Séance du 11 mai 1999
PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ
Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi
en deuxième lecture
M. le président.
Nous reprenons la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi (n°
310, 1998-1999), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en
deuxième lecture, relative au pacte civil de solidarité.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur pour
avis.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame le
ministre, mes chers collègues, au cours de la première lecture de ce texte,
nous avons fait preuve de modération et d'esprit d'ouverture. Nous avons
montré, sur l'initiative de la commission des lois, que le Sénat connaît la
réalité sociale et qu'il recherche honnêtement les moyens de répondre à des
attentes qui existent, les moyens de résoudre les problèmes concrets rencontrés
dans la vie par telle ou telle catégorie de Français.
Au cours de cette première lecture, bon nombre de membres de notre majorité,
souvent en dépit de leurs convictions personnelles, se sont accordés pour
considérer qu'il ne faut pas confondre morale et politique, ni éthique
personnelle et loi commune. En vertu de ces principes et de cette approche,
nous avons donc souhaité la reconnaissance, dans le code civil, de l'existence
du concubinage. Nous avons considéré que cela constituait une solution simple
et souple, qui, assortie de certains aménagements ponctuels de la fiscalité,
pouvait apporter aux intéressés autant de sécurité que le pacte civil de
solidarité, tout en respectant mieux leur liberté.
Comme vous le savez, mes chers collègues, la majorité de l'Assemblée nationale
n'en a pas voulu, s'enfermant dans une vision très manichéenne des choses. Elle
a notamment écarté, sans véritable examen, nos propositions fiscales, ajoutant
à cette attitude de principe des commentaires qui sont inusuels, et même
nettement discourtois dans le rapport écrit de M. Jean-Pierre Michel. Face à un
discours réaliste dans le diagnostic, à une approche pragmatique dans la
méthode - qui était la volonté du Sénat - nous avons donc perçu en retour un
dogmatisme, un certain mépris, une volonté de caricature ou, en tout cas, de
déformation de nos propos.
Je reviendrai très brièvement, mes chers collègues, sur les questions d'ordre
général avant de traiter, cursivement, des aspects fiscaux du problème.
La commission des lois nous avait incités, et la commission des finances
l'avait suivie, à faire preuve d'esprit d'ouverture et d'innovation. Nous
pensons avoir été réalistes en considérant que près de 5 millions de Français
vivant en dehors des liens du mariage et un enfant sur deux naissant de parents
non mariés, il fallait en effet entourer d'un minimum de sécurité juridique de
telles situations.
Nous avons été, du moins le croyons-nous, pragmatiques en nous efforçant de
répondre, sans considérations idéologiques, à des problèmes concrets que
rencontrent les concubins, tels que le droit au bail ou la transmission d'une
résidence principale commune.
Nous avons été novateurs, du moins je l'espère, en proposant, notamment, de
rendre possible un legs électif et de développer davantage toutes les formes de
solidarité, car l'Etat, mes chers collègues, ne peut être partout, ne peut tout
faire, et notamment ne peut se substituer à tout moment à l'initiative privée
et aux solidarités familiales et affectives.
Par rapport à cela, bien sûr, il est des perspectives que nous avons fermement
refusées.
Nous refusons la confusion des valeurs, en particulier lorsqu'il s'agit de
valeurs tout à fait fondamentales, voire fondatrices de notre société.
Madame le ministre, constamment, dans ce débat, et encore tout à l'heure dans
votre intervention à cette tribune, vous opposez la famille au couple en
prétendant nous faire légiférer sur le couple, en oubliant et en ignorant la
famille et les enfants, sa justification même.
Aujourd'hui, nous dites-vous, le sujet est le couple et tout ce qui a trait à
la famille est donc hors sujet. Et c'est bien ce qui nous sépare. Aussi est-ce
pourquoi, madame le ministre, au-delà d'un certain point, le dialogue ne
saurait se poursuivre. Pour nous, le couple, s'il ne se réduit pas à la
famille, ne peut, pour la plupart de nos concitoyens, être conçu et traité
complètement en dehors d'elle, voire en opposition par rapport à elle.
Nous avons des convictions. Ces convictions, que nous avons maintes fois
exprimées, portent sur une certaine vision que nous avons de la société, de
l'intérêt du pays et de son avenir. Les membres de la majorité sénatoriale
n'ont en rien l'intention de transiger avec elles.
Il est une hiérarchie des valeurs ; il est une hiérarchie des fonctions, qui
s'en déduit, entre le mariage, institution de l'Etat républicain, et l'union
libre, qui est un choix de vie résultant de décisions d'ordre privé ne
regardant pas l'Etat.
Le souci du Sénat a été, tout en confirmant cette hiérarchie des valeurs et
des fonctions, de respecter pleinement la liberté de chacun de mener sa vie
privée comme il l'entend, sans être induit à prendre quelque décision que ce
soit par l'intervention de l'Etat.
Nous nous sommes voulus pragmatiques. Nous l'avons montré par la série de
retouches ponctuelles que nous avons préconisées au sein du code général des
impôts. Ce fut l'apport plus particulier de la commission des finances du
Sénat.
Face à ce langage de raison, que nous a répondu l'Assemblée nationale ? Ses
rapporteurs ont dit que nous étions dans la démesure. J'ai même lu, dans le
rapport écrit de M. Jean-Pierre Michel, que les idées que je défendais étaient
marquées par l'
ubris
, mot grec, qui, dans la tragédie antique,
signifiait la démesure qui s'emparait des héros que les dieux voulaient perdre.
Merci, monsieur Michel, de bien vouloir considérer que nous sommes inspirés par
les dieux !
Mes chers collègues, je vous prie de le croire, la démesure est plutôt de
l'autre côté, du côté du Palais-Bourbon, ou au banc du Gouvernement, madame le
ministre.
M. Jean Chérioux.
Eh oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
En effet, où est la démesure ? Est-ce dans un
ensemble de propositions concrètes de nature à répondre aux besoins divers des
couples et des familles, en premier lieu des fratries aujourd'hui laissées de
côté ?
N'est-ce pas plutôt dans le projet que vous présentez comme un remède miracle
que tout le monde attend ? Je ne résiste pas au plaisir de citer un passage
significatif du rapport de l'Assemblée nationale : « La commission préfère une
réponse globale qui apporte des solutions juridiques complètes, claires,
coordonnées, assumées à ceux et celles qui ne veulent ou ne peuvent se marier.
» C'est bien là la différence fondamentale : l'Assemblée nationale a un
système, elle est manichéenne ; nous ne sommes pas dans son système, nous
devons être rejetés avec nos thèses. Nous n'avons pas le droit de nous opposer
à ce « politiquement correct » vu par l'Assemblée nationale et par le
Gouvernement.
Enfermés dans ces oeillères, les promoteurs du PACS sont, naturellement,
convaincus d'être porteurs de la vérité. Nous, nous ne le sommes pas, nous nous
efforçons d'avancer tranquillement, méthodiquement et avec raison sur une route
délicate, semée d'embûches, qui est celle de la solution des problèmes concrets
que l'on rencontre dans la vie de tous les jours, et cette approche refuse
l'esprit de doctrine.
Cela est particulièrement visible s'agissant des aspects fiscaux du PACS, que
j'aborde à présent.
L'Assemblée nationale a réservé un sort totalement négatif à toutes nos
propositions fiscales, aimablement qualifiées de « bref catalogue de mesures
sur le thème des solidarités » de « simple échantillonnage », et
systématiquement présentées comme « n'ayant pas leur place dans la discussion
de la proposition de loi ».
