Séance du 17 juin 1999
M. le président. Par amendement n° 202, M. Badinter propose de supprimer le texte présenté par l'article 7 pour l'article 113-6 du code de procédure pénale.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Comme l'a souligné M. le rapporteur, cet amendement est directement lié à ce que nous avons dit précédemment concernant le statut du témoin assisté.
Pour que notre texte revête toute sa portée, il est absolument nécessaire que soit bien marquée la distinction entre le témoin assisté et le mis en examen.
La mise en examen doit être prononcée lorsqu'il existe des indices « graves ou concordants », puisque le Sénat en a décidé ainsi, sur proposition du Gouvernement. J'aurais préféré, pour ma part, qu'on en reste à la formule traditionnelle, « graves et concordants », mais peu importe !
A partir du moment où de tels indices sont réunis, c'est qu'existent contre la personne en cause des charges si sérieuses qu'elle doit devenir partie au procès pénal, avec tous les droits que cela implique.
On pourrait presque dire depuis toujours, en tout cas depuis le code de l'instruction criminelle, il est un principe fondamental de la procédure pénale qui veut que, lorsque se trouvent réunis contre une personne des indices graves et concordants, le juge d'instruction doit l'inculper ou, selon la nouvelle terminologie, le mettre en examen.
Il s'agit précisément de faire en sorte que cette personne bénéficie de tous les droits de la défense. C'est pourquoi on a toujours considéré que devaient être frappés de nullité les actes de procédure pris à l'encontre d'un justiciable qui, au lieu d'être mis en examen comme il aurait dû l'être, a continué à être traité en simple témoin.
Dans la mesure où nous voulons que le témoin assisté n'ait droit qu'à l'assistance d'un avocat et à la connaissance du dossier, c'est-à-dire qu'il ne puisse pas bénéficier des autres droits accordés à la personne mise en examen - voies de recours, etc. - nous revenons à la situation antérieure : il n'est pas possible au juge d'instruction, même si cela l'arrange, de laisser dans la situation de témoin assisté celui contre lequel il existe des charges suffisamment graves pour qu'il soit mis en examen et accède ainsi à la totalité des droits de la défense, sauf à courir le risque de voir toute la procédure annulée.
Si j'ai tenu à déposer cet amendement, c'est parce qu'il convient de maintenir ce qui est à la fois une garantie pour le justiciable, une sauvegarde pour le magistrat instructeur et l'assurance de ne pas voir des procédures annulées pour une mise en examen tardive, ce qui constitue toujours une violation substantielle des droits de la défense.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je l'ai déjà indiqué, la commission des lois est favorable à cet amendement, qui permet de « boucler » le système.
En effet, il faut absolument que le juge d'instruction soit obligé de mettre en examen une personne contre laquelle existent des indices graves et concordants : dès que ceux-ci apparaissent, elle ne peut plus être ni témoin ni témoin assisté, elle doit être mise en examen.
Par conséquent, on ne saurait admettre que les dispositions du premier alinéa de l'article 105 ne soient pas applicables à la personne entendue comme témoin assisté, puisque c'est précisément cet article qui prévoit la nullité dans le cas où l'on a continué à entendre comme témoin quelqu'un contre qui existent des indices graves et concordants.
Avec l'amendement n° 202, le système est cohérent, comprenant les trois étages qu'a évoqués M. Haenel.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ainsi que je l'ai laissé entendre tout à l'heure, dans un premier mouvement, je n'étais pas favorable à cet amendement. A la réflexion, je crois que je vais adopter une position moins négative.
En effet, en l'absence de la modification introduite par l'amendement n° 201, il y aurait indiscutablement un risque à rétablir l'application au témoin assisté des dispositions de l'article 105 sanctionnant les mises en examen tardives : celui de voir les juges d'instruction renoncer à appliquer la procédure du témoin assisté précisément pour éviter les foudres de l'article 105.
Plusieurs d'entre eux l'ont dit à la Chancellerie lors des travaux préparatoires : ils se demandent s'ils ne risquent pas de s'exposer à la nullité de la procédure pour mise en examen tardive d'une personne qui était témoin assisté. C'est d'ailleurs ce qui explique que l'actuelle procédure du témoin assisté soit rarement utilisée.
M. Michel Charasse. Tout à fait !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il est vrai que, pour éviter la nullité, les juges vont recourir plus vite à la mise en examen, voire y recourir d'emblée. Il est évident que si ce risque est écarté du fait de la non-application du premier alinéa de l'article 105, soit la personne sera mise en examen plus tard, soit, et c'est là l'intérêt, elle ne sera jamais mise en examen.
Voilà pourquoi je pensais qu'il était préférable de ne pas appliquer au statut des témoins assistés cette sanction pour mise en examen tardive.
Dès lors que l'adoption de l'amendement n° 201 permet de mieux distinguer le statut de mis en examen et celui de témoin assisté, je me demande si ce risque n'est pas minimisé. Je ne suis pas, pour autant, absolument certaine qu'il soit dissipé.
Je vais donc m'en remettre à la sagesse du Sénat, étant entendu que, au cours de la navette, nous devrions réfléchir plus avant à cette question afin de nous assurer que ce risque n'est pas trop grand.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 202.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Effectivement, il ne faut pas qu'on entende comme témoin une personne qui devrait être mise en examen. Cependant, nous voulons aussi éviter que la mise en examen soit systématique. Or le juge peut être tenté, pour se prémunir contre toute nullité, de mettre l'intéressé en détention.
C'est pourquoi, dans un premier temps, j'étais contre votre amendement, monsieur Badinter, considérant que les juges d'instruction risquaient fort de garder leurs habitudes et de continuer à ne pas utiliser la procédure du témoin assisté, parce qu'il est beaucoup plus simple pour eux de mettre en détention.
Je crois que le principal intérêt du témoin assisté se manifeste lorsqu'il y a plainte avec constitution de partie civile. Aujourd'hui, en effet, plainte avec constitution de partie civile signifie mise en examen automatique. C'est ainsi que beaucoup de responsables sont mis en examen sans qu'il y ait la moindre intervention du parquet.
On peut voter cet amendemnet, mais il faut bien réfléchir à ses conséquences. En étant trop restrictif, ne risque-t-on pas de priver totalement de ses effets la procédure du témoin assisté que nous voulons promouvoir ?
M. Hubert Haenel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Nous sommes tout à fait favorables à l'amendement que vient de présenter M. Badinter.
Il me paraît toutefois nécessaire de préciser que nous sommes là en cohérence avec ce que nous avons voté à l'article 3 bis.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 202, accepté par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, le texte proposé pour l'article 113-6 du code de procédure pénale est supprimé.
ARTICLE 113-7 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE