Séance du 10 février 1999
M. le président. Par amendement n° 13, MM. Poniatowski, Jolibois, Bonnet et les membres du groupe des Républicains et Indépendants proposent d'insérer, après l'article 7, une division additionnelle ainsi rédigée : « Section 5 bis . - Dispositions relatives à l'instauration d'un dépistage facultatif pour tous les conducteurs. »
M. Lucien Lanier, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Monsieur le président, la commission demande la réserve de cet amendement jusqu'après l'examen des amendements n°s 9 rectifié et 14.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Favorable.
M. le président. La réserve est ordonnée.
Je suis maintenant saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 9 rectifié, M. Cantegrit propose d'insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est ajouté au titre Ier du code de la route (partie Législative), après l'article L. 3-1, un article nouveau ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Toute personne qui aura conduit sous l'empire de substances ou plantes classées comme stupéfiants, dont elle aura fait usage de manière illicite, sera punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 francs d'amende.
« Lorsqu'il y aura lieu à l'application des articles 221-6 et 222-19 du code pénal à l'encontre de l'auteur de l'infraction définie à l'alinéa précédent, les peines prévues par ces articles seront portées au double. »
Par amendement n° 14, MM. Poniatowski, Jolibois, Bonnet et les membres du groupe des Républicains et Indépendants proposent d'insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est ajouté au titre Ier du code de la route (partie Législative), après l'article L. 3-1, un article nouveau ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Toute personne qui aura conduit après avoir fait usage, de manière illicite, de substances ou plantes classées comme stupéfiants sera punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 francs d'amende.
« Lorsqu'il y aura lieu à l'application des articles 221-6 et 222-19 du code pénal à l'encontre de l'auteur de l'infraction présente, les peines prévues seront portées au double.
« Les officiers ou agents de police judiciaire peuvent, même en l'absence d'infraction préalable ou d'accident, soumettre tout conducteur à des épreuves de dépistage et, lorsqu'elles se révèlent positives ou sont impossibles, ou lorsque le conducteur refuse de les subir, à des analyses et examens médicaux, cliniques et biologiques en vue d'établir s'il conduisait sous l'influence de substances ou de plantes classées comme stupéfiants.
« Les résultats de ces analyses sont transmis au procureur de la République du lieu de dépistage.
« Toute personne qui aura refusé de se soumettre aux analyses et aux examens médicaux, cliniques et biologiques prévus par le présent article sera punie des peines prévues au premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 1er.
« Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article. »
La parole est à M. Cantegrit, pour défendre l'amendement n° 9 rectifié.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il paraît choquant de ne pas prévoir de sanction spécifique à l'encontre des personnes mettant en danger la vie d'autrui en conduisant un véhicule sous l'empire de produits psychotropes.
En effet, le projet tel qu'il est actuellement rédigé prévoit l'instauration d'un dépistage systématique des stupéfiants pour les conducteurs impliqués dans un accident mortel, mais il ne prévoit pas clairement de sanction pénale pour ces derniers. Seul le refus de se prêter à des analyses est sanctionné. Cela est parfaitement aberrant.
C'est pourquoi cet amendement prévoit de punir de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 francs d'amende - peines prévues pour la conduite en état d'ivresse - la personne ayant conduit après avoir fait usage de manière illicite de substances ou plantes classées comme stupéfiants.
En effet, il paraît tout à fait légitime que la conduite sous l'empire de stupéfiants fasse encourir les mêmes peines que la conduite sous l'empire de l'alcool. Pourquoi sanctionner ceux qui conduisent en état d'ivresse et fermer les yeux sur les conducteurs consommateurs de stupéfiants ? L'impunité pour ces derniers est totalement invraisemblable. Cet amendement a pour objet d'y mettre fin.
