Séance du 30 juin 1999
M. le président. Je suis saisi, par M. Gélard, au nom de la commission des lois, d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat,
« Considérant que, opposé au principe même du pacte civil de solidarité, le Sénat avait, en première lecture, adopté un dispositif alternatif, simple et cohérent, à partir duquel il était envisageable qu'un accord entre les deux assemblées puisse se dessiner ;
« Regrettant que l'Assemblée nationale n'ait pas saisi cette possibilité d'ouverture, mais ait, au contraire, en deuxième comme en nouvelle lecture, marqué sa volonté d'imposer à tout prix une construction juridique hybride et inapplicable, devenue d'autant plus inutile qu'elle a accepté de reconnaître le concubinage ;
« Constatant que l'Assemblée nationale a, en nouvelle lecture, rétabli intégralement son texte de deuxième lecture auquel le Sénat avait opposé une question préalable ;
« Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 429, 1998-1999). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, auteur de la motion.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vais être extrêmement bref parce que tout a été dit et qu'il n'est pas besoin d'ajouter quoi que ce soit.
Je relèverai tout de même deux points.
Premièrement, je regrette que les propositions que nous avions faites n'aient pas été jugées bonnes par l'Assemblée nationale. Sur la base des travaux du Sénat, nous aurions vraisemblablement pu trouver un terrain d'entente.
Deuxièmement, mes chers collègues, lorsque vous lirez le Journal officiel qui retracera les débats d'aujourd'hui, vous constaterez que pas le moindre propos homophobe n'a été tenu dans cet hémicycle.
M. Henri de Richemont. C'est vrai !
M. Josselin de Rohan. C'est juste !
M. Patrice Gélard, rapporteur. C'est là un élément capital car certains nous ont accusés de ce genre de réaction.
Je dois dire que, au contraire, c'est une profonde compréhension à l'égard des problèmes des couples homosexuels qui s'est manifestée tout au long de ce débat.
M. Serge Lagauche. Il y a eu un état d'esprit homophobe !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Absolument pas ! Vous n'avez pas le droit de dire cela ! C'est inacceptable !
M. Serge Lagauche. Chacun son point de vue !
M. Patrice Gélard, rapporteur. C'est de la mauvaise foi totale ! Vous vous accrochez à un mauvais texte et vous vous acharnez à le défendre en lançant contre nous des accusations qui ne tiennent pas la route ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - Protestations sur les travées socialistes.)
Pour les différentes raisons que j'ai invoquées, j'ai déposé une motion tendant à opposer la question préalable : la logique de ce que nous avons dit au cours des précédentes lectures doit nous conduire à refuser de discuter aujourd'hui le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?...
Madame le ministre, souhaitez-vous donner l'avis du Gouvernement ? (Mme le garde des sceaux fait un signe de dénégation.)
M. Emmanuel Hamel. Répondez, madame le ministre !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Le silence de la gauche et le silence du ministre m'étonnent. Je ne sais pas comment les intrepréter.
M. Emmanuel Hamel. C'est un aveu de culpabilité !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Ou bien ils n'ont plus aucun argument à nous opposer ; c'est possible.
M. Adrien Gouteyron. C'est cela !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Ou bien ils entendent marquer par ce silence une sorte de manque de considération à l'égard de notre débat ;...
M. Josselin de Rohan. Vous avez tout compris !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... c'est possible aussi.
En tout cas, quel que soit le motif de ce silence, je le regrette. Je le regrette parce que nous avons essayé, tout au long de ce débat - la façon dont nos rapporteurs ont travaillé en témoigne tout particulièrement - d'apporter des solutions constructives.
Au cours des entretiens que seule la commission des lois du Sénat a eus - au contraire de ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale - et qui nous ont occupés pendant de longues heures, nous avons entendu l'expression d'opinions extraordinairement divergentes, d'où il ressortait qu'il n'y avait pas, sur ce problème, une demande sociale réelle. Certes, il y avait une demande partielle, venant du milieu homosexuel, et nous avons compris cette démarche.
C'est à partir de ces auditions que nous nous sommes efforcés de bâtir une solution acceptable.
Je vous ai dit, madame le garde des sceaux, que ce texte ferait une mauvaise loi, et cela, je le dis rarement. Je vous ai dit aussi que, quelle que soit la majorité que l'on détient, on n'a pas le pouvoir de tout faire, surtout lorsqu'on sait que certaines des mesures que l'on veut prendre vont à l'encontre de l'image qu'une société peut avoir d'elle-même.
Je me souviens de ce propos scandaleux que, il y a déjà quelque temps, l'un des vôtres avait tenu dans l'autre enceinte parlementaire : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires. » Cette fois, nous n'avons certainement pas juridiquement tort, et l'expérience montrera que nous avons eu raison en vous mettant en garde contre un certain nombre de conséquences qui sont inéluctables.
Notre ami Alain Lambert, parmi d'autres, avec la maîtrise financière et juridique qui est la sienne, a parfaitement mis en relief les éléments de ce texte qui seront générateurs d'un contentieux quelquefois inextricable. D'ailleurs, j'entends dire que des magistrats se préoccupent déjà de ce qu'ils devront faire pour essayer d'appliquer cette loi lorsque les premières contestations apparaîtront, car elles ne manqueront pas d'apparaître !
