Séance du 18 février 1999
INNOVATION ET RECHERCHE
Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi (n° 152, 1998-1999) sur
l'innovation et la recherche. (Rapport n° 217 (1998-1999) et avis n° 210
(1998-1999).)
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question
de l'innovation, celle du transfert des technologies de la recherche vers
l'entreprise est une question importante au coeur d'un grand nombre d'enjeux et
d'interrogations, elle nous amène à approfondir l'analyse quant aux fondements
de la recherche et, pour ce qui nous occupe, de la recherche publique et du
respect de ses règles déontologiques. Si l'innovation est fondamentale, elle
est toutefois socialement et économiquement mal prise en compte par le système
de recherche en France.
Définir des missions publiques pour ce qui relève de l'innovation
technologique revient aussi à considérer la politique des entreprises privées
dans notre pays, son fonctionnement, parfois ses limites, sans oublier le rôle
que pourrait jouer le service public de la recherche dans la création de
nouveaux projets.
Ces questions-là, nous devons les aborder avec courage et lucidité, hors de
certaines grilles d'explication parfois mal adaptées au réel.
Comme vous, nous pensons, monsieur le ministre, que le service public peut et
doit jouer un rôle important en matière d'innovation et de transferts de
technologie, qui constituent l'un des moteurs de la croissance.
Nous savons, en outre, qu'un certain nombre de chercheurs des laboratoires
publics s'affligent de voir certains de leurs brevets et découvertes quitter
notre territoire pour être exploités dans des pays ayant une politique
commerciale et d'innovation plus audacieuse que la nôtre. C'est donc dans cet
élan qu'il nous faut nous engager et engager le service public.
Encore nous faut-il déterminer précisément les modalités et les fondements de
cet engagement de l'Etat.
En matière d'innovation et de transferts de technologie, notre pays ne part
pas de rien. L'Agence nationale pour la valorisation des activités de
recherche, les textes législatifs d'orientation de la recherche publique et
ceux qui sont relatifs à l'enseignement supérieur prévoient certains mécanismes
en vue de la valorisation de la recherche.
Peut-être d'autres ingrédients manquent-ils pour mettre en oeuvre l'élan que
j'évoquais à l'instant et dont certains - mais faut-il le déplorer ? -
échappent à la puissance publique.
Nous sommes ici même pour tenter ensemble d'apporter des réponses. La qualité
de celles-ci dépend, pour une large part, de la justesse de l'analyse.
Ainsi le constat selon lequel notre pays souffre, par exemple, du décalage
entre la qualité de sa recherche scientifique et technique et la faiblesse du
transfert des connaissances mérite peut-être une modulation.
Comment ignorer la place de notre pays dans l'industrie aéronautique,
l'efficience technologique de la SNCF démontrée par le train à grande vitesse,
ou de France Télécom ? Comment méconnaître notre position en matière d'énergie,
dont il est beaucoup question en ce moment. Il n'est que de regarder le rôle
d'EDF dans le domaine du nucléaire.
Certes, je cite là le rôle de grandes sociétés très souvent publiques ; la
situation des PME et des PMI est moins idyllique.
L'existence dans notre pays de deux filières de formation supérieure - une
filière universitaire impliquée dans les secteurs de la recherche et une
filière grandes écoles - est selon nous à l'origine d'un certain déséquilibre
dans la composition des organes de direction des entreprises de notre pays, qui
préfèrent aux chercheurs des universités des administrateurs issus des grandes
écoles. Ce déséquilibre dessert l'innovation et la prise de risque. L'autre
handicap important à un développement de l'innovation à hauteur des besoins,
c'est celui qui a trait au financement du capital-risque dans notre pays, jugé
insuffisamment « rentable » par de larges secteurs de l'économie privée.
Pour que le transfert des technologies puisse s'opérer de manière efficace,
encore convient-il que les entreprises privées de notre pays consentent de leur
côté un certain effort de recherche. Ces efforts, s'ils se réalisaient,
pourraient permettre un va-et-vient incessant entre recherche fondamentale et
recherche appliquée.
En dépit des mesures incitatives prises à votre initiative, monsieur le
ministre - je pense notamment à la réforme du crédit d'impôt recherche - en
dépit d'un certain rééquilibrage, l'effort de recherche des entreprises privées
reste bien insuffisant.
Nous nous alarmons encore des difficultés insurmontables que rencontrent les
jeunes scientifiques en particuliers de très nombreux jeunes docteurs, qui
doivent, à l'issue de leur formation universitaire et doctorale soit intégrer
les quelques rares places disponibles au sein des laboratoires publics, soit
encore - et comment s'y résigner ? s'exiler vers d'autres marchés de
l'emploi.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
C'est bien dommage.
M. Ivan Renar.
Préoccupés de ces questions, nous avons souhaité inscrire dans le texte qui
nous est soumis quelques éléments permettant de répondre partiellement à ces
situations.
Comment prendre en compte l'apport que ces jeunes scientifiques pourraient
fournir à l'innovation ?
Nous proposerons une modification du crédit d'impôt recherche permettant de
favoriser l'emploi de jeunes docteurs.
Afin d'oeuvrer à cet élan vers plus d'audace pour l'innovation, nous avons
également souhaité associer étroitement les conseils d'administration des
établissements d'enseignement supérieur ou des établissements de recherche aux
décisions prises en matière d'innovation. Il s'agit là d'un gage de démocratie
absolument nécessaire au processus que vous souhaitez mettre en place, monsieur
le ministre, et qui est conforme à la féconde tradition française de structures
scientifiques élues.
Nous sommes, pour notre part, favorables à la création d'une agence de
l'innovation et de la recherche composée de l'ensemble des acteurs concernées
par l'innovation et la recherche et financée par ceux qui ont directement
intérêt au développement de l'innovation.
Nous pensons qu'il y a en matière d'innovation et de transfert de technologies
une responsabilité partagée à réaffirmer, entre la puissance publique, d'une
part, et les entreprises du secteur privé, d'autre part.
Seule cette co-responsabilité peut être à même de résorber les retards
constatés dans notre pays.
Nous sommes extrêmement attachés pour notre part à l'autonomie des organismes
de recherche telle qu'elle résulte de la volonté du législateur.
