Séance du 10 juin 1999






VENTES VOLONTAIRES DE MEUBLES
AUX ENCHÈRES PUBLIQUES

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 555, 1997-1999) portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. [Rapport n° 366 (1998-1999), avis n°s 319 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez à examiner aujourd'hui, en première lecture, le projet de loi portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.
La vente aux enchères de meubles est une pratique très ancienne, qui a toujours attiré de nombreux amateurs.
Au coeur de cette activité, un homme, le commissaire-priseur, juriste et homme de l'art, est garant de la sécurité des opérations réalisées, notamment des transferts de propriété.
La profession de commissaire-priseur, apparue au xvie siècle, appartient à notre patrimoine juridique et culturel. Officiers publics et ministériels, les commissaires-priseurs sont aujourd'hui au nombre de 456. Avec un chiffre d'affaires, en 1998, de 8,5 milliards de francs, dont 3,6 milliards de francs pour Paris, ces professionnels ont démontré leur compétence et leur dynamisme pour l'adjudication d'environ six millions de lots chaque année.
C'est ce réseau important de professionnels qualifiés, allié à un patrimoine d'une grande richesse, qui a d'ailleurs permis à la France d'être longtemps le phare du marché de l'art.
Aujourd'hui, le contexte européen des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques est en évolution. Cette évolution a débuté par la directive du 21 décembre 1988, qui a supprimé l'exigence de la nationalité française pour exercer la profession de commissaire-priseur. Elle s'est poursuivie par la mise en demeure adressée à la France par la Commission européenne, le 10 mars 1995, sur la compatibilité de notre législation avec les articles 59 et suivants du traité sur l'Union européenne. Cette mise en demeure a été suivie d'un avis motivé, qui nous a été adressé le 10 août 1998. Ce contexte appelle, me semble-t-il, une réforme de la réglementation française pour la mettre en conformité avec les exigences communautaires.
Mais cette réforme a d'autres finalités importantes.
D'une part, cette réforme est nécessaire pour donner aux commissaires-priseurs français les moyens juridiques et économiques de s'adapter à un marché devenu de plus en plus concurrentiel. En effet, leur statut d'officier public et ministériel, qui ne leur a permis ni de faire appel à des capitaux extérieurs ni de pratiquer des techniques de vente utilisées par leurs homologues étrangers, a constitué un véritable handicap qui a freiné leur compétitivité.
D'autre part, cette réforme vise à redonner à la France la place qui a été la sienne sur le marché de l'art jusqu'aux années cinquante : nous espérons, la première place.
Tels sont les trois objectifs de la réforme des ventes volontaires aux enchères de meubles qui vous est soumise aujourd'hui.
Vous le savez, en avril 1997, un précédent projet de loi, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, est devenu caduc du fait de la dissolution de celle-ci.
Après examen de ce texte, j'ai souhaité le modifier sur deux points essentiels : le dispositif d'indemnisation des commissaires-priseurs et l'organisation du marché.
Le projet de loi déposé en mars 1997 prévoyait des modalités d'indemnisation pour ces professionnels, qui faisaient ressortir un montant global d'environ 2,3 milliards de francs, lequel se révélait supérieur à la valeur vénale des charges des commissaires-priseurs.
Ce mode de calcul ne pouvait, à l'évidence, être accepté par la Commission européenne qui, par lettre du 12 juin 1997, a demandé des informations sur le mode de calcul de l'indemnisation envisagée, afin d'en apprécier la compatibilité avec les dispositions de l'article 92 du traité relatives aux aides accordées par les Etats aux entreprises.
Compte tenu des difficultés que n'aurait pas manqué de susciter ce dispositif et de la volonté du Gouvernement de retenir des dispositions économes des deniers publics et respectueuses de l'égalité des citoyens devant la dépense publique, j'ai souhaité que l'indemnisation soit revue sur des bases nouvelles.
C'est sur le fondement d'une consultation du doyen Vedel d'octobre 1996 et d'une étude réalisée à ma demande par un groupe de travail composé d'un inspecteur général des finances, d'un conseiller à la Cour de cassation et d'un président de chambre à la Cour des comptes, qu'un nouveau dispositif d'indemnisation a été mis en place pour permettre une juste indemnisation du préjudice réellement subi ; j'y reviendrai tout à l'heure.
Par ailleurs, il m'est apparu nécessaire, pour permettre aux opérateurs français de rivaliser efficacement avec leurs concurrents, d'autoriser des pratiques aujourd'hui prohibées en France, mais couramment pratiquées par les grandes maisons internationales de ventes aux enchères ; c'est le cas de la vente de gré à gré à l'issue d'enchères infructueuses, ainsi que de la faculté, pour l'organisateur de la vente, de garantir un prix minimal d'adjudication et de consentir au vendeur une avance sur le prix de la vente.
J'en viens à présent au contenu de la réforme que je vous propose aujourd'hui.
L'activité de vente aux enchères se trouve au confluent de plusieurs disciplines : le droit, l'économie et la culture.
Pour ces raisons, et je m'en réjouis, ce projet de loi a intéressé votre commission des lois, votre commission des finances et votre commission des affaires culturelles, et je souhaite rendre hommage au travail très approfondi qu'ont accompli vos trois rapporteurs, qui ont permis d'enrichir la réflexion et qui promet des débats fructueux.
Quelles sont les lignes de force du présent projet de loi ?
En premier lieu, il instaure la libre concurrence dans le secteur des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, tout en entourant cette ouverture de garanties pour protéger les différents acteurs du marché.
En deuxième lieu, il ouvre le marché français à la libre prestation de services.
En troisième lieu, il maintient le régime actuel des ventes judiciaires.
En quatrième lieu, il prévoit un juste dispositif d'indemnisation des commissaires-priseurs.
Enfin, il contient plusieurs mesures d'accompagnement indispensables au succès de la réforme.
Sans entrer dans le détail des dispositions, ce que nous ferons lors de l'examen des articles, je voudrais revenir sur ces différents axes.
Le premier, c'est la libre concurrence dans le secteur des ventes aux enchères publiques avec les garanties nécessaires pour les acteurs du marché.
Cette réforme est indispensable au respect des principes énoncés dans le traité sur l'Union européenne, relatif à la libre circulation des personnes, mais notre réponse à la Commission européenne aurait pu être conçue de deux façons.
Nous aurions pu nous orienter vers un libéralisme total et laisser les acteurs de ces ventes dans un libre jeu concurrentiel. Le Gouvernement préfère proposer une réforme fidèle dans son esprit à notre tradition juridique, qui assure la sécurité à cette activité économique.
Je rappelle, en effet, que les ventes aux enchères publiques ont toujours été réglementées de façon stricte, et la loi du 25 juin 1841, encore en vigueur, précise dans son article 1er : « Nul ne peut faire des enchères publiques un procédé habituel de l'exercice de son commerce. »
Plusieurs raisons militent en faveur de cette réglementation.
D'abord, le prix de l'objet adjugé, qui est le fruit de l'accord entre un vendeur et un acheteur, est indépendant des règles de fixation des prix habituellement admises sur le marché commercial. Cette activité, qui a une incidence directe sur le commerce et sur l'ordre économique national, doit donc être encadrée par des règles spécifiques.
Ensuite, cette technique de vente opère un transfert de propriété. Elle doit donc être entourée de garanties pour la sécurité juridique tant des acheteurs qui souhaitent acquérir un bien que des vendeurs qui sont parfois contraints de vendre leurs biens. A l'heure actuelle, la réputation du marché français repose en grande partie sur l'existence de ces garanties.
Enfin, je soulignerai que les autres pays ont, d'une manière générale, une réglementation en matière de vente aux enchères et, quand il n'existe pas de réglementation, les règles de la concurrence sont très contrôlées par les opérateurs eux-mêmes ; ceux qui les enfreignent sont passibles de sanctions.
Quelles sont les règles qui ont été retenues dans le projet de loi pour ouvrir le marché français tout en l'entourant de garanties ?
Premièrement, les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques seront réalisées par des sociétés à forme commerciale.
D'abord, ces sociétés ne seront pas des sociétés commerciales car les ventes aux enchères ne sont pas, et ne doivent pas devenir, je viens de le dire, une activité commerciale. Ces sociétés de ventes auront un objet civil : le mandat passé entre le vendeur et la société chargée de procéder à la vente. A ce titre, ces sociétés ne pourront acheter pour revendre, comme le font les commerçants.
Ensuite, ces sociétés de ventes seront agréées par un conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques qui vérifiera qu'elles présentent toutes les garanties propres à assurer une réelle protection des consommateurs. Ce conseil des ventes, qui pourra prendre des sanctions disciplinaires en cas de violation de la réglementation, sera une véritable autorité de régulation du marché ouvert aux sociétés françaises comme étrangères, européennes et internationales qui pourront librement s'installer sur notre territoire. Cette régulation constituera une protection pour les consommateurs, mais également pour les professionnels qui devront être protégés contre des pratiques illégales anticoncurrentielles.
Enfin, ces sociétés devront comprendre, parmi leurs dirigeants, associés ou salariés, une personne qui remplit les conditions requises pour procéder aux adjudications et qui, seule, pourra réaliser les ventes. La sécurité juridique du transfert de propriété impose l'intervention d'un homme de l'art qui a des compétences juridiques et artistiques.
Deuxièmement, pour permettre aux professionnels français de rivaliser efficacement avec leurs homologues étrangers, le projet de loi autorise, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, certaines pratiques. Cependant, celles-ci sont encadrées pour éviter qu'elles ne soient détournées de leur objectif et pour mettre nos professionnels à l'abri d'opérations qui pourraient nuire à la santé économique de leur entreprise.
Je rappelle, enfin, que les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques réalisées à titre accessoire par les notaires et les huissiers de justice continueront à être faites par ces professionnels au sein de leurs études.
Le deuxième axe de la réforme, c'est l'ouverture du marché français à la libre prestation de services des ressortissants des autres Etats membres de la Communauté européenne.
Le projet de loi définit avec précision les conditions dans lesquelles les ressortissants communautaires pourront accomplir, à titre occasionnel, l'activité de vente volontaire en France.
Si ces règles sont enfreintes, les ressortissants communautaires seront passibles de sanctions pouvant aller jusqu'à l'interdiction de faire des ventes sur le territoire français.
Le troisième axe, c'est le maintien du régime juridique actuel pour ce qui concerne les ventes judiciaires.
Ces ventes, ainsi que les estimations qui leur correspondent, resteront du monopole des commissaires-priseurs, sans préjudice, bien entendu, de la compétence reconnue en la matière aux notaires et aux huissiers de justice.
La nature de ces ventes ainsi que la qualité des vendeurs qui sont concernés - mineurs, majeurs protégés, héritiers, personnes faisant l'objet d'une saisie ou d'une procédure de redressement judiciaire - justifient que cette activité reste de la compétence d'officiers publics et ministériels et demeure strictement encadrée et tarifée.
Le quatrième axe de la réforme consiste en un juste dispositif d'indemnisation des commissaires-priseurs.
Comme je l'ai expliqué voilà quelques instants, j'ai souhaité que le dispositif d'indemnisation retenu soit incontestable juridiquement, justifié sur le plan économique et exempt de toute critique eu égard aux dispositions du traité sur l'Union européenne relatives aux aides d'Etat.
Je souhaiterais m'attarder quelques instants sur les deux aspects essentiels de l'indemnisation.
J'examinerai d'abord son fondement juridique.
Il me paraît important de rappeler les principes généraux que le code civil et la jurisprudence ont dégagés en ce qui concerne le droit de propriété, et plus particulièrement le droit de présentation.
La propriété apparaît comme le droit fondamental qu'une personne exerce sur un bien.
Définie comme le droit en vertu duquel une chose se trouve soumise d'une façon perpétuelle, absolue et exclusive à l'action et à la volonté d'une personne, « la propriété est, aux termes de l'article 544 du code civil, le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements ».
Quant au droit de présentation, qui résulte de l'article 91 de la loi de finances du 28 avril 1816, il s'analyse, aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation, comme un droit personnel et patrimonial dans la mesure où, en contrepartie de la présentation de son successeur au garde des sceaux, le titulaire de la charge reçoit la « finance » de l'office, soit la valeur financière de la charge telle qu'elle est arrêtée dans le traité de cession.
Mais la haute juridiction a cependant précisé que ce traité de cession est soumis au contrôle de la Chancellerie, qui reste libre de donner ou de refuser son agrément à cette convention.
Ainsi, le droit de présentation n'est pas un droit de propriété, lequel se caractérise par la libre disposition de ce qui fait son objet.
Sa cession et son aliénation sont subordonnées à l'agrément du garde des sceaux et cette condition suffit à ôter le caractère purement volontaire de l'acte. L'inverse reviendrait à placer la mission de service public, souverainement concédée par l'Etat, dans le domaine de la libre disposition privée.
La conséquence essentielle de ce raisonnement est que l'on ne peut parler, en l'espèce, d'expropriation d'un droit de propriété garanti par l'article XVII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
En effet, d'une part, nous venons de le voir, le droit de présentation n'est pas un droit de propriété et, d'autre part, le propriétaire d'un bien exproprié en perd à la fois la valeur vénale et les revenus qu'il en tirait ou pouvait en tirer : il perd purement et simplement son bien. Or, les commissaires-priseurs pourront poursuivre leur activité, certes sous une autre forme juridique, mais ils pourront, s'ils le décident, continuer, comme par le passé, à remplir l'intégralité des fonctions qui étaient les leurs.
Ce débat a déjà eu lieu, comme vous le rappeliez, monsieur Dejoie, lors de la réforme qui a supprimé les avoués auprès des tribunaux de grande instance, en 1971.
Lors de la discussion de cette réforme devant la Haute Assemblée, le garde des sceaux de l'époque avait clairement écarté la thèse de l'expropriation, et pour les mêmes raisons que celles que j'ai évoquées voilà un instant.
Je partage l'analyse du doyen Vedel et les conclusions du rapport de MM. Cailleteau, Favard et Renard, qui vont dans le même sens et soutiennent que le fondement juridique de l'indemnisation se trouve dans l'atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques, lequel découle de l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et a été constamment réaffirmé par le Conseil constitutionnel.
S'agissant des commissaires-priseurs, il faut admettre que ces professionnels ont acquis une charge pour exercer une activité monopolistique. Du fait de l'ouverture du marché, le monopole disparaîtra en ce qui concerne les ventes volontaires et, de ce fait, ils subiront, à l'évidence, un préjudice.
Celui-ci peut être considéré comme spécial, puisqu'il ne concerne qu'une catégorie restreinte et bien spécifiée de personnes, anormal, puisqu'il dépasse manifestement les aléas normaux de la vie économique, et, enfin, certain, puisque la dépréciation du droit de présentation intervient dès l'entrée en vigueur de la loi.
Dès lors, il faut indemniser ce préjudice.
Après le fondement juridique, j'évoquerai le montant de l'indemnisation.
L'indemnité sera déterminée sur le fondement de critères nouveaux qui reflètent, je crois, une juste évaluation comptable des offices.
Lors des précédentes réformes, le critère retenu était celui des produits demi-nets, c'est-à-dire le produit brut diminué du loyer, des salaires et autres charges de structure.
