Séance du 11 mai 1999
LICENCIEMENT DES SALARIÉS
DE PLUS DE CINQUANTE ANS
Rejet d'une proposition de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de
loi (n° 253, 1998-1999), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale
en deuxième lecture, tendant à limiter les licenciements des salariés de plus
de cinquante ans. (Rapport n° 297 [1998-1999].)
J'informe le Sénat que la commission des affaires sociales m'a fait connaître
qu'elle a d'ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu'elle
présentera si le Gouvernement demande la réunion d'une commission mixte
paritaire en vue de proposer un texte sur les dispositions restant en
discussion de la proposition de loi actuellement en cours d'examen.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai
réglementaire.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les
sénateurs, nous sommes de nouveau réunis pour discuter, en deuxième lecture, de
la proposition de loi déposée par le groupe communiste dans le cadre de l'ordre
du jour réservé de l'Assemblée nationale. Cette proposition de loi a été
adoptée par l'Assemblée nationale sans modification par rapport au texte
qu'elle avait déjà voté en décembre 1998 et que votre assemblée a décidé de
rejeter le 9 février dernier, en adoptant trois amendements visant à supprimer
trois articles d'une proposition de loi qui, justement, n'en comprend que
trois...
Les positions de chacun étant connues sur ce texte, je ne reviendrai que
brièvement sur l'essentiel de ce qui continue de nous opposer. La commission
des affaires sociales vous suggère, mesdames, messieurs les sénateurs, de
maintenir la position adoptée par la Haute Assemblée en première lecture.
Les élus que vous êtes mesurent bien ce que les hommes et les femmes de
cinquante ans peuvent ressentir lorsque, après un licenciement, le chômage
devient « une situation passagère qui ne passe pas ». Chacun d'entre vous
mesure le sentiment d'abandon de ceux qui, après avoir contribué à la richesse
de notre pays, doivent vivre de l'assurance chômage. Parce que cette population
est naturellement plus fragile, le Gouvernement mène une politique de l'emploi
particulièrement active en direction de ces salariés âgés et qui tient en
quelques mots clés : éviter les licenciements, reclasser les salariés et en
accompagner certains vers la retraite.
Il s'agit, d'abord, d'éviter les licenciements en intervenant le plus amont
possible des plans sociaux pour trouver des solutions alternatives, comme la
réduction du temps de travail.
Il s'agit, ensuite, de reclasser les salariés en veillant à la qualité des
plans sociaux lorsqu'ils n'ont pu être évités.
Il s'agit, enfin, d'accompagner les salariés qui sont entrés précocément dans
le monde du travail en accédant à leur volonté de partir à la retraite,
moyennant l'embauche d'un jeune.
Cette politique doit être complétée par la nécessité de dissuader les
licenciements des salariés de plus de cinquante ans. C'est le sens de notre
présence ce soir.
Cette nécessité de dissuader les licenciements des salariés les plus âgés est
apparue dès 1987, au moment de la suppression de l'autorisation administrative
de licenciement par le gouvernement de M. Jacques Chirac, alors Premier
ministre.
Dans son principe, personne ne conteste l'utilité d'une contribution qui taxe
spécifiquement les licenciements des salariés les plus âgés pour dissuader
leurs employeurs, ou en tout cas pour qu'ils mesurent bien, pour la
collectivité, le coût social et financier de leurs décisions.
Les faits ont d'ailleurs plaidé en faveur d'un tel mécanisme puisque les
entrées en assurance chômage de personnes de plus de cinquante-cinq ans se sont
d'abord réduites de 25 000 après l'instauration de cette contribution entre
1987 et 1990. Cette tendance s'est ensuite inversée. C'est pourquoi Mme Martine
Aubry avait alors étendu le champ de cette contribution à toute rupture d'un
contrat de travail de salarié de plus de cinquante ans.
Cela permit, dans un environnement beaucoup moins favorable qu'en 1987, de
freiner à nouveau les entrées au chômage des plus de cinquante-cinq ans.
