Séance du 10 février 1999
SÉCURITÉ ROUTIÈRE
Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n°
118, 1998-1999), modifié par l'Assemblée nationale, portant diverses mesures
relatives à la sécurité routière. [Rapport n° 192 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat qui s'ouvre pour
examiner, en deuxième lecture, le projet de loi portant diverses mesures
relatives à la sécurité routière est, on le sait, au coeur de l'actualité.
Ce qui s'est passé à la Saint-Sylvestre a suscité, à juste titre, une vive
émotion chez nos concitoyens. Chacun a pu entendre l'appel de l'opinion en
faveur d'une politique rigoureuse et persévérante de lutte contre l'insécurité
routière.
L'année 1998 est malheureusement à marquer d'une pierre noire. Si j'en crois
les bilans provisoires qui me sont fournis, le nombre des accidents corporels
serait certes en baisse mais celui des tués et des accidentés graves sur les
routes enregistrerait une augmentation de 4 % par rapport à 1997. Ainsi, pour
la première fois depuis dix ans, nous aurons à déplorer une aggravation de la
situation par rapport à l'année précédente. Nous ne pouvons nous résigner à une
telle situation.
Il est, en effet, intolérable que l'on recense chaque jour, en moyenne,
vingt-trois tués sur l'ensemble des routes et des rues du territoire
national.
Il est intolérable que l'insécurité routière reste la première cause de
mortalité de nos jeunes. Il faut une nouvelle fois rappeler que 20 % des tués
dans des accidents de la route ont entre dix-huit et vingt-quatre ans, alors
que cette classe d'âge représente 10 % de la population française.
Il est intolérable, enfin, qu'un pays comme la France se situe parmi les
derniers du peloton des Etats membres de l'Union europénne et que le risque d'y
être tué sur les routes soit deux foix plus élevé qu'au Royaume-Uni ou dans les
pays scandinaves.
La comparaison entre les objectifs que nous voulons atteindre et la situation
actuelle nous montre à la fois l'ampleur de l'effort à accomplir et la voie à
suivre. Ce ne peut être que celle de l'initiative, du courage et du
rassemblement de toutes les énergies.
Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous partagez ce sentiment, et
le vote que vous avez émis en première lecture, à l'unanimité des groupes, en
témoigne.
Je tiens d'ailleurs à saluer la volonté de la Haute Assemblée qui, depuis la
première lecture, me semble aller tout à fait dans le sens du sursaut que
j'appelle de mes voeux.
Voilà trois semaines, en effet, le président du Sénat, M. Christian Poncelet,
et votre collègue M. Gérard Miquel m'ont invité à participer à un colloque sur
la sécurité. Je les remercie de cette initiative, qui va tout à fait dans le
sens d'une prise de conscience collective. Je sais tout particulièrement gré à
M. le président du Sénat d'avoir, à cette occasion, formulé le voeu de voir
l'ensemble de la Haute Assemblée manifester encore, lors de cette deuxième
lecture, sa volonté de soutenir la cause de la sécurité routière.
Je suis heureux d'indiquer au passage que j'ai également reçu l'appui de mes
prédécesseurs, M. Bosson et Mme Idrac, qui ont tenu à souligner combien ils
partageaient les objectifs que ce projet de loi doit nous permettre
d'atteindre.
Ainsi que je l'ai dit à de nombreuses reprises, l'axe porteur de notre action,
c'est d'abord la formation, l'éducation, sous toutes ses formes, en vue de
changer les comportements. Cela doit commencer dès la plus tendre enfance et se
poursuivre tout au long de la vie du conducteur et, plus généralement, de
l'usager de la route que nous sommes tous.
Sans doute peu spectaculaire, car elle est faite d'initiatives multiples et
diversifiées sur tout le territoire, peut-être aussi moins médiatique, car
c'est sur le long terme qu'elle peut porter ses fruits, cette orientation est,
à mes yeux, la seule susceptible de nous permettre d'inscrire des résultats
dans la durée.
Elle touche en effet au comportement dans ses déterminations parfois les plus
profondes, et nous considérons que c'est d'abord en faisant appel à la
responsabilité individuelle et en inculquant les valeurs de civisme que nous
obtiendrons durablement un comportement plus apaisé sur nos routes,
manifestation de ce respect de l'autre qui est indispensable à un partage
harmonieux de l'espace de circulation.
A cet égard, j'indique que la mobilisation prend corps, sur le terrain, pour
proposer des formations complémentairs adaptées aux conducteurs novices dans
l'année qui suit l'obtention du permis de conduire. C'était, vous le savez, une
des propositions du Gouvernement.
Depuis la discussion du projet de loi en première lecture, plus de trente
préfectures se sont portées volontaires pour organiser à grande échelle cette
offre de formation, et des sociétés d'assurance, dans le cadre d'accords
conclus avec des opérateurs compétents, réalisent elles aussi des
expérimentations qui seront progressivement étendues à l'échelon national pour
l'ensemble de leurs jeunes adhérents.
J'évoquerai également la table ronde que j'ai animée le 18 janvier avec Mme
Isabelle Massin, déléguée interministérielle à la sécurité routière, table
ronde à laquelle participaient Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse
et des sports, et Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargée de
l'enseignement scolaire, sur le thème de la mobilisation pour la sécurité
routière. Les débats ont été riches, directs : c'est ce que nous
souhaitions.
Il a été décidé de constituer deux groupes de travail, chargés respectivement
de réfléchir sur ce qu'on appelle les « retours de troisième mi-temps » et les
sorties de discothèques.
Les réflexions de ces groupes de travail font l'objet de propositions qui
seront examinées lors du prochain comité interministériel sur la sécurité
routière, qui se tiendra avant la fin de ce trimestre.
L'opération « label vie » a également été lancée le 18 janvier. Il s'agit d'un
appel à projets auprès des jeunes de quatorze à vingt-huit ans ; il devrait
permettre la concrétisation d'initiatives prises par les jeunes en faveur de la
sécurité routière. Nous espérons ainsi recueillir 1 500 projets élaborés par
des jeunes pour les jeunes. Nous avons prévu une aide spécifique, qui pourra
atteindre 5 000 francs, pour chacun des projets qui auront été distingués par
le jury.
Mais il ne faut jamais perdre de vue qu'une politique de sécurité routière
n'est efficace que si elle porte simultanément et de manière cohérente sur
l'ensemble des aspects du problème.
