Séance du 30 juin 1999
INNOVATION ET RECHERCHE
Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi
(n° 404, 1998-1999), modifié par l'Assemblée nationale, sur l'innovation et la
recherche. (Rapport n° 452 [1998-1999] et avis n° 453 [1998-1999]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de
venir devant vous pour présenter le projet de loi sur l'innovation et la
recherche, que vous allez examiner en deuxième lecture.
Ce texte, étudié dans un esprit de large participation, a été enrichi au cours
de la discussion parlementaire. A cet égard, je rappelle qu'il reprend, en les
complétant et en les élargissant, des dispositions de la proposition de loi
déposée ici même par MM. Laffitte et Gouteyron, et dont le Sénat unanime avait,
en octobre dernier, souhaité l'adoption rapide.
Ce projet de loi comporte quatre volets principaux dont l'objectif est unique
: encourager dans toutes ses dimensions la création d'entreprises
innovantes.
M. Jean-Guy Branger.
Très bien !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
A cet effet, je voudrais vous apporter une précision. Le concours d'entreprises
innovantes a eu lieu et le jury, présidé par M. Jean-Louis Beffat, a statué :
soixante-dix-huit entreprises innovantes sont prêtes à être créées
immédiatement, cent quatre-vingt-six pouvant l'être d'ici au 1er janvier
prochain.
M. Jean-Guy Branger.
C'est excellent !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Le premier volet concerne la mobilité des hommes et des femmes de la recherche
dans l'entreprise. Il s'agit d'autoriser les chercheurs et les enseignants
chercheurs à participer à la création d'entreprises, à faire de la consultance,
à siéger dans les conseils d'administration.
Le deuxième volet a trait aux relations entre, d'une part, les organismes de
recherche ou les universités et, d'autre part, les entreprises. Il s'agit
notamment de créer les « incubateurs », afin de soutenir la création
d'entreprises innovantes. J'ajoute que, dans le plan U3M, le plan université du
troisième millénaire, cela concerne aussi les plates-formes technologiques.
A ces deux volets qui formaient l'ossature du projet de loi s'ajoutent
désormais un volet fiscal important et un volet consacré au droit des sociétés
!
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce n'est pas ce qu'il y a de mieux !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Le volet fiscal a été significativement enrichi lors de l'examen du texte en
première lecture au Sénat. Des amendements, notamment ceux qui ont été proposés
respectivement par M. Laffitte, pour M. Trégouët et pour M. Renar, ont permis
d'améliorer le dispositif des BSPCE, les bons de souscription de parts de
créateurs d'entreprises, des fonds communs de placement dans l'innovation -
FCPI - et du crédit d'impôt recherche.
Enfin, le Gouvernement a retenu, à l'Assemblée nationale, un amendement, porté
par des parlementaires de divers horizons - socialistes, gaullistes et libéraux
- visant à modifier le droit des sociétés pour constituer un cadre juridique
adapté aux entreprises innovantes.
Au terme de la discussion parlementaire, vous est donc présenté un projet de
loi visant à transformer la science et la technologie en croissance et en
emplois.
Il est essentiel que ce projet de loi soit adopté au plus vite afin que la
France puisse rattraper son retard en matière de création d'entreprises à
partir de la recherche publique.
Ce retard est dû à plusieurs causes, notamment à celle à laquelle nous nous
attelons aujourd'hui, à savoir un appareil législatif inadapté, qui ligote à la
fois les établissements et les chercheurs, et les empêche d'investir
légalement, de créer des entreprises, de transférer leurs connaissances.
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est la société administrée !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Par ce projet de loi, nous ne prétendons pas résoudre l'ensemble des problèmes
qui se posent à la recherche, ni ceux que connaît le monde économique. Il faut
poursuivre la réorganisation de la recherche fondamentale, en renforçant notre
effort dans les domaines sicentifiques prioritaires. Il faut poursuivre le
transfert des découvertes dans le monde économique. J'aurai l'occasion, au
cours du débat budgétaire, de vous en dire plus sur ces deux sujets.
Cependant, ce projet de loi est un préalable nécessaire et indispensable. Je
vous demande donc de le voter conforme, même si, je le sais, vous avez déposé
un amendement sur ce que l'on appelle, dans un franglais désormais établi, les
stock options...
M. Emmanuel Hamel.
Hélas !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
... et que, pour ma part, je préfère qualifier d'« options de participation
».
M. Emmanuel Hamel et plusieurs sénateurs de l'Union centriste.
Très bien !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Ces dispositions, qui viennent en sus des BSPCE, concernent, comme je vous l'ai
dit en première lecture, bien autre chose que les entreprises innovantes et la
création d'entreprises.
Le Gouvernement est favorable à un réexamen du problème des
stock options,
et mon collègue Dominique Strauss-Kahn a été chargé par le Premier ministre
de présenter un projet au Parlement à l'issue d'une très large concertation
avec l'ensemble des parlementaires - donc des sénateurs - sur ce sujet. Vous en
discuterez donc à nouveau à l'occasion de la discussion du projet de loi de
finances pour 2000.
Je ferai simplement remarquer qu'en dissociant ce problème des
stock
options
...