Cette référence, qui conduisait à une appréciation subjective de la valeur de l'office directement induite par les choix de gestion propres à chaque commissaire-priseur, a été abandonnée au profit de critères économiques et financiers plus fiables, qui figurent dans les déclarations fiscales. En outre, il est tenu compte de la spécificité des offices parisiens.
Du fait du maintien du monopole sur l'activité de vente judiciaire, d'une part, et de la continuation de l'activité de vente volontaire dans le cadre des sociétés de vente, d'autre part, le préjudice subi par les commissaires-priseurs en raison de la dépréciation du droit de présentation est estimé à 50 % de la valeur des offices.
Sur ces bases, le montant de l'indemnisation s'élève globalement à environ 450 millions de francs.
Dernière précision, qui me paraît importante, l'indemnisation sera fiscalement taxée comme une plus-value professionnelle, ce qui constitue un régime très favorable.
Enfin, cinquième axe de la réforme, le projet de loi prévoit des mesures d'accompagnement.
Premièrement, le projet de loi prévoit la création d'experts agréés par le conseil des ventes : ces experts, qui devront justifier d'une compétence et d'une expérience particulière, interviendront dans les ventes volontaires pour apporter toute sécurité aux consommateurs et aux professionnels.
Toutefois, le projet de loi n'a pas voulu créer de monopole au profit de ces experts. La création d'un monopole eut d'ailleurs été paradoxale dans un texte dont la finalité est précisément de supprimer ceux qui existent.
Une autre garantie a été instituée au profit des consommateurs : l'existence d'une solidarité entre l'expert et le professionnel qui aura organisé la vente. Cette solidarité permettra d'assurer une protection accrue en cas d'actions en responsabilité résultant d'un dommage.
Deuxièmement, le projet de loi aborde le régime de la responsabilité des professionnels.
Il m'a paru utile, dans un souci de simplification, d'harmoniser les règles du code civil et de retenir la durée de dix ans dans les deux cas. Cette durée, dont le point de départ a été fixé au fait générateur du dommage, me paraît suffisante pour assurer la protection des consommateurs.
Troisièmement, le projet de loi contient des mesures de reconversion professionnelle pour les commissaires-priseurs qui souhaiteraient quitter la profession.
Quatrièmement, enfin, le projet de loi prévoit un dispositif particulier en faveur des commissaires-priseurs âgés de plus de soixante-cinq ans au jour de l'entrée en vigueur de la loi et qui ne trouvent pas à céder leur office.
Par ailleurs, la commission des finances du Sénat a proposé un certain nombre d'amendements de nature fiscale qui visent à assurer la neutralité de la transformation des offices en sociétés à forme commerciale. Sans entrer dans les détails de ces mesures, je souhaite, comme vous, aller dans le sens de la neutralité ; mais, techniquement, je ne suis pas favorable aux amendements tels qu'ils ont été adoptés par la commission des finances.
Le Gouvernement a évidemment conscience que les objectifs de cette réforme ne seront véritablement atteints que si, parallèlement, des mesures sont prises en faveur du développement du marché des oeuvres d'art, notamment pour réduire les distorsions de concurrence qui existent à l'heure actuelle. Ces mesures pourront être prises à partir des recommandations formulées dans le rapport remis à la ministre de la culture et de la communication en avril 1998 par M. André Chandernagor, président de l'Observatoire des mouvements internationaux d'oeuvres d'art.
Ces mesures concernent, tout d'abord, la TVA à l'importation sur les objets d'art - une action en faveur d'une réduction du taux dans l'ensemble de la Communauté européenne, voire d'une exonération des objets d'art de toute TVA à l'importation, sera entreprise - ensuite, la négociation du projet de directive européenne sur le droit de suite visant à instaurer un taux dégressif, qui devra rapidement progresser, et, enfin, la taxe sur les plus-values : un alignement du taux de la taxe perçue pour les ventes effectuées par les négociants d'art sur le taux de 4,5 % applicable aux ventes publiques sera recherché.
Le projet de loi dont le Sénat va débattre constitue la pierre angulaire de la modernisation du marché français des ventes de meubles aux enchères publiques.
Cette modernisation donnera à nos professionnels l'essor nécessaire pour accroître leur compétitivité dans un environnement international, et à la France la place qui lui revient naturellement, me semble-t-il, au regard de son important patrimoine culturel et artistique.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je regrette vivement de ne pouvoir rester parmi vous pour la suite des débats sur le projet de loi dont je viens d'exposer les grandes lignes.
J'avais pris toutes mes dispositions pour être présente le 4 mai dernier ; mais, ce matin, j'ai des engagements avec le Premier ministre et, cet après-midi, je dois participer au congrès de l'Union syndicale des greffiers : ce rendez-vous ayant été fixé depuis plus de six mois, je ne peux évidemment pas m'y dérober.
J'ai toutefois tenu à ce que la date d'aujourd'hui soit maintenue, tout d'abord en raison de l'intérêt que je porte à la réforme qui est urgente et que les commissaires-priseurs attendent. Par ailleurs, si cette réforme n'est pas engagée, la Commission de Bruxelles introduira, comme elle nous l'a fait savoir, une action en manquement contre la France. Ce texte doit être mis en oeuvre afin que les commissaires-priseurs soient assurés du cadre dans lequel ils vont pouvoir exercer et développer leur activité.
Je suis heureuse que Catherine Trautmann, évidemment très intéressée par ce projet de loi qui concerne plusieurs ministres, ait accepté de représenter le Gouvernement, et je l'en remercie.
Je vous renouvelle donc mes regrets. Je ne doute pas que les débats seront riches et constructifs, comme ils le sont d'ailleurs habituellement au Sénat, et qu'ils nous permettront de faire progresser cette réforme qui est voulue, me semble-t-il, tant par le Gouvernement que par le Parlement. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Lucien Lanier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Luc Dejoie, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout finit par arriver ! La preuve en est que, après de multiples réflexions, discussions, concertations, sûrement fructueuses, nous en sommes aujourd'hui à la premier lecture du projet de loi portant réforme tant de la profession de commissaire-priseur que du régime des ventes aux enchères publiques.
Tout à l'heure, Mme la ministre a développé les raisons justifiant cette réforme. Il en est au moins une sur laquelle on peut s'interroger : je veux parler des obligations dites européennes. En effet, aux termes de l'article 55 du traité de Rome, sont exceptées de l'application des dispositions relatives au droit d'établissement les activités participant dans un Etat, même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique.
Que je sache, les commissaires-priseurs, officiers ministériels, officiers publics sont détenteurs d'une parcelle de délégation de l'Etat quant à l'authenticité. Par conséquent, une discussion aurait peut-être permis d'éviter cette réforme. Tel n'est pas le parti qui a été retenu jusqu'à maintenant, une sorte d'accord étant finalement intervenu sur le principe de la réforme. Je tenais néanmoins à rappeler l'existence de cette disposition toujours en vigueur du traité de Rome.
Mme la ministre a présenté le statut des commissaires-priseurs, hérité de l'histoire. Les membres de cette profession exercent un monopole dans les villes où ils sont installés ; de plus, accessoirement, les huissiers de justice et les notaires jouent un rôle dans ce domaine. Le statut d'officier ministériel des commissaires-priseurs a été fixé par les dispositions de l'ordonnance du 26 juin 1816 et de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Les commissaires-priseurs sont nommés par le garde des sceaux à tel ou tel endroit en qualité de titulaires de leur office, sur la présentation de leur prédécesseur. Ils sont propriétaires de ce droit de présentation. Ils doivent appartenir à une compagnie, doivent démontrer leur qualification professionnelle par un diplôme approprié et assument une responsabilité professionnelle.
Le système en place - ne l'oublions quand même pas - était non une protection de telle ou telle profession, mais un élément de sécurité du consommateur. A l'évidence, c'est une notion qu'il conviendra de conserver et de garder présente à l'esprit puisque ces garanties qui protègent le consommateur sont tout à fait essentielles.
Le régime juridique français des ventes aux enchères publiques, caractérisé par le recours obligatoire à un officier ministériel spécialisé offrant des garanties très étendues à l'acheteur, constitue, en Europe, une particularité.
C'est peut-être aussi l'une des raisons pour lesquelles il n'a pas été fait beaucoup de difficultés pour se conformer aux exigences européennes et pour mettre sur pied cette réforme.
Je rappellerai très brièvement quelques chiffres : on dénombre actuellement 456 commissaires-priseurs, 9 compagnies régionales et 328 offices, certains commissaires-priseurs exerçant à titre individuel, et d'autres sous forme de société civile professionnelle. Au sein de cet ensemble, la Compagnie des commissaires-priseurs de Paris regroupe 111 commissaires-priseurs et 70 offices.
J'évoquerai également l'organisation très particulière, pas forcément simplificatrice - reconnaissons-le - des ventes effectuées au sein de l'Hôtel Drouot.
Sans revenir sur les chiffres de ventes réalisées annuellement dans notre pays, je dirai simplement que, grosso modo, 80 % des adjudications concernent des ventes volontaires, 20 % des adjudications concernant des ventes judiciaires, ces pourcentages globaux pouvant subir quelques variations suivant que l'on se trouve à Paris, en province ou dans tel ou tel office.
Compte tenu de la concurrence internationale à laquelle cette activité est confrontée sur le marché de l'art, la place de Paris a vu son volume et son importance diminuer considérablement. Si les raisons invoquées sur un plan très général ne sont sans doute pas toutes étrangères à ce déclin, il faut tout de même se garder d'oublier que les distorsions fiscales par rapport aux autres pays constituent l'origine essentielle de ce recul. Je ne suis pas seul à penser que, à cet égard, la qualification professionnelle de nos commissaires-priseurs n'est nullement en cause.
Le projet de loi vise à supprimer le monopole, à mieux organiser et à libéraliser la profession de commissaire-priseur.
Le texte qui nous est soumis tend à imposer la constitution de sociétés de forme commerciale, toute forme de société, y compris la société unipersonnelle, étant autorisée.
Ces sociétés de ventes seront soumises à un agrément du Conseil des ventes, agrément pour l'obtention duquel un certain nombre de conditions sont requises. Parmi ces dernières figure la condition de qualification professionnelle de celui que l'on appelle « le teneur de marteau », condition essentielle aux yeux de toutes les personnes que j'ai auditionnées et à laquelle je me range facilement. C'est une garantie non seulement pour le marché, mais aussi pour le consommateur, et elle doit bien sûr être maintenue.
Le projet de loi vise à légaliser un certain nombre de pratiques qui, jusqu'à ce jour, sont interdites dans notre pays : les ventes de gré à gré, les prix garantis, les avances, etc. En outre, et c'est important, il tend à organiser sinon complètement, du moins partiellement, le statut d'expert agréé.
Le Conseil des ventes sera mis en place. Le marché sera ouvert à la concurrence européenne : les ressortissants européens pourront, dans le cadre de la libre prestation de services, voire du libre établissement, s'installer ou exercer en France. Par voie de conséquence, le monopole des commissaires-priseurs en matière de ventes volontaires sera, bien sûr, supprimé, étant rappelé, comme Mme la ministre l'a dit très précisément, que rien ne sera changé aux règles actuelles des ventes judiciaires.
J'en viens aux propositions de la commission des lois, au nom de laquelle je m'exprime.
Je voudrais préciser d'emblée que ces propositions ont été établies en étroite concertation avec M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles, et avec M. Yann Gaillard, rapporteur pour avis de la commission des finances. Cette concertation transparaîtra d'ailleurs lors de la discussion des amendements, dont la plupart sont communs aux trois commissions.
Le premier axe des propositions concerne le maintien des garanties à l'égard des consommateurs. Je citerai à cet égard, par exemple, l'interdiction pour les sociétés de vente d'acheter ou de vendre pour leur propre compte, ou la condition de qualification, c'est-à-dire le diplôme, point sur lequel je me suis déjà largement exprimé.
Le deuxième axe, commun avec les commissions saisies pour avis, tend à permettre la plus grande libéralisation et la plus grande simplification possibles dans l'organisation des ventes aux enchères publiques. Il s'agit ainsi de donner aux nouvelles sociétés qui seront mises en place les meilleurs moyens - du moins l'espérons-nous - d'affronter la concurrence internationale et européenne.
A ce sujet, pour faciliter le recours aux nouvelles modalités de vente, nous souhaitons une très grande libéralisation des garanties des prix et des avances grâce à la suppression des mécanismes assez lourds, et assez contraignants, que les auteurs du projet de loi avaient voulu mettre en place et qui n'auraient pas permis d'atteindre l'objectif recherché.
La commission prévoit également l'allongement à quinze jours du délai pendant lequel seront autorisées les ventes de gré à gré après la vente publique en l'absence d'enchères ou en cas de retrait de la vente. Elle propose aussi d'assouplir les dispositions concernant les experts.
Toujours dans un but de libéralisation, elle a considéré que, si le conseil des ventes ne devait pas être entre les mains des seuls professionnels, il devait cependant être composé majoritairement de professionnels, car on ne peut à la fois parler de libéralisation et contraindre l'organisation des ventes en limitant trop la place des professionnels dans ce conseil. Quoi qu'il en soit, nous reviendrons sur les modalités de sa composition, je ne m'y attarde pas en cet instant.
Par ailleurs, madame le garde des sceaux, il est un point de désaccord entre nous, que je vous demande de me pardonner, au sujet du fondement même de l'indemnisation. Il ne s'agit pas ici d'inégalité devant les charges publiques - je suis en désaccord complet sur ce point avec un certain nombre de professeurs et en accord complet avec d'autres, qui sont en plus grand nombre - mais de l'application d'un principe constitutionnel : on prive quelqu'un de la propriété de quelque chose ; cela relève donc obligatoirement et constitutionnellement de l'expropriation, et pas d'autre chose.
Certes, on pourrait nous opposer que le droit de propriété, s'agissant du droit de présentation, n'est pas un droit de propriété comme les autres parce qu'il n'y a pas totale liberté en la matière. Mais, que je sache, tous les droits de propriété, quels qu'ils soient - immobiliers, mobiliers ou autres - font l'objet de restrictions ! Ce n'est donc pas parce que ce droit de propriété général fait l'objet d'une restriction légale qu'il n'existe plus, c'est un véritable droit de propriété.
Nous sommes donc bien ici dans le domaine de l'expropriation, qui prévoit une juste indemnité, certes non préalable, dans le cas précis, car cela semblerait un peu difficile, et j'insiste beaucoup sur ce point, après y avoir longuement réfléchi et après en avoir parlé avec les rapporteurs des commissions saisies pour avis.
Cette notion est essentielle pour parvenir à la juste indemnisation. Et je dis bien « juste », parce qu'il faut qu'elle ne soit ni exagérée ni surtout insuffisante, parce que si l'Etat a le droit de supprimer quelque chose à quelqu'un dans l'intérêt général, il ne doit pas pour autant léser qui que ce soit. Il faut donc prévoir un juste équilibre entre ce que l'Etat peut souhaiter judicieusement et ce que les particuliers peuvent supporter.
