Séance du 1er juin 1999
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Jean Faure.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale, après déclaration d'urgence, portant création d'une couverture
maladie universelle.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Madame la ministre, vous étiez à Nancy voilà quelques jours et vous avez pu,
j'en suis sûr, faire au moins deux constatations.
Le département de Meurthe-et-Moselle, en matière de politique médico-sociale,
reste imprégné de l'esprit du pionnier de la médecine sociale qu'était, voilà
plus de soixante ans, le doyen Jacques Parisot, dont les successeurs, les
professeurs Senault, Manciaux et Deschamps, ont fait fructifier l'héritage,
marquant de leur personnalité des instances nationales ou internationales.
Vous avez aussi pu constater que les différents partenaires engagés dans les
actions en cours travaillent « la main dans la main », qu'il s'agisse des
services de l'Etat et du département, des associations ou de bon nombre de
professionnels de santé, médecins, chirurgiens-dentistes, pharmaciens,
opticiens, qui sont parties prenantes pour contribuer à l'accès aux soins des
plus démunis.
Tout dernièrement, le 15 mars, le centre hospitalier et universitaire a ouvert
« l'Espace Lionnois », espace d'action médico-sociale d'accueil et
d'orientation, qui permet aux personnes démunies un accès direct aux soins
jusqu'à ce qu'elles puissent bénéficier d'une ouverture de droits.
C'est un hommage que je tiens à rendre à toutes ces bonnes volontés.
C'est aussi une façon de rappeler que le projet de couverture maladie
universelle, pour nécessaire qu'il soit, s'inscrit dans la continuité de
nombreuses initiatives et des actions menées de longue date dans les
départements, que leurs élus soient de droite ou de gauche.
M. Charles Descours,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. Claude Huriet.
Ainsi, voilà quinze ans, dans mon département, suite à l'appel que le père
Wresinski, lors d'une de ses dernières visites à Nancy, avait lancé au
président du conseil général que j'étais alors, nous avons créé, avec les
associations, dont ATD Quart-Monde, le « Fonds d'action santé », ancêtre de la
carte santé. C'est donc fort d'une expérience vécue de longue date, des
relations entretenues avec les associations caritatives « du terrain », que
j'apporte ma contribution à la discussion qui s'ouvre aujourd'hui.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, je souhaite vous livrer quatre réflexions qui nourriront mon
propos.
La situation actuelle, qui marginalise 10 % de la population en matière de
prévention et d'accès aux soins, est inacceptable.
La réponse ne saurait tarder davantage.
Le texte que propose le Gouvernement comporte des imperfections, et c'est le
rôle du Parlement, particulièrement du Sénat, d'y remédier.
Le débat, pour être constructif, doit éviter des positions par trop
manichéennes, qui compromettraient prématurément les possibilités de parvenir à
un texte pouvant répondre aux attentes de plusieurs millions de Français.
Quelle est la situation actuelle ?
Au-delà des chiffres mentionnés dans l'excellent rapport de notre collègue
Charles Descours, je souhaite évoquer quelques données fournies pour 1998 par
le service des statistiques, des études et des systèmes d'information du
ministère de l'emploi et de la solidarité. Ces données se réfèrent à une étude
du CREDES intitulée « Précarité et Santé ».
Parmi les personnes en situation précaire, 16,8 % sont également vulnérables
médicalement, le lien étant particulièrement fort pour les jeunes entre vingt
et trente-quatre ans.
La situation actuelle, c'est aussi la diversité des formulaires en fonction du
guichet auquel on s'adresse, leur complexité et les délais d'attente qui
varient d'une ou deux semaines à deux ou même trois mois. C'est l'impossibilité
de faire l'avance des frais en cas d'urgence médicale pour des personnes qui ne
disposent ni de carnet de chèques ni de carte de crédit. C'est la hantise de
l'« effet de seuil »...
Ecoutez ce témoignage d'une bénéficiaire de la carte santé : « Il reste qu'on
n'est pas à l'abri... Tu trouves un CES, t'as un gamin qui travaille en
formation, et là - hop ! - on t'enlève la carte... et tu perds tout, d'un coup,
les yeux, les dents, les oreilles, le spécialiste, c'est fini. Alors la peur,
elle reste. »
Face à de telles situations, la réponse ne peut plus attendre, alors que, dès
1996, le gouvernement précédent avait entrepris, sur l'initiative de Jacques
Barrot, d'élaborer un projet de loi concernant l'assurance maladie universelle.
Ce projet prévoyait un accès automatique à la couverture maladie, subordonné à
un critère de résidence sur le territoire français, ainsi que l'harmonisation
des droits et des efforts contributifs. Ce système universel demeurait géré par
les caisses existantes et son universalité n'était pas synonyme de régime
unique.
Les attentes de toutes ces familles que j'évoquais voilà un instant, de ces
jeunes en rupture de ban, portent sur la rapidité et la simplicité d'accès :
simple déclaration de résidence et de niveau de ressources, formulaire
identique en tous lieux, guichet unique, dispense d'avance de frais en cas
d'urgence.
Ces personnes ne rejettent pas l'idée d'une cotisation. Je cite encore : « Je
ne demande pas la charité ; je demande à vivre sans la peur du lendemain. On
pourrait, à certains moments où on a du boulot, participer à la carte en
fonction de nos ressources ; on l'a fait au début : la carte santé, ce n'était
pas gratuit. Mais il faut que ce soit en fonction de nos moyens, c'est-à-dire
ce qui reste après le loyer et l'électricité. » Madame la ministre, ces propos
ont été tenus devant vous à Nancy. Vous ne les avez sans doute pas oubliés.
Les associations soulignent également la nécessité d'un accompagnement dans le
cadre des programmes régionaux par l'accès à la prévention et aux soins, et
l'importance d'une formation des personnels soignants, parfois déroutés par les
comportements d'une population qu'ils connaissent mal.
Mes chers collègues, ces attentes, nous ne pouvons pas les ignorer. Il nous
faut leur apporter des réponses. Le texte du projet de loi du Gouvernement y
contribue, et acte doit lui en être donné. Mais les critiques formulées à son
encontre par notre rapporteur sont, à nos yeux, fondées : marginalisation et
non-intégration des bénéficiaires de la CMU, déresponsabilisation, maintien, et
même aggravation des effets de seuil, sous-estimation des coûts, confusion des
rôles entre CPAM et organismes de protection sociale complémentaire...
Pour le groupe de l'Union centriste, l'une des idées forces sur laquelle doit
être conçue la couverture maladie universelle est celle de la «
personnalisation ». Ce principe doit se traduire par une proportionnalité des
prises en charge et des participations financières éventuelles en fonction du
niveau de revenu des bénéficiaires.
Le principe de la personnalisation va de pair avec celui de
responsabilisation. A ce double titre, les propositions du rapporteur de la
commission des affaires sociales visant à instituer une allocation
personnalisée à la santé nous agréent.
Nous souhaitons toutefois que, à l'occasion du débat qui va s'ouvrir, toutes
les voies soient explorées permettant, loin des
a priori
idéologiques ou
politiques - on peut rêver - de rechercher les possibilités de rendre
compatibles les propositions de chacun, non pour parvenir à un « consensus mou
» qui viderait le texte de sa substance, mais pour manifester notre volonté
commune de répondre aux attentes de nos concitoyens les plus défavorisés. Ils
comptent sur nous, comme tous ceux qui cheminent avec eux. Nous devons tout
faire pour ne pas les décevoir.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, chacun de nous en conviendra, il est inadmissible qu'à l'aube
du xxie siècle les ressources financières engendrent une inégalité devant la
prévention et les soins.
Le rapport du Haut Comité de la santé publique de novembre dernier a mis en
exergue les disparités de mortalité entre les catégories socioprofessionnelles.
Les catégories les plus favorisées - celles dont l'espérance de vie est la plus
longue - sont les professeurs, les ingénieurs, les cadres supérieurs et les
instituteurs. Les plus exposées sont les salariés agricoles, les ouvriers et le
personnel de service.
La mise en place d'une couverture maladie universelle était donc inéluctable,
d'autant que, force est de le constater, le texte dont nous débattons
aujourd'hui traduit - et croyez bien que je le déplore - un constat d'échec du
revenu minimum d'insertion, institué voilà onze ans, et de la sécurité sociale
pour garantir à tous l'accès aux soins dont ils ont besoin.
Le RMI avait en effet été instauré afin de répondre aux dépenses de première
nécessité. Même si le fait d'en bénéficier entraîne l'attribution de la carte
santé, on s'aperçoit que cette allocation n'est aujourd'hui plus suffisante.
La création d'une couverture maladie universelle s'inscrit dans la politique
de lutte contre les exclusions, en instaurant l'accès aux soins pour tous.
Cette démarche est noble. Une récente étude du service des affaires
européennes du Sénat a d'ailleurs comparé le dispositif proposé à ceux qui
existent déjà dans quelques pays européens - Allemagne, Espagne, Danemark,
Royaume-Uni, Pays-Bas, Suisse et Suède. Il résulte de cette analyse que ce
projet de loi tend à placer la France parmi les pays offrant la meilleure
protection.
Bien évidemment favorable à toute idée d'améliorer l'accès aux soins, je reste
cependant perplexe quant aux moyens employés.
Je pense tout d'abord que ce texte, en fixant un seuil de revenus à 3 500
francs, va à l'encontre de tout principe d'égalité.
Croyez-vous sincèrement, madame la ministre, qu'une personne dont les revenus
se situent juste au-dessus de ce seuil connaisse des conditions de vie bien
meilleures qu'une personne dont les revenus sont légèrement inférieurs à
celui-ci ? Je ne le crois pas, d'autant que le seuil de pauvreté est fixé à 3
800 francs. Pourtant, le dispositif traite différemment ces personnes, l'une
devant payer des cotisations pour obtenir une couverture complémentaire,
l'autre bénéficiant d'une prise en charge gratuite à 100 %.
Nombre de députés ont proposé de relever le plafond à 3 800 francs.
Malheureusement, cela ne fait que déplacer le problème, car il existera
toujours une discrimination, et celle-ci n'est pas acceptable.
Notre éminent rapporteur, Charles Descours, nous proposera de créer une
allocation personnalisée à la santé, d'un montant dégressif selon le revenu.
J'espère que ce dispositif retiendra toute votre attention, car il me semble le
plus apte à instaurer un égal accès aux soins.
Ma seconde remarque concerne le caractère déresponsabilisant du projet de loi.
En effet, celui-ci dispense de cotisation les bénéficiaires du régime
complémentaire de la CMU.
Pourtant, ainsi que l'a souligné Charles Descours, la contribution
responsabilise le citoyen et, ce faisant, permet aux plus démunis de conserver
une certaine dignité.
Le député Jean-Claude Boulard, dans son rapport au Premier ministre, s'était
d'ailleurs prononcé en faveur du paiement d'une somme symbolique, estimant que
« contribuer, même faiblement, est une composante de l'insertion ».
Il est vrai toutefois que ce dispositif soulève deux difficultés : d'une part,
le recouvrement d'une contribution, même modique, risque d'engendrer de lourdes
conséquences sur le plan financier ; d'autre part, il serait en tout état de
cause impensable de refuser les soins aux personnes n'ayant pas acquitté leur
cotisation.
Cette fois encore, la proposition adoptée par la commission des affaires
sociales me paraît préférable, dans la mesure où les bénéficiaires de
l'allocation personnalisée de la santé auront à leur charge l'adhésion à une
mutuelle ou la souscription d'un contrat d'assurance.
Je souhaite enfin aborder la question du coût engendré par le dispostif que
vous nous soumettez, madame la ministre.
Beaucoup s'accordent à dire que votre réforme relève d'une démarche généreuse
; certes. Malheureusement, la générosité a un prix, et celui-ci est élevé.
La mise en place de la CMU est évaluée à 9 milliards de francs, soit 1 500
francs par bénéficiaire et par an. Or la plupart des personnes auditionnées par
la commission des affaires sociales du Sénat ont estimé que ce montant était
inférieur aux dépenses qu'il faudra réellement engager. En effet, il ne faut
pas oublier que le coût sera nécessairement plus important pour les personnes
âgées, atteignant, pour cette catégorie, environ 2 400 francs.
En conclusion, je suis tenté de dire que ce texte, empreint d'idéalisme,
comporte des objectifs malheureusement difficiles à atteindre, compte tenu du
contexte actuel du déficit de la sécurité sociale.
Pour toutes ces raisons, je voterai le texte qui résultera des modifications
proposées par la commission.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Esneu.
M. Michel Esneu.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, la sécurité sociale fait l'objet d'un consensus national
depuis sa création par le général de Gaulle en 1945, au sortir de la guerre.
La santé des Français ne souffre pas la polémique et nos concitoyens attendent
que nous, parlementaires, nous nous préoccupions de ces questions avec
détermination et célérité.
C'est vous dire, madame le ministre, que nous nous réjouissons d'avoir à
débattre, au sein de la Haute Assemblée, de cette question fondamentale de
l'assurance maladie universelle parce qu'il nous paraît inacceptable que, dans
un pays comme le nôtre, des personnes dans l'incapacité d'en assumer le coût
soient privées de soins. Nous considérons en effet que l'accès aux soins est la
première et incontournable garantie d'une socialisation réussie.
Et pourtant, madame le ministre, autant était grande notre envie de débattre
d'un texte trop attendu qui devrait reprendre les positions d'Alain Juppé,
alors Premier ministre, relatives à l'intégration des plus démunis dans notre
système de soins et grands notre enthousiasme et notre volonté d'améliorer
notre régime de base, autant est grande notre circonspection devant le texte
qui nous est présenté.
S'agissant de la forme tant à l'Assemblée nationale, je crois, qu'au Sénat,
nous sommes tous unanimes pour regretter l'ajout d'un DMOS - texte portant
diverses mesures d'ordre social - au projet de loi sur la couverture maladie
universelle. Une meilleure organisation des travaux parlementaires, le
Gouvernement étant maître de l'ordre du jour, nous aurait permis de travailler
dans de bien meilleures conditions et nous y aurions gagné un temps
précieux.
L'excellente commission des affaires sociales ne s'y est pas trompée ; elle a
eu raison de ne pas mélanger des dispositions sans aucun rapport entre elles en
nommant deux rapporteurs distincts, MM. Charles Descours et Claude Huriet.
Comme il est habituel que ces textes « catalogues » prennent rapidement des
proportions exponentielles, le DMOS, déguisé que vous nous proposez passe de
six à vingt-neuf articles !
Mais ce qui nous rassemble aujourd'hui c'est le projet de loi sur la
couverture maladie universelle, et c'est de cela que je souhaite parler.
Je remercierai d'abord Charles Descours, qui, après bien des auditions et de
nombreuses séances de travail, a réussi à nous proposer un texte cohérent
corrigeant les défauts du projet de loi initial.
Deux maîtres mots devaient commander la rédaction de ce texte, l'égalité et la
responsabilité : l'égalité de tous devant l'accès aux soins, l'égalité des
partenaires dans la contribution au projet, l'égalité dans le traitement des
soins eux-mêmes ; la responsabilité de l'Etat face à la maîtrise des dépenses
de santé et la responsabilité des citoyens dans la participation à cette
couverture maladie universelle.
C'est pourquoi à la circonspection ont bien vite succédé la déception et la
lassitude.
Déception face à cette occasion manquée de penser une couverture maladie
vraiment universelle, vraiment égalitaire et non pas une couverture à deux
vitesses. Déception, parce que, une fois encore, prétendant comme toujours
avoir les meilleures intentions du monde, vous aggravez ce que vous voulez
améliorer - ce doit être une spécificité gouvernementale que de s'obstiner à
accroître les inégalités en jurant bien sincèrement, que l'on souhaite les
résorber.
