Séance du 10 février 1999
SÉCURITÉ ROUTIÈRE
Suite de la discussion et adoption
d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi, modifié par l'Assemblée
nationale, portant diverses mesures relatives à la sécurité routière.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Cantegrit.
M. Jean-Pierre Cantegrit.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons
donc aujourd'hui examiner en deuxième lecture le projet de loi qui avait été
soumis au Sénat le mardi 7 avril 1998 et qui nous revient de l'Assemblée
nationale, où il a été amendé.
Permettez-moi une observation liminaire : pourquoi un délai si long pour
examiner à nouveau un texte qui clame haut et fort la dégradation de la
sécurité routière et justifie ainsi une lourde répression ? Le calendrier
parlementaire ne peut expliquer un tel délai lorsqu'il s'agit de la sécurité de
millions d'automobilistes.
Mais venons-en à l'essentiel. Même si le texte que vous nous soumettez,
monsieur le ministre, ne me satisfait pas en de nombreux points - et je vais
développer ces derniers dans un instant - je constate que le passage de votre
projet devant les deux assemblées parlementaires n'a pas été inutile...
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Absolument !
M. Jean-Pierre Cantegrit.
... et a ébranlé certaines des certitudes que vous aviez initialement.
Pourquoi votre texte ne me satisfait-il pas alors qu'il comporte de bonnes
choses, notamment sur la formation spécifique des conducteurs novices auteurs
d'infractions, sur des dispositions relatives à l'enseignement de la conduite
et de la sécurité, ou encore sur certaines dispositions diverses sur le
transport routier des personnes et des biens ?
Votre texte, monsieur le ministre, me paraît incomplet sur certains points et
répressif sur d'autres.
Il est incomplet sur les mesures d'éducation, que vous n'abordez pas, sur
l'éducation à l'école de la sécurité routière. Pourquoi, en liaison avec votre
collègue chargé de l'éducation nationale, ne pas nous présenter un plan, un
calendrier détaillé, nous indiquant quelle éducation va être prodiguée à nos
enfants en matière de sécurité routière, combien d'heures seront réservées à un
tel enseignement et quel sera son contenu ? Voilà ce que nous attendons de vous
et que nous ne trouvons pas dans votre projet de loi.
M. Emmanuel Hamel.
Là, il deviendrait populaire !
M. Jean-Pierre Cantegrit.
Votre texte est ainsi incomplet sur la définition des infractions que vous
avez décidé de sanctionner, puisqu'il laisse une large part à la répression.
Vous déplorez à juste titre que le nombre de tués et d'accidentés soit très
excessif et que notre pays ait un piètre classement dans ce domaine par rapport
à d'autres pays européens, principalement au nord de l'Europe. Si vous avez,
monsieur le ministre, comme moi-même, conduit récemment une automobile en
Grande-Bretagne, en Suède, en Allemagne, qu'avez-vous constaté ? Que le
comportement des automobilistes français est différent de celui des conducteurs
des pays que je viens de citer.
En Grande-Bretagne, en Suède, en Allemagne, sur l'autoroute, on ne slalome pas
: lorsque l'on double, on prévient, et on se rabat ensuite.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Absolument !
M. Jean-Pierre Cantegrit.
En Grande-Bretagne, en Suède, en Allemagne, on ne suit pas le véhicule qui
vous précède de quelques mètres : on laisse une marge de sécurité qui évite des
collisions en cas de ralentissement rapide.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Absolument !
M. Jean-Pierre Cantegrit.
Dans les pays que je viens de citer, les motocyclistes ont un comportement
beaucoup plus responsable qu'en France.
M. Jean Chérioux.
C'est important !
M. Jean-Pierre Cantegrit.
Ils vont moins vite, ils ne slaloment pas entre les voitures, ils sont plus
responsables dans leur conduite routière.
Dans les pays que je viens de citer, les véhicules roulent plus lentement et
plus prudemment en ville.