La commission des finances s'élève, bien entendu, contre ces appréciations, et
elle continue à penser que le legs électif est une démarche importante de
solidarité ; elle continue à penser qu'il est raisonnable et équitable
d'étudier le rattachement au foyer fiscal de leurs parents des enfants majeurs
demandeurs d'emploi et pas seulement des enfants étudiants.
Tout cela a été écarté du revers de la main, de même que la simple
actualisation du barème de la tontine, qui, nous a-t-on dit, ferait courir des
risques de fraude fiscale. N'est-il pas étonnant, mes chers collègues, de voir
utiliser un tel argument alors qu'à la vérité - nous en avons fait la
démonstration et nous sommes en mesure de reprendre à tout moment cette
démonstration - c'est, au contraire, le PACS qui est un instrument
d'optimisation fiscale massive pour certaines catégories de contribuables ?
Pour achever ce propos, je vais revenir sur deux questions qui me paraissent
essentielles et que j'avais évoquées en ma qualité de rapporteur pour avis de
la commission des finances, en première lecture : en premier lieu, combien va
coûter le pacte civil de solidarité ? En second lieu, à qui vont profiter les
avantages fiscaux dont est assorti le PACS ?
Est-il incongru de s'interroger sur le coût du PACS ? A lire le rapporteur de
l'Assemblée nationale, M. Jean-Pierre Michel, on le croirait, mais on pourrait
aussi se demander quel est le rôle des parlementaires, si ce n'est autoriser le
financement des charges publiques.
Certes, il est vrai que, prise à la lettre, l'ordonnance organique relative
aux lois de finances ne vise pas les propositions de loi lorsqu'elle pose
l'obligation de chiffrage.
Mais, madame le ministre, s'agit-il bien encore d'une véritable proposition de
loi ? C'en est une de par l'initiative et la procédure, mais ce n'en est plus
une, et depuis longtemps, quant au fond, en raison du contrôle étroit exercé
sur toute cette discussion par le Gouvernement. Combien de gages avez-vous
levés en acceptant tel ou tel amendement ? Combien de modifications avez-vous
inspirées ou dictées ? Ne s'agit-il pas plutôt, comme nous l'avions soupçonné
depuis longtemps, d'un moyen détourné pour éviter en particulier le passage
devant le Conseil d'Etat, afin d'imposer plus rapidement, et avec peut-être
moins d'obstacles, la vision manichéenne qui est la vôtre ?
En ce qui concerne le chiffrage, j'adopte la même position, hélas ! mes chers
collègues, que lors de la première lecture.
Pourtant, le 22 février, j'ai demandé la collaboration du service de la
législation fiscale. Le 11 mars, j'ai confirmé par l'envoi d'un questionnaire
très précis le cadre dans lequel nous voulions raisonner. Le 21 avril, le
président de la commission des finances, Alain Lambert, a réitéré des questions
extrêmement précises. De tout cela, il n'a été nullement tenu compte, et je ne
dispose aujourd'hui, mes chers collègues, d'aucun élément de plus que lors de
la première lecture pour chiffrer l'impact de ce pacte sur les finances
publiques.
S'il ne fallait qu'une seule raison pour refuser de continuer à discuter d'un
tel texte, je crois que nous en disposerions déjà avec cette absence complète
de prise en compte des aspects budgétaires, qui ne seront certainement pas
négligables, tels que les simulations intuitives peuvent le montrer.
Il est véritablement choquant, mes chers collègues, du point de vue de
l'exercice des droits du Parlement, de voir le peu d'empressement, et c'est une
litote ! mis par le ministère des finances à répondre à nos demandes, ce qui
n'était pourtant que la moindre des choses.
J'en viens à ma seconde question : à qui vont profiter les avantages fiscaux
dont le PACS est assorti ?
Je me permettrai de le répéter : la mécanique fiscale et arithmétique est là
pour montrer que le PACS profite d'abord aux couples aisés dont les deux
membres présentent de fortes disparités de revenus. Il ne suffit pas pour
esquiver le problème de faire comme M. Michel et de se contenter de dire que le
régime fiscal du PACS n'est pas autonome et qu'il ne fait que reproduire les
avantages et les défauts du système français.
Faire des avantages consentis aux familles l'origine du caractère prétendument
inégalitaire de notre système fiscal, c'est précisément méconnaître les
motivations et les principes de base de la politique familiale.
De ce point de vue, mes chers collègues, le quotient familial n'est pas un
avantage que l'on octroierait aux familles, c'est la compensation de charges
supplémentaires assumées par lesdites familles dans l'intérêt de la société.
M. Jean Chérioux.
Absolument !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Le quotient conjugal auquel donne implicitement
accès le système du quotient familial n'est, à cet égard, que l'effet d'une
présomption de projet familial dont on peut faire bénéficier tout couple
marié.
La conviction que j'exprime ici, selon laquelle le PACS n'est en définitive
qu'un simple instrument d'optimisation fiscale, sort renforcée de l'examen du
texte en seconde lecture par l'Assemblée nationale.
Cet examen comporte désormais non seulement le PACS mais la reconnaissance du
concubinage dans le code civil, comme en a fait état notre collègue, M. Patrice
Gélard. A la question de savoir si le PACS apporte un plus par rapport au
concubinage, la réponse est simple, mes chers collègues.
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Les avantages fiscaux !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Il apporte des avantages fiscaux. Cela suffira-t-il
à assurer le succès de la formule ? Nous en jugerons dans quelque temps, madame
le ministre.
Pour ma part, j'aurais tendance à dire que ce nouveau statut a peu de chances
d'intéresser les tenants de l'union libre, qui est bien souvent un état
transitoire, et qu'il ne pourra vraiment se développer qu'au détriment du
mariage, dès lors que lui seront attachés des avantages fiscaux à peu près
équivalents : il conférera presque autant d'avantages que le mariage, mais
tellement plus de souplesse !
D'ailleurs, nous observons dès maintenant - et nous allons observer
certainement dans les semaines qui viennent - le développement de toutes sortes
d'articles dans le style « le PACS, mode d'emploi » pour indiquer à tout un
chacun comment opérer avec les nouveaux instruments qu'une partie du pouvoir
législatif a la faiblesse de transcrire dans le code civil et le code général
des impôts.
Oui, sans doute, certains couples modestes bénéficieront du nouveau régime,
mais vous ne m'ôterez pas de l'idée que les principaux bénéficiaires de
l'imposition commune resteront des couples aux ressources élevées mais aux
revenus très dissemblables.
En définitive, le sentiment que j'exprime, au nom de la commission des
finances, est que ce statut n'intéressera que relativement peu de couples,
compte tenu des expériences étrangères auxquelles nous avons accès,...
Mme Nicole Borvo.
Alors, il n'y a pas de problèmes !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
... mais qu'en revanche - et ne vous exprimez pas
trop sur le plan de l'équité ou de la justice sociale, mes chers collègues ! -
un petit nombre de couples y trouvera de gros avantages.
M. Jean Chérioux.
Eh oui, toujours les mêmes !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
... et seul le bilan
ex post
que l'on
établira en 2003 ou en 2004 permettra de corroborer ce point de vue que je vous
livre, mes chers collègues, et dont, dans quelques années, nous pourrons
vérifier la véracité.
Dans ces conditions et pour toutes ces raisons, considérant, madame le
ministre, que pour dialoguer il faut être deux...
M. Jean Chérioux.
Oui.