M. Emmanuel Hamel.
Ne dites pas «
stock options
» ! Parlez français !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Vous avez raison, monsieur le sénateur : ces options de participation...
M. Emmanuel Hamel.
Voilà !
M. Jean Arthuis.
... et de souscription !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Non ! Je préfère l'expression « options de participation » ; elle est plus dans
la tradition française, et même dans la tradition gaulliste.
En dissociant, donc, ces options, je n'ai fait que suivre la Haute Asssemblée
puisque la proposition de loi sur la création d'entreprises innovantes par les
chercheurs, déposée par MM. Gouteyron et Laffitte et votée ici même à
l'unanimité le 22 octobre dernier, ne comportait aucune disposition concernant
les
stock options
.
M. Emmanuel Hamel.
Les options de participation !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Parlons de bons de participation, et je vous donne le droit, monsieur le
sénateur, de me censurer chaque fois que j'utiliserai l'expression
stock
options
! Je me laisse entraîner, ce qui est très mal !
(Sourires.)
En conclusion, je souhaite que vous approuviez ce projet de loi.
Nous savons tous que les frères Lumière ont inventé le cinéma au début du
siècle...
M. Emmanuel Hamel.
A Lyon !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
... mais que c'est Hollywood qui en tire aujourd'hui les plus gros
bénéfices.
Evitons que les découvertes des Charpak, de Gennes et Chambon ne fassent dans
les prochaines années la richesse de la route 128 à Boston ou de la Silicon
Valley en Californie !
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines
travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. Emmanuel Hamel.
Okay !
(Rires.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Laffitte,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons tous ici à
quel point est essentielle l'innovation, source de création de richesses.
Lorsque nous avons examiné en première lecture le projet de loi présenté par
M. Claude Allègre, projet qui faisait suite, M. le ministre vient de le
rappeler, à une proposition de loi que nous avions déjà adoptéee ici même, nous
avons sensiblement élargi le dispositif prévu sur un certain nombre de points,
pour amorcer la mise en place d'un cadre financier et fiscal favorable à
l'innovation.
L'Assemblée nationale s'est inconstestablement montrée moins audacieuse, ou
moins innovante, que le Sénat. Elle n'a pas retenu certains des dispositifs que
nous proposions, en particulier celui qui tendait à favoriser le développement
de l'assurance-protection juridique à l'égard de la contrefaçon de brevets,
mais nous avons pu relancer dans le même temps la réflexion sur ce sujet
capital grâce à des réunions qui se sont tenues sur l'initiative du groupe
d'études « Innovation et entreprise » au Sénat. Le problème pourra donc sans
doute trouver une solution sans qu'il soit besoin d'une intervention
législative.
J'espère, monsieur le ministre, que vous nous confirmerez que les PME
innovantes pourront prochainement disposer de produits d'assurance adaptés à la
protection juridique de l'innovation. L'un de vos collaborateurs était
d'ailleurs présent lors de cette réunion.
L'Assemblée nationale a également rejeté le dispositif relatif au régime des «
bons de participation », monsieur Hamel, qui avait été introduit sur
l'initiative de la commission des finances.
Sur le fond, je suis profondément en accord avec la commission des finances.
M. le ministre vient de rappeler que le Gouvernement partageait ce point de vue
et que M. Strauss-Kahn s'engageait à soumettre ce dispositif à la discussion
des groupes parlementaires tant de l'Assemblée nationale que du Sénat à
l'occasion de l'examen du prochain projet de loi de finances.
Je suis donc, pour ma part, satisfait puisque, lors du débat d'orientation
bugétaire, aussi bien M. Trégouët que moi-même avions évoqué ce problème en
séance publique.
L'Assemblée nationale a par ailleurs retenu, sur un certain nombre de points,
les améliorations introduites par le Sénat. Elle a ainsi approuvé la
prolongation du régime des bons de souscription de parts de créateurs
d'entreprise ainsi que l'élargissement de ce dispositif aux sociétés cotées sur
un marché de valeurs de croissance. Elle a également élargi sensiblement le
champ d'intervention des fonds communs de placement dans l'innovation, ce qui
est un élément très important.
L'Assemblée nationale, a, en outre, adopté quelques articles additionnels,
dont l'un, en particulier, élargit la possibilité de constituer des sociétés
par actions simplifiées, ou SAS, ce qui peut sans doute poser quelques
problèmes mais qui répond aux préoccupations qui nous avaient conduits, M. René
Trégouët et moi-même, à proposer de créer des entreprises à partenariat
évolutif. Mais le recours à la SAS, pourra permettre d'organiser de façon plus
souple les relations entre apporteurs de capitaux et apporteurs de
compétences.
Permettez-moi une remarque sur un autre des articles additionnels introduits
par l'Assemblée nationale, qui donne à l'inspection générale de
l'administration de l'éducation nationale, l'IGAEN, la possibilité de contrôler
les organismes bénéficiant directement ou indirectement de concours publics,
ainsi que ceux qui sont autorisés à collecter des ressources auprès du
public.
