certains accuseront le Gouvernement de faiblesse, alors
qu'il faut de la volonté, de la maîtrise de soi et de la maîtrise des
situations pour se remettre en cause à la lumière des arguments avancés et des
constats réalisés.
La démarche démocratique, pédagogique et réaliste du Gouvernement est tout à
son honneur.
Il s'attaque à un problème grave : l'insécurité ; il avance une réforme qui ne
satisfait pas celles et ceux qui sont sur le terrain ; il relance alors une
concertation déjà engagée avec le rapport de nos collègues MM. Carraz et Hyest,
puis approfondie par les consultations de M. Guy Fougier et prolongée, demain,
par des discussions et des concertations dans les départements concernés.
Aujourd'hui, ces rapports, ces concertations, ne visent pas à gagner du temps,
c'est-à-dire à enterrer le sujet ; au contraire, ils visent à gagner, ensemble,
le combat contre l'insécurité.
Oui, cette démarche démocratique et réaliste honore le Gouvernement de M.
Jospin. Elle répond à l'attente d'élus et de populations préoccupés et souvent
débordés par les problèmes de violence et d'insécurité.
J'adhère entièrement à l'affirmation de M. le Premier ministre, qui répète que
la sécurité doit s'appliquer à toutes et à tous.
Les médias s'attardent plus fréquemment sur la violence dans les villes et les
banlieues. Nous les comprenons, car l'explosion de la violence y est
dévastatrice, effrayante et, parfois, de grande ampleur.
Mais la violence frappe aussi le monde rural. Elle y est moins spectaculaire,
elle y est plus ciblée, plus localisée, mais pas forcément moins dévastatrice à
l'égard des biens, dans les corps et les esprits. Le monde rural n'échappe plus
à la peur, cette dernière étant souvent renforcée par l'isolement, par des
difficultés d'accès et par la présence d'une population de retraités, qui est
plus soucieuse de tranquillité.
Le monde rural change. C'est vrai partout. C'est plus vrai encore dans le sud
de la France, où le climat et les conditions générales de vie attirent et
fixent des familles socialement fragiles, ainsi, je le répète, que des
retraités, auxquels s'ajoute, en période estivale, un flot de touristes qui
fait quantitativement exploser la population.
Oui, le monde rural évolue. Son éloignement du monde urbain n'est plus une
protection. Au contraire, il génère parfois un double handicap qui réduit
l'efficacité des interventions urgentes.
L'éloignement n'est plus un obstacle à la venue d'agresseurs originaires
d'autres secteurs géographiques. Ces derniers ont le temps d'arriver,
d'accomplir leur méfait et de repartir.
Cette situation ne pourrait que s'aggraver au fur et à mesure que les moyens
de protection s'affaibliraient et s'éloigneraient. Le monde rural a besoin de
conserver sa protection rapprochée, car elle est efficace.
La peur du gendarme n'est certes plus ce qu'elle était, elle demeure cependant
encore une réalité.
La toile d'araignée tissée par l'implantation rurale des gendarmeries est
efficace. Nous souhaitons la conserver.
La présence sur le terrain est irremplaçable, car c'est la seule façon de bien
connaître une région. Seule la présence rapprochée permet la prévention et
l'intervention rapide et concluante.
L'efficacité d'une intervention peut aisément être évaluée ; celle de la
prévention est plus délicate à cerner et à souligner, sauf si l'on part d'une
situation très dégradée. Ce n'est généralement pas le cas dans le monde rural.
La présence de la gendarmerie s'y mesure en siècles. Les populations y vivent
en symbiose avec leurs gendarmes. Les délits et les crimes y sont rares, mais
pas absents.
Ce constat amène certains à déduire que, puisqu'il ne s'y passe rien, les
gendarmes ne font rien et ne servent à rien. D'où l'envie de conclure qu'il
faut les déplacer, les répartir et les installer là où règnent la violence et
la peur.
Cette vision de la réalité conduit à nier le rôle et l'importance de la
prévention. Or, notre société a autant besoin, sinon plus, de prévention que
d'intervention ou de sanctions. Nous devons développer la prévention et non pas
l'alléger.
Le calcul qui conduirait à retirer, ici, les moyens de prévention pour
renforcer, ailleurs, les moyens d'intervention et de répression, serait un
calcul erroné et dangereux. Car, demain, il faudrait reconstruire, avec des
moyens accrus, ce que le monde rural aurait perdu.
Il faudrait être bien naïf pour croire que les zones dégarnies ne seraient pas
aussitôt occupées par les délinquants et les agresseurs de toutes natures,
qu'ils soient autochtones ou de passage.
Aujourd'hui, ce serait une grave erreur de rechercher une solution à
l'insécurité en dépouillant Pierre pour habiller Paul.
Le monde rural doit garder la protection qui a fait ses preuves. Il doit aussi
ne pas être la victime d'un aménagement du territoire dont il serait exclu.
Pris séparément, chaque administration, chaque service, chaque ministère peut
trouver un intérêt immédiat à quitter le monde rural pour la ville ou sa
banlieue, mais cela ne peut pas participer à ce que l'on appelle l'aménagement
du territoire.
Le monde rural ne doit pas être opposé au monde urbain. Ce dernier ne doit pas
être équipé par des moyens et des éléments pris au monde rural. Le déséquilibre
entre ces deux secteurs serait renforcé et pérennisé si l'on prenait ici pour
colmater ailleurs.
Toutefois, l'annonce de moyens accrus dès cette année et dans les années à
venir calme mes appréhensions et renforce mon optimisme. Ces sentiments, depuis
la déclaration du Premier ministre, sont largement partagés par celles et ceux
qui veulent faire preuve d'objectivité et de réalisme.
Bien sûr, il y a encore, il y aura toujours ceux dont la spécialité est la
surenchère. Certains, aveugles aux aspects positifs et novateurs de cette
déclaration, affirment que ce n'est pas suffisant.
Je rappelle que la méthode de notre Premier ministre ne rejette pas le
pragmatisme, au contraire ! Hier, il n'a pas dit que l'action qu'il avait
évoquée s'arrêterait avec sa déclaration.
Les élus locaux savent très bien que, quels que soient l'intérêt et
l'importance d'un problème, on ne peut pas tout faire dans l'instant. Tout et
tout de suite, ce n'est pas possible ! D'ailleurs, ce sont souvent ceux qui
n'ont pas voulu ou qui n'ont pas su traiter ces questions qui sont les plus
éloquents dans le registre des critiques.
L'analyse de la situation, les réponses annoncées, qui vont renforcer,
développer et améliorer l'existant, vont dans la bonne direction.
Il est indispensable d'affirmer que la lutte contre l'insécurité doit être
globale. La prévention, la sanction, la réinsertion sont complémentaires. Selon
le moment, le lieu, les personnes, c'est tel aspect ou tel autre de la lutte
qui sera privilégié. La règle est de s'adapter aux situations avec plus de
moyens, plus de compétences, plus de concertation, plus de suivi.
Cette globalité de la lutte contre l'insécurité doit aussi être développée
dans l'espace, dans la durée entre les ministères et les services concernés.
En reconnaissant le droit de tous à la sécurité, M. le Premier ministre
reconnaît que les populations rurales et les populations urbaines ont les mêmes
droits.
Au moment où la durée du travail se réduit, il serait inopportun,
contradictoire même, de réduire l'effectif des petites brigades. Avec moins de
six gendarmes, la brigade ne fonctionne plus. Les congés, les absences pour
causes diverses, l'irremplaçable présence pour voir et être vu, pour entendre
et être entendu, exigent un effectif minimal qui ne peut être inférieur au
seuil actuel, c'est-à-dire six gendarmes. Dans le cas contraire, on aurait des
gendarmeries sans gendarmes !
Le succès de la prévention dans le monde rural m'amène à suggérer - mais M. le
Premier ministre l'a déjà proposé - d'envisager d'adapter ce système de
prévention au milieu urbain.
Ce que l'on a développé avec les gendarmes peut très bien se concevoir avec
les policiers, et cela sans rivalité.
L'implantation doit être permanente, proportionnée à la population et en
relation avec cette dernière. Les échecs constatés en milieu urbain sont
certainement en grande partie la résultante d'un maillage trop lâche et d'une
intégration trop virtuelle. Une présence fermée aux contacts ne sert à rien
!
Cette présence doit participer à la vie du quartier, de l'école, du collège,
du lycée, de l'université. L'action contre l'insécurité doit se développer dans
la durée. Elle ne peut pas être ponctuelle et les résultats ne pourront se
constater que dans le temps.
Elle commence avec l'enfant, la famille, les programmes scolaires, les
émissions de télévision même, où les héros devraient changer de
look
et
de comportement.
Oui, cette lutte doit être globale. Elle doit mobiliser quasiment tous les
ministères, tous les services, tous les secteurs et, en particulier, bien sûr,
ceux qui sont au contact, qui vont au devant de la réalité, à savoir la
gendarmerie, la police, la justice et l'éducation nationale.
Ce problème de société exige une mobilisation de toutes et de tous. Le
Gouvernement montre qu'il en a conscience et qu'il dégage et dégagera les
moyens indispensables à son succès.
Dans ces conditions, je suis persuadé, monsieur le ministre, que le consensus
et la participation active et positive déborderont largement les rangs de
celles et de ceux qui vous soutiennent traditionnellement.
Chacun comprendra que si le Gouvernement assume sa part de responsabilité, les
autres doivent faire de même. Le groupe socialiste auquel j'appartiens
soutiendra le Gouvernement, et j'espère qu'il ne sera pas le seul !
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen).
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai souvent
été cité dans ce débat, ou dans d'autres,...
M. Hubert Haenel.
Vous le serez encore !
(Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest.
... et je le serai sans doute encore effectivement, à propos du redéploiement
des forces de police et de gendarmerie, objet de la question de M. Masson.
Je n'élargirai pas cette question aux problèmes d'insécurité ou de délinquance
des mineurs ; le sujet serait beaucoup trop vaste. En outre, il a déjà fait
l'objet de longs débats, y compris au sein du Gouvernement, et a abouti à des
conclusions dont nous attendons de voir l'effectivité. Je me cantonnerai donc
au problème du redéploiement des forces de police et de gendarmerie.
Si j'ai bien compris - mais je ne possède pas encore le compte rendu exact du
conseil de sécurité intérieure qui vient d'avoir lieu - on se propose de
redéployer 7 000 policiers et gendarmes. Quand on sait que le redéploiement de
3 000 policiers et 1 200 gendarmes, soit 4 200 personnels, a provoqué, on l'a
entendu tout à l'heure, une véritable révolte dans un certain nombre de nos
beaux départements, je ne vois pas très bien - mais M. le ministre nous
l'expliquera sans doute tout à l'heure - quelle méthode on utilisera pour ce
nouveau redéploiement de forces de sécurité sur notre territoire.
Je voudrais d'abord rendre, ici, hommage à M. Masson, qui connaît si bien les
problèmes de sécurité et de police. Sa hauteur de vue et son sens de l'Etat
font qu'il ne défend pas seulement sa circonscription, ce qui serait légitime,
mais qu'il a une vue globale. Rapporteur depuis tant d'années sur ces problèmes
de police, il connaît parfaitement les enjeux, et son propos a d'ailleurs été
nuancé s'agissant du redéploiement.
Permettez-moi de prendre à mon tour la parole sur l'ensemble de ces
problèmes.
Je représente un département très urbanisé qui est en pleine expansion, dont
la population a doublé en vingt ans et qui connaît une croissance de 3 % par
an. Je suis également conseiller général d'un canton rural - vous le savez,
monsieur Masson, puisque nous sommes voisins - qui est menacé de voir fermer sa
deuxième brigade. Je peux donc, je crois, m'exprimer sur l'ensemble des
problèmes.
Je commencerai par une observation générale.
Comme l'ont dit à la fois M. Masson, M. Courtois et d'autres orateurs, la
proportion en France de forces de police et de gendarmerie par habitant se
situe plutôt dans la moyenne supérieure des pays européens, à l'exception de
celle du Portugal, me semble-t-il, qui est un peu plus élevée.
Mais faut-il augmenter indéfiniment les forces de police et de gendarmerie ou
vaut-il mieux s'inquiéter de leur meilleure utilisation et de leurs conditions
d'emploi ?