M. Guy Allouche.
Au moins.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
... et qu'il faut disposer d'un langage commun et
d'un minimum de bonne foi, ce dont je ne retrouve la trace ni dans les propos
du Gouvernement ni dans ceux des commissions de l'Assemblée nationale, la
commission des finances a décidé, à la majorité, de se joindre à la motion
opposant question préalable déposée par la commission des lois, motion qu'elle
vous recommande, mes chers collègues, de voter massivement.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Bel.
M. Jean-Pierre Bel.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition
de loi relative au pacte civil de solidarité, que nous examinons pour la
deuxième fois, nous oblige, d'une certaine manière, à revenir sur notre vision
du monde dans lequel nous vivons et, en même temps, à mieux évaluer la place de
l'Etat face à ses bouleversements. Les commentaires que la proposition de loi a
suscités, ainsi que la nature de nos débats antérieurs suffisent à nous en
persuader.
Il s'agit bien d'un texte par lequel la représentation nationale se doit de
mériter son nom : représenter l'ensemble de nos concitoyens, sans oublier
personne, et exprimer un choix pour l'orientation de la société que nous
voulons pour nos enfants.
En un mot, il nous appartient de traduire l'intérêt général, au-delà des
clivages partisans ou des particularismes personnels, autrement que par simple
addition des intérêts individuels.
Cette proposition de loi constitue un véritable progrès dans le sens d'une
société tolérante et plus libre..
En effet, ce texte ne comporte rien qui porte atteinte aux intérêts matériels
de telle ou telle catégorie sociale ou professionnelle, rien qui mette en
difficulté quiconque dans sa vie privée, rien qui entrave l'exercice des
libertés individuelles, rien non plus qui réduise les devoirs de chacun à
l'égard des autres, rien enfin qui nous détourne du principe d'égalité. Au
contraire, on perçoit dans ce pacte civil l'expression d'une vision des
relations humaines du rôle de la puissance publique dans la vie quotidienne des
Françaises et des Français qui renforce l'idée républicaine en s'appuyant sur
ses principes mêmes.
M. Jean Chérioux.
Vous avez dit : « républicaine » ?
M. Jean-Pierre Bel.
C'est donc avec cette grille de lecture, selon l'idée que je me fais, oui, de
la République et de la cohésion nationale, que j'aborde ce texte.
L'institution du mariage s'est appuyée sur la construction progressive du
concept de la famille telle qu'elle s'est forgée au cours de notre histoire, de
la même façon qu'il y a, par exemple, une définition de la commune qui émane de
la géographie des paroisses.
L'une et l'autre sont des legs de l'histoire, et sont respectables à ce titre.
Mais, pour le mariage comme pour la commune, le temps qui passe et la
République ont apporté leur lot de modifications, correspondant à ce qu'il est
naturel d'appeler l'éthique républicaine et qui repose sur la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen.
La République a eu la sagesse de laisser aux religions l'idée de sacrement, de
relation intemporelle, de lien entre la condition humaine et l'éternité. Ainsi,
en matière de mariage, l'Etat républicain n'administre pas une sorte de
sacrement
bis
: il dit simplement les droits que confère l'acceptation
des devoirs.
La version du PACS qui nous revient en deuxième lecture a été enrichie et
épurée par le travail parlementaire de nos deux assemblées.
M. Jean Chérioux.
C'est l'épuration technique !
M. Jean-Pierre Bel.
Au-delà des oppositions de principe, je me réjouis que les débats, au Sénat
comme à l'Assemblée nationale, aient apporté des éléments, tant techniques
qu'éthiques, permettant que nous soit soumise aujourd'hui une proposition plus
claire, mieux définie sur le plan juridique, davantage conforme aux situations
auxquelles la loi doit apporter une réponse.
Le travail du Sénat, à sa façon, a éclairé le débat, même s'il a débouché sur
un refus global de la première version du PACS.
L'Assemblée nationale a clarifié - comme, d'ailleurs, le groupe socialiste du
Sénat l'avait proposé - la question des fratries et adopté un certain nombre
d'amendements de nature à rendre le texte véritablement opératoire.
A propos du mariage, institution républicaine, et de la famille, je ne
reprendrai pas les arguments développés par madame la garde des sceaux, mais je
souhaite modestement vous dire mon intime conviction : aujourd'hui, que l'on se
trouve dans mes villages d'Ariège ou n'importe où en France, on se marie plutôt
par amour que pour développer la propriété familiale ; en tout cas, le mariage
réduit à l'acte notarié n'est plus de mise.
M. Jean Chérioux.
C'est du code civil qu'il est question !
M. Jean-Pierre Bel.
Aussi ai-je la faiblesse de croire que nos concitoyens distingueront ce qui
relève d'un contrat sécurisant de ce qui constitue l'acte solennel fondateur de
la famille.
M. Guy Allouche.
Très bien !
M. Jean-Pierre Bel.
Madame la garde des sceaux a, me semble-t-il, répondu fort clairement : le
PACS est un contrat ; il est neutre au regard du droit de filiation, de
l'adoption, de la procréation médicalement assistée et de l'autorité
parentale.
Non, vraiment, cet argument du danger pour la famille et pour le mariage ne
vaut guère si par mariage on entend l'institution laïque, protectrice du droit
des conjoints et de leur filiation et non pas le sacrement religieux, qui est
un engagement d'une tout autre nature.
Mme Dinah Derycke.
Tout à fait !
M. Jean Chérioux.
C'est une obsession ! Ce n'est pas le problème !
M. Jean-Pierre Bel.
On a les obsessions que l'on peut, mon cher collègue !
Désormais, la nécessité de légiférer sur la situation du couple indépendamment
de sa vocation procréatrice est posée et, me semble-t-il, acceptée par tous, en
tout cas par une très large fraction de l'opinion publique.
Bien sûr, la majorité de cette assemblée aurait préféré des modifications
éparses, dans les cadres légaux existants ; bien sûr, elle préférerait se
borner à une définition, bien imprécise du reste, du statut du concubinage.
Pour autant, l'existence de couples, non mariés et de couples homosexuels, qui
doivent pouvoir envisager leur vie sous la protection des lois de la
République, est admise.
C'est, à mes yeux, un progrès irréversible, par quoi la représentation
nationale dans son ensemble se rapproche des aspirations de nos concitoyens,
lesquels, dans leur majorité, attendent de l'Etat qu'il protège leur vie
privée, pas forcément qu'il leur fasse la morale.
En première lecture, la majorité sénatoriale a donc construit son rejet du
texte sur deux aspects : la supposée remise en cause de la famille et du
mariage - je viens d'en parler - et l'inutilité d'un cadre légal
supplémentaire, auquel elle préférait une modification du statut du
concubinage.
Toutefois, l'accent mis sur ce point au Sénat aura permis de revenir
opportunément sur la question du concubinage.
Jusque-là, le concubinage n'était admis par la jurisprudence que comme une
cohabitation de fait, stable et durable, ayant l'apparence du mariage.
L'inscrire dans la loi comme « le fait pour deux personnes de vivre en couple
sans être uni par les liens du mariage », vous en conviendrez, n'apporte pas de
grandes révélations, pas de nouveaux repères puisqu'on s'en remet frileusement
à la subjectivité des juges quant à la reconnaissance du couple homosexuel.
Lors de la séance du 18 mars, notre éminent collègue Robert Badinter, à qui je
souhaite, aujourd'hui encore, rendre hommage pour le travail qu'il a accompli
en faveur de la reconnaissance des libertés, a simplement demandé, au nom du
groupe socialiste, d'ajouter cinq mots à l'amendement : « ... quel que soit
leur sexe ». Cela lui a été refusé.
C'est pour cette raison, mais aussi pour apporter, comme le demandait monsieur
le rapporteur, plus de rigueur dans la rédaction du texte qui nous est soumis
que nous proposons, par un nouvel amendement, d'inscrire à l'article 518-8 du
code civil : « Le concubinage est une union de fait, attestée par une
communauté de vie stable et continue, entre deux personnes de sexe différent ou
de même sexe. »
Cette formulation me semble à la fois plus nette et plus simple que celle
qu'ont retenue nos collègues députés. Elle a le mérite de lever toute ambiguïté
sur l'intention du législateur, et elle ne devrait pas rencontrer d'opposition
puisque notre rapporteur, M. Patrice Gélard, a indiqué le 18 mars que la
majorité sénatoriale englobait, dans sa proposition, les couples homosexuels et
hétérosexuels. Il l'a indiqué, mais ne s'est pas résolu à en imposer
l'inscription.
J'en viens aux cinq améliorations significatives apportées par l'Assemblée
nationale.
Tout d'abord, il était en effet important de définir le PACS comme un contrat,
et ce afin de l'inscrire dans un système juridique précis.
La distinction entre la déclaration de PACS et la convention passée entre les
signataires me semble également être un facteur de clarté supplémentaire.
Par ailleurs, il était nécessaire de lier à l'obligation de résidence commune
la solidarité des dépenses de logement.
En outre, nous confirmons que l'application du régime de l'attribution
préférentielle de l'article 832 du code civil est trop large : la spécificité
du régime des exploitations agricoles le rendrait inapplicable en cas de
dissolution du PACS.
Enfin, la disposition relative à la liquidation des droits et obligations
pécuniaires des signataires, en cas de rupture, avec possibilité donnée au juge
d'allouer des dommages et intérêts, va dans le sens qui convient, pour une
meilleure protection des personnes.
En conclusion, je veux simplement répéter les raisons pour lesquelles il me
semble utile de voter la proposition de loi qui nous est soumise.
Fondamentalement, l'existence du texte se justifie en ce qu'il apporte une
reconnaissance du couple stable, acceptant d'inscrire sa relation dans la durée
sur un principe d'assistance mutuelle. A cela des mesures éparses, disséminées
dans les dispositifs juridiques existant, ne sauraient répondre.
Concrètement, tous les aspects du texte qui pouvaient prêter à confusion, qui
pouvaient laisser craindre à certains une interférence avec l'institution du
mariage et les droits propres au statut de la famille ont été gommés.
Par ailleurs, une requalification du concubinage comme situation de fait
concernant les couples homosexuels et hétérosexuels est de nature à compléter
le dispositif.
Le PACS apparaît aujourd'hui comme une véritable avancée sociale, comme un
dispositif nécessaire ; le débat auquel il a donné lieu, de bonne qualité dans
l'ensemble, marqué du sens des responsabilités, montre qu'il s'agit bien d'un
droit nouveau. Il est une avancée vers plus de justice sociale pour celles et
ceux qui sont, encore aujourd'hui, confrontés à de graves discriminations.
Mers chers collègues, qu'on le regrette ou qu'on s'en félicite, au moment où
nous en débattons, le PACS est largement entré dans les moeurs ; d'une certaine
manière il est presque assimilé avant de naître. Pourtant, rarement semblables
dispositions auront donné lieu à de tels procès d'intention, à de telles
vertueuses levées de bouclier, le plus souvent sans aucun rapport avec la
réalité du texte.
Mais cela est déjà derrière nous, et personne n'a envie aujourd'hui de revenir
à ces passes d'armes dérisoires, qui cachaient des angoisses et des inquiétudes
véritables, que nous ne sous-estimons pas, mais dont nous pensons qu'elles
étaient disproportionnées par rapport à ce qui nous est proposé.
Ce qui nous est proposé n'est ni plus ni moins que l'adoption d'une loi
nouvelle permettant à chacun de construire librement son existence ; c'est une
nouvelle étape sur une ligne faite de siècles de combat, un combat qui
n'appartient à personne, si ce n'est à des hommes et bien souvent à des femmes
qui avaient du couple l'idée d'une union libre et consentie entre deux êtres
égaux en droits et en devoirs.
Il nous revient, en cet instant, de répondre en toute indépendance à des
questions qui sont au coeur du sujet.
Après le mariage civil, après l'émergence du concubinage, après la
dépénalisation de l'homosexualité, sommes-nous d'accord pour accepter de
franchir un nouveau pas, pour considérer qu'il y a de la place pour de
nouvelles avancées de la loi dans le sens de l'égalité, dans le souci de
concilier les libertés individuelles et une organisation collective de la
société mieux en phase avec les aspirations nouvelles qui émergent ?
Parce que ces questions sont des questions de fond, qu'elles font appel à la
conscience de chacun, bien évidemment, nous nous devons de respecter les
réponses qui sont apportées et de refuser la caricature.
Mais, dans le même temps, vous nous permettrez, mes chers collègues, de
soutenir et de revendiquer avec fierté un texte équilibré, responsable,
moderne, qui donnera plus de confiance et de dignité à des centaines de
milliers de couples qui ne veulent ou ne peuvent se marier. Ceux-là nous
regardent, ceux-là attendent beaucoup de nous, et c'est pourquoi le groupe
socialiste, sans ambiguïté et sans états d'âme, mais avec la volonté de se
tourner délibérément vers l'avenir, votera le texte qui nous est présenté.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Heinis.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Mme Anne Heinis.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le
texte qui revient aujourd'hui au Sénat reprend globalement les dispositions
issues des travaux de l'Assemblée nationale en première lecture et rejetées par
le Sénat.
Notre assemblée avait retenu, en première lecture, une autre logique, en
définissant le mariage comme l'union d'un homme et d'une femme célébrée par un
officier d'état civil - à l'époque de la rédaction du code civil, la mention «
d'un homme et d'une femme » n'était pas nécessaire, car cela allait de soi dans
les esprits - et en constatant par ailleurs dans la loi l'existence du
concubinage, c'est-à-dire le fait, pour deux personnes, de vivre en couple.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a décidé de cumuler les deux
statuts, PACS et concubinage, en apportant toutefois des modifications.
Dès le départ, vous n'avez pas caché, madame le garde des sceaux, que vous
vous opposeriez aux amendements du Sénat et feriez rétablir le texte voté par
l'Assemblée. C'est un déni de débat démocratique, et il est d'autant plus
étonnant que vous venez de plaider pour la confrontation des idées !
Pourtant, le rôle du Sénat est bien d'apporter réflexion et sérénité face aux
mouvements d'opinion. Cet apport trouve sa pleine mesure lorsqu'il s'agit
d'aborder les grands problèmes de société, et le Sénat sait, lorsqu'il le faut,
prendre en compte les évolutions des moeurs et de la vie collective, ainsi que
les avancées de la science.
Il l'a fait, par exemple, lors du vote de la loi sur l'interruption volontaire
de grossesse et des lois sur la bioéthique, et la navette entre les deux
assemblées a considérablement amélioré les textes.
Il est d'ailleurs remarquable que, sur de tels sujets, les votes aient dépassé
les traditionnels clivages politiques.
Pourquoi ici une telle obstination à faire passer un texte dont on sait bien
qu'il est loin de recueillir dans vos propres rangs une approbation massive
?
