Séance du 31 mars 1999







M. le président. « Art. 36. - Les articles 1er, 2 et 4 de la loi n° 80-3 du 4 janvier 1980 relative à la Compagnie nationale du Rhône sont abrogés à compter du 1er janvier 1999. »
M. Gérard Larcher, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Larcher, rapporteur.
M. Gérard Larcher, rapporteur. L'objet de l'article 36 est de tirer les conséquences de l'abandon du projet « Rhin-Rhône ».
C'est la loi d'orientation du 4 février 1995, qui, la première, a prévu un financement. A l'instar de ce qui avait été imaginé pour le canal Main-Danube, la loi a prévu d'affecter le montant de la rente du Rhône au financement du canal. Tel était l'objet des articles 2 et 4 de la LOTI, modifiés par l'article 36 de la loi Pasqua de février 1995. Ce sont ces dispositions que l'article 36 du projet tend à abroger.
La commission spéciale n'a pas voulu supprimer cet article. Elle a cependant des observations à émettre sur la procédure d'abandon du projet Saône-Rhin.
Ce projet a été déclaré d'utilité publique par un décret de 1978, renouvelé en 1998. Les grands ouvrages tels que le canal relèvent d'une déclaration d'utilité publique prise par le plus haut acte réglementaire de portée normative : le décret.
Nous ne contestons pas le pouvoir du Gouvernement sur ce point.
Cependant, l'abandon de Rhin-Rhône, annoncé par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale en juin 1997, est devenu effectif par un décret de novembre 1998.
Or la loi Pasqua prévoit que : « L'ensemble des travaux devra être achevé au plus tard en l'an 2010 ».
C'est donc avec un an et demi de retard que le Gouvernement demande au Parlement de ratifier la décision qu'il a prise ! Est-ce là respecter la majesté de la norme législative ?
D'autres pays s'intéressent à la voie d'eau. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été évoqué brillamment et éloquemment par Daniel Hoeffel.
En définitive, vous supprimez le canal, mais que proposez-vous pour le remplacer, et notamment pour permettre à Marseille, à la vallée du Rhône, à la région lyonnaise d'avoir cette ouverture sur l'Europe du Nord et sur l'Europe centrale ?
Je rappelle notre attachement à la réalisation du projet Seine-Nord, dernière chance de sauver ce qui peut l'être encore du transport fluvial français.
Telle est la déclaration que je tenais à faire au nom de la commission spéciale.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le rapporteur, vous le savez très bien, une partie importante du transport fluvial concerne non pas les transports à longue distance, mais des transports sur des distances de l'ordre de 150 kilomètres à 200 kilomètres, comme l'ont très bien montré les travaux de l'Observatoire économique et statistique des transports, notamment un rapport rendu par M. Bonnafous, quelques mois à peine avant la décision du Gouvernement.
Pour les longues distances, la vraie voie à grand gabarit est la mer, et le port de Marseille dispose évidemment de cette capacité.
Vous avez cité le canal Rhin-Main-Danube. La vérité est que cette réalisation est aujourd'hui un désastre. Les habitants de la vallée d'Altmühl ont recours, depuis plusieurs années déjà - quelques mois seulement après la mise en service du canal - à une alimentation en eau potable qui vient d'une vallée située à plus de 50 kilomètres, parce que l'eau qu'ils buvaient jusque-là n'était plus potable.
En outre, les compagnies qui avaient choisi d'utiliser en priorité la voie d'eau pour le transport de leurs conteneurs ont renoncé à ce choix, quelques mois à peine après la mise en service de l'infrastructure, pour en revenir au mode ferroviaire. En effet, les ruptures de charges modales étaient telles que le temps de transport excessif ruinait les perspectives de rentabilité du recours à cette voie d'eau.
Vous savez également que, compte tenu du volume d'eau disponible, un nombre réduit d'éclusées est possible sur ce canal Rhin-Main-Danube. En effet, le facteur limitant n'est pas la taille de l'infrastructure ; c'est la quantité d'eau disponible, qu'on repompe pour s'en servir à nouveau, ce qui n'est pas d'une logique exemplaire, du point de vue tant économique qu'écologique !
Je ne crois pas que le canal Rhin-Main-Danube soit un bon exemple. Je signale qu'il n'est toujours pas vraiment à grand gabarit. En effet, seule une portion très réduite est au gabarit de 4 400 tonnes. Le tracé qui relie le Rhin à cette portion à grand gabarit, le Main, n'est qu'au gabarit européen de 1 350 tonnes, ce qui est très loin des perspectives tout à fait euphoriques qui avaient été décrites au moment où cet équipement avait été pensé voilà maintenant près de trente ans.
Aujourd'hui, c'est l'utilisation optimale des capacités portuaires de Marseille et de Lyon, et la synergie avec la voie ferroviaire qui doivent être exploitées au mieux. J'ai toujours été très étonnée par l'état du port de Lyon. Les équipements de la CNR sur le port Edouard-Herriot sont assez exceptionnels. Je constate qu'il n'y a pas de flux de marchandises disponibles - cela a été bien décrit par M. Oudin -, notamment parce que la nature des marchandises transportées a beaucoup évolué depuis une cinquantaine d'années.