Il serait souhaitable, monsieur le ministre, de préciser les limites de ce
contrôle. En effet, ce texte pourrait permettre à l'IGAEN, par exemple, de
contrôler la totalité des entreprises qui auraient obtenu un soutien à
l'intérieur d'un incubateur. Ce serait alors permettre le contrôle de
l'ensemble de l'économie française.
Sur ce point, nous avons le sentiment que ce texte est très attendu, non
seulement par les milieux de la recherche et de l'industrie, et qui veulent
pouvoir contracter avec les établissements publics sans s'exposer à des risques
de mise en examen, mais également par l'ensemble des fonctionnaires qui,
actuellement, réalisent déjà en fait une partie des recherches qui seront
rendues officiellement possibles par ce texte mais qui ne sont pour le moment
que tolérées, et qui sont donc susceptibles d'être critiquées.
Il serait en tout cas souhaitable que nous puissions adopter ce texte
conforme, et c'est ce que la commission des affaires culturelles vous invite à
faire, mes chers collègues.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur plusieurs travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur l'ensemble du projet de
loi sur l'innovation et la recherche que nous examinons ce soir, mon collègue
Pierre Laffitte, rapporteur au fond, venant de nous le présenter avec la
compétence que nous lui connaissons.
Je développerai seulement un aspect considéré comme majeur par notre
commission des finances et que l'ensemble de la majorité sénatoriale a jugé
essentiel lors de la première lecture de ce texte, en février dernier. Je veux
parler du volet fiscal du présent projet de loi.
Notre majorité avait alors été unanime - vous m'excuserez, mon cher collègue
Hamel, d'employer ici quelques termes anglais, mais j'espère que vous ne m'en
voudrez pas -...
M. Emmanuel Hamel.
Je le regrette ! J'adore les Anglo-Saxons, mais nous sommes en France, et il
faut parler français, surtout au Sénat de la République !
M. le président.
Poursuivez, monsieur le rapporteur pour avis : nous risquons le couperet - ou
un
cutter - (Sourires)
de minuit. Donc, je vous demande d'avancer.
M. Alain Lambert.
Nous avons la vie devant nous !
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis.
En février dernier, notre majorité avait été
unanime à souligner l'importance des
stock options
dans une économie moderne...
M. Emmanuel Hamel.
Des bons de participation !
M. le président.
Poursuivez, monsieur le rapporteur pour avis !
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis.
... où la compétition se mondialise à une vitesse
sidérante.
Nous avions eu l'occasion, au cours du débat, d'insérer au coeur du projet de
loi très important sur l'innovation qui nous était soumis par M. Allègre un
dispositif équilibré et pertinent de
stock options
qui, par ses règles
d'attribution, sa transparence et son mode de fonctionnement, aurait permis à
la France de disposer d'un mode de rémunération lié aux résultats de
l'entreprise et qui aurait répondu enfin à la norme internationale.
Pourquoi est-il si important pour un pays moderne qui veut relever les défis
de l'avenir de mettre en oeuvre un dispositif de
stock options
répondant
à la norme internationale ?
M. Emmanuel Hamel.
Quelle décadence !
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis.
Simplement parce que les tendances fortes de la
nouvelle économie incitent à lier plus intimement un collaborateur à son
entreprise au travers des résultats obtenus par ladite entreprise que par un
salaire forfaitaire qui paraît souvent injuste. C'est surtout vrai dans les
entreprises de croissance, quand la rémunération des salariés, qui sont les
acteurs principaux de ce développement, reste fixe alors que le cours des
actions de l'entreprise croît à une allure vertigineuse.
Le retard français dans ce domaine est si spectaculaire que certains cadres de
groupes multinationaux ne veulent plus résider fiscalement dans notre pays.
Nous avons même vu de grands groupes nationaux délocaliser ici leur service de
recherche, là - aux Etats-Unis ou à Londres - leur direction financière pour
pouvoir recruter des collaborateurs de niveau international.
Ce raisonnement de bon sens semblait totalement partagé, aussi bien par M. le
Premier ministre, que par M. le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie et par vous-même, monsieur le ministre.
Ainsi, le 12 mai 1998, lors des Assises de l'innovation qui se sont tenues à
La Villette, le Premier ministre, M. Lionel Jospin, a promis une réforme du
régime juridique, fiscal et social des
stock options.
Vous-même, monsieur Allègre, dans une interview que vous avez accordée le même
jour à
La Tribune,
vous précisiez : « Une proposition de loi destinée à
faciliter la création d'entreprises par les chercheurs ou leur participation à
des sociétés existantes sera soumise au Parlement. Elle comprendra également un
volet financier, avec notamment des incitations fiscales pour ceux qui
investissent dans la création d'entreprises innovantes et un régime plus
favorable au dispositif des
stock options.
Pour confirmer cette volonté et cette cohérence entre les principaux membres
du Gouvernement, quelques jours plus tard, le 2 juin 1998, à Londres - nous
l'avons alors appris par une dépêche de l'AFP -, le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie, M. Strauss-Kahn, rappelait que le Gouvernement
avait pris plusieurs mesures pour encourager la création d'entreprises
innovantes. Il citait la réduction de l'impôt sur les plus-values en cas de
réinvestissement dans ces entreprises, la création d'un fonds spécial pour
soutenir le capital-risque, le rétablissement des
stock options
, la
possibilité pour les chercheurs appartenant à la fonction publique de créer une
entreprise sans perdre leur statut.