Ainsi, nous eussions préféré que le débat que nous menons aujourd'hui soit
conduit à l'issue d'une consultation nationale, que nous pensons aujourd'hui
indispensables, sur la recherche publique.
Il y a tout à gagner à associer la société, la collectivité publique, les
citoyens dans leur ensemble au débat sur ces enjeux. Ce sont trop souvent des
cénacles d'experts, des commissions ou des pouvoirs opaques mal identifiés ne
rendant compte qu'à ceux qui les ont nommés qui délibèrent, puis prennent les
décisions. C'est également vrai à l'échelle européenne.
Si les lois doivent être changées, il appartient au législateur de conduire la
réforme dans le cadre d'un débat associant la représentation nationale et
l'ensemble de la communauté scientifique.
Nous aurions beaucoup à y gagner, comme y gagnerait à n'en pas douter, notre
recherche publique.
Nous savons tous, mes chers collègues, que la recherche scientifique est une
chose fragile, qu'elle nécessite de longues années de travaux, parfois vains,
et qu'elle est le fruit d'un travail collectif.
A ce titre, il nous faut rester extrêmement vigilants quant au respect des
missions des uns et des autres afin de préserver au sein des laboratoires une
juste équité nécessaire au travail collectif et au respect de ce qui ressort de
la propriété intellectuelle et des brevets.
Loin de nous l'idée de faire obstacle aux chercheurs qui souhaiteraient se
lancer dans le monde « aventureux » de l'entreprise. Mais nous ne devons pas
perdre de vue que la mission première des chercheurs scientifiques des
laboratoires publics est de conduire la recherche publique dont ils ont la
charge.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Très bien !
M. Ivan Renar.
Il en va de même pour ce qui concerne la part du financement public dans
l'innovation.
Le contexte budgétaire des organismes de recherche, en deçà de l'effort que
devrait consentir notre pays, appelle une extrême transparence dans les
missions confiées aux établissements.
Le cadre législatif de la filialisation nous paraît ici mieux adapté que la
notion de « services d'activités industrielles et commerciales » inscrits dans
la loi, notion assez mal définie dans le texte qui nous est proposé.
La notion de filialisation est par ailleurs déjà inscrite dans les textes
relatifs à l'enseignement supérieur et dans ceux qui sont relatifs à la
recherche.
A l'issue de ces observations, nous pensons qu'il nous faudra revenir encore
dans les délais assez brefs sur les enjeux de l'innovation.
L'agence nationale que nous proposons de créer pourrait être mise en place
avec pour mission d'observer les différents facteurs qui participent ou, à
l'inverse, qui freinent l'innovation et les transferts de technologie.
Dans le cadre de cette agence, la réflexion pourrait être menée quant au rôle
de structures décentralisées de l'innovation en région, celles-ci étant
associées dans la lettre des lois de 1982 et de 1984 à la politique nationale
de recherche.
Le rôle des régions est minoré dans le projet de loi, alors qu'il sera à
l'évidence déterminant pour atteindre l'objectif de la création d'entreprises
d'innovation qui constitue l'une des missions assignées aux régions dans le
cadre de l'aménagmeent du territoire.
Il est un autre élément que nous nous devons d'aborder : l'innovation n'est
pas obligatoirement synonyme de création d'emplois. Aux quelques emplois créés
peut parfois correspondre - hélas ! - le démantèlement de plusieurs milliers
d'emplois dans des secteurs existants.
C'est dire combien il est urgent d'observer la situation afin d'apporter,
sinon pour le long terme, au moins pour le moyen terme, des solutions
adaptées.
Dotée de moyens significatifs, cette agence nationale pourrait nous fournir
l'outil indispensable à l'observation de ces sujets.
Dans le même esprit, il serait indispensable que le Gouvernement tienne
régulièrement le Parlement informé du bilan des actions menées.
J'évoquerai, au cours de l'examen des articles, certaines des modifications
qui nous sont proposées par nos collègues de la commission des finances et de
la majorité sénatoriale. Loin de servir la cause qui nous occupe, elles offrent
à quelques-uns une manne providentielle, qui prend l'aspect d'une réforme de la
fiscalité des
stock options.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
C'est scandaleux !
M. Ivan Renar.
Monsieur le ministre, vous avez recommandé que le volet de cette réforme ne
soit pas abordé dans le cadre du texte que nous examinons. C'était là une
réponse à la fois prudente et justifiée.
Pour ce qui nous concerne, nous jugeons inacceptable cette réforme de la
fiscalité des
stock options.
Nous l'estimons, quoi qu'il en soit,
inadaptée au financement du capital-risque et de l'innovation.
Si ces dispositions devaient être maintenues, nous serions d'ailleurs amenés à
voter contre le texte qui nous est proposé.
En ce qui nous concerne, nous abordons la discussion de ce texte de façon
constructive. Tel est le sens des amendements que nous avons déposés et qui
viennent l'enrichir.
Pour conclure, je voudrais dire que notre pays se doit de prendre en compte
ces questions de façon audacieuse, en établissant d'ailleurs des partenariats
nouveaux entre régions, entreprises, Etat et Europe, afin de mobiliser toutes
les ressources humaines, matérielles et financières.
M. le président.
Monsieur Renar, je vous demande de conclure.
M. Ivan Renar.
J'atterris, monsieur le président.
(Sourires.)
L'idée que la société dans son ensemble est capable de construire un projet
transformateur est encore une idée neuve en politique, nous le savons bien.
Cette démarche est également nécessaire pour conduire les transformations de
l'enseignement supérieur, de la recherche et de tout ce qui touche à
l'innovation.
Face aux horizons médiocres et, à court terme, de l'argent dominant, la
recherche scientifique et ses applications nous aident à penser le devenir du
monde sur le long terme. Face à la guerre économique destructrice de
solidarité, la recherche scientifique porte un souffle d'universalité et, face
aux défis d'épanouissement et de qualification des individus, elle peut aider
notre société à élaborer un développement durable et maîtrisé.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est
difficile d'être original après les nombreuses interventions que nous avons
entendues, en particulier après la vôtre, monsieur le ministre, et celle de mon
collègue et ami M. Lagauche.