C'est d'ailleurs pourquoi il a semblé aux rapporteurs de ce texte qu'il n'y avait pas lieu d'indemniser totalement la valeur vénale d'un office de commissaire-priseur, pour la juste raison - et le passé nous le rappelle - que ces professionnels pourront continuer à exercer leur profession ; dans les conditions de la nouvelle loi, certes, mais ils pourront continuer à l'exercer. Un certain nombre d'éléments de leur activité pourront être cédés ultérieurement, lorsque telle sera leur volonté ou lorsqu'ils prendront leur retraite, mais il n'en demeure pas moins, dans ces conditions, qu'il y a lieu, judicieusement, légalement et justement, d'appliquer un abattement sur la valeur vénale générale de l'office.
Le projet de loi, avec un incontestable arbitraire, prévoit que cet abattement sera de 50 %. Pourquoi 50 % ? Nous n'en savons rien, et nous proposerons donc, en accord avec les commissions saisies pour avis, de mettre en place un autre système qui, tout en respectant la philosophie du projet de loi, permettrait une évaluation au cas par cas du préjudice par la commission d'indemnisation, commission dont je n'ai pas encore parlé mais que nous évoquerons longuement au cours des débats.
Par ailleurs, à partir du moment où l'on prend comme fondement de l'expropriation l'indemnisation, c'est à l'évidence une juridiction de l'ordre judiciaire qui doit être saisie, et non point la Cour des comptes ou le Conseil d'Etat, tout respect gardé pour ces grandes institutions. En effet, en matière d'expropriation, c'est toujours une juridiction de l'ordre judiciaire qui est compétente, et il ne semble pas y avoir de raison pour qu'il en aille différemment dans le cas qui nous occupe aujourd'hui.
Il est une autre disposition à laquelle nous sommes assez attachés et qui concerne l'extension du principe de l'indemnisation aux salariés des offices de commissaires-priseurs qui, en conséquence directe de la mise en application de la nouvelle loi, pourraient se trouver licenciés.
Enfin, comme le relevait Mme le garde des sceaux tout à l'heure, toute une série d'amendements d'ordre fiscal, auxquels le rapporteur au fond que je suis souscrit, ont été rédigés par la commission des finances. Mais je ne veux pas dévoiler d'ores et déjà les idées de M. le rapporteur pour avis ni empiéter sur ses prérogatives, sinon pour constater que Mme le garde des sceaux a elle-même entrouvert une porte. En effet, il faudra bien un jour, si l'on veut sinon mettre les professionnels français au même niveau que les autres, du moins les doter des mêmes armes que celles dont disposent les autres professionnels des autres pays européens ou du reste du monde, que les règles fiscales soient harmonisées. A défaut, nos lois, si belles soient-elles, auront un effet limité.
Au-delà de la neutralité fiscale totale à laquelle je souhaite que nous parvenions dans le cadre du présent projet de loi, j'espère donc que, plus tard, nous tendrons à l'harmonisation des systèmes fiscaux des différents pays européens. C'est nécessaire dans de nombreux domaines, et spécialement dans celui des ventes aux enchères publiques, que ce soit sur le marché de l'art ou sur tout autre marché : personne, par exemple, n'a cité le marché des automobiles, où les ventes aux enchères publiques représentent pourtant dans notre pays un volume assez considérable.
Sous le bénéfice de ces différentes observations, que j'ai eu l'honneur de vous présenter au nom de la commission des lois, je vous demanderai, mes chers collègues, de bien vouloir adopter le présent projet de loi une fois que nous aurons discuté, accepté ou refusé les différents amendements qui vous seront soumis. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Gouteyron, rapporteur pour avis.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission des affaires culturelles s'est saisie pour avis d'un certain nombre d'articles de ce projet de loi, et c'était légitime car, on le sait, le marché de l'art représente environ - vous l'avez d'ailleurs rappelé, madame le garde des sceaux - 60 % du chiffre d'affaires des ventes publiques.
Nous avons travaillé, je le redis après M. le rapporteur de la commission des lois, en bonne intelligence, et nombre de propositions qui seront faites tout à l'heure sont conjointes, ce qui facilitera sans doute le déroulement des débats et aura l'avantage, madame le garde des sceaux, de montrer la cohérence du travail du Sénat.
Je ne veux pas revenir sur les atermoiements des gouvernements successifs sur ce sujet, M. le rapporteur y a fait allusion tout à l'heure. Je rappellerai simplement que la réforme qui nous est proposée aujourd'hui se distingue sur certains points de celle qu'avait proposée le précédent gouvernement. Néanmois, elle repose sur les mêmes principes : l'ouverture du marché et le maintien d'une réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques dans le souci de protéger l'acheteur et d'assurer une transparence suffisante du marché.
Je ne reviens pas sur la double nécessité à laquelle cette réforme répond.
S'agissant de la nécessité juridique, j'ai bien relevé tout à l'heure le propos de M. le rapporteur : l'article 55 du traité de Rome aurait peut-être permis d'échapper à cette contrainte juridique.
M. René-Georges Laurin. C'est tout à fait exact !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Quoi qu'il en soit, je me place dans l'attitude juridique qui est celle de ce gouvernement et du gouvernement précédent, en faisant simplement remarquer que la situation en vigueur dans notre pays devenait de plus en plus contraire à la jurisprudence d'inspiration très libérale élaborée par la Cour de justice des Communautés européennes pour l'application du principe de la libre prestation de services. On peut peut-être le regretter, mais on est obligé d'en tenir compte.
Le présent projet de loi procède à une profonde modification de l'organisation de la profession de commissaire-priseur afin de la mettre en conformité avec les dispositions du droit européen.
Comme le précédent projet de loi, il retient le principe de l'ouverture du marché en confiant la réalisation des ventes volontaires à des sociétés à forme commerciale et prévoit des dispositions destinées à garantir l'exercice de la liberté de prestations de services.
Ces dispositions répondent peut-être à une nécessité juridique, mais elles répondent aussi - c'est fondamental - à la nécessité d'adapter le secteur des ventes publiques aux évolutions qui ont affecté, j'y insiste, le marché de l'art : voilà longtemps, hélas ! que la France a perdu la suprématie dont elle jouissait dans ce domaine. J'ai relevé tout à l'heure dans vos propos, madame le garde des sceaux, l'espoir qu'elle la retrouverait. Nous occupions jadis la première place ; je souhaite avec vous que nous y revenions, mais je n'ose encore trop y croire.
Le marché de l'art présente aujourd'hui en France nombre de faiblesses structurelles, au rang desquels figure l'inadaptation de l'organisation professionnelle des ventes publiques.
Comme je le soulignais tout à l'heure, le marché de l'art représente environ 60 % du chiffre d'affaires des ventes publiques. Le montant de ces ventes avoisinait, en 1997, 8,5 milliards de francs, dont 3,8 milliards de francs pour Drouot.
Sans vouloir abuser des chiffres, je rappellerai seulement que le montant total des ventes s'élevait, en 1997, pour Christie's et Sotheby's, respectivement à 12,2 milliards et 11 milliards de francs ; ces chiffres se passent, je crois, de commentaire !
Les nouvelles caractéristiques du marché de l'art, qui est désormais devenu un marché international, imposent à ses acteurs d'être présents dans le monde entier, et donc de disposer d'une dimension financière suffisante pour développer les structures commerciales nécessaires et attirer les vendeurs.
La réglementation française, en confiant la réalisation des ventes publiques à des officiers publics exerçant sous forme libérale, a limité, de fait, leurs possibilités de recourir à des capitaux extérieurs et a inconstestablement entravé une évolution qu'ont pu opérer les sociétés étrangères, favorisées par leur statut commercial.
Par ailleurs, en dépit de mesures salutaires, comme la suppression de la bourse commune de résidence ou l'instauration, en 1993, d'un tarif linéaire sur l'acheteur, la réglementation des ventes publiques elle-même s'est révélée pénalisante.
L'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des commissaires-priseurs interdit notamment à ces professionnels de se livrer au commerce et de servir d'intermédiaires pour des ventes amiables. De telles dispositions leur ont donc interdit de recourir à des pratiques commerciales qui ont contribué, de manière déterminante, au succès des grandes sociétés de ventes étrangères.
C'est aujourd'hui un constat unanimement partagé : confrontée à l'inéluctable ouverture du marché, la profession apparaît trop dispersée et, finalement, faiblement organisée face à des concurrents qui sont, en fait, des entreprises multinationales.
Les retards pris dans l'ouverture du marché ont encore accentué ces handicaps structurels. En effet, les vendeurs français comme étrangers ont été incités à recourir aux bons offices des sociétés étrangères pour obtenir le meilleur prix de leurs biens, encouragés en cela par l'abrogation de la loi douanière du 23 juin 1941. Or, comme le prouvent les exemples de Londres ou de New-York, le dynamisme d'un marché repose, pour une large part, sur sa capacité à attirer les objets.
Cette situation est d'autant plus dommageable que la vitalité du marché de l'art apparaît comme une condition nécessaire pour accompagner la politique de soutien à la création contemporaine conduite traditionnellement dans notre pays, mais aussi pour assurer la sauvegarde et la protection du patrimoine français. En effet, les ventes les plus prestigieuses ayant lieu plus fréquemment à l'étranger qu'en France, des objets qui faisaient partie de notre patrimoine culturel et historique ont quitté le territoire national sans grand espoir de retour, et l'Etat n'a pu exercer son droit de préemption, on le sait, que sur un volume très réduit d'oeuvres.
A ce titre, la commission des affaires culturelles n'a pu que se féliciter de cette réforme.
Je ne reviens pas sur le détail des dispositions du texte ; Mme la ministre et M. le rapporteur de la commission saisie au fond les ont présentées.
Je relève simplement, en premier lieu, que le projet de loi modifie profondément les modalités d'exercice de l'activité des professionnels des ventes publiques volontaires.
Sur ce point, le projet, s'il procède à une évolution nécessaire, n'ira sans doute pas sans poser des difficultés d'adaptation aux commissaires-priseurs spécialisés dans le secteur le plus concurrentiel, celui des oeuvres d'art. En effet, en dépit du délai transitoire de deux ans prévu par le texte, il leur faudra, dès la loi et ses décrets d'application publiés, modifier leurs structures d'exercice, ce qui sera à la fois complexe et coûteux, alors que les filiales de leurs concurrents étrangers seront, elles, très rapidement opérationnelles. Il y a là un enjeu d'une extrême importance.
Le projet de loi ne pose aucune règle concernant la forme sociale de ces sociétés ou encore le montant de leurs fonds propres. Bien entendu, ces sociétés seront libres de fixer leurs tarifs.
Cependant, le projet de loi conserve nombre des aspects de la réglementation actuelle.
Il ne remet pas en cause la spécificité française, qui déniait aux commissaires-priseurs la qualité de commerçant : vous l'avez rappelé tout à l'heure, madame la ministre, les sociétés de ventes auront une forme commerciale mais un objet civil.
Par ailleurs, leur activité demeure réglementée ; à cet égard, le titre même du projet de loi est assez évocateur.
Obligation est également faite aussi aux sociétés de compter parmi leurs dirigeants, leurs associés ou leurs salariés - vous l'avez rappelé - au moins une personne remplissant les conditions requises pour exercer l'activité de commissaire-priseur.
Cette disposition, évidemment plus proche des traditions juridiques françaises ou allemandes que de celles des pays anglo-saxons, est inspirée par le souci d'assurer la sécurité des ventes, qu'a évoquée tout à l'heure M. le rapporteur de la commission des lois.
Ce souci de garantir la fiabilité de notre marché est apparu légitime à notre commission. En effet - j'insiste sur ce point - nous espérons que la sécurité dont bénéficieront les transactions constituera un atout concurrentiel non négligeable pour les futures sociétés de ventes françaises face à des maisons anglos-saxonnes concurrentes qui n'offriront en la matière que des garanties de nature contractuelle.
C'est ce même souci qui a inspiré le chapitre V du projet de loi, consacré aux experts.
Aujourd'hui, l'exercice de cette profession est libre. Si cette situation ne soulève guère de difficultés pour le public averti et initié aux subtilités du marché de l'art, elle n'est pas, en revanche, de nature à apporter les mêmes garanties à l'ensemble des consommateurs, parfois moins avertis.
Le projet de loi tend à consacrer l'existence de deux catégories d'experts : les uns agréés, les autres non. Nous nous sommes rangés à cette possibilité de faire appel à des experts non agréés. En effet, il nous a semblé que, dans le cas de ventes très spécialisées, la nécessité de recourir à un expert très « pointu », à un non-professionnel ou encore à un marchand était évidente et que l'obligation de recourir à un expert agréé aurait été une contrainte tout à fait insupportable.
Nous proposerons des amendements visant à préciser le dispositif proposé, mais aussi - M. le rapporteur l'a indiqué tout à l'heure - à renforcer la représentation des experts au sein du conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, qui constitue le nouvel organe de régulation.
En effet, telle qu'elle était prévue, la composition de ce conseil n'était, semble-t-il, pas tout à fait conforme à votre intention profonde de libéraliser l'organisation des ventes publiques, madame le ministre. Elle ne nous paraissait pas davantage répondre à la vocation de cette institution et encore moins être de nature à garantir son indépendance.
Les amendements que nous proposerons sur ce point sont donc, à nos yeux, tout à faits essentiels.
J'en terminerai en évoquant un amendement que j'aurai l'honneur de défendre au nom de la commission des affaires culturelles et qui concerne les ventes sur Internet.
En effet, ces ventes, aujourd'hui, se multiplient ; les sites de vente connaissent un véritable succès ; leurs résultats sont considérables.
Par ailleurs, les sociétés de ventes étrangères se tournent de plus en plus résolument vers ce procédé qui permet de toucher au moindre coût un public très large.
Il nous a donc paru nécessaire de ne pas priver les commissaires-priseurs de cette possibilité. C'est là l'objet essentiel de l'amendement que je viens d'évoquer.
Telles sont, madame la ministre, les orientations de la commission des affaires culturelles, qui a beaucoup travaillé sur les chapitres et les articles dont elle s'est saisie. Nous espérons que nos amendements recevront de votre part un accueil favorable. En tout cas, nous les défendrons avec conviction.
C'est au bénéfice de leur adoption, bien entendu, que nous donnerons un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gaillard, rapporteur pour avis.
M. Yann Gaillard, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le voici enfin devant nous, en première lecture, ce texte tant attendu, dont l'objet est d'adapter l'organisation des ventes publiques en France aux exigences de l'article 59 du traité de Rome !
Avec la suppression du monopole des commissaires-priseurs, hors ventes judiciaires, c'est un nouveau pan de l'exception française qui tombe. En ce sens, madame la ministre, on pourrait parler d'une loi « Sotheby's ». La célèbre firme est en effet à l'origine de ce texte. Depuis 1992, elle n'a cessé de harceler le Gouvernement français et la Commission. Elle vient encore de manifester sa présence dans ce débat avec une vente fort médiatique, au château de Groussay, la semaine dernière.