Ces bonnes intentions du Gouvernement étaient encore confirmées le 7 janvier
1999 dans le texte initial du projet de loi transmis au Conseil d'Etat et
repris par
La Tribune
: il y était annoncé que le taux de taxation des
plus-values des
stock options
allait baisser de 40 % à 26 %.
Et puis, patatras ! Il a suffi que M. Louis Viannet, alors secrétaire général
de la CGT, ironise - s'appuyant sur des données manifestement fausses - sur les
4 milliards de francs qui seraient attribués à 12 000 privilégiés et que cette
affirmation erronée soit reprise par quelques hauts dignitaires du parti
socialiste pour que le Premier ministre et son gouvernement reculent sur un
sujet si important pour l'avenir de nos entreprises.
Dans un article bien informé, intitulé : « Vendre les
stock options
à
la gauche plurielle », paru le 16 janvier 1999, le commentateur commençait
ainsi : « Officieusement, ce n'est qu'un banal problème de communication, pas
une reculade. Si Lionel Jospin a,
in extremis,
décidé de retirer le
volet fiscal concernant les
stock options
du projet de loi sur
l'innovation présenté mercredi 13 janvier en conseil des ministres, c'est tout
bonnement parce que la réforme avait été non pas mal conçue mais mal expliquée.
»
Quel constat nous faut-il faire dans cette dernière nuit de juin, à la
dernière heure de cette session parlementaire ?
Dans tous les pays modernes ouverts avec pragmatisme vers l'avenir, les
stock options,
les régimes favorables aux
business angels -
ces
investisseurs providentiels, comme nous les appelons à la commission des
finances - et les fonds de pension sont trois dispositifs essentiels pour
dynamiser l'entreprise de croissance.
Or, qu'a fait le gouvernement de M. Lionel Jospin sur ces trois points ? Il a
reculé.
Certes, comme, dans un premier temps, le ministre de l'économie et des
finances a, avec habileté, injecté dans le capital-risque français des fonds
publics importants puisés sur une soulte exceptionnelle versée par France
Télécom, la locomotive qui tire le train de l'innovation dans notre pays semble
aussi puissante que celle de nos principaux concurrents.
Mais cette impression n'est due qu'à une illusion d'optique : le train de la
France et les trains des autres grands pays modernes ne sont pas sur la même
voie ; la voie suivie par la France mène à un précipice, et le réveil sera
particulièrement rude.
Pourquoi la situation sera-t-elle si difficile ?
Parce que nous constaterons, dans quelques mois, que la majorité du capital
des grandes sociétés françaises sera détenue par des fonds de pension
anglo-saxons, alors que la constitution de puissants fonds de pension français
aurait permis non seulement de mieux préparer l'avenir des Français, dont la
moyenne d'âge va inexorablement augmenter, mais aussi de résister à l'offensive
systématique et impitoyable des fonds de pension étrangers.
Parce que nous constaterons, dans peu d'années, que les grandes fortunes, qui
sont fondamentales pour constituer les fonds propres de nos entreprises,
entreprises qui ne doivent plus et qui, d'ailleurs, ne pourront plus dépendre
des fonds publics, auront quitté la France.
Tout le monde sait que les
business angels,
ces investisseurs
providentiels, sont à l'origine de toutes les grandes
success stories
qui ont modifié en profondeur le tissu américain de l'entreprise au cours
de ces vingt-cinq dernières années.
Foutaise ! me diront certains esprits bien avertis. S'ils ne me croient pas,
qu'ils aillent faire l'inventaire des 600 milliards de francs d'actifs qui ont
quitté la France ces derniers dix-huit mois...
M. Jean-Claude Carle.
Absolument !
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis.
... pour aller se fixer dans d'autres pays, souvent
voisins, qui ont une fiscalité moins confiscatoire que la nôtre.
Broutille ! pourraient dire certains irresponsables, quand on compare ces 600
milliards de francs aux quelque 8 000 milliards de francs du PIB français. Mais
peut-être ces brillants esprits ironiseraient-ils moins s'ils prenaient
conscience que ces 600 milliards de francs envolés vers d'autres cieux
rapportaient chaque année à la France une somme qui permettait de rémunérer
tous les RMIstes de notre pays !
M. Jean-Claude Carle.
Exactement !
M. Emmanuel Hamel.
Il faut rétablir les contrôles aux frontières !
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis.
C'est déjà fait !
M. Emmanuel Hamel.
Et abolir Maastricht !
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis.
Quant aux
stock options,
il suffit de
rappeler que 80 000 Français sont allés s'installer dans la Silicon Valley, ou
que 50 000 autres se retrouvent à la City, à Londres, pour penser aux millions
d'emplois qu'ils auraient créés à terme, sachant que la plupart d'entre eux
nous quittent, le plus souvent, pour créer ailleurs leur entreprise.
Aussi, devant de tels renoncements, devant un tel retournement, et en raison
de la gravité de la situation créée par un tel manque de clairvoyance, le Sénat
avait décidé, en février dernier, de faire réapparaître dans le texte sur
l'innovation les lignes que le Gouvernement venait d'y gommer.