Lassitude aussi, parce que vous persistez à refuser la notion de
responsabilité ; or, dans une société juste, et cela vous ne voulez pas
l'admettre, aux droits se conjuguent les devoirs : ce sont ces droits et ces
devoirs liés les uns aux autres qui forment une société cohérente et votre
projet de loi introduit plutôt une confusion pernicieuse entre les notions
d'assurance et d'assistance.
Lassitude, également, parce que c'est une fausse générosité que de « laisser
filer » les dépenses de santé alors qu'il faudra bien un jour assainir les
comptes. Peu vous importe, me direz-vous, cela peut bien attendre l'avènement
d'une nouvelle majorité, qui, comme à son habitude, se perdra à vouloir réparer
vos erreurs.
Inégalité et irresponsabilité, voilà les deux maîtres mots de votre projet.
Votre projet est inégalitaire pour au moins trois raisons.
Tout d'abord, la fixation du niveau de ressources permettant d'accéder à la
couverture maladie universelle à 3 500 francs est inexplicable, pour ne pas
dire surréaliste. Pourquoi 3 500 francs ? Voulez-vous mettre hors du champ
d'application de votre dispositif les bénéficiaire du minimum vieillesse ?
Peut-être sont-ils à vos yeux des nantis ?
Ensuite, on ne voit pas à quoi fait référence ce seuil. Ce n'est pas une
catégorie sociale qui est concernée ; il ne correspond pas au seuil de
pauvreté, ni à une catégorie de personnes désocialisées ou en voie de
désocialisation : j'en veux pour preuve que, bien souvent, il inclut des
retraités agricoles ou artisans.
Mais surtout, ce seuil est inégalitaire et profondément injuste, au-delà même
de sa nature, par sa forme d'un simplisme déconcertant. En somme, après le
surréalisme, le minimalisme !
M. François Autain.
Le réalisme !
M. Michel Esneu.
Au-dessous de ce seuil, vous avez droit à tout, à la base, la couverture
complémentaire à 100 %, l'immédiateté et l'automaticité des remboursements.
Au-dessus, vous n'avez plus droit à rien, et surtout pas à l'aide
complémentaire. Au lieu de cela, il vous reste le droit de cotiser pour les
autres, les démunis, c'est-à-dire ceux qui gagnent 30 ou 40 francs de moins que
vous, pendant que vous, vous continuerez de vous passer des soins essentiels.
C'est cela « l'universel » dans le monde rêvé du Gouvernement !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Très bien !
M. Michel Esneu.
Madame le ministre, on n'est pas un nanti avec 3 540 francs par mois. Cessez
de vouloir opposer la société en deux camps. Ici, ce ne sont pas les pauvres
que vous opposez aux riches, mais les pauvres aux très pauvres. En voulant
corriger les écarts, vous les aggraverez dramatiquement.
Enfin, ce projet de loi est injuste, parce qu'il instaure une inégalité dans
le financement de la couverture complémentaire. Ainsi, il ne prévoit pas le
même remboursement pour les caisses et les mutuelles. D'où vient ce chiffre de
1 500 francs remboursés par le fonds pour le panier de soins ?
Aucun organisme n'a pu vous donner un tel chiffre. Certaines mutuelles, parce
qu'elles ont commis l'erreur de se spécialiser dans la couverture des
non-salariés ou des retraités, seront appelées à disparaître à cause de leur
spécificité. Les acteurs du système parlent plutôt de sommes avoisinant 2 000
francs, et ce pour des catégories de personnes qui ne sont pas statistiquement
les plus dépensières.
Enfin, il est étonnant que ces organismes complémentaires contribuent de
plain-pied à la réforme. Est-il normal de les exclure du conseil
d'administration du fonds de financement alors qu'ils y participeront à
concurrence de 2 milliards de francs ? C'est une nouvelle injustice à ajouter à
la longue liste précitée.
A cette déception occasionnée par cette aggravation des inégalités, qu'il
aurait plutôt fallu combattre, s'ajoute la lassitude de voir, madame le
ministre, que vous ne tirez pas les leçons du passé.
En matière de politique de santé, il est impossible de tenter de réformer sans
chercher à maîtriser les dépenses. Dans le même ordre d'idée, l'alourdissement
du coût des contrats d'assurance va engendrer une aggravation des prélèvements
obligatoires qui risque de se retourner contre l'emploi.
Nous sommes lassés parce que votre projet est irresponsable dans la mesure où
vous n'avez pas chiffré raisonnablement le coût de la couverture de base que
vous proposez. Vous nous parlez d'un coût unitaire de 4 000 francs par
personne, alors que le coût moyen de base pour le régime général est
actuellement de 12 000 francs.
Ce surcoût sera supporté par les caisses d'assurance maladie. Or, les derniers
chiffres publiés sur l'état des comptes de la branche maladie ne nous incitent
pas à l'enthousiasme, d'autant que la conjoncture économique de notre pays
aurait pu nous permettre d'espérer bien mieux.
Ce texte est également irresponsable parce que vous n'avez pas créé un
organisme de surveillance des dépenses qu'il va engendrer.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Très bien !
M. Michel Esneu.
Il l'est aussi parce que vous vous refusez à anticiper les risques pourtant
flagrants dont il est assorti, tels que les conséquences qu'il aura pour les
organismes de recouvrement, l'augmentation des cotisations sociales à moyen
terme et surtout, j'y insiste, la déresponsabilisation de nos concitoyens.
Avec les 35 heures, vous aviez expliqué aux Français que l'on gagnerait plus
en travaillant moins. Vous allez réussir la quadrature du cercle en tentant de
les persuader que l'on vivra mieux en gagnant moins, car la couverture maladie
universelle va engendrer des effets de seuil de nature à entraver le retour à
l'emploi.
Circonspects quant à la forme, déçus face à l'inégalité établie par votre
texte, lassés de la déresponsabilisation faite loi, nous aurions pu écarter ce
projet décevant et inapplicable. Toutefois, il était essentiel de débattre sur
ce sujet préoccupant qu'est celui du droit de l'accès aux soins des plus
démunis.
Les inégalités de ce texte peuvent être corrigées. Ainsi, le rapporteur de la
commission des affaires sociales, Charles Descours, propose à notre Haute
Assemblée des solutions concrètes à enveloppe constante. A l'inégalité et à la
déresponsabilisation, il répond : solidarité et raison.
En maintenant le seuil de remboursement intégral au RMI, nous faisons le choix
de la solidarité.
En augmentant le nombre de personnes bénéficiaires de la couverture de base
au-delà de vos propositions, nous faisons le choix de l'universalité.
En lissant l'effet de seuil, nous faisons le choix de l'égalité.
En solvabilisant les personnes, nous faisons le choix de la responsabilité.
En créant un organisme de contrôle, nous faisons le choix de la raison.
En intégrant les mutuelles dans le dispositif qu'elles financent, nous faisons
le choix du partenariat.
Pour toutes ces raisons, parce qu'il y va de la santé de nos concitoyens les
plus démunis et de l'équilibre budgétaire de notre sécurité sociale, je voterai
les propositions de notre rapporteur qui vont dans le sens d'une plus grande
équité et d'une plus grande justice sociale
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Autain.
M. François Autain.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, nous abordons aujourd'hui la discussion d'un texte qui sera,
demain, l'honneur et la marque de la réussite du Gouvernement dirigé, depuis
deux ans maintenant, avec succès, par M. Lionel Jospin.
L'institution d'une couverture maladie universelle répond aux engagements pris
par les partenaires de la gauche plurielle. Elle répond surtout à une urgence
sociale et à une nécessité sanitaire impérieuse.
L'analyse très complète présentée par mes collègues Marie-Madeleine
Dieulangard et Gilbert Chabroux sur la couverture maladie universelle me permet
de réduire mon propos à trois remarques essentielles, plus particulièrement
destinées au rapporteur Charles Descours.
Première remarque : bon gré, mal gré, la majorité sénatoriale approuve le
choix fait par le Gouvernement.
M. Jean Chérioux.
Pourquoi « mal gré » ?
M. François Autain.
Parce que vous êtes un peu contraints, tout simplement !
M. Jean Chérioux.
Absolument pas ! Ce n'est pas convenable de dire cela !
M. François Autain.
Nous avons la liberté d'expression dans cet hémicycle ! Je l'utilise !
M. Jean Chérioux.
Oui, mais on peut redresser un propos inexact !
M. François Autain.
Comment ne pas approuver un projet dont la finalité est de permettre une
égalité effective d'accès aux soins ? Comment ne pas souligner, à cet égard,
que le gouvernement précédent, parce qu'il ne proposait pas l'accès à la
protection complémentaire, ne permettait pas d'assurer cette égalité effective
d'accès aux soins ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est évident !
M. François Autain.
Deuxième remarque, monsieur le rapporteur : l'attachement subit que vous
manifestez à des principes fondateurs de la sécurité sociale,...
M. Charles Descours,
rapporteur.
Ce n'est pas subit ! Mon gaullisme n'est pas récent !
M. François Autain.
... dont une partie non négligeable de la majorité sénatoriale ne cesse de
demander la remise en cause, me paraît étrange.
Je ne connais qu'un principe fondateur de la sécurité sociale : assurer une
couverture aussi égale que possible des malades, des personnes agées et des
familles.
Le projet de loi qui nous est soumis, cinquante ans après la création de notre
système de protection sociale, lui permet de se conformer complètement à ce
principe.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Un principe que nous devons au général de Gaulle !
M. François Autain.
Troisième et dernière remarque : l'alternative proposée par la commission
procède, pour l'essentiel, de la méthode Coué.
Le progrès social à coût constant, cela n'existe pas, monsieur le rapporteur.
Si l'on couvre plus de personnes avec la même enveloppe, c'est forcément que
l'on couvre moins bien.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Ça, c'est une idée socialiste, monsieur le questeur !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
L'argent ne fait pas
tout !
M. François Autain.
Quant aux conditions techniques et financières de mise en oeuvre de votre
allocation, je les ai vainement cherchées dans un rapport qui consacre plus de
quarante pages à dénoncer le dispositif gouvernemental et moins de cinq à se
risquer à décrire avec précision le projet alternatif de la commission.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Charles Descours,
rapporteur.
« Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour
le dire arrivent aisément » : plus c'est long, plus c'est compliqué !
M. François Autain.
Je vous invite surtout, monsieur le rapporteur, à entendre le sage conseil, si
je l'ai bien compris, de votre collègue Claude Huriet : à vous crisper trop sur
votre projet alternatif, ne perdez pas toute chance d'attacher votre vote à un
texte dont six millions de Français auront tôt fait de comprendre l'importance
dans leur vie quotidienne.
Si j'interviens ce soir, c'est toutefois moins sur ce sujet essentiel que sur
le titre IV, consacré à la modernisation sanitaire et sociale.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Je comprends !
M. François Autain.
Moderniser, c'est « adapter au besoin nouveau ». La mission du législateur
est, précisément, d'adapter la loi aux évolutions de la société. Je regrette
que la commission ait choisi de demander au Sénat de renoncer à
l'accomplissement de sa mission.
Je le regrette d'autant plus que les dispositions contenues dans ce titre,
loin d'être disparates, s'organisent au contraire autour de trois thèmes
principaux, parfaitement complémentaires du volet consacré à la couverture
maladie universelle.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Ce sont les lunettes roses !
M. François Autain.
Premier thème : la santé publique, notamment dans ses rapports avec les droits
des personnes.
Deuxième thème : la planification sanitaire et la coopération
inter-hospitalière.
Troisième thème : les professions de santé.
La cohérence de ces dispositions méritait mieux, cher Claude Huriet, qu'une
position de principe qui coûte plus, me semble-t-il, au pouvoir d'initiative du
Sénat qu'à un gouvernement qui, comme ses prédécesseurs, craint plus que tout
ces textes qui commencent avec peu d'articles ne finissent avec un nombre à
trois chiffres en arrivant au port.
(Sourires.)
Sur le fond, vous me permettrez de m'attarder quelques instants sur certaines
des dispositions du titre IV qui ont particulièrement retenu mon attention.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Auxquelles vous allez attacher votre nom, monsieur Autain
!
M. François Autain.
S'agissant des dispositions relatives à la santé publique, je suis, comme
vous, madame le ministre, mais aussi comme vous, monsieur le rapporteur,
soucieux du respect des droits des personnes, aussi longtemps que les règles
qu'il exige ne contrarient pas les objectifs de santé publique.
Cette appréciation commandera l'attitude de mon groupe sur les amendements
proposés pour la définition du volet de santé de la carte d'assurance maladie,
à l'article 33, mais aussi pour le traitement des données personnelles de santé
à des fins d'évaluation ou d'analyse des activités de soin et de prévention, à
l'article 37. Je dois dire qu'à cet égard nombre des amendements de M. le
rapporteur Claude Huriet méritent, pour le moins, notre intérêt soutenu.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Mais je suis solidaire de M. Huriet !
M. François Autain.
Sur ce premier volet, je vous proposerai, au nom de mon groupe, plusieurs
dispositions complémentaires.
Deux de nos amendements viseront d'abord à améliorer encore notre dispositif
de sécurité sanitaire en précisant davantage certaines des compétences du
directeur général de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments.
(M. Descours, rapporteur, applaudit.)
Un autre amendement visera à préciser le cadre légal de certaines
interventions médicales lorsque, portant atteinte à l'intégrité du corps
humain, elles présentent un caractère préventif dont la légitimité ne peut être
discutée mais dont la légalité n'est pas clairement établie.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Tout ça, c'est nous !
M. François Autain.
Un dernier amendement tirera les conséquences de votre abstention, monsieur le
rapporteur, en reprenant au compte de notre groupe une proposition à laquelle
je vous sais - je m'adresse évidemment toujours à Claude Huriet - à juste
titre, très attaché et qui doit permettre de mieux établir le bilan d'activité
et le bilan financier des comités consultatifs de protection des personnes dans
la recherche biomédicale.
S'agissant des dispositions relatives à la planification sanitaire et à la
coopération inter-hospitalière, nous approuvons évidemment le remarquable
travail accompli par le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Alfred Recours,
et par Claude Evin, auquel ces dispositions doivent beaucoup.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Le Gouvernement veut supprimer ces articles ! Vous n'êtes
plus à jour, monsieur Autain !
M. François Autain.
Je ne veux pas anticiper, monsieur le rapporteur ! Vous en savez apparemment
plus que moi !
L'adhésion de mon groupe à ces dispositions sera, comme celle de la commission
elle-même, commandée par l'appréciation du Gouvernement sur certains articles
qui ne doivent rien aux auteurs dont je viens de saluer le remarquable
travail.
Sur ce deuxième volet, mon groupe ne propose aucun amendement.
S'agissant enfin des dispositions relatives aux professions de santé, nous
approuvons, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, celles qui
tendent à renforcer les relations qu'établissent ces professions avec
l'assurance maladie. Je pense d'abord à la validation des conventions médicales
nationales, mais aussi aux bases légales données à la convention entre les
pharmaciens d'officine et l'assurance maladie.
(M. Descours, rapporteur,
applaudit.)
Je regrette beaucoup que, sous le prétexte de la pluralité d'expression, le
rapporteur se refuse à inscrire la formation médicale continue dans un cadre
plus conventionnel, qui serait seul à même de moraliser les pratiques
actuelles.