Depuis 1994, ces licenciements sont, hélas ! repartis à la hausse, malgré une
conjoncture meilleure, pour revenir à un niveau de 71 000 en 1997, notamment
parce que certaines entreprises ont mis en place des stratégies que l'on
pourrait qualifier « de contournement »
C'est donc pour revenir à l'efficacité d'une contribution dont chacun apprécie
le bien-fondé que nous débattons aujourd'hui de la présente proposition de
loi.
Pour corriger les imperfections du dispositif, il vous est proposé
d'assujettir au versement de la contribution Delalande les ruptures du contrat
de travail qui interviennent dans le cadre des conventions de conversion.
Ainsi, le Gouvernement, loin de faire le procès des conventions de conversion,
en défend le principe, en recentrant le dispositif sur les bénéficiaires qui y
adhèrent sans la pression, parfois discutable, de leur employeur. Certains
employeurs poussent en effet leurs salariés vers ce dispositif uniquement pour
échapper au paiement de la contribution Delalande et à la discussion avec
l'Etat de l'éventuelle mise en oeuvre de préretraites.
Comme a pu le constater M. Souvet dans son rapport de première lecture, le
nombre des conventions concernant les plus de cinquante-cinq ans a été
multiplié par douze depuis 1990, alors que M. Souvet lui-même s'interrogeait en
première lecture sur l'utilité réelle de ces conventions pour les salariés de
plus de cinquante-cinq ans, compte tenu du très faible taux de reclassement que
l'on constate dans cette tranche d'âge.
Ces chiffres auraient dû démontrer aux plus sceptiques que, en ce domaine, il
y a matière à interrogation.
S'agissant de la deuxième faille de la contribution, le refus de préretraites
ASFNE, le Gouvernement n'a pas contesté le nombre très faible de fraudes.
Le fait de signaler malgré tout leur existence ne peut être assimilé à un «
procès d'intention fait aux entreprises ».
Je rappelle également, pour que ne subsiste aucune ambiguïté, que ne seront
soumises à la contribution Delalande que les conventions ASFNE qui ont fait
l'objet d'un refus du salarié.
Je regrette également que la commission des affaires sociales du Sénat
persiste à voir dans cette proposition de loi un frein à l'embauche des
quarante-cinq - cinquante ans.
C'est justement pour éviter tout effet de seuil qu'il a été annoncé que le
taux de la contribution Delalande serait progressif jusqu'à cinquante-sept ans
et dégressif ensuite jusqu'à soixante ans.
Au-delà, je rappelle que tout employeur qui embauche aujourd'hui une personne
âgée de plus de cinquante ans n'aurait pas à payer la contribution en cas de
licenciement.
J'ajoute, enfin, qu'il apparaît clairement que la tranche d'âge évoquée par M.
le rapporteur comme menacée par l'extension de la contribution Delalande, celle
des quarante-cinq - cinquante ans, n'est pas à proprement parler la plus
touchée par le chômage, et tant mieux.
Au contraire, les quarante-cinq - quarante-neuf ans sont ceux qui connaissent
le taux de chômage, au sens du BIT, le Bureau international du travail, le plus
faible de la population française, puisqu'il s'établit à 8,4 %.
S'agissant des aspects pratiques que certains ont pu soulever, je pense à
l'entrée en vigueur rétroactive de la loi qui a pour objet d'éviter tout effet
pervers dans l'attente de la promulgation de la loi, je rappelle que les
petites entreprises de moins de vingt salariés, c'est-à-dire les entreprises
pour lesquelles la rétroactivité pourrait poser quelques difficultés,
continueront à être exonérées pour le premier licenciement.