Je me souviens, vous aussi certainement, d'avoir lu dans
Le Monde
daté
du 27 janvier dernier un article intitulé « Ne laissons pas la critique du PACS
à la droite », signé évidemment de personnalités réputées de gauche.
Après avoir relevé un certain nombre d'incohérences dans un texte « mal pensé
», les auteurs concluaient ainsi : « Pourquoi s'entêter à vouloir résoudre un
problème qui exige la clarté » - nous sommes tous d'accord là-dessus - « par
une solution non seulement confuse mais aussi perverse, parce que
contradictoire, et risquant de créer beaucoup plus de situations problématiques
qu'elle n'en n'évitera ? »
Manque total de logique, confusion, effets pervers, tel est bien, en effet, le
contexte dans lequel s'inscrit le PACS.
Vous affirmez, madame le garde des sceaux, que ce texte ne concerne que le
couple et qu'il n'y a aucun lien avec la famille ni avec l'enfant. C'est
justement ce que nous déplorons !
Pardonnez-moi le côté peut-être trop direct de mon propos, mais une telle
affirmation ne peut procéder que d'une certaine hypocrisie ou plutôt - j'espère
- de l'inconscience. Comment, en effet, établir une cloison étanche entre
couple et famille, peut-on se demander avec Evelyne Sullerot ?
Dans une société de plus en plus égoïste qui perd de vue les notions de durée
et d'engagement, il ne faut pas nier que le mariage et la famille sont en
crise. Mais il faut aussi reconnaître - et vous l'avez fait - que l'instabilité
qui en résulte provoque des maux graves qui s'appellent incivilité - quel
euphémisme ! - violence, rébellion, surtout négative, souffrance psychologique
pour n'en citer que quelques-uns.
Face à cette réalité, on nous propose un « contrat non pas de solidarité, mais
de plaisir qui n'apporte rien en matière de protection du plus faible », pour
citer encore Evelyne Sullerot. C'est exactement le contraire de ce qu'il faut
faire, le rôle de l'Etat étant justement de préserver les droits du plus
faible.
On l'a dit et répété, un statut social ne peut être reconnu à une relation
privée que dans la mesure où cette relation implique des responsabilités dans
la société. Pour un couple, il s'agit d'assumer la charge irréversible de la
parenté à venir, c'est-à-dire des enfants, assurant ainsi la pérennité de cette
société.
Si l'on peut divorcer, c'est, en revanche, toute la vie que l'on reste parent,
avec les droits et obligations afférents.
C'est pourquoi l'échec éventuel d'un mariage doit rester un acte social
organisé et prononcé, comme le mariage, par un tiers qui veillera à assurer la
protection des plus faibles et, autant que faire se peut, l'avenir des
enfants.
Si l'on peut envisager de donner un appui aux couples non mariés, c'est-à-dire
aux concubins, c'est non pas pour donner un statut à ceux qui ne veulent pas de
reconnaissance, au moins pour les couples hétérosexuels, mais pour procéder à
une adaptation mesurée des règles de dévolution successorale, de pression
fiscale, de protection sociale aux individus tels qu'ils sont en vue de
réorganiser les solidarités en fonction, notamment, des réalités que sont la
monoparentalité, les divorces, les recompositions familiales, la procréation
médicalement assistée, l'allongement de la durée de la vie.
Certes, il faut adapter les mesures législatives techniques à ces situations
de fait.
Il est tout à fait possible, par exemple, d'aménager les dévolutions
successorales, de concevoir une plus grande liberté de tester, accompagnée de
mesures fiscales qui ne soient pas confiscatoires, sans pour autant remettre en
question la nature intangible de la filiation, mais il est tout aussi impératif
de ne pas oublier dans nos choix politiques le principe fondamental qui est,
pour l'Etat, la gestion de l'avenir.
Une expression fort en vogue dans un tout autre domaine me vient à l'esprit,
celle de « développement durable », et Dieu sait si nous en entendons parler !
Il me semble qu'elle peut aussi s'appliquer aux relations sociales et que la
priorité pour l'Etat est de préserver un ensemble cohérent de règles de droit,
pour le droit de la famille en particulier.
Les sociologues et les juristes s'accordent pour constater que le PACS, qui
reprend les souhaits émis par quelques groupes de pression très actifs et très
présents médiatiquement, n'a fait l'objet, en réalité, d'aucune étude sérieuse
quant à ses conséquences juridiques, sociales et économiques ; nos rapporteurs
les ont largement décrites. En revanche, vont se créer immanquablement des
situations insupportables qui donneront lieu à des contentieux sans fin.
Pour conclure, je citerai un passage du dernier rapport public du Conseil
d'Etat : « L'idée d'un Etat conçu comme principe éminent, tout entier tendu
vers l'unité de la volonté collective, garant de l'intérêt général face à la
diversité des intérêts de la société civile, est contrebattue par l'évolution
générale des démocraties contemporaines, qui tend à promouvoir la diversité et
la pluralité des intérêts, aux dépens du primat des valeurs communes. Les
ressorts de la politique moderne font plus de place aux intérêts de l'individu
qu'à ceux de la société. » Nous sommes en effet exactement dans ce cas de
figure.
Dans le débat d'aujourd'hui, l'intérêt commun, c'est la cohérence de la
société et sa pérennité, ce qui justifie une politique de la famille qu'il est
impossible de dissocier des textes que nous étudions à l'heure actuelle.
Compte tenu de l'ensemble de ces considérations, notre commission des lois est
parfaitement fondée à refuser la poursuite du débat ; en conséquence, je
voterai la motion tendant à opposer la question préalable.
(Applaudissements
sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Philippe Arnaud.
Bravo !
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues,
c'était avec un intérêt non dissimulé que nous nous apprêtions à débattre, en
seconde lecture, du texte relatif au PACS, que les députés de la majorité
plurielle ont rétabli, voire amélioré. Mais tel n'a pas été le choix opéré par
nos collègues de la majorité sénatoriale de droite, notamment par M. Gélard,
rapporteur de la présente proposition de loi, qui défendra dans quelques
instants une motion tendant à opposer la question préalable pour décider qu'il
n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur ce texte. Il va sans dire que
nous nous prononcerons contre cette motion de procédure, sans pour autant
douter de l'issue qui lui sera réservée.
Cela dit, l'attitude de la droite sénatoriale est singulière à plusieurs
égards.
Vous avez, chers collègues, tout fait, en première lecture, pour esquiver le
débat de fond, rejetant en bloc le dispositif du PACS et glissant sur le
terrain de la famille, du mariage et du concubinage, allant même jusqu'à donner
une définition du mariage. Quelle audace !
Vous avez cherché à brouiller les données du débat.
Vous avez, d'une part, catégoriquement refusé de définir clairement le
concubinage comme étant le fait pour deux personnes, sans distinction de sexe,
de vivre ensemble, comme le proposait notre collègue M. Robert Badinter.
Vous avez, d'autre part, réuni dans le même texte des dispositions relatives
aux unions libres, au mariage et aux solidarités familiales.
Enfin, la confusion est à son comble s'agissant des dispositions fiscales que
vous avez substituées aux conséquences du PACS.