A côté de l'éducation et de la formation, il faut également agir sur les
infrastructures routières et sur les véhicules ; et, dans le même temps, il
faut savoir être ferme en matière de contrôle et de sanction. Les exemples
concrets le prouvent mieux que n'importe quelle démonstration théorique : les
pays qui réussissent le mieux pour faire reculer l'insécurité routière sont
ceux qui ont compris que le respect des règles du code de la route est une
exigence première du respect de l'autre.
Je n'ignore pas que cette question du contrôle et des sanctions fait l'objet
d'un débat permanent et de controverses parfois vives. Je n'ignore pas non plus
que nombre de commentateurs se plaisent à opposer la formation à la répression,
feignant de considérer qu'il s'agirait de choisir l'une au détriment de
l'autre. En réalité, il n'en est rien et, en matière de sécurité routière,
comme dans les autres domaines de la sécurité publique, il doit y avoir non
seulement complémentarité mais aussi unité de conception et d'action entre ces
deux éléments indissociables d'une politique efficace.
Je souhaite que le Sénat examine dans cet esprit les mesures qui lui sont
soumises pour la deuxième fois.
Comme vous le savez, le projet regroupe six mesures qui font partie des
vingt-cinq mesures retenues par le comité interministériel de la sécurité
routière du 26 novembre 1997, lesquelles se mettent progressivement en place
dans le cadre de partenariats entre les différents acteurs concernés.
Deux d'entre elles, qui figurent en quatrième et cinquième parties du projet,
ont été votées dans les mêmes termes en première lecture par le Sénat, le 7
avril 1998, et par l'Assemblée nationale, le 10 décembre 1998. Elles concernent
respectivement la création d'un délit en cas de récidive dans l'année pour un
excès de vitesse de plus de cinquante kilomètres à l'heure par rapport à la
limite réglementaire et le dépistage systématique des stupéfiants pour les
conducteurs impliqués dans des accidents mortels.
Il est inutile d'épiloguer sur l'importance de ces textes dans le dispositif
général ; ils constituent un signal fort à l'adresse des usagers de la route et
traduisent notre volonté collective de réprimer des comportements de toute
évidence inadmissibles sur la route.
Les quatre autres parties du projet de loi ont fait l'objet d'amendements de
la part de l'Assemblée nationale. Qu'ils soient de pure forme ou apportent
d'utiles précisions ou compléments, qu'ils aient reçu ou non l'approbation du
Gouvernement, ils portent la marque de la qualité du travail parlementaire et
de l'intérêt que la représentation nationale manifeste sur ce sujet.
Je me limiterai à mettre l'accent sur quelques points, sans répéter ce qui a
été dit lors du débat en première lecture.
La première partie du projet de loi vise à rendre obligatoire le suivi du
stage de sensibilisation aux causes et conséquences des accidents de la route
pour les conducteurs novices auteurs d'infractions graves.
Le Gouvernement considère que cette formation doit s'ajouter aux sanctions
déjà prévues dès lors qu'elle permet à l'auteur d'infractions de reconstituer
une partie de son capital de points, dans les mêmes conditions que les stages
effectués dans le cadre de la loi de 1989 sur la base du volontariat par
l'ensemble des conducteurs. Préoccupée par le coût de ce stage pour les jeunes
conducteurs, l'Assemblée nationale a considéré qu'il devait se substituer à la
peine d'amende normalement prévue. Ce point, qui pose manifestement un problème
d'équité vis-à-vis de ceux qui ont commis des infractions moins graves, me
paraît devoir être débattu.
La deuxième partie du projet de loi vise à assainir le fonctionnement des
établissements d'enseignement de la conduite et à améliorer la qualité de leurs
prestations. A cet égard, des précisions utiles ont été apportées par
l'Assemblé nationale.
La troisième partie du projet de loi a pour objet d'établir la responsabilité
pécuniaire des propriétaires de véhicules en cas de contrôle sans interception
dès lors que le conducteur n'a pu être identifié. A l'issue des travaux du
Sénat, l'Assemblée nationale a d'ailleurs introduit des amendements qui visent
à mieux expliciter la portée et les modalités d'application de cette mesure.
Je partage ce souci de clarification, tant il est vrai que nos intentions et
la réalité du projet de loi lui-même ont été - vous vous en doutez - trop
souvent caricaturées, voire déformées ou déviées.
Cette mesure est nécessaire pour que puissent se développer des stratégies de
contrôle mieux adaptées à l'accidentologie car seuls des moyens automatiques
permettent de contrôler les vitesses aux points les plus dangereux où il n'est
pas toujours possible d'intercepter les véhicules. Elle est aussi nécessaire
pour garantir l'égalité de tous les citoyens, de tous les usagers devant la
loi. Rien dans ce texte ne permet d'évoquer, comme on l'a fait, le spectre de
la délation.
Les amendements adoptés par les deux assemblées ont levé les ambiguïtés qui
pouvaient éventuellement subsister. Il s'agit, vous le savez, d'étendre les
règles qui régissent depuis vingt-cinq ans le stationnement à des catégories
d'infractions clairement spécifiées et limitativement énumérées : excès de
vitesse, franchissement d'un feu rouge ou d'un arrêt stop.
La sixième et dernière partie du projet de la loi autorise la suspension
judiciaire du permis de conduire en cas de condamnation pour absence ou
modification du dispositif obligatoire de limitation de vitesse sur les
véhicules lourds. A cet égard, l'Assemblé nationale a adopté des amendement
techniques.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales questions dont vous
êtes conviés à débattre. Je voudrais saluer une nouvelle fois l'excellent
travail de la commission des lois du Sénat et de son rapporteur, M. Lanier.
Le Gouvernement sera ouvert aux propositions émanant de toutes les travées de
cet hémicycle. J'ai la conviction que vos travaux nous permettront de franchir
une nouvelle étape vers l'adoption d'un texte dont l'unique objet est de faire
reculer l'insécurité routière dans notre pays. Cet objectif requiert la
mobilisation permanente de chacun de nous.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons, enfin, en
deuxième lecture le projet de loi portant diverses mesures relatives à la
sécurité routière.
Avant même d'aborder l'étude du texte tel qu'il nous revient de l'Assemblée
nationale, qu'il me soit permis de vous livrer certaines réflexions.
Dressons d'emblée un constat navrant : lors de la première lecture du projet
de loi, le 7 avril dernier, le Gouvernement affichait une ambition louable et
hardie à laquelle nous souscrivons de tout coeur : « Réduire de moitié en cinq
ans le nombre de tués sur les routes ».