Faut-il, pour autant, déplorer cet aboutissement législatif, auquel nous sommes conviés ? Non, puisque la position de notre pays était devenue intenable. On ne peut, au contraire, que déplorer le temps perdu : trois ans de non-réponse aux questions de plus en plus pressantes de la Commission, de 1992 à 1995 ; un premier texte déposé, après deux ans d'études, par le gouvernement précédent, en avril 1997 ; la reprise à zéro du chantier, avec changement d'experts, par le gouvernement actuel ; tout cela pour, finalement, rétablir à peu de choses près l'architecture initiale, tout en divisant par cinq l'indemnisation prévue pour les commissaires-priseurs, qui sont partagés entre la protestation contre cette réduction drastique de leurs indemnités et le désir de crever l'abcès.
En tout cas, ils ont abandonné l'attitude de procrastination qui était la leur au début de cette longue histoire.
Bref, nous avons connu sept années de méandres, et l'on aurait pu, avec profit, en économiser trois ou quatre, pendant lesquelles il ne semble pas, hélas ! que la situation de notre pays sur le marché de l'art se soit améliorée, bien au contraire.
En même temps qu'elle se saisissait pour avis des aspects financiers du présent projet, la commission des finances a mené une enquête sur le marché de l'art, moyennement important du point de vue économique, mais porteur des symboles et des images de notre gloire passée. Nous avons procédé à de nombreuses auditions et investigations, dont le résultat est contenu dans le rapport d'information n° 330.
La réforme des ventes volontaires n'est qu'un des éléments, quoique crucial, d'une problématique complexe et quelque peu désespérante.
Dans les mythiques années cinquante, la France régnait encore sur le marché de l'art mondial, au point que certaines études parisiennes avaient été sollicitées pour racheter une importante société américaine, Parke Bernet. L'occasion ne fut pas saisie.
Au début des années quatre-vingt-dix, c'est-à-dire au sommet de la vague spéculative qui toucha l'art comme l'immobilier et la Bourse, on pouvait considérer que le jeu était réparti à peu près également entre les commissaires-priseurs français, Sotheby's et Christie's, avec une légère préférence pour les premiers.
En 1998, pour la partie « art » de leur activité et selon les informations contenues dans les annuaires de vente, les deux majors anglo-saxonnes dépassaient nettement nos commissaires-priseurs : 11,4 milliards de francs pour Sotheby's, 11,3 milliards de francs pour Christie's, nos 460 commissaires-priseurs, répartis en 328 offices, ayant réalisé un chiffre d'affaires de 8,7 milliards de francs, comme l'a rappelé M. Gouteyron.
Sur le marché mondial, pour s'en tenir à la peinture et au dessin, qui en sont la fine pointe, on considère que 50 % du marché se traite désormais aux Etats-Unis, 30 % en Grande-Bretagne et 6 % seulement en France.
Parler du marché de l'art, c'est agréger des réalités bien différentes. Le nôtre tend à se provincialiser, à porter sur les oeuvres moyennes. Au-dessus de 500 000 francs, les « articles », pour parler comme le faisait Edgard Degas de ses oeuvres, se négocient hors de France. Or, si l'on excepte l'art contemporain, pour lequel notre pays semble avoir été durablement marginalisé par l'Amérique et même par certains voisins comme la Grande-Bretagne ou l'Allemagne, il est notable que les pièces échangées ont, pour la plupart, été produites chez nous. Qu'il s'agisse des meubles du XVIIIe siècle, des dessins des XVIIIe et XIXe siècles, des tableaux impressionnistes, puis de l'Ecole de Paris, sans parler du mobilier « art déco ». Les catalogues des grandes ventes internationales le montrent bien. Ils sont pleins d'objets français : de quoi nourrir une profonde mélancolie, et aussi, pourquoi pas, des espoirs de reconquête !
Parmi les causes du déclin, certaines sont de nature institutionnelle. Le caractère obsolète du statut des commissaires-priseurs, auquel le présent texte va mettre fin, en est une. D'autres sont d'ordre fiscal. Il est évident, cependant, que les plus importantes sont d'ordre économique. Les grandes fortunes, les grandes collections vont de pair. Le chef-d'oeuvre inspiré est à la fois une production supérieure de l'esprit humain, un trésor national et un trésor tout court, objet de valeur soumis aux aléas du marché comme d'autres objets.
C'est à la lumière de ces considérations que la commission des finances a étudié ce texte qui vous est soumis, en étroite concertation avec la commission des lois et la commission des affaires culturelles.
Pour jouer au mieux les atouts dont dispose encore la France et relancer la place de Paris, il faut que soient données toutes leurs chances aux nouvelles sociétés de ventes volontaires qui sortiront de ce texte et aux professionnels qui les animeront. Il ne s'agit plus de pleurer sur le lait renversé, il faut sauver ce qui peut l'être. Tel est le but des observations et des amendements que la commission des finances, parallèlement à la commisssion des lois et à la commission des affaires culturelles, ou pour son propre compte, a présentés sur ce projet. Elle en approuve l'orientation générale puisque c'est la seule possible.
Nous ne nous sommes pas interrogés sur bien d'autres aspects de ce texte qui ont fait l'objet d'observations et d'amendements pertinents de la part de la commission des lois et de la commission des affaires culturelles.
Le rapport écrit qui vous a été distribué comporte, dans sa troisième partie, une réflexion sur le nouveau régime des ventes volontaires, sous le thème du « libéralisme tempéré ». Trop bien tempéré, pourrait-on dire : au moment où l'on crée des sociétés de ventes volontaires, qui seront des sociétés commerciales parmi d'autres, à quoi bon encore légiférer ? Les garanties du droit des affaires et la déontologie de la probité commerciale, chère à César Birotteau, ne suffisent-elles point ? Les Anglo-Saxons s'en contentent et ils ne s'en portent pas si mal. Mais il est difficile de se défaire en une fois d'habitudes séculaires. Je tiens également à relever l'importance de l'amendement proposé à l'article 6 par la commission des affaires culturelles à propos de la vente électronique.
Notre contribution se limitera donc à trois points : les modalités de l'indemnisation, la fiscalité de l'indemnité et des restructurations et la taxe sur les ventes.
Le premier point, qui est le plus important des trois, concerne l'indemnisation. La commission des finances fait sienne l'analyse juridique présentée par la commission des lois de la Haute Assemblée, et ce d'autant plus volontiers que nous pouvons ainsi nous passer d'une discussion sur les montants. Si l'on part du principe qu'il s'agit d'une expropriation, fût-elle partielle, la conclusion évidente, au regard de nos principes constitutionnels, est la compensation intégrale du préjudice. Cette compensation doit être placée sous le contrôle du juge, d'où l'amendement qui transforme la nature de la commission visée à l'article 43, en la plaçant sous la présidence d'un magistrat de l'ordre judiciaire. Madame le garde des sceaux, vous qui, en tous temps et en tous lieux, et dans les circonstances les plus difficiles, vous faites le défenseur des magistrats, ne pouvez pas ne pas y être sensible.
En l'occurrence, la commission des finances propose, moins qu'une réfutation, un perfectionnement du texte gouvernemental. Nous ratifions la méthode de calcul définie par le comité d'experts réuni sur votre initiative, madame la ministre, d'où résulte la rédaction de l'article 36, et nous retenons même ce taux de 50 % de réfaction proposé à l'article 37, mais sans l'accompagner des modulations de plus et moins 15 %, qui ne sauraient manquer de compliquer et de ralentir le processus. Surtout, ce qui était réfaction imposée - et qui n'a pas de justification juridique ou pratique, M. Dejoie vient de le rappeler à l'instant - change de caractère. C'est l'intéressé lui-même qui choisit librement cette hypothèse forfaitaire afin d'accélérer le règlement. Ceux, les plus nombreux, qui continueront d'exercer éviteront ainsi les complications administratives, et gagneront un temps précieux à un moment où le marché de l'art risque d'être profondément déstabilisé. C'est donc une réflexion autant économique que juridique qui nous guide.
Mais il faut prolonger cette réflexion, toujours dans le même souci d'aller vite et de procurer à ces études, devenues entreprises, toute la sécurité possible, notamment sur le plan fiscal.
Il nous est apparu étrange, ainsi qu'aux compagnies nationale et parisienne des commissaires-priseurs, voire aux cabinets qui m'ont contacté, que la loi ne comporte pas de volet fiscal. J'entends bien que Bercy aime faire du « sur mesure », que la direction de la législation fiscale a du goût pour la circulaire ou l'interprétation administrative. Mais la situation des professionnels sera d'une grande vulnérabilité pendant les mutations juridiques qu'on leur impose, qui sont comme un changement de carapace. Et les grands prédateurs ne se font pas discrets...
J'ai demandé au ministère de la justice quel serait le régime fiscal de l'indemnité, quelles mesures d'accompagnement seront prévues pour aider les nouvelles sociétés de ventes volontaires à faire face à la concurrence internationale. Les réponses à ces questions, que vous trouvez reproduites dans mon rapport écrit, sont de caractère général. Elles ne suffisent pas à rassurer les intéressés, ni à nous fixer sur leur sort.
Il a donc semblé nécessaire à la commission des finances d'approfondir la réflexion sur le plan fiscal, afin de leur procurer une sécurité, c'est-à-dire une définition de leur régime fiscal dans la loi, et un accompagnement, notamment une suspension d'imposition, afin de neutraliser les coûts superfétatoires qui risquent de bloquer les changements nécessaires. Bien entendu, l'Etat retrouverait ses droits à la sortie.
C'est d'autant plus nécessaire qu'un grand nombre des professionnels exercent sous le régime des SCP ou des SELARL qui, n'étant pas soumises à l'impôt sur les sociétés, ne peuvent bénéficier des mêmes nécessités de report que les entreprises individuelles.
Pour l'indemnité elle-même, il s'agirait de ne frapper de plus-values que la part de celle-ci qui ne serait pas affectée au remboursement des dettes ou réinvestie dans les sociétés de ventes volontaires.
Pour les mesures d'accompagnement fiscal des mutations juridiques, il s'agit, en matière d'apports, de scissions de sociétés ou de droits d'enregistrement, de faciliter les opérations nécessaires, en appliquant certaines mesures suspensives ou simplificatrices, déjà prévues par le code général des impôts pour d'autres types de sociétés, et inapplicables aux cas que nous prévoyons, dans l'état actuel des textes.
Ces amendements sont sans doute perfectibles. Certains pourront peut-être être considérés comme des amendements d'appel, au cas où le Gouvernement, prenant en considération le problème soulevé, apporterait des réponses claires, des engagements précis et des solutions alternatives.

(Mme le ministre de la culture et de la communication remplace Mme le garde des sceaux au banc du Gouvernement.)
Nous nous sommes interrogés, en particulier, sur le devenir de l'Hôtel Drouot, dont il est parfois de bon ton de critiquer l'organisation. Le mélange des genres qui s'y pratique et un certain désordre bien sympathique seraient en tout cas irremplaçables pour les amateurs. Qui se résignerait à le voir fermer ?
La loi rendra inévitable la remise en cause de cet outil, qui est géré par une société anonyme, Drouot SA, propriété de la Compagnie des commissaires-priseurs de Paris, qui appartient elle-même à ses membres. Les actifs commerciaux, notamment La Gazette de l'Hôtel Drouot, ont une valeur non négligeable - entre 150 millions et 200 millions de francs pour La Gazette . Quant aux actifs immobiliers, ils sont détenus par une SCI, elle-même propriété des commissaires-priseurs en exercice. Si la Compagnie des commissaires-priseurs est considérée comme une personne morale, il faudra procéder à des transferts d'actifs susceptibles de générer 53 millions de francs de plus-values, soit, avec les avoirs fiscaux, un impôt net de 190 000 francs par part. En revanche, si la compagnie n'a pas la personnalité morale, il s'agira, pour l'attribution des actions, d'un simple partage en nature, qui n'entraîne pas de charges fiscales pénalisantes. Mais la question n'est pas tranchée.
Je dois dire, madame la ministre, qu'elle ne l'est pas davantage après lecture de l'amendement présenté par le Gouvernement sur l'Hôtel Drouot, qui nous a paru de nature assez ésotérique. Mais peut-être pourrez-vous nous expliquer le sens que vous lui attachez et les conséquences fiscales qu'il emporterait. Jusqu'à présent, je le répète, nous avons en effet mené nos travaux de façon un peu isolé puisque le ministère des finances n'a pas répondu à nos demandes d'avis sur nos projets d'amendements. Ce qui nous importe, c'est le principe : pas d'imposition superflue en raison des mutations juridiques. Si le Gouvernement nous propose des solutions claires, écrites dans la loi, nous serons prêts à les considérer avec beaucoup d'attention.
Retenant l'hypothèse pessimiste, la commission des finances présentera un amendement permettant un report des plus-values dues et par la Compagnie et par les commissaires-priseurs, l'impôt étant recouvré au moment où ceux-ci sortiront des sociétés de ventes volontaires.
Enfin, c'est notre troisième point, la commission des finances a adopté un amendement supprimant l'article 40 du projet de loi, qui instaure une taxe sur les ventes de meubles aux enchères publiques.
Cette taxe existait déjà dans le projet de 1997. Le taux et la durée en ont même été réduits de dix à cinq ans, et de 1,5 % à 1 % dans le présent texte, en fonction de la réduction du coût envisagé par l'actuel gouvernement pour l'indemnisation des commissaires-priseurs. La position de la commission des finances ne repose donc pas, comme on le voit, sur un parti pris politique, mais résulte d'une analyse triplement critique de cette taxe dans son fondement juridique, dans son utilité financière et dans ses conséquences économiques.
Juridiquement, cette taxe ne paraît pas légitime, si l'on veut bien retenir la position qui est celle de nos commissions des lois et des finances sur l'expropriation. Il est clair qu'on peut concevoir la création d'une taxe parafiscale pour financer la modernisation d'un secteur économique, non pour exonérer l'Etat du devoir d'indemnisation qui est le sien quand il rachète un droit qu'il a jadis vendu.
Financièrement, on notera que cette taxe n'est pas affectée à un compte spécial du Trésor. Sa nature et son régime restent imprécis. La loi de finances rectificative pour 1998 en a anticipé le rendement escompté, et ouvert des crédits - 450 millions de francs - sur le chapitre 46-01 du budget du ministère de la justice. Ils ont été inscrit à l'état H - crédits non soumis à l'annualité budgétaire - par la loi de finances pour 1999. En outre, il faut noter que le marché de l'art procurera des ressources plus importantes à l'Etat, en raison du probable alignement du tarif « acheteur » des sociétés de vente volontaire sur les tarifs anglo-saxons, qui est de 15 %, jusqu'à 300 000 francs.
Cette dépense, à vrai dire, on n'en connaît pas le montant exact, puisqu'elle dépendra - si les amendements des commissions sont adoptés - des décisions d'une commission présidée par un magistrat et du choix que feront un plus ou moins grand nombre de commissaires-priseurs d'une indemnisation forfaitaire. On peut toutefois considérer qu'elle est, pour l'essentiel, déjà financée.
Au demeurant - j'insiste sur ce point - on peut s'interroger sur la rentabilité d'un tel impôt, au taux réduit, frappant un très grand nombre d'opérations commerciales sur l'ensemble du territoire. Je regrette qu'il n'y ait pas de représentant du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie au banc du Gouvernement.