Pour vous, tout se résume à une question de gros sous, nous en avons eu la
preuve avec la part prise par la commission des finances et par son rapporteur,
M. Marini, dans nos débats.
Et, aujourd'hui, vous nous proposez en deuxième lecture une motion de
procédure, comme l'ont fait vainement vos collègues députés de l'opposition à
l'Assemblée nationale, en première et en deuxième lectures. Mais, chers
collègues, ne s'agit-il pas là d'une attitude quelque peu paradoxale pour des
parlementaires qui n'ont de cesse de valoriser le rôle et la place du Sénat au
sein du parlement national ?
Ainsi, pour la seconde fois en moins de deux mois, sur un même sujet, mais
avec des méthodes différentes, vous refusez de débattre au fond d'un sujet de
société d'importance, consistant à prendre en compte la réalité du couple
homosexuel dans notre pays.
M. Hilaire Flandre.
Tu parles d'une affaire !
M. Robert Bret.
Eh oui ! Justement !
Guidés par la crainte de voir transparaître votre homophobie latente
(Protestations sur les travées du RPR.),
vous justifiez le dépôt d'une
telle motion en arguant du fait que la deuxième lecture du PACS est une perte
de temps. Bien au contraire !
En l'occurrence, on voit que l'examen du PACS par le Sénat, en première
lecture, avec la pugnacité de l'opposition de gauche dans la discussion, a
contribué, malgré tout, à faire avancer le débat général par la nécessité de
prendre en compte l'évolution de notre société et des différences, puisque la
légalisation du concubinage proposée par le Sénat a été retenue et améliorée
par les députés de la majorité plurielle en seconde lecture.
Le Gouvernement comme les parlementaires de la gauche plurielle, dans les deux
chambres, ne se sont donc pas laissés prendre à votre prétendue « solution
alternative ». Nous vous avons même pris à contre-pied, puisque non seulement
le PACS a été rétabli par l'Assemblée nationale - et même amélioré - mais aussi
le concubinage, tant hétérosexuel qu'homosexuel, a été clairement défini par
les députés de la majorité plurielle, « sans distinction de sexe » pour mettre
fin à la jurisprudence rétrograde de la Cour de cassation.
Ce que l'on peut regretter, c'est que le Sénat ne soit pas allé au bout de sa
démarche et qu'il ait refusé de nommer clairement les choses dans sa définition
du concubinage.
En réalité, votre attitude, chers collègues, tant en première lecture
qu'aujourd'hui même, révèle, si besoin en était, aussi bien les contradictions
internes à la majorité sénatoriale que les différentes prises de position à
droite entre sénateurs et députés, tant sur le PACS que sur le concubinage.
En déposant aujourd'hui cette question préalable, vous décidez de ne pas
débattre des dispositions du texte. C'est comme si vous refusiez de prendre
position, d'assumer vos responsabilités, notamment à l'égard du concubinage
homosexuel, désormais défini sans aucune ambiguïté.
Puisque nous n'aurons pas l'occasion d'examiner un à un les articles du texte
ou de faire des propositions d'amendements, permettez-moi d'évoquer brièvement
à la fois les améliorations apportées au dispositif par l'Assemblée nationale
et les modifications que nous aurions, pour notre part, voulu voir introduites
dans la loi.
La commission des lois de l'Assemblée nationale a tenu à réaffirmer les
principes qui ont présidé à l'instauration d'une procédure réfléchie, cohérente
et globale pour répondre aux attentes des couples non mariés et pour en finir
avec des discriminations d'un autre âge, fondées sur les choix sexuels.
Est-il nécessaire de redire que l'objectif de la présente loi est inscrit dans
la loi d'évolution des modes de vie ?
Faut-il rappeler, encore, que le PACS constitue un lien social moderne et
qu'il correspond à une véritable demande sociale ?
Initié par une minorité,...
M. Hilaire Flandre.
Très minoritaire !
M. Robert Bret.
... le PACS intéresse aujourd'hui la société tout entière. Et c'est donc notre
devoir de législateur de transcrire dans la loi ces différents modes de vie à
deux.
Loin de porter atteinte à l'institution du mariage ou à quelque droit que ce
soit, il s'agit juste, sans léser personne, de tendre vers plus d'égalité des
droits et de mettre enfin un terme à des discriminations qui paraissent
aujourd'hui d'un autre siècle.
Depuis l'automne dernier, force est de constater que le texte a été, à chaque
examen par la majorité plurielle de l'Assemblée nationale, enrichi. Je pense,
par exemple, à l'adoption, en seconde lecture, de l'amendement de mes amis
députés du groupe communiste, relatif aux possibilités accrues de mutation dans
la fonction publique d'un partenaire lié par un PACS.
Les suppressions des délais pour bénéficier des abattements sur la succession
du partenaire décédé, les dispositions ouvrant le PACS aux fratries, mais aussi
et surtout l'inscription dans le code civil de la notion de « concubinage sans
distinction de sexe », sont autant d'éléments positifs à inscrire à l'actif des
débats concernant le PACS.
Il reste toutefois, à notre sens, des aspects à améliorer.
Ainsi, s'agissant des étrangers liés par un PACS à un Français, le texte, en
l'état, laisse au préfet trop de liberté d'appréciation quant à la nature des
liens personnels et familiaux qui les unissent pour délivrer une carte de
séjour temporaire intitulée « vie privée et familiale ».
C'est pourquoi nous rappelons que nous proposons une rédaction plus ambitieuse
qui retiendrait le fait de conclure un PACS comme preuve de l'existence de
liens personnels en France.
Une telle précision permettrait d'éviter non seulement les différences de
traitement entre préfectures, mais aussi, il faut l'admettre, tout arbitraire
émanant des préfectures.
Au-delà, cela permettrait de régler des situations difficiles vécues par les
étrangers, lesquelles ne sont, somme toute, que fort peu nombreuses.
Il s'agirait d'un geste symbolique fort en matière de lutte contre les
discriminations, quelles qu'elles soient, et d'égalité des droits des
personnes.
D'un mot, j'évoquerai l'article 7 initial de la proposition de loi, qui a,
hélas ! définitivement disparu du texte. Il s'agissait d'une avancée en matière
de droit des étrangers, puisqu'il était question de prendre en compte le fait
qu'un étranger soit lié à un Français par un PACS depuis un an au moins, dans
le cadre de l'examen d'une demande de naturalisation.
J'en viens au volet fiscal du PACS et en particulier à l'imposition
commune.
Non seulement les délais imposés à l'article 2 font planer le doute, la
suspicion, sur la réalité des relations entre les partenaires « pacsés », mais,
au surplus, loin de supprimer des discriminations existantes, ce genre de
disposition a pour inconvénient d'en créer forcément d'autres.
Est-il sincèrement justifié de faire patienter des personnes vivant depuis
plusieurs années en couple et candidates au PACS jusqu'en 2003 - au mieux -
pour leur permettre de bénéficier d'une imposition commune ?
Dans la même logique, pourquoi les couples pacsés qui peuvent prouver par tout
moyen avoir reconnu dans le délai légal au moins un enfant ne pourraient-ils
pas bénéficier sans délai de l'imposition commune ?
En l'occurrence, il conviendrait de faire preuve de bon sens et de courage
dans la prise en compte de l'évolution de la notion de couple dans notre
société.
Avant d'en terminer, j'évoquerai le lieu d'enregistrement du PACS, qui demeure
le greffe du tribunal d'instance. Là encore, le bon sens voudrait que l'on
retienne, comme pour tous les autres actes de la vie, le service d'état civil
de la mairie, qui reste l'endroit le plus connu des citoyens, mais aussi le
plus accessible et le plus proche.