Nous approuvons aussi la plupart des dispositions qui visent le statut des
professions de santé, même si nous pensons que certaines méritent réexamen,
comme c'est le cas de l'artice 34
bis
, relatif à la certification des
compétences des aides opératoires.
S'agissant de l'artice 37
quindecies,
relatif aux honoraires des
praticiens exerçant une activité libérale à l'hôpital, vous me permettrez de
considérer, monsieur le rapporteur, que la déontologie médicale a bon dos. J'ai
eu moi-même l'occasion de dénoncer à cette tribune, à la lumière d'un rapport
très sévère de la Cour des comptes, les pratiques de certains médecins
hospitaliers. Il est des circonstances où les principes déontologiques, aussi
respectables soient-ils, doivent céder le pas devant les nécessités de la
morale.
J'en viens maintenant aux dispositions relatives aux médecins titulaires de
diplômes extra-européens ou de nationalité extra-européenne.
Combien de temps faudra-t-il, madame le ministre, monsieur le secrétaire
d'Etat - et ce n'est pas contre vous que j'instruis ce procès - pour que le
législateur n'ait plus à revenir sur ce sujet ? Il reste que les dispositions
proposées sont nécessaires, même si elles doivent être aménagées. Certaines des
propositions de la commission recevront notre soutien. Pour notre part, nous
entendons, par voie d'amendement, faire en sorte que le médecins français
rapatriés d'Algérie ayant regagné le territoire national à la demande des
autorités françaises puissent y exercer sans entrave leur profession.
Nous entendons par ailleurs apporter notre contribution à ce dernier volet du
titre IV par l'ajout de deux articles.
Le premier, dont la taille est à la mesure de l'ambition qui l'inspire, tend à
améliorer encore les conditions de création, de transfert et de regroupement
d'officines de pharmacie. Longuement négociées avec le milieu...
M. Charles Descours,
rapporteur.
Quel humour !
M. François Autain.
... le milieu pharmaceutique,...
M. Charles Descours,
rapporteur.
Dommage que nous n'ayons pas été au courant des négociations
!
M. François Autain.
... les dispositions proposées sont de nature à améliorer sensiblement la
répartition géographique du service pharmaceutique.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Comment les pharmaciens de droite se servent d'un
gouvernement de gauche !
M. François Autain.
Le second amendement tend, quant à lui, à permettre à une pharmacie à usage
intérieur d'un établissement de santé d'assurer tout ou partie de la
stérilisation de dispositifs médicaux pour le compte d'un autre
établissement.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Très bon amendement !
M. François Autain.
Telles sont donc, mes chers collègues, madame le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, les remarques et les propositions complémentaires que
j'entendais faire au nom de mon groupe qui, dois-je le dire encore une fois,
votera avec un sentiment de fierté un texte capital pour la protection sociale
de nos concitoyens.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd'hui, à mon sens,
s'inscrit plus dans la longue histoire du développement de notre protection
sociale qu'il ne marque une rupture ; mais ce n'est pas parce que, hier, il n'y
avait pas les ténèbres que, demain, il n'y aura pas la lumière.
(MM.
Descours, rapporteur, Nogrix et Chérioux applaudissent.)
Je me propose donc d'examiner ce texte d'une façon objective afin de voir ce
qu'il peut apporter à notre société.
Je crois que l'idée d'une couverture ou d'une assurance maladie universelle
représente une évolution à la fois nécessaire et logique de notre système de
protection sociale.
C'est une évolution nécessaire, car il est bien évident que nous souhaitons
tous lutter contre l'exclusion et que l'exclusion du système de soins est la
pire des exclusions. Que celui qui a un emploi et qui bénéficie d'un revenu ait
un accès direct au système de protection sociale alors que celui qui n'a ni
emploi ni revenu doive entrer dans ce système par une autre porte, voilà qui
constitue en soi une forme d'exclusion scandaleuse, et nous ne pouvons qu'être
tous d'accord pour porter remède à cette situation.
Les gouvernements précédents, vous l'avez rappelé, madame le ministre - et je
me plais à souligner, à cet égard, votre honnêteté intellectuelle - étaient
entrés dans cette voie, d'autant que, je l'ai dit, cette évolution est non
seulement nécessaire mais aussi logique.
D'ailleurs, la façon dont le nouveau système sera financé - les 9 milliards de
francs qui « remontent » des collectivités locales vers la couverture maladie
universelle - démontre à l'évidence qu'il existait déjà un système.
Je veux brièvement rappeler le rôle des départements et dire pourquoi ils ont
accepté qu'il y ait, en quelque sorte, cette « remontée » d'une compétence vers
un système plus national.
Mes collègues, notamment Claude Huriet, ayant parfaitement décrit le système
et dit ce qu'il y avait à en dire, je m'attacherai à deux points qui me
semblent importants : le financement et ce que j'appellerai les conditions de
la réussite de la réforme.
En fait, jusqu'ici, les départements jouaient un double rôle. Je le rappelle,
il existe deux couvertures, une couverture de base et une couverture
complémentaire, qu'il convient de ne pas confondre, le système étant déjà assez
complexe. S'agissant donc de la couverture de base, les collectivités locales
ne faisaient que payer la cotisation pour que la personne ait droit à une
couverture au titre de l'assurance maladie. C'est que, ces vingt dernières
années, l'évolution a été dans le sens d'un accès à l'assurance maladie qui
soit universel. Et, aujourd'hui, tout le monde peut avoir accès à l'assurance
maladie. Nous pouvons donc nous interroger sur les raisons pour lesquelles il y
a encore des gens en France qui n'ont pas d'assurance maladie. Mais j'y
reviendrai à la fin de mon exposé, quand je traiterai des conditions de la
réussite de cette réforme.
M. Philippe Nogrix.
Très bien !
M. Michel Mercier.
Cela étant, et vous l'avez rappelé, madame la ministre, l'assurance maladie ne
couvre pas tout : il faut trouver une couverture complémentaire. A cet égard,
les départements ont, d'une façon générale, plutôt bien fait leur travail en
consacrant plus de 5 milliards de francs à la mise en oeuvre d'une couverture
complémentaire. Certes, elle n'était pas identique dans tous les départements,
car le niveau de revenus pris en compte pouvait varier de l'un à l'autre.
Donc, autant les départements ne jouaient pas un grand rôle dans la couverture
de base - mais ils payaient la cotisation afférente - autant le rôle qu'ils
avaient à jouer dans la couverture complémentaire était important et
intéressant, l'organisation même de cette couverture complémentaire étant
fondée sur l'analyse de la situation personnelle des assurés concernés. Il
fallait faire en sorte que tout le monde entre dans la protection sociale par
la même porte.
C'est ce qui a conduit les départements, et depuis fort longtemps, à
considérer que la couverture de base était non pas leur affaire - ils ne sont
pas assureurs - mais celle d'abord de la sécurité sociale. Ils ont abandonné
avec plus de difficultés leur rôle dans la couverture complémentaire.
Ils ont ainsi réagi, me semble-t-il, pour une seule raison : s'agissant d'un
public particulier, s'agissant des personnes les plus démunies, les plus
éloignées de notre système de protection sociale, il était difficile de
dissocier couverture de base et couverture complémentaire et de ne pas traiter
globalement la question de la couverture maladie « universelle », objet même du
texte que vous nous proposez, madame la ministre !
Telle est la raison pour laquelle les départements ont accepté cette remontée
de compétence - demain, si la loi les y oblige, ils n'auront plus d'ailleurs
qu'à s'exécuter - et l'ont négociée avec votre ministère.
J'en viens maintenant au financement et au coût de la réforme ainsi que, plus
important peut-être encore, aux conditions de sa réussite.
Du coût de la réforme il a longuement été question aujourd'hui. Permettez-moi,
madame la ministre, mes chers collègues, de vous faire part de l'expérience
d'un département qui a institué, voilà plus de dix ans, une carte santé et qui
a retenu, comme d'autres d'ailleurs, un seuil de revenus un peu plus élevé que
celui prévu dans le propre projet de loi. Il est exact que les plus démunis,
lorsqu'ils bénéficient de soins, après en avoir été exclus, consomment moins de
soins que le reste des citoyens. Les statistiques établies dans notre
département sur dix ans font apparaître un taux de consommation très largement
inférieur à celui de la moyenne des assurés sociaux. D'ailleurs, cette même
expérience me permet de conclure que le coût de 1 500 francs pour la garantie
complémentaire est sans doute très en deçà de la réalité. La somme de 2 100
francs me semble plus réaliste et vous aurez, nous aurons à financer la
totalité de ce coût.
J'en viens à la méthode de financement de cette couverture maladie universelle
et, tout d'abord, à la question de la remontée des crédits départementaux.
Il est logique, dans un système décentralisé, de faire suivre le financement
et la compétence. Que les 9 milliards de francs consacrés par les collectivités
locales remontent vers l'Etat par le mécanisme de la DGD nous paraît donc tout
à fait normal.
Cependant, deux problèmes se posent.
Tout d'abord, les départements qui avaient décidé de se montrer généreux vont
redonner à l'Etat plus que nécessaire. Mais ces décisions-là avaient été prises
et, même si elles nous sont opposées, il y a malgré tout quelque logique dans
cette affaire, encore que la justice n'y trouve pas tout son compte.
Mais il y a plus important : comment organiser la remontée des sommes
actuellement acquittées par les communes ? Il s'agit, sur les 9 milliards de
francs, d'à peu près 1,2 milliard de francs. Or, nous le savons bien, il
n'existe aucune solution technique qui permettra de faire remonter cette somme
et, de surcroît, les communes n'ont pas l'intention de faire preuve de bonne
volonté à cet égard !
Je crois, madame la ministre, que la seule vraie solution consiste à supprimer
le contingent normal d'aide sociale, qui, anachronique, ne joue plus de
véritable rôle, la loi mais aussi les règlements départementaux d'action
sociale ayant organisé, dans chaque département, l'accès aux droits d'une façon
objective. Au demeurant, il n'est pas normal que l'assemblée délibérante d'une
collectivité mette en place une politique et demande à une autre collectivité
d'en payer une partie.
A la demande du comité des finances locales, le Gouvernement a engagé des
négociations avec l'ensemble des organisations d'élus, négociations qui se sont
déroulées sous l'égide du directeur général des collectivités locales. Un
accord se dessine. Reste la situation totalement aberrante de certaines villes,
la plus aberrante de toutes étant celle de la ville de Marseille, qui paie plus
de 500 millions de francs par an au titre du contingent d'aide sociale.
(Mme
le ministre opine.)
J'estime donc, très honnêtement, que, pour des raisons à la fois techniques -
régler l'affaire du financement de la CMU - et politiques - permettre au
département d'exercer pleinement ses compétences et d'en être maître - il faut
supprimer ce contingent d'aide sociale.
Je souhaite que, sur ce sujet, le Gouvernement prenne ses responsabilités et
nous soumettent une proposition à la fin de la discussion du présent texte.
A présent, je dirai quelques mots sur ce qui me semble constituer les
conditions de la réussite de votre réforme.
Sans entrer dans les détails techniques - ils ont toute leur importance, mais
M. le rapporteur et différents intervenants ont déjà insisté sur ces points -
j'indiquerai simplement que, s'agissant d'un public particulier qui ne
s'adresse pas naturellement à un service de soins ou de protection, il
convient, me semble-t-il, d'introduire une dimension qui manque assez
cruellement dans votre projet, je veux parler du nécessaire accompagnement
social. C'est sans doute la critique majeure que je formulerais à l'encontre de
votre texte, qui est strictement administratif et beaucoup trop axé sur les
questions de seuil, de revenus sans tenir compte de la situation globale des
personnes concernées. Il faut donc véritablement ajouter un volet qui traite de
l'accompagnement social des plus démunis. Songez que, aujourd'hui, 150 000
Français n'ont pas d'assurance sociale alors qu'il y ont droit, preuve que la
démarche ne leur est pas naturelle et qu'elle est sans doute déjà trop
compliquée.
Nous devons donc, ensemble, trouver le moyen d'ouvrir à tous l'accès à cette
protection sociale, mais sans recréer pour autant, au sein même de la sécurité
sociale, une sorte de régime particulier qui, réservé aux bénéficiaires du
revenu minimum d'insertion, cumulerait couverture de base et couverture
complémentaire. Nous aurions alors manqué notre but à tous.
Autre condition de la réussite de cette réforme, j'aborderai maintenant le
problème, bien réel, de l'effet de seuil.
Là où il y a seuil, il y a toujours effet de seuil. Mais il faut bien
s'entendre sur cette notion. Il existe des seuils de revenus, très
administratifs, comme le prouvent ces imprimés que vous complétez et qui, à un
franc près, vous font accéder à une prise en charge ou vous en écartent. A cet
égard, si l'on pouvait reprocher aux collectivités locales, notamment aux
départements, le caractère hétérogène des niveaux de revenus requis, du moins
doit-on mettre à leur crédit un véritable accompagnement social des personnes.
Chacun était reçu par un travailleur social et bénéficiait d'un traitement
personnalisé qui permettait de résoudre la question du seuil. En effet, en
fonction de la situation de famille, de l'environnement de la personne, on
pouvait prendre en charge totalement ou partiellement la dépense engendrée par
la demande de soins.
M. Jean Chérioux.
C'est tout à fait exact !
M. Michel Mercier.
D'une façon ou d'une autre, cet accompagnement social, ce traitement
personnalisé doit être généralisé.
Je ne pense pas qu'il faille demander aux collectivités territoriales
d'investir dans cette couverture maladie universelle. Ce serait avouer son
échec avant même la mise en oeuvre de la réforme. Je crois, au contraire,
madame la ministre, que les collectivités territoriales peuvent conclure des
contrats avec la sécurité sociale pour que les travailleurs sociaux, dont c'est
le rôle, puissent tout à la fois amener vers la sécurité sociale des personnes
démunies et leur offrir un traitement personnalisé dont je pense qu'il est
l'une des solutions au problème du seuil auquel nous faisons tous le reproche
d'être trop abrupt.
Madame la ministre, nos concitoyens éprouvent un besoin de considération tout
à fait essentiel et doivent rester des personnes à part entière. Si nous
voulons vraiment que la réforme réussisse, il faut aussi que, du côté de la
sécurité sociale, un certain changement culturel intervienne pour offrir cet
accueil et cet accompagnement.
Je souhaite que ce débat nous permette de trouver ensemble la meilleure des
solutions en sachant que cette loi, loin d'être une fin en soi, n'est qu'une
étape et que d'autres suivront. Mais nous souhaitons dès à présent faire notre
possible pour progresser vers la disparition d'une exclusion qui est, il est
vrai, tout à fait insupportable.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily.
« La nation garantit à tous la protection de la santé ». Monsieur le
président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, ce principe constitutionnel que nous devons respecter me semble être
aujourd'hui quelque peu bafoué. Nombre de nos concitoyens se soignent mal ou
pas du tout, et ce pour des raisons financières.
Ce douloureux constat est intolérable. Comment accepter une telle inégalité
devant la maladie ?
La création d'une couverture maladie universelle relève d'une démarche
généreuse. C'est la raison pour laquelle j'y suis attaché, et plus
particulièrement parce qu'elle répond à bon nombre de problèmes auxquels la
Guyane, la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion sont confrontés compte tenu
de leurs spécificités. Je pense notamment à la prise en charge par l'Etat des
étrangers en situation irrégulière.
