Séance du 15 avril 1999
QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT
SUR LA SITUATION AU KOSOVO
M. le président.
L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement sur la
situation au Kosovo.
Compte tenu de la gravité des événements qui se déroulent dans les Balkans,
j'ai souhaité que le Sénat puisse tenir aujourd'hui une séance exceptionnelle
afin d'entendre le Gouvernement sur l'évolution de la situation.
En cet instant, je suis sûr d'être l'interprète du Sénat tout entier en
exprimant notre émotion et notre solidarité envers les victimes de ce conflit
et les réfugiés du Kosovo. Le Sénat vient d'ailleurs de leur accorder un
premier secours dans ces circonstances dramatiques.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, je vous
remercie de votre présence au banc du Gouvernement, à laquelle nous sommes très
sensibles car vous savez l'importance que j'attache à l'information complète et
constante du Sénat sur les événements du Kosovo, notamment au lendemain du
Conseil européen qui s'est tenu hier à Bruxelles et auquel vous étiez, monsieur
le Premier ministre, auprès du Président de la République.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que chaque auteur de questions dispose
d'un temps de parole de cinq minutes maximum.
Je remercie la société France 3, qui a bien voulu prévoir la retransmission en
direct et en totalité de notre séance exceptionnelle, en dépit de son caractère
impromptu.
La parole est à M. Plasait, au nom du groupe des Républicains et
Indépendants.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les
ministres, mes chers collègues, depuis quelques semaines, chaque jour,
l'opinion publique internationale est témoin des centaines de milliers de
réfugiés, femmes, vieillards et enfants, qui, victimes de la purification
ethnique systématique pratiquée par le tyran de Belgrade, quittent leur pays,
dans le plus extrême dénuement.
Il s'agit là, certainement, de l'une des plus grandes tragédies humanitaires
en Europe. Il s'agit aussi et surtout d'une action criminelle, préparée depuis
longtemps par le régime de Milosevic.
Devant l'inacceptable, on ne peut laisser faire. On ne peut laisser
s'installer la barbarie au coeur de l'Europe sans renoncer à l'Europe, à ce qui
constitue son âme même, à cette idée que l'on y a forgée de l'homme et de sa
dignité, à ces valeurs universelles qu'elle a données au monde.
Dans ces conditions, les hommes libres et les nations libres ont le devoir de
dire non et de tout mettre en oeuvre pour ramener la paix et punir les
criminels.
C'est ce que, courageusement, les chefs d'Etat et de Gouvernement européens
ont décidé de faire en mettant la force au service du droit. Voici donc le
conflit engagé.
Mais ne nous y trompons pas : il s'agit non pas d'une crise, mais bien d'une
guerre conduite par l'OTAN, pour la paix certes, mais d'une vraie guerre. Et
comme toute guerre, elle présente trois aspects : diplomatique, militaire et
humanitaire.
Si le groupe des Républicains et Indépendants regrette vivement que n'aient
pas été prévus et déployés, parallèlement à l'engagement des frappes aériennes,
les moyens d'une action humanitaire d'envergure, il salue l'efficacité des
secours aujourd'hui portés aux réfugiés du Kosovo, fruit du dévouement des
soldats français, mais aussi de la grande générosité de nos compatriotes.
Au lendemain d'un sommet européen, marqué par la détermination des Quinze et
l'initiative du chancelier allemand d'impliquer plus fortement les Nations
unies et la Russie dans la recherche d'un règlement politique pour le Kosovo,
nous tenons à exprimer ici notre vive inquiétude quant à la situation des
populations, déplacées à l'intérieur même du Kosovo et qui n'ont pu atteindre
les pays voisins, l'Albanie, la Macédoine ou le Monténégro.
En début de semaine, le secrétaire d'Etat américain parlait de 700 000
personnes déplacées à l'intérieur de la province et menacées de famine. Quelle
que soit la réalité des chiffres, devons-nous nous interroger sur la stratégie
à suivre, d'autant plus que nous assistons à un effroyable engrenage des
malheurs.
C'est pourquoi nous souhaiterions, monsieur le Premier ministre, que vous nous
indiquiez le bilan précis de ces opérations aériennes et les objectifs qui leur
sont désormais assignés.
A cet égard, je dois vous faire part de ma perplexité devant les propos, que
je crois volontiers avisés, récemment tenus par d'éminents militaires. Je pense
notamment au général britannique Rose et au général Cot, qui jugeaient ces
frappes nécessaires mais pas suffisantes, pour ne pas dire illusoires.
Dès lors, comment ne pas se remémorer ce qu'écrivait le général de Gaulle dans
L'Appel
: « La guerre commence infiniment mal. Faut-il donc qu'elle
continue ? »
Telle est d'ailleurs l'étrange impression laissée par les dernières
déclarations de Bill Clinton, qui demande au Congrès des crédits
supplémentaires et envoie de nouveaux et importants moyens militaires. Il a
d'ailleurs parlé « d'étape suivante de la campagne aérienne ».
Est-ce à dire, monsieur le Premier ministre, que nous sommes déjà ou que nous
allons prochainement passer à la phase 3 des opérations de l'OTAN ?
J'ajoute que le Président des Etats-Unis a également parlé d'une mobilisation
des réservistes. Faut-il alors en déduire qu'une telle annonce préfigure un
engagement de forces terrestres au Kosovo ? Sous quelle forme ? Dans quel but ?
Avec quels moyens ? Dans cette hypothèse, à quel niveau se situerait
l'engagement de la France ?
Enfin, monsieur le Premier ministre, que font les Alliés à l'égard de l'UCK ?
Quelle est notre stratégie ? Ses dirigeants réclament des armes. Des centaines
de volontaires s'enrôlent dans ses rangs.
Attaché au respect de la liberté et des droits de la personne humaine, le
groupe des Républicains et Indépendants souhaiterait savoir, monsieur le
Premier ministre, quel est l'objectif final tant nous sommes convaincus que les
démocraties libérales n'auront réellement gagné que le jour où les Kosovars
pourront de nouveau vivre en paix au Kosovo. L'avenir de l'Europe se joue au
Kosovo.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants,
du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Estier, au nom du groupe socialiste.
M. Claude Estier.
Monsieur le Premier ministre, je tiens d'abord à vous remercier d'être présent
aujourd'hui au Sénat pour nous informer, comme vous l'avez fait mardi à
l'Assemblée nationale, des derniers développements de l'action entreprise en
Yougoslavie. Je tiens également à dire que nous apprécions la fréquente venue
devant la commission des affaires étrangères de MM. Védrine, Richard et
Josselin.
Il est essentiel, à nos yeux, que la représentation nationale et, à travers
elle, l'opinion publique française soient informées, jour après jour, le plus
complètement possible. C'est une condition indispensable pour que nos
concitoyens comprennent et donc soutiennent, comme c'est le cas pour la grande
majorité d'entre eux, l'action qui est menée par la France depuis maintenant
plus de trois semaines et qui leur est régulièrement expliquée par le Président
de la République et par vous-même, monsieur le Premier ministre.
Dans votre toute première intervention devant le Parlement, le 26 mars
dernier, après le déclenchement des frappes aériennes de l'OTAN, vous aviez
souligné avec raison que l'action militaire n'était pas une fin en soi et
qu'elle n'était que le moyen, après l'échec de toutes les tentatives de
négociations, de revenir à une solution politique au problème du Kosovo, avec
l'objectif inchangé de permettre aux populations aujourd'hui chassées par les
forces serbes de retourner chez elles et d'y vivre en paix et en sécurité.