En première lecture, monsieur le ministre, vous nous avez indiqué que les tests étaient encore incertains et qu'ils étaient difficiles à mettre en oeuvre. De même, le rapport présenté à l'Assemblée nationale fait état de déclarations de professeurs en médecine attestant que certains médicaments sont de nature à fausser les contrôles.
Mais, permettez-moi de vous rappeler que les premiers contrôles d'alcoolémie ont donné lieu aux mêmes doutes et aux mêmes critiques. La fiabilité des premiers appareils permettant de mesurer le degré d'alcoolémie a été contestée. C'est pourquoi des prises de sang et des contrôles supplémentaires ont été envisagés. Les tâtonnements du début ne nous ont toutefois pas empêchés de disposer par la suite d'appareils parfaitement fiables.
Je ne peux donc pas me satisfaire de ce que vous nous proposez, monsieur le ministre, et qui consiste à ne procéder à ces contrôles relatifs aux stupéfiants qu'en cas d'accident mortel.
Un très grand procès est actuellement en cours - à propos duquel je ne prendrai évidemment pas partie - mettant en cause trois anciens ministres à qui il est reproché de ne pas être intervenus en temps utile.
Sur la route aussi, des personnes peuvent être gravement blessées, puis éventuellement décéder, à la suite d'un accident provoqué par une personne qui conduisait sous l'empire d'un stupéfiant. Alors, monsieur le ministre, je crois qu'il ne faut surtout pas tarder à prendre, à cet égard, les mesures qui s'imposent.
M. le président. La parole est à M. Poniatowski, pour défendre l'amendement n° 14.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le ministre, les propos que vous avez tenus sur l'usage des stupéfiants ne m'ont pas convaincu, et moi, je voudrais essayer de vous convaincre.
Tout à l'heure, en nous présentant ce texte, vous avez fait état du bilan catastrophique de l'année 1998 en termes d'accidents mortels sur les routes de France. Le rapporteur a, quant à lui, à juste titre, rappelé qu'il y avait aussi tous ces blessés graves qui devront vivre tout le reste de leur vie avec les séquelles d'un accident.
Bien entendu, mon amendement ne va pas résoudre du jour au lendemain tous les problèmes, réduire soudainement à néant le nombre des tués sur les routes. Toutefois, il suit une certaine logique. Il est d'ailleurs un peu plus complet que celui de M. Cantegrit puisqu'il compte trois alinéas de plus, après deux alinéas pratiquement identiques à ceux que notre collègue propose d'ajouter dans la loi.
Pour ma part, je propose que l'usage, par un conducteur, de drogues ou de stupéfiants soit sanctionné exactement de la même manière que la consommation d'alcool dans les mêmes circonstances.
Vous savez parfaitement, monsieur le ministre, que l'un et l'autre représentent en effet le même danger sur les routes.
En ce qui concerne la fiabilité du dépistage, monsieur le ministre, vous ne pouvez la considérer comme suffisante à travers le dispositif de l'article 7, qui s'applique en cas d'un accident mortel, et la considérer comme insuffisante dès lors que ce dépistage serait systématique.
Les dépistages systématiques de consommation d'alcool qui sont opérés surtout les vendredis et samedis soirs par nos brigades de gendarmerie sont très utiles, vous le savez bien, et il n'est pas si compliqué de procéder à ce que l'on appelle de simples épreuves de dépistage. Cela se fait à l'étranger, et c'est très facile, contrairement à ce que vous avez pu laisser entendre lors de la première lecture. La preuve en est que vous les prévoyez vous-même, mais seulement dans certains cas.
Ce que nous demandons, en fait, c'est de permettre que cette détection soit systématique. Faute d'une telle possibilité, monsieur le ministre, votre texte restera inachevé.
Vous faites preuve d'un véritable laxisme à l'égard des drogués. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas. Ce n'est pas exact !
M. Ladislas Poniatowski. Si ! Que vous le vouliez ou non, c'est ce qui restera si vous refusez cet amendement, ce qui constituerait une grave erreur.