Dans le rapport que j'avais commis avec M. Carraz, et que je tiens à votre
disposition, nous n'avions nullement indiqué, hormis quelques cas particuliers,
les commissariats ou les brigades qu'il fallait fermer. Nous avions seulement
posé la question de savoir, par exemple, s'il était bien normal qu'il y ait un
commissariat de police à Aubusson, ville de 6 000 habitants. Une brigade de
gendarmerie ne serait-elle pas préférable ? Nous sommes en droit de nous
interroger compte tenu de l'héritage de l'histoire.
A Mourenx, par exemple, alors que le nombre d'habitants a considérablement
diminué en raison de la baisse de production de gaz de Lacq, le commissariat a
pourtant été maintenu. L'implantation d'une gendarmerie ne serait-elle pas plus
judicieuse ? Nous pouvons aussi nous poser la question.
La gendarmerie pourrait également mieux utiliser ses effectifs. M. Masson a un
peu évoqué cette question.
On pourrait concevoir également, comme cela existe, je l'ai constaté, dans
certaines zones du territoire, de mieux utiliser un groupement de brigades,
dont les effectifs seraient peut-être un peu moins nombreux, mais auxquelles
pourraient se joindre pour la journée des adjoints de gendarmerie. Ce serait
peut-être un bon moyen de maintenir une présence de la gendarmerie et d'assurer
une meilleure efficacité. Comme je le dis souvent, une brigade de dix gendarmes
est parfois aussi efficace que deux brigades de six gendarmes. Cela peut
paraître curieux, mais c'est pourtant vrai. Le ratio coût-efficacité doit être
pris en compte.
M. Hubert Haenel.
Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest.
On peut alors avoir en permanence une patrouille, ce qui n'est pas possible
avec six gendarmes dans certaines zones. Je le dis tout à fait entre nous :
même si nous avons toujours prétendu qu'il fallait au moins une brigade par
canton, quand il y a deux, trois ou quatre brigades dans un département, ne
serait-il pas opportun, surtout lorsque l'on dénombre un gendarme pour
cinquante habitants, comme c'est encore le cas dans notre beau pays, de
regrouper un peu les forces ?
La police de proximité assure ce que l'on appelle depuis toujours dans la
gendarmerie la surveillance générale. Cela consiste, c'est vrai, à pratiquer
l'îlotage en milieu rural et cela implique une connaissance du milieu.
Mais la gendarmerie a aussi dû s'adapter, notamment pour faire face à la
grande criminalité, avec les pelotons de surveillance et d'intervention, sans
parler des sections de recherche ; on l'a vu dans certaines zones. Je l'ai
constaté dans la région Rhône-Alpes, que je connais bien : sans moyens mobiles
et spécialisés, ce ne sont pas des brigades de six gendarmes et leurs
estafettes qui peuvent résoudre le problème de la grande criminalité !
Mes chers collègues, dans peu de temps, nous aborderons les problèmes
d'aménagement du territoire. Je constate que 80 % de la population vit en zone
urbaine et périurbaine. Mais, nous le savons très bien, la zone périurbaine va
se développer encore, toutes les études l'indiquent. Ces populations nouvelles
seront bien sous la responsabilité de la gendarmerie ! Pour vous montrer que
cette dernière sait parfaitement s'adapter, je citerai à nouveau l'exemple
phare de Rillieux-la-Pape. Les gendarmes savent très bien opérer sur le terrain
avec leurs méthodes, faire de l'îlotage et de la surveillance permanente.
On parle beaucoup de guerre des polices. Mais là où il y a vraiment urgence et
où ça flambe - et pas seulement les voitures ! - dans les départements urbains
qui connaissent la grande délinquance, il n'y a pas de guerre des polices,
parce que tout le monde est avant tout préoccupé de lutter contre la
criminalité. Et si, quelquefois, des personnes quelque peu sous-employées
peuvent peut-être, dans certaines zones, se livrer à ce genre de « guéguerre »,
ce n'est certainement pas là que l'on trouve les plus grandes difficultés !
Voilà quelques réflexions sur la gendarmerie.
Je vais maintenant aborder le problème d'ensemble que pose le redéploiement
des forces de police et de gendarmerie.
Ce redéploiement doit être effectué avec précaution. Nous avons déjà exprimé
le souci qu'une concertation ait lieu, et nous avons demandé la création d'une
mission spéciale pour étudier le problème.
Il faut dire que nous, responsables locaux, avons été avisés, peut-être pas
par la presse, certes, mais par une lettre aimable du préfet, de la suppression
de brigades, sans que l'on nous dise ce qui allait les remplacer et comment.
Il est bien évident que l'on peut alléger le nombre de brigades et les
effectifs des brigades dans les zones qui sont du ressort de la police. Ainsi,
en Seine-Saint-Denis, sauf pour les tâches spécifiques à la gendarmerie, pour
lesquelles on estime à un pour 10 000 habitants à peu près l'effectif
nécessaire, il n'est pas indispensable de garder des brigades qui n'ont pas
compétence en matière de sécurité publique. Laissons oeuvrer la police
judiciaire !
Les effectifs pourraient être sensiblement réduits dans de telles zones. Il en
est ainsi du département de la Seine-et-Marne. Mais, s'agissant de ce dernier
département, comme personne n'a dit que des policiers supplémentaires allaient
être nommés à Montereau ou dans d'autres communes avoisinantes, les élus ont
protesté contre tout retrait des gendarmes. On peut leur répondre que les
gendarmes n'ont pas compétence en matière de sécurité civile. A quoi ils
rétorquent : « Comme on manque de policiers » - ce qui est vrai - « on ne veut
pas, en plus, que l'on nous retire les gendarmes. »
Il s'agit donc, monsieur le ministre, d'une question de méthode. J'encourage
fortement le Gouvernement à poursuivre la concertation et surtout à indiquer
quels moyens seront donnés pour remplacer les départs, à expliquer comment les
choses fonctionneront de manière différente. C'est cette information qui a
manqué et qui a fait échoué en grande partie le plan de réorganisation qui doit
être mené parallèlement.
De fait, on ne peut pas engager un plan de réforme de la gendarmerie si,
parallèlement, on n'engage pas un plan de réforme de la police. Les deux
doivent être menés de pair, et au plus haut niveau.
S'agissant de la police, j'ai déjà eu l'occasion de dire que, dans les très
petites villes, les commissariats sont inefficaces. En effet, dans un
commissariat de trente-deux policiers, compte tenu des critères de roulement,
il n'y a que trois policiers présents chaque nuit, et encore à condition qu'il
n'y ait pas de malade.
Il n'est pas possible de défendre la présence des commissariats dans de telles
conditions. Il vaudrait mieux, pour la commune, avoir douze ou treize
gendarmes, ce serait plus cohérent, plus conforme à notre histoire. Ainsi, aux
termes de la loi d'orientation sur la police et la sécurité que nous avons
votée, il ne devait pas y avoir de commissariat dans les villes de moins de 20
000 habitants. Sinon, pourquoi ne pas revendiquer un commissariat dans toutes
les villes de 8 000 habitants ?
Dans mon département, de nombreuses villes qui comptent 10 000 à 12 000
habitants possèdent une brigade de gendarmerie, ce qui ne pose pas de problème
particulier, à condition que les gendarmes soient en nombre suffisant.
C'est pourquoi je suis convaincu que, dans certains quartiers, comme à
Aubusson, par exemple, il faudrait fermer les commissariats, à condition
toutefois de prévoir un effectif suffisant de gendarmes pour assurer la
sécurité des populations.
En ce qui concerne la police, est paru récemment un rapport émanant d'un
éminent universitaire, non spécialiste, quoi qu'on en dise, des problèmes de
sécurité, rapport qui a fait beaucoup de bruit. Il y soulignait, ce qu'il
considérait comme scandaleux, que, sur un effectif total de 52 000 ou 62 000
policiers, il n'y en avait que 3 500 sur le terrain.
C'est sans doute faux. Pour ma part, j'ai consulté un rapport de l'inspection
générale de la police selon lequel le taux moyen de présence effective sur la
voie publique par rapport aux effectifs dits de roulement varie de 7 % à 14 %
des effectifs, tombant à 4 % la nuit. Or, 45 % des faits constatés en zone
urbaine se produisent entre vingt et une heures et six heures du matin.
Donc, même si les chiffres avancés sont sans doute faux, ils correspondent
bien à une certaine réalité, sujet de notre préoccupation.
Pour les mêmes raisons, l'effectif des îlotiers ne dépasse guère 11 % à 13 %
des effectifs d'un commissariat. C'est ainsi que la ville de Montpellier compte
38 îlotiers sur 327 policiers, Avignon, 20 îlotiers sur 166 policiers et Evry,
24 îlotiers sur 200 policiers.
Ces exemples montrent bien qu'il existe un vrai problème d'utilisation des
forces de police.
Au lieu, peut-être, de vouloir « gratter » policier par policier, gendarme par
gendarme, il faut intervenir là où c'est le plus nécessaire, en tenant compte
des objectifs d'aménagement du territoire ; je suis tout à fait d'accord sur ce
point avec mes collègues. Je sais que tel est aussi l'avis de M. Alain Richard,
qui a toujours soutenu qu'il fallait se préoccuper de l'aménagement du
territoire.
De toute façon, il faudra bien se poser la question de l'utilisation des
forces de police.
D'une manière générale, la conception française de la police est
essentiellement tournée vers l'idée d'ordre public. Certes, l'ordre public doit
être assuré ; c'est une responsabilité de l'Etat. Mais cela ne devrait pas se
traduire par une utilisation abusive dans certains cas des forces mobiles, par
l'emploi de ce que l'on appelle les « pots de fleurs »...
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Les plantes vertes !
(Sourires.)
M. Hubert Haenel.
Une plante verte ou un pot de fleurs, c'est pareil !
M. Jean-Jacques Hyest.
... que l'on place devant les ministères. Peut-être pourrait-on enfin procéder
autrement ! Nous sommes le seul pays au monde à agir de la sorte. Cessons
d'affecter des milliers de policiers et des centaines de gendarmes dans les
ministères !
L'exemple de Paris est révélateur puisqu'on y trouve un policier pour 73
habitants, ce qui n'empêche pas la criminalité d'y augmenter plus vite
qu'ailleurs.
On doit quand même s'interroger sur la présence des policiers sur le terrain.
Permettez-moi de vous faire part de mon expérience : je trouve que, dans la
rue, les policiers qui arborent des liserés bleu roi et des liserés verts sont
bien nombreux par rapport à ceux qui portent des liserés bleu foncé.
M. Michel Caldaguès.
C'est vrai.
M. Jean-Jacques Hyest.
Il m'arrive quelquefois de me demander où sont les milliers de policiers qui
sont affectés dans les innombrables structures de la préfecture de police.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le ministre, je ne voudrais pas être cruel, mais je vous rappellerai
qu'avec mon collègue député M. Carraz j'avais déjà formulé des observations sur
la gestion de la préfecture de police ; je vous renvoie également au rapport de
la Cour des comptes : est-il bien normal que près de 800 policiers fassent de
la mécanique à longueur d'année, dans un service où le taux d'absentéisme est
d'ailleurs de 60 % ? Si l'on veut vraiment, les syndicats disent le vouloir
mais ils protesteront aussi, comme ils l'ont fait quand on a voulu supprimer
des commissariats de province - si l'on veut vraiment mieux utiliser les
policiers, il faut renoncer, comme l'avait prévu la loi d'orientation sur la
police et la sécurité, à les affecter à des emplois administratifs et les
rendre au terrain.
M. Serge Mathieu.
Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est ce que veulent le Premier ministre et le conseil de sécurité intérieure
; j'en suis d'accord. Pourra-t-on y parvenir ? Pourra-t-on faire en sorte que
quand on change de tenue à la préfecture de police de Paris, on n'ait pas
forcément trois quarts d'heure de récupération supplémentaire ?...
Il faut être clair : la fonction du policier, sa dignité, c'est d'assurer la
sécurité de nos concitoyens, d'assurer le maintien de l'ordre - en tout cas
pour les forces qui sont affectées à cette tâche. C'est possible pratiquement
sans augmentation d'effectifs à condition que l'on ne « surutilise » pas ces
forces de maintien de l'ordre, à condition que l'on donne vraiment la priorité
à la police de proximité. Nous avons les effectifs suffisants, à condition que
chacun soit bien employé. Si c'est là le plan que l'on nous annonce, j'en
accepte l'augure, mais, comme beaucoup de plans établis par des hauts
fonctionnaires ou des élus - je ne parlerai pas du rapport de Xavier de Roux,
qui allait dans ce sens mais qui a été fort critiqué par les syndicats de
police - celui-ci ne risque-t-il pas de rester lettre morte ?