En ce qui concerne l'affectation des recettes, je ne ferai, là encore, que
répéter les engagements pris par le Gouvernement. Toutes les dispositions ont
été prises pour que les ressources de l'UNEDIC ne soient pas affectées par les
mesures prises ; mieux, le régime d'assurance chômage devrait faire des
économies sur l'indemnisation des personnes de plus de cinquante ans, qui pèse
aujourd'hui sur les comptes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir répondu à un certain nombre
d'interrogations formulées dans le rapport écrit. Ce texte est un complément
important à la politique que le Gouvernement mène en faveur des salariés âgés.
Il vient corriger certaines imperfections qui sont apparues au cours de
l'application d'un dispositif instauré en 1987, déjà aménagé en 1992 par Mme
Martine Aubry et auquel il convient d'apporter ces nouvelles modifications pour
lui rendre son plein effet dissuasif.
(Applaudissements sur les travées
socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en deuxième lecture, le 4
mars 1999, l'Assemblée nationale n'a pas apporté de modification à la
proposition de loi tendant à limiter les licenciements des salariés de plus de
cinquante ans, qu'elle avait adoptée en première lecture le 10 décembre 1998 et
que le Sénat a rejetée le 9 février 1999.
Cette proposition de loi, déposée par M. Alain Belviso et les membres du
groupe communiste et apparentés, vise à étendre le champ de la contribution
Delalande due pour le licenciement d'un salarié de plus de cinquante ans.
Elle soumet à cette contribution les ruptures des contrats de travail des
salariés ayant adhéré à ces conventions de conversion - c'est l'article 1er -
et les licenciements des salariés ayant refusé le bénéfice de la préretraite
dans les limites du Fonds national de l'emploi - c'est l'article 2.
Elle prévoit, dans l'article 3, que ces dispositions seront applicables pour
toutes les ruptures de contrat de travail intervenant à compter du 1er janvier
1999, c'est-à-dire de manière rétroactive. Difficile exercice !
Cette proposition de loi est présentée par le Gouvernement comme le complément
indispensable du doublement - voire, dans certains cas, du triplement - de la
contribution Delalande, décidé par voie réglementaire à compter du 31 décembre
1998. En application du décret n° 98-1201 du 28 décembre 1998, le taux de cette
contribution est désormais progressif : il va de deux mois de salaire brut à
cinquante ans à douze mois de salaire brut à cinquante-six et cinquante-sept
ans. Il est ensuite dégressif à partir de cinquante-huit ans.
En première lecture, constatant que le Gouvernement attendait de la majoration
et du doublement de la contribution Delalande des recettes supplémentaires de
1,4 milliard de francs, la commission des affaires sociales avait été conduite
à s'interroger sur la nature exacte de cette contribution : constituait-t-elle
une contribution de dissuasion ou une contribution de rendement ?
Dans le premier cas, l'objectif consiste à dissuader, autant que possible, les
licenciements des salariés : l'idéal serait donc que le produit de cette
contribution soit quasiment nul, ce qui témoignerait de l'efficacité du
dispositif.
Dans le second cas, la finalité est tout autre : il s'agit d'accroître le
produit d'un prélèvement en en majorant le taux et en en élargissant
l'assiette. C'est ce qu'a fait Mme le secrétaire d'Etat.
La commission des affaires sociales avait estimé que le Gouvernement semblait
se faire peu d'illusions quant à l'efficacité réelle du nouveau dispositif et
privilégiait avant tout le rendement financier de cette contribution.
Elle avait relevé que la présente proposition de loi reposait sur des
fondements fragiles et contestables. Elle avait en effet considéré que les
prétendus contournements de la contribution Delalande par les conventions de
conversion ou par les refus de conventions de préretraite n'étaient pas
prouvés.
Elle avait pensé que la simple constatation d'une augmentation de la part des
salariés de plus de cinquante ans dans les entrées en convention de conversion
paraissait très insuffisante à démontrer un contournement massif et un abus
généralisé justifiant une intervention du législateur. J'ai relu, madame le
secrétaire d'Etat, le rapport auquel vous avez fait allusion ; je crois qu'il y
a de votre part un abus de langage, car je n'y ai pas retrouvé les chiffres que
vous avez cités, venant en tout cas du rapporteur.