Si vous voulez être logique avec vous-même et avec votre texte, vous devez accepter au moins l'un de ces deux amendements, le mien étant un peu plus complet.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 9 rectifié et 14 ?
M. Lucien Lanier, rapporteur. La question évoquée par les auteurs de ces amendements est importante, et elle a d'ailleurs déjà donné lieu à un long débat en première lecture.
En première lecture, précisément, au nom de la commission des lois, j'avais proposé que les infractions commises par un conducteur se trouvant sous l'empire de substances stupéfiantes soient sanctionnées comme le sont les infractions commises par un conducteur se trouvant sous l'empire de l'alcool. Cependant, le Sénat a repoussé l'amendement que j'avais présenté en ce sens, sous le bénéfice d'explications aux termes desquelles il était beaucoup plus difficile de dépister les stupéfiants que de dépister l'alcool.
L'amendement présenté aujourd'hui par M. Cantegrit reprend cet amendement de la commission des lois défendu en première lecture.
Quant à l'amendement de MM. Poniatowski, Bonnet, Jolibois, il ajoute un élément tout à fait capital en prévoyant que le dépistage pourra se faire à n'importe quel moment : vous êtes dans votre véhicule, vous ne commettez aucune infraction, mais on peut vous arrêter pour faire un dépistage, au hasard !
M. Emmanuel Hamel. A titre préventif !
M. Dominique Braye. Comme pour l'alcool !
M. Lucien Lanier, rapporteur. Certes, tout le monde souhaiterait que l'on puisse dépister l'usage de stupéfiants comme on dépiste la consommation d'alcool.
Cependant, pour déceler la présence d'alcool dans le sang d'un automobiliste, il suffit de le faire souffler dans un ballon ; cinq ou dix minutes après, s'il n'est pas répréhensible, on le laisse poursuivre sa route.
Le dépistage des stupéfiants nécessite, lui, une prise de sang, ce qui implique que l'on détourne l'automobiliste de sa route afin de le conduire à l'établissement médical le plus proche. C'est seulement l'analyse de son sang qui permettra de déceler, le cas échéant, qu'il a usé de produits de nature à le faire tomber sous le coup d'une condamnation pour conduite sous l'empire de substances ou plantes classées comme stupéfiants.
La commission a discuté longuement sur ce point, ce matin même, en présence d'ailleurs d'un des auteurs de l'amendement n° 14, M. Jolibois. Elle a finalement conclu qu'elle était favorable à l'amendement n° 9 rectifié. C'est pourquoi je vous demande, monsieur Poniatowski, de bien vouloir retirer l'amendement n° 14, qui est en partie satisfait par l'amendement n° 9 rectifié.
Nous considérons que les moyens de dépistage existants ne sont pas encore suffisamment souples et performants pour éviter de causer un préjudice, éventuellement grave, à un automobiliste dont la conduite ne serait en rien répréhensible. Car, même s'il n'a commis aucune infraction, même s'il n'a usé d'aucun stupéfiant, à suivre les auteurs de l'amendement n° 14, on pourra interrompre son voyage pendant plusieurs heures.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 9 rectifié et 14 ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je voudrais d'abord rappeler que le Sénat et l'Assemblée nationale, après de longs débats, ont adopté l'article 7 dans les mêmes termes. Il y a donc eu convergence sur cette question.
Le Gouvernement est défavorable à ces amendements pour des raisons que j'ai déjà exposées.
Pour procéder à de tels contrôles, il faut pouvoir s'appuyer sur une connaissance suffisante, de manière à prendre le plus possible de garanties. Le dépistage effectué à la suite d'accidents mortels - ils sont, hélas ! suffisamment nombreux - nous permettra d'acquérir cette connaissance. Ensuite, dans un délai raisonnable - un ou deux ans - nous pourrons envisager d'aller plus loin.