Monsieur le ministre, j'espère bien qu'un jour nous cesserons, dans notre beau
pays, de sacrifier avant tout au corporatisme pour demander, ce qui est quand
même le minimum, aux fonctionnaires de respecter le service public et de
remplir réellement les fonctions pour lesquelles ils ont été recrutés.
Si nous y parvenons, ce qui implique une profonde réforme des mentalités, une
profonde réforme des méthodes de fonctionnement, nous augmenterons la sécurité
dans notre pays. Si, au contraire, nous nous contentons de «mesurettes », nous
ne pourrons pas lutter contre l'insécurité qui gagne toutes les zones
périurbaines, qui gagne nos banlieues.
Mais je crois aussi que l'on doit obéir à des critères objectifs pour décider
de l'affectation des forces. Ce que je crains le plus, c'est non pas une
augmentation ou une diminution des statistiques, mais le chiffre occulte de la
délinquance. Il est des zones où plus personne ne porte plainte, où plus aucun
policier n'entre et où se développe une économie parallèle de grande
criminalité et de trafic de drogue. A ce moment-là, les ghettos apparaissent,
ce qui risque de faire courir un grave danger à notre société.
Voilà ce contre quoi nous devons lutter.
Mes chers collègues, réfléchissons bien : au-delà de la défense d'intérêts
particuliers, certes non négligeables, ne devons-nous pas faire en sorte que
les policiers et les gendarmes soient mieux affectés pour qu'ils puissent
accomplir au mieux leur tâche indispensable dans notre pays ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
La question orale avec débat posée par notre éminent collègue Paul Masson,
spécialiste des questions de sécurité, nous permet d'aborder avec vous,
monsieur le ministre, un problème non pas épisodique mais de fond, j'allais
dire une question d'Etat. Je vais donc me placer non pas sur le terrain qui
vient d'être abordé par M. Hyest, ainsi que par la plupart des collègues qui
m'ont précédé - je souscris, d'ailleurs, entièrement aux propos qu'ils ont
tenus - mais au niveau de l'Etat. Les polémiques politico-médiatiques suscitées
par le projet de redéploiement des forces de police et de gendarmerie ont dès
l'origine, il faut le reconnaître, dénaturé le débat. Trop d'intervenants en
ont fait une affaire « de boutique » ou « de maison ».
D'ailleurs - pourquoi ne pas le dire ? - l'un des initiateurs de cette
polémique a été, malheureusement, un ancien ministre de la défense et de
l'intérieur.
Lorsque je suis arrivé au Sénat, voilà douze ans, j'avais cru comprendre qu'un
ancien ministre était tenu à une certaine réserve à l'égard des ministères
qu'il avait dirigés et envers ses successeurs. Je constate que les bonnes
manières se perdent...
Finalement, le vrai débat, celui qui aurait pu éclairer les habitants des
communes concernées, les élus, les policiers, les gendarmes, n'a pas eu lieu.
En effet, d'une part, il s'est trouvé aussitôt englué dans des considérations
politico-syndicales locales. D'autre part, et surtout, avant de l'initier et
d'annoncer les décisions prises, il aurait fallu, je crois, rappeler les grands
principes, ce que j'appelle les vérités premières, en quelque sorte, pour bien
mettre cette réforme en perspective et en pleine lumière, lui donner un sens,
tout son sens, et donc la rendre lisible à tous les niveaux.
Quels sont, à mes yeux, les grands principes qu'il faut sans cesse avoir à
l'esprit et rappeler lorsqu'on parle de sécurité ?
En premier lieu, la sûreté des personnes et des biens est le premier des
droits de l'homme et le premier des devoirs de l'Etat. Ce droit à la sûreté est
égal pour tous, que l'on vive en zone rurale profonde, en zone de montagne,
dans une ville moyenne, au centre d'une agglomération ou dans une périphérie
difficile. Ce droit doit être assuré en tout temps, tout lieu, toute
circonstance, en temps normal comme en temps de crise.
En deuxième lieu, seul l'Etat est compétent pour assurer, sur l'ensemble du
territoire, l'effectivité de ce droit fondamental. L'existence et la compétence
des polices municipales ne peuvent être que subsidiaires ou complémentaires.
D'ailleurs, leur prolifération et leur montée en puissance ne sont dues qu'à
la carence de l'Etat. Disant cela, je n'accuse pas spécialement l'actuel
gouvernement : nous avons tous une part de responsabilité. En fait, il s'agit
d'une carence de l'Etat dans l'exercice d'une de ses fonctions régaliennes
majeures. Bien entendu, les maires ne peuvent laisser sans réponse la montée de
la criminalité dans leur commune. Que font-ils ? Ils créent une police
municipale avec des effectifs qui varient selon l'importance de la commune.
Si l'on n'y prend pas garde, cette carence, dont les effets se font de plus en
plus sentir, conduira, d'abord en zone rurale, mais aussi dans les
agglomérations, à la constitution d'unités de police intercommunale - il y a là
un vrai danger - qui viendront occuper les créneaux abandonnés par la
gendarmerie et la police nationale. Et l'on assistera aussi, malheureusement,
au recours à des polices privées !
En troisième lieu, pour assurer cette sécurité - c'est la tradition
républicaine, la tradition historique et institutionnelle de notre pays - le
Gouvernement dispose de deux grands services d'Etat : la gendarmerie nationale
et la police nationale. Cette dualité, si elle peut étonner les non-initiés ou
irriter certains, est, paradoxalement, une garantie pour les libertés. En
effet, le pouvoir de police, qu'il soit administratif ou judiciaire, ne se
trouve pas, ainsi, entre les mains d'un seul ministre. Cela nous protège
peut-être des tentations d'un célèbre ministre de la fin du xviiie siècle et du
début du xixe siècle qui s'appelait Fouché.
Nuançant les propos de M. Masson, je dirai que, pour ma part, je militerai
toujours pour que policiers et gendarmes soient également compétents dans tous
les domaines de police administrative et judiciaire. En tout état de cause, le
rapprochement, s'il est nécessaire, ne peut être en aucun cas une fusion.
En quatrième lieu, entre police nationale et gendarmerie, la différence tient
à la fois au statut, au mode d'emploi, à l'organisation du service, à
l'exercice de l'autorité hiérarchique, à la conception de la discipline.
On l'oublie trop souvent, le gendarme est un militaire et le policier un
fonctionnaire, même s'il porte souvent l'uniforme.
Quand bien même elle peut être appelée à assurer des missions identiques, la
gendarmerie n'est pas la police, et réciproquement. Chacun sait que, en matière
de maintien de l'ordre, par exemple, le mode d'emploi d'un escadron de
gendarmerie mobile n'est pas le même que celui d'une compagnie républicaine de
sécurité.
Un minimum de pédagogie aurait sans doute permis d'expliquer pourquoi dix
gendarmes peuvent remplacer trente policiers : simplement, on ne peut pas
comparer les services et les conditions de travail des uns et des autres.
En cinquième lieu, si le pouvoir syndical chez les policiers est présent - et
parfois pesant pour la hiérarchie, voire pour le ministre - il est absent,
parce que interdit, chez les gendarmes, et ce d'un bout à l'autre de la
hiérarchie.
Je me demande donc si le moment n'est pas venu de rappeler que l'exercice du
droit syndical chez les fonctionnaires dépositaires d'une parcelle du pouvoir
régalien de l'Etat est nécessairement différent de l'exercice du droit syndical
dans le monde de l'entreprise. La question mérite au moins d'être posée.
En sixième lieu, si les policiers sont tenus, comme tous les fonctionnaires, à
une obligation de réserve dans l'exercice de leurs fonctions, ils en sont en
revanche totalement libérés - et ils montrent qu'ils le savent - lorsqu'ils
sont sous le couvert de la protection syndicale. Or les gendarmes, eux, sont
astreints à une stricte obligation de discrétion, qui leur interdit tout
commentaire public sur les décisions prises par l'autorité gouvernementale,
judiciaire ou administrative.
Cela permet de comprendre que, dans le débat, ou la polémique de ces derniers
mois, la gendarmerie ait été discrète et responsable. On ne se syndique pas
contre l'Etat, a dit un jour le général de Gaulle : comme il avait raison !
M. Paul Masson.
C'est bien loin !
M. Hubert Haenel.
Je dois ici souligner la hauteur de vue et le sens des responsabilités du
syndicat des commissaires et des hauts fonctionnaires de la police nationale,
lesquels ont démontré en l'occurrence, si besoin était, leur sens de l'Etat.
En septième lieu, je crois que le régalien ne se négocie pas ; le régalien ne
peut se résoudre au compromis ou au renoncement : il s'exerce dans toute sa
plénitude.
Si ces différents points avaient été inscrits en préambule, ne serait-ce que
rappelés ou, mieux, expliqués aux uns et aux autres, cette réforme aurait
sûrement été plus lisible et aurait pu trouver tout son sens ; en tout cas,
elle aurait trouvé un sens.
Cet éclairage aurait peut-être évité des malentendus chez les élus locaux,
chez les fonctionnaires et leurs familles, dans l'opinion, comme il aurait
permis d'éviter des erreurs journalistiques et des commentaires hors sujet à
propos de certaines manifestations intempestives.
Le manque d'explications a eu pour conséquence de jeter le trouble chez les
gendarmes, chez les policiers et dans l'opinion. Mais la conséquence la plus
grave dans cette affaire, c'est que l'Etat a été malmené.
Les syndicats et les manifestants sortent une fois de plus grandis, renforcés.
Cela donne raison à tous ceux qui estiment que c'est la rue qui a le dernier
mot. Aux yeux de nos concitoyens, la force, quelque forme qu'elle prenne,
l'emporte en effet trop souvent sur l'Etat et sur le droit, et cela devient
contagieux.
Arrêtons-nous un instant sur les conséquences de cette situation en matière de
gendarmerie. C'est vrai, le commandement - vous me rétorquerez qu'il est fait
pour ça ! - sait bien gérer les situations. Mais, cette fois-ci, on l'a obligé
au grand écart !
La hiérarchie avait fait le travail demandé, comme elle sait le faire, avec
constance et conscience, pour expliquer la réforme. Celle-ci était globalement
admise. Que peuvent donc aujourd'hui penser les policiers et les gendarmes ?
Quel camouflet pour le commandement et même pour l'autorité hiérarchique de la
police !
Soyons clairs ! A la question : les choses peuvent-elles rester en l'état ? la
réponse est non, catégoriquement non !
Nous devons tous faire preuve de discernement, de clairvoyance, mais aussi de
courage.
La présence des forces de police et de gendarmerie - et donc leur répartition
- ne peut être immuable. Nous devons accepter de sortir de certains schémas du
passé - et c'est un sénateur qui vous le dit ! - afin de mieux assurer partout,
par des services à la population de même qualité, la sûreté des personnes et
des biens.
Par ailleurs, ne perdons pas de vue la nécessité de relativiser les
comparaisons et les critères, en termes de population. Aujourd'hui, nos
concitoyens sont des « navetteurs ». La transhumance journalière doit être
prise en compte, de même que les transhumances saisonnières.
Il aurait fallu aussi mieux expliquer les transformations profondes que
connaissent nécessairement les services, tant dans la police que dans la
gendarmerie.
Certains vivent encore dans l'idée d'une gendarmerie ou d'une police d'il y a
trente ans. Or, en trente ans, il s'est passé bien des choses ! Peut-être
policiers et gendarmes n'ont-ils pas fait suffisamment d'efforts de
communication.
Quelles conclusions peut-on tirer de tout cela ?
Le seul reproche, à mes yeux, que l'on puisse faire au Gouvernement, dans
cette affaire, concerne la méthode, car, sur le fond, je souscris tout à fait à
l'approche qui a été la sienne.
Pourquoi la méthode est-elle mauvaise ?
D'abord, la démonstration est faite - et ce n'est pas mon collègue Jean-Jacque
Hyest qui me contredira - qu'il ne suffit pas de confier à deux parlementaires,
aussi éminents soient-ils, une étude sur un projet de cette nature pour
convaincre systématiquement tous les élus. Faute de temps et de conseils, nos
excellents collègues n'ont pu remettre en perspective les grands principes -
cela ne leur était d'ailleurs pas demandé - et un conseiller d'Etat, ancien
préfet, n'a pas pu faire mieux.