Nous avons compris et soutenu cette action militaire et nous continuons à la
juger indispensable, ce qui ne nous dispense pas d'exprimer quelques
interrogations.
Il semble, d'abord, que l'ampleur et la durée des frappes aériennes
nécessaires pour faire plier le régime de Belgrade aient été sous-estimées.
Certes, comme vous l'avez souligné, le potentiel militaire serbe est atteint de
manière significative mais pas au point, du moins jusqu'à ce jour, de ramener
Milosevic à la raison.
Il n'a toujours pas apporté la moindre réponse aux cinq questions qui lui ont
été posées par les Alliés lorsqu'il a proposé un cessez-le-feu unilatéral qu'il
n'a d'ailleurs aucunement respecté.
En fait, son comportement vis-à-vis de ses voisins, en particulier des
populations albanaises du Kosovo, n'a pas changé depuis dix ans. Je me
souviens, à cet égard, du jugement sévère que le président François Mitterrand
portait sur lui après l'avoir reçu à Paris en 1991.
Quoi qu'il en soit, même si son potentiel militaire est affaibli, Milosevic
n'a toujours pas cédé. La mobilisation par l'OTAN de nouvelles forces aériennes
en grand nombre n'est-elle pas le signe qu'on s'apprête à passer à une nouvelle
phase des opérations, en particulier au Kosovo même, à la poursuite des forces
serbes qui continuent à y commettre les pires exactions mais en sachant que ces
opérations ne sont pas sans risques à l'égard des populations civiles, comme on
l'a, hélas ! constaté hier ?
Monsieur le Premier ministre, cette perspective a-t-elle été évoquée hier à
Bruxelles au cours de la réunion des chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union
européenne ?
Plus généralement, puisque notre séance exceptionnelle se tient au lendemain
de cette importante réunion, vous voudrez sans doute nous dire comment
l'ensemble des partenaires européens évaluent le bilan de l'action menée depuis
trois semaines et, surtout, comment ils envisagent la suite, dans l'immédiat et
à plus long terme.
Nous avons enregistré avec satisfaction, depuis le début de cette semaine, les
efforts convergents accomplis pour retrouver le chemin d'une solution politique
et diplomatique que la France, nous le savons, n'a jamais perdue de vue. Deux
éléments importants sont apparus à cet égard.
Le premier est la reprise officielle d'un dialogue avec la Russie. Sans doute
ne pouvait-on pas attendre une conclusion décisive dès le premier entretien
entre Mme Albright et M. Ivanov, mais cet entretien a été décrit comme un
premier pas qui confirme ce que l'ambassadeur de Russie à Paris, que nous avons
reçu la semaine dernière au Sénat, nous avait clairement exprimé, à savoir que
la Russie est extrêmement désireuse de voir se dessiner une solution politique
au Kosovo et qu'elle est prête à y contribuer, évidemment sous certaines
conditions qui, à l'heure actuelle, ne sont pas encore toutes réunies.
Le second élément, à nos yeux très positif, est la réintégration dans le débat
de l'Organisation des Nations unies, dont nous avons regretté, même si nous en
avons bien compris les raisons, la mise à l'écart au moment de l'engagement des
opérations. M. Kofi Annan, qui a affirmé sa disponibilité, était présent hier
soir à Bruxelles et, si j'ai bien compris, il reprend à son compte les
conditions que la communauté occidentale a posées à Milosevic pour aboutir à la
paix.
A partir de là, peut-on attendre une initiative concrète de la part du
secrétaire général de l'ONU, par exemple qu'il se rende à Belgrade ? D'une
façon plus large, à quel moment et de quelle manière pensez-vous, monsieur le
Premier ministre, que le Conseil de sécurité puisse revenir sur le devant de la
scène, comme la France le souhaite à juste titre, et comme nous n'avons cessé
de le demander ?
Quant au troisième volet de notre action, qui n'est pas le moindre - je veux
parler du volet humanitaire - vous ne manquerez pas, j'en suis sûr, de nous
confirmer tout ce qui est mis en oeuvre, en particulier par la France, pour
venir en aide aux centaines de milliers de Kosovars réfugiés dans les pays
voisins et aussi - c'est essentiel - pour aider ces pays à faire face, comme
ils le font avec beaucoup de courage - je pense, en particulier, à l'Albanie -
à cette énorme charge qui est sans rapport avec les faibles moyens dont ils
disposent.
Nous avons pris acte avec satisfaction que le début de polémique né cette
semaine sur des difficultés administratives qui seraient opposées aux Kosovars
désireux de venir en France était sans fondement. Vous nous confirmerez sans
doute que la position de notre pays reste bien la même, à savoir que, s'il est
souhaitable que les réfugiés ne soient pas trop éloignés du Kosovo, nous sommes
prêts à accueillir chez nous, avec des procédures simplifiées, ceux qui
manifestent la volonté d'y venir, en respectant les cellules familiales.
L'afflux de propositions au numéro vert mis en place la semaine dernière
souligne avec bonheur que des milliers de familles françaises sont disponibles
pour cet accueil.
Nous y voyons une preuve de plus, s'il le fallait, que les Français font
parfaitement la différence entre les bourreaux et les victimes, qu'ils
comprennent la nécessité de châtier les premiers et d'aider les seconds et que,
pour toutes ces raisons, ils sont et demeurent solidaires, comme nous le
sommes, de l'action que mènent conjointement, au nom de la France, M. le
président de la République et le Gouvernement que vous dirigez, monsieur le
Premier ministre.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que
sur certaines travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Del Picchia, au nom du groupe du Rassemblement pour la
République.
M. Robert Del Picchia.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les
ministres, mes chers collègues, l'heure est aux interrogations non plus sur
l'intervention de l'OTAN au Kosovo, mais sur la sortie diplomatique de la
crise.
Malgré le maintien de la pression militaire, la situation sur le terrain ne
laisse pas entrevoir d'issue dans l'immédiat, c'est-à-dire une rédition de
Slobodan Milosevic. A Bruxelles, hier, les Quinze ont montré leur ferme
détermination à poursuivre cette action militaire jusqu'à ce qu'elle atteigne
l'objectif qui est - si nous avons bien compris - la destruction des moyens de
répression dont disposent les autorités serbes.
Il faudra du temps, et ce temps doit, pensons-nous, être mis à profit pour,
parallèlement, préparer la sortie diplomatique et organiser l'avenir du Kosovo.
C'est ce que font le Président de la République et le Gouvernement, et nous
leur rendons hommage.
La chose n'est pas aisée, et l'action diplomatique - nous acceptons bien
volontiers qu'elle reste secrète sur certains plans, dès lors qu'il y va de sa
réussite et des intérêts supérieurs de l'Etat - a besoin, pour nous
parlementaires, d'être expliquée, tant elle est complexe et revêt des aspects
divers.
Aussi, monsieur le Premier ministre, souhaiterions-nous vous poser quelques
questions sur les principaux éléments de cette diplomatie.
J'examinerai tout d'abord la sortie de la crise. Pour arrêter les combats, la
France - le Président de la République, puis vous-même - a préconisé, dès le
début, la voie russe. M. Primakov, qui est un des rares hommes politiques
internationaux à pouvoir influencer Slobodan Milosevic, s'est rendu à Belgrade.