Il nous avait en outre paru contradictoire de faire porter la contribution
Delalande, qui procède d'une logique de sanction, sur les conventions de
conversion qui ont précisément pour objectif de faciliter le reclassement du
salarié dont le licenciement n'a pu être évité.
Nous avions regretté que le Gouvernement semble condamner l'utilisation de ces
conventions pour les salariés âgés de plus de cinquante ans et se satisfasse
ainsi de l'exclusion définitive de ces salariés du marché du travail.
S'agissant des refus de préretraites FNE, la commission des affaires sociales
avait constaté que les affirmations concernant d'éventuels abus ne reposaient
pas davantage sur des éléments précis. Nous avions souligné que, sur une
moyenne de 20 000 entrées en préretraite FNE chaque année, le nombre de refus
était extrêmement faible et portait sur une soixantaine de salariés par an
seulement.
Après avoir relevé que le refus du salarié pouvait, dans certains cas, être
motivé par une indemnisation au titre de l'assurance chômage plus avantageuse
que la préretraite, la commission avait estimé que le nombre des refus
susceptibles de résulter d'une éventuelle pression de l'employeur était, dans
l'hypothèse la plus pessimiste, de l'ordre de quelques dizaines à peine.
Dans ces conditions, nous nous étions interrogés sur le bien-fondé d'une
intervention du législateur pour réprimer un nombre effectif d'abus qui
devaient vraisemblablement se compter sur les doigts d'une seule main.
La commission avait jugé inacceptable le procès d'intention fait aux
entreprises, globalement considérées par les initiateurs de cette proposition
de loi comme ayant un comportement frauduleux.
Elle avait estimé que la proposition de loi ne semblait répondre qu'à des
considérations très politiques et visait avant tout, pour le Gouvernement qui
avait demandé l'inscription de ce texte à l'ordre de jour prioritaire du Sénat,
à conforter la cohésion de sa majorité.
La commission des affaires sociales avait dénoncé « la logique de sanction et
d'accroissement des charges des entreprises » qui animait cette proposition de
loi. Là où des dispositifs positifs, dynamiques et imaginatifs étaient
nécessaires, ce texte ne visait à mettre en place que des mesures pénalisantes
et contraignantes pour les entreprises.
Nous avions exprimé la crainte que cette proposition de loi, qui entendait
préserver l'emploi, ne constitue en définitive un véritable frein à l'emploi,
notamment pour les salariés âgés de quarante-cinq à cinquante ans.
Pour répondre à votre propos liminaire, madame le secrétaire d'Etat, il paraît
évident que cette proposition de loi va décourager les employeurs d'embaucher
des personnels approchant la cinquantaine.
Nous nous étions enfin interrogés sur la cohérence de la politique que mène le
Gouvernement en matière d'emploi des salariés les plus âgés. Nous avions
souligné qu'il était paradoxal d'augmenter la contribution Delalande afin de
sanctionner les entreprises qui licencient des salariés âgés de plus de
cinquante ans, tout en encourageant simultanément certaines entreprises - je ne
les citerai pas - à rajeunir leur pyramide des âges par des départs massifs et
anticipés de salariés dits « âgés ».
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission des affaires sociales avait
proposé au Sénat, comme vous l'avez rappelé, madame la secrétaire d'Etat,
d'adopter trois amendements de suppression des trois articles de cette
proposition de loi. Il n'en restait plus guère, évidemment !
L'adoption par le Sénat de ces amendements, le 9 février 1999, a conduit au
rejet de la proposition de loi.
Délibérant, en application de l'article 109 de son règlement, sur le texte
qu'elle avait adopté en première lecture, l'Assemblée nationale n'a pas
souhaité modifier ce texte en deuxième lecture.
A cette occasion, ni le Gouvernement ni le rapporteur n'ont apporté d'éléments
nouveaux permettant de justifier le bien-fondé de cette proposition de loi et
susceptibles de faire évoluer la position adoptée par le Sénat en première
lecture. Nous n'étions pas fermés, mais encore eût-il fallu nous apporter
quelques précisions.