On ne transporte plus de pondéreux sur de très longues distances. En revanche, on transporte de plus en plus souvent des pièces détachées et des produits finis, qui circulent selon la pratique des flux tendus et qui doivent arriver en temps et en heure sur leur lieu de livraison.
Manifestement, la voie d'eau - et cela d'autant plus qu'il existe de très nombreux passages d'écluses gourmands en temps - ne constitue pas le moyen le plus adapté à cette évolution des trafics, que, pour ma part d'ailleurs, je déplore. Je considère en effet que le flux tendu n'est pas autre chose que le fait de faire payer à la collectivité - sur le mode de transport financé collectivement - les choix de stockage de l'entreprise.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'article 36.
M. Georges Gruillot. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gruillot.
M. Georges Gruillot. Je ne veux pas relancer un débat grand canal, qui serait un débat entre nous, locaux régionaux !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Et Marseille ?
M. Georges Gruillot. Mais je ne peux pas assister à cet enterrement - peut-être non définitif - sans me prononcer et sans qu'il en soit pris acte.
Je suis le responsable de la collectivité départementale la plus touchée, et en première ligne, par la décision de ne pas achever cette liaison à grand gabarit. Je vous rappelle que, sur les quelque deux cents kilomètres qui restaient à creuser, 75 % se situent sur le territoire de mon propre département.
J'ai toujours été très favorable à ce grand canal. Je passe peut-être d'autant plus pour un « archéo » que bon nombre de politiques, même localement, ont commis l'erreur de retourner leur veste. Mais, comme on l'a vu, au niveau électoral, cela ne leur a pas rapporté beaucoup !
Si je suis fanatique de la réalisation de ce grand canal, ce n'est pas tellement pour des raisons d'intérêt local, comme on pourrait l'imaginer ; c'est parce que je pense qu'on est en train de commettre la grande erreur de cette fin de siècle en termes de géopolitique et de manquer un arrimage au bloc central allemand, qui restera vraisemblablement très fort dans la construction européenne, lequel bloc se déplace petit à petit en direction de l'Est.
Nous, les Français, comme d'habitude, nous allons nous laisser marginaliser au sein de cette Europe qui est en train de se construire. Nous avions l'opportunité de nous arrimer aux réseaux fluviaux en direction du Danube. Nous ne le ferons pas ; je considère que c'est très dommage.
Voilà pourquoi je ne voulais pas laisser passer cet enterrement sans me prononcer haut et fort, et dire ce que je pense. Je suis persuadé que nous commettons l'erreur du siècle, mais cette erreur est tellement énorme que nous ferons assez rapidement marche arrière ! (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Michel Mercier. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Représentant ce soir avec M. Fischer le département qui a été à l'origine de la création de la Compagnie nationale du Rhône, je voudrais vous dire, à propos de cet article 36, que la suppression sèche des dispositions de la loi du 4 janvier 1980 nous interpelle au regard de la position générale des transports.
Madame la ministre, les propos que vous venez de tenir nous laissent quelque peu interloqués. On peut être pour ou contre le canal Rhin-Rhône. On trouvera des arguments dans un sens comme dans l'autre.
Vous avez cité le professeur Bonnafous, directeur du Laboratoire d'économie des transports à l'université Lumière - Lyon 2, qui a toujours été ce canal Rhin-Rhône. En l'occurrence, il est resté constant dans sa position. Il y a heureusement, dans le même laboratoire, des gens qui ont été tout aussi constants et qui sont favorables à la popsition contraire !
Vous venez de déclarer qu'aujourd'hui les transports s'effectuent à flux tendus. Sachez qu'en la matière le meilleur des transports reste le transport routier, parce que c'est quand même le meilleur moyen d'aller d'un point à un autre !
Il faudrait véritablement savoir ce que l'on veut ! En conservant le même type de transport, on ne fera que développer le transport routier, et notre collègue M. Oudin a eu raison, ce soir, de présenter les arguments qu'il a développés.
Je voudrais aussi dire quelques mots de la Compagnie nationale du Rhône, qui a été créée pour aménager le Rhône. Elle est concessionnaire de l'Etat, et ses actionnaires sont les collectivités locales, de la ville de Paris à l'ensemble des collectivités traversées par le Rhône ou par le futur canal.
Aujourd'hui, en abrogeant les articles de la loi relatifs à la concession du canal à grand gabarit Rhin-Rhône, on ne fait que donner une base juridique plus sûre à la décision prise par le Gouvernement de supprimer ce canal. Mais on ne dit pas ce que l'on fera des terrains que la CNR a achetés. Doivent-ils revenir à l'Etat ? A quel prix ? Qui va financer cela ?
On ne dit rien non plus du devenir de la Compagnie nationale du Rhône, qui, je le rappelle, est le premier bureau d'études de Lyon et de la région. Que fera-t-elle demain ? Que deviendront les collectivités locales actionnaires de cette grande compagnie, qui est un outil d'aménagement du territoire tout à fait remarquable ? Fallait-il véritablement se contenter de régler une petite question aujourd'hui sans prévoir l'avenir de la CNR ni son rôle ?
