Séance du 3 mars 1999
CHARTE SOCIALE EUROPÉENNE
Adoption de deux projets de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion :
- du projet de loi (n° 140, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale,
autorisant l'approbation de la charte sociale européenne (révisée) (ensemble
une annexe) [Rapport n° 160 (1998-1999).] ;
- du projet de loi (n° 141, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale,
autorisant l'approbation du protocole additionnel à la charte sociale
européenne prévoyant un système de réclamations collectives. [Rapport n° 160
(1998-1999).]
La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient
l'objet d'une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin,
ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
Monsieur le
président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la charte
sociale européenne révisée est issue de l'initiative de relance engagée en
novembre 1989 par Mme Lalumière, alors secrétaire général du Conseil de
l'Europe, à l'occasion de la conférence ministérielle sur les droits de l'homme
tenue à Rome pour le quarantième anniversaire de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Dans une première phase, un protocole portant amendement à la charte sociale
européenne, le « protocole de Turin 1991 », a clarifié le rôle respectif des
différents organes de contrôle et facilité celui-ci.
Une seconde phase a été consacrée à la révision du contenu de la charte et a
permis l'adoption de la « charte sociale européenne révisée », qui rassemble
dans un instrument unique l'ensemble des droits garantis dans la charte de
1961, adaptés et complétés, ceux qui sont garantis par un premier protocole
signé en 1988 et, enfin, de nouveaux droits.
L'instrument a été rédigé de façon à exister de manière autonome, mais avec le
même mécanisme de contrôle que la charte de 1961, et à ne pas être contraire à
cette charte, à laquelle il a vocation de se substituer à terme.
La charte sociale révisée ne prévoit pas la dénonciation de l'ancienne charte.
Toutefois, l'acceptation par un Etat contractant des dispositions de la charte
révisée a pour conséquence que les dispositions correspondantes de la charte
initiale et de son protocole cessent de s'appliquer à cet Etat.
Un protocole additionnel a par ailleurs été élaboré et ouvert à la signature
en novembre 1995. Il est né de l'idée d'instaurer pour la charte sociale
européenne, à l'instar de ce qui existe à l'Organisation internationale du
travail, un système de réclamations collectives.
L'institution d'un tel système a pour objet d'accroître l'efficacité d'un
mécanisme de contrôle qui repose jusqu'à présent exclusivement sur la
soumission de rapports gouvernementaux. Ce système permettra aux organisations
nationales et internationales d'employeurs et de travailleurs, ainsi que à
certaines organisations non gouvernementales, de présenter des réclamations au
secrétaire général du Conseil de l'Europe en cas d'application non
satisfaisante de la charte sociale par un Etat signataire de ce protocole. Le
système de réclamations collectives a été conçu comme un complément à l'examen
des rapports gouvernementaux qui continue à constituer le mécanisme de base
pour le contrôle de l'application de la charte. En outre, la procédure prévue
par le protocole sera plus rapide que celle qui est suivie pour l'examen des
rapports.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appellent la charte
sociale européenne révisée et le protocole additionnel, qui font l'objet des
projets de loi aujourd'hui soumis à votre approbation.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. André Boyer,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, ce sont deux accords importants qui, ce soir, sont soumis à l'examen
de notre Haute Assemblée. Ils touchent un volet encore trop méconnu de l'action
du Conseil de l'Europe. Pourtant, la charte sociale, qui fait aujourd'hui
l'objet d'une révision d'ensemble, a été signée voilà près de quarante ans et,
à ce jour, elle a été ratifiée par trente et un Etats.
Aussi, avant d'évoquer les deux accords que vous venez d'évoquer, monsieur le
ministre, je souhaiterais dresser un bilan rapide de la charte sociale de 1961.
Ce bilan apparaît en demi-teinte.
En premier lieu, même si la charte énonce des objectifs très ambitieux, elle
présente des lacunes, par exemple en ce qui concerne le droit à l'éducation.
En deuxième lieu, nombre de dispositions ne revêtent aucun caractère
contraignant. Seuls quelques articles impliquent la reconnaissance expresse
d'un droit, tel que le droit de grève, ou des engagements précis, par exemple
la mise en place d'un régime de sécurité sociale.
En troisième lieu, les Etats ne sont pas tenus de souscrire à la totalité des
articles, mais seulement à un nombre minimal de dispositions, parmi lesquelles
doivent toutefois figurer un nombre déterminé de principes jugés essentiels.