C'est ainsi que, à la fin de la première lecture, le Sénat avait voté un texte
sur l'innovation dans lequel des dispositifs de
stock options
favorables
aux investisseurs providentiels étaient restaurés.
Le Gouvernement et les responsables socialistes auraient alors pu saisir cette
occasion pour former en la circonstance une majorité objective et pragmatique,
à l'Assemblée nationale, qui aurait accepté les propositions du Sénat.
Loin de cela, au cours d'un débat mené avec une rare incompétence, les
rapporteurs et députés, qui ne doivent connaître de l'entreprise que l'image
qu'on en montre aux actualités télévisées, ont préféré railler bassement le
Sénat en s'exclamant : « Si le Sénat innovait, ça se saurait ! »
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Voilà le respect que l'on nous témoigne !
M. Emmanuel Hamel.
Il faut que cela se sache !
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis.
Permettez-moi en cet instant, monsieur le ministre,
de vous dire, malgré l'estime que je vous porte, que vous avez commis une
faute, à un moment où notre assemblée était si médiocrement attaquée, en ne
défendant pas son honnêteté et la rigueur de sa démarche.
M. André Maman.
Très bien !
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis.
D'ailleurs, bien au-delà de cette faute, vous avez,
à mon avis, prononcé des mots que nous ne pouvons pas excuser. Vous avez dit,
quelques instants après ces railleries des députés : « Si j'avais considéré que
le travail du Sénat était bon, j'aurais provoqué une réunion d'urgence avec le
ministre de l'économie et des finances, afin d'accepter le système proposé.
»
Malgré ce débat lamentable à l'Assemblée nationale, qui ne peut rehausser
l'idée que se font les Français de leurs représentants, le président du Sénat,
le président de la commission des finances et votre serviteur ont cherché,
depuis plusieurs semaines, un compromis pour apporter une solution à ce
problème difficile.
Tous les sénateurs ont conscience qu'une publication rapide de cette loi sur
l'innovation et la recherche est attendue avec impatience par la communauté des
chercheurs de France, mais aussi par les jeunes entreprises, qui sont séduites
par l'aubaine engendrée par le pur produit franco-français que sont les bons de
souscription de parts de créateurs d'entreprises.
Aussi, au cours de divers entretiens que nous avons eus avec vous ces
dernières semaines, monsieur le ministre, M. le président du Sénat, M. le
président de la commission des finances et moi-même vous avons dit et avons
répété à vos collaborateurs que nous étions prêts à proposer au Sénat de
retirer, en deuxième lecture, tous les amendements concernant les
stock
options
et les
business angels
si le Gouvernement prenait
l'engagement ferme, comme il l'avait laissé entendre après la volte-face de
janvier dernier, d'inscrire la discussion d'un texte de loi tendant à
moderniser les
stock options
à l'ordre du jour de la prochaine
session.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Je viens de vous le dire !
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis.
A la suite de cette demande, que vous aviez
transmise à M. Strauss-Kahn, monsieur le ministre, M. le ministre de l'économie
et des finances a envoyé le courrier suivant à M. Alain Lambert, président de
la commission des finances : « Monsieur le président, au cours des débats
parlementaires sur la loi sur l'innovation et la recherche, la majorité
sénatoriale a proposé d'introduire dans ce texte diverses modifications du
régime juridique et fiscal des options de souscription et d'achat d'actions.
L'Assemblée nationale n'a pas retenu ces propositions.
« Compte tenu de l'intérêt que porte votre commission des finances à ce sujet,
et sur la suggestion de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale,
de la recherche et de la technologie, je suis prêt à vous recevoir à une date à
votre convenance pour évoquer avec vous ces questions. »
M. Alain Lambert.
C'est une carte postale de vacances !
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis.
Tout à fait ! Si M. le ministre de l'économie et
des finances avait envoyé un courrier à un conseiller général pour discuter
avec lui de l'attribution d'une subvention cantonale, le texte n'eût pas été
différent !
Une telle missive non seulement n'est pas respectueuse de notre assemblée,
mais, surtout, elle met en évidence que la recherche d'un compromis, qui est
âprement voulu par le Sénat, n'est pas prise en considération par le
Gouvernement.
Dès lors, que doit faire le Sénat ? A chacun ses responsabilités !
Si le Gouvernement, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, désire une
promulgation rapide de la loi sur l'innovation et la recherche, il lui suffit
de prendre l'engagement solennel d'inscrire les
stock options
à l'ordre
du jour de la prochaine session du Parlement.
M. Jean-Claude Carle.
Très bien !
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis.
Pourquoi le Sénat n'obtiendrait-il pas ce qu'ont
obtenu les chefs d'entreprise réunis avant-hier en assemblée à Croissance plus
? Nous avons en effet pu lire aujourd'hui dans
La Tribune
que M. le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie leur avait annoncé, à
cette occasion, que les droits sur les
stock options
seraient diminués,
alors qu'il n'a même pas daigné venir devant la commission des finances du
Sénat pour l'en informer.