Je prendrai l'exemple de la Guyane. En raison de sa situation géographique, la
Guyane doit faire face à une très forte immigration, souvent clandestine, en
provenance du Brésil, du Surinam, du Guyana ou d'Haïti. Il est évident que
cette situation particulière génère des dépenses d'aide médicale démesurées. Or
les dotations qui lui sont allouées ne tiennent pas compte de cette évolution
hors norme. Il n'était donc pas équitable que la Guyane prît en charge des
dépenses d'aide médicale importantes alors que les recettes équivalentes ne lui
étaient pas attribuées.
Le département avait envisagé de supporter les dépenses d'aide médicale des
étrangers en situation régulière et de proposer à l'Etat de subvenir aux
dépenses d'aide médicale des étrangers en situation irrégulière.
Je suis heureux de constater que le texte dont nous débattons va plus loin
puisqu'il prévoit que les étrangers en situation irrégulière, ainsi que les
non-résidents accueillis pour des raisons humanitaires, sur décision
individuelle du ministre chargé de l'action sociale, bénéficient de l'aide
médicale d'Etat.
Cette disposition permettra de rendre l'Etat responsable des dépenses de santé
des étrangers non-résidents dans le département et qui viennent en Guyane
uniquement pour se faire soigner. Je pense plus particulièrement aux femmes
enceintes venues pour accoucher.
C'est pourquoi je ne peux qu'approuver le transfert de prise en charge des
étrangers vers l'Etat.
Toutefois, je me permets d'émettre quelques réserves quant aux modalités
financières qui accompagnent le transfert des compétences des départements en
matière d'aide médicale.
L'article 13 du projet de loi prévoit en effet une réduction de la dotation
générale de décentralisation, calculée sur la base des dépenses consacrées par
les départements au titre de l'aide médicale en 1997, diminuée de 5 %.
Cette disposition présente un désavantage majeur pour la Guyane puisque les
dépenses en matière d'aide médicale ont pratiquement doublé entre 1996 et
1997.
Les facteurs de cette augmentation sont multiples.
Il s'agit, tout d'abord, d'une dette budgétaire d'aide médicale hospitalière
qui s'élève à plus de 161 millions de francs pour les années 1988 à 1994. Pour
apurer cette dette, le département de la Guyane a conclu, en juillet 1997, des
conventions avec deux hôpitaux. Le montant des dépenses budgétaires pour ces
deux hôpitaux s'élève, pour 1997, à plus de 23 millions de francs.
Le département a également signé en 1995 un moratoire avec la sécurité sociale
pour régler une dette de plus de 27 millions de francs. En 1997, il a remboursé
plus de 5 millions de francs.
Par ailleurs, une accélération des paiements et un traitement beaucoup plus
rapide des dossiers d'aide médicale des années 1995 à 1997 ont contribué à
cette augmentation.
Enfin, le département a réglé une somme de plus de 779 000 francs relative à
un retard de paiement pour les années 1994 et 1995.
En fait, les dépenses réelles de l'exercice 1997 s'élèvent à plus de 6
millions de francs.
Aussi, madame la ministre, comprenez mon inquiétude quant à l'application de
l'article 13 de votre projet de loi ! Il me paraît souhaitable et nécessaire
que toutes ces données soient prises en compte, afin de ne pas obérer de façon
trop importante le budget du département de la Guyane au moment du transfert
des compétences de l'aide médicale vers l'Etat.
Par ailleurs, je souhaiterais que vous m'indiquiez dans quelle mesure le
département continuera à régler ces moratoires après le 1er janvier 2000.
Après avoir entendu les réponses que vous m'apporterez, je voterai ce
texte.
M. le président.
La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, voilà quelques mois, à l'occasion d'une question d'actualité
posée au nom du groupe socialiste, nous rendions hommage, déjà, au fait que la
couverture maladie universelle appartenait à l'ensemble des textes prioritaires
que le Gouvernement souhaitait voir adopter.
C'est aujourd'hui chose faite, avec l'examen de ce texte par la Haute
Assemblée. C'est aussi la preuve que le Gouvernement tient ses engagements.
En effet, ce texte est un véritable serpent de mer depuis 1995. Nous
approuvons et apprécions, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
votre volonté politique de permettre à six millions de personnes de ne plus
renoncer, demain, à se faire soigner faute d'une couverture maladie de base ou
d'une couverture complémentaire, ou des deux.
Cette volonté va donner vie et réalité aux ambitions initiales des pères
fondateurs de la sécurité sociale - à cet égard, nous ne faisons pas la même
lecture que M. le rapporteur - formulées voilà plus de cinquante ans.
Déjà, le Gouvernement, en définissant ses grands principes dans son programme
de lutte contre les exclusions, avait clairement indiqué qu'il refusait toute
solution pouvant se traduire par une médecine spécifique ou par une modulation
des remboursements en fonction des revenus.
N'en doutons pas, cette loi fera date sur le plan social. Afin de ne pas être
redondant, je n'ajouterai rien sur le fond aux excellents propos tenus par mes
collègues Mme Dieulangard, MM. Autain et Chabroux. Je recentrerai mon propos
sur le transfert de compétence et sur les modalités de celle-ci entre les
départements et l'Etat, les départements ayant, dans leur majorité, on l'a dit
tout à l'heure, souhaité le retour à l'échelon national de l'assurance sociale,
qui leur avait été dévolue depuis le 1er janvier 1987.
Ce sera une innovation et l'aboutissement d'une vieille revendication, si nous
savons aller au terme de notre réflexion et dans les délais les plus courts en
profitant de la fenêtre législative qui nous est offerte.
Nous le savons, ce bouleversement du périmètre des compétences des
collectivités locales va se traduire par des mouvements financiers
importants.
Le financement de la CMU sera d'abord assuré, du moins en ce qui concerne les
collectivités, par le transfert à l'Etat de crédits d'ores et déjà mobilisés
par les départements au profit de la santé des personnes les plus démunies.
Cette réduction des compétences des départements en matière d'aide sociale
s'accompagnera, dans un deuxième temps, d'un transfert de ressources des
départements vers les organismes sociaux.
Nous sommes d'accord pour que cette diminution se fasse par le biais de la
dotation globale de décentralisation, d'autant qu'il leur est concédé un effort
financier en limitant ce prélèvement, puisque cette dotation sera calculée sur
la base des dépenses consacrées par les départements à l'aide médicale en 1997,
diminuées de 5 %. Cela nous ramène à un prélèvement de 95 % de la part des
dépenses consacrées à cette aide.
La méthode paraît logique. Elle a le mérite de la simplicité et de la
neutralité financière. Cependant, cela a été dit un peu sur toutes les travées,
elle mécontente certains, notamment les départements où les bénéficiaires sont
nombreux et qui ont conduit une réelle politique sociale. En effet, ils
pourront se sentir pénalisés, car s'étant engagés bien au-delà de ce qui était
obligatoire, ils vont participer davantage au financement de la CMU.
M. Philippe Nogrix.
Eh oui !
M. Bernard Cazeau.
Ils ont l'impression à la fois de subir une injustice au regard des efforts
déployés et d'être victimes d'un transfert d'une partie de la fiscalité
départementale que ne compensent pas les 5 % laissés à disposition.
Cela pose d'ailleurs aussi en corollaire le problème de ce vieux serpent de
mer qu'est la solidarité fiscale entre les départements - n'est-il pas vrai,
monsieur Mercier ?
(Sourires.)
- qui relève d'ailleurs non pas de votre
compétence, madame le ministre, mais, me semble-t-il, de celle de M. le
ministre de l'intérieur, et c'est pourquoi je n'y insisterai pas.
Bref, quelle que soit la méthode retenue, une autre question devra être
tranchée : celle de l'incidence de la suppression totale de l'aide médicale sur
les contingents communaux d'aide sociale.
En effet, si les départements effectuent l'intégralité des dépenses d'aide
sociale, ils en partagent en revanche le financement avec les communes à
travers ces contingents communaux d'aide sociale. Or, madame la ministre, si
nous sommes tous d'accord sur le principe de la nécessité de supprimer les
contingents communaux pour parvenir à resoudre ce problème, en revanche,
certains des membres de cette assemblée s'opposent encore entre eux s'agissant
du mode de compensation à mettre en place à l'occasion de ce texte.
Pourtant, le bon sens politique et les principes juridiques imposent que l'on
trouve un accord.
Le bon sens politique le veut, car la compétence en matière d'aide médicale
n'appartenant plus au département, ce dernier se transformerait en banquier
vis-à-vis des communes, et là n'est pas son rôle. Il faut que chacun puisse s'y
retrouver, sans provoquer d'animosité des uns envers les autres.
(M. Michel
Mercier fait un signe d'assentiment.)
Le principe juridique le commande, car qui dit transfert de compétences dit
transferts des crédits qui accompagnent leur mise en oeuvre. C'est un vieux
principe des lois de décentralisation, dont l'application n'a d'ailleurs pas
toujours été à la hauteur des espérances des collectivités locales au fil des
ans.
Il semble cependant qu'un accord puisse être trouvé aujourd'hui sur la
proposition faite, dans le cadre de la dotation générale des collectivités
locales, la DGCL, d'un retour par une diminution au franc le franc à travers la
DGF communale et par un abondement à due concurrence de la DGD départementale.
C'est d'ailleurs ce souhait qui sous-tend le sous-amendement que nous avons
déposé au nom du groupe socialiste et apparentés, en tenant compte par ailleurs
de l'instauration - évoquée sur de nombreuses travées - d'un abattement en
faveur des communes les plus défavorisées par le mode de répartition précédent.
A cet égard, je préciserai que les communes les plus défavorisées l'ont souvent
été du fait des départements qui ont délibérément transféré au-delà de la
moyenne légale de 15 %. On a rappelé tout à l'heure l'exemple du département
des Bouches-du-Rhône et de la ville de Marseille, où ce taux a tout de même
atteint 30 % !
M. Michel Mercier.
Qui présidait le conseil général des Bouches-du-Rhône ?
M. Bernard Cazeau.
Il me semble donc primordial que les reversements qui s'effectueront au titre
des compensations soient réalisés sur la dotation générale de décentralisation
attribuée au département, et non sur la DGE comme on semble vouloir nous y
inciter.
Il s'agit là, d'une part, d'une sécurité pour cette institution locale et,
d'autre part, d'une logique et d'une cohérence législative.
Je cesserai d'évoquer les problèmes techniques pour conclure, madame la
ministre.
Le texte portant création de la CMU sera certainement une des grandes lois
sociales qui viendra couronner l'action sociale de la gauche au pouvoir,
particulièrement au cours des vingt dernières années.
M. Michel Mercier.
Ah !
M. Bernard Cazeau.
Eh oui ! La réduction du temps de travail,...
Mme Nelly Olin et M. Michel Mercier.
Eh oui !
(Sourires sur plusieurs travées de l'Union centriste et du
RPR.)
M. Bernard Cazeau.
Eh oui ! La réduction du temps de travail, disais-je, le RMI - eh oui ! tout
le monde en parle - ...
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Et trois millions de
chômeurs !
M. Bernard Cazeau.
... et la CMU sont un trépied social dont nous sommes fiers et qui, à côté de
la modernité de la prise en charge sociale, constitue, n'en déplaise à
certains, une solidarité indispensable pour l'équilibre de notre société à
l'aube du nouveau millénaire.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, personne ne
peut nier la réalité : selon une récente enquête menée par le CREDES, 23 % des
personnes interrogées - presque un quart de la population sondée ! - ont
renoncé à des soins pour des motifs financiers, 150 000 ne sont pas couvertes
par l'assurance maladie et 7 millions n'ont pas de couverture
complémentaire.
Ce constat grave - oui, proprement inacceptable ! - résulte de l'échec de la
réforme de notre système de santé, ne nous le cachons pas. Désormais, nous
sommes l'un des pays d'Europe où les remboursements sont parmi les plus faibles
et où les personnes exclues du système de soins sont parmi les plus nombreuses,
sans pour cela que nous réussissions, les chiffres l'ont encore montré, à
rétablir les équilibres financiers.
Reprenant, madame la ministre, un projet d'Alain Juppé, l'objectif que vous
poursuivez est donc louable, et nous ne pouvons qu'y souscrire : assurer, à
compter du 1er janvier 2000, un accès gratuit aux soins à 6 millions de
personnes trop démunies pour pouvoir se faire soigner convenablement.
Comme il a été dit tout à l'heure, les départements n'ont pas attendu ce
projet de loi pour réagir avec la mise en place d'une aide médicale gratuite en
relation avec les centres médico-sociaux, les communes et les associations,
mais aussi grâce à la carte santé et aux réseaux de soins. Grâce à la proximité
et à la souplesse, malgré les distorsions entre départements, un service a
ainsi été rendu à nos populations.
Le projet de loi que vous nous proposez aujourd'hui me laisse quelque peu
insatisfait, et m'inquiète même parfois sur plusieurs points.
Premièrement, ce projet est centralisateur. Pour moi, qui pense que la
décentralisation est un bien pour notre société, c'est un problème.
Vous avez choisi de retirer aux départements, collectivités de proximité, la
compétence en matière d'accès gratuit aux soins pour la donner aux caisses
primaires d'assurance maladie, et donc indirectement à l'Etat.
Pour éviter que l'Etat ne donne le sentiment de transférer puis de reprendre
des compétences aux départements et d'hésiter sur la poursuite de la
décentralisation, il faudrait qu'il propose simultanément et en retour de
nouveaux transferts de compétences aux conseils généraux. Nous aurions ainsi la
garantie que l'on ne reprend pas d'une main ce que l'on nous avait donné hier
de l'autre.
Deuxièmement, les problèmes de santé sont souvent une composante forte des
difficultés sociales. Or vous retirez aux départements la responsabilité de
l'accès aux soins, ce qui les prive d'un levier capital en matière de lutte
contre l'exclusion.
Troisièmement, les critères d'éligibilité que vous avez retenus sont
administratifs, c'est-à-dire sans proximité, sans souplesse, et ils comportent
des effets de seuil importants. Résultat, sous prétexte d'égalité, vous risquez
d'introduire une profonde inégalité entre les travailleurs et les
bénéficiaires, entre les assurés et les non-assurés. Souvenez-vous de cette
citation de Montesquieu, madame la ministre : « On gouverne bien de loin, mais
on n'administre bien que de près. » Cette citation garde toute son actualité
dans le cas présent.
Quatrièmement, vous avez fait le choix de l'assistance plutôt que de la
responsabilisation. Or, s'il est un élément indispensable à la dignité de toute
personne quels que soient ses revenus, c'est son indépendance. La
responsabilisation est un élément d'intégration. En ne prévoyant pas de
contribution, même minime, vous continuez d'exclure davantage.
Cinquièmement, il existe un flou sur la nature des soins pris en charge.
Allez-vous prendre en charge les frais d'optique et les frais dentaires, exclus
le plus souvent des systèmes de couverture maladie universelle mis en place
chez nos voisins européens ?
Sixièmement, le coût du dispositif est incertain. Estimé à 1 500 francs pour
les soins et les médicaments par personne et par an par vos services, il est
prévu à 2 500 francs par les organismes complémentaires. Va-t-il finalement
coûter 9 milliards de francs ou 12 milliards par an ? En tout état de cause, la
prévision de 1 500 francs par personne et par an semble nettement
insuffisante.
Le dispositif comporte également un risque important de dérapage. L'exemple du
RMI est, à cet égard, inquiétant. Censé concerner 300 000 personnes au départ -
rappelez-vous ! -, il compte aujourd'hui 2,5 millions de bénéficiaires,
désormais sans réelle obligation d'insertion. Le coût du dispositif a même été
multiplié par deux en dix ans.