Tout a été dit. Je me cantonnerai à la relation entre le service public et
l'industrie pharmaceutique. En effet, eu égard à ma formation première, c'est
un domaine dans lequel mes connaissances sont plus sûres. Par ailleurs, je suis
actuellement en charge d'un rapport sur les nouvelles techniques et leurs
conséquences, notamment sur l'industrie du médicament.
Compte tenu de l'évolution des connaissances concernant le génome et l'origine
des maladies, en particulier les maladies génétiques, polygénétiques ou
monogénétiques, nous sommes à un moment où on peut penser qu'au lieu de se
contenter de soigner les symptômes, on parviendra à soigner les causes.
S'agissant de la connaissance de l'individu, en particulier du génome, compte
tenu des données dont nous disposons, on peut en effet imaginer qu'une
recherche plus importante permettra, dans les années à venir, d'effectuer des
progrès importants. En matière de recherche fondamentale, des découvertes
intéressantes sont intervenues au cours des dernières années et ont été mises
en oeuvre, notamment dans le domaine que je viens d'évoquer. Aussi, on peut se
demander quelles doivent être les relations entre la recherche fondamentale et
le secteur privé, autrement dit le secteur marchand. Leurs objectifs sont
profondément différents. En effet, la recherche fondamentale a pour objet
d'accroître les connaissances afin de mieux comprendre comment l'homme se situe
dans la société et comment il peut arriver à trouver davantage de solutions qui
lui seront utiles. Le secteur privé, lui, a tendance à transformer ces
connaissances pour commercialiser des produits et accroître son patrimoine
financier.
Toutefois, vous l'avez souligné, la recherche fondamentale est aujourd'hui de
plus en plus proche des réalisations pratiques. Aussi, il y a un intérêt à
rapprocher ces deux secteurs pour que l'ensemble de la population bénéficie des
progrès qui interviennent, notamment en ce qui concerne les moyens de se
soigner.
Je sais que dans ce domaine - peut-être ai-je tort, quelquefois, d'essayer de
concilier l'inconciliable - il existe des différences d'appréciation. Vous me
permettrez de faire état des contacts que j'ai pu établir, soit avec des
services privés, notamment dans l'industrie pharmaceutique, secteur dans lequel
j'ai eu des relations professionnelles,...
M. Emmanuel Hamel.
Vous êtes un grand spécialiste !
M. Franck Sérusclat.
... soit avec des organismes tels le CNRS, qu'il s'agisse des syndicats, de
particuliers ou de chercheurs qui ont pris des positions différentes et
positives.
Les représentants des syndicats sont en effet inquiets devant un transfert de
cette nature. Je ne crois pas qu'il y ait lieu d'être inquiet car le texte que
vous nous avez soumis me semble particulièrement équilibré : il donne des
chances et préserve des risques. En effet, vous offrez des perspectives aux
chercheurs qui souhaitent créer une
start up
ou collaborer avec des
entreprises comme celle que j'ai eu l'occasion d'approcher souvent lorsque
j'étais maire de Saint-Fons, je veux parler de Rhône-Poulenc. Cela montre qu'il
existe des possibilités claires et sans compromission pour le service public
d'approcher de telles entreprises et de travailler avec elles.
J'en veux pour preuve la démarche, qui me paraît symbolique, mais je me trompe
peut-être, de M. Pierre Potier. Ce chercheur au CNRS, dont on parle beaucoup
actuellement, a trouvé des modes de réalisation de médicaments. Dans une
conférence à laquelle j'ai assisté voilà quarante-huit heures, il déclarait que
cette opération générerait un chiffre d'affaires de un milliard de francs pour
Fabre et Rhône Poulenc. Si j'ai bien compris, les conséquences de cette
opération sont intéressantes pour ce chercheur, mais aussi pour son
laboratoire. Or, il est inquiétant de penser qu'une personne peut s'approprier
les bénéfices d'une recherche qui est, en définitive, le fruit d'un travail
collectif. Le projet de loi prend en compte cette préoccupation, afin d'éviter
toute spoliation des organismes de recherche comme le CNRS et pour qu'ils
puissent entrer dans le domaine de l'application pratique.
Ce texte comporte assez d'avancées pour que nous n'ayons pas le sentiment -
diabolique ! - d'enrichir le privé au détriment du service public.
J'ai tendance parfois à considérer - mais peut-être ai-je tort ? - que l'on se
réfère trop à ce qui se passe aux Etats-Unis ou au Japon. Il conviendrait
d'utiliser davantage le génie européen, afin d'avancer dans ce domaine sans
trop copier ce que font les Etats-Unis et le Japon dont la démarche diffère
profondément de la nôtre, tant sur le plan politique que sur le plan
général.
En tout cas, le présent projet de loi me paraît offrir les garanties pour le
service public, et, à mes yeux, c'est particulièrement important. En effet, les
délais, les possibilités de mises à disposition, le retour éventuel dans le
domaine de la recherche fondamentale sont, me semblent-il, très bien
maîtrisés.
Je connais deux expériences qui sont menées actuellement, mais il en existe
beaucoup d'autres. La première, que j'ai évoqué tout à l'heure, est celle de M.
Potier. La seconde est menée par une association de trois chercheurs de
Biomérieux et de trois chercheurs du LETI - laboratoire d'électronique et de
technologie de l'informatique - dans un domaine qui constitue aujourd'hui une
préoccupation importante, à savoir les biopuces ADN dans le diagnostic des
maladies. Le projet de loi est important et décisif à cet égard.
En revanche, j'éprouve la même inquiétude que mon collègue Ivan Renar en ce
qui concerne les
stock options.
Je ne sais pas d'ailleurs s'il faut
parler de
stock options
ou de plans d'options sur actions ;
personnellement je suis réticent à l'anglais, pour ne l'avoir jamais appris.
M. Emmanuel Hamel.
Il est encore temps !
(Sourires.)
M. Franck Sérusclat.
Aujourd'hui même, j'ai reçu une invitation pour un colloque qui doit se tenir
à Lyon, sur laquelle ne figure aucun mot en français ! MM. Raymond Barre et
François Gros m'écrivent en anglais ! C'est un peu excessif !
M. Emmanuel Hamel.
Il faut protester en français !
(Nouveaux sourires.)
M. Franck Sérusclat.
Monsieur Hamel, je constate que vous êtes d'accord avec moi.