Dans les pays que je viens de citer, les véhicules me paraissent en meilleur
état.
Je pourrais encore longtemps insister sur ce qui différencie les
automobilistes de notre pays de ceux du nord de l'Europe et sur ce qui explique
les mauvais résultats, en matière de sécurité routière, qu'indiquent les
statistiques.
M. Emmanuel Hamel.
C'est la carence de l'éducation civique !
M. Jean Chérioux.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Cantegrit.
Pour la France, que nous proposez-vous, monsieur le ministre ? Je ne trouve
rien !
Mais votre texte est aussi répressif en de nombreux points, notamment en ce
qui concerne la responsabilité pécuniaire des propriétaires de véhicules.
Certes, la discussion et les amendements ont amélioré vos propositions
initiales, mais cette dénonciation que doit faire le propriétaire du
véhicule...
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Non !
M. Jean-Pierre Cantegrit.
... sous peine d'être injustement condamné me choque profondément.
Votre texte est répressif, monsieur le ministre, en ce qui concerne la
vitesse, source, d'après vous, de tous les maux ou presque.
Si j'en juge par mon expérience personnelle, je dirai qu'il est vrai qu'un
automobiliste français roule un peu plus vite qu'un Anglais, plus vite qu'un
Suédois, mais qu'il ne roule pas plus vite, et peut-être moins, que
l'automobiliste allemand ; pourtant, les dernières statistiques du nombre de
tués à trente jours par million d'habitants pour l'année 1996 indiquent 106
tués en Allemagne, contre 146 tués en France.
Alors, oui à une répression accrue pour les délits de dépassement de vitesse
autorisée en ville ; oui à une répression accrue pour le dépassement de vitesse
autorisée sur route limitée à 90 kilomètres à l'heure ; mais non pour votre
répression excessive en cas de dépassement de vitesse sur autoroute et sur voie
expresse.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Je voudrais maintenant vous entretenir des dispositions relatives à
l'instauration d'un dépistage systématique de l'alcool et des stupéfiants pour
les conducteurs.
M. Ladislas Poniatowski.
Très bien !
M. Jean-Pierre Cantegrit.
Certes, en matière de dépistage de l'alcool au volant, des mesures - pour
certaines déjà anciennes - permettent, si elles sont appliquées, de déterminer
le taux d'alcoolémie et de frapper les responsables qui ont dépassé le taux
autorisé. Mais, monsieur le ministre, le comportement des automobilistes
français n'est pas, dans ce domaine, comparable à celui des automobilistes du
nord de l'Europe.
En Suède, en Norvège, où je viens de me rendre dans le cadre de mon mandat
parlementaire, quand vous recevez à déjeuner ou à dîner des amis ou de la
famille, un des membres invités ne boira pas d'alcool et conduira le véhicule
au retour. En France, nous n'en sommes pas encore là, et cela pèse certainement
sur les mauvais chiffres de la sécurité routière.
Alors, pour améliorer le comportement des Français, que nous proposez-vous
dans votre texte, quel projet d'éducation pour nos enfants formulez-vous ? Je
ne trouve rien dans votre projet de loi.
Le dépistage systématique des stupéfiants que vous nous proposez ne me
stupéfie pas.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Tant mieux !
M. Jean-Pierre Cantegrit.
Vous vous limitez à un dépistage en cas d'accident mortel et les explications
exhaustives que vous nous donnez pour justifier cette limitation ne me
convainquent pas.
Comment pouvons-nous accepter que nos concitoyens soient victimes d'accidents
graves, les laissant invalides - quelquefois pour le reste de leur vie -,
victimes d'un conducteur sous l'influence de stupéfiants, sans qu'aucun
dépistage ne soit entrepris ? C'est inadmissible, choquant ! Ce qui est
possible en Espagne, en Belgique et au Danemark doit être également possible en
France.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Ladislas Poniatowski.
Bravo !