Cinglante comme un défi, la réponse nous est parvenue en début d'année : 8 312
tués en 1998 sur la route, ou plutôt par la route. Cela signifie 323 morts de
plus que l'année précédente. Pour comble de détresse, la route a tué 91
personnes dans les seuls trois premiers jours de 1999. Quelles que soient les
circonstances qui ont provoqué ces décès, ils sont tous égaux compte tenu de
leur caractère prématuré. Tous requièrent notre tristesse face aux faits tels
qu'ils sont.
En effet, le fléau s'accroît. Il prend allure de catastrophe naturelle. A
cette différence près, qu'au-delà de notre bonne volonté, il doit motiver notre
conscience et intégrer notre responsabilité, une responsabilité commune, dont
nous devons tenir compte, car elle met en cause à la fois le législateur,
l'exécutif, les usagers ou les citoyens en général.
Toutefois, et sans vouloir faire du Gouvernement le coupable dans une
situation qui s'apparente à un désastre, nous ne pouvons que constater et
regretter que, alors que le Gouvernement déclare si souvent l'urgence pour de
nombreux projets de loi, il ait fallu attendre dix mois pour que ce texte
revienne devant le Sénat après sa première lecture !
En effet, son impact n'est déjà plus le même, ses effets s'émoussent, tandis
que se renforcent tant d'égoïsmes individuels et d'intérêts contradictoires,
intéressés au laisser-faire, laisser-passer.
M. Louis Althapé.
Absolument !
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
Il reste cependant évident que l'aggravation de la situation
telle que nous la constatons rend le texte qui nous est soumis tardivement en
deuxième lecture déjà dépassé par l'ampleur croissante du problème. La réalité
est là : le réseau routier, destiné à être vecteur d'échanges et de circulation
des personnes et des biens, destiné à être source de vie, devient de plus en
plus source de mort et, au-delà, d'épouvantables drames sociaux, avec les
dramatiques conséquences que suscite ce qu'il faut bien appeler un fléau.
En effet, le nombre trop élevé des tués cache celui des blessés, certains
étant condamnés à terme, d'autres étant devenus infirmes à vie ; j'ai mesuré
leur désespoir dans les centres de rééducation. Tout cela hypothèque une part
importante de la vie sociale de la nation et influe sur l'existence morale
autant que matérielle de certaines familles que le désarroi de leurs proches
déstabilise profondément et souvent durablement.
C'est ainsi la société française tout entière qui paie le tribut. Ce gouffre
financier pour la santé, la sécurité sociale, les assurances, nous coûte
beaucoup plus cher qu'une politique résolue et efficace de sécurité.
Ce tribut est, de surcroît, plus lourd chez nous que chez tous nos voisins de
l'Union européenne !
Alors, pourquoi ? Oui, pourquoi ?
Cela tient, en grande partie, au fait que nous nous sommes laissé dépasser par
les événements et que nous avons privilégié la répression, qui atteint
aujourd'hui ses limites, jusqu'à devenir trop souvent inapplicable. Cela tient
aussi au fait que la répression n'est pas toujours employée avec l'équité
souhaitable et que la peur du gendarme n'est pas la panacée capable de tenir
compte des profondes transformations qui déterminent la conduite d'un véhicule
et l'usage de la route.
Les faits commandent : l'intensification du trafic routier, la multiplication
des conducteurs - des plus jeunes aux plus âgés - la puissance et la disparité
des véhicules, la diversité croissante des moyens de transport routier, la
pluralité des réseaux et, surtout, la configuration des infrastructures,
techniquement bonnes, mais sécuritairement insuffisantes, et parfois
dépassées.
Tous ces faits sont connus, inventoriés par de nombreuses initiatives émanant
du législatif, de l'exécutif, comme des spécialistes du sujet. Je vous citerai
quelques exemples : le Livre blanc remis au Premier ministre en 1995, le
rapport Pons en 1996, la proposition de loi de notre excellent et ancien
collègue Edouard Le Jeune, les nombreuses et pertinentes propositions de tous
les délégués à la sécurité routière.
Tous ont préconisé une politique préventive, généralisant l'information
éducative du public autant que la formation du conducteur, pour qu'il comprenne
enfin que la circulation routière est affaire de vie en société et qu'il
convient d'éclairer le comportement mental du conducteur avant de le condamner.
On ne prend plus la route, on la partage avec les autres.
Le problème, c'est qu'une politique de sensibilisation du public coûte cher.
Elle va de pair avec une politique de sécurisation du réseau routier, un réseau
partagé entre l'Etat et les collectivités territoriales. Le budget de la
sécurité routière pour la communication, doté de 30 millions de francs pour la
présente année, apparaît largement insuffisant, tant pour répondre à l'ampleur
du problème que pour entreprendre les actions indispensables.
Nous sommes donc, monsieur le ministre, à l'heure du choix : ou bien
considérer que la sécurité routière est une vraie priorité et décider de lui en
offrir les moyens ; ou bien tenter, de livres blancs en projets de loi, de
limiter seulement les dégâts, en sachant qu'ils ne pourront que s'accentuer
face à des pis-aller et en acceptant la part du fléau. Je sais bien, monsieur
le ministre, que vous n'êtes pas seul à décider, que les besoins d'une société
moderne sont nombreux, exigeants, urgents. Mais choisir, c'est le propre de
régir !
C'est pourquoi, voilà dix mois, dès la première lecture du projet de loi qui
nous est soumis, je prédisais une reprise du nombre des accidents mortels, en
indiquant que le dispositif préventif manquait de cohésion autant que
d'ambition, et que le dispositif répressif était, dans plus d'un tiers des cas,
inapplicable.
Ces inconvénients n'ont fait que s'accentuer depuis dix mois. Nous courons
après le fléau au lieu de le précéder. Or, puis-je sans aucune acrimomie,
soyez-en certains, rappeler que gouverner c'est aussi prévoir ?
Les termes du texte qui nous est soumis ne permettront pas de dominer
l'ampleur du problème qu'ils cherchent à résoudre.
Ce projet de loi a toutefois le mérite d'être un complément nécessaire, mais
non suffisant, du droit existant. Il met enfin l'accent sur le sens de la
responsabilité personnelle, cette notion dont il est temps de rétablir la
valeur, dans les esprits et surtout dans les consciences, car, sans elle, la
liberté glisse subrepticement vers la licence et l'égoïsme.
Certes, ce texte ne saurait être définitif. Le problème de la sécurité
routière est évolutif. Il devra être considéré dans son ensemble. Mais ce
projet a au moins le mérite d'exister. N'en retardons pas davantage
l'application !