En cet instant, il nous faut faire preuve de rigueur dans notre comportement,
car il y a eu pour le moins, envers notre assemblée, une négligence, et cela
n'est pas acceptable !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Emmanuel Hamel.
Saine et républicaine colère !
M. le président.
La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vingt
minutes pour s'exprimer sur les options de capitalisation - la question a,
certes, son importance ! - et trois à quatre minutes pour que je présente
quelques remarques sur le texte : la différence m'apparaît insupportable.
Monsieur le ministre, comme mon collègue M. Laffitte, j'étais très inquiet,
ces dernières heures, car je craignais que vous ne puissiez venir et que ce
projet ne puisse être adopté avant la fin de la présente session. Or, il est
important qu'il le soit, à mes yeux, pour pouvoir entrer en application dès la
rentrée.
Dans les quelques minutes qui me sont imparties, je ferai trois remarques.
J'introduirai ma première remarque en me référant à votre avant-propos dans
L'écume de la terre
: « Plus une idée est nouvelle, plus elle choque,
plus elle dérange ceux dont la fortune s'est établie hors d'elle... »
Or, votre loi est nouvelle, et comme telle elle dérange. Il faut votre
persévérance et l'appui que nous pouvons vous apporter pour que, en définitive,
elle entre rapidement en application, ce qui est mon souhait le plus vif.
Mes deux autres remarques portent sur les conséquences possibles de son
adoption.
Je reviens d'un court séjour aux Etats-Unis, et plus particulièrement à
Berkeley, centre public de bio-informatique - je sais que vous aimez vous-même
faire référence à ce qui se passe aux Etats-Unis.
J'ai découvert qu'à Berkeley le service public procède à une étude très
poussée du séquençage du génome, en répétant un grand nombre de fois les
analyses pour être sûr des indications qu'elles fournissent, alors que le
chercheur Craig Venter, lui, joue la rapidité.
Il faut que nos services publics puissent jouer le même rôle que ce centre
dans cet ensemble nouveau qui va se créer entre le public et le privé.
Enfin, je me permets d'attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la
contradiction - la question ne vous est pas étrangère - qu'il y a entre, d'une
part, le désir des établissements privés d'utiliser aussi rapidement que
possible les substances susceptibles, entre autres, de devenir des médicaments,
de se protéger, du même coup, par tout moyen, des concurrents possibles en
entourant tout ce qui peut se faire dans ce domaine d'une sorte de secret, et,
d'autre part, la nécessaire faculté de publication laissée aux chercheurs
publics.
Ce texte, tel qu'il est présenté aujourd'hui, il n'y a que de bonnes raisons
de l'approuver, et rapidement. C'est pourquoi j'arrête là mon propos.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Hamel applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous
l'indiquions déjà en première lecture, n'étant pas en cela très éloignés de
l'Assemblée nationale, nous avons souhaité, avec mon collègue Ivan Renar, qui a
suivi avec passion l'examen de ce texte, aborder le problème du lien entre
l'innovation et la recherche de manière constructive, sans rien omettre, nous
le pensons, de la complexité de cette question.
En effet, en dépit d'une recherche publique de qualité, voire d'excellence,
dans bien des domaines, le transfert des travaux de recherche vers
l'innovation, et donc vers les entreprises, s'opère mal ou insuffisamment.
Loin des solutions toutes faites, voire des solutions importées, il est
pleinement dans le rôle du Parlement de prendre la mesure des problèmes qui se
posent et de tenter d'y apporter les solutions juridiques adaptées.
A ce titre, les travaux de l'Assemblée nationale auront permis de rendre un
peu plus conforme à son origine, un projet profondément transformé...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est-à-dire ?
M. Michel Duffour.
... par l'introduction des options de participation, notamment, lors de son
examen par la Haute Assemblée.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Qu'en pensez-vous ?
M. Michel Duffour.
En outre, nous nous réjouissons de voir certaines des propositions que nous
formulions introduites dans le présent projet - je pense à l'avis des conseils
d'administration - voire renforcées pour ce qui concerne le volet « emploi » du
crédit impôt recherche.
La proposition que nous formulions de voir transformer l'ANVAR en véritable
agence nationale de l'innovation et de la recherche, qui pourrait être
l'instrument adapté à la conduite d'une telle réflexion, reste toujours
d'actualité.
L'innovation doit se nourrir des apports de la recherche publique ; pas un
seul des nombreux chercheurs scientifiques que nous avons rencontrés n'est
hostile à cette idée. Cela impose tout naturellement que la recherche publique
reste dans notre pays à un bon niveau, et que nous y consacrions des moyens
suffisants.
Nous devons encore rester attentifs au strict partage des missions des uns et
des autres. Ainsi, au sein d'un même établissement, ce qui relève de la
recherche publique et ce qui relève de l'innovation doit être distingué. Cette
distinction vaut pour le respect des équipes de recherche, pour le respect des
règles déontologiques, mais également, c'est essentiel, pour le régime de
propriété des brevets et inventions.
Le projet de loi sur l'innovation et la recherche a pour ambition de délimiter
une voie rendant possible un meilleur transfert. Il est de notre responsabilité
que cette voie soit parfaitement circonscrite afin que l'on puisse
éventuellement réajuster le dispositif législatif qui sera mis en oeuvre.