Vous n'avez pas tenu compte de nos remarques, madame le ministre. C'est votre droit le plus strict puisque, pour le moment, vous avez dans ce pays une certaine majorité - je ne dirai pas une majorité certaine. Vous agissez donc à votre guise, et nous en prenons acte.
Je tiens à saluer, une fois de plus, la qualité du débat que nous avons eu. Je remercie tous les intervenants qui ont fait valoir leur point de vue, et singulièrement Patrice Gélard et Philippe Marini qui ont excellemment su exprimer notre pensée profonde.
Je crois que nous pouvons être fiers du travail que nous avons accompli. Le reste vous appartient.
Vous ferez voter ce texte quand vous le voudrez et comme vous le voudrez, mais je ne suis pas sûr qu'en agissant comme vous le faites vous serviez véritablement les intérêts de la société. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 1.
Mme Dinah Derycke. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. J'ai indiqué d'emblée, lors de la discussion générale, que le groupe socialiste voterait contre la motion tendant à opposer la question préalable. C'est pourquoi je ne me suis pas exprimée contre cette motion, à cette heure tardive, sachant par ailleurs que d'autres textes importants sont inscrits ce soir à notre ordre du jour.
Je l'ai déjà dit, à mon sens, tous les arguments ont déjà été avancés lors des deux précédents débats.
Je dois avouer que, malgré de très longues interventions, je n'ai pas entendu aujourd'hui un seul argument nouveau. En revanche, ce que j'ai entendu, ce sont certains propos offensants. Ainsi, dans la dernière intervention de la discussion générale, ce qui a été dit à propos de la famille avait de quoi blesser ceux qui siègent de ce côté-ci de l'hémicycle.
Comme M. Bret l'a rappelé, la famille n'est ni de droite ni de gauche, et ce procès qui nous est sans cesse fait ici, selon lequel nous serions contre les familles, finit par devenir intolérable. C'est ainsi que je le ressens, non seulement en tant que citoyenne, mais aussi en tant que femme.
J'estime qu'il y a des mots qui ne devraient pas être prononcés à cette tribune...
MM. Henri de Raincourt et Josselin de Rohan, Comme « homophobes » !
Mme Dinah Derycke. ... quand il est question de la famille, même s'il existe, comme il est normal, des divergences sur la politique à mener en direction des familles.
Au cours de ces dernières heures, vous nous avez donné, chers collègues de la majorité sénatoriale, une démonstration éclatante de votre volonté de freiner l'adoption du PACS...
M. Henri de Richemont. De l'empêcher !
Mme Dinah Derycke. ... et de faire en sorte qu'il ne puisse pas revenir aujourd'hui devant l'Assemblée nationale.
Empêcher est le mot juste, monsieur de Richemont, mais vous ne l'empêcherez pas, et vous le savez pertinemment. C'était un baroud d'honneur.
M. Henri de Richemont. Justement, c'est notre honneur !
M. Jean Chérioux. Et notre droit !
Mme Dinah Derycke. C'était votre droit, en effet, mais force est de constater que vous n'étiez pas sincères quand vous nous disiez hier que le débat se prolongeait parce qu'il s'agissait d'un sujet très important...
M. Henri de Raincourt. Et c'est vrai !
Mme Dinah Derycke. ... et que vous n'y mettiez aucune malice.
Nous avons bien vu, depuis que le débat a repris cet après-midi, que c'était plus que de la malice : c'était une volonté délibérée de retarder l'adoption du PACS.
M. Josselin de Rohan. N'a-t-on plus le droit de s'expliquer ? C'est formidable !
Mme Dinah Derycke. Pour conclure, je voudrais rendre hommage à Mme la garde des sceaux, pour le courage dont elle a témoigné depuis que ce texte est en discussion...
M. Josselin de Rohan. Elle n'était pas menacée !
Mme Dinah Derycke. Certes, mais je peux tout de même rendre hommage à son courage, à sa détermination, à sa volonté de faire aboutir ce texte... ainsi qu'à sa patience - vous la lui reconnaîtrez, chers collègues -...
M. Bernard Murat. C'est son métier !
Mme Dinah Derycke. ... et enfin à la courtoisie dont elle a toujours fait preuve. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Bernard Murat. Et nous aussi !
M. Philippe Nogrix. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Récemment élu dans cette assemblée, je pensais que l'on savait d'où venait la tolérance.
Il est vrai que, quand nous avons été saisis de ce texte, notre éducation et les valeurs qui sont les nôtres auraient pu nous conduire à être franchement contre. Cependant, au fur et à mesure des auditions que nous avons menées et de l'étude de ce problème, nous avons été amenés à penser qu'il y avait quelque chose à faire, et notre commission, par la voix de son excellent rapporteur, dont je salue le travail, nous a fait des propositions. Cela a démontré qu'il était possible de légiférer sur cette question autrement qu'en modifiant hativement les règles de la société.
Ce soir, avec mes collègues de l'Union centriste, je suivrai la proposition qui nous est faite par le rapporteur, et je suis déçu, en tant que parlementaire, de ne pas avoir entendu de réponse de Mme le garde des sceaux, car il y avait des arguments qui appelaient une prise de position d'un ministre de la République. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet de la proposition de loi.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, de la commission des lois, l'autre, du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires,
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 105:
Nombre de votants | 316 |
Nombre de suffrages exprimés | 315 |
Majorité absolue des suffrages | 158 |
Pour l'adoption | 213 |
Contre | 102 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
En conséquence, le projet de loi est rejeté.
Rappel au règlement