M. Emmanuel Hamel.
Tout à fait !
M. Franck Sérusclat.
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que nous sommes vous et moi d'accord
!
Je conclurai mon propos en évoquant un autre risque, qui inquiète les
chercheurs. A l'heure actuelle, nous assistons à une partie de Monopoly...
M. Emmanuel Hamel.
You speak english ? (Rires.)
M. Franck Sérusclat.
... si complexe entre les divers grands groupes industriels, par exemple Rhône
Poulenc - Rorer, Merck, qu'on se demande si ce sont les entreprises françaises,
européennes, américaines ou japonaises qui en tireront profit.
Telles sont, monsieur le ministre, les quelques remarques que je voulais
formuler. J'ajoute que c'est sans aucune réserve, sauf, éventuellement, en ce
qui concerne les
stock options
, que le groupe socialiste votera ce projet
de loi, qui, dans une certaine mesure - j'aurais dû commencer par là - est un
peu la continuation gouvernementale du travail de notre collègue Pierre
Laffitte.
M. Philippe Nogrix.
Bravo !
M. Pierre Laffitte,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Je n'étais pas seul
!
M. Franck Sérusclat.
J'avais approuvé le texte qu'il nous avait présenté, mais nous nous étions
abstenus car le ministère de l'éducation nationale allait présenter un texte du
même ordre. Cependant, M. Laffitte sait que, sur le contenu, nous étions tombés
parfaitement d'accord, à la suite des débats que nous avions eus au sein de la
commission des affaires culturelles.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Adrien Gouteyron,
président de la commission des affaires culturelles.
Cette franchise vous
honore, mon cher collègue.
M. Albert Vecten.
M. Sérusclat est cohérent !
M. le président.
La parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme M.
Franck Sérusclat l'a souligné, tout a été dit. Aussi, je serai concis, direct
et précis. Monsieur le ministre, une synergie entre l'éducation, la recherche
et l'entreprise est indispensable. J'estime néanmoins que ce projet de loi est
un peu partiel et qu'il ne va pas assez loin.
Permettez-moi de développer quelques arguments qui permettront de lever
certains obstacles culturels, juridiques et financiers.
S'agissant, tout d'abord, des obstacles culturels, je suis persuadé que notre
système éducatif doit se réorienter pour insuffler encore plus l'esprit
d'entreprise, non seulement aux futurs chercheurs mais à l'ensemble des jeunes
Français. J'attends le jour où un maximum d'enseignants auront la possibilité
de consacrer une année sabbatique à l'entreprise, dans l'entreprise et avec les
responsabilités de l'entreprise.
A contrario
, j'attends aussi le jour où
les grandes entreprises décideront d'envoyer des cadres dans l'éducation.
J'espère que ce jour-là les uns et les autres pourront mieux se comprendre.
Mais revenons à la recherche.
Je voudrais vous signaler un exemple très particulier, mais significatif, des
conséquences que peuvent avoir des décisions prises de Paris, vues d'un peu
loin.
Dans ma région, un laboratoire est à l'origine d'un transfert de technologie
très efficace avec des entreprises. Ce sont là quelques chercheurs, la moitié
d'entre eux vont partir à la retraite mais comme certaines réductions
d'effectifs ont été décidées dans le CNRS, d'un peu loin, il n'est pas possible
de les remplacer. Un transfert de technologie important va donc cesser, alors
qu'il est reconnu par tous, témoignages d'entreprises à l'appui.
Je vous demande, monsieur le ministre, d'examiner avec beaucoup d'attention ce
dossier - je me suis permis de vous le transmettre - sachant que ce n'est qu'un
exemple parmi d'autres du même type, qui requièrent parfois, à côté des règles,
un travail pointilliste.
La deuxième série de blocages est d'ordre juridique.
Avec le présent projet de loi, vous mettez en place des mécanismes de nature à
permettre à nos chercheurs et à notre fonction publique de mieux faire ce
transfert de technologie. Ne pourrait-on pas aussi imaginer dans le privé le
même genre de démarche, en facilitant les passerelles, de façon beaucoup plus
souple, entre les cadres de grandes entreprises qui veulent créer des
entreprises, éventuellement revenir ou dans leur entreprise d'origine, etc.
?
Là aussi, le projet de loi est un peu restrictif. Nous aurons l'occasion, avec
M. Raffarin, de soumettre à notre assemblée, très prochainement, dans le cadre
de l'examen du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire, une proposition de loi intitulée : «
Création et développement des entreprises sur les territoires » et dans
laquelle nous ferons des propositions dans ce sens pour le secteur privé.
J'en viens, enfin, aux blocages financiers.
C'est là que le bât blesse, et je reprends là l'expression que vous avez
employée, monsieur le ministre, dans une interview accordée à la
Revue
parlementaire
.
Ce matin, on a beaucoup parlé des
business angels
et des fonds de
pension. J'ai eu l'occasion, pour l'élaboration d'un rapport au Sénat sur la
small business administration
, de voir l'efficacité des
business
angels
aux Etats-Unis, surtout parce qu'il s'agit de parrains chefs
d'entreprise qui font éclore de nouvelles entreprises et qui y apportent toutes
leurs compétences. J'aimerais aussi que, chez nous, on mette en place des
mesures fiscales permettant ce genre de démarche.
Concernant les fonds de pension, je signalerai simplement que, au Québec par
exemple, les fonds de pension ont été mis en place sous l'impulsion de la plus
grande centrale syndicale québécoise. Ce fonds de solidarité des travailleurs
du Québec fournit aujourd'hui 48 % du capital-risque et a injecté, depuis sa
création, environ 950 millions de dollars dans l'économie, par le biais
d'investissements dans plus de 6 000 entreprises.
Je voudrais enfin, toujours sur le plan économique, évoquer le problème du
crédit d'impôt-recherche. Il conviendrait de ne pas pénaliser les entreprises
par un crédit d'impôt négatif impossible à reporter d'une entreprise sur
l'autre et calculé sur les années précédentes, mais s'attacher beaucoup plus au
chiffre d'affaires.
Voilà, en quelques mots, ce que je voulais indiquer.