J'ajoute que l'usage des stupéfiants est déjà puni par le code pénal. En cas d'accident mortel, la justice intervient de toute façon. S'il s'avère, après dépistage, que l'une des personnes impliquées dans un accident mortel a fait usage de stupéfiants, le juge pourra en tirer les conséquences dans son jugement.
La position du Gouvernement est donc tout à fait raisonnable.
M. le président. Monsieur Poniatowski, l'amendement n° 14 est-il maintenu ?
M. Ladislas Poniatowski. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 9 rectifié.
M. Jacques Mahéas. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Je suis contre les deux amendements, mais mon propos vise plus précisément l'amendement n° 14.
En ce qui concerne l'alcool, la question est simple car nous savons résoudre le problème technique du dépistage, même si les débuts ont été difficiles. Lorsque j'étais député, j'avais proposé un amendement visant à l'abaissement des seuils, ce qui devrait me préserver de l'accusation de laxisme en la matière.
Nous savons qu'un problème réel se pose dès lors que des gens conduisent sous l'empire de la drogue. J'ignore si les drogues illicites ou licites ont plus ou moins d'effets sur la conduite. Soyons honnêtes et poursuivons le raisonnement jusqu'au bout : si une drogue est licite, c'est qu'elle est prescrite par un médecin. Exigeons que celui-ci indique sur l'ordonnance que le patient ne pourra pas conduire.
De plus, qu'est-ce qu'un stupéfiant ? A cet égard, des discussions interminables se sont engagées ici. Si les experts sont d'accord pour reconnaître le caractère illicite de la cocaïne, ils sont nettement plus dubitatifs s'agissant du shit. Autrement dit, nous sommes en train d'essayer d'élaborer une réglementation qui ne pourra pas être appliquée.
A en croire M. Poniatowski, il serait très facile de distinguer les drogues licites et les drogues illicites. Je ne partage pas son avis.
N'est-il pas un peu fort de café - passez-moi l'expression, j'ignore si la caféine est ou non une drogue ...
M. Dominique Braye. C'est une drogue ! (Sourires.)
M. Jacques Mahéas. ... un peu fort que le Sénat et l'Assemblée nationale aient déjà fait un premier pas en votant conforme la disposition tendant à introduire le dépistage systématique de l'usage de drogues illicites pour les conducteurs en cas d'accident mortel - il s'agit là d'un pas important qui témoigne d'une prise de conscience réelle du problème - et que maintenant nous allions aggraver les choses, parce que nous ne savons pas bien le traiter ? Dans deux ans ou trois ans, peut-être pourrons-nous mieux l'aborder...
M. Jean-Pierre Cantegrit. Regardez ce qui se passe ailleurs en Europe ! D'autres pays dépistent !
M. Jacques Mahéas. Vous avez fait allusion tout à l'heure, d'une façon à mon sens un peu scandaleuse, au procès qui se déroule actuellement. Faute de disposer des connaissances scientifiques permettant de régler un problème, on adopte une certaine attitude. Et quand quatre ans ou cinq ans après, les progrès scientifiques fournissent la solution, tous les donneurs de leçons soutiennent qu'il aurait fallu la mettre en oeuvre précédemment et tiennent les politiques pour responsables.
Mais ils ont tort ! Alors que les scientifiques ne recommandent pas une solution, alors que les effets des stupéfiants sur les conducteurs ne sont pas définis avec précision, comment les législateurs que nous sommes peuvent-ils fixer les règles d'un dépistage ?
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les auteurs des amendements n°s 9 rectifié et 14 proposent d'instaurer un nouveau délit à l'encontre des conducteurs sous l'empire de stupéfiants.
Comme en première lecture sur un amendement similaire défendu par notre rapporteur, les membres du groupe communiste républicain et citoyen s'opposent à ces amendements, considérant qu'ils sont tout à la fois prématurés et inadaptés.