Sans nul doute enrichi du débat à l'Assemblée nationale, renforcé encore pour
ce qui concerne le contrôle exercé par les institutions publiques de recherche
sur les transferts technologiques, le texte en l'état pourrait faire l'objet
d'une application rapide, ce qui permettrait au Parlement de faire le point, à
l'issue d'une période probatoire, de ses effets induits sur l'innovation.
Nous sommes donc très favorables au texte tel qu'il nous est proposé.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Vecten.
M. Albert Vecten.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus de
quatre mois se sont déjà écoulés depuis le 18 février dernier, date à laquelle
nous avons examiné en première lecture le projet de loi sur l'innovation et la
recherche.
Je dois avouer que le débat au sein de nos assemblées, nécessaire et même
indispensable au bon fonctionnement de notre démocratie, me paraît cependant
parfois un peu long - nous en avons encore fait l'expérience aujourd'hui.
J'espère donc que cette loi, malgré les imperfections qui ont été mises en
évidence avec beaucoup d'à-propos par tel ou tel de nos collègues, pourra
maintenant être adoptée et mise en oeuvre rapidement.
Lors de votre intervention de février dernier, monsieur le ministre, vous avez
commencé par souligner que, « dans la compétition économique du xxie siècle, le
maître-mot sera l'innovation et qu'au coeur de l'innovation il y a la recherche
». Je crois qu'il est bon de le rappeler, même si cela peut paraître une
évidence pour certains.
Le fort potentiel français en matière d'innovation reste aujourd'hui trop
entravé par les règles rigides qui encadrent la recherche et le statut des
chercheurs. Votre projet de loi nous paraît de nature à assouplir ce cadre et
donc à favoriser la diffusion dans l'économie des résultats de la recherche.
Je ne reprendrai pas tous les points qui ont déjà été abordés en première
lecture, je souhaite simplement attirer votre attention sur quelques points
qui, bien qu'accessoires dans le texte qui nous est soumis, me paraissent
essentiels.
En premier lieu, monsieur le ministre, votre projet de loi renvoie, comme
c'est la règle en la matière, à un certain nombre de décrets d'application.
C'est le cas notamment pour l'article 2, qui concerne la création d'un service
d'activités industrielles et commerciales par les établissements d'enseignement
supérieur.
J'espère vraiment que ces décrets d'application ne seront pas trop long à
sortir et, surtout, qu'ils ne dénatureront pas l'esprit de cette loi, comme
c'est malheureusement trop souvent le cas désormais.
J'espère notamment que les services de Bercy sauront faire preuve de bon sens,
de pragmatisme et, eux aussi, pourquoi pas, d'un certain sens de l'innovation,
afin d'éviter d'échafauder un régime financier et fiscal tellement lourd et
complexe qu'aucune université française ne voudra prendre le risque de
s'engager dans la voie ouverte par ce projet de loi.
Je compte sur vous, monsieur le ministre, pour continuer à défendre, après
l'adoption de la loi, une position souple qui permettra aux acteurs de terrain
de s'engager dans la dynamique créée.
Lors de votre dernière intervention, vous nous avez invités à mobiliser les
collectivités locales que nous représentons pour accompagner et favoriser
l'innovation.
Je crois pouvoir dire que les collectivités locales de notre pays, si elles ne
l'ont déjà fait, sont prêtes à se mobiliser encore plus en ce sens. Simplement,
nous avons besoin aussi d'être confortés dans nos initiatives.
Je répète, monsieur le ministre, qu'il me semble nécessaire, sur la base des
forces et faiblesses de chacune de nos régions, de réfléchir à une
spécialisation, au moins pour une partie, de la recherche universitaire sur des
créneaux à fort potentiel d'innovation. Cette spécialisation serait définie en
fonction des matières premières régionales disponibles, du tissu industriel
régional, du potentiel de recherche préexistant et des marchés en
croissance.
Le développement de ces pôles d'excellence régionaux doit être soutenu par une
véritable continuité de la politique française de recherche et la définition
d'axes prioritaires à long terme.
Une telle politique nous permettra, villes, départements, régions, d'y voir
plus clair dans les responsabilités et compétences des uns et des autres. Les
collectivités locales, si elles ne peuvent tout financer, en revanche, peuvent
concentrer leurs moyens sur des projets bien identifiés, s'inscrivant dans des
priorités nationales, et conçus de telle manière que les probabilités d'impact
sur l'économie à court, moyen et long terme, soient aussi fortes que
possible.
Au risque de déplaire à certaines corporations, je répète que le développement
de ces pôles d'excellence régionaux en matière de recherche, devrait aussi être
conforté par une véritable déconcentration et décentralisation des grands
organismes de recherche, tels que le Centre national de la recherche
scientifique, le CNRS, ou l'Institut national de la recherche agronomique,
l'INRA. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas.
En 1993, un comité interministériel d'aménagement du territoire avait prévu
pour la région Champagne-Ardennes plusieurs équipes de chercheurs, notamment
dans le domaine de la glycochimie pour poursuivre les programmes de recherches
sur les perspectives de développement de productions agricoles à usage non
alimentaire. Six ans plus tard, l'université de Reims n'a toujours pas pourvu
ces postes. Nous comptons donc sur vous, monsieur le ministre, pour les obtenir
le plus vite possible.
