Séance du 12 octobre 1999
DROIT APPLICABLE OUTRE-MER
Adoption d'un projet de loi d'habilitation
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 424, 1998-1999),
adopté par l'Assemblée nationale, portant habilitation du Gouvernement à
prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à
l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer. [Rapport n° 3
(1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la tâche de modernisation et
d'adaptation du droit de l'outre-mer, condition nécessaire de son développement
économique et social, offre aujourd'hui de nouveaux sujets à prendre en compte.
De plus, certaines questions urgentes nécessitent une réponse rapide pour
satisfaire les attentes des populations intéressées.
Le projet de loi d'habilitation que j'ai l'honneur de vous présenter s'inscrit
pleinement dans le prolongement de la précédente loi d'habilitation du 6 mars
1998, étant précisé que le projet de loi de ratification des ordonnances prises
en application de ladite loi devrait vous être soumis en novembre prochain. Il
a été déposé devant le Sénat, après son examen par l'Assemblée nationale.
Le projet du Gouvernement demande au Parlement l'autorisation de légiférer par
ordonnances dans huit matières, ces ordonnances devant être prises dans les six
mois qui suivent la publication de la loi d'habilitation. Au cours du débat à
l'Assemblée nationale, en juin dernier, quatre thèmes sont venus s'ajouter à
ceux qui étaient initialement prévus ; ce sont donc douze points que le projet
qui vous est soumis aborde.
Au travers des ordonnances prévues par la loi d'habilitation, le Gouvernement
vise les objectifs suivants.
Le premier objectif du Gouvernement consiste à affirmer les obligations
financières de l'Etat vis-à-vis de l'outre-mer. L'une des ordonnances devra
permettre de pérenniser sa contribution au profit des communes de la Polynésie
française.
De la même manière, son concours au profit de l'établissement public de santé
territorial de Mayotte sera prolongé pour tenir compte de sa situation
spécifique. C'est notamment le cas du système dérogatoire de financement, qui
lui permet de prendre en charge pendant une nouvelle durée de cinq ans les
personnes ne pouvant faire la preuve de leur nationalité française ou de la
régularité de leur séjour en attendant que certaines difficultés, notamment en
matière d'état civil, soient surmontées.
Le deuxième objectif du Gouvernement réside dans la poursuite de la
modernisation et dans l'extension des droits sociaux des habitants des
collectivités d'outre-mer.
Ainsi, les ordonnances qui interviendront à ce titre doivent permettre de
préciser les règles d'option de juridiction en matière de litiges de contrats
de travail pour les salariés qui, après avoir travaillé pour une collectivité
d'outre-mer, l'ont quittée.
De même, un dispositif permettra aux partenaires sociaux de négocier des
accords d'annualisation du temps de travail à Mayotte et aux îles
Wallis-et-Futuna, dispositions déjà introduites en Polynésie française et en
Nouvelle-Calédonie. Certaines règles de base en matière d'hygiène et de
sécurité du travail seront étendues à Wallis-et-Futuna.
Toujours dans le champ du droit du travail et en prolongement de la précision
apportée par un amendement en première lecture à l'Assemblée nationale, les
dispositions relatives à la médecine du travail dans les départements
d'outre-mer et la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon seront
également traitées.
En matière de droit de la santé, il s'agira d'actualiser les règles relatives
à l'exercice au droit des professions de santé à l'outre-mer. De même, il est
prévu de créer à Wallis-et-Futuna « une agence de santé », établissement
original dont le statut est adapté à la situation juridique particulière des
îles Wallis-et-Futuna. L'agence se trouve ainsi chargée de l'élaboration et de
la mise en oeuvre du programme de santé du territoire.
De plus, conformément à deux amendements adoptés par l'Assemblée nationale,
l'habilitation porte sur l'extension à Wallis-et-Futuna de la durée de la
scolarité obligatoire et des dispositions relatives à l'indemnisation des
victimes de catastrophes naturelles.
Le troisième objectif du Gouvernement est de conforter l'état de droit et la
sécurité juridique outre-mer.
Dans cette perspective, la loi du 25 juillet 1952 sur le droit d'asile sera
étendue à l'ensemble de l'outre-mer, après l'avoir été à la Nouvelle-Calédonie
par la loi du 19 mars 1999. Ce droit constitutionnel pourra ainsi être
désormais exercé pleinement dans le respect des engagements internationaux de
la France.
Des ordonnances procéderont également à l'actualisation du droit applicable à
l'entrée et au séjour des étrangers à Mayotte, en Polynésie française et à
Wallis-et-Futuna. Les textes actuellement en vigueur sont partiellement
obsolètes et inadaptés à un contrôle efficace des flux migratoires, dans le
respect des droits fondamentaux des intéressés. Une extension de l'ordonnance
du 2 novembre 1945, assortie des adaptations nécessitées par la situation de
chaque collectivité, s'impose.
Par ailleurs, plusieurs ordonnances devraient créer les conditions de
l'élaboration d'un état civil fiable à Mayotte, notamment pour remédier aux
difficultés que j'ai évoquées en matière de soins hospitaliers. En particulier,
des règles relatives à la fixation du nom seraient définies, tandis qu'une
commission de révision de l'état civil procéderait à la remise à jour des
actes.
