Séance du 1er juin 1999
CONVENTION SUR LA SÉCURITÉ
DU PERSONNEL DES NATIONS UNIES
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 23, 1998-1999)
autorisant la ratification de la convention sur la sécurité du personnel des
Nations unies et du personnel associé. [Rapport n° 289, (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le nombre des
opérations de maintien de la paix conduites sous l'autorité du secrétaire
général des Nations unies s'est considérablement accru depuis la fin de la
guerre froide.
Ces opérations sont, de surcroît, plus diverses et plus complexes, certaines
étant désormais créées pour mettre fin à des situations de guerre civile ou, du
moins, pour limiter l'ampleur ou les conséquences humaines de ces conflits. Il
s'est ensuivi un fort accroissement du nombre des agressions dirigées contre
les membres de ces missions. La conduite des Etats d'accueil ou des Etats de
transit a aussi, dans certains cas, provoqué de réelles difficultés.
C'est pour prendre en compte ce contexte nouveau que l'Assemblée générale des
Nations unies a adopté, le 9 décembre 1994, la convention sur la sécurité du
personnel des Nations unies et du personnel associé, que la France a bien
entendu signé, et ce dès le 12 janvier 1995.
Cette convention doit permettre d'assurer une meilleure protection des
personnels participant aux opérations de maintien de la paix des Nations unies.
Sont concernés non seulement ceux qu'on appelle les casques bleus, mais aussi
les membres d'organisations non gouvernementales ou d'institutions spécialisées
ayant passé un contrat avec le secrétariat des Nations unies.
En premier lieu sont établis les premiers éléments d'un statut pour le
personnel des Nations unies et le personnel associé.
Des marques d'identification sont prévues ; l'Etat hôte et l'Organisation des
Nations unies concluent dès que possible un accord sur le statut de l'opération
et de son personnel. L'Etat de transit doit faciliter le libre transit. Enfin,
les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour assurer la
sécurité de ces personnels qui, en cas d'arrestation, ne peuvent être soumis à
un interrogatoire et doivent être relâchés et rendus à l'ONU ou à une autre
autorité appropriée.
En second lieu, la convention vise à réprimer les atteintes portées à la
sécurité du personnel des Nations unies et du personnel associé. Elle crée
ainsi un mécanisme juridictionnel fondé sur le principe « extrader ou juger » :
chaque Etat partie doit, s'il n'extrade pas l'auteur présumé de l'une des
infractions définies par la convention, notamment les meurtres et les
enlèvements, soumettre l'affaire à ses autorités compétentes.
En résumé, la convention devrait permettre de limiter les agressions dont sont
victimes les personnels des Nations unies, civils et militaires, et ceux des
organisations non gouvernementales ayant passé un accord avec le secrétariat
des Nations unies. Elle devrait avoir un rôle dissuasif en conférant un statut
à ces personnels et en rendant plus probable le jugement de ceux qui leur
portent atteinte.
Il s'agit d'une garantie essentielle pour les Français qui sont largement
impliqués dans les opérations de maintien de la paix - la France est
actuellement le neuvième contributeur en troupes aux opérations des Nations
unies - et qui prennent largement part aux travaux des ONG. L'actualité nous
rappelle malheureusement chaque jour à quel point de telles dispositions sont
nécessaires.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle la convention
sur la sécurité du personnel des Nations unies et du personnel associé,
convention qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre
approbation.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Aymeri de Montesquiou,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, la convention que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui doit
permettre d'améliorer la sécurité des personnels des Nations unies engagés dans
des opérations de maintien de la paix ainsi que celle des personnels associés,
c'est-à-dire des personnes mises à la disposition des Nations unies par une
organisation non gouvernementale.
Cette convention du 9 décembre 1994 répond à un véritable besoin. En effet,
les risques, parfois très graves, et même mortels, encourus par le personnel de
l'ONU sur les différents théâtres opérationnels, ainsi que par les personnels
d'ONG associés à des interventions onusiennes, nous obligent à réagir.
Les chiffres sont accablants : pour la seule année 1993, on a compté plus de 1
000 morts parmi les personnels de l'ONU, dont 202 militaires. La convention a
été élaborée en réaction à cette situation inadmissible : on ne peut accepter
que le personnel des Nations unies et des organisations humanitaires fasse
l'objet d'attaques délibérées. Meurtres et enlèvements ne sont plus aujourd'hui
exceptionnels. Dans de nombreux cas, ces actes sont destinés à déstabiliser le
fonctionnement de l'opération visée.
D'autres agressions, sans se traduire par la mort des victimes, n'en
témoignent pas moins d'une volonté de s'en prendre aux acteurs d'interventions
à vocation humanitaire.
Les causes d'une telle évolution tiennent à différents facteurs d'instabilité
qui s'inscrivent dans la complexité des conflits de l'après-guerre froide et,
fréquemment, dans un climat mafieux. Ils sont souvent générés par la rareté,
donc la valeur des vivres et des médicaments apportés par les organismes
humanitaires.