Mais certains responsables politiques européens, peut-être poussés par la
presse, n'ont-ils pas été « maladroits » en parlant d'échec, alors qu'il ne
s'agissait que d'une première visite et que l'histoire de la diplomatie des
Balkans nous a appris que, dans cette région explosive, c'est un travail de
très longue haleine ?
Aujourd'hui, la Russie est remise dans le circuit, et le sommet de Bruxelles a
confirmé son rôle, comme la France le souhaitait. Mais un événement est venu
entre-temps troubler quelque peu l'action diplomatique des Russes, ce qui
m'amène à une autre question, monsieur le Premier ministre. La nomination par
Boris Eltsine de M. Viktor Tchernomyrdine comme son représentant spécial pour
la Yougoslavie ne va-t-elle pas compliquer la gestion de cette médiation russe
? Il n'est, en effet, un secret pour personne que, si l'ancien Premier ministre
russe a de bonnes relations à Belgrade, mais aussi aux Etats-Unis, avec le
vice-président Al Gore en particulier, il en a de moins bonnes avec M.
Primakov, l'actuel Premier ministre.
La volonté d'associer la Russie à la recherche d'une solution ne peut se faire
qu'au travers de l'ONU car, monsieur le Premier ministre, qui peut aujourd'hui
faire accepter par les autorités yougoslaves les points de l'initiative du
secrétaire général approuvés par l'Union européenne à Bruxelles ?
Je les rappelle : la cessation immédiate de tous les actes de violence, le
retrait du Kosovo de toutes les forces militaires serbes, le déploiement d'une
force internationale militaire et le retour des réfugiés et des personnes
déplacées. Ce sont les exigences de la communauté internationale.
Sous la pression ou les « conseils » russes, Belgrade pourrait les accepter,
ce qui entraînerait la suspension des mesures militaires et ouvrirait la voie à
une solution politique. Mais, monsieur le Premier ministre, ces points de
l'initiative de Kofi Annan devront être inclus dans un projet de résolution du
Conseil de sécurité ; tout le monde en convient. Cependant ne risque-t-on pas
le veto des Russes et des Chinois si nous les déposons trop tôt ? Cela
bloquerait le processus de négociation.
Le point le plus épineux de l'acceptation par Belgrade, et donc par Moscou, de
cette initiative de Kofi Annan est celui qui concerne la Force internationale
militaire. La Force internationale militaire devrait impliquer la Russie, tout
comme elle l'est dans la SFOR en Bosnie, mais aussi, peut-être, l'Ukraine.
Comment fonctionnera cette force ? Quelle sera l'importance des forces
françaises, dont nous saluons le rôle tant au combat que dans les actions
humanitaires ?
Après l'accord politique que tout le monde souhaite aujourd'hui, il y aura le
problème de la gestion de cet accord. L'Union européenne a vocation à jouer ce
rôle, mais en a-t-elle la capacité ? Au premier rang des responsabilités,
l'Union européenne devra être prête - a dit à Bruxelles M. Chirac - à
intervenir de façon à permettre le retour des réfugiés, la reconstruction des
provinces et la mise en place d'une vie démocratique. Il s'agira donc de
prendre en charge, le moment venu et sous mandat de l'ONU, la gestion de
l'administration provisoire du Kosovo. Des propositions ont été adoptées par
les Quinze à Bruxelles, et nous nous en réjouissons.
Certes, monsieur le Premier ministre, comme vous l'avez dit vous-même, les
Quinze affirment leur rôle politique et leur responsabilité. A court terme,
sommes-nous prêts, monsieur le Premier ministre, nous Européens et nous
Français, et pouvons-nous, pour le long terme, définir une stratégie ? On note
- et c'est un grand espoir pour l'avenir - une totale solidarité des Quinze
autour des valeurs des droits de l'homme, des valeurs de la démocratie et de la
dignité humaine, et des valeurs humanistes.
L'Union européenne a aussi réaffirmé solennellement la solidarité morale et
financière avec les centaines de milliers de Kosovars en Albanie, en Macédoine
et au Monténégro. Mais, au-delà, ne devrons-nous pas tirer les leçons de ce
premier épisode aussi tragique de l'histoire de l'Union européenne et du plus
grand conflit en Europe depuis 1945, et peut-être, monsieur le Premier
ministre, ouvrir le débat sur les moyens de l'Europe, une force d'intervention
humanitaire permanente, un débat sur le concept stratégique de l'OTAN, et une
évolution vers une identité européenne de défense ?
Voilà, monsieur le Premier ministre, nos interrogations, et nous vous
remercions des explications que vous voudrez bien donner au Parlement.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Cabanel, au nom du groupe du Rassemblement démocratique et
social européen.
M. Guy Cabanel.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les
ministres, mes chers collègues, comme le disait Georges Clemenceau, serait-il
plus facile de faire la guerre que la paix ? On est certes tenté de le penser
aujourd'hui où, désespérément, on cherche une issue vers la paix. Pour les
membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, la paix est
plus importante que les péripéties de la guerre. Mais, pour le président
Milosevic, cela ne fait aucun doute, la paix est un intervalle entre deux
guerres. Guidé par un nationalisme exacerbé, il a entraîné le peuple serbe dans
l'engrenage fatal de la haine et du fanatisme qui conduit à la guerre.
Après la Slovénie, la Croatie, la Bosnie, aujourd'hui le Kosovo. Le conflit
que nous connaissons sur ce territoire n'est pas récent. Voilà dix ans, les
autorités de Belgrade ont retiré aux populations albanophones du Kosovo
l'exercice de leurs droits légitimes à l'autonomie. Dès lors, la répression
systématique a conduit à une radicalisation croissante et au cercle vicieux de
la révolte et de la violence.
Mais, depuis plus d'un an, il s'agit d'une véritable épuration ethnique. Les
forces armées et la police serbes sont largement impliquées aux côtés de
redoutables milices paramilitaires dans des destructions de villages entiers,
des exils forcés de populations terrorisées, voire des massacres.
Aucun des efforts déployés, et en particulier ceux qui l'ont été par la France
au sein du groupe du contact, pour parvenir à une solution politique équilibrée
et respectueuse des grands principes du droit international n'a pu entamer la
détermination de Slobodan Milosevic.
L'Europe pouvait-elle accepter que la paix soit menacée dans cette région
fragile, le respect des droits de l'homme bafoué à ses frontières ? Non, on ne
pouvait regarder, avec résignation, ces images terribles de cohortes de
réfugiés et laisser se développer le risque d'un embrasement de l'ensemble des
Balkans.
Par accord de M. le Président de la République et du Gouvernement, la France
s'est donc engagée militairement au sein de l'OTAN pour défendre la liberté et
la justice. Le peuple français a réagi avec dignité, sérénité et générosité, et
cela impose à la représentation nationale une solidarité autour de ce choix.
Mais le souci de la cohésion nationale ne doit pas pour autant nous empêcher
d'exercer un contrôle sur l'action gouvernementale. C'est pourquoi nous sommes
ici aujourd'hui pour vous poser des questions, monsieur le Premier ministre.
Vous nous l'avez confirmé, la détermination des Alliés comme des Quinze à
poursuivre l'action militaire jusqu'à ce qu'elle atteigne l'objectif fixé,
c'est-à-dire la destruction des moyens de répression dont disposent les
autorités serbes et le retour de ces dernières à la table des négociations,
reste entière.
Après plus de trois semaines de frappes aériennes et alors que les moyens
militaires devraient être renforcés ces jours-ci, pouvez-vous nous dire si des
signes existent d'un ébranlement quelconque de la volonté de Slobodan Milosevic
et d'un essoufflement de l'appareil militaire serbe ?