Je rappelle en effet à nos collègues que la rédaction de l'article 7, adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées, prenant acte de nos insuffisances dans l'analyse et la compréhension de l'effet des drogues illicites sur l'aptitude à la conduite, visait à agir sereinement et sans précipitation sur un terrain dont chacun peut mesurer les fragilités et les incidences.
Il était donc préférable, et telle est la démarche du Gouvernement, de se doter des outils permettant de défricher un domaine pour le moins sensible avant d'envisager une répression.
C'est pourquoi cette mesure est malvenue.
En effet, comment un juge pourrait-il demain condamner un conducteur qui aura usé de substances illicites, alors que ce même juge est incapable de prouver que l'usage de telles substances est de nature à altérer la conduite de la personne incriminée ? Il conviendrait de tenir compte par ailleurs de la nature, de la quantité des drogues absorbées et de la période écoulée entre la consommation et la prise du volant.
A l'évidence, le juge ne pourra pas décider en parfaite connaissance des causes, puisqu'il ne dispose pas, en l'état actuel de nos connaissances, des éléments scientifiques permettant de faire le lien entre dépistage de drogue et conduite dangereuse.
A l'inverse, la consommation d'alcool a des effets parfaitement connus de tous et aisément mesurables ! L'alcool est de surcroît facile à détecter. Ce n'est pas le cas de la drogue qui demande des examens médicaux et biologiques beaucoup plus sérieux pour en déceler la présence et la nocivité sur les capacités physiques et mentales des individus.
Le parallèle que vous venez de faire entre alcool et drogues me paraît contraire à l'observation objective de ces deux phénomènes.
Enfin, comme je l'ai rappelé voilà un instant après M. le rapporteur, le Sénat a déjà tranché cette question il y a dix mois.
Le groupe communiste républicain et citoyen votera donc contre ces deux articles additionnels. Nous préférons le choix proposé par le Gouvernement d'avancer pas à pas en appréhendant cette question délicate dans sa globalité et dans toute sa complexité. Je crois que, loin de faire preuve de laxisme, nous prendrons au contraire l'option raisonnable nous permettant de résoudre ce problème, effectivement grave, et dont les conséquences sont impressionnantes en matière d'accidents routiers.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cantegrit.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Monsieur le président, ce que je viens d'entendre ne m'a nullement convaincu.
Premièrement, je serais curieux de savoir pourquoi dans d'autres pays européens - auxquels il est fait référence pour défendre d'autres aspects de ce projet de loi - il est possible de procéder à de tels contrôles qui ne sont pas autorisés en France.
Deuxièmement, monsieur le ministre, comment peut-on justifier l'instauration de ces contrôles pour les seuls accidents mortels, sans en prévoir la possibilité pour les autres accidents ?
Ce sont les seuls points que j'évoquerai. Je maintiens cet amendement n° 9 rectifié, qui me paraît tout à fait nécessaire et que la commission des lois a bien voulu approuver.
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Je souhaite simplement ajouter quelques mots aux propos que vient de tenir M. Cantegrit.
J'avoue avoir été stupéfié par certaines explications de vote, notamment celle de notre collègue, M. Bret, quant au danger que font courir certaines drogues en fonction du moment où elles ont été absorbées. Ce raisonnement témoigne d'une ignorance complète de la biologie la plus élémentaire.
Il est clair que, toute substance prise par un organisme étant éliminée dans le temps, l'absorption d'une drogue trois jours avant ne pose effectivement aucun problème. Toute la difficulté consiste à déterminer si, au moment où la personne conduit, elle est sous l'empire d'un stupéfiant et si celui-ci peut avoir un effet sur son comportement ou sur sa vigilance. Le problème se situe uniquement là.
Cet amendement me paraît effectivement important. Je ne comprends pas que l'on puisse estimer qu'une substance est dangereuse si elle a provoqué un accident mortel et qu'elle cesse d'être dangereuse lorsqu'une personne qui l'a absorbée n'a pas eu d'accident. Comment en déduire que la substance cesse d'être dangereuse et de produire, sinon un trouble du comportement, tout au moins une diminution de la vigilance du conducteur ?