Au passage, monsieur le ministre, je souhaiterais vous poser une question : le
rapport Fougier est-il si explosif qu'il ne puisse être porté à la connaissance
de la représentation nationale ? Sans doute nous répondrez-vous tout à l'heure
sur ce point.
Cette réforme est apparue d'emblée comme le simple prolongement de toute une
série d'autres rapports, et Dieu sait qu'il y en a eu ! Dès lors, les gens se
sont dit que l'on continuait à gérer la pénurie sans aborder le fond des
problèmes, sans mettre les choses en cohérence. Or tous les aspects d'une telle
réforme doivent être mis en cohérence.
On explique qu'on revoit un peu la carte de police et de gendarmerie. Mais,
dans le même temps, le garde des sceaux travaille - comme, d'ailleurs, son
prédécesseur - à la réforme de la carte judiciaire. Vous imaginez combien nos
collègues élus, toutes tendances confondues, les policiers et les gendarmes
peuvent être troublés ! Ils se demandent ce qui les attend : aujourd'hui, c'est
le commissariat, demain, ce sera la gendarmerie, puis viendront le tribunal
d'instance, les antennes de justice !
On ne peut, en effet, toucher au service public dans un canton, un village, un
arrondissement, un département sans immédiatement réveiller le soupçon, trop
souvent fondé, que l'on assiste au début d'un déménagement du territoire. Et,
pendant ce temps-là, on ne cesse de nous parler de schéma de services
publics...
Une réforme comme celle-là serait acceptée, j'en suis sûr, si l'on
rétablissait la confiance dans la parole de l'Etat : confiance des maires, des
usagers, des fonctionnaires de police, des militaires, bref, confiance des
citoyens. Tous doivent pouvoir considérer que, lorque l'Etat lance telle
action, celle-ci n'en cache pas une autre, beaucoup moins acceptable.
Il fallait se donner plus de temps. Ne pourrait-on pas procéder à une
expérimentation dans des départements où les services concernés et les élus
seraient volontaires. On le fait dans d'autres domaines. Certes, il s'agit d'un
domaine régalien, qui ne s'accomode pas vraiment d'expérimentation. Mais
l'enjeu mériterait qu'on voie comment telle ou telle mesure peut
fonctionner.
On dit : « Il faut plus de policiers. » Mais il faudrait alors aussi plus
d'éducateurs, au sens noble, plus de procureurs, de juges, de prisons...
Si, dans une chaîne, l'on renforce un chaînon sans toucher les autres, c'est
le plus faible qui va déterminer la solidité, ou la fragilité, de
l'ensemble.
Nos policiers et nos gendarmes sont actuellement malmenés, soupçonnés de
toutes sortes de turpitudes : ils bafoueraient en permanence les droits de
l'homme ; ils auraient la gâchette facile ; ils seraient impunis lorsqu'ils
brutalisent à tort un prévenu. Or cette réforme intervient dans ce contexte.
Médiatiquement, c'est dangereux. Certes, des « bavures » sont commises et il
faut les reconnaître et les sanctionner. Mais ne laissons pas le soupçon se
porter sur l'ensemble de nos forces de police et de gendarmerie.
L'année dernière, j'ai accompagné la patrouille de nuit d'une brigade de
criminalité en zone rurale. J'invite tous les « bien-pensants », de quelque
bord qu'ils soient, à faire de même pour se rendre compte de ce qu'est la
réalité, la nuit, dans une zone de non-droit ou de moindre droit. Ceux qui
vivent protégés dans les beaux quartiers, qui ne savent plus ce que sont les
transports en commun et qui n'ont pas à subir des agressions feraient bien de
venir y voir de plus près.
M. Christian Demuynck.
Exact !
M. Hubert Haenel.
Dans quelques semaines, nous allons voir apparaître un autre texte, qui va
semer la perturbation chez nos policiers et nos gendarmes, concernant l'avocat
de la première heure. Je l'ai dit à Mme Guigou ainsi qu'à son directeur de
cabinet : je me demande s'il ne faudrait pas différer sa venue. Un officier de
police judiciaire, représentant de l'Etat, serait-il donc moins respectueux des
lois de la République qu'un avocat, un commissaire de police, un officier de
gendarmerie ? Je m'inscris en faux ! Commençons par faire respecter la
déontologie dans certains barreaux, notamment ceux de Paris ou de Marseille.
M. Alain Gournac.
C'est vrai !
M. Hubert Haenel.
En ce qui concerne les trente-cinq heures, cette disposition semble concerner
toutes les grandes entreprises et tous les fonctionnaires, mais pas les
gendarmes, dont la durée hebdomadaire de travail est plus proche de cinquante
heures que de quarante. Il s'agit là aussi d'un élément pertubateur. Lorsque
l'on parle de redéploiement, il faut avoir tous ces faits présents à
l'esprit.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous
voulons lutter efficacement contre la criminalité - et tel est bien le sujet de
notre débat - il faut redonner confiance à nos gendarmes et à nos policiers,
manifester de la considération pour leur fonction et du respect et de la
compréhension pour le travail particulièrement complexe qu'ils accomplissent,
parfois à notre place. Trop souvent ils ont « les mains dans le cambouis ».
S'ils doutent et parfois même désespèrent, c'est peut-être, et je pèse mes
mots, parce que nous sommes trop souvent aveugles, muets, voire irresponsables.
Nous devons leur rappeler, par notre attitude, que la France est un Etat de
droit. Je crois que c'est le premier devoir des politiques.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque la
question orale avec débat de M. Paul Masson, spécialiste reconnu des problèmes
de sécurité, a été déposée, au début du mois de décembre dernier, M. le Premier
ministre était toujours dans l'attente de la remise des conclusions du rapport
de M. Guy Fougier, chargé de faire de nouvelles propositions pour le
redéploiement des forces de sécurité.
La mobilisation des syndicats de police et des élus contre ce projet a en
effet obligé le Gouvernement à reporter sa mise en oeuvre. J'étais donc très
impatient, en tant qu'élu d'un département difficile, la Seine-Saint-Denis, de
prendre part à ce débat, pour expliquer combien il est nécessaire et même
indispensable de renforcer la présence des forces de sécurité dans les zones
urbaines, mais aussi pour exprimer, au même titre que mes collègues élus de
province, ma désapprobation quant à la manière utilisée pour mener à bien ce
redéploiement.
Mais il est vrai que les événements survenus ces derniers jours ont modifié
les données du débat.
En effet, le 19 janvier dernier, M. le Premier ministre annonçait le gel du
projet en indiquant, en recourant à une formulation plus qu'imprécise, qu'il
serait procédé à des « examens au cas par cas, en concertation avec les élus
concernés ».
En outre, le 21 janvier, tous les médias ont fait état de l'étude de M. Alain
Bauer, dont les conclusions avaient été remises la veille à M. le Premier
ministre. Même si les chiffres cités par cet universitaire paraissent un peu
excessifs à certains syndicats, ce document révèle au grand jour des anomalies
s'agissant de l'utilisation réelle des effectifs de police.
Enfin, hier, le Gouvernement a annoncé, à l'occasion d'une réunion du conseil
de sécurité intérieure, un nouveau plan de réforme, alors que celui qui avait
été présenté en juin 1998 n'avait toujours pas été mis en oeuvre. On peut
d'ailleurs se demander, à propos des 7 000 policiers et gendarmes
supplémentaires devant entrer en fonctions dans les trois années à venir, s'il
s'agira réellement de créations de postes. Je voudrais souligner la
précipitation et le total manque de cohérence dans lesquels sont annoncés, à
chaque fois, ces mesures ou ces retraits, mais la triste réalité est là : après
trois années consécutives de baisse, l'année 1998 a été marquée par une hausse
globale de l'ordre de 2,7 % du nombre des crimes et délits dans notre pays ; en
ce qui concerne la capitale, cette progression a été de 4,5 % ; le nombre de
mineurs mis en cause a, quant à lui, augmenté de 11 % l'an dernier ; enfin,
pour parachever ce triste tableau, les événements de Toulouse et de Strasbourg
ont apporté, voilà quelques semaines, une nouvelle illustration du règne du
non-droit dans les banlieues.
Bien sûr, la police n'est pas seule responsable. On ne répètera jamais assez
que les forces de l'ordre font ce qu'elles peuvent, avec les moyens matériels
et humains dont elles disposent. Il faut tout de même rappeler que l'impunité
des délinquants, plus spécialement celle des mineurs, les difficultés
rencontrées dans les établissements scolaires de par l'insuffisance de moyens
adpatés et, enfin, le désengagement de certains parents apparaissent comme les
causes principales de cette dégradation.
En tant qu'élu d'un département réputé « dur », je ne cesse, depuis près de
dix ans, de tirer le signal d'alarme. Il est surprenant que le Gouvernement
prenne seulement aujourd'hui conscience de la gravité de la situation. On a
vraiment l'impression - certains des orateurs qui m'ont précédé à cette
tribune l'ont dit - que deux mondes coexistent : celui qui est habité par les
populations qui subissent l'insécurité et celui des décideurs politiques,
totalement déconnectés de la réalité du terrain.
Puisque l'objet de ce débat est le redéploiement des forces de sécurité, je
voudrais revenir sur l'incohérence du projet que le Gouvernement voulait mettre
en oeuvre.
Bien sûr, ce plan, tel qu'il était prévu, n'avait pas suscité l'opposition du
corps des gendarmes, même si certains d'entre eux ont manifesté une certaine
prudence.
Mais le transfert de 3 000 fonctionnaires de police des zones rurales vers les
zones urbaines, outre les contraintes budgétaires qu'il implique, paraissait
peu envisageable d'un point de vue humain, du fait des complications familiales
qu'il aurait provoquées. Il avait donc été envisagé de transférer les
fonctionnaires concernés dans les circonscriptions les plus proches. Autant
dire que, dans ces conditions, le renforcement en personnel d'un grand nombre
de départements sous-dotés n'aurait pu se faire qu'extrêmement progressivement,
dans l'optique de nouveaux recrutements.
On ne peut nier qu'il existe des inégalités entre circonscriptions de sécurité
publique s'agissant du nombre de policiers rapporté au taux de délinquance.
Mais la fermeture de 94 commissariats de province n'était pas acceptable dans
le climat actuel d'aggravation de l'insécurité.
Plutôt que de supprimer ceux qui sont situés dans les zones les moins
criminogènes, il faut donner la priorité au renforcement de ceux qui
interviennent là où la délinquance est la plus forte. Je comprends donc tout à
fait la réaction de mes collègues élus de province, soucieux de la sécurité
dans leurs villes de moins de 20 000 habitants, lesquelles ont aussi leurs
quartiers difficiles.
Il n'en est pas moins vrai, comme l'a souligné l'étude de M. Alain Bauer, que
notre pays souffre, d'une manière générale, d'un déficit en termes d'effectifs.
Celui-ci est de plus aggravé par l'existence de charges indues, qui
représentent l'équivalent de 7 400 emplois. Plus que jamais, il reste
indispensable d'opérer une nouvelle répartition des tâches des forces de
sécurité, afin de réaffecter le plus grand nombre possible de policiers à des
missions de sécurité publique.
Cet objectif figurait pourtant dans la loi d'orientation et de programmation
pour la sécurité de 1995, qui prévoyait également que 5 000 emplois
supplémentaires seraient créés en cinq ans dans les corps administratifs et
techniques. Sur la même durée, il était envisagé de dépenser trois milliards de
francs à ce titre. Or, au terme de cette période, le constat est clair : les
corps administratifs et techniques ont perdu environ 900 emplois depuis
1995.
Si le Gouvernement avait respecté les objectifs de la loi d'orientation...
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Quel Gouvernement ?
M. Christian Demuynck.
... le redéploiement des tâches au sein de la police que je viens d'évoquer
aurait été plus facilement envisageable.
Au vu du peu de perspectives laissées ouvertes lors du vote du budget, on se
demande comment le Gouvernement pourra financer la création des postes destinés
à permettre de réaffecter des policiers à des missions de terrain, sans parler,
bien évidemment, des postes dont le Premier ministre a parlé hier. C'est aussi
compter sans les 28 000 départs à la retraite attendus d'ici à 2003 et
concernant les personnels recrutés massivement dans les années soixante-dix,
qui représentent le quart des effectifs. Le déficit humain provoqué par ces
départs sera double, car les nouvelles recrues destinées à les compenser
devront suivre une formation pendant laquelle elles ne pourront être
opérationnelles.
