Séance du 27 avril 1999
M. le président. La parole est à M. Gournac, auteur de la question n° 391, transmise à M. le ministre délégué à la ville.
M. Alain Gournac. Je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre, sur l'ampleur des dégradations causées par les graffitis sur les façades de nos bâtiments tant publics que privés.
En effet, de même que notre patrimoine architectural, ancien ou moderne, c'est l'image de notre pays tout entier qui est en permanence atteinte. Aucune région n'échappe à ce fléau.
Bien entendu, il faut ajouter à ce patrimoine architectural le mobilier urbain - cabines téléphoniques, abribus, panneaux de signalisation - et les moyens de transports en commun : métro, RER, trains.
Le nettoyage, qui coûte très cher à la collectivité, est une histoire sans fin. Les élus locaux le savent et demeurent désemparés, partageant la colère et l'indignation de leurs administrés.
Si les inscriptions sur les murs ne sont pas apparues avec la mise sur le marché des bombes aérosols, elles se sont considérablement développées avec ce produit à la fois maniable et dissimulable.
J'attire votre attention, monsieur le ministre, non seulement sur ces marquages qui dégradent l'environnement quotidien de nos villes, de nos lieux de promenade, de nos moyens de transports, mais aussi sur cette dégradation en tant qu'elle contribue au sentiment de malaise, voire d'insécurité de nos concitoyens.
Monsieur le ministre, ce problème est fort préoccupant, car ces dégradations, que nos concitoyens ont sans cesse sous les yeux, finissent par donner aux violences urbaines de toutes sortes un décor qui semble insidieusement les autoriser.
Je vous demande s'il ne conviendrait pas de réglementer la vente de ces produits, et ce à l'échelle européenne. Je vous demande également quelles mesures d'accompagnement, notamment en matière d'éducation civique, dont il est largement question à l'heure actuelle, pourraient être envisagées pour mettre un terme à cette pratique encouragée par le laxisme ambiant quand ce n'est pas par une démagogie prête à tout justifier.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville. Monsieur le sénateur, vous attirez mon attention sur des dégradations de façades, véhicules ou mobiliers urbains par les graffitis. Depuis le milieu des années quatre-vingt, les tags constituent la forme la plus visible de ces graffitis urbains. Ils prolifèrent pour une large part dans les espaces publics, dont ils sont les modes actuels d'appropriation pour une jeunesse souvent issue de zones d'exclusion urbaine, sociale et politique. Visés par le nouveau code pénal - articles 322-1, alinéa 2, à 322-3 - les tags sont passibles de poursuites : ils constituent un délit lorsqu'ils sont indélébiles et une contravention lorsqu'ils sont effaçables.
Les statistiques relatives à la délinquance ne permettent pas de mesurer spécifiquement ce phénomène. L'état 4001 de la police nationale mentionne trois catégories de destructions et de dégradations parmi lesquelles se situent les tags et les graffitis, sans qu'il soit possible de les isoler et d'en mesurer la part réelle.
Il est possible de dégager trois types de réponses. Mais là aussi, monsieur le sénateur - comme c'est bien souvent le cas des problèmes liés aux difficultés urbaines -, il est difficile d'apporter une « réponse miracle », et l'attitude des municipalités et des transporteurs qui sont victimes de ce genre de comportement varie en fonction des moments.
Trois types de réponses sont envisageables, disais-je : celles qui visent à reprendre en main des lieux en associant nettoyage, protection, surveillance, dissuasion et répression ; celles qui s'inscrivent dans une statégie esthétique tentant de canaliser la « frénésie graphique » des tagueurs afin de l'orientrer vers des formes d'expression artistiques légitimes ; celles qui posent la question de la non-place des jeunes dans la ville et la société.
Les politiques menées par la RATP et la SNCF se situent dans cette stratégie. Elles associent mesures techniques spécifiques, information et dissuasion, ainsi que répression. Elles comprennent aussi la réalisation de fresques avec des jeunes encadrés, pour essayer de démontrer que, sans interdire ce phénomène, il est possible d'essayer de définir les endroits où peut s'exercer ce genre d'expression artistique - si je peux employer cette expression, mais, parfois, un certain nombre de ces inscriptions relèvent d'une réelle expression artistique - et les endroits où l'on n'a pas du tout à procéder à ce genre d'oeuvres picturales.