L'évolution interne du pouvoir en République fédérale de Yougoslavie
conditionne le passage à une nouvelle phase diplomatique dans laquelle la
Russie devrait jouer un rôle non négligeable. Y a-t-il des chances d'une
reprise d'un dialogue formel entre l'Alliance et la Russie dans un avenir
proche ? Cette étape favoriserait l'indispensable retour au premier plan de
l'ONU.
Les chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union européenne réunis hier, en
présence du secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, ont discuté d'un plan
de paix en quatre points : arrêt effectif des offensives contre les populations
civiles du Kosovo, retrait des troupes militaires et paramilitaires serbes de
la province, droit au retour des réfugiés, déploiement d'une force de sécurité
internationale. Ces objectifs sont sains. Encore faut-il, maintenant, les faire
partager plus largement dans l'Europe tout entière, au-delà de la seule assise
de l'OTAN.
Cette force d'interposition prévue doit-elle être une simple émanation de
l'OTAN - cela paraît bien difficile - ou bien engager la participation d'autres
nations placées sous l'autorité de l'ONU, ou même de l'OSCE, qui a déjà
pratiqué ce genre d'intervention ? Quelle est la position du Gouvernement
français sur ce point ?
Les initiatives et les déclarations se sont multipliées ces derniers jours,
apportant, certes, un début de réponse à ces questions, mais je souhaitais que
vous confirmiez ici quel est exactement le cap du Gouvernement français.
Enfin, le moment est venu de regarder avec réalisme l'avenir. Au Kosovo, il
n'aura que peu de rapport avec le passé ; ne nous trompons pas. Le principe
retenu à Rambouillet d'une autonomie substantielle de cette province au sein de
la République fédérale de Yougoslavie suffira-t-il à effacer les blessures de
la guerre ? Je crains que non. La mise en place de deux districts distincts au
sein de cette province me semble plus adaptée et permettrait sans doute aux
Serbes et aux albanophones de réapprendre à vivre ensemble, et cela va être
difficile.
Ayant rejeté l'idée d'une partition ou de l'indépendance du Kosovo, le
Gouvernement français envisage-t-il d'autres propositions pour le statut futur
de cette province dans la perspective de la nouvelle phase de négociations,
souhaitée par tous ? C'est en effet la paix dans les Balkans, la paix au Kosovo
et ailleurs, qui doit être le véritable but pour la France en ces temps
difficiles.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur plusieurs travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo, au nom du groupe communiste républicain et
citoyen.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les
ministres, mes chers collègues, nous entrons dans la quatrième semaine de
bombardements et des voix s'élèvent jusque chez les stratèges militaires pour
dire que les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous.
En réalité, les questions essentielles restent posées.
La répression, l'exode, les horreurs de l'épuration ethnique ont été
accélérés. Loin de s'effondrer, le pouvoir criminel de Milosevic,...
M. Emmanuel Hamel.
C'est bien de le reconnaître !
Mme Nicole Borvo.
... que nous condamnons sans appel, a été conforté, les démocrates serbes sont
encore plus muselés, sont assassinés.
Nos concitoyens ont manifesté un formidable élan de solidarité avec les
centaines de milliers d'enfants, de femmes et de vieillards chassés de chez
eux. Notre pays doit être à l'unisson de cette générosité pour porter secours
aux réfugiés, offrir l'asile à ceux qui le demandent. L'urgence s'impose.
Dans une situation aussi grave, ce qui importe, ce qui sera décisif, c'est de
prendre toutes les initiatives politiques et diplomatiques pour enrayer la
logique de guerre, pour obtenir l'arrêt de la purification ethnique, c'est
d'agir pour la réinstallation des Kosovars, dans la sécurité, au moyen d'une
force d'interposition européenne sous mandat de l'ONU, c'est d'exiger un statut
d'autonomie pour le Kosovo, c'est de réunir une conférence européenne pour la
sécurité et la reconstruction des Balkans.
Ce sont les propositions que nous faisons - depuis le début, pour certaines -
et qu'ont rappelées ici même Mme Hélène Luc et M. Jean-Luc Bécart.
On constate aujourd'hui que les conceptions ayant prévalu pour engager les
bombardements de l'OTAN - éviction de l'ONU, mise à l'écart de partenaires
comme la Russie, ainsi que le jeu de certains milieux occidentaux avec l'UCK -
aboutissent à un fiasco.
Les dirigeants américains, maîtres d'oeuvre avec l'OTAN, portent une grande
responsabilité.
Où est l'issue ? Certainement pas dans une fuite en avant militaire ou l'envoi
de troupes terrestres dans le cadre actuel de l'OTAN, comme certains
s'emploient à le réclamer.
Nous sommes donc très attentifs aux initiatives de la France pour s'engager et
engager l'Europe sur la voie diplomatique, ainsi qu'aux propos tenus dans ce
sens par vous-même, monsieur le Premier ministre, à l'Assemblée nationale,
mardi.
Aussi, nous avons estimé que le sommet européen tenu hier, à Bruxelles, avec
la présence du secrétaire général des Nations unies était le signe d'une
volonté européenne de reprendre l'initiative et de renouer avec le droit
international dont l'ONU doit être le garant.
La solution possible du drame que connaissent les Balkans a besoin de
l'engagement de l'Europe, de l'Union européenne, mais aussi d'autre pays de la
région, en particulier de la Russie, deux priorités affirmées par la France
auxquelles nous souscrivons.
Au sommet européen de Bruxelles, hier, l'ensemble des participants a soutenu
les propositions du secrétaire général de l'ONU, à savoir la cessation
immédiate de tous les actes de violence, le retrait des forces serbes, le
déploiement d'une force internationale de sécurité pour le retour des réfugiés.
Les Quinze veulent que ces propositions soient reprises par le Conseil de
sécurité. Ont été aussi entendues les propositions de la France de confier à
l'Union européenne l'administration provisoire du Kosovo, et les propositions
de l'Allemagne d'une conférence sur la stabilité dans les Balkans. En revanche,
le processus de paix envisagé par l'Allemagne, qui prévoit une réunion des
ministres des affaires étrangères du G 8, dont la Russie, la saisie du Conseil
de sécurité et une trêve militaire, n'a pas été étudié par les Quinze.
La tonalité des commentateurs ce matin ne nous permet pas de voir clairement
sur quelles possibilités peuvent déboucher les différentes propositions que je
viens d'évoquer.
Je vous demande, monsieur le Premier ministre, de bien vouloir préciser quel
est l'état de la discussion sur ces propositions avec les Russes et avec les
Américains.
La France et ses partenaires vont-ils s'engager avec détermination pour donner
ses chances à une solution politique qui suppose arrêt des bombardements et de
la guerre sur le territoire du Kosovo, ou vont-ils répondre aux sollicitations
de l'OTAN d'accentuer le potentiel des frappes ?
Ma seconde question portera sur ce qui s'est passé hier, à savoir le
bombardement d'un convoi de réfugiés ayant fait au moins soixante-quinze morts.
L'OTAN reconnaît, cet après-midi seulement, partiellement sa responsabilité.
C'est un fait gravissime.
Nous souhaitons avoir des éclaircissements sur un événement qui bouleverse
légitimement l'opinion, d'autant que, depuis trois semaines, l'OTAN continue
d'accréditer la fiction d'une guerre « propre ».