Est-il utile de préciser que les membres du groupe communiste républicain et
citoyen, qui soutiennent le PACS depuis longtemps, auraient voté pour le texte
rétabli et amendé dans un sens positif par les députés de la majorité plurielle
?
Tel ne peut être le cas, compte tenu de la configuration politique de la Haute
Assemblée, mais surtout parce que nous n'aurons le loisir ni de débattre des
dispositions inhérentes au PACS, ni de nous prononcer sur un texte quel qu'il
soit.
Le rôle parlementaire qui nous est imposé aujourd'hui est donc fort restreint,
et nous le regrettons. En effet, il s'agit uniquement de nous prononcer pour ou
contre la motion tendant à opposer la question préalable et présentée par nos
collègues de la majorité sénatoriale de droite.
Je ne surprendrai personne en disant que les membres de notre groupe
rejetteront avec force cette motion fortement imprégnée d'un ordre moral
rétrograde qui, à la veille d'un nouveau millénaire, tourne le dos à toute
évolution sociétale.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Josselin de Rohan.
C'est burlesque !
M. Robert Bret.
Vous êtes burlesque !
M. le président.
La parole et à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, en
écoutant l'orateur qui m'a précédé à cette tribune, j'ai bien eu l'impression
que nous rendions un grand service à l'opposition sénatoriale et, surtout, à la
majorité plurielle de l'Assemblée nationale. En effet, cela évite de poser les
vraies questions, que M. Bret a soulevées. C'est d'ailleurs une des raisons
pour lesquelles le Sénat ne peut accepter le PACS.
Comme pour tous les actes de l'état civil, le PACS devrait faire l'objet d'une
déclaration à la mairie, ont dit certains. Cela signifie que le PACS est non
pas un contrat comme les autres, mais une vraie institutionnalisation du couple
qui n'est pas marié. C'est autre chose que le concubinage puisqu'on reconnaît
que cela fait partie de l'état civil, de l'état des personnes. Convenez qu'un
certain nombre d'auteurs de propositions de loi prétendument à l'origine de
celle-ci ont tout de même largement provoqué l'opposition. En effet, ils ont
affirmé que si le texte s'en tient là, s'il n'autorise ni l'adoption ni la
procréation médicalement assistée, un jour viendra où cela sera possible. Ce
n'est pas nous qui avons tenu de tels propos !
Evidemment très gêné par ces propositions excessives, le Gouvernement a
toujours dit qu'il n'en était pas question, que la proposition de loi
concernait non pas la famille ni la société, mais seulement des individus
auxquels il convient naturellement de reconnaître, comme à toute personne
libre, responsable et adulte, le droit de vivre comme ils le souhaitent.
Le Sénat, madame le garde des sceaux, avait fait des efforts considérables.
Ainsi, certains de nos collègues s'étaient employés à inscrire dans le code
civil le concubinage sans distinction de sexe. Même si cette reconnaissance
était implicite, l'objet était de mettre en évidence le refus de la Cour de
cassation d'admettre pour les couples concubins homosexuels les conséquences
d'une communauté de vie et de leur appliquer les règles en vigueur pour les
couples concubins hétérosexuels.
Certaines personnes vivant ensemble depuis longtemps se heurtent en effet à
des difficultés. Aussi, nous pouvions très bien admettre, compte tenu de l'état
de la société, que les conséquences de droit du concubinage puissent leur être
appliquées.
Autre chose est de créer une institution-contrat. D'ailleurs, la déclaration
et le contrat me semblent contradictoires ; aucun contrat n'est déclaré ainsi.
Ou bien on passe un contrat, ou bien on fait une déclaration. D'ailleurs,
toutes les conditions prévues pour cette déclaration en font une
quasi-institution. Dans un premier temps, la déclaration devait avoir lieu à la
mairie. On y a renoncé devant la révolte à peu près généralisée de tous les
maires républicains.
On parle beaucoup de république, mais il faut savoir ce que l'on veut. La
république a été d'abord la République laïque. Contrairement à ce que disait
tout à l'heure un de nos collègues, le mariage civil a été institué pour éviter
que certaines personnes ne se marient qu'à l'église, sans passer par la mairie.
Je rappelle que le code civil comporte encore une disposition aux termes de
laquelle le mariage religieux est interdit si le mariage civil n'a pas eu lieu
précédemment.
(Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
Il ne faut pas refaire
l'histoire et mélanger les choses !
Le mariage est un engagement pour la vie - même s'il peut par la suite y
avoir des échecs, et on reconnaît le divorce - et les couples stables sont
généralement ceux qui sont le mieux à même d'élever les enfants. C'est pourquoi
il a été prévilégié par toutes les sociétés qui sont à la base de notre culture
et de notre civilisation occidentales.
Dire que tout cela est ringard et qu'il faut uniquement se préoccuper des
individus, c'est se tromper de débat !
M. Jean Chérioux.
C'est le retour à Rousseau !
M. Jean-Jacques Hyest.
Rousseau ne disait pas tout à fait la même chose !
L'isolement est un des grands maux de notre société, avez-vous dit, madame le
garde des sceaux. J'en conviens. Mais il est d'autant plus fort que les
familles ne sont pas solides et que, dans notre société, les repères
disparaissent les uns après les autres. S'il y a une institution qui permet de
favoriser la construction d'une personnalité stable, c'est bien la famille !
Bien sûr, il y a des échecs mais, s'il n'y a pas de famille, l'échec est
certain.
Il s'agit d'un faux débat, me semble-t-il. En fait, on nous propose un
changement de société : on ne considère que des individus ; la société n'est
plus solidaire, elle est une succession d'individus.
D'ailleurs, on parle de personnes « pacsées ».
(M. André Maman sourit.)
Abomination des abominations ! Vous me
rétorquerez que l'on parle bien de RMIstes. Pourquoi ne pas continuer ? Le
terme « pacser » n'existe pas ! Il y a des personnes qui passent un contrat,
qui concluent un pacte civil de solidarité. Si elles sont « pacsées », cela
signifie qu'elles sont étiquetées. Cela me paraît très dangereux pour un grand
nombre de nos concitoyens. Ils ne se rendent peut-être pas compte aujourd'hui
des conséquences que cela pourra entraîner.
Pour toutes ces raisons, madame le garde des sceaux, le Sénat avait fait des
propositions alternatives tendant à résoudre le problème de ces personnes.
(Mais non ! sur plusieurs travées socialistes.)
Si ! D'ailleurs, un de
nos éminents collègues l'avait reconnu à un certain moment en ces termes : « Si
le concubinage homosexuel est reconnu, le PACS n'a en fait plus d'intérêt. »
M. Jean Chérioux.
Exactement !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ainsi, pour de simples raisons d'affichage, on bâtit un texte prévoyant un
contrat, qui a bien entendu des avantages, mais sans contrepartie puisqu'on
peut le rompre très facilement. Certains ont évoqué les obligations de la vie
commune. Or le concubinage permet, aux termes de la jurisprudence, d'obtenir
les mêmes avantages. Par ailleurs, il ne me semble pas nécessaire d'accorder de
droits particuliers, notamment en matière de succession. En effet, s'il
convient de prévoir des discriminations sur le plan fiscal, elles doivent être
réservées avant tout à la famille. Je ne vois pas au nom de quoi il faudrait
les octroyer à des individus. En effet, leur situation résulte d'un choix de
vie, sur lequel la société n'a pas à se prononcer. Celle-ci n'a pas à favoriser
certains individus par rapport à d'autres.
Pour toutes ces raisons, nous aurions pu bien entendu reprendre le débat.