En outre, aucune réponse n'a été apportée aux interrogations concrètes
formulées par la commission des affaires sociales.
Nous avions par exemple jugé que la rédaction retenue par l'article 1er de la
proposition de loi concernant la participation financière de l'entreprise aux
conventions de conversion était pour le moins imprécise et pouvait
s'interpréter de deux façons : soit la référence se faisait sur la base de
l'article D. 322-2 du code du travail, qui détermine la participation de
l'entreprise au sens large du terme, préavis du salarié y compris, soit
l'interprétation se faisait plus stricte, et la participation de l'entreprise
se limitait au forfait de 4 500 francs.
Sur ce point, aucune précision n'a été apportée par le Gouvernement, et nous
sommes toujours dans le cadre de nombreux contentieux possibles.
La commission s'était également inquiétée de l'affectation des recettes
supplémentaires que le Gouvernement attend de la majoration et de l'extension
de la contribution Delalande. Alors que l'UNEDIC est, en application de
l'article L. 321-13 du code du travail, le seul bénéficiaire des sommes
prélevées au titre de la contribution Delalande, le Gouvernement avait indiqué
par la voix de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, que
ces recettes supplémentaires iraient à l'Etat si les partenaires sociaux se
refusaient à améliorer l'indemnisation du chômage des salariés précaires.
Nos craintes ont été, hélas ! confirmées par un arrêté du 1er avril 1999 qui
prive
de facto
l'UNEDIC du produit du doublement de la contribution
Delalande.
Cet arrêté augmente en effet la participation de l'UNEDIC au financement des
préretraites FNE d'un montant équivalent au produit attendu du doublement de la
contribution Delalande, soit 1,15 milliard de francs en 1999. La participation
de l'Etat au financement de ces préretraites en est évidemment réduite
d'autant.
Cet arrêté, comme vous l'imaginez bien, a été très vivement critiqué par
l'UNEDIC, qui a dénoncé « une remise en cause unilatérale des engagements de
l'Etat » et a souligné que les dispositions de l'accord de 1987 pouvaient être
modifiées, non par un arrêté ministériel mais par les seuls signataires de
l'accord. Vous êtes passée outre, madame la secrétaire d'Etat.
Enfin, la commission des affaires sociales avait fait valoir les problèmes
pratiques et les risques de contentieux que ne manquerait pas de soulever
l'entrée en vigueur rétroactive de la loi au 1er janvier 1999.
L'Assemblée nationale n'a pas tenu compte de cette observation et a rejeté un
amendement présenté par M. Bruno Bourg-Broc, député de la Marne, prévoyant
précisément que la présente loi n'entrerait en vigueur qu'à compter de sa date
de publication.
Dans ces conditions, et pour l'ensemble de ces raisons, la commission des
affaires sociales vous propose, mes chers collègues, de maintenir la position
exprimée par le Sénat en première lecture.
Elle vous invite à adopter trois amendements de suppression des trois articles
de ce texte et à rejeter par conséquent une nouvelle fois cette proposition de
loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous
examinons ce soir en deuxième lecture une proposition de loi qui tend à
compléter le dispositif de la contribution Delalande dont l'objectif est de
dissuader les employeurs de licencier les salariés de plus de cinquante ans. Il
s'agit ici de définir un dispositif général pour les entreprises de plus de
vingt salariés qui envisagent de se séparer de leurs employés les plus âgés.
Sans préjuger le contenu et les conclusions du tout prochain débat que nous
allons avoir à propos des retraites, nous pouvons d'ores et déjà affirmer que
notre pays n'est pas en capacité d'assumer le coût social et économique que ne
manquerait pas d'engendrer la cessation d'activité généralisée pour les
salariés à partir de cinquante ans.
Le désaccord qui nous opposait en première lecture à propos des dispositions
de ce texte demeure. Il porte essentiellement sur deux points.