Près de la moitié des parties, par exemple, n'ont pas reconnu l'interdiction de
licencier une salariée en congé de maternité.
Enfin, le mécanisme de contrôle de la charte paraît insuffisant.
Toutefois, la charte a plusieurs mérites. J'en relèverai trois principaux.
D'abord, elle représente un complément utile par rapport aux instruments
adoptés dans le cadre de l'Union européenne. Elle détermine d'ailleurs, dans
certains cas, des normes sociales plus élevées.
Ensuite, elle a induit un relèvement du niveau des exigences en matière
sociale, en particulier en ce qui concerne le droit des travailleurs masculins
et féminins à une rémunération égale pour un travail comparable.
Enfin et surtout, la charte a vocation à servir de référence pour les pays
d'Europe centrale et orientale - PECO - et pour la Russie. Plusieurs de ces
Etats ont signé le texte de 1961 ; la Pologne l'a même ratifié. Pour les PECO,
une telle initiative prépare opportunément leur intégration à l'Union
européenne.
J'en viens aux deux accords dont nous devons autoriser l'approbation
aujourd'hui. Je ne reviendrai pas sur le dispositif de ces deux textes, que
vous avez clairement exposé, monsieur le ministre. J'insisterai sur les aspects
qui ont retenu l'attention de la commission.
S'agissant de la charte sociale révisée, la commission a relevé avec
satisfaction que la France avait accepté la totalité des dispositions de la
charte, malgré la liberté laissée à chaque Etat de ne souscrire qu'à un nombre
minimal d'articles. Toutefois, le comité des experts indépendants, qui
constitue le premier maillon de contrôle de l'application de la charte par les
Etats signataires, a relevé quelques contradictions entre la législation
française et certaines des stipulations de la charte de 1961 reprises dans la
charte révisée.
Le comité d'experts a cité notamment trois points : le maintien de sanctions
pénales à l'encontre des marins dans des cas où il n'y a aucun risque pour la
sécurité du navire ou pour la vie ; la retenue sur salaire appliquée aux
fonctionnaires de l'Etat en grève, qui n'est pas, dans tous les cas,
proportionnelle à la durée de la grève ; s'agissant, enfin, de la protection
des jeunes, les inégalités en matière de droits successoraux à l'encontre des
enfants adultérins.
L'interprétation de la charte par le comité d'experts apparaît souvent
extensive. Toutefois, dans certains cas, le comité des ministres, qui est
l'instance suprême de contrôle de la charte, a repris à son compte certaines
observations du comité d'experts. Je pense notamment à la recommandation qui a
été adoptée à l'encontre de l'Allemagne s'agissant de la législation de ce pays
en matière de droit de grève, cette dernière n'étant autorisée que lorsqu'elle
a pour objet de parvenir à une négociation collective. Un tel risque
pourrait-il se produire pour la France ?
S'agissant du protocole additionnel prévoyant un système de réclamations
collectives, il faut souligner qu'il complète plus le dispositif existant qu'il
ne le modifie en substance. Sans doute ouvre-t-il un droit de réclamation
collective à certaines catégories d'organisations. Cependant, sa portée est
limitée.
Il faut souligner trois points : le droit de recours individuel demeure exclu
; la réclamation ne peut porter que sur des dispositions acceptées par l'Etat
mis en cause ; enfin, la réclamation ne peut pas porter sur des situations
individuelles.
En conclusion, la portée des dispositions contenues dans la charte sociale
européenne révisée ainsi que dans le protocole additionnel prévoyant un système
de réclamations collectives demeure modeste.
Toutefois, l'approbation de ces textes, malgré leurs limites, représente un
enjeu essentiel. Ils ont vocation à servir de point de référence pour les pays
d'Europe centrale et orientale. La mise en place d'une économie de marché
respectueuse des droits sociaux et la substitution d'un système de protection
sociale à une assistance généralisée et étatique sont autant de défis à relever
pour des pays qui aspirent à rejoindre l'Union européenne.
Aussi la France se doit-elle de ratifier rapidement des textes directement
inspirés du « modèle social » européen. C'est pourquoi la commission vous
invite, mes chers collègues, à approuver les deux présents projets de loi.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.
PROJET DE LOI N° 140