Ainsi que vous avez pu le constater, monsieur le ministre, j'ai voulu inscrire
mon propos dans une démarche tout à fait positive. Quoique ce projet de loi
soit relativement parcellaire, je le voterai, sous réserve de l'adoption des
améliorations proposées par les deux commissions.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout
d'abord remercier MM. les rapporteurs ainsi que tous les orateurs pour ce débat
que j'ai personnellement trouvé extrêmement riche et intéressant. Il a nourri
notre réflexion et se place exactement - excusez-moi de le dire - dans la ligne
que j'avais définie dans mon introduction, c'est-à-dire la recherche, sur un
sujet aussi important, d'une contribution collective pour atteindre un objectif
qui doit être commun : faire de la France l'un des grands pays innovateurs au
xxie siècle et lui permettre ainsi de tenir pleinement sa place dans le monde
de demain.
Je ne l'avais volontairement pas signalé ce matin mais, puisque l'un de vous a
évoqué ce point, je confirme, naturellement que ce projet de loi a été élaboré
en concertation avec le CSRT, le conseil supérieur de la recherche et de la
technologie, et le CNESER, le conseil national de l'enseignement supérieur et
de la recherche, les directeurs d'organisme, les présidents d'université, les
différents partenaires habituels, notamment les syndicats, que nous avons
écoutés.
Je répondrai tout d'abord aux orateurs, puis aux rapporteurs, puisque ces
derniers synthétisent vos avis, mesdames, messieurs les sénateurs.
J'indique dès l'abord, en vous demandant de bien vouloir m'en excuser, que je
limiterai mon propos aux points essentiels de vos interventions, car, sinon,
nous y passerions le reste de la journée, et la nuit.
M. Lagauche a soulevé deux questions qui me paraissent très importantes.
Il a abordé tout d'abord la question des brevets qui est très inquiétante. En
fait, nous menons une réflexion commune avec le ministère de l'économie, des
finances et de l'industrie sur le problème des brevets, notamment européens, et
sur le délai de grâce, point qui, actuellement, handicape terriblement notre
industrie.
Je vais schématiser un peu la situation actuelle pour bien me faire comprendre
: aujourd'hui, un chercheur faisant une publication en Europe perd son droit au
brevet ; il doit donc prendre un brevet avant la publication, alors qu'il ne
sait même pas si cette dernière aura une quelconque résonance.
Aux Etats-Unis, au contraire, la publication est une prise de date de brevet ;
le chercheur dispose ensuite de trois mois pour prendre son brevet. Il fait
donc paraître sa publication et, si cette dernière a une résonance, il s'engage
dans la prise de brevet, qui nécessite un investissement financier.
La pratique européenne actuelle nous joue des tours extrêmement fâcheux dans
le domaine de la génomique : en ce qui concerne le génome humain, nos
chercheurs, jouant honnêtement le jeu de la convention des Bermudes, mettent
sur le web les résultats de leur décodage du génome humain, ce qui permet aux
chercheurs américains de faire tranquillement l'étiquetage et de breveter nos
propres inventions !
J'estime, pour ma part, que l'adoption d'une législation de type américain,
qui considère que la publication scientifique constitue une marque de
l'invention et donc une antériorité, faciliterait la prise de brevets par nos
chercheurs. Mais cela nécessiterait naturellement de revenir sur le droit
européen. C'est pourquoi, avec le ministre en charge de ce secteur dans le
précédent gouvernement allemand, j'ai demandé le réexamen de cette question.
C'est absolument indispensable, en particulier pour nos chercheurs en
génomique.
Vous avez donc raison, monsieur Lagauche, ce problème des brevets est très
sérieux, et le Gouvernement y travaille, même si je ne puis, pour l'instant,
faire état de résultats magiques sur ce point.
Vous avez abordé un deuxième point très important, et je vous en remercie : il
s'agit de l'évaluation périodique de la loi. En effet, nous présentons un texte
qui peut faire l'objet de critiques. M. Grignon a souligné son caractère
positif mais a estimé que le Gouvernement pouvait mieux faire. D'autres
orateurs ont déclaré qu'il constituait un pas décisif. En fait, aucun d'entre
nous ne lit dans le marc de café. Par conséquent, l'idée de procéder
périodiquement à une évaluation devant le Parlement, lieu de débat
démocratique, me paraît judicieuse. Cela nous permettrait de nous interroger
sur l'application de la loi et sur la nécessité ou non de la modifier. Vous
avez donc mon accord sur ce point.
M. Vecten, dans une intervention elle aussi très riche, a évoqué plusieurs
points qui m'intéressent beaucoup.
Tout d'abord, vous avez raison, monsieur le sénateur, de dire que, dans le
mode de gratification des chercheurs, il faut cesser de faire uniquement
référence aux publications scientifiques et prendre également en compte,
notamment dans les domaines de la recherche appliquée, les brevets et le
travail de valorisation. Mon homologue japonais m'indiquait, voilà quelques
mois, sa volonté d'introduire la règle suivante dans son pays : un brevet, dix
publications. Je ne sais s'il faut aller jusque-là, mais cette idée me paraît
intéressante.
Aujourd'hui, la recherche se fait en équipe. Dans une équipe de football,
certains marquent des buts, qui ont été préparés par d'autres ; et tous, comme
c'est normal, sont gratifiés. Les choses doivent se passer également de cette
façon en matière de recherche, et je suis donc d'accord avec vous, monsieur le
sénateur. Je dirai par conséquent aux organismes de recherche qu'il nous faut
travailler ensemble pour que l'évaluation du travail collectif, du travail de
valorisation et de transfert soit mieux prise en compte dans la carrière des
chercheurs.
Monsieur Vecten, vous avez évoqué également la dynamique régionale. J'y suis
favorable. Je vous ai indiqué tout à l'heure que le concours d'entreprises,
organisé pour la première fois, partirait des régions. C'est en effet dans le
tissu régional que l'on peut créer des entreprises innovantes. Il faut, à mon
avis, développer le partenariat multiple entre le privé, l'Etat, les régions
dans ce domaine. Nous sommes là au coeur du débat. Je vous ai d'ailleurs dit
tout à l'heure que mon collègue M. Zuccarelli préparait un projet de loi
prévoyant des mesures innovantes pour les régions. Je suis donc pleinement
d'accord avec votre intervention.