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
et sur quelques travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Arthuis, au nom du groupe de l'Union centriste.
M. Jean Arthuis.
Monsieur le Premier ministre, je souhaite en premier lieu réaffirmer le
soutien du groupe de l'Union centriste à la politique conduite par votre
gouvernement, sous l'autorité du Président de la République. Lorsque, sur le
territoire européen, la démocratie et les droits de l'homme sont piétinés,
lorsque l'épuration ethnique tient lieu de politique, lorsque la tyrannie
accable une population entière, la France s'engage au nom de la liberté. Elle
prend toute sa place dans le dispositif déployé par l'OTAN pour contraindre le
pouvoir de Belgrade à mettre un terme aux atrocités et reprendre les
négociations en vue d'une paix durable dans les Balkans.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean Arthuis.
Dans ce contexte particulièrement grave, dramatique, nous ne pouvons que
soutenir la détermination de la France...
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean Arthuis.
... à poursuivre l'action militaire concertée dans laquelle elle est entrée,
avec l'espoir que chacun revienne au plus vite à la table des négociations.
S'il est vrai que des voix discordantes se font parfois entendre ça et là,
nous ressentons, dans cette épreuve, que nos compatriotes sont rassemblés sur
l'essentiel. Le groupe de l'Union centriste tient à cet égard à saluer le
courage de nos militaires prenant part aux opérations, comme le fort élan de
solidarité populaire qui se manifeste à travers les actions humanitaires.
Nous attendons une solution diplomatique et politique. Après une décennie de
balbutiements et de contradictions, les partenaires européens prennent enfin
conscience de la nécessité absolue d'unir leurs initiatives, leurs efforts et
leurs moyens. Depuis un siècle, l'Europe politique a maintes fois manqué
succomber à cause des Balkans. Mais, aujourd'hui, nous espérons ardemment qu'il
va en être autrement. Pour l'Europe démocratique, la solution passe par
l'union. Pour cet espace meurtri que sont les Balkans, la solution passe par
l'Europe.
Les échos du Conseil européen qui s'est tenu hier à Bruxelles sont à cet égard
encourageants. Une réelle convergence de vues est apparue : les pays
participants ont en effet approuvé les propositions du secrétaire général de
l'ONU, M. Kofi Annan. Ces propositions devront bien sûr, pour prendre toute
leur portée, être adoptées dans une résolution de l'ONU. Cela implique de
préserver l'indispensable dialogue avec la Russie, afin de dégager une vision
commune de la résolution de cette crise. La deuxième étape consisterait - et
c'est une initiative de la France - à ce que l'Union européenne soit chargée
par le Conseil de sécurité des Nations unies d'assumer l'administration
provisoire du Kosovo, lorsque, comme nous l'espérons tous, nous serons parvenus
à un accord politique.
Mais nous devons aller plus loin et définir nos obligations en matière de
développement. Cette réflexion doit d'ailleurs s'inscrire dans un contexte
géopolitique plus global. Au Sud, le bassin méditerranéen risque de connaître
une instabilité croissante. A l'Est, après la disparition du rideau de fer,
plusieurs pays de l'Europe centrale ont été reconnus aptes à entrer rapidement
dans l'Union européenne. D'autres accusent un retard économique et social
dramatique : à l'évidence, la dictature et le terrorisme se nourrissent du
terreau de la misère. Nous devons aujourd'hui prendre toutes nos
responsabilités. Oserai-je dire qu'il s'agit tout bonnement de développer une
fraternité européenne ? Il y a urgence et nécessité absolue à sortir
durablement du chaos les populations des Balkans. Elles ont besoin de
reconnaissance, de respect, de considération et d'espérance.
Pensez-vous alors, monsieur le Premier ministre, que l'Europe est aujourd'hui
prête à concevoir enfin un effort sans précédent pour mettre en oeuvre un plan
énergique de développement économique et social dans cette région ? Ce serait
là l'expression forte et réelle de l'Union politique européenne. Ne serait-ce
pas aussi l'appel lancé par toutes celles et tous ceux qui, dans la France
entière, manifestent spontanément leur solidarité en venant en aide aux
réfugiés kosovars ?
Monsieur le Premier ministre, j'aimerais que vous nous fassiez part de vos
intentions, de votre résolution à l'égard d'un tel plan de développement
économique et social dans les Balkans.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Seillier, au nom de la réunion administrative des sénateurs
ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
M. Bernard Seillier.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les
ministres, mes chers collègues, j'apprécie l'effort diplomatique intense que
continue à déployer la France parallèlement à son engagement en Yougoslavie aux
côtés des alliés de l'OTAN. Il est éminemment souhaitable que cet effort
aboutisse rapidement, dès lors que le drame humanitaire que l'intervention
aérienne devait empêcher est largement consommé.
Cette relative déconvenue n'est pas imputable à l'exécution des missions qui a
été, jusqu'à ces derniers jours, irréprochable. Les pilotes et tous les
personnels doivent être complimentés.
Quel sens donner alors aux renforts conséquents demandés en ce moment même,
puisque l'espace aérien est entièrement contrôlé par les forces de l'OTAN ? Une
seule explication paraît plausible : la destruction des installations
économiques de la Yougoslavie, à laquelle l'engrenage de l'intervention a
conduit, devrait être d'urgence achevée, car le pilonnage aérien infligé par ce
que la terre porte de plus puissant suscite déjà l'incrédulité et, demain
peut-être, une franche réprobation.
La longueur d'une guérilla est intellectuellement compréhensible. Celle d'un
bombardement massif ne peut pas l'être. Une course est aussi engagée contre la
menace d'extension du conflit dans les Balkans. Mon hypothèse est-elle la
bonne, monsieur le Premier ministre ?
On ne fait pas la guerre à un peuple mais à un régime, dit-on. Il n'empêche
que les infrastructures économiques détruites sont celles d'un peuple, plus que
celles d'un régime. Puisque la logique de notre intervention est celle de la
paix et que l'endurcissement du président Milosevic semble conduire à exténuer
économiquement son pays, notre mission doit d'autant plus clairement signifier
sa finalité pacifique et ne s'achever qu'avec la réinstallation des populations
aussi bien serbes que kosovars sur leurs territoires, dans des conditions plus
confortables et plus sûres qu'avant le déclenchement de l'intervention de
l'OTAN.
Il est impossible d'examiner en cinq minutes la liste des difficultés qui
restent à surmonter. Je citerai seulement le problème du statut et de
l'administration de la Yougoslavie. C'est sur cette question qu'il faut
aujourd'hui concentrer la réflexion au sein de l'Union européenne. Je sais que
vous vous y employez activement avec le Président de la République, qui a
formulé hier d'importantes propositions. Nous souhaiterions recevoir quelques
éclaircissements à ce sujet.
Il faut restaurer la confiance à la fois de la population serbe, totalement
désorientée, et des albanophones du Kosovo, traumatisés par les persécutions
subies. Je pense, comme d'autres, que l'OSCE pourrait être opportunément
appelée à jouer un rôle important dans le plan à négocier avec tous les
intéressés.
Qui supportera, par ailleurs, l'effort de reconstruction ? L'élan de
générosité à l'égard des réfugiés constitue un signe d'espoir d'un large
consentement.
Je souhaite enfin évoquer brièvement la nouvelle dynamique de l'organisation
mondiale qui a été plus qu'esquissée par cette guerre d'un nouveau type.