Jusqu'à présent, pour régler ce problème, le Gouvernement a cru bon de faire
appel sur deux ans à 15 000 adjoints de sécurité. Mais ces agents, nous avons
eu l'occasion de le répéter lors des débats budgétaires, n'ont ni la formation,
ni les compétences, ni les pouvoirs d'un fonctionnaire de police.
Je crains donc que le Gouvernement ne fasse une nouvelle erreur en pensant que
la délinquance sera combattue par la simple présence d'hommes en tenue sur le
terrain. Il est vrai que cela permet de faire reculer certaines infractions,
ainsi que le sentiment d'insécurité de nos concitoyens, mais cette situation
entraîne aussi un changement dans la nature des délits et provoque un
déplacement des infractions de voie publique vers les secteurs où les forces de
police sont les moins nombreuses.
La présence policière ne suffira pas si, parallèlement, les capacités
d'investigation et les moyens d'interpellation ne sont pas renforcés. Ne
confondons pas « lutte contre le sentiment d'insécurité » et « traitement de
l'insécurité » !
Ces derniers mois, l'inquiétude et la démotivation des forces de police n'ont
fait que croître. La mobilisation des syndicats s'est amplifiée, le
mécontentement des élus, qu'ils soient de province ou de la région parisienne,
de gauche ou de droite, s'est renforcé. Pendant ce temps, la délinquance gagne
du terrain et la paix sociale est en danger.
Monsieur le ministre, les Français ont déjà jugé le Gouvernement sur ce qu'il
a fait, ou plutôt sur ce qu'il n'a pas su faire. Celui-ci a annoncé hier, alors
que certains ministres s'opposent sur la question, un plan de sécurité qu'il a
qualifié d'« ambitieux ». Pour ma part, je suis persuadé que c'est, une
nouvelle fois, un effet d'annonce.
En Seine-Saint-Denis, nous savons ce que valent en réalité les promesses du
Gouvernement. Beaucoup d'entre elles n'ont pas été tenues. C'est par exemple le
cas dans un domaine différent, celui de l'application du plan de rattrapage
scolaire annoncé à grand renfort de publicité : le Gouvernement parle de
transparence et de concertation, mais il n'a toujours pas créé le comité de
suivi promis pour la rentrée dernière et destiné à associer les élus au
contrôle de l'application de ses promesses. Je crains, monsieur le ministre,
qu'il n'en aille de même en matière de sécurité.
Ce que nous attendons, ce ne sont pas des promesses, ce ne sont pas des mots,
c'est, concrètement, la mise en oeuvre de mesures efficaces sur le terrain.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Robert.
M. Jean-Jacques Robert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègue,
redéploiement, meilleure utilisation des moyens, fermeture de commissariats ou
de brigades : voilà le fruit d'une pensée unique centrée sur des économies à
faire à partir d'une concertation plus que relative. C'est l'objectif du
Gouvernement s'agissant de la sécurité intérieure, objectif qui, du reste, ne
s'écarte guère de la ligne suivie par ses prédécesseurs !
C'est la version intellectuelle, généreuse de la sécurité publique, qui a été
prônée ces quinze dernières années, toujours sur le même refrain : prévention,
intégration, compréhension, soutien, pas de provocation, peu de sanctions,
hantise de l'Etat policier !
Chacun dit à l'envi : la France, Etat de droit. Hélas ! dans bien des cas, cet
Etat de droit semble réservé aux seuls automobilistes : alcootest, vitesse,
stationnement, on sanctionne à tout va dans ce domaine !
On parle de pays légal, mais hélas ! nous connaissons, nous les élus, le pays
réel ! La réalité est très différente, là où nous vivons et où nous constatons,
depuis toutes ces années, l'échec complet des orientations choisies.
L'insécurité croît, elle embellit, le banditisme sévit, ainsi que la grande
délinquance, et maintenant de jeunes enfants propagent la violence.
C'est le « toujours plus » : toujours plus de bandes qui saccagent les trains,
font flamber les voitures et exploser les vitrines, pillent, cassent sans
vergogne ; toujours plus d'armes blanches, de couteaux, de cutters, d'armes à
feu, de canons sciés, de fusils à pompe et de cagoules ; toujours plus
d'écoles, de collèges, de lycées rackettés où le « caïdat » sévit sur fond de
drogue ; toujours plus de quartiers, de campements ou de cités interdits à la
police ; toujours plus de postes, de commissariats, de brigades attaqués, avec
des policiers et des gendarmes agressés, maltraités, menacés, et, plus grave,
humiliés.
Et les pirates de la route ! On se croirait revenu au temps des
diligences...
Peut-être me demanderez-vous de donner des exemples, monsieur le ministre,
parce qu'il s'agit là de généralités. Aussi vais-je vous donner quelques
échantillons de ce qui s'est produit depuis deux mois dans un rayon de douze
kilomètres autour de mon domicile.
En plein jour, on a assisté à un blocage des routes, à l'attaque d'un fourgon,
à l'interruption de la circulation, au dynamitage dudit fourgon. Quelques
semaines plus tard, nouvelle attaque, au petit matin, de ces fourgons qui
collectent l'argent : on utilise des explosifs, des personnes sont blessées.
Par ailleurs, dans une modeste entreprise située dans une petite commune et
qui fabrique du chocolat, des personnes cagoulées surgissent, avec des armes de
guerre : on tire, on prend des otages jusqu'à ce que l'on ait obtenu les fonds
exigés.
Récemment, à six heures quarante-cinq, le responsable d'une grande surface
voit arriver chez lui huit hommes en tenue militaire, cagoulés, munis d'armes
de guerre, qui prennent sa famille en otage et l'obligent, avec des moyens
modernes, à aller chercher la rançon sur le lieu de son travail. Quand il
revient, sa femme et ses enfants ont juste le temps de quitter le fourgon qui
prend feu. A l'heure actuelle, un de ses enfants est encore à l'hôpital. Telle
est la situation réelle !
Les policiers, les gendarmes, que nous aimons et admirons, sont surchargés,
épuisés par des tâches incessantes et interviennent dans un climat détestable
et dangereux. Or, leur mission, c'est précisément d'avoir le temps de voir,
d'écouter, de parler et de comprendre.
Le maçon est au pied du mur. Quelles mesures doit-on prendre pour stopper tout
de suite cette violence ? Il faut du coeur, de la générositié, oui ; de la
réorganisation, du redéploiement, oui, mais il faut aussi des effectifs en plus
grand nombre.
S'agissant d'une situation aussi difficile, on ne peut discuter à partir de
ratios. Regardez ce qui s'est passé pour l'enseignement : au cours des années
récentes, les ratios ont toujours conduit à ignorer l'homme. Le seul critère,
c'est la présence sur le terrain. Il faut donc exclure toute considération
concernant des économies. Il me vient à l'esprit un mot sordide : le « droit »
- à notre époque, on parle de droits - à la police pour nos concitoyens.
On ne peut subordonner l'homme et ses conditions de vie quotidienne à
l'argent, à la rentabilité, à la réduction des crédits. Nous avons besoin de
vrais policiers, de vrais gendarmes, formés, expérimentés et suffisamment
nombreux. Cela a un coût, mais c'est la mission de l'Etat face à l'exigence de
protection de nos concitoyens.
En ce qui concerne la gendarmerie, je m'adresserai directement à vous,
monsieur le ministre, puisque vous êtes présent pour répondre à la question de
notre éminent collègue M. Masson.
Vous seul avez le privilège de pouvoir agir rapidement, je dirai plus
facilement. A l'occasion de la réorganisation de nos armées, un nombre
suffisant de sous-officiers de grande qualité accepteraient de servir dans la
gendarmerie. Vous me répondrez qu'il faut de l'armement et des véhicules.
Compte tenu de la dissolution de certaines unités, vous n'avez que l'embarras
du choix.
Hormis la formation accélérée indispensable, vous n'avez pas de crédits à
demander. Certes, mais encore faut-il les loger, me direz-vous. Les maires se
feront un plaisir de répondre aux besoins dans les plus brefs délais : ils en
ont l'habitude.
La véritable question est : le veut-on ? Je l'espère. Vous, vous le voulez.
Autour de vous, je crains que cette méthode relativement simple à appliquer ne
fasse pas l'objet d'un consensus.
Pourtant, dans l'excellent rapport présenté à l'occasion de l'examen du projet
de loi de finances pour 1999, le député M. Lemoine précise, s'agissant de
l'intégration dans la gendarmerie de sous-officiers des autres armes, que « sur
1 382 dossiers déposés par des personnels de l'armée de terre et de l'armée de
l'air, seuls 439 ont été retenus, en raison de l'inadaptation du profil des
candidats aux besoins de la gendarmerie et du caractère trop restrictif de
leurs souhaits d'affectation géographique ».
S'agissant de cette rédaction, aucun d'entre nous n'est dupe. En fait, on met
des bâtons dans les roues, alors qu'il s'agit d'une idée généreuse et efficace.
On considère que chacun doit rester dans son coin. On soulève des montagnes,
alors qu'il convient uniquement de prendre des décisions. Jamais je ne croirai
que les arguments présentés soient vrais.
La brève citation que je viens de faire des propos de notre collègue Lemoine
donne vraiment à méditer sur le pouvoir de votre ministère. Vous devez, avec le
Gouvernement, assurer la sécurité de nos concitoyens par la présence à la fois
là où il se passe quelque chose, mais aussi là où - heureusement - il ne se
passe rien, car l'expérience montre qu'il faut prévenir l'arrivée ou le retour
d'incidents.
Je n'aime pas faire des références étrangères, même européennes. Cependant, je
ne peux pas citer l'exemple de New York. Dans cette ville, qui compte sept
millions d'habitants, le taux de délinquance a été réduit sensiblement en
portant les effectifs de policiers de 22 000 à plus de 40 000.
Vous venez d'annoncer des mesures. Je vous en remercie, monsieur le ministre.
Elles témoignent de votre volonté de coller à la réalité des besoins, et je
m'en réjouis. Cependant, n'hésitez pas à les conforter, à faciliter leur mise
en oeuvre, en accroissant les effectifs d'au moins 20 %.
Et si l'on évoquait l'efficacité du plan Vigipirate ? Ne s'agissait-il pas
d'effectifs supplémentaires déployés sur le terrain ? Certes, ces effectifs, on
les avait pris ailleurs. Tous les arguments que j'ai développés, notamment la
fatigue des personnels, militent contre l'idée de la répétition d'un tel plan.
En revanche, dans cet état d'esprit, la présence de nouveaux policiers et de
nouveaux gendarmes serait heureusement ressentie.
Monsieur le ministre, demandez-nous les moyens - vous le constatez, mon propos
tranche par rapport à celui des orateurs qui m'ont précédé. Qui oserait vous
les refuser ? Complétez les mesures que vous prenez actuellement, et elles sont
bonnes, par nos propositions. Familièrement, je me permettrai de vous dire :
osez, monsieur le ministre ! En effet, notamment dans mon département, que je
ne citerai pas, mais qui est un des leaders en la matière, nous sommes au bord
d'une véritable folie de la violence. N'attendez pas pour y mettre un terme.
Nos concitoyens et moi-même comptons sur vous !
(Applaudissements sur les
travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, il m'est agréable de conclure - et je m'efforcerai de vous fournir
les réponses les plus complètes et les plus précises possibles - un débat qui a
été indéniablement de qualité et d'où je retire de nombreux apports.
Beaucoup d'interventions ont été riches en propositions et en analyses
pénétrantes, et je remercie M. Masson d'avoir pris l'initiative de ce débat par
sa question, en même temps que je remercie l'ensemble des groupes du Sénat
d'avoir saisi l'opportunité de cet échange.
Je dois excuser l'absence de mon collègue Jean-Pierre Chevènement, qui
travaille cet après-midi auprès du Premier ministre au sein d'un important
conseil interministériel et qui, dès la fin de ce conseil, doit se rendre à un
autre débat à l'Assemblée nationale, mais je veux vous assurer que les
positions que j'exprimerai sont celles, collégiales et cohérentes, de
l'ensemble du Gouvernement.
La réorganisation territoriale des forces de police et de gendarmerie est un
élément important, mais un élément seulement, d'une politique globale de
sécurité dont je voudrais rappeler les lignes principales.
Dès sa déclaration de politique générale, en juin 1997, le Premier ministre a
annoncé la mise en oeuvre d'une politique en faveur de la sécurité quotidienne
de nos concitoyens, dont les grands axes ont été arrêtés lors du colloque de
Villepinte ; différentes mesures ont ensuite été mises en forme dans le cadre
des conseils de sécurité intérieure successifs.