Je vous proposerai donc d'examiner le texte tel qu'il nous revient de
l'Assemblée nationale.
A l'article 1er, le projet de loi initial prévoyait un stage de
sensibilisation pour les titulaires du permis de conduire depuis moins de deux
ans, auteurs d'une infraction entraînant le retrait de quatre points, donc une
infraction grave.
Le Sénat, en première lecture, avait étendu cette mesure aux conducteurs
novices auteurs de plusieurs infractions successives totalisant quatre points,
soit deux fois deux points, ou trois points et un point.
L'Assemblée nationale, qui a réfléchi au problème, ne nous a pas suivis. La
commission des lois du Sénat vous propose d'accepter sa rédaction...
M. Jacques Mahéas.
Très bien !
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
... ainsi que la substitution de ce stage de sensibilisation
à l'amende.
Nous partageons également le souhait de l'Assemblée nationale d'un rapport
d'évaluation après un an, bien que nous soyons pour la plupart sceptiques quant
à l'efficacité des 350, voire 360 rapports, qui sont déjà demandés à tous les
ministres. Même si elle juge préférable de laisser les ministres travailler
sans leur demander sans cesse de faire un rapport dont on ignore s'il sera lu,
la commission des lois se rallie finalement à la proposition de l'Assemblé
nationale.
A l'article 2, relatif aux conditions de l'enseignement, la commission des
lois du Sénat a accepté plusieurs amendements rédactionnels proposés par
l'Assemblée nationale. Elle a notamment accepté l'insertion, dans un article
additionnel, de mesures relatives aux associations, plus précises que celles
que le Sénat avait présentées.
La commission a également accepté la rédaction plus précise des conditions
d'aptitude professionnelle à l'enseignement que le Sénat avait introduites en
première lecture.
Par ailleurs et pour rester dans une vue plus générale, j'évoquerai plusieurs
articles additionnels insérés par l'Assemblée nationale.
La commission vous proposera d'accepter l'article 12, qui aggrave les
sanctions en cas d'infractions commises à l'encontre d'un agent des transports
publics.
Cet article a certes tous les aspects d'un cavalier et il eût mieux valu
l'insérer dans la proposition de loi de notre excellent collègue M. Christian
Bonnet adoptée par le Sénat en décembre dernier et actuellement « en perce »
devant l'Assemblée nationale, encore que si l'article 12 est adopté par le
Sénat, cette proposition de loi ne sera même pas examinée par l'Assemblée
nationale, plutôt que d'introduire dans le présent projet de loi une
disposition sans lien réel avec le texte.
En revanche, la commission propose de supprimer trois articles additionnels
concernant les motoneiges, le marquage des bicyclettes et l'obligation de
suivre une formation au code de la route pour la conduite de quadricycles à
moteur. Ces articles relèvent à l'évidence du pouvoir réglementaire, et non de
la loi. Ne surchargeons donc pas celle-ci, en la rendant obscure par des
dispositions d'ordre réglementaire.
Par ailleurs, la commission s'est longuement interrogée sur l'article 15
tendant à prévoir un contrôle des infrastructures routières dans des conditions
définies par décret en Conseil d'Etat. Voilà qui suscite tout de même quelques
interrogations sur les conséquences d'une telle disposition.
En effet, en 1997, le Gouvernement avait décidé de mettre en place un audit de
sécurité des nouvelles infrastructures routières. Son travail semblerait prêt.
Mais la disposition telle qu'elle a été adoptée par l'Assemblée nationale est
beaucoup plus ambitieuse. En effet, il n'existe, à ce jour, aucun texte
définissant les normes mêmes minimales de sécurité concernant les
infrastructures routières, ni les conséquences qu'il conviendrait d'en
tirer.
Aucune concertation n'a eu lieu sur ce sujet, entre l'Etat et les
collectivités territoriales, qui s'inquiètent, à juste titre, des conséquences
non seulement financières mais également et peut-être surtout juridiques
qu'ouvrirait l'article additionnel introduit par l'Assemblée nationale.
Les présidents de conseil général et l'Association des maires de France
appellent à la plus grande prudence avant qu'une étude approfondie n'ait montré
quel serait, pour les collectivités territoriales, le poids juridique des
accidents et le poids financier de la mise du réseau, qui leur incombe, à des
normes que les seuls techniciens auraient définies de manière peut-être
maximaliste.
Le Sénat ne peut que comprendre les réserves des collectivités territoriales.
Il doit, semble-t-il, refuser l'improvisation en la matière d'autant que la
plupart des départements et des communes consacrent déjà une très forte part de
leurs moyens à l'entretien de leur réseau routier.
Certes, le Sénat ne peut méconnaître la nécessité de renforcer la technique
sécuritaire du réseau routier dont le bon état autant que la densité
inciteraient, par un vrai paradoxe, les conducteurs à de trop grandes vitesses,
cause d'accidents graves, qu'un minimum d'équipements ayant fait leur preuve
pourrait et devrait sinon conjurer du moins limiter. C'est bien ce que
souhaitent tous ceux qui ont en charge la délégation à la sécurité routière.
Dans cet esprit, la commission des lois vous demande, monsieur le ministre, de
prévoir, dès que possible, une concertation avec les représentants désignés par
les collectivités locales, afin de définir les meilleurs moyens d'assurer une
sécurisation accrue du réseau local. Je vous demanderai de bien vouloir
répondre à la commission sur ce point.
Tel qu'il nous est proposé, un contrôle des infrastructures routières ne peut
que paraître vain et dangereux : vain, en suscitant en l'état actuel des
litiges sans fin ; dangereux, parce qu'il méconnaît l'importance des
conséquences juridiques et financières qui sortiraient de ce que l'on pourrait
appeler, sans mauvais jeu de mots, cette boîte de pandore.
Parce que son intérêt est évident, l'ampleur du sujet mérite mieux qu'une
improvisation.
Puis-je ajouter, enfin, que la commission des lois a déploré, une fois encore,
la multiplicité des textes en vigueur et, surtout, leur éparpillement dans le
code de la route, le code pénal, le code de la santé, le code civil, etc. ?
Nous savons qu'une commission de réforme oeuvre auprès du ministère de la
justice. Puisse-t-elle parvenir à établir plus de clarté pour la compréhension
des textes et, surtout, pour leur cohésion.