Du point de vue médical et biologique, il me paraît tout à fait évident qu'il faut adopter l'amendement tel que nous l'a proposé M. Cantegrit.
M. Emmanuel Hamel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Je voterai l'amendement de notre collègue M. Cantegrit. En effet, les commentaires que feront la presse et les médias en cas de rejet de cet amendement ne manqueront pas de présenter ce vote comme une incitation à la consommation de drogue, (M. le ministre fait un signe de protestation.) en concluant que l'on ne risque pas d'être sanctionné pour conduite sous l'empire de la drogue. Ce serait extrêmement grave !
C'est la raison pour laquelle je voterai cet amendement.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Nous sommes bien sûr tous d'accord sur le fait que la drogue est un danger particulièrement évident et manifeste lorsque son absorption se conjugue avec la conduite automobile.
La difficulté de l'amendement dont nous débattons - c'est une réflexion personnelle à laquelle je n'attache pas énormément d'importance, mais que je livre tout de même au Sénat - c'est le fait objectif. Lorsque quelqu'un conduit en état d'ivresse, on le voit tout de suite : il suffit de lui faire subir un test. On peut même s'en dispenser dans un certain nombre de cas, tant l'ivresse est manifeste.
Ne pourrait-on introduire une disposition qui subordonnerait le contrôle des stupéfiants, non pas à l'accident mortel mais à chaque accident corporel ? Là, il y a un fait objectif ; on avance !
M. Jacques Mahéas. C'est déjà mieux !
M. Jacques Larché, président de la commission. Monsieur le ministre, je perçois une difficulté essentielle dans votre texte. En cas d'accident mortel, le contrôle intervient. Mais si l'accidenté soigné à Garches devient tétraplégique, aucun contrôle n'intervient, ce qui est quand même étonnant. Une personne perd ses jambes dans un accident, que ce dernier ait été provoqué ou non par un un drogué, cela n'a pas d'importance !
M. Dominique Braye. Et s'il meurt quatre jours plus tard ?
M. Jacques Larché, président de la commission. L'accident n'est pas mortel ! On peut très bien vivre sans jambes ! En principe, l'accident mortel intervient lorsqu'on tue quelqu'un.
J'ai lu qu'un jour il serait possible d'effectuer ce contrôle à partir des sueurs, qui donneraient des indications sur les substances absorbées.
Quoi qu'il en soit, il me semble que le problème de la drogue serait mieux pris en compte si son contrôle n'était pas limité aux seuls accidents mortels. Il faut donc prévoir que tout accident corporel donnera lieu à dépistage. S'il y a un saignement de nez ce n'est pas grave.
M. Michel Charasse. Cela peut l'être !
M. Jacques Larché, président de la commission. Tout à fait !
Mais si l'accidenté a une jambe coupée et qu'après six mois ou trois ans de séjour dans un hôpital, il se retrouve dans un fauteuil roulant, il me semble qu'il serait bon, malgré tout, de procéder à des contrôles. On disposerait ainsi d'un élément objectif qui permettrait de faire avancer les choses.
Cette innovation répondrait à la préoccupation de notre ami, M. Emmanuel Hamel, en montrant que le Sénat prend très sérieusement en considération ce problème de la drogue. Il n'est pas question de l'éliminer, mais il convient de tenir compte des connaissances actuelles en cheminant non pas de manière prudente, mais de façon assez déterminée. En indiquant que tout accident corporel peut entraîner un contrôle de stupéfiant, on ferait, me semble-t-il, un pas significatif.