Enfin, vous avez raison : les chercheurs ne sont pas forcément des
managers.
D'ailleurs, pourquoi le seraient-ils ? On leur demande de
chercher, de trouver, d'inventer.
Il nous faut donc modifier un peu le mode de fonctionnement des troisièmes
cycles. Nous avons ainsi décidé, cette année, d'y introduire un module
d'enseignement pour apprendre aux chercheurs le droit des entreprises et pour
leur fournir quelques données financières, non pas pour qu'ils deviennent des
managers
mais pour qu'ils puissent penser cette question.
Ensuite, il faut, à mon avis, opérer un rapprochement entre les institutions
scientifiques, les grandes écoles, d'une part, les écoles de gestion, les
facultés de gestion et d'économie, d'autre part, pour arriver à constituer des
équipes. A mon avis, ce qui marche bien, c'est quand le scientifique s'occupe
de la science et le gestionnaire travaille sur la gestion, même si certaines
personnes exceptionnelles parviennent à faire les deux.
Cependant, il nous faut favoriser, je crois, cette notion d'équipe. Et
peut-être faudra-t-il, prendre des mesures à cette fin. En effet, on constate
trop souvent que, à l'intérieur de ces équipes, l'un est plus malin que l'autre
: par conséquent, l'association ne finit pas bien faute d'une protection de la
notion d'équipe. J'ai d'ailleurs tendance à considérer que, généralement, c'est
le scientifique qui se fait rouler ! Il convient donc de protéger celui qui
apporte l'innovation. En disant cela, je ne veux pas me livrer à un procès
d'intention. Je constate seulement que cela se produit et que cette dérive rend
réticent un certain nombre de scientifiques à s'engager dans cette voie. Il
faudrait donc prévoir peut-être quelques précautions.
Je voudrais corriger un point de l'intervention de M. Pelchat : le nombre de
scientifiques décroît non pas dans le secondaire, mais après.
Permettez-moi de faire une petite parenthèse sur la réforme des lycées.
Dans le secondaire, la voie scientifique est devenue une voie fourre-tout.
Du fait qu'il n'existe pas de véritable filière littéraire reconnue comme
telle, une bonne partie des élèves inscrits dans la série S s'orientent non pas
vers les filières scientifiques ou vers les grandes écoles, mais vers des
études commerciales ou vers des études de lettres, etc. Cette part s'établit
depuis trois ans à 20 %. Tout cela se cumule, et les choses ne peuvent donc
rester en l'état ; il s'agit là, en effet, d'un problème tragique.
Nous nous employons donc à faire changer cette situation, et je pense que, à
cet égard, la rénovation des programmes du secondaire est une nécessité. En
effet, les programmes scientifiques sont trop copieux ; ils font appel beaucoup
plus à la mémoire et, fatalement, plus à une approche axiomatique qu'à une
véritable approche du raisonnement scientifique. Nous avons donc besoin d'une
rénovation dans ce domaine.
M. Bernard se pose des questions sur les décrets d'application. Puis-je vous
dire que la plupart de ces décrets sont prêts,...
M. Emmanuel Hamel.
Ah !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
C'est-à-dire 85 % ? Mon problème tient donc au délai - j'y reviendrai tout à
l'heure - car, effectivement, les chercheurs, les organismes attendent cette
loi. Je me bats par conséquent pour que la discussion de ce texte ne soit pas
programmée à l'Assemblée nationale trop tardivement.
S'agissant du financement, permettez-moi de citer un exemple que je connais
bien, celui du
Massachusetts Institute of Technology,
le MIT : une
partie très importante des fonds qui sont versés pour les créations
d'entreprises provient des chercheurs du MIT eux-mêmes ainsi que des autres
professeurs. Quand une entreprise est créée par quelqu'un qui bénéficie d'une
grande réputation scientifique, ses collègues lui font confiance et versent de
l'argent.
En France, actuellement, un tel financement est interdit. Donner, grâce à ce
projet de loi, la possibilité à chacun de faire confiance à ses collègues est
donc un élément important pour le financement d'une entreprise, surtout au
moment de son démarrage.
Mais je reviendrai tout à l'heure sur les problèmes de financement.
Je pense, monsieur Adnot, que vous avez raison sur les fonds d'amorçage
régionaux : il faut veiller à ce que le seuil d'amorçage soit adapté à la
richesse des régions, et nous nous y attacherons avec mon collègue Dominique
Strauss-Kahn. En effet, l'aspect régional est fondamental. C'est d'ailleurs
bien normal qu'il soit soulevé au Sénat ! L'implication des régions, qui n'est
que l'application de la loi, est essentielle dans ce domaine.
Monsieur Renar, vous avez raison de dire que la France a été extrêmement
performante dans les domaines de l'aéronautique, des trains et de l'énergie.
Mais ces trois domaines étaient, en quelque sorte, typiquement symboliques du
colbertisme français : ce sont de grandes entreprises nationales, employant des
corps d'ingénieurs très bien formés, très bien adaptés à leurs fonctions, qui
ont créé et maintenu cette industrie française dont le rayonnement a été
considérable.
M. Philippe de Gaulle.
Et il y avait aussi Colbert !
(Sourires.)
M. Ivan Renar.
Avant le général de Gaulle !
(Nouveaux sourires.)
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
C'est vrai, il y avait aussi Colbert !
La recherche, aujourd'hui, ne concerne plus les mêmes domaines. Maintenant,
c'est le logiciel, c'est le décryptage des molécules, et les grandes
organisations ne sont plus adaptées à des recherches de ce type. L'évolution de
la technique impose donc une évolution des structures, parce que ce sont
maintenant les petites entreprises innovantes qui créent l'innovation.
Je l'ai rappelé ici à plusieurs occasions, IBM, la plus grande entreprise
d'informatique du monde, n'a inventé ni le mini-ordinateur, ni le
micro-ordinateur, ni l'ordinateur vectoriel, ni l'ordinateur parallèle, même si
elle s'est ensuite approprié ces technologies. C'est toujours une petite
équipe, parfois très étrangère à l'informatique - ce sont, par exemple, des
biologistes qui, dans un garage à côté de Stanford, ont inventé la souris,
véritable révolution - qui a été à l'origine des progrès technologiques.