Par ailleurs, une chambre de discipline territoriale pourra être créée en
Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française pour les médecins, les
sages-femmes et les pharmaciens qui y exercent. Ainsi sera mis un terme à la
situation actuelle, dans laquelle un même organe assure les compétences
administratives et juridictionnelles.
De plus, après l'adoption d'un amendement déposé par le Gouvernement,
l'Assemblée nationale l'a habilité à procéder par ordonnance à la codification
du droit électoral applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et
à Wallis-et-Futuna. Le Gouvernement est également autorisé à procéder à toutes
mesures d'adaptation utiles en ce domaine, en vue de rapprocher cette
codification des dispositions applicables en métropole, étant entendu qu'il ne
pourra s'agir que de simples aménagements.
La loi d'habilitation doit également permettre de résoudre deux questions
d'une importance majeure pour les départements d'outre-mer. Il s'agit d'adapter
l'organisation des agences d'insertion à la suite de la modification de statut
intervenue par la loi du 29 juillet 1998.
Leur transformation par voie législative en établissements publics locaux rend
absolument nécessaire une adaptation rapide de leur statut pour leur permettre
de retrouver un fonctionnement normal et de prendre en compte la situation de
leurs personnels.
Les agences seront désormais présidées par les présidents de conseils
généraux, l'Etat se voyant doté de moyens de contrôle administratif et
financier mieux assurés. Je vous rappelle que cette réforme avait été souhaitée
par les présidents de conseils généraux et appuyées, notamment, par le
président du conseil général de la Martinique, le sénateur Lise.
Quant au statut de l'IEDOM, l'Institut d'émission des départements
d'outre-mer, il sera adapté pour prendre en compte les impératifs de l'Union
économique et monétaire et permettre son intégration, conformément aux
principes communautaires, dans le système européen des banques centrales.
Enfin, le Gouvernement a accepté un amendement, présenté lors du débat à
l'Assemblée nationale, visant à permettre, compte tenu des difficultés
importantes que connaît l'activité de transports de personnes dans les
départements d'outre-mer, de procéder par ordonnances à l'adaptation de la
législation relative aux transports intérieurs.
Par ce projet de loi d'habilitation, par les ordonnances qui suivront, le
Gouvernement entend poursuivre son action de modernisation du droit de
l'outre-mer, élément indispensable à son développement. A l'instar des
ordonnances prises en application de la loi du 6 mars 1998, le Gouvernement
déposera évidemment ces ordonnances sur le bureau des assemblées pour les
soumettre à l'appréciation du Parlement. Le pouvoir législatif donne ainsi à
l'exécutif délégation pour agir, souvent dans l'urgence, dans les matières
complexes. Soyez assurés que les droits du Parlement seront, sur ce plan-là,
respectés.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après le projet
de loi constitutionnelle, nous examinons le projet de loi portant habilitation
du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives
nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Ce texte a été adopté par l'Assemblée nationale le 10 juin dernier.
Cette façon de procéder tend, monsieur le secrétaire d'Etat, à devenir une
habitude, puisqu'on utilise bien souvent soit diverses dispositions relatives à
l'outre-mer - les fameuses « lois balais » - soit, comme maintenant, les
ordonnances. C'est systématique !
(M. le secrétaire d'Etat sourit.)
Je déplore quelque peu ce mode de fonctionnement, qui prive le Parlement d'un
véritable débat, même si des lois de ratification doivent intervenir. C'est
ainsi que plusieurs lois sont prévues, tendant à permettre à chaque commission
d'exercer sa responsabilité législative dans le domaine de sa spécialité.
Il va de soi que nous n'aimons pas beaucoup les ordonnances... auxquelles nous
avons toutefois régulièrement recours.
En ce qui concerne l'outre-mer, il peut naturellement être nécessaire,
monsieur le secrétaire d'Etat, d'utiliser l'article 38 de la Constitution.
Encore faut-il chercher fréquemment l'origine du recours aux ordonnances dans
le non-respect des instructions gouvernementales.
Notre excellent collègue Daniel Millaud ne manquait jamais de nous rappeler à
quel point était oubliée, en dépit de nombreuses circulaires, notamment celles
du 21 avril 1988 et du 15 juin 1990, l'application des lois à l'outre-mer.
Peut-être le Gouvernement pourrait-il en publier une autre afin de sensibiliser
les administrations à la nécessité de prendre en compte l'outre-mer dans
l'élaboration de leur politique et dans la rédaction des textes législatifs ou
réglementaires.
Le principe de l'assimilation législative applicable à la collectivité
territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, et aux départements d'outre-mer, le
principe de la spécialité législative conjugue au problème des lois dites « de
souveraineté », notion juridique parfois un peu floue et qui prête à
discussion, compliquent encore l'exercice. L'applicabilité des textes
législatifs dans les départements d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie et Mayotte
doivent donc faire l'objet de textes ou de dispositions particulières.