Le Sénat aurait repris son texte sur le concubinage, qui est plus exact sur le
plan juridique ; nos collègues socialistes s'en étaient d'ailleurs rendu compte
puisqu'ils avaient déposé un amendement. En effet, aux termes du texte tel
qu'il résulte des travaux de l'Assemblée nationale, on peut, à la limite, être
marié et concubin officiel.
M. Patrice Gélard,
rappporteur.
Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest.
Cela démontre que lorsqu'on veut faire de l'idéologie, on ne respecte pas
forcément à la lettre les critères juridiques indispensables en matière de
droit civil.
Par ailleurs, nous aurions supprimé article après article les dispositions
relatives au PACS. En effet, nous l'avons, je crois, assez démontré, d'éminents
juristes l'ont démontré également, ce dispositif est inutile et dangereux ; il
risque de donner lieu à de fausses approches des problèmes de la vie
personnelle et de la vie en société.
Il ne s'agit pas, contrairement au titre d'un grand journal du soir,
d'abandonner le combat. Il s'agit de manifester solennellement que, selon nous,
le PACS est une mauvaise idée qui tronque le débat de société qui doit exister.
Il constitue une fausse réponse qui vise à donner satisfaction à quelques
lobbies...
M. Josselin de Rohan.
C'est exact !
M. Jean-Jacques Hyest.
... qui parlent haut et fort, alors que, selon moi, ils ne représentent pas
les centaines de milliers de personnes qui veulent pouvoir résoudre leurs
problèmes de vie commune et vivre ensemble sans être marquées par une
déclaration ou par autre chose. On leur rendrait mieux service, on respecterait
davantage leur dignité et leur responsabilité personnelle sans le PACS. Madame
le garde des sceaux, vous vous trompez, et l'avenir le prouvera !
(Très bien
! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou
garde des sceaux.
Je tiens d'abord à remercier MM. Bel et Bret du soutien
qu'ils ont apporté à ce texte.
Monsieur le rapporteur, nos conceptions sont en effet diamétralement opposées.
C'est clair. Cela est ressorti une fois encore de cette discussion.
En première lecture, vous aviez fait un effort de compréhension. Certains
propos que vous avez tenus aujourd'hui m'ont surpris. Je prendrais l'exemple du
travail au noir. Dire qu'un PACS sera souscrit pour permettre à une personne
d'employer une autre personne sans payer le salaire alors que, dans le même
temps, celle-ci deviendra solidaire des dettes de la vie courante,...
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
C'est possible !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... c'est une construction intellectuelle qui ne tient
pas la route.
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Si !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je suis étonnée de vous entendre invoquer un tel
argument. Vous nous aviez habitués à autre chose ! A trop vouloir démontrer, on
finit par aboutir à des choses assez absurdes !
M. Jean Chérioux.
Vous l'avez prouvé, madame le ministre !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
M. Marini a répété les propos qu'il avait tenus en
première lecture, à l'exception d'une remarque sur la mesure et la démesure ;
mais, très franchement, j'avais plutôt l'impression que la mesure était de mon
côté, et la démesure ailleurs !
M. Jean Chérioux.
Ce n'est pas évident !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Madame Heinis, c'est vrai, le Gouvernement n'accepte
pas que l'on supprime le pacte civil de solidarité.
Vous avez fait un plaidoyer en faveur de la famille. Bien sûr, il faut
protéger la famille, et ce n'est pas parce que ce texte est neutre vis-à-vis
d'elle que nous nous interdisons - et nous allons d'ailleurs le faire -
d'améliorer notre droit pour que la protection de la famille soit plus
importante.
Je ne considère pas comme vous, madame le sénateur, que la famille et le
mariage sont en crise. Je constate au contraire que la famille est un refuge
pour nos concitoyens. Elle est considérée aujourd'hui non seulement comme le
lieu dans lequel s'exerce l'apprentissage des liens entre les générations et
des règles sociales, mais aussi comme le lieu de la solidarité : solidarité
entre les parents et les enfants - des parents vis-à-vis des enfants quand
ceux-ci sont jeunes, et des enfants vis-à-vis des parents quand ceux-ci sont
âgés - solidarité entre frères et soeurs, et, de plus en plus, solidarité des
grands-parents vis-à-vis des plus jeunes, en raison de l'allongement de la
durée de la vie et du niveau des retraites. Il faut donc, bien entendu,
protéger la famille.
Mais je ne vois pas comment on peut soutenir que le PACS menace en quoi que ce
soit la famille. Il existe certes, aujourd'hui, dans notre société, des règles
de droit menaçant la famille, et certaines d'entre elles - permettez-moi de
vous le dire - trouvent leur origine ici même, au Sénat.
J'ai d'ailleurs bien l'intention de proposer leur réforme, notamment
s'agissant des règles fragilisant l'exercice de l'autorité parentale. En effet,
lorsque l'on exige, pour que deux parents puissent exercer vis-à-vis de
l'enfant leurs responsabilités parentales - et un enfant a besoin de ses deux
parents - que leur vie commune ait duré un minimum de temps, permettez-moi de
dire que c'est alors que l'on fragilise la famille ; c'est ce genre de
dispositions dont je proposerai la modification
(M. Hilaire Flandre s'exclame.)
lorsque le groupe de travail, à qui j'ai
demandé de réfléchir à la stabilité de la filiation et à la possibilité de
faire en sorte que, quand un mariage se dissout - plus personne, aujourd'hui,
dans notre société, ne peut contraindre des gens à rester mariés s'ils ne le
souhaitent pas - cela se fasse le mieux possible, justement dans l'intérêt des
enfants, aura rendu ses conclusions.
Permettez-moi de dire que je ne considère pas non plus que le mariage soit en
crise. Le mariage est en effet plébiscité par 25 millions de nos concitoyens ;
et même si les jeunes ne se marient pas d'emblée aujourd'hui, la plupart
d'entre eux, lorsqu'ils souhaitent fonder une famille, choisissent le
mariage.
Rien, absolument rien dans ce que j'ai dit, dans tout ce qui a pu être dit à
l'Assemblée nationale et dans les dispositions du PACS ne fragilise la famille
et le mariage. Au contraire ! S'il y a des fragilités aujourd'hui, c'est parce
que notre droit évolue ; mais j'ai voulu que le PACS soit justement neutre, ce
qui ne veut pas dire que nous ne prendrons pas de dispositions pour permettre
aux parents de mieux exercer leurs responsabilités.
Je crois avoir ainsi répondu à M. Hyest, qui a fait le même type de
commentaires.
Je ferai simplement ici une remarque plus ponctuelle : il n'est pas exact de
dire que, si le concubinage homosexuel est reconnu, le texte sur le PACS n'a
plus d'intérêt. J'ai dit pourquoi en première lecture : le PACS consacre un
engagement. Il s'agit non pas seulement pas de supprimer une discrimination, ce
qui est très bien, mais aussi de consacrer un engagement, dans la durée et dans
la stabilité face à la société.
M. Jean Chérioux.
A la place du mariage !
M. Gérard César.
Il faut le dire !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Mais non ! Pas à la place du mariage : le PACS vise des
gens qui, de toute façon, ne se seraient pas mariés !
Quant au fait que l'on puisse être marié et vivre en concubinage, c'est déjà
le cas aujourd'hui, et le PACS ne change absolument rien à cette situation,
monsieur le sénateur !
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi
que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - Exclamations
sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Hilaire Flandre.
Alors, il ne sert à rien !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Question préalable