Je rappelle d'ailleurs que le conseil de sécurité intérieure, instance
interministérielle qui regroupe les ministres directement chargés des missions
régaliennes de sécurité - intérieur, défense et justice - mais aussi ceux dont
les attributions sont liées à la politique de prévention et de lutte contre la
délinquance, a été créé par l'actuel gouvernement et a permis de faire
progresser, je crois, nos méthodes de préparation des décisions.
Le 17 novembre dernier, dans son discours devant le congrès des maires de
France, M. le Premier ministre disait son ambition d'assurer une sécurité égale
pour tous et partout sur l'ensemble du territoire.
Cette orientation fondamentale s'est traduite en actes dès les conseils de
sécurité intérieure du 27 avril et du 8 juin 1998. Je mentionnerai notamment
cinq éléments.
Le premier, c'est une augmentation des effectifs. Nous sommes en voie de
recruter 20 000 adjoints de sécurité dans la police nationale, se substituant
aux 10 000 policiers auxiliaires issus du service national, et 16 000
volontaires dans la gendarmerie d'ici à 2002, pour remplacer les 12 000
gendarmes auxiliaires du service national, soit un accroissement net,
respectif, de 10 000 jeunes dans la police et de 4 000 personnels dans la
gendarmerie nationale, qui, les uns et les autres, seront mieux formés et
auront une expérience nettement plus confirmée que celle des anciens
appelés.
Voilà donc un ensemble de capacités humaines, de 14 000 jeunes professionnels,
qui va très substantiellement renforcer les capacités de présence sur le
terrain de nos unités de police et de gendarmerie.
J'ajoute - même si leur rôle est périphérique à la sécurité publique, mais ils
y concourent et je constate que beaucoup de collectivités locales choisissent
cette formule - le financement de 15 000 postes d'agents locaux de médiation
sociale, couvert à 80 % par l'Etat, en partenariat avec les collectivités.
Le deuxième élément, c'est la mise en oeuvre de contrats locaux de sécurité
qui organisent dans la durée un partenariat actif entre les autorités de
l'Etat, les élus locaux et les acteurs économiques, sociaux et associatifs.
Près de 180 contrats ont déjà été signés ; plus de 400 sont en cours
d'élaboration. Je veux souligner l'esprit d'initiative et, souvent, la
créativité des élus locaux, qui sont les partenaires principaux de la
négociation de ces contrats.
Le troisième élément, c'est une politique de prévention et de lutte contre la
délinquance juvénile, sur laquelle je reviendrai.
Le quatrième élément, ce sont des textes législatifs et réglementaires, nombre
d'entre eux sont déjà en débat, voire déjà adoptés. Ils concernent le
renforcement des sanctions pénales contre les agresseurs d'agents des
transports publics, la réforme des polices municipales - texte examiné dès
aujourd'hui à l'Assemblée nationale. Il s'agit aussi des décrets d'application
de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la
sécurité.
Le cinquième élément, c'est une réorganisation territoriale des effectifs de
police et de gendarmerie.
Le conseil de sécurité intérieure qui s'est tenu hier a pris de nouvelles
mesures qui prolongent et amplifient cette stratégie ; j'y reviendrai
aujourd'hui devant vous. Je veux souligner, en particulier, pour répondre à une
interrogation de certains orateurs, que M. le Premier ministre a fait savoir de
façon tout à fait claire que les moyens financiers nécessaires à ces nouvelles
mesures seraient dégagés par des dispositions appropriées dès cette année
1999.
Le renforcement des services de police et de gendarmerie dans les zones où
l'insécurité est la plus intense est une priorité qui, je crois, n'est pas
discutée.
Se donner les moyens de la sécurité quotidienne des Français par une activité
de police de proximité, c'est faire en sorte, entre autres objectifs, que les
effectifs soient présents et déployés sur le terrain partout où se trouve la
population, partout où se préparent et se commettent les infractions.
La carte actuelle de répartition des forces de sécurité date, à quelques
modifications près, de plus de cinquante ans. Je ne méconnais pas l'intérêt des
références historiques citées par les différents intervenants et remontant
parfois à plus d'un siècle. Elles contribuent à la réflexion engagée pour
prendre les mesures nécessaires.
MM. Masson, Haenel et Hyest notamment ont souligné - et je me rallie à leurs
propos - la nécessité d'accepter une évolution de cette carte. Je n'ai
d'ailleurs guère entendu de sénateurs exprimer d'opinion contraire. Cette carte
doit, à mon avis, s'adapter aux réalités de la démographie, de la délinquance,
de la géographie et des contraintes de déplacements ainsi qu'aux comportements
actuels issus de l'évolution de notre société.
En évoquant cette réorganisation, je m'associe au juste hommage rendu par
plusieurs orateurs aux personnels de la police nationale et de la gendarmerie
nationale qui, avec leurs spécificités, accomplissent leur mission, font preuve
de dévouement et de courage, font face quotidiennement aux diverses formes
d'agressivité et de délinquance touchant notre pays, en assumant les risques de
leur charge. N'oublions pas qu'ils ont à affronter la violence et que leur
métier est dangereux. Chaque année, d'ailleurs, nous enregistrons, dans les
deux grands corps de la sécurité publique, un nombre important de blessés ainsi
que des décès en service qui marquent profondément et leurs familles et leurs
camarades.
A l'instar de ce que s'efforcent de faire les différents ministres au sein du
Gouvernement, les hommes et les femmes de ces deux grands corps travaillent
ensemble, s'estiment, se respectent et ont bien l'intention de continuer à
collaborer de la manière la plus efficace. Je rejoins d'ailleurs les propos des
sénateurs qui ont rappelé cette notion essentielle.
Le rapport de MM. Hyest et Carraz, établi à la demande du Gouvernement, a
démontré les éléments d'inadaptation que connaît aujourd'hui notre carte de
sécurité.
Selon les départements - et vous savez tous que le département est un champ
d'examen parfois riche de réalités locales très diverses - le taux de
délinquance sur la voie publique varie de un à six alors que les ratios de
forces de sécurité par habitant peuvent être de trois à un, souvent en sens
inverse. Dans le même département, un gendarme peut constater quatre faits de
délinquance de voie publique par an alors que, pour un poste de travail
identique, son collègue d'une brigade périurbaine située à vingt ou trente
kilomètres de là en dénombrera 113.
Globalement, les vingt-cinq départements où l'on constate aujourd'hui le
niveau d'insécurité le plus élevé ont un taux de délinquance sur la voie
publique qui est le triple des vingt-cinq départements les moins touchés.
Pourtant, ils ont le même nombre de policiers et de gendarmes pour 1 000
habitants.
J'entends les multiples arguments qui convergent en faveur de la stagnation et
de l'immutabilité de cette situation. Ils ont parfaitement vocation à
s'exprimer et ils ont toute leur légitimité. Mais nombre d'orateurs qui se sont
livrés au rappel de tous ces motifs ont bien vu les limites de leur
raisonnement : il faut tout de même faire évoluer cette situation.
Le volume des forces de sécurité en France, rapporté à la population, est,
comme cela a été dit, l'un des plus élevés d'Europe. Les décisions qui ont été
prises par le Gouvernement et qui sont mises en oeuvre aujourd'hui l'élèvent
encore de près de 10 %, étalés sur les deux années en cours.
Pourtant, les Français sont inégaux devant la sécurité : on le sait, les faits
délictueux sont plus nombreux dans les quartiers où le niveau de vie est moins
élevé ; c'est aussi là que se concentrent la plupart des incivilités qui gênent
et dégradent la vie de nos concitoyens. Y remédier est donc un devoir de
justice sociale.
Pour avoir eu l'honneur de siéger dans cette assemblée, je sais que chacun,
ici, quelle que soit la zone géographique dont il est l'élu, est capable de
faire la synthèse des diverses situations vécues dans son propre département,
la plupart des départements comptant en effet certaines zones rurales en voie
de dépeuplement, d'autres en voie de peuplement, ainsi que des zones urbaines.
En outre, comme cela s'est entendu dans beaucoup d'interventions cet
après-midi, chacun, ici, sait qu'il représente non seulement un département,
mais aussi l'ensemble de la communauté nationale, et d'abord ceux qui ont le
moins accès à la parole, qui sont le moins défendus par les forces établies de
la société.
Les dernières tendances de la délinquance me renforcent dans cette conviction
: dans la zone de compétence de la gendarmerie qui est sous la responsabilité
du ministre de la défense, les chiffres de l'année 1998 montrent une
augmentation de la délinquance dans les vingt-cinq départements déjà les plus
touchés, mais une diminution dans les départements les moins criminogènes. Bien
sûr, il s'agit d'une moyenne, mais ce sont des réalités qu'il nous incombe de
traiter et auxquelles nous ne pouvons pas nous résigner.
Enfin, l'actualité récente - agressions dans les transports collectifs
urbains, incidents dans les banlieues de certaines grandes villes ou même de
villes moyennes - montre aussi la nécessité de se donner, aussi bien en zone
urbaine centrale qu'en zone périurbaine, les vrais moyens d'une police de
proximité connaissant la population et à même d'intervenir plus vite et plus
efficacement dans le quotidien.
A l'évidence donc, la réorganisation progressive, pragmatique et concertée de
nos forces de sécurité, tant de police que de gendarmerie, est une nécessité
d'intérêt public pour répondre à l'augmentation des violences urbaines et au
sentiment d'abandon de certains de nos concitoyens, qui ne peut, en toute
responsabilité, être laissée sans réponse.
C'est la raison pour laquelle hier, lors du conseil de sécurité intérieure, le
Gouvernement a décidé de répondre vigoureusement à cet impératif en déployant
en trois ans 7 000 personnels titulaires, essentiellement policiers et
gendarmes, dans les vingt-six départements prioritaires, dont 1 900 - 1 200
policiers et 700 gendarmes - dès l'année 1999.
Dès à présent, il appartient aux deux départements ministériels de l'intérieur
et de la défense de dégager les effectifs nécessaires. Jean-Pierre Chevènement
et moi-même en avons pris la responsabilité. Pour ce qui me concerne, je le
ferai avec détermination, en utilisant toutes nos ressources, comme je
l'indiquerai de manière plus précise dans un instant. Ainsi, dès 1999, sept
cents gendarmes expérimentés seront affectés dans les zones prioritaires.
S'agissant d'une évolution territoriale des forces de gendarmerie,
j'intégrerai bien sûr dans notre démarche les conclusions auxquelles est
parvenu M. Guy Fougier, conseiller d'Etat, qui a été chargé par le Gouvernement
de procéder à une concertation approfondie sur les meilleurs moyens d'y
parvenir.
Plusieurs orateurs ont évoqué les critiques fréquentes à l'égard de la méthode
de préparation de la décision employée par le Gouvernement, méthode qui a donné
lieu à des réactions négatives et à des mobilisations locales. En particulier,
les mesures mises à l'étude ont fréquemment été prises, à tort, pour des
décisions.
Il faut reconnaître le bien-fondé d'au moins certaines de ces critiques. En
décidant de différer ces mesures, qui n'étaient pas encore prises, de
poursuivre la concertation et d'intensifier les mesures d'accompagnement ou de
compensation, le Gouvernement, dans un état d'esprit pragmatique et réceptif
que mon ami André Rouvière a bien voulu reconnaître, a souhaité tenir compte,
comme c'est légitime dans une démocratie pluraliste, des objections valables
qui étaient adressées. Mais je ne voudrais pas que l'on en tire la conclusion
que, finalement, le plus simple est de ne rien faire. J'ai suffisamment
confiance dans l'esprit de responsabilité de tous les élus locaux. J'entends
certains propos tenus sur les technocrates, sur le pouvoir parisien, etc. Pour
ma part, j'ai à mon actif vingt-deux ans ininterrompus de mandat local et
dix-sept ans de mandat parlementaire. Je ne suis donc pas impressionné par les
effets de tribune sur la technocratie ! Et il me semble que tous ceux qui
participent à la responsabilité publique dans notre pays ont suffisamment
d'esprit de responsabilité pour que nous trouvions les moyens d'une
réorganisation consentie, efficace et qui fasse progresser la sécurité publique
partout où c'est nécessaire.