M. Jean-Pierre Cantegrit.
Mettez les moyens en place et ne nous parlez pas d'absence de budget : les
contraventions à 25 000 francs que vous nous proposez permettront d'effectuer
de tels contrôles !
Nous avons tous été choqués, monsieur le ministre, par le nombre de décès dus
à des accidents de la route et qui intéressaient principalement des jeunes qui
fêtaient le nouvel an 1999 ; M. le rapporteur y a fait allusion tout à l'heure.
Certes, l'alcool est pour beaucoup dans ces accidents, mais la prise de
stupéfiants est aussi une des causes de cette hécatombe, stupéfiants d'ailleurs
souvent mélangés à de l'alcool, ce qui accroît le risque.
Je ne pourrai donc me contenter de votre proposition de dépistage en cas de
décès. Les mesures prises en ce qui concerne le dépistage et la répression de
ceux qui font usage de stupéfiants doivent être comparables à celles qui ont
été prises pour le dépistage et la conduite sous l'empire de l'alcool.
Votre proposition est donc, en tout cas sur ce point, incomplète. Elle ne
tient pas compte de l'augmentation dramatique des prises de stupéfiants, en
particulier chez les jeunes.
Je sais que vous envisagez des actions préventives et des contrôles dans les
discothèques et les boîtes de nuit. Je ne peux que me féliciter de cette
initiative si vous la mettez en oeuvre rapidement et efficacement.
Cela étant, le Sénat s'honorerait en votant un amendement additionnel après
l'article 7, inspiré de celui que la commission des lois avait présenté à notre
Haute Assemblée en première lecture, et qui permettra de sanctionner les
personnes qui mettent en danger la vie d'autrui en conduisant sous l'empire de
stupéfiants.
En conclusion, monsieur le ministre, si certaines dispositions de votre texte
sont souhaitables, je regrette qu'elles soient incomplètes. Je regrette le côté
répressif de votre projet de loi et l'absence de propositions novatrices
efficaces que nous sommes en droit d'attendre sur un sujet qui touche des
millions d'automobilistes et dont les conséquences sont considérables quant à
la vie de nos concitoyens.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 7 avril
dernier, le Sénat adoptait à l'unanimité ce projet de loi que nous examinons
aujourd'hui en deuxième lecture, témoignant ainsi de l'engagement solidaire et
volontaire du législateur dans la lutte contre l'insécurité routière.
Depuis dix mois - c'est long ! - ce texte a suscité de nombreux débats, des
manifestations, parfois même de vives confrontations, que ce soit dans les
médias ou lors des différentes rencontres que chacun d'entre nous a pu mener ou
organiser.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
C'est vrai !
M. Pierre Lefebvre.
Certaines critiques ont eu, il faut le reconnaître, un caractère excessif ;
d'autres, en revanche, méritent d'être entendues, dès lors qu'elles
s'inscrivent dans l'objectif que nous nous sommes fixé de réduire de moitié
d'ici à cinq ans le nombre de tués sur les routes.
Si ce projet de loi a été bien accueilli par tous les acteurs de la sécurité
routière, deux dispositions semblent poser problème : la responsabilité
pécuniaire du propriétaire d'un véhicule en infraction avec le code de la
route, d'une part ; le délit de grand excès de vitesse en cas de récidive,
d'autre part.
J'observe, tout d'abord, que ces mesures, si elles ont un caractère répressif
réel, ne sont pas dénuées pour autant de vertus pédagogiques.
S'agissant, tout d'abord, de la responsabilité pécuniaire du titulaire de la
carte grise, le texte précise qu'elle n'implique pour ce dernier aucune
conséquence d'ordre pénal, l'objectif étant, je le rappelle, de favoriser
l'égalité des citoyens devant la sanction.
Cette mesure peut cependant faire l'objet de deux critiques.
La première, c'est qu'elle frappe sans discernement le propriétaire du
véhicule, ignorant par là même la responsabilité du conducteur fautif.