Enfin, madame la ministre, vous avez fait le choix de financer la couverture
maladie universelle essentiellement sur fonds budgétaires nationaux ou
départementaux au lieu de prévoir les économies nécessaires. Dorénavant, nous
devrons essayer de financer les nouveaux schémas et les nouvelles politiques
que nous voulons mettre en oeuvre par des économies plutôt que par des dépenses
complémentaires.
Les comptes de la sécurité sociale présentés hier ne vous ont, je crois, pas
trop étonnée. Le plan proposé par M. Johannet n'est-il pas encore suffisant ?
Vous lui réclamez des propositions alors qu'il vous en a encore fait très
récemment !
Pour conclure, permettez-moi de dire qu'en ce qui concerne la suppression du
contingent communal d'aide sociale je confirme mon approche positive en
souhaitant que les modalités retenues ne perturbent pas trop les équilibres
financiers de nos budgets sociaux départementaux, puisqu'en la matière un
certain nombre d'entre eux sont souvent allés bien au-delà de ce qui était
demandé.
Je terminerai en louant vos intentions mais en regrettant que les moyens que
vous utilisez risquent, dans un certain nombre de cas, d'aggraver l'exclusion.
D'ailleurs, cette remarque va dans le sens du récent rapport de la Cour des
comptes qui dénonce le choix fait en faveur des dépenses de fonctionnement au
détriment des dépenses d'investissement.
J'espère, madame la ministre, que la discussion qui se déroulera au Sénat
permettra d'apporter des réponses, d'atténuer ces critiques, pour donner à ce
texte si important pour les exclus potentiels de notre système de soins la
faculté de répondre avec la souplesse nécessaire à ces enjeux essentiels de
notre société.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Domeizel.
M. Claude Domeizel.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, la couverture maladie universelle, quel grand progrès social
dans le domaine de l'accès aux soins et, plus globalement, de l'assurance
maladie !
Nous sommes là dans le prolongement des mesures engagées par le Gouvernement
et déjà adoptées lors de l'examen du projet de loi d'orientation relatif à la
lutte contre les exclusions.
Ce dispositif, élaboré au nom de la solidarité nationale, prévoit donc, dans
sa première partie, d'étendre la couverture maladie obligatoire à tous ceux qui
n'en bénéficiaient pas.
En cela, la couverture maladie universelle est l'aboutissement du projet
initial, celui des créateurs de la sécurité sociale, pour généraliser la
couverture sociale quel que soit le statut professionnel et social du
bénéficiaire.
La couverture maladie universelle sera un levier permettant une amélioration
pour tous de l'assurance maladie, pour une protection sociale vraiment
solidaire, égalitaire, sans discrimination, où chacun pourra jouir des droits à
accéder librement et immédiatement à la prévention et aux soins.
Il faut saluer cette extension à tous de la sécurité sociale. C'était déjà une
idée de ses fondateurs en 1945 ! Un demi-siècle aura été nécessaire pour
achever le processus engagé.
Au-delà de cette avancée sociale, qui ne peut qu'être reconnue de tous, le
projet de loi comporte, dans sa deuxième partie, une innovation considérable
lorsqu'on sait qu'environ 25 % de la population qui bénéficie de la couverture
de base ne peut recourir à certains soins par manque de moyens. Or le projet
prévoit d'accorder, en outre, une couverture complémentaire ainsi que la
dispense d'avance de frais.
Comme cela a été déjà dit à l'Assemblée nationale par Jean-Claude Boulard,
auteur du rapport
Pour une couverture maladie universelle, base et
complémentaire,
« au fil des années, le ticket modérateur, qui n'a jamais
rien modéré, s'est transformé en ticket d'exclusion, et l'on a abouti à ce
paradoxe que dès lors qu'on ne détenait pas de couverture complémentaire -
comme 15 % de la population - on était privé de la possibilité de jouir de ses
droits ouverts par le régime de base ».
La couverture maladie universelle étend donc la couverture complémentaire à 6
millions de personnes.
Je ne reviendrai pas sur les principales questions qu'engendre l'extension de
la couverture complémentaire. De nombreux intervenants dans cette discussion
générale ont, en effet, éclairé le débat, que ce soit sur l'effet de seuil, sur
le partenariat ou sur les questions de financement et de maîtrise des dépenses
de santé.
Cependant, j'ai noté dans les propos du rapporteur que le projet de loi
plaçait une partie de la population en dehors de notre système de protection
sociale. Cette objection est surprenante lorsqu'on sait qu'au contraire elle va
les y faire rentrer. Ou alors, que signifie le mot « universel » ?
Lorsque le Gouvernement choisit d'assurer gratuitement une couverture
complémentaire à 10 % de Français, il est normal que cette gratuité incite à
s'interroger sur la notion de responsabilité individuelle. Mais, à l'analyse,
on s'aperçoit que tout autre système est matériellement impossible à réaliser
et qu'il présente même le risque de passer à côté de l'objectif poursuivi :
l'accès aux soins pour tous.
Même si, globalement, nos contemporains se soignent de mieux en mieux, même
s'ils vivent mieux et de plus en plus longtemps, il n'en reste pas moins,
malheureusement, que, derrière ces constats, demeurent encore de graves
inégalités parmi nos concitoyens renonçant aux mesures de prévention et aux
soins.
Ces inégalités entraînent évidemment la dégradation de leur état de santé et
l'aggravation des difficultés financières, psychologiques, familiales. Cela,
faut-il le souligner, ne facilite pas le maintien ou le retour à l'emploi selon
les cas.
L'accès aux soins pour tous est en effet l'une des mesures qui permettent de
restaurer la dignité des personnes en détresse et de renouer les liens qui les
unissent à la société ou de les réinsérer dans notre communauté.
A ce sujet, madame la ministre, j'aurais souhaité intervenir une demi-heure
plus tard : nous aurions été alors le 2 juin. C'est à cette même date, voilà
deux ans, que la nouvelle majorité dont est issu votre gouvernement a été élue.
Je pourrais citer de nombreuses réussites de ce gouvernement ! Je n'en citerai
qu'une seule : notre pays compte près de 300 000 chômeurs de moins en deux
ans.
Mais je reviens à mon propos, madame la ministre.
Vous menez un combat pour mettre un terme aux inégalités devant l'emploi, la
retraite, et pour répondre aux droits fondamentaux des personnes physiques,
notamment celui de la santé. Le groupe socialiste salue votre détermination
car, je le disais voilà un instant, il a fallu un demi-siècle pour obtenir une
telle avancée. La situation sociale, certes, s'est imposée, mais elle n'est pas
récente. Aussi a-t-il fallu l'impulsion de tout un gouvernement, bien sûr celle
de Lionel Jospin, mais aussi la vôtre, madame la ministre, pour arriver au
projet de loi dont nous sommes en train de débattre.
En tentant d'atteindre l'universalité, notre pays s'efforce de résoudre une
difficulté qui existe dans la plupart des pays de l'Union européenne, où une
part de la population, évidemment la plus modeste, échappe à toute protection
sociale.
Permettez-moi de signaler à cet égard qu'une étude comparée des dispositions
existant dans quelques pays européens a été élaborée par la division des études
de législation comparée du service des affaires européennes du Sénat. Je
n'entrerai pas dans le détail, mais je vous livrerai l'essentiel de la
conclusion de cet excellent document qui, j'en suis sûr, n'a échappé à
personne.
« L'examen des dispositions en vigueur dans les pays étrangers retenus - il
s'agit de l'Allemagne, du Danemark, des Pays-Bas, de l'Espagne, du Royaume-Uni,
de la Suède et de la Suisse - montre que le projet de loi portant création
d'une couverture maladie universelle tend à placer la France parmi les pays
offrant à leurs habitants la meilleure protection contre la maladie. » Elle
constitue en cela une avancée sociale majeure qui est tout à l'honneur du
Gouvernement.
S'agissant des critiques formulées à l'encontre des diverses mesures rajoutées
en fin de projet, je considère, pour ma part, qu'elles n'enlèvent rien au corps
même du dispositif et qu'elles ont en outre le mérite de débloquer un certain
nombre de situations qui touchent d'ailleurs toutes à des problèmes de santé et
qui posaient difficultés. Je pense particulièrement au sort des
aides-opératoires et aides-instrumentistes pour lesquels, avec le groupe
socialiste, j'ai déposé un amendement.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Ah !
M. Claude Domeizel.
Je comprends, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, sur le fond,
la position du Gouvernement sur ce sujet. Cependant, nous sommes là confrontés
à un réel problème pour des personnes, en majorité des femmes, dont la
situation doit être régularisée. C'est le cas du personnel qui était en
exercice avant la parution du décret du 15 mai 1993.
Je comprends également la position des professionnels qui ont accédé à ces
emplois après avoir subi des examens.
Notre amendement permettra d'éviter une utilisation abusive de cette même
mesure d'adaptation à la réalité en la bornant plus logiquement dans le temps,
et en satisfaisant, pensons-nous, les intérêts de toutes les parties.
Je note par ailleurs avec satisfaction l'article 37
terdecies
visant à
la création de fédérations médicales interhospitalières ayant pour objet de
regrouper des services départementaux ou des structures de centres hospitaliers
en vue du rapprochement d'activités médicales. C'est, à notre avis, une bonne
orientation.
A l'expérience, je suis certain qu'il faudra aller plus loin dans cette
direction. La coopération dans d'autres domaines, en effet, se révélera très
vite nécessaire.
Le projet dont nous débattons aujourd'hui fera, j'en suis sûr, partie de ces
grandes lois qui marquent une législature, qui laissera une empreinte dans
l'histoire sociale de notre pays et, osons le dire, sera un modèle à envier et
à suivre pour nos voisins européens.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Nous en reparlerons
!
M. Claude Domeizel.
Nous en reparlerons, bien sûr !
De ce fait, je n'ai plus à douter, compte tenu de la vocation universelle de
ce dispositif, que ce projet de loi recueille parmi nous un avis qui sera
unanime à défaut d'être universel.
Pour sa part, le groupe socialiste soutient cette nouvelle démarche courageuse
et volontaire du Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Franchis.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste.)
M. Serge Franchis.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le projet de loi que nous examinons ce soir s'inscrit à la
fois dans la politique de la santé et dans la politique de lutte contre les
exclusions.
Dans quelque Etat qu'ils habitent, nos contemporains espèrent pouvoir
bénéficier des dernières technologies et thérapies médicales.
L'augmentation continue de l'espérance de vie des Français témoigne, à cet
égard, de la qualité des soins auxquels nos concitoyens ont eu accès jusqu'à
maintenant.
Cependant, ce qu'ils souhaitent, ce qu'ils exigent, ce que nous exigeons tout
naturellement, c'est l'élimination des carences et des inégalités de santé.
Nous devons, par exemple, mieux prendre en charge la douleur, réduire
l'incidence des affections nosocomiales, etc.
Nous devons répondre aux problèmes de la densité médicale, trop faible dans
certaines parties du territoire. Nous savons qu'elle est insuffisante aussi
dans plusieurs disciplines : l'anesthésie, la pédiatrie, etc. Nous savons
également que des établissements hospitaliers manquent cruellement de moyens,
de personnel médical, d'équipements.
Beaucoup reste à faire, vous l'avez admis, monsieur le secrétaire d'Etat. Les
attentes sont nombreuses et légitimes.
Et puis, santé publique signifie aussi politique de prévention tout autant que
politique de soins. Une réelle prévention contre les toximanies est engagée,
notamment en matière de lutte contre le tabagisme.
Nous ne pouvons qu'approuver pleinement, monsieur le secrétaire d'Etat, toutes
vos initiatives de renforcement de la prévention, du dépistage systématique, de
la promotion de la santé et de soutien à la recherche.
La santé est un choix de société. Elle est un choix de société parce que les
gens ont conscience des progrès thérapeutiques considérables qui sont
possibles, année après année, pour faire reculer la mortalité prématurée. Elle
est un choix de société parce que la recherche ouvre des voies prometteuses.
La société se mobilise contre les nouveaux fléaux, tels que le SIDA, et
toujours contre le cancer. La France enregistre près de 200 000 nouveaux cas de
cancer chaque année. Certains types de cancer connaissent même une progression
inquiétante.
Et que dire des maladies psychiques, de la fréquence des dépressions et des
suicides chez les jeunes ?
Le coût des technologies et des thérapies les plus récentes est élevé. Il
s'agit d'un coût, mais aussi d'un investissement pour une meilleure santé, pour
vivre mieux et pour vivre plus longtemps.
On relève aujourd'hui que, aux Etats-Unis, 14 % de la richesse nationale sont
consacrés à la santé, contre 5,3 % en 1960. Actuellement, un Américain dépense
en moyenne près de deux fois plus d'argent qu'un Européen, 75 % en plus.
« L'idée qu'un recul des remboursements devait entraîner dans notre pays un
ralentissement de la consommation de soins s'est révélée erronée. Sauf à se
transformer en ticket d'exclusion, le ticket modérateur n'a jamais rien modéré
», je cite le rapport Boulard, comme mon prédécesseur à cette tribune.
Accompagner ce choix de société nécessite d'optimiser les actions de santé,
notamment les actions publiques. La maîtrise des dépenses n'autorise toutefois
pas d'enfermer la politique de santé dans une logique uniquement comptable,
dans un cadre purement financier. Ce serait courir à terme le risque d'une
raréfaction des soins eu égard aux potentialités.
Mais accompagner ce choix de société, c'est aussi permettre à quiconque
d'accéder aux soins. Etant donné que, en 1996, un Français sur quatre a déclaré
avoir renoncé à se soigner au moins une fois dans l'année pour des raisons
financières, il apparaît souhaitable d'aménager notre système de protection
sociale.
La couverture médicale universelle tend à organiser les droits plutôt qu'à
réellement les étendre, puisqu'elle consiste essentiellement en un passage d'un
régime d'aide médicale, souvent considérablement renforcé par les conseils
généraux - dont certains ont mis en place des systèmes exemplaires de prise en
charge - à un régime de sécurité sociale. Néanmoins, cet effort d'harmonisation
sera profitable aux personnes les plus démunies, sous les réserves à l'instant
exprimées par M. Michel Mercier, et permettra, de fait, une extension de la
couverture complémentaire.
Je m'en remets à l'excellente analyse et aux propositions de M. le rapporteur
pour que soient intégrés dans un même régime tous les ayants droit. Cela vaut
mieux que créer une nouvelle catégorie car, après les smicards et les RMIstes,
nous aurions alors les CMUistes.
L'allocation personnalisée à la santé que l'on nous propose d'instaurer est
inspirée par le modèle de l'allocation logement. Elle contribue à effacer les
effets de seuil, et elle est un moyen de responsabilisation des ayants droit,
d'autant plus important que ceux-ci devraient avoir la faculté d'intégrer un
régime mutualiste.
L'institution de la couverture maladie universelle offre l'occasion de faire
sortir du régime d'assistance deux millions et demi de nos concitoyens en leur
restituant, par une intégration au droit commun, une dignité à laquelle
certains peuvent être très sensibles. C'est un aspect auquel nous devons aussi
être attentifs.
Nous devons donc veiller maintenant à ne pas installer six millions de
personnes dans une autre différence !
Au terme de cette brève intervention, je tiens à souligner un point essentiel,
d'ailleurs mis en exergue par le rapport Boulard : l'extension de l'accès aux
soins serait de portée limitée si elle ne concernait qu'une partie des dépenses
et prenait insuffisamment en compte celles qui, comme les prothèses dentaires,
auditives ou d'optique médicale, conduisent actuellement à de fréquentes
renonciations.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Charles Descours,
rapporteur.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je vais tenter de répondre le plus
complètement possible aux questions auxquelles je n'ai pas répondu par
anticipation dans mon intervention liminaire.