La presse, ce matin encore, notamment le Figaro , se fait l'écho des préoccupations du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur la rentabilité de notre système de recouvrement, moins bonne, à l'évidence, que dans les pays voisins, en raison de la lourdeur des frais administratifs. L'inspection générale des finances a rendu une étude à ce sujet. Il y a fort à parier que, si pareille taxe existait déjà, elle serait au nombre de celles dont la suppression serait envisagée par l'inspection, ou alors l'inspection ne serait plus celle que j'ai connue.
Cependant, ce qui a motivé par-dessus tout la commission des finances, c'est la considération de handicaps fiscaux dont souffre déjà notre marché de l'art, comparé à ceux de nos grands concurrents. Il n'est pas un rapport, pas une étude consacrée à ce sujet qui ne les dénonce, et le rapport d'information que j'ai l'honneur de présenter au nom de la commission des finances, auquel j'ai fait allusion tout à l'heure, comporte des développements sans ambiguïtés sur les plus importants d'entre eux. Il ne nous a pas fallu faire un grand effort, puisque l'essentiel a déjà été dit, et fort bien dit, par M. André Chandernagor, président de l'Observatoire du marché de l'art, et par M. Aicardi.
La TVA à l'importation des oeuvres d'art a beau avoir été réduite à 5,5 %, elle joue le rôle d'un droit dissuasif quand le vendeur, et surtout le professionnel du marché qui le conseille, choisit le lieu de vente. Pourquoi vendre à Paris avec une taxe à 5,5 %, quand elle est, en fait, de zéro à New York et de 2,5 % à Londres ? Il faut espérer que la Grande-Bretagne, le 30 de ce mois, acceptera la fin de sa dérogation, mais on n'en est pas sûr en dépit des propos optimistes qu'a tenus Mme le garde des sceaux avant de nous quitter.
Le droit de suite a été inventé par et pour notre pays en faveur des artistes et de leurs héritiers, et il a réussi à l'imposer à presque toute l'Europe mais pas, jusqu'à présent, à la Grande-Bretagne, hélas ! ni aux Etats-Unis, bien sûr. Voilà encore 3 % de charges, dont le bien-fondé n'est pas contestable, mais...
Je passe sur les différences en matière de droit de reproduction - un amendement très intéressant a d'ailleurs été déposé par notre collègue M. Philippe François - ou de taxe forfaitaire. Mais, sur ce point, Mme le garde des sceaux semble avoir pris des engagements très nets, ce dont nous nous réjouissons.
Or, tout allégement de ces charges, au niveau européen, qui sont maintenant négociées à Bruxelles, se heurte à des obstacles qui ne laissent guère espérer une égalisation prochaine des conditions de concurrence, ne serait-ce que parce que, dans les conseils européens, c'est le ministre des finances qui parle, non la ministre de la culture, laquelle serait d'ailleurs, en matière de droit de suite, divisée contre elle-même.
Aussi, mes chers collègues, en vous proposant de supprimer cette nouvelle taxe sur les ventes, qui n'est ni justifiée, ni indispensable, la commission des finances a-t-elle voulu adresser au Gouvernement et à l'opinion un message clair. Si nous ne parvenons pas, dans un secteur donné, à diminuer rapidement le poids des charges, au moins commençons par ne pas l'augmenter ! Et qu'on ne me dise pas qu'elle est payée par l'acheteur et non par le vendeur car il est très difficile de connaître l'incidence d'une charge. C'est un message politique qui, s'il est écouté, augurerait bien de la loi nouvelle. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 26 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes ;
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec le projet de loi que nous examinons aujourd'hui, nous abordons un sujet important qui est celui de la place de la France sur le marché de l'art et de la culture.
Cette réforme, essentiellement entamée sous l'impulsion de Sotheby's, grande société commerciale britannique de ventes volontaires et concurrence directe de Paris, est fortement inspirée du modèle libéral anglais.
Je ne reviendrai pas dans le détail sur l'historique de la procédure engagée par cette société qui, souhaitant organiser des ventes volontaires en France, a saisi, dès le 1er octobre 1992, la Commission européenne sur la base de l'incompatabilité de la réglementation française avec l'article 59 du traité de Rome relatif à la libre prestation de services.
Bruxelles n'apprécie décidément pas les monopoles et menace de traduire la France devant la Cour de justice européenne en invoquant la libre prestation de services au sein de la Communauté.
En conséquence, depuis le 16 mars 1995, la France est mise en demeure par la Commission européenne d'adapter sa législation relative à l'organisation des ventes volontaires et à la profession de commissaire-priseur, faisant fi, en l'occurrence, de l'avenir des salariés ainsi que de notre tradition française en ce domaine, dont le caractère exceptionnel a été souligné par M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles.
Avec ce texte, nous nous apprêtons donc à ouvrir aux maisons étrangères le marché français de l'art.
Il s'agit, concrètement, de permettre aux grandes multinationales Sotheby's et Christie's, appartenant entre autres au groupe français Pinault et qui détiennent 95 % du marché mondial, de diriger des ventes à Paris.
Ces deux grandes sociétés, sans foi ni loi, déplacent, au gré des disparités fiscales et économiques, les oeuvres d'art dans le monde. Sotheby's fait ainsi sortir des châteaux français 600 millions de francs dans l'année d'oeuvres immédiatement mises en ventes à Londres ou à New York.
La présidente de Sotheby's France, Mme Laure de Beauvon-Craon, a d'ores et déjà anticipé cette réforme puisqu'elle vient de diriger, en parfaite illégalité, en France, sa première vente de prestige avec la dispersion aux enchères du mobilier du château de Groussay. Pourquoi la France a-t-elle laissé faire ?
Le projet de loi confie donc l'organisation et la réalisation des ventes volontaires à de nouvelles sociétés de forme commerciale, mais à objet civil, qui, en l'absence de précision du texte concernant le montant des fonds propres de ces sociétés ou leur forme sociale, pourront prendre la forme aussi bien d'une société cotée en bourse que d'une société unipersonnelle.
Notre système de ventes volontaires sera ainsi calqué sur celui de la Grande-Bretagne : absence de monopole, libre concurrence, absence de tarif imposé, utilisation de techniques de ventes telles que les transactions de gré à gré, les avances sur fonds propres ou encore les prix garantis.
Cette réforme est justifiée par ses promoteurs par le fait que la France connaît, depuis plusieurs années, un déclin quant à son activité et qu'il faut, en conséquence, la doter de moyens lui permettant de faire face, à armes égales, à ses concurrents.
Madame la ministre de la culture et de la communication, vous déclarez dans un quotidien national aujourd'hui même : « C'est maintenant ou jamais que Paris peut reprendre sa place perdue sur le marché mondial de l'art. » Je l'espère vivement !
J'estime cependant que l'on peut légitimement douter des bienfaits d'une telle libéralisation du marché, entraînant la suppression du monopole traditionnel français dont bénéficient, depuis toujours, nos commissaires-priseurs.
Je rappelle ici qu'à l'origine l'organisation des ventes aux enchères a été confiée à des officiers ministériels compétents et responsables, dans un souci de protection du consommateur.
Cette réforme n'est donc pas sans soulever certaines questions à nos yeux, en particulier celle des licenciements qui vont indubitablement en découler ou encore celle de l'indemnisation des commissaires-priseurs.
On peut en revanche noter que certaines garanties sont prévues dans le but, nous assure-t-on, de protéger le consommateur.
Chacun s'accorde à reconnaître que les restructurations rendues nécessaires par la présente réforme vont entraîner des licenciements parmi le personnel salarié des offices de commissaires-priseurs.
En effet, la transformation de la profession de commissaire-priseur va aboutir au regroupement de plusieurs études qui, se retrouvant avec plusieurs clercs, plusieurs comptables, plusieurs crieurs notamment, vont devoir se séparer d'une partie de leurs salariés.
Je veux dire d'emblée qu'il est toujours regrettable d'envisager des licenciements au nom de la modernisation et de la libéralisation de tel ou tel secteur d'activité.
Nous estimons, pour notre part, qu'il est nécessaire de prévoir une indemnisation juste et équitable pour les personnels concernés par ces licenciements. Aussi avons-nous déposé un amendement sur lequel je reviendrai plus en détail lors de la discussion des articles.
J'en viens à présent à l'indemnisation prévue pour les commissaires-priseurs en contrepartie de la perte de leur monopole.
Le montant global de cette indemnisation a, entre le projet de loi Toubon et l'actuel projet de loi, été revu à la baisse.
Dans un premier temps, on avait implicitement admis qu'après la réforme les offices ne vaudraient plus rien et donc que le préjudice devrait être égal au prix de ceux-ci. De plus, la méthode de calcul retenue gonflait, artificiellement je pense, ce prix.
La méthode d'évaluation contenue dans le présent texte a changé puisqu'il a été admis que, même après la disparition du monopole, les offices conserveraient une valeur certaine, due notamment à l'existence d'une clientèle et à la notoriété des dirigeants.
Il est désormais prévu d'allouer aux commissaires-priseurs 450 millions de francs, financés par une taxe de 1 % sur les ventes pendant cinq ans.
Bien évidemment, la majorité sénatoriale de droite, notamment M. Gaillard, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, arguant du « trop d'Etat » et du « trop de taxe », propose un dispositif fiscal et financier éloigné des dispositions contenues dans le texte.
Vous prônez le moins-disant fiscal pour faciliter la pérennité des ventes volontaires aux enchères publiques. Sachez que nous ne vous suivrons pas sur cette voie. Nous ne voterons pas, par conséquent, les amendements proposés en la matière par la commission des finances.
Mme le garde des sceaux nous a dit tout à l'heure que cette libéralisation du marché de l'art s'accompagnera de garanties pour les consommateurs, comme pour les vendeurs.
Celles-ci seront assurées, notamment par la création d'un « conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques » et par un encadrement de la profession d'expert.
On peut toutefois s'interroger sur l'intérêt d'élaborer un statut de l'expert si, d'une part, il n'est pas fait obligation de recourir à des experts présentant les qualités requises pour être agréés et si, d'autre part, aucune qualification professionnelle n'est exigée.
Plus globalement, si cette libéralisation est juridiquement encadrée par le projet de loi, les amendements des commission des lois et des finances s'orientent, pour leur part, vers une libéralisation accrue des ventes aux enchères, afin de donner à ces nouvelles sociétés de ventes les moyens d'affronter la concurrence européenne dans des conditions satisfaisantes.
Permettez-moi d'aborder brièvement la question du droit de suite qui, nous dit-on, constitue, avec la TVA à l'importation, la principale source de distorsion de concurrence entre la France et les marchés étrangers, anglais et américains notamment, où le droit de suite n'existe pas.
Ce droit existe aujourd'hui dans huit des quinze pays de l'Union européenne.
Si ce droit de suite constitue, pour le moment, un handicap pour la France par rapport à Londres, il suffirait que la directive européenne en cours d'élaboration sur l'harmonisation européenne de ce droit de suite soit adoptée, imposant le même cadre à tous les pays de l'Union européenne pour faire évoluer la situation en France.
Le problème réside dans le fait - il faut que nous en ayons conscience - que la Grande-Bretagne y est fermement opposée, car elle craint une délocalisation du marché vers son concurrent new-yorkais. C'est ainsi que les Britanniques ont refusé le projet présenté le 25 février 1999 ainsi que le compromis proposé par la présidence allemande. Il convient de noter qu'un tel compromis n'est possible que jusqu'au 21 juin prochain, date à laquelle il y aura un changement de présidence.
Aussi peut-on noter la pugnacité avec laquelle la Grande-Bretagne impose ses points de vue au niveau européen, notamment à la France : non seulement, en introduisant une procédure devant Bruxelles contre la France, elle oblige celle-ci, au nom de la libre concurrence, à supprimer le monopole des commissaires-priseurs ; mais de surcroît, en refusant tout compromis européen relatif au droit de suite, elle fausse le jeu de la concurrence au détriment de la France.
Pour conclure, je serais tenté de dire que, même si la profession est prête pour cette réforme, entamée depuis quatre ans et sans cesse repoussée, nous demeurons quelque peu sceptiques sur la pertinence d'une telle démarche quant aux résultats escomptés.
Qui peut nous assurer que la France aura effectivement les armes qui lui sont indispensables pour lutter à égalité avec ses concurrents ?
Qui peut nous assurer, faute d'harmonisation européenne, en termes de droit de suite notamment, que Londres n'investira pas la place de Paris ?
Certes, figurent dans ce texte certaines conditions imposées aux ressortissants européens pour officier en France, ainsi que des garanties pour les consommateurs. Mais est-ce suffisant ?
Cette interrogation est d'autant plus fondée que les amendements présentés par la commission des lois allant dans le sens d'une libéralisation accrue, comme je l'ai évoqué, ne sont pas pour nous rassurer en la matière.
Dans ces conditions, il nous sera difficile d'approuver un tel texte.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les commissaires-priseurs font partie de ces professions qui occupent dans notre imaginaire une place importante. C'est sans doute l'image du marteau d'ivoire, l'écho du mot « adjugé », peut-être le « feu », la « folie » des enchères et la valse des objets, qui confèrent à ce métier son aura. Aux frontières de mondes différents et que l'on serait tenté de croire opposés, l'art, l'argent, la justice, le commissaire-priseur est véritablement un « passeur ». C'est bien parce que le passage de l'objet sur le marché de l'art doit se faire avec les meilleures garanties, que l'Etat a jugé autrefois nécessaire de conférer à ce « passeur » le titre d'officier ministériel.
Cette naissance de la profession telle qu'elle est encore aujourd'hui réglementée procède d'une idée spécifiquement française, celle que l'Etat est le gardien du patrimoine national et, partant, du marché de l'art. Ainsi, à toutes les étapes de la transaction marchande, il a mis en place des mécanismes juridiques et fiscaux dont la juste application doit permettre de concilier l'inconciliable : le prix du marché et la protection des richesses artistiques nationales. Par l'intermédiaire du commissaire-priseur, l'Etat garantit la valeur de l'objet d'art, il protège l'acheteur, il protège le vendeur. Il exerce un pouvoir de tutelle et de police sur l'ensemble des transactions, par son droit de rétention et d'interdiction de sortie du territoire. Il exerce des prérogatives exorbitantes du droit commun, notamment par son droit de préemption.
Cette attitude protectrice a été en grandissant tout au long du xxe siècle, avec notamment l'apparition des acheteurs américains. On connaît l'histoire des cloîtres, démontés puis remontés pierre par pierre, ou encore la destination d'une bonne partie du mobilier de nos châteaux. La France, avec les pays d'Europe du Sud riches en patrimoine, est devenue structurellement exportatrice d'oeuvres d'art. La protection du patrimoine national et l'intervention de l'Etat sont donc aujourd'hui des données essentielles du marché de l'art français.
Pour autant, la construction européenne, la mondialisation, l'évolution même du marché de l'art ont remis en cause un protectionnisme accusé de scléroser les ventes d'oeuvres d'art. Le dispositif préparé par le Gouvernement comporte, outre le projet de loi que nous examinons aujourd'hui, un projet de loi sur la sortie des biens culturels, qui permettra de libéraliser encore davantage la circulation des biens culturels, telle qu'elle a été organisée par la loi du 31 décembre 1992 sous l'égide de M. Jack Lang.
La réforme qui nous intéresse aujourd'hui fait donc partie de ce mouvement qui consiste à faire tomber les barrières, à ouvrir largement le marché de l'art français, à distribuer à tous les mêmes pions et à leur imposer les mêmes règles du jeu. Ce faisant, nous formons un pari : avec un marché français dynamisé, renforcé, les échanges seront plus importants, la création contemporaine davantage reconnue, les acheteurs plus nombreux, les vendeurs mieux protégés et notre patrimoine préservé.
Cette réforme se fait en deux temps. Dans un premier temps, le commissaire-priseur, officier ministériel, héritier d'un système séculaire typiquement français cesse d'exister, du moins pour la partie des ventes volontaires. Indemnisé, il devient l'animateur principal d'une société commerciale. Dans un deuxième temps, la société commerciale est habilitée à exercer un certain nombre de pratiques. Auparavant proscrites par une réglementation sévère, ces pratiques commerciales demeurent néanmoins encadrées.
La réforme de la vente aux enchères publiques ne vise pas à supprimer une profession. Il s'agit au contraire de lui donner un nouveau statut pour lui offrir la possibilité de se développer et de se moderniser. Le projet de loi met donc fin au monopole traditionnel des commissaires-priseurs et attribue aux sociétés de ventes volontaires la compétence de l'organisation et de la réalisation des ventes de meubles aux enchères publiques. La profession de commissaire-priseur va ainsi passer d'une logique de service public à une logique commerciale. Là où il y avait absence de liberté des tarifs, les sociétés fixeront librement le prix de leur compétence. Là où il était impossible de constituer des réserves, les sociétés auront pleine capacité économique.
La forme de la société est, de fait, le moyen le plus efficace de différencier les patrimoines et de permettre un contrôle de son fonctionnement par l'autorité de marché. Aucun seuil financier n'a été prévu pour le montant du capital de ces sociétés. La réforme offre donc une certaine souplesse qui permet à chacun d'entrer à sa façon dans cette nouvelle ère de la vente aux enchères. La forme de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée pourra parfaitement être adoptée par un commissaire-priseur de province s'il ne veut pas avoir une structure sociale trop importante. A Paris, les regroupements d'études pourront se constituer en sociétés cotées en bourse s'ils veulent s'ouvrir à des capitaux extérieurs.
L'indemnisation qui accompagne ce changement des règles du jeu permettra également à la profession de se restructurer, et c'est pourquoi cette indemnisation doit être rapide. Le groupe socialiste a déposé un amendement en ce sens. Le principe d'un fonds d'indemnisation alimenté par une taxe de 1 % pesant sur l'acheteur me semble bon. Il reste indolore pour l'Etat et ses contribuables, et le recouvrement de la taxe est facilité, puisqu'il est englobé dans les comptes de la société.
Ce projet de loi, que j'estime équilibré, libéralise considérablement la profession, mais conserve au marché de l'art en France toutes ses garanties. Le commissaire-priseur, agissant désormais pour le compte de la société de ventes volontaires, doit en effet demeurer le mandataire de deux parties aux intérêts opposés. Son statut, à la fois d'arbitre impartial et de garant de la vente, doit rester entier. C'est pourquoi les sociétés de ventes ne pourront pas effectuer des opérations d'achat-revente pour leur propre compte, et je soutiens les propositions de la commission des lois visant à ne pas admettre d'exception à ce principe.
L'inverse aurait contribué à déséquilibrer le marché de l'art, animé, comme chacun le sait, par les commissaires-priseurs, mais aussi par les galeries et par les grandes foires internationales marchandes. Il aurait aussi conduit à perdre ce qui a fait et ce qui fait encore l'âme des ventes aux enchères. Ainsi, au-delà de la réforme se maintient une déontologie qui fait l'image de la France et dont aucun des acteurs du marché de l'art ne réclame l'abandon. Il est inutile de préciser que cette déontologie, dont l'application sera consciencieusement assurée par le Conseil supérieur des ventes, s'imposera aussi aux sociétés de ventes étrangères exerçant leur art en France. C'est ainsi que le marché de l'art français conservera, mais exportera aussi peut-être son exception, une « exception française », une sécurité supérieure, à la fois pour le vendeur et pour l'acheteur, à celle que l'on peut rencontrer ailleurs.
Les trois règles d'or de la vente aux enchères sont ainsi conservées : garantie d'origine des biens, garantie d'authenticité, garantie des fonds confiés. La garantie trentenaire, qui était l'une des prérogatives des commissaires-priseurs, est réduite à dix ans, ce qui correspond mieux aux évolutions de l'expertise et de l'histoire de l'art. Elle reste néanmoins supérieure au droit anglais non écrit et aux cinq ans de garantie pratiqués par exemple par Sotheby's.
Les commissaires-priseurs continueront à établir un procès-verbal à l'occasion de chaque vente. Il ne sera pas un acte authentique, mais il fera quand même foi de la vente et devra être arrêté au plus tard dans les vingt-quatre heures.
Les pratiques commerciales, nouvellement autorisées, demeurent néanmoins, je l'ai dit, strictement encadrées. C'est un aspect fondamental du présent projet de loi, mais un aspect qui était absent du texte préparé par M. Jacques Toubon.
La vente à tempérament permettra à l'acheteur de bénéficier d'un crédit auprès de la société, qui devient adjudicataire en cas de défaut de remboursement du crédit. C'est ce qui était arrivé d'ailleurs à Sotheby's, lors de la vente des fameux Iris .
La vente de gré à gré est également autorisée et permet de faire face à la situation dans laquelle un bien ne trouve pas d'acheteur. Là où les sociétés anglo-saxonnes, dans le même cas de figure, pratiqueraient l'achat-revente, les sociétés françaises conservent des règles du jeu saines leur permettant de rester en dehors de la partie.
De cet esprit de libéralisme mesuré, je dirais « encadré », procède également le principe de l'agrément. Un certain nombre de conditions sont requises, dont la qualification professionnelle. Je forme à ce sujet un voeu : que soit maintenu le niveau d'excellence de la formation, qui contribue à l'image de marque des commissaires-priseurs français. Le groupe socialiste a, dans ce sens, déposé un amendement relatif à la formation professionnelle.
On retrouve également le souci de qualité du service et de garanties offertes tant au vendeur qu'à l'acheteur par la définition d'un statut de l'expert agréé par le conseil des ventes volontaires.
Il est évident que cette réforme induira un bouleversement des habitudes et des pratiques, et je comprends les craintes exprimées par beaucoup de commissaires-priseurs.
Les regroupements que le nouveau dispositif ne manquera pas de susciter ne seront pas difficiles. Ils seront coûteux en termes d'emploi, et je me félicite que la commission des lois ait déposé un amendement visant à indemniser au-delà des conditions prévues par la convention collective les employés licenciés.
Le présent projet de loi ira aussi à l'encontre de la nature des commissaires-priseurs, habitués à travailler en solitaire. C'était un métier que l'on exerçait seul. Ils vont à la fois perdre leur titre et devenir des experts en publicité et marketing : ce sera un nouveau métier, et il est vrai qu'il faudra rassembler beaucoup d'énergie pour mettre sur pied une nouvelle organisation, adopter de nouvelles pratiques.
On parle cependant de cette réforme depuis bientôt dix ans ; les premières configurations sont apparues voilà déjà quatre ans. Les commissaires-priseurs ont donc pu commencer, et certains l'ont fait, à organiser ce passage, à l'exemple de grandes études sur la place de Paris, qui ont adopté depuis trois ans la forme de la société en participation, en attendant de se transformer en société commerciale. Par ailleurs, les observateurs remarquent que le recours aux techniques commerciales s'est développé peu à peu dans ce corps que l'on dit frileux. Nombreux, par exemple, sont les commissaires-priseurs qui, à la manière des maisons de ventes internationales, annoncent qu'ils préparent une vente spécialisée, ce qui est, en fait, un appel à la collecte des objets. Je n'en doute pas, l'esprit de la réforme a déjà commencé de souffler dans les salles de ventes et il inspire largement les plus dynamiques de nos commissaires-priseurs.
Cette réforme est une véritable révolution. Elle peut être l'occasion historique de relancer le marché de l'art en France, mais elle ne produira ses pleins effets que si elle est accompagnée d'un aménagement du système des droits et des taxes.
Certes, la concurrence à l'intérieur de l'Europe devrait être moins vive, puisque la réduction de TVA accordée au Royaume-Uni sur les importations d'oeuvres d'art ne sera pas prorogée au-delà du 30 juin.
Mais certaines anomalies demeurent, comme le taux de TVA de 20,6 % appliqué aux manuscrits, à la numismatique et à une partie du mobilier, anomalies d'autant plus choquantes lorsqu'elles permettent de distinguer, par exemple, les masques d'art primitif taxés à 20,6 % et les statues d'art primitif taxées à 5,5 % !
De même, il conviendrait de réformer la législation sur le droit de suite, cela a été évoqué. Mais comme ce n'est pas l'objet du présent texte, je ne m'attarderai pas sur cet aspect du problème.
Le groupe socialiste accueille favorablement le présent projet de loi qui lui semble équilibré, mais il votera certaines modifications proposées par la commission des lois, en particulier les dispositions plus favorables aux salariés qui seraient licenciés. En revanche, il ne souhaite pas revenir sur la composition du conseil des ventes et sur le dispositif prévu pour l'indemnisation des commissaires-priseurs.
Il n'est pas non plus favorable à la suppression de la taxe prévue pour alimenter le fonds d'indemnisation.
La profession des commissaires-priseurs a compris, je crois, que ce bouleversement majeur est une chance pour son avenir. En tant que spécialiste de ces ventes, la profession doit aborder ces changements dans un état d'esprit positif, croire en la qualité du service qu'elle propose, croire en son avenir.
Ainsi, le commissaire-priseur, qui ne perdra peut-être pas vraiment son titre, continuera d'être appelé ainsi par le public ; il ne cessera pas d'être ce qu'il a toujours été, c'est-à-dire l'un des animateurs de la vie culturelle, et la salle de ventes restera, j'en suis persuadée, un peu de ce musée imaginaire que nous avons tous en nous. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, selon le rapporteur de la commission des lois, nous aurions peut-être pu, en vertu de l'article 55 du traité de Rome, conserver les dispositifs actuels. Cependant, les articles 59 et 60 paraissent tout de même nécessiter un aménagement du dispositif légal en ce qui concerne le statut des ventes aux enchères publiques.
Le Gouvernement avait bien vu les risques depuis longtemps, même s'il a beaucoup tardé à déposer un projet de loi. Un texte avait été présenté, qui a subi le sort de quelques autres en raison d'événements dont il n'est pas nécessaire de rappeler la nature. Nous sommes donc amenés à examiner un nouveau projet de loi.
Chaque fois qu'il est question de réformer une profession très ancienne - Mme Derycke parlait de « musée imaginaire » - il est des mots qui sonnent bien et que les juristes aiment bien, comme « greffier », « avoué » et « commissaire-priseur ». J'allais même ajouter à cette liste les notaires, mais cette profession n'est pas menacée.
Ce sont des professions reconnues qui participent avant tout à la sécurité juridique de transactions. Tel est d'ailleurs le rôle essentiel des commisseurs-priseurs. A partir du moment où nous sommes amenés à supprimer cette profession - pour les ventes volontaires, car nous conservons bien évidemment les commissaires-priseurs judiciaires - il faut donner à la fois au vendeur et à l'acheteur des garanties suffisantes pour que cette activité ne soit pas l'objet d'un libéralisme échevelé. Il serait intéressant de savoir si, dans les pays qui n'ont aucune réglementation, il ne se produit pas parfois des catastrophes.
Le projet de loi, tel qu'il est modifié par nos commissions, est équilibré puisqu'il respecte les dispositions du traité de Rome sur la libre prestation de services tout en apportant des garanties destinées à protéger les acheteurs et les vendeurs.
D'une manière générale, la liberté d'établissement est toujours conçue de manière protectrice dans notre pays. Nous l'avons vu notamment à l'occasion de la réforme des professions judiciaires.
Nous devons inciter nos ressortissants à développer leurs activités dans les autres pays de l'Union européenne et nous montrer plus offensifs, plutôt que d'avoir cette conception bizarrement protectrice, tout en respectant, bien sûr, les obligations qui résultent des dispositions du traité de Rome.
Mais comme le démontre notre collègue M. Gaillard dans son excellent rapport, d'autres raisons sont à l'origine de la baisse d'activité du marché de l'art en France, au profit d'autres pays. C'est ce qu'il a appelé « les handicaps fiscaux ».
Nous devons faire un certain nombre de réformes, notamment en matière d'harmonisation c'est indispensable dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres si nous ne voulons pas que les Français soient privés des moyens de développer leurs activités.
Tant d'autres réformes sont indispensables, concernant la TVA, par exemple, que je laisse le soin à la commission des finances et, surtout, au Gouvernement de les proposer.
Mais revenons au projet de loi.
Aucune forme n'est imposée aux sociétés qui pourront prendre celle d'EURL, puisqu'un certain nombre de commissaires-priseurs exercent de manière individuelle. De toute façon, il faut garder le principe selon lequel le commissaire-priseur, qui ne s'appellera plus ainsi, est un mandataire.
Je pense que toutes les initiatives qui ont été prises pour permettre au professionnel, même à titre exceptionnel, de vendre pour son propre compte doivent être repoussées ; les choses doivent être très claires.
A ce propos, l'article 11 me semble poser un problème. En effet, il y est dit que le professionnel est rendu adjudiciaire en cas de prix inférieur au prix garanti ; en l'absence d'enchères, que fait-on ? A-t-il droit de vendre pour son propre compte ? Il y a une contradiction entre le fait qu'il soit mandataire, qu'il ne puisse vendre pour son propre compte, et l'existence de ce dispositif.
Madame la ministre, je souhaitais vous poser une question sur l'article 7. Cet article dispose que les sociétés de ventes doivent comprendre au moins une personne remplissant les conditions requises pour diriger une vente. Mais si une société compte une seule personne qualifiée, que fait-on en cas d'absence de cette personne au moment de la vente ? Sera-t-il possible de faire appel à un professionnel agréé d'une société voisine ou faudra-t-il reporter la vente ? Une telle décision pourrait avoir des conséquences considérables et le texte n'est pas précis sur ce point. Il faudrait prévoir, à mon sens, que puisse être requis un professionnel extérieur en cas d'empêchement, pour des raisons de force majeure, du professionnel de la société.
En ce qui concerne les dispositions relatives aux experts, j'approuve totalement les simplifications envisagées par la commission. Ainsi, il me semble inopportun d'imposer le recours à un expert agréé, surtout dans certains secteurs très spécialisés. Je rappelle que, en matière judiciaire, un magistrat peut toujours faire appel à un expert non agréé par les tribunaux en cas de besoin. Il faut donc rendre le texte plus libéral à cet égard.
Certaines des dispositions contenues dans le projet de loi sont à l'évidence héritées des pratiques anglo-saxones ; il en est ainsi des propositions figurant à l'article 8, relatives aux ventes de gré à gré, et de celles figurant aux articles 11 et 12, ce dernier ayant reçu le qualificatif d'« article Sotheby's » dans la mesure où il reprend des pratiques de cette grande société en ce qui concerne le plafond de l'avance susceptible d'être consentie au vendeur.