Un autre facteur de vulnérabilité tient à la composante identitaire de
nombreux conflits. En effet, les populations civiles deviennent des enjeux
d'affrontements à dominante ethnique ; ceux qui s'efforcent de protéger ces
populations sont considérés à leur tour comme des ennemis et font l'objet
d'agressions.
Tel est le contexte très préoccupant de l'élaboration de la convention.
De nombreux articles de la convention portent sur la coopération pénale entre
les Etats parties. Il s'agit d'assurer la répression des infractions visées par
la présente convention, notamment en garantissant l'extradition des coupables
et en obligeant les Etats qui n'extraderaient pas ces personnes à exercer
l'action pénale. Ces dernières stipulations sont des règles classiques de la
coopération pénale internationale.
La convention du 9 décembre 1994 contribuera donc à combler un vide
juridique.
Cependant, certaines incertitudes subsistent quant au champ d'application de
ce texte en raison d'une définition ambiguë des opérations de Nations unies
précisant le champ d'application de la convention.
L'article 1er semble impliquer que la convention s'applique à toute opération
de l'ONU, quel que soit son fondement juridique dans la Charte - soit le
chapitre VI, relatif au maintien de la paix, soit le chapitre VII, relatif aux
actions coercitives - pour peu que cette opération ait été mise en oeuvre par «
l'organe compétent » des Nations unies, qu'elle soit conduite « sous l'autorité
et le contrôle » de l'ONU, et que, de surcroît, elle « vise à maintenir ou à
rétablir la paix et la sécurité internationale » ou qu'il ait été décidé par le
Conseil de sécurité ou l'Assemblée générale « qu'il existe un risque
exceptionnel pour la sécurité des personnels participant à l'opération ».
En revanche, l'article 2-2 de la convention exclut les actions coercitives,
c'est-à-dire les opérations fondées en tout ou partie sur le chapitre VII et
dans le cadre desquelles « du personnel est engagé comme combattant contre des
forces armées organisées ».
Dans cet esprit, des interventions comme Tempête du désert ou l'opération
Alba, force de protection de six mille hommes déployés entre avril et août 1997
en Albanie, sont exclues du champ d'application de la convention, au profit du
droit des conflits armés internationaux.
La rédaction de l'article 2-2 ne résout donc pas les difficultés posées par
les interventions hybrides, auxquelles participent des personnes intervenant à
titre militaire et humanitaire. Ces personnes seraient-elles exclues de la
protection liée à l'application de la présente convention, dès lors qu'elles
interviennent en vertu d'une mission intégrant des éléments du chapitre VII
?
Enfin, il semble que l'application de la présente convention suppose
l'existence préalable d'une opération des Nations unies. Ainsi, l'enlèvement de
Vincent Cochetel, en 1998, n'aurait pas été intégré dans le champ d'application
de la convention si celle-ci avait pu être invoquée au moment des faits, car il
n'existe pas d'opération des Nations unies en Ossétie du Nord, dans la
Fédération de Russie, et que, par ailleurs, le Caucase n'est pas classé parmi
les régions du monde induisant un « risque exceptionnel » pour les personnels
qui y sont engagés, ce qui est très surprenant.
Dans cette logique, on peut se demander si la présente convention pourrait
s'appliquer à l'intervention du Haut-Commissariat pour les réfugiés dans le
cadre de la crise du Kosovo. En d'autres termes, cette zone est-elle considérée
comme présentant un risque majeur pour les personnels qui y sont engagés ?
En conclusion, cette convention, si elle constitue une avancée, apparaît
néanmoins comme un texte de circonstance traduisant la prise de conscience
internationale d'un problème majeur qui n'ira pas en s'atténuant. C'est surtout
un pas franchi par la communauté internationale en direction d'une prise de
conscience vigilante des dangers liés à une intervention humanitaire dans des
régions sensibles. Cette convention vient compléter les conventions de Genève
de 1949.
Au demeurant, je serai moins optimiste que vous, monsieur le ministre, car on
peut douter, à mon avis, de sa réelle efficacité et imaginer que la punition
des Coupables passera plus par l'intervention de la cour pénale internationale
que par la mise en oeuvre des procédures de coopération qu'elle instaure.
Notons de plus que le statut de Rome de 1998, qui a institué la Cour pénale
internationale, définit précisément les agressions visées par la présente
convention. Il qualifie de crime de guerre relevant de la compétence de cette
juridiction « le fait de lancer des attaques délibérées contre le personnel,
les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le
cadre d'une mission d'aide humanitaire ou de maintien de la paix conformément à
la Charte des Nations unies ».
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des affaires étrangères,
de la défense et des formes armées vous invite, mes chers collègues, à adopter
le projet de loi autorisant la ratification de la convention du 9 décembre
1994.
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique
. - Est autorisée la ratification de la convention sur
la sécurité du personnel des Nations unies et du personnel associé, adoptée à
New York, le 9 décembre 1994 et signée par la France, le 12 janvier 1995, et
dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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