Je note tout d'abord que vous êtes, bien sûr, tous d'accord sur les principes,
mais je remarque aussi, mesdames, messieurs de l'opposition, que vous êtes
davantage d'accord sur les principes que sur les modalités d'application !
Je constate avec plaisir cette unanimité mais, très franchement, ceux qui
attendent pour se faire soigner ne peuvent se satisfaire de certains propos -
pas de tous - que j'ai entendus.
M. Seillier a évoqué avec juste raison la nécessaire mobilisation des
consciences sur cet accès de tous aux soins. Je crois au-delà à la nécessité de
le financer si nous souhaitons que cela fonctionne.
Nombre d'entre vous ont dit que ces mesures sont généreuses. Je voudrais
souligner qu'elles sont aussi financées. Nous n'avons pas eu pour habitude
depuis deux ans - MM. Chabroux et Autain l'ont indiqué - de faire voter des
textes sans prévoir leur financement, et personne ne peut prétendre que ce
n'est pas le cas aujourd'hui. Nous avons simplement établi des priorités dans
le budget de l'Etat pour financer effectivement les projets qui sont les nôtres
pour l'emploi et la lutte contre les exclusions. Ce texte en fait partie.
S'agissant de la CMU et du texte que nous vous présentons, il s'agit bien,
comme l'ont indiqué Mmes Dieulangard et Borvo ainsi que M. Cazeau, de faire
bénéficier les plus démunis du même accès aux soins que les autres, et ce à
titre gratuit. C'est là l'innovation majeure.
Nous ne sommes pas en train de mettre en place un système à deux vitesses !
Nous essayons de faire en sorte que chacun ait accès aux mêmes soins.
Avant d'aborder vos propositions, je souhaiterais répondre rapidement aux
critiques.
Il s'agit tout d'abord de critiques de forme : je ne reviendrai pas sur le
titre IV, Bernard Kouchner le fera. Mais vous avez vous-mêmes compris l'urgence
de nos propositions. Je regrette moi aussi que nous n'ayons pas pu inscrire un
« vrai » DMOS à l'ordre du jour de cette session. Mais il était important de
prendre les mesures qui s'imposaient.
Vous avez critiqué la procédure d'urgence, et je peux le comprendre.
Effectivement, il ne faut pas abuser de cette procédure mais, en l'occurrence,
il y a bien urgence et, d'ailleurs, ne nous avez-vous pas reproché l'année
dernière de ne pas avoir présenter ce texte plus tôt ?
Je dirai à ceux qui ont fait référence à l'AMU que ce dernier reproche aurait
pu valablement être adressé au précédent gouvernement. En effet, M. Alain Juppé
a annoncé l'AMU, c'est-à-dire la couverture de base et non pas la couverture
complémentaire, en novembre 1995. Or il a fallu attendre décembre 1996 pour
obtenir une note d'orientation de quatre pages et, ensuite, on n'a rien vu
venir. Donc, l'urgence sur ce projet n'apparaissait pas très grande au
précédent gouvernement.
Par ailleurs, ce projet aurait été, nous dit-on, mal préparé. On ne peut pas à
la fois nous reprocher d'avoir pris trop de temps et nous dire qu'il a été
préparé dans la précipitation !
Comme vous le savez, M. le Premier ministre a confié à Jean-Claude Boulard une
mission qui l'a conduit d'ailleurs à rencontrer certains d'entre vous.
M. Boulard a travaillé d'abord sur le principe même et l'organisation
technique de la CMU avant, dans une deuxième phase et après les orientations du
Gouvernement, d'en négocier les modalités avec les principaux intervenants
dont, bien entendu, la CNAM, les caisses d'assurances complémentaires, les
mutuelles et l'association des présidents de conseils généraux. Je remercie
d'ailleurs M. Mercier de l'avoir rappelé.
J'en arrive aux critiques de fond et, d'abord, à celles qui concernent les
coûts.
Je voudrais que les choses soient claires sur ce point. Tout d'abord, ce
projet ne va rien coûter à la sécurité sociale, comme je l'ai déjà dit à un
certain nombre de reprises.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Ce n'est pas vrai !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Voyons, monsieur Oudin ! Vous
avez fait une erreur à propos de la couverture de base.
Je vais essayer de vous l'expliquer gentiment, même si vous avez considéré que
nos chiffrages étaient de mauvaise foi.
Vos chiffrages sont faux parce que vous avez retenu, pour l'assurance de base,
un montant de 9 400 francs, qui vaut pour plusieurs ayants droit, alors que le
montant réel est de 4 000 francs.
Si vous prenez en compte ce dernier montant, vous pouvez vérifier la véracité
de nos chiffres en suivant très exactement votre raisonnement.
S'il vous plaît, monsieur le sénateur, quand vous vous trompez, évitez de dire
aux autres qu'ils sont de mauvaise foi !
Essayons de parler correctement dans cette enceinte, et j'aurais répondu de la
même manière si vous ne m'aviez pas fait des reproches qui, véritablement, me
touchent car, je le dis encore une fois, je n'ai aucune raison de sous-estimer
une réforme qui est, pour moi, majeure, si ce n'est la plus importante de
celles que nous avons entreprises. Il s'agit en effet de l'accès aux soins pour
tous, et je n'ai aucune raison de sous-estimer le coût d'une telle réforme.
Si j'avais estimé que le coût de cette réforme était supérieur, j'aurai prévu
les mesures nécessaires pour la financer. Si je n'avais pas trouvé les
financements nécessaires, j'aurais abaissé le seuil.
S'il vous plaît ne dites pas que l'on est de mauvaise foi lorsqu'on ne partage
pas votre point de vue.
M. Hilaire Flandre.
L'histoire le dira !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
L'histoire le dira certes mais,
en l'occurrence, chacun peut vérifier.
J'ajoute que cette moyenne de 4 000 francs concerne uniquement le régime de
base de la sécurité sociale, puisque chacun a bien compris que, en ce qui
concerne le régime complémentaire, nous avons mis en place un financement
particulier.
Par ailleurs, je le redis, l'estimation de 1 500 francs retenue pour
l'évaluation de la couverture santé d'un ressortissant de la CMU a été établie
à partir de données sur le reste à charge d'échantillons d'assurés sociaux.
Je répète également, même si j'ai bien évidemment entendu ce qui m'a été dit,
que les organismes qui ont agréé ce calcul - ils n'avaient pas vraiment de
raison dans les négociations que nous avions menées avec eux de nous dire
qu'ils étaient d'accord si ce n'était pas le cas - ont, semble-t-il, devant
votre commission, tenu des propos différents.
Peut-être pensaient-ils ou souhaitaient-ils que les négociations ne soient pas
tout à fait terminées. Quoi qu'il en soit, très franchement, les premiers
chiffres viennent de ces organismes et nous ont été fournis avant que nous
ayons vérifié nous-mêmes sur un échantillon, auprès de la CNAM et dans un
certain nombre de départements qui avaient mis en place la carte santé depuis
quelques années, celui de M. Mercier étant l'un de ceux-là.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Dans le département de M. Mercier, ce n'est pas 1 500 francs,
et il vous l'a dit.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Nous n'avons pas les mêmes
chiffres ! Je ne considère pas que quiconque soit de mauvaise foi. Nous allons
vérifier. Mais, selon nos informations, nous sommes à 1 500 francs en
moyenne.
J'ajoute qu'il faut apporter quelques correctifs à l'échantillon des assurés
sociaux qui sont retenus pour faire ce calcul.
Tout d'abord, la consommation médicale varie beaucoup selon l'âge. Or, les
bénéficiaires de la CMU sont plus jeunes que la moyenne de la population. Nous
avons pu, là aussi, le vérifier dans les départements tests.
Par ailleurs, la consommation varie en fonction des niveaux de revenus. Or,
comme M. Mercier l'a dit tout à l'heure, ces assurés percevront, par
définition, un revenu nettement inférieur à la moyenne nationale.
Enfin, l'échantillon que nous avons retenu chiffre la totalité des restes à
charge. Or, la CMU ne paiera pas la totalité, par exemple pour les suppléments
pour chambre individuelle dans un endroit déterminé et les prothèses
dentaires.
Nous avons donc retenu le chiffre de 1 500 francs. En agissant ainsi, nous
avons la conviction que nous avons gardé une marge de sécurité. Le Gouvernement
est cependant tout à fait d'accord pour faire un bilan année après année. Et,
s'il s'avérait qu'il y a des modifications, dont, aujourd'hui, je n'ai aucune
raison de penser qu'elles doivent intervenir, nous en tirerons les
conséquences. Selon moi, ces chiffres sont corrects en l'état actuel des
données dont nous disposons. Ces calculs ne sont pas simplistes, monsieur
Oudin, ni mensongers. Ils nous paraissent réalistes.
Le coût du dispositif est évalué à 1 500 francs multiplié par 6 millions de
personnes, soit 9 milliards de francs en année pleine. Ce dispositif sera
financé, d'une part, par une contribution des organismes de protection
complémentaire et, d'autre part, par une dotation de l'Etat pour le solde après
la remontée, sur laquelle je reviendrai, de sommes provenant des
départements.
Ces recettes alimenteront un fonds spécifique créé par la loi et institué sous
la forme d'un établissement public.
Sur ce point, je souhaiterais répondre à M. Descours que les dépenses du fonds
seront constituées par le remboursement aux organismes d'assurance maladie des
prestations versées au titre de la protection complémentaire, c'est-à-dire au
franc le franc, pour reprendre votre propos, et par les remboursements aux
organismes de protection complémentaire pour lesquels les déductions au titre
des contrats ou des adhésions sont supérieures à la contribution de 1,75 %, à
concurrence de 1 500 francs par personne.
C'est pourquoi vous ne pouvez pas dire que nous modifions les frontières entre
la sécurité sociale et les caisses complémentaires. C'est en effet bien vers
celles-ci et vers les organismes de prévoyance que s'oriente le système.
Les critiques portent aussi sur la remise en cause supposée de notre système
de protection sociale.
M. Descours a dit que l'on va exclure de notre système de protection sociale
six millions de personnes au lieu de les intégrer.
J'ai vraiment envie de dire tout à fait le contraire. Aujourd'hui, 84 % des
Français ont une couverture complémentaire alors qu'un certain nombre d'autres
n'en bénéficient pas. Nous allons justement intégrer ces derniers dans le même
schéma, c'est-à-dire les assujettir aux mêmes organismes, leur octroyer la même
possibilité de choisir leur médecin, leur clinique, leur hôpital. Ces
dispositions traduisent bien la volonté d'intégrer ces personnes au sein même
de notre système de protection sociale.
Par ailleurs, certains intervenants ont prétendu que nous mettions les
prestations sous conditions de ressources. Je ne comprends absolument pas...
M. Charles Descours,
rapporteur.
Mais si !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... puisque le remboursement
sera exactement le même pour un salarié ou une personne exerçant une profession
libérale qui cotise à une assurance ou à une mutuelle et pour une personne qui
bénéficiera de la couverture maladie universelle.
Ce sera les mêmes.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Mais pas les mêmes remboursements !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mais si ! puisque, d'un côté,
la sécurité sociale continuera à payer les 75 %, et, de l'autre, la CMU ou les
organismes complémentaires paieront la différence.
Ce n'est pas la sécurité sociale qui financera ces prestations, même si elle
liquidera les sommes, ce qu'elle fait déjà. Il n'y a en effet aucune innovation
pour les deux millions et demi de personnes qui bénéficient actuellement de
l'aide médicale gratuite.
Il s'agit donc d'une prestation accordée au nom de l'Etat, comme c'est le cas
aujourd'hui au nom des départements.
Vous n'avez jamais considéré que la caisse primaire d'assurance maladie, quand
elle verse l'aide médicale en votre nom, distingue les prestations en fonction
du revenu. Il n'y aura aucune innovation en la matière.
En ce qui concerne la concurrence entre la sécurité sociale et la couverture
complémentaire, je relève une contradiction : certains nous reprochent de
mettre en cause des frontières, d'autres le craignent et d'autres encore, comme
M. Plasait, le souhaitent.
La couverture maladie universelle n'entraîne ni concurrence ni confusion entre
la sécurité sociale et les organismes complémentaires. Je le redis : ce projet
de loi n'autorise en rien les caisses de sécurité sociale à développer une
couverture complémentaire en concurrence avec les mutuelles et avec les
assurances ; les caisses seront gestionnaires pour le compte de l'Etat d'une
prestation de solidarité financée par un fonds d'Etat comme elles le font déjà
pour l'aide médicale des départements.
Au demeurant, la CMU n'autorise pas non plus les organismes complémentaires à
intervenir sur la couverture de base. Le Gouvernement réaffirme sa position
constante : le monopole des organismes de sécurité sociale ne sera pas remis en
cause.
Je voudrais à cet égard indiquer à Mme Borvo que je partage complètement son
point de vue : je me suis opposée au protocole d'accord entre la CNAM et les
organismes complémentaires parce qu'il pouvait porter en germe des évolutions
entre la sécurité sociale et les caisses complémentaires que nous ne souhaitons
pas.
J'en viens enfin aux bénéficiaires eux-mêmes et aux modalités d'organisation.
Je ne vais pas revenir très longuement sur les effets de seuil. Nous en avons
beaucoup parlé.
Mais à ceux qui nous reprochent de créer un effet de seuil considérable, je
voudrais rappeler que l'effet de seuil existe déjà aujourd'hui de par la loi,
puisqu'il y a ceux qui sont en dessous et ceux qui sont au-dessus du RMI.
Par ailleurs, je rappelle que tous les départements, sauf celui de la
Meurthe-et-Moselle, ont mis en place un système avec un nouveau seuil pour les
assurés sans contribution versée par les assurés. J'ajoute, monsieur le
rapporteur, qu'en Meurthe-et-Moselle ce système a été mis en place, très
récemment, par le nouveau président du conseil général.
Cela prouve bien que tous ceux qui ont travaillé sur ces questions depuis des
années ont utilisé ce système-là pour mettre en place des avancées, pour aller
au-delà des obligations légales.
M. Esneu nous dit qu'il n'est pas normal de traiter de la même manière toutes
les personnes qui se situent en dessous du seuil. J'avoue ne pas bien le
comprendre. Il fait une différence entre des agriculteurs, des commerçants et
des artisans et, par exemple, des chômeurs.
Pour ma part, je ne fais pas de différence quand il s'agit de l'accès aux
soins. A revenu égal, il doit y avoir une égalité des droits à la santé pour
tous.
Si les présidents des conseils généraux ont accepté dans leur grande majorité
et même demandé que ces prestations remontent vers l'Etat, c'est bien pour
éviter la rupture d'égalité que nous constatons aujourd'hui et que je ne
critique d'ailleurs pas. Je tiens à le redire : je n'ai jamais prétendu qu'hier
c'était l'ombre et que demain ce sera la lumière.
A plusieurs reprises, j'ai relevé que les départements étaient allés au-delà
de la situation légale. Je pense toutefois que, dans un tel domaine, il doit y
avoir égalité des citoyens devant l'accès aux soins. C'est la raison pour
laquelle, suivant en cela l'avis des conseils généraux, il nous a paru
important d'instaurer une prestation de solidarité.
Or, cette prestation de solidarité, elle ne se discute pas. Quel que soit le
statut social des personnes qui perçoivent un revenu inférieur à un certain
seuil, dès lors qu'elles ont besoin de se faire soigner, nous devons leur
apporter la même aide.