La commission des lois a prévu de supprimer un certain nombre de dispositifs bizarres, notamment celui qui concerne la garantie des avances. Après tout, si une société consent une avance, elle n'a qu'à prendre ses garanties ; il n'est pas besoin d'inscrire dans la loi que le remboursement de l'avance doit être garanti par un organisme d'assurance ou un établissement de crédit. Ce sera possible même si les textes ne disent rien.
La commission a également décidé de proposer la suppression de la limitation du montant des avances.
Le point le plus intéressant sur le plan juridique est, bien évidemment, celui du fondement de l'indemnisation. Il donne lieu à un débat que je trouve passionnant. Doit-on prendre comme référence l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui proclame l'égalité devant les charges publiques, ou bien l'article XVII, qui reconnaît le droit de propriété. Comme M. le rapporteur, je préfère m'en rapporter au second. La commission des lois du Sénat fait d'ailleurs preuve d'une belle constance puisque telle était déjà la position qu'elle avait adoptée à propos de l'indemnisation des avoués.
Au demeurant quelque intéressant sur le plan juridique que soit ce débat, qui devrait faire l'objet de thèses, il n'emporte en fait aucune conséquence réelle sur les conditions de l'indemnisation dès lors qu'est reconnue une valeur à la charge, au droit de présentation.
La commission des lois entend confier à la commission d'indemnisation le soin de fixer réellement la valeur du préjudice subi, de la perte de patrimoine, devrait-on dire, dans la mesure où est reconnue une valeur patrimoniale au droit de présentation. Je me demande, dans ces conditions, comment on pourrait dire qu'il ne fait pas l'objet d'un droit de propriété.
Imaginez qu'un commissaire-priseur décède ; la valeur de sa charge entrera bien dans le patrimoine de sa succession. C'est donc un bien réel et, quoi que l'on puisse dire, par ailleurs, je pense que c'est sur ces bases-là que doit être fixée l'indemnisation.
Il faut donc laisser une certaine souplesse au dispositif et prévoir une garantie, car quelques cas risquent d'être très difficiles. La garantie de 50 % me paraît réaliste, surtout pour un certain nombre de professionnels qui vont abandonner leur activité et qui risquent de se voir entraîner dans des discussions sans fin.
Je me réjouis aussi, monsieur le rapporteur de la commission des lois, que la commission envisage une indemnisation des personnels plus forte que celle qui était prévue par la convention collective, qui est ancienne.
Ce projet de loi entraînera sans doute des bouleversements dans certaines charges. Il faut donc prévoir une indemnisation décente. C'est ce qu'avait fait l'avant-projet de loi. Pour des raisons que nous arriverons peut-être à comprendre - je pense que l'influence de Bercy n'est pas étrangère à l'affaire puisqu'il en coûterait 40 millions de francs - cette indemnisation a été fortement réduite puisqu'on en revient à la simple application de la convention collective. Sur ce point, comme sur les autres, il y a lieu de suivre la commission des lois.
Ce projet de loi arrive bien tard. Certes, il n'est jamais trop tard, mais il est d'autant plus urgent qu'il a tardé à voir le jour. Sans doute ne résoudra-t-il pas tous les problèmes. Nos professionnels, qui sont reconnus dans le monde entier, n'avaient plus, pour des raisons fiscales, pour des raisons d'organisation, les moyens de développer pleinement leur activité. Ce texte leur ouvrira de nouvelles possibilités.
C'est pourquoi mon groupe le votera, assorti des amendements proposés par la commission. Il devrait permettre à la France - du moins je l'espère - de retrouver sa place dans le marché international de l'art. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Lanier.
M. Lucien Lanier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi relatif à la réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques se substitue à celui qui fut déposé le 9 avril 1997 sans cependant - et nous le regrettons profondément - afficher autant d'ambitions.
C'est pourquoi la commission des lois, saisie au fond, comme la commission des finances et la commission des affaires culturelles saisies pour avis - et je voudrais souligner le remarquable travail accompli par MM. les rapporteurs - ont modifié sensiblement le projet déposé par le Gouvernement en premier lieu au Sénat.
L'organisation actuelle des ventes aux enchères effectuées par des commissaires-priseurs, officiers ministériels, jouissant d'un monopole, ne correspondait plus à la réglementation européenne. Ce monopole, voire ce privilège, était d'ailleurs devenu, au fil du temps, une entrave, ce qui explique, parmi d'autres facteurs, la baisse des ventes à Paris, au regard des résultats obtenus par les deux grandes sociétés anglo-saxonnes Sotheby's et Christie's.
Le 10 mars 1995 - l'historique de cette question a été parfaitement exposé dans le rapport de notre excellent collègue M. Dejoie - la Commission européenne a finalement mis en demeure notre pays de se conformer au traité de Rome sur la liberté des prestations de service et sur le droit d'établissement au sein de la Communauté. Il devenait donc indispensable de légiférer, et c'est ainsi que Jacques Toubon, alors garde des sceaux, avait déposé un premier projet de loi dès le début de l'année 1997. Il aura fallu, madame la ministre - je le dis sans aucune acrimonie - plus de deux ans pour que le Gouvernement soumette à nouveau un texte au Parlement. Un tel retard est effectivement préjudiciable.
Il est vrai que la nouvelle réglementation s'inspire fortement du projet de 1997. Elle n'apparaît donc pas foncièrement critiquable. Il suffit simplement de corriger un certain nombre de négligences de rédaction, de supprimer certaines facilités dangereuses et de modifier la composition du conseil des ventes volontaires.
En revanche, le dispositif d'indemnisation mis en place pour les commissaires-priseurs appelle les plus expresses réserves. Le projet de loi porte sur l'organisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, les commissaires-priseurs demeurant seuls compétents, sauf exception, pour organiser les ventes judiciaires.
Après avoir précisé que les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ne peuvent porter, en principe, que sur des biens d'occasion, le texte prévoit que ces ventes seront désormais « organisées et faites par des sociétés de forme commerciale », sauf l'exception prévue en faveur des notaires et des huissiers de justice, dont l'activité est marginale dans ce domaine.
Les sociétés pourront, en fait, revêtir les formes les plus variées et ne seront pas soumises à un tarif réglementé. On ne peut qu'approuver cette souplesse.
Les articles 3 à 15 réglementent l'objet et les conditions de fonctionnement des sociétés de ventes volontaires, le niveau de compétence de leurs dirigeants, associés ou salariés, l'organisation des ventes et les garanties offertes aux vendeurs comme aux acheteurs.
Concernant l'objet des sociétés de ventes volontaires, il est, aux termes de l'article 3, « limité à l'estimation de biens mobiliers et à la réalisation de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ».
Cette rédaction paraît - peut-être à tort - lier l'estimation des biens à leur vente volontaire, c'est-à-dire exclure une activité de conseil, qui était de la compétence des commissaires-priseurs. Il arrive assez souvent, en effet, que l'on demande à ces derniers de procéder à l'estimation de biens mobiliers en dehors de tout intention de vente, notamment dans le cadre de successions ou de partages.
En conséquence, les sociétés de ventes volontaires seront-elles habilitées à procéder à des estimations dans les mêmes conditions ? J'aimerais sur ce point, madame le ministre, obtenir quelques précisions.
Cela dit, sans revenir sur diverses dispositions qui ont été exposées avec talent et analysées en profondeur par MM. les rapporteurs, permettez-moi de relever quelques points.
Ainsi, le deuxième alinéa de l'article 3 reprend, pour les sociétés de vente, qui sont de simples mandataires, l'interdiction traditionnellement faite aux commissaires-priseurs d'acheter ou de vendre pour leur propre compte des biens proposés à la vente aux enchères publiques, mais autorise, à titre exceptionnel, les dirigeants, associés et salariés de ces sociétés à vendre des biens leur appartenant, sous une simple condition de publicité.
La contradiction n'est-elle pas dangereuse ? Je partage, sur ce point, la méfiance de la commission des lois, qui nous propose de supprimer cette exception.
Les garanties prévues par le projet de loi en matière d'organisation et de solidité financière des sociétés de vente, par exemple en matière de niveau de diplômes et de qualification des dirigeants, associés et salariés de ces sociétés, paraissent sérieuses. L'article 7 prévoit en particulier qu'une personne au moins parmi ces dirigeants, associés ou salariés devra remplir les conditions requises pour exercer l'activité de commissaire-priseur, et l'article 8 précise que seules ces personnes seront habilitées à tenir le marteau.
Certaines facilités sont offertes en matière de vente de gré à gré, de prix garanti ou d'avance sur le prix du bien proposé à la vente. Inspirées des pratiques des grandes maisons de vente anglo-saxonnes, ces mesures vont tout à fait dans le sens de cette souplesse nouvelle qu'on ne peut qu'approuver, ainsi d'ailleurs que la réglementation du prix de réserve.
La réglementation du statut des commissaires-priseurs devenant caduque, le projet de loi met en place un conseil des ventes volontaires, doté de la personnalité morale. Il sera notamment chargé d'agréer les sociétés de ventes aux enchères et de vérifier si elles remplissent les conditions requises pour enregistrer les déclarations préalables des ressortissants européens désireux d'organiser des ventes en France. Ce conseil interviendra non seulement en amont mais également en aval puisqu'il pourra s'opposer à l'organisation d'une vente et disposera de compétences disciplinaires.
Le conseil sera composé de personnes qualifiées désignées par les ministres intéressés et par des « représentants des professionnels ». On peut penser qu'il convient d'entendre cette dernière expression au sens large et qu'il pourra s'agir de toute personne travaillant dans une société de ventes, y compris les salariés, et non pas seulement de celles des personnes qui remplissent les conditions requises pour exercer l'activité de commissaire-priseur.
On peut également supposer - car le texte n'en souffle mot, et c'est fâcheux - que les représentants des professionnels seront élus par leurs pairs. Tout autre mode de désignation paraîtrait en effet difficilement acceptable. La commission des lois a d'ailleurs prévu d'introduire dans le texte cette utile précision et de porter à six le nombre des représentants des professionnels.
Les articles 21 à 25 réglementent l'ouverture du territoire français aux ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne concernant les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Le texte répond ainsi aux légitimes exigences des instances communautaires, comme, sans aucun doute, aux intérêts de notre pays : cette ouverture devrait en effet contribuer à « doper » les ventes en France et à renforcer, en particulier, le rôle de la place de Paris dans le marché international des objets d'art.
Demeure le grave problème de l'indemnisation des commissaires-priseurs et, accessoirement - bien que le projet de loi n'en fasse pas mention - celui du régime fiscal qui accompagnera les restructurations inévitablement entraînées par la réforme.
C'est ici, constatons-le à regret, qu'on peut prendre la mesure de l'indifférence du Gouvernement à l'égard du secteur des ventes publiques aux enchères et, plus généralement, du marché de l'art.
On sent bien que ce projet de loi n'est - tardivement - soumis au Parlement qu'en raison de l'obligation d'obéir aux injonctions communautaires et que le Gouvernement considère par trop - je le dis sans acrimonie, croyez-le bien, madame le ministre - que ce secteur d'activité fonctionne essentiellement pour des privilégiés, les commissaires-priseurs étant trop souvent eux-mêmes considérés comme des nantis.
Nous déplorons donc que l'on ne favorise pas comme on aurait pu le faire à l'occasion de cette réforme le marché des objets d'art et que l'on n'indemnise pas de manière équitable des officiers ministériels dont on supprime le monopole.
Remercions ici de son très remarquable travail notre collègue Yann Gaillard, rapporteur pour avis de la commission des finances, qui, conscient de l'importance du marché de l'art dans notre pays, marché qu'il a largement étudié dans un rapport aussi clair que pertinent, s'est prononcé sur le fondement juridique de la suppression des charges des commissaires-priseurs et propose donc une procédure d'indemnisation beaucoup plus juste.
Là où le Gouvernement ne voit qu'une « sorte de servitude d'alignement européenne pesant sur les commissaires-priseurs et accessoirement sur les huissiers et les notaires, dont l'indemnisation ne serait que celle du préjudice au nom de l'égalité devant les charges publiques », la commission des finances, au contraire, distingue très justement un cas de privation et de dénaturation du droit de propriété et considère, en accord avec la commission des lois, que le fondement juridique de l'indemnisation doit être l'expropriation.
En conséquence, la suppression partielle du droit de présentation dont bénéficiaient les commissaires-priseurs doit faire l'objet d'une indemnisation conforme à l'article XVII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
L'analyse du Gouvernement aboutit à réduire de moitié, de façon forfaitaire - et, disons-le, fantaisiste -, l'indemnité due aux commissaires-priseurs, ce qui ne correspond à aucune réalité économique et à aucune justification juridique.
Le projet de loi de 1997 disposait, lui, que les commissaires-priseurs étaient « indemnisés en raison de la suppression du droit de présentation de leur successeur dans le secteur des ventes volontaires », ce qui avait le mérite de la clarté et était conforme à la réalité.
Les modalités de calcul retenues par le Gouvernement sont, en revanche, un modèle de complexité et, souvent, d'arbitraire. Car comment savoir si l'importance de l'endettement contracté par les commissaires-priseurs peut être prise en compte ?
Même si l'on tient compte de la difficulté qu'entraîne le fait que les commissaires-priseurs ne perdent pas l'intégralité de leur monopole et le fait qu'ils auront la faculté de continuer d'exercer leur activité de ventes volontaires, le système proposé par le Gouvernement s'apparente quand même à une quasi-spoliation.
Aussi suivrons-nous notre commission des finances, qui propose le choix entre une indemnité forfaitaire égale à 50 % de la valeur de l'office et une indemnité au cas par cas, laquelle permettrait de compenser le préjudice réel subi par chaque commissaire-priseur.
En outre, notre commission des finances propose une série d'articles additionnels qui organisent le traitement fiscal des apports effectués par les commissaires-priseurs aux sociétés de ventes.
Avec un double souci de justice et d'efficacité économique, elle aménage un cadre fiscal neutre, car il serait effectivement injuste, pour ne pas dire cynique, que des restructurations forcées donnent lieu à la perception d'impôts.
La commission des finances rend applicable l'article 809 du code général des impôts aux apports effectués par la société civile professionnelle ou les sociétés d'exercice libéral non soumises à l'impôt sur les sociétés afin d'éviter que les apports ne soient taxés au taux normal de 8,60 %.
Elle instaure un régime fiscal spécifique pour les commissaires-priseurs parisiens qui feraient des apports par l'intermédiaire de leur compagnie. Cet article est destiné à maintenir la compétitivité de l'Hôtel Drouot, indispensable au dynamisme du marché de l'art.
En outre, un article additionnel aménage le régime fiscal de l'indemnité en l'imposant à 16 % pour la part qui n'est pas affectée au remboursement des emprunts contractés pour l'acquisition de l'office et un report d'impôt en cas de souscription de parts ou d'actions des sociétés de ventes volontaires.
Enfin, il convient de s'interroger sur le montant de l'indemnisation dont pourrait bénéficier le personnel licencié des offices de commissaire-priseur. En l'absence de toute précision dans le projet de loi soumis au Parlement, la commission des lois souhaite introduire un article additionnel après l'article 44 prévoyant une indemnisation équitable de ce personnel.