Lors de la concertation menée par M. Fougier, la plupart des maires ont montré
qu'ils étaient conscients des sureffectifs existant dans de nombreux cantons,
avec parfois un gendarme pour 200 ou 300 habitants, sans parler du cas extrême
d'un gendarme pour 20 habitants qu'a cité, à juste titre, M. Jean-Jacques Hyest
tout à l'heure.
Mais ils ont fait valoir des préoccupations lorsqu'il est question de
dissolution de brigades, et il est important d'y répondre.
L'aménagement du territoire est la première de ces préoccupations, les élus
locaux mettant l'accent non pas tant sur l'efficacité fonctionnelle d'un
service public que sur sa présence physique, avec les conséquences sur la vie
économique et sociale de la commune. Il importe que nous tenions compte de
cette préoccupation, même si je me plais à affirmer - j'en prends le pari
devant la Haute Assemblée, aujourd'hui, au mois de janvier 1999 - que nous
constaterons à la fin de cette année, lorsque seront connus les résultats du
recensement général de population, que la grande majorité des communes rurales
voient leur population augmenter. La question de la désertification est réelle
et doit évidemment mobiliser les élus conscients de la nécessaire solidarité
territoriale. Il ne faut cependant pas décrédibiliser son propre discours en
étendant cette menace de la désertification à la majorité des territoires
français, qu'elle ne concerne pas.
Nous voulons prendre en compte cette préoccupation d'aménagement du
territoire, notamment pour les zones dont la densité est la plus faible. C'est
pourquoi le Gouvernement, lors du comité interministériel d'aménagement et de
développement du territoire du 15 décembre dernier, a décidé que les
réorganisations d'ensemble des services publics - et cela concerne la
réorganisation d'ensemble que nous devons opérer pour la gendarmerie, même si
elle est étalée dans le temps et si elle se réalise par étapes - devraient être
soumises aux concertations locales organisées dans le cadre de la commission
départementale des services publics.
La suggestion a été faite de consulter également les commissions
départementales de sécurité ; dans l'état d'esprit d'équilibre territorial et
de responsabilité partagée qui est celui du Gouvernement, je n'y vois pas, pour
ma part, d'objection.
S'agissant de la dissolution de brigades, les maires ont également mis en
avant les problèmes financiers, la plupart des locaux de la gendarmerie - c'est
une bénédiction pour nous - appartenant aux collectivités territoriales,
essentiellement départements ou communes. Or, dans certains cas, ces
casernements ont été construits ou améliorés récemment, les annuités d'emprunt
continuant parfois à courir pendant un certain nombre d'années encore.
Les questions de sécurité ont également été avancées. Si beaucoup d'élus ne
contestent pas la faible charge de certaines unités et, partant, leur
sureffectif sur le plan fonctionnel, ils mettent en avant le rôle préventif
exercé par la présence de l'unité et, dans certains cas, des situations
particulières : zone touristique, zone frontalière, présence d'une entreprise
importante, proximité d'un axe de grande circulation induisant une délinquance
venue des zones urbaines éloignées, implantation récente d'une population
instable, etc.
Toujours sur le plan de la sécurité, les délais d'intervention réels ont été
évoqués, spécialement dans les régions au relief accidenté et aux conditions
hivernales difficiles.
Enfin, l'augmentation de la population âgée nécessite indéniablement la
présence rassurante des gendarmes.
Inutile de dire que l'ensemble de ces préoccupations n'ont pas été découvertes
par le Gouvernement, notamment par les membres directement chargés de ces
questions, lors des débats avec les élus locaux à partir des mois d'août et de
septembre 1998, certaines de ces discussions ayant été compliquées - vous vous
en souvenez - par la survenance des élections sénatoriales dans trente-sept ou
trente-huit départements.
Mais ces préoccupations ayant été exprimées avec une particulière insistance,
il me paraît indispensable de prendre des orientations en tenant compte au
mieux, sans nuire à une démarche de meilleure répartition des effectifs des
professionnels de sécurité.
Par conséquent, le redéploiement de nos forces sera conduit de telle façon que
des personnels expérimentés seront affectés dans les zones de forte
délinquance. Il est en effet indispensable que la présence dans ces quartiers
ou dans ces communes périurbaines où la violence est souvent quotidienne ne
soit pas assurée par de nouvelles recrues. Cet effort de disponibilité des
personnels de la gendarmerie exigera que l'on tienne compte de leur légitime
préoccupation de carrière, et je tiens à remercier M. Haenel d'avoir souligné
les difficultés particulières de service que rencontrent un certain nombre des
personnels concernés.
Le principe général du maintien d'une brigade par canton - il a été rappelé à
juste titre par de nombreux orateurs - est réaffirmé. Je tiens à souligner que,
dès l'ouverture du débat, lors des premières propositions du Gouvernement, ce
principe a été clairement posé. Je n'ai donc qu'à le confirmer.
Dans les situations d'exception où la brigade unique de canton a une activité
particulièrement faible, il est possible d'alléger son effectif de manière très
prudente à cinq ou quatre militaires pour tenir compte de la réalité de la
délinquance, tout en assurant un partage de fonctions suffisament efficace et
instantané avec les brigades voisines pour que, en aucun cas, comme l'a rappelé
à juste titre M. Masson, le délai d'intervention dans des circonstances
normales ne puisse excéder trente minutes.
En ce qui concerne les brigades deuxièmes ou troisièmes de canton, l'éventail
de solutions est ouvert en fonction des circonstances particulières que j'ai
mentionnées voilà quelques instants : dissolution possible de la brigade avec,
éventuellement, renforcement de la brigade principale du canton ou des brigades
limitrophes, si la population à protéger le justifie, tout en maintenant le
ratio d'au moins un militaire pour 1 000 habitants et en assurant la rapidité
du délai d'intervention.
Toutefois, la solution qui a ma préférence, dans la plupart des cas, dans les
brigades deuxièmes de canton à faible activité, c'est le maintien du site de la
deuxième brigade avec des effectifs aménagés à trois ou quatre militaires, le
fonctionnement de la brigade réunifiée étant alors organisé suivant un système
de brigades à deux sites.
Cela assurera que les locaux de service, ainsi que la plus grande partie des
logements d'une deuxième brigade de canton, continueront à être occupés, et
que, par conséquent, l'impact touchant la vitalité des villages concernés sera
ramené à un niveau parfaitement acceptable.
Cette solution n'est d'ailleurs pas une innovation complète, puisque c'est la
réalité que connaissent les élus de nombreux départements, très variés dans
leur géographie, dont les brigades ont à faire face à des pointes saisonnières.
De nombreuses brigades cantonales en France assurent le fonctionnement d'un
deuxième site, qui est activé quelques mois dans l'année et qui dépend du
centre de la brigade. Cette organisation permet de faire face aux
fréquentations exceptionnelles.
Nous avons aussi la possibilité - je reprends là une autre des recommandations
judicieuses de M. Masson - d'opérer non pas des suppressions mais des
regroupements de brigades chargées de fonctions proprement militaires et de
fonctions judiciaires dans les zones de police d'Etat.
Nous souhaitons conserver le ratio d'un gendarme pour 10 000 habitants dans
les zones de police d'Etat, de manière que les fonctions d'enquête et de
soutien à la police judiciaire de la gendarmerie soient assurées avec
suffisamment d'efficacité. L'autorité judiciaire doit avoir un véritable choix
pour confier ses enquêtes soit à une formation de gendarmerie soit à une
formation de police judiciaire. Il reste qu'un certain regroupement de ces
unités peut être le bienvenu.
J'insiste aussi sur la ressource humaine supplémentaire que nous apportent les
jeunes volontaires.
Le recrutement de jeunes volontaires de gendarmerie est commencé. C'est une
réforme utile, qui résulte de la réorganisation actuelle de nos armées.
Ces jeunes professionnels feront deux, trois, quatre, voire cinq années de
carrière, puis, s'ils constatent l'affermissement de leur vocation, ils
entreront ensuite dans la gendarmerie en passant les concours de
sous-officiers. Mais ils nous apportent, en attendant, une ressource humaine de
qualité, car les recrutements sont de bon niveau.
Par ailleurs, nous devons et nous voulons faire un effort à la fois
d'intégration et de soutien en faveur de jeunes en difficulté, pour qui cela
peut représenter une première chance professionnelle.
Je veillerai avec la plus grande vigilance - et je suis sûr que je serai
compris par les parlementaires - à ce que la répartition géographique des
premières affectations de ces jeunes ne soit pas concentrée dans les quartiers
les plus difficiles : ils acquerront une bien meilleure expérience et ils se
formeront une vision de la société française plus complète - même si, pour la
plupart, ils sont recrutés dans les villes - en allant travailler dans des
brigades de villes moyennes ou dans des brigades rurales.
En revanche, dès cette année, sera lancé un deuxième mouvement de personnels
dans la gendarmerie, et ce dans les semaines à venir. La décision est prise, il
s'agit maintenant de l'appliquer.
L'objectif est de réorienter des gendarmes expérimentés vers les zones
périurbaines et les secteurs les plus difficiles et d'éviter une telle
affectation à des jeunes militaires ou aux plus inexpérimentés d'entre eux.
Vous savez très bien, mesdames, messieurs les sénateurs, que, en refusant le
redéploiement, en préconisant une augmentation des moyens et l'affectation de
tous les nouveaux moyens dans les quartiers difficiles, on organise une
situation qui n'est pas crédible et qui n'est pas digne des principes du
service public. La France a déjà fait l'expérience malheureuse de ce type
d'irrésolution !
Donc, à ceux qui disent que la seule issue est dans l'augmentation sans limite
des dépenses et dans la création nette de postes budgétaires, je me permets de
rappeler que nous avons déjà malheureusement fait cette erreur dans d'autres
services publics, qui n'ont pas atteint leurs buts. Et ceux-là n'agissaient pas
les armes à la main ! Que chacun ait donc cet esprit de responsabilité en
tête.
Voilà donc les méthodes au moyen desquelles nous avons la résolution de mieux
couvrir les besoins par une première série de mesures dès l'année 1999, pour
être véritablement face à la délinquance là où elle est le plus présente.
J'ai entendu l'interrogation, parfois teintée d'un peu d'ironie - mais c'est
la vitalité du débat - de certains d'entre vous : qu'a voulu dire le Premier
ministre lorsqu'il a parlé de « réorganisation au cas par cas et sans
difficulté » ?
La série de mesures que je viens d'annoncer est, me semble-t-il, la réponse à
cette question.
Si le Premier ministre a employé l'expression « sans difficulté », l'ensemble
de son action, l'ensemble de l'action de notre gouvernement depuis vingt mois,
montre que son intention était non pas d'esquiver les difficultés mais bien de
traiter correctement, professionnellement, méthodiquement le problème, en ne
laissant pas derrière lui des difficultés résultant de décisions insuffisamment
concertées et mûries.
J'ajouterai une précision qui peut intéresser le Sénat : les problèmes
financiers qui pourraient se poser aux collectivités locales en cas d'abandon
total - ce qui sera très rare - ou partiel d'un site seront effectivement pris
en compte de manière adaptée.
Les conventions de location passées avec les collectivités permettent, certes
- c'est écrit dans les contrats - à la gendarmerie de résilier le bail à sa
seule volonté, à charge pour elle de prévenir le propriétaire avec six mois de
préavis. Cependant, l'application sans nuance de cette règle juridique peut
créer des difficultés vis-à-vis des élus et, surtout, à mes yeux, elle serait
contradictoire avec ma volonté persistante de maintenir le rapport de confiance
et de collaboration loyale qui existe entre la grande majorité des
collectivités territoriales, notamment des conseils généraux, et la gendarmerie
nationale. C'est une valeur, c'est un lien précieux que nous ne voulons à aucun
prix fragiliser.
Donc, en cas d'abandon total d'un site par la gendarmerie - j'insiste : ce
sera rare - il faudra d'abord rechercher toute solution de reconversion, en
liaison avec l'ensemble des partenaires potentiels : en premier lieu, bien sûr,
les services de l'Etat, mais aussi les communes, les groupements de communes et
les conseils généraux ainsi que les organismes d'HLM pour la partie
logement.
Il sera fait appel aux crédits du fonds de restructuration de la défense, à
ceux du fonds national d'aménagement et de développement du territoire et,
éventuellement, aux crédits européens pour subventionner des travaux
d'aménagement dans les locaux.
Pour les cas où aucune reconversion à court terme n'est envisageable, et si la
situation financière de la commune est sérieusement obérée par l'arrêt du
paiement des loyers par la gendarmerie, mon ministère étudie l'éventualité du
versement d'une indemnité à la commune.
