Séance du 7 octobre 1999
M. le président. Par amendement n° 234, M. Hérisson et les membres du groupe de l'Union centriste proposent d'insérer, avant l'article 43, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le statut national du personnel des industries électriques et gazières, visé à l'article 47 de la loi du 8 avril 1946 précitée, s'applique au personnel des établissements et entreprises qui en relevaient à la date de la transposition de la directive. »
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Tout en maintenant le bénéfice du statut national pour les personnels d'entreprises qui en relèvent déjà, il importe d'appliquer le droit commun pour les nouveaux entrants sur le marché de l'électricité. Nous sommes toutefois parfaitement conscients, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d'Etat, que c'est plutôt la loi de 1946 qu'il faudrait modifier.
Cela étant, il est important d'ouvrir la discussion sur ce problème qui inquiète beaucoup les nouveaux entrants du fait des différences entre leur statut actuel et leur statut futur.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. Cet amendement inspire deux réserves d'ordre juridique.
La première concerne la constitutionnalité de cet amendement. Elle n'est pas évidente au regard du principe d'égalité devant la loi, qui ne peut être remis en question que lorsque les différences de situations justifient cette différence de traitement ou que la rupture d'égalité est justifiée par l'objet même de la loi. Il s'agit d'une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel.
Il n'est pas évident que les différences de situations entre EDF et ses concurrents justifient une telle discrimination législative.
La seconde réserve juridique concerne la compatibilité de cet amendement avec le droit européen de la concurrence, notamment les articles 85 et 86 du traité de Rome, interprété par la Cour de justice des Communautés européennes. Ce droit européen, qui prime sur le droit national en vertu de l'article 55 de la Constitution, exige que les distorsions de concurrence soient strictement justifiées par des sujétions de service public et qu'il existe une certaine équivalence entre ladite sujétion et le traitement discriminatoire.
Ces conditions sont-elles réunies ? Je ne le pense pas. On ne soumet pas les concurrents d'EDF à des sujétions de service public. Voilà pour l'ordre juridique.
S'agissant de l'opportunité de cet amendement, le surcoût de l'application du statut, dont le chiffrage diffère d'ailleurs considérablement selon la ressource - M. le secrétaire d'Etat pourra peut-être nous donner d'utiles précisions sur ce point - est lié au problème des retraites. Plutôt que de circonscrire le champ d'application du statut, la commission souhaite voir résolue la question des retraites.
Est-on vraiment sûr que la convention collective du secteur de l'eau, par exemple, est si éloignée, en termes de coût, du statut des industries électriques et gazières, retraites mises à part ?
L'amendement, s'il était adopté, introduirait, au détriment d'EDF, c'est certain, une distorsion de concurrence par rapport aux nouveaux entrants sur le marché. Il est nécessaire de rappeler qu'en 1996, pour les télécommunications, le Gouvernement avait pris soin que le maintien du statut des agents de France Télécom s'accompagne d'une égalisation des cotisations sociales versées par l'opérateur et ses concurrents. L'amendement dont nous discutons n'offre pas de garanties similaires pour EDF.
Enfin, la diversification des acteurs soumis au statut est un gage d'évolution de ce statut et d'adaptation aux réalités actuelles.
La commission n'a donc pas émis un avis favorable, mais c'est là une réelle préoccupation des sociétés qui pourraient entrer sur le marché et je pense que M. le secrétaire d'Etat nous apportera une nécessaire clarification sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Mesdames, messieurs les sénateurs, j'apprécie beaucoup les louanges que vient d'adresser implicitement M. le rapporteur au statut des industries électriques et gazières.
Il serait curieux - je me tourne vers M. Hérisson - qu'il évoque les principes de la concurrence comme devant être à l'origine d'une forte régression sociale ! Ce n'est certainement pas ce que la majorité du Sénat souhaite signifier lorsqu'elle défend les principes de transparence et de concurrence qui sont les siens.
Le Gouvernement, comme le rapporteur, est attaché au maintien de la disposition de la loi du 8 avril 1946 sur le statut des personnels des industries électriques et gazières.
Je rappelle que ce statut a été voulu par le Conseil national de la Résistance, qui rassemblait de nombreuses familles politiques.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. C'est le fruit de cinquante années d'avancée sociale que de l'appliquer aujourd'hui. Il ne s'agit donc pas d'y renoncer et il n'est pas question de l'oublier !
Par conséquent, je voudrais dire à M. Hérisson, avec beaucoup de retenue et d'amitié, que son amendement me paraît particulièrement choquant.
M. le président. L'amendement n° 234 est-il maintenu, monsieur Hérisson ?
M. Emmanuel Hamel. Il le retire !
M. Pierre Hérisson. Je vais le retirer, monsieur le président, mais auparavant je voudrais dire à M. le secrétaire d'Etat que la loi d'avril 1946 est effectivement visée, loi qui, il est vrai, a fait l'objet d'un consensus après une période difficile. Toutefois, il me paraît souhaitable de ne pas trop user de l'argument que représente cette période pour discuter d'un sujet dont on ne parle pas assez souvent dans notre pays - cela va peut-être vous surprendre, monsieur le secrétaire d'Etat - à savoir le profit social.
Est-il normal, aujourd'hui, de maintenir un statut qui a plus de cinquante ans et qui mériterait, en tout état de cause, d'être modernisé, plutôt que d'être défendu comme un privilège ? C'est là une véritable interrogation, monsieur le secrétaire d'Etat, et je crois que mon amendement se justifiait dans la mesure où j'avais pris la précaution de préciser verbalement le motif de son dépôt.
Hormis le fait que vous ayez dit qu'il était choquant, je suis assez satisfait de votre réponse sur cet amendement, monsieur le secrétaire d'Etat, comme je le suis de celle du rapporteur et des précisions qui ont été apportées.
En 1946, la nécessité de consensus a présidé à la mise en place d'un statut et chacun a dû faire un effort. Mais pouvons-nous aujourd'hui prétendre que ce statut est encore adapté à l'intérêt des salariés et des entreprises qui se trouveront en concurrence sur le marché de l'électricité ? Je n'en suis pas sûr, et je souhaite que nous reprenions à une autre occasion le débat sur ce sujet.
M. Emmanuel Hamel. Il faut maintenir les grands acquis sociaux !
M. le président. L'amendement n° 234 est retiré.
M. Henri Revol, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. Je remercie M. Hérisson d'avoir bien voulu manifester de l'intérêt pour l'avis de la commission.
Je souligne que tous les membres de la majorité de la commission ont bien eu la même préoccupation que celle qui a été exprimée par M. Hérisson, monsieur le secrétaire d'Etat. Je m'associe à son souhait de voir évoluer le statut, et pourquoi pas par la négociation collective. Il est en tout cas souhaitable que, dans un avenir le plus proche possible, des précisions soient apportées sur ce point.
M. Ladislas Poniatowski. C'est peut-être la concurrence qui fera évoluer le statut d'EDF !
TITRE VIII
DISPOSITIONS SOCIALES
Article 43