Pour autant, de ce point de vue, il ne me paraît pas scandaleux de
responsabiliser le propriétaire lorsque celui-ci confie son véhicule à un
tiers, le plus souvent un membre de sa famille.
En outre, le conducteur à l'origine de l'infraction est lui-même
responsabilisé dans la mesure où il fait porter la sanction sur une autre
personne du fait de sa mauvaise conduite.
La seconde critique - elle n'est pas mince ! - réside dans la difficulté que
peut rencontrer, le cas échéant, le propriétaire de bonne foi pour utiliser son
droit de défense. Il nous paraît essentiel, à cet égard, que le propriétaire
qui n'est pas l'auteur de l'infraction relevée puisse bénéficier de tous les
moyens pour faire valoir ses droits s'agissant de l'application d'une mesure,
rappelons-le, administrative.
En ce qui concerne le délit de grand excès de vitesse, en cas de dépassement
de la vitesse autorisée de plus de cinquante kilomètres à l'heure, il n'est pas
inutile de répéter qu'il n'est constitué que lorsqu'il y a récidive dans
l'année qui suit le premier contrôle.
Rappelons-nous que la mesure préconisée, en son temps, par M. Bernard Bosson
était exclusivement répressive. Celle-ci nous semble plus souple et plus
préventive dans son application.
En effet, si l'on peut objectivement concevoir qu'un conducteur puisse
commettre un excès de vitesse de cette ampleur par inattention ou par
inadvertance, force est de reconnaître que commettre la même erreur dans les
mêmes conditions moins d'un an après le premier avertissement ne peut relever
du hasard.
En tout état de cause, il reviendra au juge d'apprécier, le moment venu, la
menace que fait peser sur autrui tel ou tel conducteur contrôlé par deux fois
pour grand excès de vitesse. Il est bien évident qu'un conducteur ayant dépassé
à deux reprises les 180 kilomètres à l'heure sur une autoroute parfaitement
dégagée ne peut être traité de la même façon que celui qui est contrôlé à plus
de 100 kilomètres à l'heure en pleine agglomération.
A défaut de mettre en place une modulation de la mesure selon le réseau
emprunté, il est nécessaire, à mon avis, de prévoir une modulation de la peine
en fonction du danger présenté par la conduite de l'intéressé.
Sous réserve de ces observations, le groupe communiste républicain et citoyen
souscrit pleinement aux dispositions de ce texte.
Le triste bilan statistique de l'année écoulée, de même que l'hécatombe
meurtrière du nouvel an, ne peuvent que nous renforcer, les uns et les autres,
dans notre conviction qu'il est nécessaire d'user des grands moyens pour
combattre l'insécurité routière.
Cela ne signifie, en aucun cas, alourdir toujours et encore l'arsenal
répressif, mais appréhender la politique de sécurité routière de façon globale
et transversale en agissant simultanément sur la responsabilité du conducteur
par la formation, l'éducation, la prévention - mais aussi, lorsque c'est
nécessaire, par la répression - et sur la responsabilité des constructeurs
automobiles et des publicitaires, qui tendent à vouloir donner une image de la
voiture rassurante, surprotégée, lieu de confort à l'excès, déconnectée de son
environnement immédiat et en dehors de la vie sociale.
M. Emmanuel Hamel.
Très juste remarque !
M. Pierre Lefebvre.
Je fais notamment allusion à cette publicité où l'on voit la belle Claudia
Schiffer sortir pimpante de son véhicule, sans même être ébouriffée, après
avoir percuté violemment un obstacle.
Il convient d'agir, enfin, sur la responsabilité des pouvoirs publics en
favorisant la sensibilisation et la formation des enfants dès le plus jeune
âge, en se donnant les moyens d'aménager le réseau routier, en coopération,
d'ailleurs, avec les collectivités locales, afin de limiter autant que faire se
peut la gravité des accidents de la circulation, de prévenir le conducteur des
dangers potentiels et, enfin, de sécuriser les infrastructures par des
investissements adaptés.