L'innovation est donc partout et non plus totalement dans ces grandes
structures pyramidales dont le caractère quelque peu figé a été dénoncé par
certains d'entre vous.
Mais je voudrais vous rassurer sur un point : les caractéristiques de chaque
institution seront préservées. C'est pourquoi, lors du conseil interministériel
consacré à la recherche, le Gouvernement a fait de la recherche fondamentale la
priorité numéro un. Sans recherche fondamentale de base qui fonctionne, il n'y
a pas de recherche possible.
Comme je l'ai dit, nous ne devrions pas opérer une distinction entre recherche
fondamentale et recherche appliquée. La limite entre les deux est d'ailleurs
extrêmement floue ! En effet, la recherche de base peut s'exercer sur des
phénomènes fondamentaux de la nature, mais elle peut aussi être technologique
et permettre d'inventer des objets. C'est un domaine qui est en pleine
expansion ! Il en est ainsi, par exemple, de la chimie aujourd'hui grâce à la
nanotechnologie : à l'échelle d'une molécule, c'est-à-dire en faisant tourner
une couronne de six atomes autour d'un atome central, on obtient un petit
moteur, ce qui était absolument impensable il y a simplement cinq ou dix ans.
De plus, on pense pouvoir implanter ces petits moteurs dans les vaisseaux pour
accomplir certaines tâches à l'intérieur du corps humain. C'est absolument
fantastique !
A ce sujet - c'est une coïncidence, mais ce n'est peut-être pas tout à fait un
hasard - aujourd'hui, le premier réseau de nanotechnologie français a été
inauguré à Grenoble, et des opérations liées à cette technologie se dérouleront
un peu partout en France.
Il faut en tout cas garder à la recherche fondamentale son rôle dominant.
Ensuite, comme M. Lagauche, vous avez considéré, monsieur Renar, qu'il était
nécessaire de présenter des rapports au Parlement. Bien sûr, j'accepte cette
idée !
Monsieur Sérusclat, vous avez eu parfaitement raison de parler du génome. Je
saisis cette occasion - toute occasion est bonne pour informer la
représentation nationale, qui doit être tenue au courant de tout ce qui se
passe - pour vous dire que, demain matin, j'installerai le Comité national de
génomique, présidé par le professeur Chambon, et qui va travailler à la mise en
place d'un réseau de génopôles en France. Le coeur en sera situé à Evry et,
normalement, il devrait nous permettre de tenir une place importante. Je ne
veux pas dévoiler ici des découvertes scientifiques mais, dans ce domaine, je
peux vous dire que, dans huit mois environ, il y aura une grande surprise
française en matière de génomique, et la France reprendra alors la place
qu'elle avait occupée il y a sept ou huit ans, c'est-à-dire la première.
Vous avez également insisté sur le travail en équipe, qui est ô combien
nécessaire. Vous savez que j'y suis très attaché ! Or ce projet de loi prévoit,
précisément, la possibilité de travailler en équipe et de récompenser un tel
travail.
Monsieur Grignon, votre intervention comporte toute une partie qui rejoint
celle de M. Tregouët. Je vous répondrai donc en même temps qu'à M. le
rapporteur pour avis.
Vous avez présenté plusieurs remarques très intéressantes. D'abord, vous avez
dit que les enseignants devaient aller vers les entreprises. Or c'est
exactement le sens de l'amendement gouvernemental qui permet précisément aux
enseignants d'aller vers les entreprises ! Je pense, comme vous, que le séjour
d'enseignants dans les entreprises - et non pas seulement des enseignants des
lycées professionnels - est très important.
S'agissant du séjour des personnels des entreprises dans le système éducatif,
M. Jospin, lorsqu'il était ministre de l'éducation nationale, et moi-même avons
mis en place le système des professeurs associés, qui permet ce type de séjour.
Ils sont d'ailleurs de plus en plus nombreux ! Sur ce point, je suis donc
pleinement d'accord avec vous, et des structures comme les IUP ou les IUT, par
exemple, fonctionnent beaucoup avec les entreprises. Je suis, en tout cas, tout
à fait favorable à une synergie dans ce domaine.
Vous avez évoqué le Québec. Vous avez raison, car nous avons beaucoup de
choses à apprendre des Québécois. Ce sont eux, notamment, qui nous ont montré
que, pour les créations d'entreprises, il fallait s'adresser aux très jeunes
chercheurs, et parfois aux doctorants, qui étaient beaucoup plus aptes pour
créer des entreprises que des chercheurs blanchis sous le harnais dans des
organismes officiels et peu tentés, aprés un certain nombre d'années, d'aller
prendre des risques.
Nous aurons l'occasion de reparler des fonds de pension. Ce n'est pas moi qui
suis l'expert de cette question au sein du Gouvernement, mais je peux avoir mes
idées sur le sujet. Sans chambouler notre système de sécurité sociale, si la
législation évoluait, certains fonds de retraite devraient pouvoir être
utilisés pour l'investissement, notamment pour l'investissement innovant. Il
n'est pas nécessaire de modifier le système fondamentalement pour pouvoir
injecter de l'argent dans ce domaine !
Quant au crédit d'impôt-recherche, je pense avec vous qu'une évolution est
souhaitable.
Je vais maintenant, en conclusion, m'attarder un instant sur les intentions
des deux rapporteurs et essayer de faire en sorte que ce débat reste au niveau
de collaboration mutuelle qui doit être le sien.
Je suis à peu près d'accord avec ce qu'a dit M. Laffitte, je ne le
paraphraserai donc pas. Je développerai, en revanche, un point qu'il a soulevé
et qui me paraît très important, même si nous ne sommes peut-être pas
aujourd'hui en état de le trancher : je veux parler de l'assurance contre le
risque.
Dans un monde où les prédateurs sont partout, les petites entreprises
innovantes ont besoin de se protéger. Elles le font grâce à des systèmes
d'intéressement aux résultats de l'entreprise et de salaires différés. C'est ce
que nous faisons avec les BSPCE, les bons de souscription de parts de créateur
d'entreprises.