Mes chers collègues, ce texte, tant attendu à la fois par les professionnels du marché de l'art et par tous ceux qui ont du goût, ce texte que rendait de toute façon nécessaire l'évolution du marché de l'art doit permettre, d'une part, à la France d'éviter de se marginaliser et, d'autre part, d'adapter la profession aux nouvelles donnes du marché. Les mesures prévues et les amendements proposés par nos rapporteurs devraient permettre de dynamiser un marché qui est loin d'être négligeable dans un pays où la spécialisation, sur le plan international, comporte notamment des produits à fort contenu culturel.
C'est pourquoi le groupe du Rassemblement pour la République votera ce texte sous réserve de l'adoption des amendements proposés par nos commissions. (Applaudissements sur les travées du RPR ainsi que sur le banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'Union européenne intensifie chaque jour sa construction. Il convient, comme nous le rappelle ce projet de loi, d'en respecter complètement les bases et grands principes.
Ainsi, le traité de Rome pose, en son article 59, le principe de la libre circulation des services.
En 1992, la société Sotheby's a soulevé la non-conformité de l'organisation des ventes publiques françaises. La Commission européenne ayant été saisie, une première mise en demeure a été adressée à la France en 1995.
Depuis, des propositions inadaptées, émanant de différents gouvernements, et des calendriers parlementaires chargés ont repoussé la discussion de ce texte ; celle-ci, aujourd'hui, ne peut plus être différée.
En tout état de cause, l'organisation des ventes publiques, dont les bases remontent au xvie siècle, et la dimension du marché de l'art, qui représente en France environ 60 % du chiffre d'affaires des ventes publiques, rendent indispensable la modernisation.
Premier au monde il y a plus de cinquante ans, le marché de l'art français a perdu sa place face à New York et à Londres.
Entre 1991 et 1994, le chiffre d'affaires des commissaires-priseurs était compris entre 7,3 milliards de francs et 8 milliards de francs alors que celui de Sotheby's et celui de Christie's étaient de l'ordre de 6 milliards à 7 milliards de francs. En 1997, avec des chiffres d'affaires d'environ 11 milliards de francs, les deux firmes distancent leurs concurrents français de plus de 2,5 milliards de francs.
S'agissant des faiblesses qualitatives, l'excellent rapport de notre collègue Yann Gaillard fournit, là aussi, des chiffres inquiétants. En ce qui concerne, par exemple, la peinture et le dessin, le marché français, en 1997-1998, ne représentait que 5,7 % du marché mondial, c'est-à-dire un chiffre d'affaires d'un peu plus de 830 millions de francs, contre près de 50 % pour les Etats-Unis et près de 30 % pour la Grande-Bretagne.
Prise en compte de l'internationalisation et de la globalisation du marché de l'art, conditions commerciales attractives, énormes opérations de marketing sont autant d'atouts que les Anglo-saxons ont su créer et développer, afin de répondre à une clientèle plus riche et souvent à la recherche d'une plus-value.
Les commissaires-priseurs français ne peuvent plus rivaliser avec de telles firmes. D'ailleurs, Sotheby's vient d'organiser dans les Yvelines, en association avec une étude parisienne, puisque la célèbre maison ne pouvait encore tenir le marteau, la vente aux enchères du mobilier du château de Groussay. Ce fut un succès tant médiatique que financier : les 100 millions de francs espérés pour l'ensemble des 10 000 objets proposés à la vente ont été dépassés dès le troisième jour, sur les cinq prévus, avec 115 millions de francs enregistrés. Les estimations y ont été pulvérisées. Les expositions avant la vente ont attiré en quatre jours 25 000 visiteurs, et de grands marchands internationaux étaient présents.
Il faut permettre à la France de conserver son troisième rang mondial. Notre pays est un berceau et une terre des arts : marchands, collectionneurs, artistes, tous et de tout temps ont considéré notre pays comme un lieu essentiel de développement de l'art.
Les expositions et les musées sont nombreux et fréquentés, tant à Paris qu'en province.
Le patrimoine français est l'un des plus abondants et des plus diversifiés au monde, mais aussi, comme le souligne le président-directeur du Louvre, l'un des plus imprévisibles. Il n'est pas rare, en effet, que des chefs-d'oeuvre perdus ou inconnus réapparaissent ou soient découverts à la faveur du hasard.
La renommée de Paris et celle de l'Hôtel Drouot sont considérables.
La multitude de musées et de galeries ainsi qu'une activité créatrice omniprésente font de Paris une exposition permanente.
Mais il convient aussi de souligner la bonne santé relative des commissaires-priseurs de province, particulièrement sensible après la crise du début des années 1990. Certes, les oeuvres d'art représentent 60 % de leur chiffre d'affaires contre 80 % pour Paris, mais les adjudications d'oeuvres d'art en province ont doublé entre 1987 et 1997, pour une hausse de 55 % à Paris au cours de la même période.
L'art est une caractéristique première de notre pays, et il convient de l'exploiter davantage pour favoriser le marché français : l'art ancien, bien entendu, qui, en dépit des inquiétudes dues aux incertitudes réglementaires qui pesaient sur le marché français en l'absence de cette réforme, reste un secteur très porteur ; mais aussi l'art contemporain, domaine dans lequel la domination new-yorkaise semble maintenant irréversible.
Néanmoins, de nombreux efforts doivent être faits en France : aides accrues aux créateurs et aux galeries, manifestation de plus d'intérêt de la part des médias et développement de la culture artistique dans l'enseignement scolaire sont autant d'axes essentiels pour favoriser la création contemporaine.
Dans le cadre de cette réforme, des adaptations sont nécessaires. Les actuels commissaires-priseurs devront créer des réseaux, s'allier, sans trop bouleverser leur structure première qui permet une flexibilité et une connaissance des marchés régionaux indispensables.
Ils devront, ce dont ils ont déjà pris conscience, affirmer leur présence sur le plan mondial en développant des accords internationaux.
Enfin, le développement du commerce électronique, l'intégration des nouvelles technologies dans leur méthode de travail deviennent aujourd'hui indispensables.
La transition sera, certes, difficile, mais cette réforme des ventes publiques aux enchères devra être rapide pour défendre efficacement la place du marché de l'art français.
Madame la ministre, nous nous félicitons que la loi sur les commissaires-priseurs puisse voir le jour rapidement malgré le retard important qui a été pris. Mais, en complément, une réforme indispensable pour la protection de notre patrimoine est réclamée par tous. En effet, le souci de la protection du patrimoine mobilier qui s'est développé à partir de la fin du siècle dernier en raison des achats d'oeuvres, et qui a coïncidé avec l'enrichissement considérable des collectionneurs américains, a obligé l'Etat à mettre en place un arsenal juridique et réglementaire. Celui-ci comprend le droit de préemption dans les ventes publiques, le droit de rétention, le droit d'interdire l'expatriation et le droit de classer d'office un objet au titre des monuments historiques.
La constitution, par l'Union européenne, d'un marché unique à partir de 1993 a rendu nécessaire la révision de cette législation étroitement protectionniste.
L'article 36 du traité de Rome prévoit des exceptions au principe de la libre circulation des marchandises, qui sont justifiées par des raisons de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique. Tel était l'objet de la loi du 31 décembre 1992, qui s'avère aujourd'hui insuffisante et nécessite une réforme qui devrait tendre à favoriser l'acquisition, par la puissance publique, des trésors nationaux, à un prix fixé par référence au marché international.
Plusieurs mesures sont réclamées d'urgence, je citerai, entre autres, l'augmentation de la durée de validité du certificat d'exportation de biens culturels qui n'ont pas le caractère d'un trésor national et la création d'une procédure d'acquisition de gré à gré des trésors nationaux, proche de celle qui a fait ses preuves au Royaume-Uni. A défaut d'accord amiable, deux experts seraient désignés, l'un par l'Etat, l'autre par le propriétaire, qui rendraient leur avis sur la valeur de l'oeuvre. En cas de divergence, un tiers expert, à l'avis déterminant, serait désigné d'un accord commun.
Je sais, madame la ministre, que des certificats pour des oeuvres de Cézanne, Degas, Picasso, Renoir arriveront à expiration cette année. Nous comptons sur vous et sur le Gouvernement pour que soit inscrit d'extrême urgence à l'ordre du jour du Parlement, un projet ou une proposition de loi permettant de sauvegarder notre patrimoine national et complétant le texte que nous sommes en train d'élaborer. Je le répète, il y a urgence. (Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. les rapporteurs pour avis applaudissent également.)
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je n'ai pu, malheureusement, assister à l'intervention de ma collègue Elisabeth Guigou, qui a été obligée de s'absenter. Je dois dire que j'ai plaisir à pouvoir m'associer à la fois au travail qu'elle a réalisé et aux orientations qu'elle vous a présentées.
Au travers des rapports, excellents et extrêmement instructifs, mais aussi des interventions qui viennent d'être prononcées, vous avez souhaité montrer l'importance de cette réforme pour le marché de l'art français. Bien entendu, le Gouvernement en est particulièrement convaincu.
L'ensemble des rapports qui ont été présentés ce matin partagent, dans leurs grandes lignes, le souci de mettre en oeuvre le dispositif le mieux adapté permettant de répondre à la nécessité d'une ouverture européenne du marché tout en assurant - cela a été dit ici avec force, me semble-t-il, - la compétitivité des professionnels français.
Je souhaite remercier M. Dejoie, rapporteur de la commission des lois, qui a su mettre en valeur les aspects protecteurs du projet de loi à l'égard du consommateur et les garanties apportées aux professionnels. Il est effectivement très important que l'ouverture du marché ne vienne pas compromettre la grande qualité de notre système de ventes publiques.
M. Gouteyron, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, a souligné les avancées contenues dans ce projet de loi, notamment en ce qui concerne les ventes de gré à gré et le statut des experts. Les conditions d'application du développement des ventes sur Internet méritent, en effet, d'être précisées, en particulier en ce qui concerne l'exercice du droit de préemption.
Enfin, M. Gaillard, rapporteur pour avis de la commission des finances, a précisé quelle était l'évolution économique actuelle du marché de l'art dans notre pays. Il a insisté, à juste titre, sur les mesures d'accompagnement de la réforme en matière de fiscalité : la TVA à l'importation, le droit de suite et les autres taxes qui pénalisent aujourd'hui le marché intérieur ou la position de la France au sein du marché européen et international.
Sur ce point, monsieur Gaillard, le Gouvernement partage pleinement votre souci d'aboutir, dans les plus brefs délais, à une harmonisation européenne de la fiscalité du marché de l'art. L'étude qui a été réalisée au niveau de la Commission européenne démontre que le marché français a été pénalisé par cette distorsion dans l'application des dispositions fiscales.
Je reviendrai, lors de l'examen des articles, sur les différentes questions qui ont été évoquées dans la discussion générale, afin d'expliquer la position du Gouvernement. Mais je tiens, d'ores et déjà, à saluer la grande qualité du travail d'analyse, de réflexion et de proposition de l'ensemble des commissions, qui contribuera, j'en suis certaine, à améliorer le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui.
M. Bret s'est montré très pessimiste sur l'avenir du marché français. Je ne peux pas partager ce sentiment, car nous ne devons pas partir perdants en la matière, même si nous sommes tous conscients des difficultés qui existent.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement permet d'ouvrir le marché, afin de dynamiser le secteur. Il donne aussi des garanties quant aux éléments qui en ont fait sa réputation : exigence non seulement dans la déontologie des ventes publiques, mais aussi dans la qualité scientifique et artistique.
En ce qui concerne la vente qui a été réalisée récemment par la société Sotheby's, deux commissaires-priseurs parisiens y ont prêté leur concours, dans le respect de leurs obligations. La vente a donc eu lieu dans des conditions régulières.
Par ailleurs, je ne partage pas l'affirmation de Mme Derycke selon laquelle la profession de commissaire-priseur allie art, argent et justice. Nous devons trouver la façon de faire évoluer ce lien qui, parfois, n'est pas toujours compris par l'ensemble de nos concitoyens.
Il s'agit d'une profession qui conserve une part de rêve. Dans le projet de loi figure encore la référence à la « folle enchère ». Il faut que nous puissions, pour la défense du français, faire comprendre combien ces expressions ont un sens : elles sont la fierté d'un métier ! Toutefois, le rêve ne doit pas empêcher de faire face aux réalités économiques. Je crois, comme vous, que le présent projet de loi répond aux exigences de liberté, de sécurité et de transparence auxquelles nous sommes tous attachés.
Je souhaite dire à lui que les compétences de nos professionnels sont pleinement reconnues à l'étranger. Je crois, comme lui, que l'un des défis qu'ils ont à relever est d'être plus entreprenants pour s'implanter et travailler hors de nos frontières. Ce texte y contribuera, et je remercie le groupe de l'Union centriste de bien vouloir l'approuver, sous réserve, bien entendu, de l'adoption d'amendements.
Par ailleurs, contrairement à ce qu'a indiqué M. Lanier, le projet du Gouvernement me paraît plus ambitieux que le précédent : les dispositions les plus judicieuses ont été reprises, en tenant compte de l'ensemble des pratiques et en les encadrant, ce qui permettra d'améliorer l'essor du marché.
En revanche, il est certain que les mesures proposées dans ce texte sont moins onéreuses, ce qui nous évitera un recours tendant à contester les aides de l'Etat.
Nous n'avons pas voulu, précisément, prévoir un alignement. Il aurait suffit, dès lors, de permettre la libre prestation de services.
M. Lagauche a cité des chiffres qui permettent de mesurer la place de la France dans le marché. Il nous a fait part de son souci de voir compléter le dispositif par un projet ou par une proposition de loi relatif aux objets mobiliers et, en particulier, à l'exercice du droit de préemption que l'Etat peut exercer.
La France dispose d'un patrimoine particulièrement riche auquel nous sommes attachés. Mais c'est aussi la raison pour laquelle nous risquons de plus en plus de voir des ventes concernant des objets patrimoniaux français se réaliser à l'extérieur de notre pays. L'enjeu consiste non pas à nous situer plus haut à l'exportation, mais, au contraire, à conforter notre place à l'importation, de façon à consolider fermement le marché de l'art en France.
La France est un lieu privilégié pour sa culture et son patrimoine et je ne doute pas du dynamisme de tous les acteurs du marché.
Je pense, comme vous, qu'il est indispensable d'améliorer le dispositif en ce qui concerne la circulation des oeuvres d'art.
Par ailleurs, je rappellerai que nous sommes extrêmement exigeants et vigilants en ce qui concerne la dégradation des châteaux et le comportement, que j'estime tout à fait préjudiciable, de certains propriétaires qui pillent ou laissent détruire leur bien. Nous avons ainsi souhaité mettre en oeuvre le droit qu'a l'Etat de retirer la propriété à ceux qui ne respectent pas des bâtiments classés.
Autant nous voulons protéger notre patrimoine, autant nous devons réguler ce marché et rendre les professionnels français parfaitement à même d'y être bien présents pour répondre à ce souci, en associant l'intérêt public, celui des propriétaires et des professionnels. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Chapitre Ier

Les ventes volontaires de meubles
aux enchères publiques

Article 1er