La politique du Gouvernement en matière de sécurité routière ne se résume pas
et ne se réduit pas à ce projet de loi, et encore moins aux deux mesures que
j'évoquais il y a un instant. Diverses décisions ont d'ores et déjà été prises
; d'autres font l'objet d'une concertation plus approfondie.
Un second comité interministériel de la sécurité routière est annoncé pour les
prochains jours. Il sera l'occasion, je le souhaite, de conforter et de
renforcer l'action gouvernementale, en y associant étroitement l'ensemble des
acteurs de la sécurité routière et des élus locaux.
Dans ce cadre, je me permets d'inviter le Gouvernement à privilégier l'action
de formation en direction des jeunes dès l'école primaire et à améliorer la
préparation au brevet de sécurité routière, le BSR, qui, convenons-en, reste
d'application diffuse et peu efficace.
Par ailleurs, ne conviendrait-il pas de renforcer les contrôles pédagogiques
auprès des établissements d'enseignement de la conduite, en donnant les moyens
aux inspecteurs de la sécurité routière d'accomplir leur travail, si besoin est
en y associant plus étroitement les professionnels ?
Chacun veut bien reconnaître, aujourd'hui, le faible impact des contrôles
appliqués aux programmes de formation et leur caractère aléatoire. Il serait
nécessaire d'approfondir ce sujet afin de créer les meilleures conditions
d'accueil des candidats au permis de conduire.
Enfin, je milite, en ce qui me concerne, en faveur d'une grande campagne
nationale d'information continue utilisant tous les supports médiatiques pour,
enfin, frapper les esprits et faire prendre conscience des dangers quotidiens
de la route.
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
C'est parfait !
M. Pierre Lefebvre.
En attendant, monsieur le ministre, sous réserve de la discussion des
amendements retenus par la commission, nous renouvellerons notre vote positif
de la première lecture, avec toutefois un avis beaucoup plus réservé sur
l'article 12 nouveau, sur lequel j'aurai l'occasion de revenir plus amplement
dans la suite de la discussion.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes. - M.
le rapporteur applaudit également.)
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux, en l'instant, répondre
de façon globale aux interventions qui viennent d'être faites, me réservant la
faculté de revenir plus précisément sur tel ou tel point lors de l'examen des
amendements.
Je tiens, tout d'abord, à souligner combien je me félicite que nous partagions
le même objectif qui est de tout mettre en oeuvre pour parvenir à réduire de
moitié en cinq ans le nombre de tués sur les routes de France.
Les routes de France, c'est tout à la fois 8 000 kilomètres d'autoroutes, 24
000 kilomètres de routes nationales, 360 000 kilomètres de routes
départementales et 480 000 kilomètres de voirie communale. Voilà le domaine sur
lequel nous devons travailler !
Plusieurs intervenants se sont émus - je les comprends - que, face à l'urgence
du problème, on mette tant de temps à voter la loi.
Cela s'explique, pour une part, bien sûr, par l'encombrement de l'ordre du
jour parlementaire. Cela étant, nous n'avons pas attendu que la loi soit votée
pour commencer à mettre en oeuvre des mesures concrètes. Des décisions ont été
prises, des décrets ont été élaborés, ou sont en cours de publication - j'y
reviendrai. Depuis le comité interministériel sur la sécurité routière, le
Gouvernement s'est donc efforcé d'agir.
Il n'empêche, moi aussi, pour parler franchement, j'ai parfois le sentiment
qu'entre le moment où l'on annonce les décisions et le moment où elles trouvent
leur traduction sur le terrain le temps est trop long.
Une autre critique qui est revenue souvent est que cette loi ne comporterait
pas toutes les dispositions nécessaires en matière d'éducation, de prévention,
de changement des comportements, etc.