D'une part, y a-t-il, oui ou non, de la part de certains employeurs un recours
abusif aux deux dispositifs permettant le départ de l'entreprise, dispositifs
qui, jusqu'à maintenant, échappent au paiement de la contribution : je veux
parler des conventions de convertion et des allocations spécifiques du FNE ?
D'autre part, le renchérissement de la contribution Delalande, qui pourra
atteindre, selon le nouveau barème instauré en décembre dernier, douze mois de
salaires, constitue-t-il un obstacle à l'embauche des demandeurs d'emploi qui
abordent la cinquantaine ?
Pour étayer et éclairer notre jugement, nous disposons notamment de données
chiffrées que nous fournit l'UNEDIC. La question est la suivante : quelle
signification et quelle interprétation leur donnons-nous ?
Ainsi, selon la majorité de la commission des affaires sociales, si l'on
s'attache à l'évolution des conventions de conversion, l'augmentation de la
part des salariés de plus de cinquante ans ne suffirait à démontrer ni un
contournement massif ni un abus justifiant une intervention du législateur.
L'objectif premier des conventions de conversion est le reclassement des
salariés grâce à des actions de formation. Or, le taux de progression des
entrées dans ce dispositif est instructif : les personnes âgées de plus de
cinquante ans ont augmenté de 4000 en quatre ans, de 1994 à 1998.
Le nombre des entrants âgés de plus de cinquante-cinq ans est encore plus
éloquent puisqu'il a été multiplié par six, alors que, malheureusement, le taux
de reclassement de ces personnes chute au fil des années pour n'atteindre que
18 % après cinquante-six ans.
Un tel attrait pour un dispositif dont l'efficacité s'altère en fonction de
l'âge auquel on adhère témoigne pour le moins de certaines dérives, d'abus
manifestes, voire de dévoiements du dispositif.
L'intervention du législateur se justifie-t-elle ? Les sénateurs socialistes
considèrent qu'il est de la responsabilité des parlementaires de régler les
dysfonctionnements de certains dispositifs législatifs, qu'il relève de la
compétence du Parlement de débattre des réponses que peut apporter la
collectivité aux difficultés qui apparaissent de plus en plus insurmontables
pour les chômeurs de plus de cinquante ans. Nos discussions, l'année dernière,
sur l'ASA, l'allocation supplémentaire d'attente, furent ainsi particulièrement
intéressantes et éclairantes.
L'interrogation est identique en ce qui concerne les ASFNE : les cas de refus
d'entrée dans le dispositif émanant des salariés, qui ont abouti à des ruptures
de contrats de travail, justifient-ils une extension de la contribution
Delalande ?
Les licenciements sont ici justifiés par un motif économique. Dès lors, nous
ne voyons pas pourquoi le droit commun, qui prévoit pour ces licenciements le
versement de la contribution Delalande, ne s'appliquerait pas.
C'est pourquoi je réaffirme la position défavorable des sénateurs socialistes
sur les propositions de suppression des trois articles de la proposition de loi
de M. Belviso.
Par ailleurs, ces dispositions auront-elles un effet dissuasif sur les
embauches de demandeurs d'emplois aux abords de la cinquantaine ?
Je rappellerai ce que je disais en première lecture : défendre cette analyse,
c'est admettre implicitement que les employeurs gèrent leur stratégie
d'embauche en fonction de la facilité avec laquelle ils vont pouvoir licencier,
appréciant par ailleurs, bien entendu, que la solidarité nationale mette
progressivement en place des filets de sécurité tels que l'allocation chômeurs
âgés, l'ACA, ou l'allocation supplémentaire d'attente, l'ASA, qui permettent
d'assurer un revenu minimum de remplacement jusqu'à la liquidation de la
retraite, avec cependant - nous le savons bien - un grand nombre de situations
difficiles et précaires, en dépit des efforts de la collectivité.
Cette approche existe chez certains employeurs, mais les pouvoirs publics ne
peuvent la cautionner.