Mais il faut aussi qu'elles se protègent non seulement contre le détournement
de leurs inventeurs, mais aussi contre la copie de leurs inventions. En effet,
généralement, quand une petite entreprise invente un nouveau produit et qu'une
très grosse entreprise copie ce produit, premièrement, cette dernière tue la
petite entreprise et, deuxièmement, elle réalise souvent un produit qui n'est
pas aussi bon. Or la petite entreprise n'a pas les moyens de se payer des
avocats internationaux et elle a beaucoup de mal à se défendre.
Par conséquent, l'idée d'une assurance est très bonne, mais je pense qu'il
faut encore travailler à sa réalisation. Après avoir pris connaissance de votre
amendement, je me suis en effet permis de prendre contact avec les sociétés
d'assurance, qui sont intéressées mais qui estiment qu'il faut envisager la
question différemment. Quoi qu'il en soit, le Gouvernement sera attentif à ce
dossier. J'en ai parlé avec Dominique Strauss-Kahn, qui est lui aussi
intéressé, mais du travail reste à faire.
J'en viens maintenant à l'intervention de M. le rapporteur pour avis de la
commission des finances, qui a proposé de réintroduire dans le texte les
stock options.
Je voudrais vous dire tout à fait calmement que ce n'est pas, à mon avis, une
bonne idée, et je vais m'efforcer de vous expliquer pourquoi : d'abord, ce
gouvernement n'est pas suspect à l'égard des
stock options,
puisqu'il
les a réintroduits. C'est en effet le gouvernement précédent qui les avait
supprimés !
M. Philippe Marini.
Ne regardez pas toujours le passé !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Il ne s'agit, de ma part, ni d'une critique ni d'une polémique ! Je dis
simplement, monsieur Marini, que le Gouvernement n'est pas suspect à l'égard
des
stock options,
puisqu'il les a rétablis.
M. Emmanuel Hamel.
C'est le rapporteur général du budget qui s'exprimait !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
C'est lui, par ailleurs, qui a renforcé le crédit d'impôt-recherche, et c'est
lui qui a élaboré ce projet de loi pour aller encore un peu plus loin.
La question de l'aménagement de la fiscalité en faveur de l'innovation est
fondamentale et ne peut pas être traitée par le biais d'un amendement, soumis
de plus à l'avis d'un ministre qui n'est pas le plus compétent en cette
matière.
M. Philippe Marini.
Vos compétences sont universelles, monsieur le ministre !
(Sourires.)
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Il y a beaucoup de choses à dire au sujet des
stock options !
Tout
d'abord, nous ne sommes pas obligés de copier les Américains. On pourrait
inventer un système de salaire différé - puisque c'est de cela qu'il s'agit -
qui ne soit pas exactement calqué sur le dispositif américain des
stock
options.
On pourrait ainsi envisager de mettre en place un système
spécifiquement européen !
Un autre problème se pose à propos de la taxation : notre situation diffère
sur ce point de celle des Américains, car nous vivons dans l'Europe du
welfare state,
où existent un certain nombre de taxations sociales que
ne connaissent pas les Etats-Unis.
S'agissant des délais, la réactivité de l'industrie américaine est beaucoup
plus courte que celle de l'industrie française.
On a évoqué, avec raison, le problème de la transparence ; mais il y a bien
d'autres points à débattre sur le seul plan financier.
Se pose ainsi la question de la réinjection des bénéfices des entreprises qui
se consacrent à l'innovation. Ne faut-il pas inciter les entreprises à
réinvestir dans l'innovation en les exonérant partiellement de l'impôt ? Ce
n'est pas, bien sûr, le ministre responsable de la recherche et de la
technologie que je suis qui va trancher, mais vous pouvez bien penser que j'ai
une certaine sympathie pour ce genre de solution !
Sur le plan individuel, se pose le fameux problème des
business angels :
faut-il permettre à quelqu'un d'investir 100 000 francs, 200 000 francs,
400 000 francs par an dans les entreprises concernées ? J'ai tendance à penser
que ce système permet de réinjecter la quasi-totalité d'un financement, alors
que, sinon, l'Etat ne récupérera que la moitié de la somme. Mais, là aussi, le
débat est ouvert.
On a évoqué également, avec raison, la mise en jeu de l'impôt de solidarité
sur la fortune, qui est un impôt statique et dont le périmètre peut d'ailleurs
être rediscuté, en cas de réinvestissement dans l'innovation.
Bref, ce grand débat sérieux sur l'innovation et son financement, je souhaite
que nous l'abordions dans un état d'esprit consensuel, même si, bien sûr, sur
tel ou tel point technique, sur tel ou tel taux d'imposition, on peut ne pas
être d'accord.
Or, un tel débat ne peut pas avoir lieu à l'occasion de l'examen d'un
amendement et alors que le principal ministre intéressé, à savoir le ministre
de l'économie, des finances et de l'industrie, se trouve à Washington, où il
accompagne le Président de la République pour une réunion importante.
De plus, je suis en mesure de vous dire, au nom du Gouvernement, que le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie est prêt, dans le cadre
de la mission qui lui a été confiée par le Premier ministre d'étudier le
problème du financement de l'innovation, à venir devant la commission des
finances du Sénat et devant le Sénat pour discuter de ce problème, et ce avant
même de préparer son projet de loi.
J'aimerais que nous donnions l'image d'une France unie dans l'innovation,
d'une France qui, quelle que soit sa coloration politique, s'accorde sur les
créations d'entreprises innovantes, sur sa place dans le monde de l'innovation,
sur le rôle de la science qui crée des emplois et de la richesse.
M. Philippe Marini.
Commencez par unifier votre majorité !
M. Franck Sérusclat.
Et vous, unifiez la droite !
M. Ivan Renar.
On ne parle pas de corde dans la maison d'un pendu !
(Sourires.)
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Monsieur le sénateur, je pense que c'était le message du Général de Gaulle
quand il a donné à la recherche française un dynamisme qu'elle n'avait pas. Je
vous l'ai dit, c'est de là que tout est parti.
Il est important, à l'aube du xxie siècle, de donner l'image d'une France qui
veut être au première rang de l'innovation, et c'est pourquoi je vous demande
de dissocier cette question fiscale, qui concerne le responsable de la
fiscalité de ce pays et non le ministre de la technologie et de la recherche,
de nos débats sur les problèmes concernant l'innovation.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
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