Bien évidemment, ce n'est pas seulement avec ce texte de loi que nous
réglerons les problèmes de la sécurité routière, même s'il comporte des mesures
préventives, d'éducation, de formation, de responsabilisation - M. Lefebvre en
a parlé - et des mesures répressives ou ressenties comme telles. Bien d'autres
mesures, qui ne relèvent pas de la loi - heureusement, d'ailleurs - participent
au dispositif d'ensemble de la lutte contre l'insécurité routière. Aujourd'hui,
nous débattons de mesures qui relèvent plus particulièrement de la loi. Je
tenais à vous apporter ces précisions en préambule.
Le nombre de tués, notamment de jeunes, lors des fêtes de la Saint-Sylvestre,
en forte augmentation par rapport aux années précédentes, a suscité une grande
émotion, fort légitime d'ailleurs. J'ai donc immédiatement demandé au Premier
ministre, alors que ce n'était pas prévu, de faire à ce sujet une communication
en conseil des ministres, ce qu'il a accepté tout comme le Président de la
République. J'ai donc fait cette communication lors du premier conseil des
ministres de l'année 1999. J'ai ainsi bien évidemment posé le problème de tout
l'arsenal nécessaire pour lutter contre l'insécurité routière, mais j'ai aussi
demandé aux préfets de faire procéder à des contrôles préventifs et non pas
inopinés - je tiens à le préciser à Mme Bardou - particulièrement en fin de
semaine et la nuit, notamment à la sortie des discothèques, et d'exercer le
droit de rétention du permis de conduire des conducteurs qui, en prenant le
volant, mettraient en danger non seulement la vie d'autrui mais également leur
propre vie.
Pour le Gouvernement, comme pour moi-même, il s'agit là d'un fait de société
majeur, d'un problème prioritaire, d'une situation que nous ne pouvons pas
laisser perdurer sans réagir très vite.
Par ailleurs, j'ai demandé à pouvoir disposer très rapidement, et non pas
trois mois ou quatre mois plus tard comme par le passé, des éléments de nature
à expliquer ce nombre accru d'accidents mortels. Je dispose des chiffres pour
le mois de janvier 1999 : la gendarmerie note une stabilisation par rapport au
même mois de l'année précédente. Mais nous n'entendons pas nous en tenir là,
notre objectif est de réduire de moitié le nombre des tués sur la route.
Je peux vous assurer que Mme Isabelle Massin, déléguée interministérielle à la
sécurité routière, se mobilise avec tous les partenaires concernés, des
pouvoirs publics aux actions de terrain, pour atteindre cet objectif
ambitieux.
Je ferai maintenant quelques commentaires sur les interventions des différents
intervenants.
Monsieur le rapporteur, vous avez excellemment rappelé les enjeux du texte et
l'intérêt qui s'attache à ce que les mesures qu'il contient puissent être mises
en oeuvre dans les meilleurs délais.
Bien entendu, comme vous l'avez dit, ainsi que MM. Mahéas et Lefebvre, ce
texte doit se lire au regard d'une politique globale de sécurité routière en
intégrant la dimension de la formation, de l'éducation, du changement de
comportement. Il ne s'agit donc pas de légiférer de façon répressive.
MM. Lanier, Mahéas, Mme Bardou ont insisté sur la question de la
communication. Je souscris à leurs propos. Il est vrai que les moyens de la
sécurité routière pour mener une politique active de communication ont été
depuis quinze ans considérablement réduits. Même si, cette année, le budget de
la sécurité routière a bénéficié d'une augmentation de l'ordre de 4 %, j'ai
conscience qu'il faut considérablement augmenter nos moyens.
Il faut relancer notre action dans le domaine de la communication et peut-être
s'inspirer des expériences menées dans d'autres pays.
En novembre 1998, nous avons lancé une campagne radio ciblée sur les
automobilistes ; la radio est un média efficace, puisque les automobilistes
écoutent beaucoup la radio. Est-ce suffisant ? Certainement pas, le nombre des
tués à la fin de l'année dernière est là pour le prouver. Comme nombre
d'intervenants l'ont dit, il convient non seulement de mener des campagnes à la
radio, mais également d'utiliser d'autres médias, notamment la télévision.