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les appréciations que
je me suis permis de vous communiquer. Vous ne trouverez sans doute pas que
nous sonnons trop fort le tocsin car, comme nous-mêmes, vous pensez, monsieur
le ministre, que le tocsin est préférable au glas, ce glas dont Ernest
Hemingway disait : « Ne demande pas pour qui il sonne, il sonne pour nous. »
Sous réserve des quelques amendements qu'elle vous soumet, la commission des
lois vous propose, mes chers collègues, d'adopter le présent projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Pastor
applaudit également.)
M. le président.
La parole est à Mme Bardou
Mme Janine Bardou.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en avril
1998, lorsque nous avons examiné en première lecture le projet de loi portant
diverses mesures relatives à la sécurité routière, nous avions longuement
évoqué l'absolue nécessité de diminuer de moitié en cinq ans le nombre des tués
sur la route. Nous avions alors placé beaucoup d'espoir dans le texte que nous
venions de voter.
C'est dire notre profonde déception devant la recrudescence des accidents
mortels durant l'année écoulée, déception que vous partagez, j'en suis
certaine, monsieur le ministre.
Ainsi, l'été particulièrement meurtrier a cassé une courbe que tous les
acteurs de la sécurité espéraient avoir définitivement placée dans une
perspective de baisse régulière des accidents, notamment des accidents
graves.
Le nombre de morts dans les accidents de la circulation qui se sont produits
le week-end du nouvel an est là pour nous rappeler cette urgence. En effet,
comme l'ont rappelé M. le ministre et M. le rapporteur, on a dénombré
quatre-vingt-onze morts, contre cinquante-huit l'année précédente, parmi
lesquels beaucoup de jeunes.
Nous ne pouvons oublier que la tranche d'âge des 18-24 ans, qui représente 10
% de la population, représente aussi 20 % des tués sur la route, l'insécurité
routière étant la première cause de mortalité chez les jeunes.
A la fin du mois d'octobre, le nombre de tués calculé sur les douze derniers
mois est passé à 8 312, contre 7 989 en 1997. Ces chiffres parlent
d'eux-mêmes.
L'augmentation du nombre des victimes de la route est consternante, d'autant
qu'il est tout à fait regrettable et dramatique que les dispositions qui
figuraient déjà dans le texte de 1997 - et qui sont reprises dans le présent
projet de loi - n'aient pu, faute d'une volonté forte, être prises à l'époque
par décret ou par arrêté, ce qui, depuis bientôt deux ans, aurait permis
d'accroître la sécurité sur les routes.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous estimiez que les mesures contenues
dans ce projet de loi devaient être prises d'urgence. Pourquoi ne pas avoir
fait en sorte qu'elles soient votées plus tôt ?
Monsieur le ministre, je regrette de devoir le dire, il est grave d'avoir
attendu autant de temps, près de dix mois, pour faire adopter ce texte relatif
à la sécurité routière et qui concerne un sujet aussi lourd de conséquences,
qui génère, hélas ! chaque jour des drames.
M. Dominique Braye.
Il fallait déclarer l'urgence !
Mme Janine Bardou.
Nous avons pourtant voté des textes déclarés d'urgence qui ne mettaient pas en
jeu des vies humaines, qui avaient moins d'incidence sur la vie des familles et
qui auraient pu attendre.
M. Dominique Braye.
Absolument !
Mme Janine Bardou.
La sécurité routière ne serait-elle pas une cause prioritaire ?
Nous devons toujours avoir à l'esprit la douleur de ceux qui ont perdu un être
cher dans un accident de la route, situation que vivent chaque jour un trop
grand nombre de familles françaises.
Un effort particulier devait être développé en 1999 pour mobiliser l'ensemble
des citoyens à la lutte contre l'insécurité routière.
Qu'en est-il aujourd'hui ? Quels moyens y sont consacrés ?
Lors de la première lecture, j'avais beaucoup insisté, monsieur le ministre,
sur le rôle primordial de la prévention. En effet, si la répression est sans
doute indispensable, nous en connaissons tous les limites. Elle ne peut
résoudre les problèmes d'insécurité si elle n'est pas accompagnée d'actions de
prévention et de sensibilisation.
En effet, chacun doit prendre conscience dès le plus jeune âge, période de la
vie où l'on peut encore agir sur le comportement, que conduire est un acte
important, dangereux pour soi et pour les autres. L'école doit être le lieu
privilégié de la formation aux bons usages de la route.
Je constate que ce n'est pas le cas aujourd'hui. Une action interministérielle
en milieu scolaire est nécessaire et doit entrer en pratique rapidement, car il
faut impérativement que les jeunes adoptent de nouveaux comportements.
Dans le même ordre d'idée, sachant que le risque d'être tué par la route est
multiplié par trois pour les automobilistes pendant les trois premières années
qui suivent l'obtention du permis, nous devons réfléchir à la généralisation de
l'apprentissage progressif de la conduite automobile sur une période de deux
ans, soit par le suivi du programme de conduite accompagnée, pour lequel les
statistiques prouvent les excellents résultats mais qui restent malheureusement
limités, soit par l'obtention d'un permis probatoire validé après deux ans de
pratique non délictueuse.
Au sujet de l'examen du permis de conduire, j'attire aussi votre attention sur
le problème que pose quelquefois l'attribution de places aux candidats pour
l'examen. Le système de répartition actuel fait l'objet de certaines critiques.
Ne serait-il pas possible d'y apporter une solution ?
La lecture très éprouvante des journaux chaque début de semaine nous impose
d'accentuer les actions de sensibilisation en faveur des jeunes de dix-huit à
vingt-cinq ans.
En effet, les accidents mortels, véritable hécatombe dont est victime notre
jeunesse, sont malheureusement bien concentrés dans le temps : ils ont lieu à
la sortie des discothèques, le soir en fin de semaine. C'est vraiment la folie
du samedi soir.
Notre devoir est de protéger ces jeunes contre eux-mêmes, car ils n'ont pas
toujours conscience des risques qu'ils courent.
Pourquoi ne pas insister sur les contrôles inopinés qui, en cas de résultats
positifs, entraîneraient la confiscation des clefs des véhicules, l'appel d'un
taxi afin de permettre aux conducteurs de regagner leur domicile en toute
sécurité ? Ces mesures sont déjà pratiquées dans d'autres pays.
Mais ces actions d'éducation doivent aussi être soutenues par des campagnes de
sensibilisation.
Le respect de l'autre et la liberté d'aller et venir en sécurité impliquent
des règles qui doivent être appliquées, partagées, mais aussi largement
expliquées.