Par conséquent, je suggère à M. Cantegrit de modifier son amendement de la façon suivante : « Toute personne qui aura conduit sous l'empire » - ne voyez dans ce dernier terme aucune manifestation bonapartiste, mais simplement la reprise du texte classique - « de substances ou plantes classées comme stupéfiants, dont elle aura fait usage de manière illicite et qui aura causé un accident ayant entraîné un dommage corporel, sera punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 francs d'amende. »
M. le président. Monsieur Cantegrit, acceptez-vous de rectifier votre amendement dans ce sens ?
M. Jean-Pierre Cantegrit. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je suis donc saisi, par M. Cantegrit, d'un amendement n° 9 rectifié bis, qui vise à insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est ajouté au titre Ier du code de la route (partie législative), après l'article L. 3-1, un article nouveau ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Toute personne qui aura conduit sous l'empire de substances ou plantes classées comme stupéfiants, dont elle aura fait usage de manière illicite et qui aura causé un accident ayant entraîné un dommage corporel sera punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 francs d'amende.
« Lorsqu'il y aura lieu à l'application des articles 221-6 et 222-19 du code pénal à l'encontre de l'auteur de l'infraction définie à l'alinéa précédent, les peines prévues par ces articles seront portées au double. »
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Pour les raisons que j'ai exprimées et que je ne développerai pas, il s'agit de permettre les conditions d'une étude épidémiologique pour en tirer ensuite les conséquences. L'usage des stupéfiants est d'ores et déjà pris en compte par le code pénal et il n'y a donc pas lieu d'ajouter une disposition à cet égard.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement, tout en comprenant l'argument invoqué par ses défenseurs.
M. Emmanuel Hamel. Puisque vous comprenez, approuvez, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 9 rectifié bis.
M. Jacques Mahéas. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Il faut s'engager dans cette voie. On pourra envisager de retenir une telle disposition d'ici à quelques années, lorsque les contrôles seront mieux maîtrisés et qu'ils ne seront plus décidés à pile ou face.
Cette idée me paraît bonne. D'ailleurs, j'avais proposé à la commission de retenir les mots « accident corporel grave ».
Cela étant dit, les peines encourues me paraissent quelque peu disproportionnées lorsqu'il n'y a pas d'accident corporel grave. Aussi, compte tenu de l'impréparation du texte, le groupe socialiste ne votera pas cet amendement.
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Je ne comprends pas que l'on établisse une différence selon qu'il y a ou non un dommage corporel. C'est la consommation de drogue elle-même qui est répréhensible, car elle peut être à l'origine d'un accident grave. Que l'accident survienne ou pas, ce n'est pas du domaine de la rationalité.
Par ailleurs, monsieur le président de la commission, je ne sais pas ce qu'est un dommage corporel. En effet, cette notion couvre la perte des deux jambes, mais aussi une simple égratignure. Je ne suis donc pas persuadé que ce soit la bonne voie. Cela revient à ouvrir la porte à tous les contentieux possibles.
M. Michel Moreigne. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Moreigne.
M. Michel Moreigne. La notion de préjudice ou d'accident corporel se définit par de nombreux critères. S'agit-il d'un dommage partiel ou total ? A quel taux d'incapacité fixons-nous la gravité de l'accident ? S'agit-il d'une incapacité partielle ou temporaire ? Il convient tout de même de légiférer de façon beaucoup plus précise que ce qui est prévu dans cet amendement. Habituellement, notre assemblée ne se prononce pas sur des dispositions aussi imprécises.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. La notion de dommages corporels figure dans l'article 1er du code de la route, relatif au délit de conduite sous l'empire de l'alcool. Ce n'est pas une invention. Je ne vois pas en quoi la gravité de l'accident serait différente selon que son auteur a pris des amphétamines, ou un autre produit de ce type, ou a conduit son véhicule sous l'empire de l'alcool. Dans les deux cas, il s'agit de dommages corporels.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 9 rectifié bis, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 7 et l'amendement n° 14 ainsi que l'amendement n° 13, qui avait été précédemment réservé, n'ont plus d'objet.
Article 8 bis