Monsieur Lefebvre, ce projet de loi est un texte d'équilibre, vous l'avez
souligné. Il comporte effectivement des mesures répressives mais il se veut
aussi et surtout pédagogique. C'est ainsi qu'il vise à responsabiliser les
propriétaires ou à introduire un débat sur la récidive pour les grands excès de
vitesse.
Monsieur Hérisson, s'agissant de la responsabilisation des propriétaires, je
souhaite vraiment réagir. Le principe du « propriétaire-payeur » qu'affirme ce
projet de loi ne porte pas atteinte aux droits du citoyen, car il n'est pas
question de bafouer les droits de la défense et donc les droits de l'homme, en
ôtant au conducteur la possibilité de se défendre. Avec le principe du «
propriétaire-payeur », je souhaite au contraire assurer l'égalité de tous
devant la loi, alors qu'aujourd'hui une minorité parvient à lui échapper,
chacun le sait. Mettre en danger la vie d'autrui est grave : on ne peut pas le
laisser faire en toute impunité. C'est cela que nous voulons changer, mais sans
introduire d'arbitraire ni porter atteinte aux droits de la défense.
Mme Bardou a insisté sur la nécessité des contrôles de police et de
gendarmerie. Je vous ai rappelé mon action dans ce domaine en début d'année. La
présence des forces de police et de gendarmerie est bien évidemment un facteur
important de prudence, donc de sécurité. Je répète ce que j'avais dit lors du
dernier débat : cette présence, dans mon esprit, vise non pas à piéger, mais au
contraire à assurer le respect des règles du jeu.
J'en viens à la position du Gouvernement sur la question de la drogue, que M.
Cantegrit a abordée. Elle a fait l'objet en première lecture d'une longue
discussion devant les deux chambres.
Vous savez que ce débat est complexe. Les spécialistes ne sont pas d'accord
entre eux. Avant de prendre des mesures allant plus loin que celles qui
existent déjà, nous avons besoin de mieux connaître les différents types de
drogue et leurs conséquences sur la conduite.
C'est pourquoi l'article 7, adopté en termes conformes par le Sénat et
l'Assemblée nationale, met en place une première étape, qui permet une étude
épidémiologique à parir de l'échantillon, hélas malheureusement, suffisant, des
accidents mortels.
M. Ladislas Poniatowski.
Mais c'est insuffisant, monsieur le ministre !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Nous verrons
ensuite, sur des bases scientifiques mieux établies, comment on peut aller plus
loin. Je crois que c'est raisonnable.
M. Charles Descours.
Non !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Monsieur Mahéas,
vous avez soulevé la question des garanties de bonne fin aux contrats liant une
auto-école à son client, question qui a fait l'objet d'un examen en première
lecture à l'Assemblée nationale.
Il paraît difficile d'imposer une garantie généralisée mais je comprends votre
souci. C'est pourquoi, dans le fond, une voie médiane consiterait à rendre
obligatoire la mention dans le contrat de l'existence ou non d'une garantie de
bonne fin. Ainsi, cette existence ou non d'une garantie de bonne fin
constituera un élément de choix des candidats à la formation et peut participer
aussi à une certaine émulation pour la qualité de cette formation. De toute
manière, cette mesure est de nature réglementaire. Nous l'introduirons dans le
décret d'application de l'article 2 de la loi.
Mme Bardou a évoqué la question de la répartition des places à l'examen du
permis de conduire. Il faut effectivement apporter des améliorations au système
actuel. Nous y travaillons.
M. Lefebvre, comme en première lecture, a fait part de ses réserves sur
l'article 12 relatif aux infractions commises envers les agents des transports
publics. Je veux vous dire que cet article, qui a été introduit lors de
l'examen du texte à l'Assemblée nationale par un amendement du Gouvernement,
répond à une attente des conducteurs et des contrôleurs. Cette mesure était
réclamée par les personnels et par leurs syndicats.