Selon moi, le vrai débat porte sur ceux qui sont au-dessus du seuil. Et là,
nous retrouvons très précisément le débat que M. Mercier a abordé quand il a
expliqué que, auparavant, les départements, les centres communaux d'action
sociale, les caisses d'assurance maladie, le fonds de solidarité vieillesse
appréhendaient la personne dans sa totalité, dans son environnement, pour
vérifier si on devait lui apporter une aide médicale complémentaire.
Désormais, cet examen sera réalisé exactement de la même manière, le seuil
étant non plus au-dessus des 2,5 millions de bénéficiaires de l'aide médicale
gratuite, mais au-dessus des 6 millions de personnes qui bénéficient de la
couverture maladie universelle.
Vous reconnaîtrez avec moi que les fonds attribués au fonds d'action sociale
des caisses comme aux CCAS devraient effectivement prendre en compte beaucoup
moins de personnes.
Certains ont parlé de déresponsabilisation.
Très franchement, je le dis comme je le pense, je ne suis pas favorable à
l'assistance. A l'occasion de la loi contre les exclusions, j'ai expliqué et
mis en place des dispositifs qui ont pour objet d'aider chacun de nos
concitoyens à prendre ses responsabilités.
Toutefois, lorsqu'il s'agit de l'accès aux soins et dès lors que nous sommes
convaincus de la difficulté de payer une contribution en dessous d'un certain
seuil, je crois que nous ne devons discuter ni ce droit, ni cet accès. C'est
cet état d'esprit qui m'a animée après m'être, comme je l'ai dit dout à
l'heure, interrogée sur le problème de la contribution, comme vous l'avez fait
vous-même et comme, je crois, il est légitime de le faire.
J'en arrive au droit d'option. Les bénéficiaires de la couverture maladie
universelle auront la liberté de choix entre la caisse de sécurité sociale et
un organisme complémentaire.
Là aussi, dès l'abord, j'ai souhaité - c'était d'ailleurs l'avis initial de M.
Jean-Claude Boulard - que ces titulaires de la couverture maladie universelle
soient, comme les autres, bénéficiaires d'une mutuelle, d'une société
d'assurance ou d'une institution de prévoyance et que celles-ci soient donc
prises en charge par un fonds de solidarité.
Mais, après avoir entendu les associations qui travaillent auprès des exclus,
à la suite de la réaction de certaines mutuelles qui se sont déclarées opposées
à l'intégration des bénéficiaires de la CMU parmi leurs assurés et parce que je
n'ai pas voulu prendre le risque que, dans tel ou tel département, nous
n'ayions pas d'offre de prise en charge pour ces personnes, parce que, enfin,
dans la période de mise en place d'un tel système, il faut garder un filet de
sécurité, de facilité et de simplicité, j'ai ouvert la possibilité, pour les
bénéficiaires de la CMU, d'opter pour la caisse primaire d'assurance maladie.
Mais, je le dis à Mme Borvo, nous savons bien que, si les mutuelles -
principalement - jouent leur rôle, dans le respect des valeurs qui ont fondé la
mutualité dans notre pays, c'est-à-dire si elles vont vers les plus
défavorisés, si elles font de la prévention, des bilans de santé, les
bénéficiaires de la CMU - je vais revenir tout de suite sur ce que nous a dit
M. Mercier - iront vers ces mutuelles, ou vers les sociétés d'assurance ou
encore les institutions de prévoyance, si ces dernières font de même.
Même s'ils ont choisi la caisse primaire, les bénéfiaires pourront, à la fin
de chaque période annuelle, changer pour prendre une mutuelle afin de conserver
leurs droits et d'avoir le bénéfice d'une cotisation privilégiée.
Le système doit être simple pour les bénéficaires. Vous avez d'ailleurs été
nombreux, notamment Mme Dieulangard, à dire combien il est difficile, pour un
certain nombre de ces personnes, d'accéder à de tels droits.
Je réagis très positivement à l'intervention de M. Mercier. Selon lui, non
seulement nous devons faire voter un texte - nous verrons lequel - mais nous
devons sensibiliser et informer ceux qui ont des droits.
Je vais réunir ce mois-ci le Conseil national des politiques de lutte contre
la pauvreté et l'exclusion sociale et, avant même que la loi ne soit votée -
car, quelles que soient les modalités retenues, il faudra le faire - nous
examinerons avec l'ensemble des partenaires - les communes, les conseils
généraux, les associations et les caisses - la façon d'aller vers ceux qui ont
ces droits, de les informer et de mettre en place un formulaire qui devra être
extrêmement simple. Les demandeurs devront tout simplement faire la preuve
qu'ils sont au-dessous du plafond, puis faire un choix entre une mutuelle, une
assurance, une institution de prévoyance ou la CPAM. C'est tout !
Mais encore faut-il que les demandeurs connaissent leurs droits. Pour aller
vers eux, sans doute devrons-nous nous asseoir autour d'une table - comme nous
l'avons fait pour la commission de l'action sociale d'urgence - afin de définir
avec les personnels sociaux des différentes institutions, les CCAS, les
assistantes sociales des départements et les associations les moyens de joindre
ces personnes. Ce travail de préparation et d'accompagnement social sera
essentiel dans la mise en place de la CMU, au-delà de la simplicité dont j'ai
parlé et qui nous a toujours guidés.
J'en arrive aux modalités de financement.
Monsieur Richert, il y a non pas étatisation, mais simplement apport d'une
réponse à un besoin d'accès de tous aux droits !
Quant aux modalités retenues sur la façon de faire remonter des sommes venant
des départements vers l'Etat, j'ai bien entendu les critiques qui ont été
formulées, notamment par M. Cazeau. Il n'était pas facile de trouver un
système, et je comprends très bien que ceux qui sont allés au-delà de ce que la
loi imposait trouvent aujourd'hui injuste de faire remonter des sommes plus
importantes.
J'ai déjà été amenée à m'expliquer sur ce point. Il est vrai que, dans la
plupart des cas, pour ne pas dire dans la totalité, ce sont les départements au
potentiel fiscal le plus important qui ont établi les systèmes les plus
avantageux, et l'on peut considérer qu'il y a une certaine solidarité dans le
fait de faire remonter ces sommes.
Je reconnais que la solution n'est pas parfaite, mais il fallait trouver un
sytème qui soit le moins mauvais possible, qui fasse l'objet d'un minimum de
critiques. Si nous avions choisi le pourcentage des personnes pouvant
bénéficier potentiellement de la CMU, les écarts auraient été très lourds et
les difficultés de financement très importantes pour certains départements.
Après des discussions avec l'APCG, nous sommes arrivés à cette solution. Je
comprends que tous ne soient pas d'accord mais, encore une fois, nous avons
essayé d'être le plus cohérent possible et de trouver une solution
satisfaisante pour le maximum de départements.
Je voudrais dire à M. Vasselle qu'il n'a pas à s'inquiéter, puisque dans
l'Oise, je lui ai déjà dit en commission, la dépense d'aide médicale par
habitant est assez faible en dépit d'une situation sociale d'ailleurs difficile
: en 1997, le département était à 70 % de la moyenne métropolitaine. L'Oise ne
fera donc pas partie des départements qui vont payer pour les autres comme M.
Vasselle nous l'a dit. Son barème, qui n'est pas très avancé, le place
au-dessous de la moyenne nationale. L'Oise y gagnera donc avec ce dispositif.
Je tenais à lui apporter tous apaisements après les propos très virulents qu'il
a tenus tout à l'heure.
A la suite des questions posées par beaucoup d'entre vous, notamment par MM.
Gilbert Chabroux, Paul Girod et Bernard Cazeau, je voudrais maintenant vous
donner, à propos des contingents communaux d'aide sociale, des éléments de
réponse qui m'ont été apportés par le ministère de l'intérieur après les
discussions qui ont eu lieu entre les départements et les communes.
Je vous les livre de manière quelque peu abrupte et technique, ce dont je vous
prie de m'excuser, mais, beaucoup d'entre vous ayant souhaité avoir de telles
précisions, je préfère les verser au débat telles quelles.
La loi du 22 juillet 1983 avait fixé la nouvelle répartition des compétences
entre l'Etat et les départements en matière d'action sociale et de santé sans
modifier les conditions d'intervention et les attributions des communes en ce
domaine. Le législateur a donc maintenu le principe d'une participation des
communes, dont les règles ont été fixées par un décret en date du 31 décembre
1987. Ces règles ont généré ou consolidé des disparités, que vous avez
d'ailleurs soulignées lors de la réunion de la commission des affaires
sociales, et qu'il est souhaitable de corriger.
Une première règle posait problème : la contribution globale des communes ne
peut évoluer plus rapidement que les dépenses légales d'action sociale du
département, sauf dans les départements où la participation communale est
inférieure à la moyenne nationale. Ce système de rattrapage a conduit,
notamment ces dernières années, à une progression des contingents plus rapide
que celle des dépenses départementales.
La seconde règle, c'est que la répartition de la charge entre les communes
d'un département combine un élément fixe, à savoir la contribution de chaque
commune en 1984, et un élément variable calculé en fonction des critères de la
richesse fiscale, du nombre de bénéficiaires de l'aide sociale et de la
structure démographique.
La moitié des départements ont utilisé cet élément variable au maximum, les
autres corrigeant assez peu les barèmes constatés en 1984, dont l'origine
remonte d'ailleurs à un décret de 1955.
Il en est résulté une double disparité : d'une part, les taux départementaux
de participation varient de 5 % en Guyane à 30 % dans les Bouches-du-Rhône pour
une moyenne nationale de 16 % et, d'autre part, la charge varie d'une commune à
l'autre - on a parlé de Marseille tout à l'heure - de 150 francs par habitant
en moyenne dans les petites communes à 360 francs par habitant dans les grandes
villes. En outre, dans chaque département, la dispersion peut être beaucoup
plus forte encore.
Aussi le Gouvernement s'est-il engagé à préparer une réforme. Le ministre de
l'intérieur a réuni les principales associations d'élus - je vous en avais
parlé - pour leur soumettre diverses solutions.
L'une consiste à opérer simultanément sur les dotations de l'Etat aux communes
et aux départements un prélèvement correspondant à leurs parts respectives dans
le financement de la compétence d'aide médicalisée, recentralisée dans le
projet de CMU.
Cette solution aurait pour effet de diminuer les contingents sans les faire
disparaître et de maintenir les inégalités actuelles. Cela signifie tout
simplement que nous ferions perdurer la situation que nous connaissons en
imputant le financement de la réforme, à part proportionnelle, aux communes et
aux départements.
L'autre solution consiste à supprimer les contributions des communes en
diminuant leur DGF et en abondant à due concurrence celle des départements.
C'est la solution qui a été privilégiée par les représentants des communes
comme des départements, et le Gouvernement y est également favorable.
Il serait ainsi mis fin à un financement croisé, peu lisible et source
d'inégalités croissantes entre les communes. Ces dernières y gagneraient en ne
supportant plus à l'avenir le poids des contingents dont la croissance est
supérieure à celle de leurs principales dotations. Les départements y
trouveraient avantage en n'ayant plus à imposer aux communes la répartition de
l'effort.
Il reste maintenant à déterminer si cette suppression, qui aboutit à
transférer 11,9 milliards de francs des communes vers les départements, doit se
faire au franc le franc ou s'il faut procéder à une correction.
J'ai bien noté que ceux d'entre vous qui ont abordé la question - je pense
notamment à MM. Cazeau et Mercier - seraient favorables à une réforme qui allie
à la fois simplicité, neutralité financière pour les communes et les
départements, mais aussi correction des inégalités les plus flagrantes. M.
Delevoye vient de me faire parvenir une lettre dans laquelle il m'adresse
quelques remarques, tout en gardant le principe général de cette seconde
solution.
Je crois donc qu'il est possible de dégager une solution définitive dans le
cadre d'une réforme au franc, le franc, tout en tenant compte de la situation
des communes qui sont trop pénalisées actuellement. C'est la piste privilégiée
par le Gouvernement et par le ministère de l'intérieur. Nous espérons aboutir à
un consensus d'ici à la nouvelle lecture, ce qui permettrait d'éclairer tout le
monde et de rassurer aussi chacun - je comprends les inquiétudes - avant le
vote définitif de cette couverture maladie universelle.
J'en arrive à un point particulier évoqué par MM. Durand-Chastel et Lorrain
sur les Français de l'étranger.
Ces derniers bénéficient, je le rappelle, d'un régime volontaire et non
obligatoire, qui est d'ailleurs relativement favorable à ceux qui y ont accès.
La CMU étant conçue sur un critère de résidence et non de nationalité, il
serait, par conséquent, paradoxal de proposer aux Français de l'étranger cette
CMU, alors qu'ils ne payent pas l'impôt que payent l'ensemble des résidents
français comme étrangers. Nous devons donc en rester à la situation
actuelle.
Le dernier point, qui est essentiel, concerne les propositions qui sont les
vôtres, et principalement celles de M. le rapporteur.
Je peux comprendre, je l'ai déjà dit, monsieur le rapporteur, certaines des
motivations qui vous ont conduit à proposer un projet tel que l'aide
personnalisée à la santé et qui visait à lisser l'effet de seuil.
M. Charles Descours,
rapporteur.
M. Boulard !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Boulard l'a abandonné dans
son deuxième rapport !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Sous la pression du Gouvernement !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Arrêtons de nous opposer,
d'autant que je viens de dire que je peux comprendre certaines de vos
motivations ! Maintenant vous préférez peut-être que je dise que je ne les
comprends pas ? Je prononce une phrase aimable et vous m'attaquez !
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Mais non !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Décidément, on est mal
récompensé de sa gentillesse légendaire !
(Exclamations sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
Je comprends, disais-je, certaines de vos motivations visant à lisser l'effet
de seuil et à privilégier les solutions de droit commun. Pour autant, comme
vous le savez, vous ne m'avez pas convaincue d'adhérer à votre projet.
M. Philippe Nogrix.
C'est dommage !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Peut-être aurions-nous pu y
travailler autrement et parvenir à nous mettre d'accord, mais j'énonce
aujourd'hui les points qui me conduisent véritablement à ne pas pouvoir y
adhérer.
Vous revenez sur la liberté de choix que nous avons ouverte aux bénéficiaires
de la CMU. J'ai indiqué tout à l'heure les raisons pour lesquelles ce point
nous paraissait important. Cela introduit un obstacle à l'accès aux soins pour
tous ceux qui ne peuvent pas entreprendre la démarche auprès d'un organisme
complémentaire. Encore une fois, les associations qui travaillent auprès des
plus démunis y sont très attentives.
Par ailleurs, dans le cadre de la cohérence des critiques portées à notre
projet de loi - et là, je ne vous comprends pas - vous prévoyez la prise en
charge systématique des titulaires du RMI par les caisses primaires d'assurance
maladie. Ainsi, le système est cassé en deux et la critique que vous nous
adressiez tout à l'heure en prétendant que l'on « ghettoïsait » une partie des
bénéficiaires se retourne contre vous...
M. Charles Descours,
rapporteur.
C'est le système actuel !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Pas du tout ! C'est uniquement
la liquidation qui a lieu par les caisses primaires essentiellement.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Aujourd'hui, il en est bien ainsi !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Il s'agit uniquement de la
liquidation, le droit n'étant pas pris en compte par les RMIstes.
Or ces personnes doivent pouvoir, elles aussi, accéder à des solutions de
droit commun si elles le souhaitent. Je ne comprends pas pourquoi elles
n'auraient pas droit à une couverture complémentaire si elles décident de la
choisir.
M. Charles Descours,
rapporteur.