En cas d'abandon partiel - ce qui sera un cas plus fréquent - du site, il
faudra rechercher de la même manière un réemploi des locaux libérés si leur
configuration physique le permet.
En cas d'impossibilité, et si la situation financière de la commune le
justifie, là encore, le versement d'une indemnité - proportionnellement
inférieure, puisqu'il s'agit d'un abandon partiel à celle que je viens
d'évoquer - pour être envisagé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez constater que tous ces
principes prennent en compte les exigences de l'aménagement du territoire et du
maintien d'une présence physique de la gendarmerie nationale dans les secteurs
isolés ou difficiles d'accès afin d'y assurer la sécurité.
Nous avons en même temps la volonté affirmée d'aménager le dispositif de
sécurité conformément aux besoins. Je veux d'ailleurs, puisque chacun ici
représente l'ensemble de la collectivité nationale, indiquer les onze
départements dans lesquels, lorsque nous serons parvenus, à la fin de cette
année, à implanter 700 postes supplémentaires, au moins 50 postes
supplémentaires de gendarmes auront été créés : le Gard, La Haute-Garonne, la
Gironde, l'Hérault, l'Isère, l'Oise, le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Orientales,
le Bas-Rhin, le Rhône, le Var.
Par ailleurs, près de 200 postes seront créés dans les quatre départements de
la grande couronne parisienne, le moins largement pourvu étant, je le précise,
le Val-d'Oise.
Quant aux douze autres départements classés prioritaires eu égard à la réalité
de la délinquance constatée cette année, ils recevront au moins 20 à 40 postes
de gendarmes supplémentaires.
Je crois donc que, lorsqu'on parle de ces questions, il ne faut pas oublier -
je sais que beaucoup parmi vous l'ont à l'esprit, mais je ne l'ai pas beaucoup
entendu cet après-midi et j'en suis un peu soucieux - qu'il y a aussi des
besoins urgents et qu'il faut, sans attendre, prendre les moyens pour les
satisfaire.
Je précise que ces mesures ne sont applicables qu'en raison de la capacité
spécifique de la gerndarmerie de s'organiser en réseau à tous les niveaux,
ainsi qu'a bien voulu le rappeler M. Haenel.
Je pense donc que, sur ces bases nouvelles, une concertation étroite avec les
élus, au cas par cas et sans arrière-pensée, comme l'a souhaité le Premier
ministre, nous permettra, dans de nombreux départements, de parvenir à des
accords responsables.
Je voudrais souligner - cela me paraît s'imposer devant le Sénat - la valeur
des raisonnements de nombreux élus locaux et l'esprit coopératif avec lequel
ils ont abordé cette question. Bien entendu, il y a aussi eu quelques
débordements, mais je ne veux pas les retenir. Je préfère rappeler, en
particulier, que le débat sur ce point devant le congrès de l'Association des
maires de France a été empreint d'un très grand esprit de responsabilité.
De la même façon, je souhaite exprimer la volonté de mon département
ministériel de tenir, dans chaque département, à intervalles réguliers, un
débat sur l'adaptation des forces dans le cadre départemental, puisque c'est le
cadre d'activité principal de la gendarmerie.
Mais les exigences posées lors du conseil de sécurité intérieure vont au-delà
de la nécessaire évolution territoriale de nos forces.
J'ai donc demandé que soient également menées un certain nombre d'autres
réflexions, en continuité avec les options arrêtées au conseil de sécurité
intérieure.
Je souhaite ainsi que soit engagé un travail sur la répartition interne dans
la gendarmerie nationale entre les différents échelons d'état-major et les
effectifs déployés sur le terrain.
L'idée même d'une police de proximité plus directement perceptible par nos
concitoyens exige que les structures administratives elles-mêmes participent à
l'effort demandé. Cela se fera en conservant le souci de maintenir leur
capacité de conception, d'organisation et de commandement, qui est
indispensable pour assurer le fonctionnement du réseau. La gendarmerie y est
prête, comme d'ailleurs toutes nos forces armées, qui privilégient désormais le
contrat opérationnel fixé par notre programmation militaire.
Je conduirai également, à la demande du Premier ministre et avec mon collègue
de l'intérieur, une étude sur les nouveaux modes d'intervention de la police et
de la gendarmerie en zone urbaine et périurbaine. A cet égard, l'évolution en
nombre limité mais significatif de nos forces de gendarmerie mobile sera
recherchée.
Je ne vais pas plus avant aujourd'hui, car c'est un dossier qui vient
seulement d'être ouvert sur ma proposition, mais nous devons rechercher une
complémentarité meilleure entre les forces de gendarmerie mobile et les forces
territoriales.
Je vais aussi approfondir la question de la valorisation des carrières des
gendarmes servant en zone difficile. Nous avons besoin que des professionnels
trouvent là la juste compensation des charges et des dangers particuliers
qu'ils assument au sein de ces brigades ou de ces pelotons spécialisés et,
puisque nous ne voulons pas concentrer les jeunes, militaires ou
fonctionnaires, dans les zones difficiles, il faut, dans la durée et de façon
crédible - avec les moyens budgétaires qui sont les nôtres - organiser le
déroulement de carrière de ceux qui choisissent de servir dans ces zones.
Dans le domaine très sensible des mineurs délinquants, il a été décidé un
renforcement des brigades de prévention de la délinquance juvénile. Leur
mission sera essentiellement centrée sur le traitement de la délinquance des
mineurs, même si je n'oublie pas que, bien souvent, ce sont les mineurs
eux-mêmes qui sont les victimes des violences constatées, jour après jour, dans
les zones les plus difficiles.
La décision du Gouvernement de créer cinquante centres de placement immédiat,
strictement contrôlés - je crois pouvoir dire qu'il ne s'agira pas là d'une
figure de style - permettra d'éloigner des jeunes délinquants
multirécidivistes.
C'est une réponse claire, volontaire et effective à une préoccupation majeure
de nos concitoyens, fréquemment répercutée par les forces de sécurité. Cette
réponse, tout le Gouvernement l'a faite sienne.
M. Philippe Marini.
Cela ne suffit pas !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Il est toujours facile de critiquer, monsieur le
sénateur, surtout quand on arrive trois heures après le début du débat !
M. Guy Fischer.
Et qu'on veut, en outre, supprimer les crédits budgétaires !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Comment peut-on imaginer que l'on permettra aux
jeunes, notamment à ceux qui sont issus des milieux les plus défavorisés, de
construire leur avenir si l'école est elle-même un lieu de violence,
d'insécurité, où le mépris de l'autre serait la règle et la solidarité,
l'exception ? La présence de forces de prévention et de sécurité auprès de nos
établissements est aujourd'hui nécessaire.
La gendarmerie prendra toute sa part dans cette nouvelle orientation. C'est ce
qui m'a conduit à proposer que des gendarmes soient affectés auprès des
établissements scolaires des zones les plus difficiles.
Je veux conclure en remerciant de nouveau les orateurs qui ont contribué, de
manière constructive, à ce débat. J'adresse un remerciement particulier à M.
Paul Masson, qui a pris l'initiative opportune de solliciter l'ouverture de
cette discussion.
Je retiens, en particulier, en recommandation d'établir un dispositif
permanent et visible auprès des partenaires, notamment des élus nationaux, pour
piloter de manière graduelle et avec le souci de l'évaluation des résultats les
mesures de réorganisation que nous avons maintenant à prendre et qui, nous le
savons, doivent être menées de manière étalée dans le temps pour que toutes les
conséquences en soient traitées et qu'aucun problème ne soit laissé de côté.
Voici rappelées devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, les
orientation et les décisions du Gouvernement. Avec mes collaborateurs du
ministère de la défense et avec la direction de la gendarmerie nationale, nous
avons contribué, à notre place et méthodiquement, à les élaborer. Nous sommes
maintenant engagés dans la phase de la réalisation, donc dans l'action.
Mes services ont reçu les instructions nécessaires pour que la mise en oeuvre
soit immédiate. Dans les domaines de ma responsabilité, je m'engage à faire
état devant vous régulièrement de l'avance de tous ces chantiers et à vous
rendre compte des résultats, je l'espère, effectifs obtenus grâce à la
détermination de l'Etat.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Masson, Leclerc et Haenel
applaudissent également.)
(M. Gérard Larcher remplace M. Jacques Valade au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. Paul Masson.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Masson.
M. Paul Masson.
Monsieur le ministre, j'ai le sentiment que ce débat n'était pas inutile.
Pendant trois heures, grâce à l'initiative du Sénat, vous l'avez souligné,
nous avons pu, les uns et les autres, présenter nos réactions face à un
problème difficile, de dimension nationale et dont la solution prendra du
temps.
Nous avons pu exprimer notre surprise devant la façon dont le processus de la
réforme avait été engagé. N'y revenons pas !
Nous avons également pu enregistrer de votre part des déclarations, des
informations, des précisions qui, jusqu'à présent, n'avaient jamais été données
au travers des autres procédures parlementaires en raison de la rigueur des
ordres du jour.
M. Hubert Haenel.
C'est vrai !
M. Paul Masson.
Je me réjouis donc que nous ayons, dans cette assemblée, cet après-midi, grâce
aux informations données et à nos échanges, permis à l'opinion d'avoir
peut-être une meilleure appréciation du problème, de ses conséquences et de la
façon dont, les uns et les autres, nous entendons l'aborder.
Vous avez dit, monsieur le ministre, avoir apprécié la hauteur de vue, la
qualité et l'objectivité de nos propos. C'est une des traditions de cette
maison. Si l'« anomalie démocratique » a été soulignée en haut lieu,
permettez-moi de constater que cette « anomalie » a parfois aussi du bon !
(Sourires.)
M. Philippe Marini.
Très bien !
M. Paul Masson.
En retour, je dois le dire, nous n'avons pas le sentiment que vous ayez
esquivé le propos, que vous ayez, comme on dit vulgairement, « dégagé en touche
».
Vous avez apporté des précisions intéressantes. Je ne les rappellerai pas
toutes ; elles figureront au
Journal officiel.
Je note toutefois, parce que, à nos yeux, c'est important, que vous avez
réaffirmé le principe d'une brigade par canton,...
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. Paul Masson.
... ajoutant même que la seconde brigade serait, dans la plupart des cas et
autant que faire se peut, préservée. Nous l'enregistrons.
M. Alain Vasselle.
Dont acte !
M. Paul Masson.
Vous avez explicité les conditions dans lesquelles les 700 postes
supplémentaires seraient répartis. Vous avez donné des chiffres, des
précisions. Vous avez précisé que, pour les personnels de gendarmerie
confrontés à des contraintes particulières, des indemnités spéciales seraient
prévues. Vous avez souligné que, pour les communes également, vous envisagiez
un dédommagement.
Bref, ce débat, encore une fois, a enrichi l'information générale, et c'est ce
qui fait qu'il a été utile.
En conclusion, je dirai que le redéploiement est incontournable ; je n'ai
d'ailleurs pas entendu ici, sur l'une quelconque de ces travées, riches de
nuances, de l'extrême gauche à la droite, la moindre contestation de son
utilité.
En revanche, comme vous-même, monsieur le ministre, j'ai noté que la
concertation était indispensable et que l'on n'arriverait à rien, dans cette
affaire, sinon à des contresens, s'il n'y avait pas, entre vous et nous, entre
le Gouvernement et le Parlement, entre les collectivités locales et le
Gouvernement, une concertation de tous les instants, comme on dit dans le
règlement militaire.
Monsieur le ministre, nous serons vigilants et - je le dis en toute sérénité -
sans complaisance, parce qu'il ne peut en aller autrement quand il s'agit de la
sécurité. Mais nous serons aussi - je le dis non moins nettement - sans
démagogie.
Contrairement à ce que l'on a pu dire ici ou là, nous ne faisons pas de la
sécurité le fond de commerce de l'opposition.
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste.)
Nous vivons l'insécurité tous les jours dans nos communes, et quelquefois
dans nos foyers.
M. Xavier de Villepin.
Tout à fait !
M. Paul Masson.
Par conséquent, notre service, c'est le service de la République. Nous
n'hésiterons jamais entre ce service de la République, la sécurité pour tous,
et la défense du catégoriel. Nous sommes pour la République et pour la sécurité
de toute la République.
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président.
En application de l'article 23 du règlement du Sénat, je constate que le débat
est clos.
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