Mme Bardou nous a suggéré de faire référence au fait qu'il s'agit d'une
reprise de la proposition de loi de M. Bonnet. Dont acte ! Toutefois, cette
proposition de loi, elle-même, reprenait ce que j'avais suggéré voilà un an et
demi lorsque les questions de violence dans les transports publics étaient
posées.
Toute politique de sécurité routière passe par des améliorations, y compris en
matière d'infrastructures, j'en suis conscient. Précisément, l'idée qui a été
avancée qu'il soit procédé à un audit sur les infrastructures nationales neuves
participe de cette volonté d'apporter des améliorations. Je suis également
d'accord avec le fait que des concertations doivent être engagées avant toute
prise de décision.
Toutefois, je veux attirer votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs,
sur le constat suivant : il ne suffit pas d'améliorer le réseau routier pour
réduire l'insécurité routière. D'ailleurs, vous l'avez dit, monsieur le
rapporteur ; vous avez parlé de paradoxe.
Il ne faut pas que cela nous empêche d'améliorer ce qui doit l'être, bien
entendu. Mais la lutte contre l'insécurité routière ne doit pas être réduite à
cela, car les réveils seraient douloureux.
J'ajoute, pour que nous ne le perdions pas de vue, que la plupart des
accidents se produisent à une distance très courte du domicile de l'accidenté ;
on l'a vu pendant les fêtes de la Saint-Sylvestre. Il est vrai que, très
souvent, c'est de l'ordre - Mme Massin le disait - de quinze à vingt
kilomètres. Il faut également prendre en compte ce phénomène, y compris pour
que soient efficaces les actions de ceux qui oeuvrent au niveau local, afin que
se modifient les comportements et les mentalités.
Cela étant, des progrès restent à faire en matière d'infrastructures routières
et j'en suis conscient.
On peut également engager un débat à propos des caractéristiques des
véhicules.
Je suis de votre avis : il est paradoxal que, d'une part, la vitesse soit
réglementée et, d'autre part, que les constructeurs cherchent à fabriquer des
voitures toujours plus rapides.
Ce problème est posé non seulement aux constructeurs, mais aussi à la société
dans son ensemble.
On me dit : pourquoi ne pas limiter à la construction la vitesse des véhicules
?
Mais qu'entend-on précisément par là ? S'agit-il d'une limitation de la
vitesse maximale ? Mais que prévoit-on dès lors pour les villages, où la
vitesse peut être d'ores et déjà limitée à 30 kilomètres à l'heure ?
Que dois-je faire ? Le problème est plus compliqué qu'il n'y paraît !
Mais peut-être n'envisagez-vous que la question de la vitesse sur les
autoroutes ! Pour ma part, je pose le problème de manière plus globale.
En revanche, on pourrait concevoir une alerte, visuelle ou sonore, au-delà de
certaines vitesses déjà prévues dans les réglementations actuelles.
On peut discuter de tout cela, mais je voulais vous faire prendre conscience
de la difficulté des questions qui se posent.
En tout cas, une chose est sûre, la responsabilisation des constructeurs est
engagée, notamment du fait des publicités, monsieur Lefebvre. Il est en effet
impossible, même si la voiture est bien équipée, de subir un choc violent sans
courir aucun risque.
Par ailleurs, il est inadmissible que des publicités présentent des gangsters
qui s'enfuient très vite ou qui sèment les policiers. C'est aller à l'encontre
des valeurs que nous voulons promouvoir.
L'amélioration de la sécurité n'est pas seulement une question de moyens,
d'investissements, elle demande aussi des initiatives et des dévouements.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je pouvais apporter
à ce stade du débat.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines
travées du RDSE. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles
est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas
encore adopté un texte identique.
Article 1er