Développer régulièrement des campagnes de sensibilisation et d'information
télévisées, diffuser des messages forts faisant prendre conscience des dangers
de la route peuvent modifier en profondeur certains comportements, éviter des
accidents et, par là même, sauver des vies. Cette communication ne doit pas
être épisodique, elle doit être présente au quotidien si nous voulons obtenir
des résultats tangibles.
Encore faut-il, monsieur le ministre, que les crédits consacrés aux campagnes
de communication en faveur de la sécurité routière progressent car - vous ne
pouvez l'ignorer - la crédibilité de votre action est largement liée aux moyens
financiers que vous accepterez de mettre en oeuvre.
Les crédits dans ce domaine sont insuffisants : la participation d'autres
partenaires que l'Etat au financement de ces campagnes permettrait peut-être
d'en accroître l'ampleur.
Comme vous l'avez dit à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, la
présence des forces de l'ordre sur les routes est une nécessité pour maintenir
un niveau de contrôle suffisant.
Mais l'insécurité est caractérisée aussi par les agressions dont sont victimes
les agents de transport public de voyageurs - vous l'avez rappelé, monsieur le
ministre - et je me réjouis de l'adoption par l'Assemblée nationale de
l'article 12, visant à sanctionner de peines aggravées certaines infractions
sur ces agents. Je rappellerai toutefois que c'est notre collègue M. Christian
Bonnet qui, dans une proposition de loi adoptée le 10 décembre 1998 par le
Sénat, avait été à l'origine de cette mesure, reprise par le Gouvernement.
(Très bien ! sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
Vous conviendrez donc de la nécessité de maintenir les effectifs de police
et de gendarmerie sur tout le territoire.
Par ailleurs, les investissements routiers constituent un volet indispensable
à toute politique cohérente de sécurité, car celle-ci dépend aussi du niveau de
qualité des réseaux routiers.
Les crédits routiers ne répondent cependant pas à cette attente. Ils sont
souvent les premiers touchés par les régulations budgétaires. J'ai déjà évoqué
ce problème lors de la première lecture de ce texte, et je n'y reviendrai donc
pas.
Je dirai cependant un mot sur la suppression des « points noirs » du réseau
routier. Dans ma précédente intervention, j'avais déjà insisté sur la
résorption de ces points noirs, et je ne suis pas certaine que, depuis les dix
mois écoulés, de nombreux travaux aient été réalisés ni même programmés dans ce
domaine.
Il ne suffit pas de dénoncer le nombre de personnes tuées sur la route. Encore
faut-il consacrer les moyens financiers pour combattre ce fléau.
Pourtant, je ne suis pas sûre que nous mettions autant de passion et de moyens
pour lutter contre ce fléau que pour défendre d'autres causes, telles, par
exemple, la protection de la nature et la lutte contre la pollution ; si ces
dernières sont sans doute des causes nobles, elles ont cependant des
conséquences bien moins dramatiques que la sécurité routière.
Après le sentiment d'horreur que nous inspire ce désastreux constat sur la
route, le pire danger serait de considérer l'augmentation des accidents mortels
comme étant due à la seule fatalité. Vis-à-vis des familles qui souffrent, nous
sommes tous dans l'obligation de réagir.
Ce projet de loi n'est qu'un élément de la politique de la sécurité routière.
Beaucoup reste à faire. Si cela dépend sans aucun doute de la responsabilité de
chaque citoyen, il n'en demeure pas moins que, dans ce combat qui doit être
permanent, seuls la volonté et l'engagement des pouvoirs publics pourront
permettre de faire régresser durablement le nombre de victimes sur la route.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Mahéas.
M. Jacques Mahéas.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'évolution
inquiétante des dernières statistiques montre combien la lutte contre
l'insécurité routière est prioritaire. En effet, une nouvelle impulsion doit
être donnée en matière de sécurité routière. Elle est plus que nécessaire. Au
regard de la réalité des chiffres, elle est des plus urgentes. Le dernier bilan
de la sécurité routière pour 1998 se révèle en effet catastrophique : 8 312
morts, soit 3,6 % de plus que la période précédente, auxquels s'ajoutent 30 000
blessés graves. Hélas ! la barre des 8 000 morts a été nettement franchie.
Comme vous-même et certains de nos collègues l'ont rappelé, monsieur le
ministre, 91 morts ont été enregistrés lors du week-end du nouvel an 1999
contre 58 l'année précédente. Les principales victimes en sont les moins de
vingt-cinq ans. Alors que le nombre d'accidents a été moindre, l'hécatombe
humaine a été amplifiée en raison de l'aggravation des chocs subis.
Oui, il est urgent d'inverser cette tendance ! Oui, il est primordial de
modifier les comportements ! Oui, il est nécessaire d'éduquer ! Oui, il est
indispensable de faire respecter des règles visant à la sécurité routière !
Nul ne peut y déroger. Automobilistes, motards, cyclomotoristes, camionneurs
et même parlementaires, tout conducteur de véhicule roulant...
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Absolument !
M. Jacques Mahéas.
... a le devoir, en tant que citoyen responsable, de préserver la vie d'autrui
et sa propre vie en se conformant au droit routier que nous nous efforçons
aujourd'hui d'améliorer. Je me félicite tout particulièrement de la sagesse du
Parlement qui a adopté conformes les articles relatifs au principe du «
propriétaire-payeur » et au « délit de récidive de grande vitesse » , dont
l'objet a suscité des excès de paroles allant au-delà de ce qui était
raisonnable au regard des victimes.
La Haute Assemblée avait adopté à l'unanimité, en première lecture, le projet
de loi que nous examinons de nouveau. Comme l'a indiqué M. le rapporteur, ce
texte ressort incontestablement enrichi des travaux de l'Assemblée nationale.
Nous y adhérons d'autant plus que nos collègues députés y ont apporté d'utiles
améliorations et n'ont pas hésité à le compléter par des dispositions
nouvelles.
S'agissant par exemple, à l'article 1er, de la disposition qui oblige les
jeunes conducteurs auteurs d'infractions graves - il s'agit des infractions
entraînant une perte de quatre points du permis de conduire - à suivre une
formation de sensibilisation aux causes et conséquences des accidents de la
route, il était préférable de prévoir que cette formation se substituerait à
l'amende, afin de ne pas pénaliser financièrement des jeunes aux ressources
modestes. Cette substitution de l'obligation de stage à l'amende est une bonne
chose, monsieur le ministre. Il était en effet souhaitable de privilégier une
sanction permettant d'améliorer la prévention.