Nous aurons l'occasion d'en reparler lors de l'examen du projet de loi qui transposera la directive européenne sur l'électricité dans notre droit interne : se borner simplement, par cet article 36, à supprimer la concession, c'est ne répondre à aucune des questions qui se posent. (Bravo ! et applaudissement sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Gérard Larcher, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Larcher, rapporteur.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Je dirai encore un mot, qui s'ajoute peut-être au requiem, mais qui est un élément de réflexion supplémentaire.
Comme le suggérait Daniel Hoeffel, il faudrait faire la comparaison avec les investissements allemands sur le Mittellandkanal et sur cette ouverture jusqu'en Pologne.
Vous dites, madame le ministre, que la voie d'eau stimule l'abaissement des coûts de transport. La commission d'enquête chargée d'examiner le devenir des grands projets d'infrastructures terrestres et d'aménagement du territoire s'est rendue sur place avec le président François-Poncet, et nous avons naturellement rencontré tous les acteurs concernés.
Le coût du transport d'un conteneur de 40 pieds de Rotterdam à Berne est de 17 500 francs par la route et de 4 500 francs par la voie fluviale. Les informations qui nous ont été données par les acteurs tant de la voie fluviale que de la voie ferrée, notamment en Allemagne, ont toujours démontré qu'après la canalisation, notamment de la Moselle, du canal latéral à l'Elbe, à chaque fois, les tarifs ferroviaires se sont alignés et ont baissé de 30 % !
Nous l'avons vu, la multimodalité et l'intermodalité stimulent, notamment par le fleuve, le développement du rail pour le trafic de fret. Pardonnez-moi, madame le ministre, mais c'est ainsi que la route devient moins concurrentielle.
Alors que vous appelez des alternatives à la route, en choisissant de faire disparaître le transport fluvial vous allez renforcer le transport routier !
Je souhaitais souligner ces éléments qui ressortent d'une étude économique que nous avons empruntée à nos amis allemands et d'un exposé qui a été fait devant le conseil autrichien des transports. Voilà les réalités économiques !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le rapporteur, c'est un dossier sur lequel j'ai travaillé pendant des années. Il est parfaitement exact que les industriels étaient, en général, favorables au projet de canal, parce qu'ils avaient ainsi un argument de poids pour contraindre la SNCF à baisser ses tarifs et à les aligner sur ceux de la voie d'eau. Ils n'entendaient pas spécialement utiliser le canal, puisqu'ils bénéficiaient déjà, à proximité, de voies ferrées qui arrivaient en général dans leurs entreprises.
C'était le cas de Peugeot, qui ne s'est jamais déclarée pour le canal, parce que la desserte fine du territoire national était évidemment assurée de façon beaucoup plus satisfaisante par le réseau ferroviaire que par un réseau fluvial, qui n'a de réseau que le nom, puisque en réalité il n'y a pas de réseau fluvial.
C'est le cas aussi de Solvay, grande entreprise qui se situait sur le tracé du canal et qui n'a jamais été favorable à ce projet.
Par ailleurs, je ne crois pas qu'il y ait une concurrence entre la voie d'eau et la route ; elle existe plutôt entre le rail et la voie d'eau, qui transportent le même type de marchandises aux mêmes rythmes. Pour le flux tendu, dans l'écrasante majorité des cas, c'est la route qui est préférée, qu'on le veuile ou non, pour des motifs évidents.
En revanche, pour les pondéreux, les céréales, les déchets, les grumes, etc., le risque d'inefficacité économique et de déficits, à la fois sur le rail et la voie fluviale, existait vraiment. Cela a bien été démontré par M. Bonnafous, que je suis heureuse que vous ayez cité, même si c'était pour contester la solidité de sa position hostile à cette voie à grand gabarit.
Je n'ai pas souhaité, cet après-midi, intervenir à chaque instant pour ne pas tomber dans un péché qui est largement commis ici - j'ai moi-même succombé à la tentation - celui de beaucoup parler et de se répéter. Mais il est vrai que le réseau Freycinet a un siècle et qu'il n'a pas été entretenu depuis.
Je constate aujourd'hui que la petite batellerie familiale est largement handicapée dans sa survie même par cet état de fait, car il est très rare que les bateaux puissent charger le fret maximum possible, qui est en général de 350 à 400 tonnes.
Dans ma région, par exemple, on ne peut plus charger au-delà de 200 tonnes, et l'efficacité économique n'est pas au rendez-vous.
M. Georges Gruillot. Les péniches râclent le fond. C'est la raison pour laquelle elles ne chargent plus.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. J'insiste sur ce point car la réhabilitation de ce réseau à petit gabarit coûterait beaucoup moins cher, y compris avec une mise au gabarit européen sur les tronçons qui le méritent, que la réalisation du canal à grand gabarit telle qu'elle a été prévue. Pour contraindre la SNCF à baisser ses tarifs d'un tiers, investir 30 milliards de francs, c'est beaucoup trop !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 36.

(L'article 36 n'est pas adopté.)

Article 37