Est-elle de nature à fonder une jurisprudence stable ? A partir de quel seuil
d'appréciation d'une atteinte aux droits de l'homme l'OTAN considérera-t-elle
qu'une intervention s'imposera désormais ? Comment apprécier la situation de la
Turquie et du peuple kurde sur cette échelle ? Où se trouve situé dans cette
graduation le non-respect des résolutions 425 et 426 du Conseil de sécurité
relatives au Sud-Liban ? Comment apprécier la situation du Soudan, du Rwanda,
les massacres en Algérie ? L'impuissance d'un régime à empêcher les exactions
et sa malfaisance directe sont-elles comparables ?
Ces questions et bien d'autres se poseront désormais dans le prolongement de
la logique de l'intervention de l'OTAN. Selon quels critères et quelles
procédures désigner les « nations dévoyées », selon la formule en usage à
Washington, et avec quels moyens et méthodes les ramener sur le droit chemin
?
Mme Madeleine Albright a déclaré, devant une commission du Sénat américain,
lors de sa nomination au poste de secrétaire d'Etat, que les Etats-Unis
devaient se faire « les auteurs de l'histoire de notre ère ». Ils sont,
disait-elle, « plus grands que les autres et voient donc plus loin ». Elle
détient donc certainement une réponse à certaines des questions que je soulève
!
Je souhaite, monsieur le Premier ministre, que la France ait aussi son propre
point de vue sur ces questions, au sein de l'Europe et avec l'Europe, et
qu'elle le fasse savoir. Nous le voyons en ce moment : la guerre ou la paix
peuvent en dépendre.
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous déjà nous fournir quelques réponses
à ces interrogations ?
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je suis heureux de pouvoir m'exprimer devant vous aujourd'hui, ce
que je n'avais pu faire directement depuis le début du conflit. Présent aux
obsèques de Michel Crépeau, je n'avais en effet pu assister à la dernière
séance de questions d'actualité au Gouvernement au Sénat, alors que j'avais
l'intention de m'exprimer à cette occasion devant vous sur ce sujet.
Cela étant, dès le début des frappes, je me suis entretenu avec M. le
président Poncelet et j'ai pris l'initiative de réunir régulièrement vos
présidents de groupe et de commission, au côté de vos collègues députés ; je le
referai la semaine prochaine. Par ailleurs, les ministres des affaires
étrangères et de la défense, le secrétaire d'Etat à la coopération - ce dernier
étant plus particulièrement chargé de l'aspect humanitaire - sont venus à
plusieurs reprises devant la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées du Sénat.
Enfin, la précieuse initiative de votre conférence des présidents d'inscrire
cette séance de questions à votre ordre du jour me donne l'occasion,
conformément à mon souci permanent, de vous entendre et de vous informer.
A l'instant, j'ai eu l'opportunité d'écouter vos analyses et vos suggestions.
Elles seront utiles au Gouvernement.
Pour répondre à vos questions aujourd'hui, je me situerai en premier lieu,
comme je l'ai fait devant l'Assemblée nationale il y a deux jours, sur le
terrain diplomatique. MM. Del Picchia et Cabanel ont particulièrement axé leurs
questions sur ce volet.
C'est un terrain que nous n'avons jamais délaissé, je le rappelle, car notre
objectif demeure le règlement politique de la crise du Kosovo. Il est apparu,
au terme de nombreux mois de tentatives et d'efforts diplomatiques - que
l'obstination des autorités serbes à refuser tout compromis a rendus
infructueux -, que l'option militaire devenait le dernier moyen de parvenir à
l'objectif que nous nous étions fixé.
L'efficacité de l'action de l'OTAN suppose une détermination sans faille, à
laquelle les autorités françaises ne dérogeront pas.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Notre pays continuera également à répondre
généreusement aux impératifs humanitaires exigés par la situation des réfugiés
kosovars. Mais les ressources de la diplomatie doivent en même temps être
mobilisées.
La légimité de notre action actuelle en République fédérale de Yougoslavie, au
côté de nos alliés, est fondée sur les résolutions et les exigences du Conseil
de sécurité des Nations unies. Le Gouvernement français, en accord avec le
Président de la République, est convaincu que c'est au même Conseil de sécurité
qu'il reviendra de définir le cadre d'une solution politique au Kosovo et les
mécanismes de sa mise en oeuvre.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes. - M. Cabanel
applaudit également.)
Nous nous sommes réjouis, à cet égard, de la déclaration du secrétaire
général des Nations unies, le 9 avril, qui a opportunément rappelé l'ensemble
des conditions posées par la communauté internationale au régime yougoslave,
démontrant ainsi l'implication croissante des Nations unies en vue d'une
solution à la crise.
Cette implication, que j'avais appelée de mes voeux, s'est de nouveau
concrétisée hier avec la participation - pour la première fois dans notre
histoire commune d'Européens - de M. Kofi Annan au Conseil de Bruxelles
consacré au Kosovo.
De même, la permanence des contacts entretenus avec la Russie par les pays
occidentaux engagés dans l'action au Kosovo, notamment par la France, est le
signe d'une volonté commune de travailler ensemble à une issue politique. C'est
fondamental, et je pense que la Russie a les capacités de jouer un rôle
déterminant dans la résolution de cette crise si elle est étroitement associée
aux efforts pouvant conduire à un règlement politique, sous l'égide des Nations
unies. Telle est bien l'approche de la France.
Je dirai même que je souhaite que la Russie s'implique davantage. J'espère que
la nouvelle responsabilité confiée, à cet égard, par le président Eltsine à M.
Tchernomyrdine - que j'ai eu l'occasion de connaître personnellement lorsqu'il
était Premier ministre de la Fédération de Russie - permettra une mobilisation
positive dans la recherche d'une solution.
Quant à l'Union européenne - qui est au premier rang pour l'aide engagée en
faveur des réfugiés du Kosovo, grâce à la mobilisation de ses Etats membres et
avec le soutien de leurs populations - elle doit, selon moi, affirmer son rôle
politique et sa responsabilité s'agissant d'un conflit qui se déroule à ses
portes et d'enjeux de liberté et de sécurité qui la concernent au premier
chef.
Oui, le combat pour la démocratie et les droits de l'homme, face au dernier
régime du continent européen qui les bafoue de manière inique, est un combat
digne de l'Europe libre, pacifique et prospère que nous voulons construire.
C'est le motif profond de l'assentiment lucide et réfléchi de la majorité des
citoyens français et européens en faveur de l'action de l'Europe.
Le Conseil européen qui s'est tenu hier à Bruxelles - tous les orateurs ont
évoqué cette réunion - a montré que nous y étions tous résolus, malgré les
nuances qui existent entre les pays européens. Cette réunion, à laquelle je
participais au côté du Président de la République, a porté en majeure partie
sur la situation au Kosovo et elle s'est déroulée en présence du secrétaire
général des Nations unies, participation qui s'est révélée bénéfique et
utile.
Lors de cette rencontre, les chefs d'Etat et de Gouvernement ont rappelé leur
détermination à ne pas tolérer les pratiques d'assassinat et de déportation
perpétrées au Kosovo et estimé qu'il était nécessaire et légitime d'appliquer
les mesures les plus sévères, y compris les actions militaires.
Ils ont rappelé que l'objectif fondamental était d'instaurer un Kosovo
multi-ethnique et démocratique, au sein duquel tous les habitants puissent
vivre en paix et en sécurité. Les autorités yougoslaves seront tenues
responsables pour la sécurité et le bien-être des réfugiés du Kosovo.