Par ailleurs, en ce qui concerne l'enseignement de la conduite, des
dispositions nouvelles contribuent à moraliser le secteur tout en prenant en
compte l'existence des auto-écoles associatives. Accorder aux associations
d'insertion la possibilité d'enseigner la conduite est une excellente chose. Je
m'en réjouis d'autant plus que j'ai eu l'occasion d'insister, dans cet
hémicycle, sur leur utilité sociale.
Ces deux exemples, qui ne sont bien sûr pas les seuls, suffisent à justifier
le soutien que nous apportons au texte que vous nous soumettez, monsieur le
ministre.
Toutefois, je me permettrai de souligner quelques carences - le mot est
peut-être un peu fort - auxquelles nous pouvons aujourd'hui remédier.
Premièrement, si l'obligation faite aux auto-écoles de conclure un contrat
écrit avec leurs candidats constitue une avancée indéniable, il me paraît
cependant souhaitable de compléter ce dispositif en garantissant la bonne
exécution du contrat. En effet, en cas de cessation d'activité de l'entreprise,
le contrat ne garantit absolument pas que le candidat pourra être remboursé ou
continuer sa formation jusqu'au bout. Une garantie d'exécution de ce contrat
jusqu'à son terme mérite d'être introduite, afin de préserver les intérêts de
ceux qui veulent apprendre à conduire. A cet égard, je compte sur vous,
monsieur le ministre, puisque vous vous êtes engagé, devant nos collègues de
l'Assemblée nationale, à proposer une disposition à cette fin.
Deuxièmement, concernant le contenu de la formation au permis de conduire, il
serait utile d'y introduire la connaissance des notions élémentaires de
premiers secours, à savoir l'apprentissage des cinq gestes qui sauvent. Mme
Dinah Derycke défendra d'ailleurs un amendement sur ce point.
Cet apprentissage réclame très peu de temps. Lorsque survient un accident de
la route, il s'écoule jusqu'à l'arrivée des secours un laps de temps durant
lequel tout peut parfois se jouer : la vie ou la mort. Dans beaucoup de
circonstances, la rapidité est primordiale. Elle peut sauver des vies. C'est
pourquoi chaque conducteur devrait être en mesure de pratiquer les « cinq
gestes qui sauvent ». Ce serait une façon concrète de compléter le savoir
acquis dès l'école, dans le cadre de l'éducation civique, sur la sécurité
routière et les règles du code de la route, et il conviendrait d'introduire cet
apprentissage dès l'enseignement primaire.
Troisièmement, force est de constater que l'amélioration des équipements des
véhicules incite les conducteurs à rouler de plus en plus vite. Plus la voiture
est confortable, plus le conducteur se sent en sécurité et plus il a tendance à
appuyer sur l'accélérateur. Paradoxalement, ce sentiment de sécurité peut le
pousser à l'imprudence. En vue d'éviter ces effets pervers, il conviendrait -
M. Gérard Miquel évoquera d'ailleurs ce point - de faire installer dans chaque
véhicule une alarme sonore et visuelle, inviolable, déclenchée lors du
dépassement de la vitesse maximale autorisée.
A propos de la vitesse, il serait bon de tenter de dissuader les
automobilistes, les camionneurs et les motards de commettre des infractions, en
état d'ébriété ou non, par des campagnes de communication télévisuelle.
Parallèlement à la mise en oeuvre des mesures de prévention et de répression,
qui invitent les conducteurs à modifier leur comportement, l'organisation de
campagnes d'information et de sensibilisation mérite d'être largement
confortée. Attention cependant à ne pas se lancer dans des campagnes
publicitaires s'adressant, comme c'est trop souvent le cas, à des initiés :
pour les comprendre, il faut les décrypter ! Prenons donc exemple sur les
Britanniques, et passons des spots simples, clairs, à la portée de tous. Même
si, parfois, leur réalisme peut choquer, ils ont au moins l'avantage d'être
captés et compris par tout le monde. Dès lors, l'objectif de dissuasion peut
être atteint.
Quatrièmement, ce projet de loi peut être l'occasion de soulever le problème
de l'usage des rollers et des patins à roulettes sur les trottoirs et sur la
voie publique. Faute de respecter, le plupart du temps, les normes de la
circulation, leurs utilisateurs sont responsables de chocs parfois dangereux
pour eux-mêmes et pour les passants qui en sont victimes. Permettez-moi
d'insister à nouveau, monsieur le ministre, sur la nécessité d'adopter une
réglementation adaptée au développement de ces pratiques.
Enfin, en accord avec la commission des lois, je considère que l'article 15,
introduit par l'Assemblée nationale, comporte des dispositions prématurées. Que
le contrôle de la sécurité des infrastructures routières soit important ne fait
aucun doute. Les études en cours et les visites de sécurité avant toute mise en
service des projets routiers contribuent à l'améliorer. Il semble en revanche
prématuré d'imposer, par cette loi, cette méthode aux infrastructures neuves et
de surcroît existantes sans préalablement organiser une concertation avec les
élus locaux et les représentants de l'Etat en matière d'équipement, tant la
responsabilité de ces derniers est engagée et tant les problèmes juridiques
soulevés sont nombreux. En conséquence, la suppression de cet article paraît
plus sage.
En conclusion, j'insisterai sur l'importance de ce texte. L'insécurité
routière n'est pas une fatalité. Bon nombre d'accidents de la route peuvent
être évités. Ce projet de loi y contribue. Son adoption est d'autant plus
décisive qu'elle représente une étape obligée dans le processus de lutte contre
l'insécurité routière dans lequel s'est engagé le Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
indéniablement, ce projet de loi suscite de nombreuses réactions. Chacun
d'entre nous a, sur ce sujet, des positions affirmées. Pour ma part, j'estime
que l'amélioration de la sécurité sur nos routes ne passe pas uniquement par
des mesures législatives et réglementataires, mesures d'ailleurs marquées par
un excès de répression.
(M. le ministre proteste.)
Lors de la première lecture, mon collègue Jean-Pierre Cantegrit et
moi-même avions soulevé un certain nombre de problèmes de nature juridique. Je
constate que ces problèmes demeurent à l'issue de l'examen du projet de loi par
nos collègues députés.
Ainsi, le principe du propriétaire-payeur, heureusement amputé de l'incitation
à la délation, est une atteinte au droit du citoyen.
(M. le ministre s'exclame.)