Il existe d'ailleurs des garde-fous : ainsi, les ruptures de contrats de
travail signés après juin 1992 avec des demandeurs d'emplois de plus de
cinquante ans au chômage depuis plus de trois ans sont exonérées du paiement de
cette contribution. Les entreprises de moins de vingt salariés qui seraient
amenées à licencier un salarié âgé d'au moins cinquante ans en sont également
exemptées.
Enfin, depuis nos débats en première lecture, un arrêté du ministère de
l'emploi est venu préciser les modalités d'affectation du produit de
l'augmentation de cette contribution.
Il faut retenir des négociations entre les partenaires sociaux et le ministère
que l'UNEDIC ne sera en rien pénalisée. Les modifications intervenant au titre
de la dotation de l'Etat pour l'AS-FNE s'effectueront dans le cadre d'une
compensation intégrale.
Cette affectation, qui établit un lien direct entre le licenciement des
salariés âgés qui éprouvent de grandes difficultés à retrouver un emploi et le
financement d'une allocation versée à une personne jusqu'à l'âge de sa
retraite, est une réponse à ceux qui, lors de nos discussions, dénonçaient le
risque de voir le produit de ce doublement affecté à l'amélioration de
l'indemnisation des jeunes chômeurs.
Je me permets à cet égard de faire une remarque : il est souvent pervers et
toujours périlleux d'opposer les générations les unes aux autres, surtout
lorsqu'il s'agit de chômeurs. Quand bien même le produit du doublement de la
contribution Delalande aurait participé à l'amélioration de la situation des
jeunes chômeurs, je ne vois là rien de choquant.
Ce qui est choquant, en revanche, c'est le systématisme avec lequel les plans
sociaux prennent pour cible les salariés d'un certain âge ; ce qui est
inadmissible, c'est le renoncement de certains responsables d'entreprises
lorsqu'il s'agit de déterminer les priorités de la formation continue.
La contribution élargie qui nous est proposée ce soir devrait donc permettre à
la fois d'agir comme argument de dissuasion et d'abonder directement les fonds
de l'UNEDIC pour l'ASFNE, mesure qui coûte cher à la collectivité.
En conséquence, souscrivant à ces objectifs, le groupe socialiste ne votera
pas le texte tel qu'il est proposé par la majorité
sénatoriale.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 9 février
dernier, la Haute Assemblée, suivant les recommandations de la majorité de la
commission des affaires sociales, supprimait les trois articles d'une
proposition de loi qui, tout en renforçant le dispositif Delalande, optimisait
la protection de la fin de carrière des salariés âgés.
Intervenant alors, je m'opposais à cette démarche de rejet pur et dur,
convaincu du bien-fondé de cette intervention législative.
Fort judicieusement, l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, a réabli le
texte dans sa version initiale. Grâce à cette initiative du groupe communiste,
le champ de la cotisation due par les entreprises en cas de licenciement de
salariés de plus de cinquante ans sera étendu et son efficacité renforcée.
Désormais, les ruptures de contrat de travail des salariés ayant adhéré à des
conventions de conversion et les licenciements des salariés ayant refusé le
bénéfice d'une préretraite FNE seront assujettis au versement de cette
contribution.
A noter que la décision du Gouvernement du 31 décembre dernier, permettant de
doubler le taux de la contribution Delalande, complétera utilement cette action
prioritaire de prévention des risques de licenciement et de partage des coûts
consécutifs aux destructurations d'emploi.
Demanderesse de toujours moins de contraintes pour les entreprises, dénonçant
la logique de sanction, une nouvelle fois, la majorité sénatoriale s'apprête à
réduire à néant la présente proposition de loi.
Pourtant, mesdames, messieurs, certains chiffres, certains faits, sont
éloquents !
Entre 1994 et 1997, les licenciements de salariés de plus de cinquante ans
sont passés de 55 000 à 71 000 par an.