Les gouvernements européens ont apporté leur soutien unanime à la déclaration
du 9 avril du secrétaire général des Nations unies, qui résumait en ces termes
les exigences de la communauté internationale à l'égard de M. Milosevic : « la
cessation immédiate de la campagne d'intimidation et d'expulsion de la
population civile du Kosovo ; le retrait sans délai des troupes militaires et
paramilitaires de la province ; l'acceptation sans condition du droit au retour
des réfugiés et des personnes déplacées ; l'acceptation d'une force militaire
internationale chargée de garantir les conditions du retour des réfugiés et les
conditions d'acheminement de l'aide humanitaire ; l'acceptation d'un mécanisme
de vérification international de la mise en oeuvre de ces engagements ».
Ils ont souligné également la nécessité du vote par le Conseil de sécurité des
Nations unies d'une résolution sous chapitre VII intégrant les différentes
conditions énumérées par M. Kofi Annan le 9 avril.
Enfin, le Conseil européen de Bruxelles, sensible à la dimension régionale de
la crise et soucieux d'offrir à l'ensemble de la région balkanique une
perspective d'espoir et de rapprochement avec l'Union européenne, a décidé de
convoquer une conférence sur l'Europe du Sud-Est qui arrêtera des mesures
susceptibles de favoriser dans la région une stabilisation durable, la
sécurité, la démocratisation et la reconstruction économique.
L'Europe démocratique, pacifique et prospère est prête, je vous le confirme -
et le Gouvernement français y est déterminé - à faire tous les efforts pour que
les Balkans rejoignent vraiment notre temps et notre Europe.
Par ailleurs, vous le savez, à la suite d'une proposition du Président de la
République, faite au nom des autorités françaises, l'Union européenne a fait
part de sa disponibilité à assumer la charge d'une administration
internationale intérimaire pour la mise en oeuvre des dispositions de l'accord
politique qui sera un jour conclu entre les parties, ou qu'il faudra imposer
aux autorités de Belgrade. Les discussions à quinze se poursuivront, à cet
égard, dans les prochains jours.
Mardi, mesdames, messieurs les sénateurs, je relevais que le contexte dans
lequel se déroulait le conflit du Kosovo commençait à bouger. Ces dernières
quarante-huit heures semblent confirmer, de manière encore modeste mais réelle,
un certain nombre de signes positifs. Nous nous devons toutefois de rester
prudents : à ces différentes initiatives convergentes ne nous parvient encore
aucune réaction satisfaisante de Belgrade.
Entendons-nous bien : si nous sommes effectivement dans une remontée en
puissance de la diplomatie, nous n'en restons pas moins dans une
intensification de la pression militaire qu'exige le comportement obstiné de M.
Milosevic.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez comme moi que les autorités de
Belgrade persistent dans leur refus d'une solution politique, dont les
principes - qu'après M. Kofi Annan je rappelais tout à l'heure - paraissent
pourtant raisonnables à la communauté internationale. C'est pourquoi les
frappes se poursuivent, à la fois contre le système de commandement et de
contrôle de l'appareil militaire serbe et contre les forces engagées dans la
répression au Kosovo. Nos moyens militaires y participent résolument, d'une
part en veillant à circonscrire le conflit, d'autre part en participant à
l'accueil et à la sécurité des réfugiés. L'actualité montre combien c'est
difficile, j'y reviendrai dans un instant.
Le dispositif militaire français est en tout cas engagé dans deux directions :
les missions aériennes, la présence au sol en Albanie et en Macédoine.
Les missions aériennes, sur lesquelles M. Plasait m'a notamment interrogé,
sont assurées aujourd'hui, du côté français, par près de soixante avions
appartenant à l'armée de l'air et à la marine. Ces avions opèrent à partir de
bases aériennes situées en Italie et sur le territoire national ainsi qu'à
partir du porte-avions
Foch,
déployé en Adriatique. Ils participent à
toutes les formes de missions conduites, de jour comme de nuit, par l'ensemble
des Alliés.
Afin de maintenir en vol au-dessus de la province une permanence de
l'intervention des avions de l'Alliance, des renforts importants seront
prochainement envoyés sur le théâtre des opérations, en particulier par les
Américains.
Quant à la poursuite de l'action militaire, sur laquelle vous avez été
plusieurs à m'interroger, elle fait l'objet d'échanges approfondis et
permanents entre tous les gouvernements alliés, qui doivent en conserver la
stricte maîtrise. Autour du Président de la République, nous travaillons
quotidiennement dans cet esprit.
Il s'agit d'étouffer les forces de répression serbes, de les frapper où
qu'elles se trouvent. Cette tactique a d'ores et déjà permis d'obtenir des
résultats très significatifs : 70 % des stocks de carburant ont été détruits,
la mobilité des forces serbes est très ralentie, leur capacité de réparation et
de maintenance est extrêmement réduite.
Aujourd'hui, les forces militaires et paramilitaires serbes, au Kosovo, se
trouvent isolées, gênées dans leur approvisionnement. Cependant, dispersées,
immobilisées, elles se terrent, ce qui les rend plus difficilement détectables.
Elles n'en sont pas moins vulnérables, et désormais soumises à un harcèlement
sans répit.
Nous avons tous été très émus par la nouvelle parvenue hier après-midi selon
laquelle des réfugiés avaient été victimes de bombardements au Kosovo, à
quelques kilomètres de la frontière albanaise. Mme Borvo m'a tout
particulièrement interrogé sur ce point.
Nous sommes dans l'attente - en tout cas, au moment où je vous parle - des
résultats de l'enquête conduite par l'OTAN, et notamment de la restitution des
films pris par les avions alliés engagés, à cette heure-là, dans la région.
Le général Clark, commandant des opérations alliées en République fédérale de
Yougoslavie, s'attache personnellement, m'a-t-on dit, à vérifier les faits et à
contrôler les allégations serbes. A ce stade une grande prudence s'impose dans
l'analyse de l'événement. Nous n'écartons en effet ni une méprise, qui serait
dramatique, ni une manipulation, qui serait odieuse.
Notre engagement militaire ne se résume pas, vous le savez, aux opérations
aériennes. Nos soldats sont également présents en Albanie et en Macédoine.
En Albanie, la force de sécurisation des opérations humanitaires se met en
place. Son état-major sera à pied d'oeuvre demain soir. Nous avons déjà, sur
place, plus de 200 hommes, qui soutiennent l'action humanitaire, et nous
envoyons près de 500 soldats supplémentaires, qui seront chargés, en priorité,
de l'accueil des réfugiés à la frontière, de leur prise en charge immédiate,
notamment médicale.
En Macédoine, la brigade française a été renforcée en moyens perfectionnés de
renseignement. Forte, maintenant, de près de 3 000 hommes, elle poursuit sa
double mission de sécurisation de cette zone face au Kosovo et de soutien à
l'action humanitaire au profit des réfugiés. Elle se tient également prête pour
participer, le moment venu, à une force internationale de sécurité qu'il sera
nécessaire de déployer au Kosovo pour faire respecter un règlement
politique.
Je vous le redis, nous souhaitons que cette force relève d'une résolution du
Conseil de sécurité. Elle répondra ainsi à notre double souci d'agir dans le
cadre du droit international et de doter la force des moyens nécessaires à son
efficacité.
Dans la situation difficile d'aujourd'hui, je tiens à renouveler mon hommage
et à redire mon soutien aux 7 000 militaires français déployés sur ce théâtre
d'opérations.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur
celles du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants. - M. Paul Loridant applaudit également.)