D'une manière générale, les politiques menées sont confrontées à des limites. En effet, les produits utilisés par les tagueurs sont plus agressifs que par le passé, et les auteurs s'adaptent aux réponses techniques en diversifiant leur pratique (rayures et gravures sur les vitres et les parois, par exemple). Ils causent de nouveaux dégâts plus coûteux.
La politique de la tolérance zéro - nettoyage et réparation systématique et rapide - même associée à une approche dissuasive et à une répression ciblée fondée notamment sur la réparation, rencontre ses propres limites, liées notamment à la logique de surenchère et à l'insuffisante prise en compte du contexte.
De la même manière, les projets visant à orienter les tagueurs vers des démarches graphiques structurées s'exposent à une contradiction fondamentale : en effet, comment canaliser ce qui relève de la transgression ?
Il est permis de douter de l'utilité d'une réglementation de la vente des bombes aérosols sachant que les jeunes fabriquent de plus en plus souvent eux-mêmes leurs peintures et utilisent d'autres produits, d'autres outils.
De toute évidence, monsieur le sénateur, la réponse doit être globale, elle doit associer les trois niveaux mentionnés plus haut et mobiliser les différents acteurs de la ville en associant les jeunes dans une logique de proximité.
Pour faire face à l'une de vos demandes, je relève que, au-delà de l'éducation civique, il conviendrait d'apprendre la ville à nos concitoyens, et le plus tôt possible. Le phénomène urbain doit être pris en compte, sur le modèle des classes de mer et des classes de neige.
Pour conduire au respect et à la compréhension de la ville, nous avons décidé de lancer un programme de classes de ville. Ainsi, les jeunes pourront comprendre l'utilité des pouvoirs publics sur le plan local : des municipalités, des commissariats, des services publics, notamment des transports. Ils pourront mieux comprendre le fonctionnement de la ville et la raison pour laquelle il faut à la fois l'apprécier et la respecter en tant que lieu de vie commun.
Je sais qu'il s'agit d'un travail de longue haleine, mais c'est aussi cela la problématique urbaine : essayer de voir comment on peut interdire lorsque cela doit être interdit et comment on peut enseigner lorsqu'il faut apprendre. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Paul Girod. Très bien !
M. Alain Gournac. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le ministre, je vous ai certes écouté avec beaucoup d'attention, mais lorsqu'un maire fait réhabiliter et nettoyer un bâtiment et que celui-ci est dégradé par des graffitis dès que les travaux sont terminés, l'aspect artistique de ces dessins ne lui saute pas aux yeux immédiatement !
Il faudrait que nos jeunes apprennent ce qui est chaud ou froid, ce qui est bien ou mal. Or, aujourd'hui, ils pensent que tout est autorisé, qu'ils peuvent tout faire.
Monsieur le ministre, vous suggérez de leur donner un mur. Dans ma ville, j'ai mis trois passages souterrains à leur disposition. Cela ne change rien !
J'ajoute que, dans ma ville, quand on fait des tags et qu'on est pris, on nettoie pendant trois mercredis. C'est comme cela, même si cela n'est pas autorisé !
On a dit à ces jeunes : on vous donne ces souterrains. Mais ils veulent réaliser leurs tags en douce. Le faire officiellement ne présente aucun intérêt pour eux.
L'approche par la reconnaissance du caractère artistique des graffitis est extrêmement difficile dans la pratique. Or les maires doivent défendre les villes contre ces inscriptions car nos concitoyens les considèrent comme des agressions.
Dans le cadre de la grande réforme attendue de l'éducation nationale, il conviendrait donc, de temps en temps, de parler aux jeunes de ce qui est chaud et de ce qui est froid. Ainsi, ils se brûleraient moins souvent !
PÉNURIE DE PSYCHIATRES PRATICIENS HOSPITALIERS