Actuellement, pour éviter le coût d'une préretraite, certaines entreprises
préfèrent recourir aux licenciements secs de salariés quinquagénaires. Pour ces
salariés, passé un certain âge, le chômage ne recule pas, bien au contraire, la
réinsertion sur le marché de l'emploi ressemblant à un véritable chemin de
croix.
Il ne suffit pas de déplorer les drames humains, drames personnels et
familiaux, que sont contraintes de vivre au quotidien les personnes exclues
prématurément de l'emploi ; il convient de s'attaquer à la cause de ces maux,
de stopper certaines dérives inquiétantes.
Alors pourquoi, si ce n'est par réflexe politique d'opposition systématique à
toute mesure dissuasive, responsabilisante pour les entreprises, contester de
telles réalités et rejeter les remèdes préconisés ?
Comment, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, peut-on choisir de ne
rien faire pour freiner les licenciements et les entrées au chômage des plus de
cinquante-cinq ans ?
Comment peut-on soutenir la proposition du MEDEF d'allonger à quarante-cinq
ans la durée de cotisation requise pour avoir droit à une retraite complète -
solution socialement impraticable - et se soustraire à toute réflexion visant à
imposer aux entreprises de ne plus évincer dès cinquante ans les salariés ?
La logique de votre raisonnement m'échappe !
Je regrette que nous n'ayons pu débattre de l'ensemble des dispositions
contenues initialement dans la proposition de loi, qu'il s'agisse de celles qui
tendent à améliorer la situation des plus de cinquante ans au regard de la
retraite ou de celles qui sont relatives à l'ARPE. Cela aurait été l'occasion
de pointer les incohérences de vos positions concernant la situation des
salariés âgés.
Le Gouvernement a fait le choix de mener une politique sociale et une
politique de l'emploi volontaristes. Ce choix commence à porter ses fruits, le
chômage continuant à régresser.
Toutefois, la précarisation du marché du travail continue ; les nombreuses
annonces de suppressions d'emplois inquiètent et viennent quelque peu
contrecarrer ces embellies
Selon un relevé de plans sociaux effectué ces quatre derniers mois par les
fédérations de la Confédération général du travail, 21 052 suppressions
d'emplois annoncées ou en cours dans les entreprises en France ont été
récensées. Au hit-parade des entreprises - les plus touchées, on peut relever
Mode Industrie Ouest, en Vendée, avec 3 000 emplois supprimés d'ici à
septembre, Elf, avec 2 000 emplois supprimés en deux ans et IBM
Corbeil-Essonne, avec 1 150 emplois supprimés sur trois ans.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Il ne s'agit pas là de salariés âgés de plus de cinquante ans
!
M. Guy Fischer.
Sans vouloir généraliser, force est malheureusement de constater que les
entreprises - le plus souvent de grands groupes qui, par ailleurs, distribuent
à leurs actionnaires des dividendes respectables - recourent facilement aux
licenciements. C'est pourquoi les membres du groupe communiste républicain et
citoyen considèrent qu'il est nécessaire de légiférer, pour éviter tout
détournement du code du travail, pour assurer une meilleure protection des
salariés contre les abus en matière de licenciement.
Par conséquent, nous nous opposons au rejet du texte envisagé par la
commission des affaires sociales.
Enfin, très prochainement, nous déposerons sur le bureau de cette assemblée
une proposition de loi offensive, destinée à combattre les licenciements
économiques, ultime recours, en intégrant notamment au code du travail toutes
les avancées jurisprudentielles récentes, mais aussi en renforçant
l'information et l'écoute des salariés et de leurs représentants ou
l'obligation de reclassement.
Je souhaite que les pouvoirs publics prennent toutes leurs responsabilités,
que les ambiguïtés nées entre autres de la jurisprudence récence concernant IMB
France soient levées et qu'enfin nous nous engagions pour modifier en
profondeur la philosophie de la loi sur les licenciements pour motif économique
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des propositions de loi, la discussion des
articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont
pas encore adopté un texte identique.
Article 1er