J'en viens maintenant à la crise humanitaire que M. Milosevic a organisée
délibérément à l'intérieur comme à l'extérieur du Kosovo, et M. Claude Estier
et d'autres orateurs ont évoquée.
La situation des personnes déplacées dans la province du Kosovo est, pour
nous, un motif de très grave inquiétude. Leur nombre précis nous est inconnu ;
il s'agit peut-être de plusieurs centaines de milliers de personnes, dont les
conditions d'existence deviennent chaque jour plus précaires. Les exactions
auxquelles elles seraient soumises nous préoccupent énormément.
Je souhaite ici, solennellement, mettre de nouveau en garde le pouvoir serbe
contre les conséquences de son attitude et le comportement de ceux qui, au
Kosovo, exécutent sa politique.
Nous sommes déterminés à porter, là comme ailleurs, un coup d'arrêt aux
desseins de M. Milosevic. Il devra rendre des comptes devant son peuple, devant
l'histoire et, peut-être, devant la justice internationale.
Quant aux réfugiés et aux personnes déplacées en dehors du Kosovo, leur nombre
global est aujourd'hui d'environ 640 000. Comme vous le savez, les expulsions
massives dont les Kosovars ont fait brutalement l'objet ont créé d'énormes
besoins humanitaires auxquels il a fallu répondre dans l'urgence. Cette réponse
immédiate, nous l'avons apportée.
La situation en Albanie et en Macédoine s'est désormais nettement améliorée.
Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés est le coordinateur
principal de l'aide humanitaire internationale, ce qui constitue un gage
d'efficacité.
Sur le terrain, à la demande du haut-commissaire pour les réfugiés, Mme Ogata,
l'OTAN apporte sa contribution à cet effort par un dispositif destiné à la
coordination logistique, d'une part, à la sécurisation de l'arrivée, de
l'acheminement et de la distribution de l'aide humanitaire dans les camps,
d'autre part. N'oublions pas que nous sommes dans des zones fragiles et souvent
exposées.
La France a, pour sa part, consenti très vite un effort important : 225
millions de francs d'aide directe financée par le budget de l'Etat.
A ce jour, les armées françaises ont effectué plus d'une centaine de rotations
d'avions entre Istres, Tirana et Skopje, et presque autant de rotations
d'hélicoptères entre Tirana et Kukes, pour transporter plus de 800 tonnes de
fret humanitaire. Aujourd'hui, d'ailleurs, M. Charles Josselin, le ministre de
la coopération et de la francophonie, est sur la base d'Istres, où il témoigne
de la solidarité du gouvernement français auprès de nos militaires.
La mobilisation de nos concitoyens est, elle aussi, exemplaire.
Il m'est impossible de rendre compte de toutes les initiatives prises par nos
compatriotes, par des particuliers ou par des collectivités locales, par de
petites associations ou par de plus importantes. Plusieurs milliers de tonnes
de biens de première nécessité ont été collectés. Ceux qui ne sont pas
transportés directement par les associations le sont par les soins de l'Etat,
par voie aérienne ou maritime.
Des coordinnateurs humanitaires ont été désignés à Tirana et à Skopje. Ils
s'appliqueront, en liaison avec les organisations non gouvernementales, les
ONG, à vérifier la bonne distribution de cette aide, conformément aux voeux des
Français qui l'ont rendue possible.
Un exemple parmi d'autres : près de 1 200 000 colis, collectés et acheminés
par la Croix-Rouge française et La Poste, devraient quitter très prochainement
Marseille pour la Macédoine et l'Albanie, par des moyens aériens et maritimes
civils et militaires, affrétés par l'Etat.
Qu'il me soit permis ici de rendre un hommage chaleureux à tous ceux qui
participent à l'ensemble de cette mobilisation, en France et autour du
Kosovo.
Je voudrais, enfin, relever la généreuse réponse apportée par nos compatriotes
concernant l'accueil en France de familles de réfugiés, notamment à la faveur
de la mise en place d'un numéro vert.
Je l'ai dit à plusieurs reprises, l'urgence est d'organiser et de protéger les
réfugiés du Kosovo au plus près de leur région d'origine, là où ils se
trouvent, en Albanie et en Macédoine principalement, pour préparer leur retour
dans leur pays. C'est ce qu'ils souhaitent.
Comme vous le savez, la France a mis en place des procédures adaptées pour
répondre à la demande des réfugiés qui souhaiteraient trouver asile et
protection sur notre territoire. Ces procédures répondent à des principes
simples qui sont ceux qu'a établis le droit international : volontariat des
candidats au départ et identification des réfugiés assurée par les services du
Haut-commissariat pour les réfugiés. Les réfugiés volontaires ainsi identifiés
seront exemptés de la formalité de visa et bénéficieront d'un titre de séjour
temporaire d'une validité d'un an.
Ces procédures vont prendre un peu de temps, en raison, notamment, de
problèmes d'identification qui relèvent du HCR. Nous nous efforçons d'accélérer
et de faciliter les choses. M. Bernard Kouchner, ici présent, est impliqué dans
ce travail.
Dans tous les cas, les familles françaises ou les familles d'étrangers vivant
en France qui se sont manifestées seront contactées par les services des
directions départementales de l'action sanitaire et sociale, les DDASS, afin
d'examiner les modalités pratiques de l'accueil projeté.
En parallèle à cette réponse française, l'Union européenne a mobilisé pour
l'aide aux réfugiés et aux pays d'accueil un total de 250 millions d'euros.
Cela représente une part française supplémentaire de 282 millions de francs. Je
tiens à mettre l'accent, aujourd'hui, sur la très grande complémentarité de
l'action des pays européens sur le terrain. C'est en association et en étroite
coordination avec nos partenaires que nous avons su être efficaces dans
l'urgence.
Nous travaillons avec les Anglais dans les camps d'accueil de Macédoine. Nous
sommes, avec les Italiens, sur la base logistique de Kukes. Nous gérons avec
les Allemands un camp de transit à Fajza, à côté de Krume, et nous leur
apportons notre soutien au camp de Spital.
De la même façon, les Européens vont mobiliser la communauté internationale,
en vue d'apporter aux Etats de la région affectés par le conflit l'aide à la
reconstruction et pour le développement dont ils ont un besoin urgent. MM.
Arthuis et Seillier ont évoqué cette question. Cela a été confirmé au Conseil
européen d'hier. Le Gouvernement s'en réjouit, puisque, vous le savez, nous
avions pris l'initiative de saisir le FMI et la Banque mondiale en ce sens.
Ces différents exemples montrent, mesdames, messieurs les sénateurs, que
l'Union européenne dans son ensemble, dans ses institutions comme dans sa
population, est entièrement solidaire et mobilisée. L'Europe et les Européens
sont conscients de leur responsabilité devant l'histoire et devant les
populations déshéritées du Kosovo. Je sais aujourd'hui que leur détermination
est entière. C'est notre honneur et notre force.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur celles du RDSE, de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants. - M. Paul Loridant applaudit
également.)
M. le président.
Monsieur le Premier ministre, me faisant l'interprète de tous les sénateurs,
je vous remercie d'avoir répondu avec le plus de précision possible, compte
tenu de la situation, aux légitimes préoccupations de tous les intervenants.
Ainsi donc, par vos soins, le Parlement, et en particulier le Sénat, se trouve
informé de l'évolution de la douloureuse opération du Kosovo.
Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement sur la
situation du Kosovo.
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