On peut alors accepter votre sous-amendement !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Par ailleurs, vous laissez une
contribution à la charge des bénéficiaires qui disposent de revenus supérieurs
au RMI. Vous amenez ainsi certains d'entre eux à renoncer à des droits que vous
serez obligés d'interrompre pour ceux qui ne paient pas cette contribution
après, d'ailleurs, des procédures qui risquent souvent d'être coûteuses, plus
coûteuses que les sommes qu'il s'agit de retirer.
J'ai moi-même longtemps réfléchi sur le principe de cette contribution. A la
lumière des travaux réalisés, notamment par le CREDES, en deçà du seuil de 3
500 francs, il est, je crois, extrêmement difficile de demander une
contribution en étant certain qu'elle n'incitera pas fortement les personnes
concernées à renoncer à se faire soigner. Malgré votre souhait de réfléchir à
cette contribution, je pense en toute conscience que cela n'est pas possible,
sauf à accepter - ce que je ne peux faire - que certains soient exclus des
soins.
De plus, ainsi que l'a souligné à juste titre Mme Dieulangard, votre
proposition induit une régression pour 1 million de personnes couvertes à 100
%, au-delà du RMI, par l'aide médicale du département. Les départements qui,
aujourd'hui, vont au-delà en attribuant, par exemple, une « carte santé », vont
devoir maintenant payer une contribution. Pourquoi, finalement, ce qui était
légitime de la part des départements, c'est-à-dire d'accorder une couverture
gratuite au-delà du RMI, deviendrait-il illégitime dès lors qu'il s'agit d'une
initiative de l'Etat ?
M. Philippe Nogrix.
On donne l'argent, mais sans accompagnement social.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Par ailleurs, vous bouleversez
les frontières entre la sécurité sociale et les organismes complémentaires en
confiant aux assureurs la responsabilité de définir le panier des soins alors
que nous pensons qu'il s'agit d'une prestation d'Etat.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Mais nous avons dit que c'était l'Etat qui devait le fixer
par arrêté !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je me permets enfin de vous
dire, monsieur le rapporteur, que je n'ai pas considéré le coût global. Je
n'invoquerai pas l'article 40,...
M. Charles Descours,
rapporteur.
Il y a beaucoup d'amendements auxquels vous pourrez l'opposer
!
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... mais j'aimerais que vous
m'éclairiez sur le coût de votre projet car, ou bien il ne coûte pas
grand-chose et vous videz votre APS de son sens, ou bien il a un coût et, dans
ce cas, dites-moi comment vous le financez. Or, après y avoir beaucoup
réfléchi, je pense qu'en matière de santé, on ne peut pas transiger : quand on
a la conviction profonde que, en deçà d'un certain seuil, les gens ne pourront
pas payer, il faut renoncer à leur contribution même si, sur le plan
intellectuel, on pourrait y adhérer.
Je crois réellement que cette réforme doit s'opérer tel que nous le proposons.
Nous aurions pu discuter du seuil : je ne dis pas que 3 500 francs est le seuil
parfait ; mais nul ne saurait le définir.
Je le répète : cette réforme est financée, et je vous dirai très amicalement,
monsieur le rapporteur, que je n'attends pas, selon les termes de votre
rapport, « une multiplication des pains » pour trouver les fonds. Je vous
signale au passage que ce miracle n'a pas eu lieu aux noces de Cana, comme vous
le dites.
M. Charles Descours,
rapporteur.
J'ai dit cela, moi, l'élève des jésuites, ce n'est pas
possible !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Eh oui ! Cela m'a beaucoup
étonnée. Il s'est produit sur les rives de la mer de Galilée ou du lac de
Tibériade.
M. Charles Descours,
rapporteur.
C'est sur les collines à côté !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ce n'est pas très grave. En
tout cas, je n'attends pas non plus de miracle pour faire de la couverture
maladie universelle une réalité ; je mise plutôt sur une véritable volonté
politique, celle de rompre avec l'exclusion.
Les Français se sont déjà exprimés sur la CMU : 70 % d'entre eux y sont
favorables. M. Domeizel a eu raison de dire que l'universalité de la couverture
maladie était déjà présente dans l'esprit des pères de la sécurité sociale, et
permettez-moi en cet instant de rappeler les propos du président d'ADT-quart
monde : « Nous avons attendu un demi-siècle pour mettre fin à une résignation
qui était honteuse en cette fin du xxe siècle, celle de laisser un certain
nombre de nos concitoyens à l'écart du droit aux soins et, donc, du droit à la
santé ».
Je souhaite donc que nous parvenions ensemble à élaborer un texte qui marque
cette volonté politique d'avancer dans la lutte contre l'exclusion.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je me bornerai simplement à exprimer mon sentiment à propos de
quelques phrases prononcées par Mme la ministre.
Ce projet de loi n'est pas parfait. Nous aurions pu en effet faire appel à une
plus grande responsabilisation - c'est un mot que vous employez souvent,
mesdames, messieurs les sénateurs - retenir des seuils différents, prendre en
compte certaines de vos propositions à côté de celles de l'Assemblée nationale.
Mais, très sincèrement, ce texte, s'il est comme je l'espère, adopté, même en
des termes quelque peu différents, permettra à tous les citoyens français
d'avoir accès aux soins. Sans doute, je le répète, ce texte est-il imparfait ;
sans doute devrait-on susciter un peu plus de dynamisme. Mais vous avez des
recettes, n'hésitez pas à nous les soumettre !
M. Philippe Nogrix.
Nous l'avons fait !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Quoi qu'il en soit, nul autre pays n'aura un système
comparable. Je ne parle même pas du Canada, qui fut l'un de nos modèles et où
30 % des activités de soins ont été supprimées. Les médecins canadiens se
précipitent maintenant aux Etats-Unis pour y travailler. Tous les pays que vous
connaissez - je ne suis pas seul à en faire état - réduisent la couverture
sociale, alors que, dans notre pays, nous l'étendons. Je ne sais pas combien de
temps cela pourra durer, mais nous avons bien de la chance de pouvoir le
faire.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Il est prudent !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Oui, mais - et j'en reviens aux dernières phrases de
Mme Aubry - le projet est financé. Peut-être l'apocalypse est-elle pour bientôt
mais, en attendant, il en est ainsi !
Je vais raconter une petite histoire à l'intention de M. Huriet.
Dans les années quatre-vingts, un certain nombre de ces médecins curieux
dénommés « sans frontières » et « du monde », que j'avais eu l'honneur de
porter sur les fonts baptismaux et qui l'ont bien oublié depuis - ils sont
devenus un groupe de pression extraordinaire et, à propos de la couverture
maladie universelle, ils ont écrit des pages entières dans
Le Monde
pour
me donner conseil, ce qui m'a fait vieillir un peu, mais après tout !... -, ces
médecins, disais-je, au sortir de nos expériences exotiques, après être allés
porter assistance ailleurs, ont constaté, au retour dans notre pays, que la
misère s'étendait et que la prise en charge de certains soins n'était pas
assurée. Ils ont alors estimé qu'il n'était plus possible de ne travailler que
là-bas et qu'ils devaient également le faire chez nous.
Nous avons ouvert la première consultation gratuite, rue du Jura à Paris ;
c'était sous M. Séguin.
Certains théoriciens soutenaient bien que c'était insuffisant, mais nous
étions les seuls à le faire ; la carte Paris-Santé n'existait pas encore.
A cette époque, nous avions fait deux constatations.
D'une part, nous avions constaté que des tuberculoses se développaient en
plein Paris, de même que des dermatoses, que des femmes enceintes n'avaient pas
encore été examinées au septième mois de grossesse, etc.
D'autre part, dans cette rue du Jura, qui a fermé ses portes il n'y a pas si
longtemps - depuis, à travers le pays, des dizaines de consultations menées par
les mêmes associations et par d'autres ont été organisées - nous avons constaté
que certains malades qui bénéficiaient d'une couverture de base venaient
consulter dans cet établissement gratuit parce qu'on leur fournissait en même
temps des médicaments. Nous avons découvert alors que la couverture
complémentaire était essentielle : lorsqu'un enfant passait dix ou vingt jours
à l'hôpital, le forfait hospitalier ne pouvait être pris en charge par les
familles les plus démunies ; lorsqu'une femme allait en consultation
gynécologique chez un médecin généraliste ou un médecin gynécologue, la
première consultation entraînait des frais qu'elle ne pouvait assumer.
Nous n'avions pas rêvé alors, même dans nos rêves les plus fous, qu'un tel
dispositif, celui de la couverture maladie universelle qui vous est proposé,
mesdames, messieurs les sénateurs, même s'il est imparfait à vos yeux, puisse
naître ; nous n'avions pas pensé une seconde que, dans notre pays, après des
années et des années de demandes, un tel texte verrait enfin le jour.
Il y eut certes des prémices sous le gouvernement de M. Alain Juppé, mais ce
n'est pas ma faute si M. le président de la République, dans sa grande hâte, a
décidé, vous savez à quel moment, la dissolution de l'Assemblée nationale !
Au demeurant, si vous comparez le texte qui avait été proposé et celui que
nous vous soumettons maintenant, en toute objectivité, vous êtes bien obligé de
constater que ce n'est pas la même chose, parce que la couverture
complémentaire n'était pas envisagée alors. Je voulais faire ce rappel parce
qu'on ne se souvient pas de la manière dont nous avons précipité les choses.
Monsieur Descours, monsieur Huriet, madame Borvo, comme bien d'autres, vous
regrettez les dispositions figurant au titre IV.
Nous regrettons, tout comme vous, qu'il n'y ait pas eu de projet de loi
portant DMOS. Nous l'appelions de nos voeux ; c'est encore le cas, d'ailleurs.
Nous n'avions nullement l'intention de comprimer un litre et demi en un litre.
Mais un certain nombre de mesures étaient à prendre d'urgence.
Par exemple, mesdames, messieurs les sénateurs, les infirmiers psychiatriques
avaient assez attendu ; les manifestations qui se sont déroulées pendant des
années en France, sous le précédent gouvernement - c'est un legs, cela aussi -
avaient peut-être trop duré. Non seulement nous voulions un DMOS maintenant,
mais nous en voulons un en septembre ou en octobre, car nous ne sommes pas sûrs
de pouvoir faire prendre toutes les mesures nécessaires compte tenu du
calendrier parlementaire excessivement chargé, comme vous le savez.
Comme vous, nous regrettons qu'il n'y ait pas eu d'autres créneaux
législatifs, mais devions-nous faire attendre les infirmiers psychiatriques, ou
les médecins à diplômes étrangers, ou les pharmaciens ? Ce n'était pas
possible.
Mme Borvo a indiqué que les réseaux de soins constituent une pièce maîtresse
de compression des dépenses de la sécurité sociale. Bien sûr, mais les réseaux
de soins que nous préconisons obéissent à des logiques assez différentes. Les
réseaux que nous appelons de nos voeux doivent s'intégrer dans le champ de la
réforme de l'offre de soins en ce qu'ils associent les activités ambulatoires
et les activités hospitalières. La raison d'être du réseau est de créer un lien
entre ces deux activités.
Les SROSS de deuxième génération, qui sont en voie d'achèvement, insisteront
sur ce développement. Vous verrez que les réseaux seront plus faciles à mettre
en oeuvre dans la mesure où, dans la loi de financement de la sécurité sociale,
sont financés des gestes non prescriptifs.
Nous sommes évidemment d'accord avec vous, madame Borvo, pour améliorer
l'offre de proximité par rapport aux besoins de la population. Cette proximité
doit aller de pair avec la qualité, laquelle sera vérifiée, en particulier, à
partir des recommandations de l'ANAES.
Mme Dieulangard regrette que les personnes les plus démunies ne trouvent que
les urgences hospitalières pour répondre à leurs besoins. Je lui dirai que la
loi de lutte contre les exclusions a institué le dispositif des centres PRAPS.
Par ailleurs, les conditions d'accueil des hôpitaux sont susceptibles d'être
améliorées.
Je n'ignore pas que le nombre des personnes qui se présentent aux urgences
augmente de 4 % par an. Mais c'est aussi parce que les médecins libéraux ne
prennent plus en charge les urgences qu'on se dirige maintenant plus souvent
vers le réseau hospitalier.
M. Plasait a évoqué le rythme de conversion de l'offre excédentaire dans le
secteur hospitalier. D'exceptionnels efforts sont accomplis à cet égard. Sur
330 opérations de rapprochement, 109 sont aujourd'hui terminées.
A en croire M. Plasait, le recours aux praticiens adjoints contractuels
traduirait une absence de gestion prévisionnelle des médecins. Non ! Il traduit
une absence de régulation du flot des médecins étrangers qui sont venus dans
notre pays. Malgré les efforts de Mme Simone Veil, ce flot a continué de
manifester à la fois ses avantages... et ses ravages. Je vous rappelle que
notre dispositif va permettre de le tarir.
Plus aucun médecin étranger ne pourra se retrouver en position de nous rendre
service en exerçant dans notre pays tout en étant contraint de nous demander de
régulariser sa situation. Je rappelle qu'il y a en France quelque 6 500
médecins à diplôme étranger et que tous exercent actuellement dans nos hôpitaux
: c'est bien là la preuve que nous avons besoin d'eux ! D'ailleurs, il suffit
de se rendre à l'hôpital, en particulier aux urgences, en particulier la nuit,
pour constater qu'un nombre important de ces médecins nous rendent de très
grands services.
Monsieur Autain, vous défendez le titre IV. Je suis heureux que vous l'ayez
dit, et je me félicite que ce titre IV donne matière à débat.
M. Charles Descours,
rapporteur.
M. Autain propose de le compléter !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Certaines mesures de ce titre IV vous paraissaient
moins importantes que d'autres, mais il en est beaucoup que nous n'avons pas pu
placer et qui attendent, en quelque sorte, à la porte d'un prochain texte. Nous
avons en fait dû refuser un certain nombre de propositions.
Monsieur Franchis, vous avez évoqué les aides opératoires, problème sur lequel
nous reviendrons lors de la discussion des articles.
Ce sujet a fait l'objet d'un vrai débat à l'Assemblée nationale. Je n'ignore
pas le problème social des 4 000 aides opératoires qui travaillent dans les
cliniques ; je sais aussi que la formation n'a pas été assurée et que les
émoluments ne sont pas à la hauteur des prestations.
Bien sûr, il faut veiller à ce que ces 4 000 personnes ne se retrouvent pas à
la rue. Cela étant, il faut aussi améliorer la qualité des soins, ainsi que la
sécurité dans les blocs opératoires, et garantir le respect des diplômes, sur
lesquels se fonde une certaine hiérarchie, établie par notre université et, en
tout cas, par notre faculté de médecine. Il y a des infirmiers et infirmières,
des aides soignantes qui ne comprendraient pas qu'on ne tienne pas compte de
leur diplôme et de l'objectif d'amélioration de la qualité.
Nous devons trouver une solution pour ces 4 000 personnes, mais le
Gouvernement ne peut pas ignorer l'existence de personnels qualifiés
susceptibles de renforcer la qualité des gestes accomplis dans les blocs
opératoires.
Sur la santé publique et la prévention, M. Franchis à dit d'excellentes
choses. Nous y reviendrons dans la suite du débat.
Je pense que vous êtes tous convaincus de l'utilité du titre IV, mesdames,
messieurs les sénateurs.
(Sourires.)
Si l'un d'entre vous ose lever le
doigt pour dire qu'il ne l'est pas, il ne pourra le faire que demain matin !
(Nouveaux sourires.)
Vous le voyez, monsieur le président, je veille à
ce que vous puissiez lever cette séance dans les délais impartis !
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.
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