Enfin, je vous l'avais déjà dit en première lecture, monsieur le ministre, je
pense que votre projet de loi devra être accompagné d'une réforme profonde de
la gestion des carrières de nos chercheurs par ces mêmes grands organismes : il
faut impérativement que, dès demain, les chercheurs qui innovent et brevètent,
qui prennent des risques, soient au moins aussi bien récompensés que leurs
collègues qui publient des articles dans les revues scientifiques.
Les chercheurs du secteur public qui ont contribué à un développement
industriel devraient être distingués et promus dans le cadre de leur carrière
académique. Une telle reconnaissance permettra aussi de favoriser l'esprit
d'innovation et d'entreprise.
Avant de conclure, je veux adresser ici des remerciements personnels à notre
collègue Pierre Laffitte, pour l'action qu'il mène depuis plus de trente ans en
faveur du développement de l'innovation en France. Sans ôter de mérite à
personne, je crois que ce projet de loi doit beaucoup à son travail et à la
proposition de loi que nous avions adoptée sur le rapport de notre collègue
Adrien Gouteyron, le 22 octobre 1998, relative à la mobilité des chercheurs et
à leur participation à la création d'entreprises innovantes.
Je souhaite donc, monsieur le ministre, que le présent projet de loi, tant
attendu par tous les acteurs de la recherche et de l'innovation, puisse entrer
rapidement en application.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Lagauche applaudit
également.)
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais relever
une petite chose qui m'a choqué dans l'intervention de M. Trégouët à propos du
respect dû au Sénat.
J'ai présenté ce projet de loi en première lecture au Sénat, et je vous assure
que ce choix n'a guère été apprécié par le groupe socialiste de l'Assemblée
nationale ! Lorsque la proposition de loi de MM. Gouteyron et Laffitte a été
présentée, je l'ai approuvée. Chaque fois que le Sénat me demande de venir
devant une commission ou de participer à un débat exceptionnel, je réponds à
son invitation.
Par conséquent, il n'est pas fondé de dire que je n'ai pas de respect pour le
Sénat.
Par ailleurs, j'ai pris, au nom du Gouvernement, l'engagement qu'un débat
aurait lieu au Sénat sur les
stock options
lors de la discussion du
prochain projet de loi de finances, présentée par M. le ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie.
M. Christian Poncelet.
Est-ce un engagement ferme ?
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Absolument !
D'ailleurs, les propos que vous avez cités, monsieur le rapporteur pour avis,
montrent que le ministre de l'économie et des finances déclare, ici ou là,
qu'il fera des propositions sur les
stock options.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Sauf devant le Parlement !
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis.
Il aurait pu nous en parler !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Je vais vous dire pourquoi il ne vous en a pas parlé : si la décision de revoir
le système des
stock options
est effectivement arrêtée, les modalités
n'ont pas encore été arbitrées - pour des raisons de calendrier - par M. le
Premier ministre.
Cela étant, je juge excellente la proposition de M. Laffitte concernant
l'assurance. Je rappelle que nous avons créé un groupe de travail associant la
direction du Trésor et la fédération française des assurances pour étudier les
modalités d'application de cette proposition. Par ailleurs, les compagnies
d'assurance, à la suite de la suggestion de M. Laffitte, proposeront des
produits adaptés à l'INPI, qui les proposera aux déposants de brevet. Ce
problème est donc réglé.
S'agissant de l'IGAEN, je n'ai pas l'intention de mettre en place un contrôle
rigide ; les décrets d'application en préciseront les modalités.
J'en viens au droit des sociétés. Aujourd'hui, si un créateur veut associer
des investisseurs au capital d'une société anonyme qu'il a créée, il peut en
perdre le contrôle. Ce projet de loi a pour objectif d'éviter cet inconvénient.
Tous les groupes, tant ceux de la majorité que de l'opposition, à l'Assemblée
nationale comme au Sénat, le réclamaient.
Avec cette loi, nous ouvrons les portes à une coopération entre recherche
publique et recherche privée. Naturellement, elle n'est pas parfaite, et nous
sommes prêts à en revoir les modalités en cas de nécessité.
Cette loi est un grand espoir, qui, aujourd'hui, ne peut pas être déçu, sinon
nous en serions tous les victimes, dans nos régions, et les chercheurs en
premier lieu.
Lorsque nous aurons l'occasion de débattre du plan U3M, les mesures que je
vous présenterai pour favoriser la création d'entreprises n'auront de sens que
si les chercheurs, les universités et les organismes ne sont plus ligotés,
comme aujourd'hui.
Je vous demande donc, dans l'intérêt de notre pays, de voter ce projet de loi
conforme. Vous avez mon engagement sur les
stock options.
Vous avez
également mon engagement que je reviendrai devant le Parlement pour dresser un
bilan de l'application de cette loi au bout d'un an. Il faudra le faire
régulièrement parce qu'il faudra la faire évoluer.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles
est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas
encore adopté un texte identique.
Demande de priorité