Il ignore la présomption d'innocence du propriétaire du véhicule,
pourtant garantie de façon générale par la Constitution, présomption
d'innocence que le garde des sceaux souhaite renforcer dans le cadre de la
réforme de la justice. Vous en conviendrez, monsieur le ministre, la cohérence
de l'action gouvernementale est loin d'être évidente sur ce sujet.
Par ailleurs, cette mesure cherche à sanctionner non pas l'auteur de
l'infraction mais le détenteur de la carte grise du véhicule. Dès lors, on peut
douter des résultats quant à une modification du comportement du conducteur,
surtout lorsque l'on sait que 45 % des véhicules ont au moins deux
conducteurs.
Je persiste à croire que le délit de très grand excès de vitesse ne produira
pas les effets que vous escomptez. Le respect des limitations est-il à lui seul
garant de la sécurité ? Cette mesure, qui ne concernera qu'un très faible
nombre d'automobilistes, n'a qu'un effet d'annonce qui masque les véritables
mesures capables d'améliorer de façon pérenne la sécurité routière.
Toutefois, monsieur le ministre, bien conscient des priorités, j'avais voté ce
texte en première lecture et je ferai de même aujourd'hui, sous réserve que
vous preniez en compte les propositions de la commission des lois.
Un certain nombre de mes collègues s'étant déjà exprimés sur le projet de loi,
j'aborderai de façon plus globale les problèmes d'amélioration de la sécurité
des usagers de la route, et plus particulièrement les infrastructures.
Nous pouvons dire aujourd'hui : « Stop à l'hypocrisie ! » En effet, comment
accepter, alors que la vitesse maximale autorisée sur les autoroutes est
limitée à 130 kilomètres à l'heure, que les constructeurs automobiles
continuent de construire des véhicules dont la vitesse maximale se situe entre
200 et 240 kilomètres à l'heure, soit quasiment le double de la vitesse
autorisée ? Ne pourrait-on pas, comme cela a été fait pour les poids lourds,
limiter la vitesse par des moyens techniques appropriés ?
Par ailleurs, comment inciter au renforcement du transfert du fret de la route
en direction du fer et à l'amélioration des délais d'acheminement des
marchandises par le fer, quand on sait qu'un conteneur chargé sur un wagon met
parfois jusqu'à dix-sept jours pour aller d'un pays de la Communauté à un
autre, alors qu'il suffit de deux à trois jours par la route ? Il est vrai que
la réglementation n'est pas, dans ce cas, toujours respectée !
Ma remarque se veut tout à fait positive : il faut aujourd'hui améliorer la
rapidité de déplacement du fret marchandises par le fer. Nous n'incitons pas
suffisamment les entreprises de l'Union européenne à utiliser la voie
ferroviaire pour le transport des marchandises...
M. Emmanuel Hamel.
Et la voie d'eau ?
M. Pierre Hérisson.
... dans de bonnes conditions de délais et d'acheminement. Cette question
mérite d'être examinée attentivement, car une telle solution permettrait
d'alléger le trafic des poids lourds sur le réseau routier et autoroutier.
Je crois, monsieur le ministre, que, au-delà d'une réglementation dont nous
voyons apparaître les limites en termes d'efficacité, il convient aujourd'hui
de prendre des décisions qui touchent à la réalité du problème et à l'objectif
de la diminution du nombre de morts sur nos routes. Il faut, par conséquent,
mettre l'accent sur l'urgence de l'amélioration des équipements routiers et
ferroviaires.
J'ai rencontré très récemment les usagers de la route dans mon département.
Ils sont prêts à s'investir dans un partenariat fondé sur la sensibilisation de
tous au partage de l'espace routier, dont nous ne tenons pas assez compte
aujourd'hui. Il s'agit d'un problème d'éducation et de formation : nos
concitoyens doivent respecter cette notion de partage, qui ne figure
aujourd'hui ni dans le code de la route ni dans les différents textes que nous
avons été amenés à adopter.
Par ailleurs, s'agissant d'efficacité, monsieur le ministre, il faut arrêter
de nous dissimuler derrière les contrats de plan Etat-régions : l'amélioration
de notre réseau routier ne doit pas dépendre du calendrier de ces contrats.
La contribution de l'Etat à l'amélioration du réseau routier ne représente que
1 % du budget de la nation par an, et, là encore, je fais preuve d'optimisme !
Trouvons donc ensemble les moyens financiers, faisons preuve d'imagination,
avec les péages urbains notamment, dégageons de nouvelles possibilités pour
financer les infrastructures. Laissons les régions et les départements réaliser
des infrastructures de sécurité, libérons-les des inerties de l'Etat dans ce
domaine.
Une politique de sécurité routière efficace doit être élaborée en concertation
avec les usagers de la route et non pas contre eux. C'est la seule manière de
produire des résultats stables et durables pour l'avenir de tous.
Votre texte, monsieur le ministre, ne remplit pas toutes les conditions
indispensables. Il reste très sélectif, même s'il vise, j'en conviens, la
priorité qui consiste à diminuer le nombre d'accidents.
Ne serait-il pas possible d'examiner rapidement et plus globalement le
problème de la sécurité routière ? Nous ne pouvons pas nous contenter d'une
situation où Bercy se satisfait de l'amélioration des recettes fiscales, qui
reposent sur l'une des principales assiettes que constitue aujourd'hui
l'automobile, sans consacrer par ailleurs des crédits suffisants à
l'amélioration du réseau routier, de plus en plus chargé en raison de
l'augmentation non seulement de la population mais, aussi du nombre de
véhicules, qui a crû dans des proportions considérables dans notre pays.
Il nous appartient de trouver ensemble des solutions, qui ne soient pas
seulement législatives. Je le dis au nom de l'ensemble des maires de notre pays
et des responsables de collectivités territoriales, nous manquons terriblement
d'imagination dans ce domaine.
Enfin, je voudrais terminer en évoquant un sujet qui touche particulièrement
ma région. J'ai bien compris que la commission des lois sollicitait le
règlement pour traiter un certain nombre de sujets. Or, en ce qui concerne les
motoneiges, je voudrais vous entendre, monsieur le ministre, promettre devant
le Sénat que le sujet sera bien réglé, en termes d'identification, par la voie
réglementaire, et dans des délais relativement brefs. Mon collègue M. Jean-Paul
Amoudry, qui s'est rendu aujourd'hui en Haute-Savoie pour des raisons que vous
connaissez, souhaitait vous poser cette question. Je termine donc mon propos en
vous demandant une réponse précise sur ce sujet.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
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