Nous ne cessons de le rappeler, sans être guère entendus du Gouvernement, qui
tire toujours prétexte soit de la non-consultation des assemblées territoriales
ou des assemblées de collectivités concernées, soit de la complexité des textes
pour remettre à plus tard leur application. Monsieur le secrétaire d'Etat, je
ne me lasserai pas de le répéter : il vaudrait tellement mieux examiner
préalablement le problème, nous dispensant ainsi de recourir aux
ordonnances.
La commission des lois, comme c'est son devoir, a examiné si les conditions
fixées par l'article 38 de la Constitution, et précisées par le Conseil
constitutionnel, étaient remplies. C'est pour l'exécution de son programme que
le Gouvernement peut légiférer par voie d'ordonnances, mais il doit « indiquer
avec précision, lors du dépôt d'un projet de loi d'habilitation et pour la
justification de la demande présentée par lui, quelle est la finalité des
mesures qu'il se propose de prendre », ce qui est assez évident.
Nous avons eu la chance, excepté pour une mesure, d'avoir les avant-projets
d'ordonnance. Nous avons pu vérifier qu'il s'agissait bien de mesures
d'application qui ne dépassaient pas le champ de l'article 38 de la
Constitution.
En commission des lois, vous avez répondu, monsieur le secrétaire d'Etat, à
une question que je vous ai posée sur le statut de l'Institut d'émission des
départements d'outre-mer, l'IEDOM. En effet, à l'époque, nous n'avions aucune
précision quant à l'évolution statutaire de cet institut à la suite de la
réforme des banques centrales européennes et de l'instauration de la monnaie
unique.
L'article 38 de la Constitution fixe les modalités de délégation de pouvoir au
Gouvernement pour une durée limitée et l'obligation de déposer un projet de loi
de ratification dans un délai donné. Le projet de loi respecte la Constitution.
L'avis de la commission des lois est donc favorable.
J'en viens au champ d'habilitation du projet de loi.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez rappelé toutes les dispositions qui
étaient prévues, notamment la nécessité pour l'Etat d'assumer ses obligations
financières envers l'outre-mer.
J'avais rappelé dans le rapport que j'ai rédigé l'année dernière la nécessité
de trouver une base juridique au fonds intercommunal de péréquation pour la
Polynésie française.
J'avais également fait mention du concours de l'Etat en faveur de
l'établissement public de santé territorial de Mayotte.
Le projet de loi vise aussi l'actualisation des droits sociaux, les avancées
en matière de santé publique, le renforcement de l'état de droit et la sécurité
juridique dans les collectivités d'outre-mer, notamment l'état civil à Mayotte
- ample tâche, monsieur le secrétaire d'Etat, car on connaît les difficultés de
mettre en place un tel dispositif.
Par ailleurs, entrent dans le champ de l'habilitation, l'adaptation du statut
de l'Institut d'émission d'outre-mer, déjà évoqué, ainsi que l'organisation des
agences d'insertion, avec la modification de statut opérée par la loi du 29
juillet 1988 transformant ces agences en établissements publics locaux à
caractère administratif.
Nos collègues députés, notamment M. Brial pour Wallis-et-Futuna, ont ajouté
quelques dispositions, puisque deux mesures concernent les catastrophes
naturelles dans ce territoire, d'une part, et la codification du droit
électoral, d'autre part, qui est applicable d'ailleurs à la fois en
Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et aux îles Wallis-et-Futuna.
Une autre disposition ajoutée par l'Assemblée nationale - et cette ordonnance
nous intéressera beaucoup - concerne la législation relative aux transports
intérieurs dans les départements d'outre-mer. En effet, j'ai l'impression que
ce problème ne se pose pas uniquement dans les départements d'outre-mer,
notamment en ce qui concerne les transports scolaires. Un certain nombre de nos
collègues ont rencontré des difficultés en matière d'application du code des
marchés publics, compte tenu de l'urgence qu'il y avait souvent, à la rentrée,
à mettre en place des transports scolaires. Peut-être pourra-t-on appliquer à
la métropole les dispositions qui auront été prises pour les DOM ! Cela serait
très intéressant, n'est-ce pas, monsieur le président ?
M. le président.
Sans doute !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
L'article 2 prévoit quant à lui la consultation des
assemblées des différents territoires, et l'article 3, comme je le disais tout
à l'heure, définit des délais d'habilitation.
En conclusion, la commission des lois, après l'avoir examiné, propose au Sénat
d'adopter sans modification l'ensemble du projet de loi portant habilitation du
Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures législatives nécessaires à
l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer. Bien entendu,
tous nos collègues seront extrêmement sensibles au fait que nous nous attachons
à faire en sorte que les territoires d'outre-mer - et quelquefois aussi les
départements, puisqu'il y a un texte sur les départements - et la
Nouvelle-Calédonie, futur «pays d'outre-mer » puissent avoir une législation
adaptée à notre temps.
M. le président.
La parole est à M. Laufoaulu.
M. Robert Laufoaulu.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous voici aujourd'hui réunis pour examiner un projet de loi portant
habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures
législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit
applicable outre-mer.
Il s'agit du second en deux ans, et nous serons amenés fin novembre à ratifier
les ordonnances prises en vertu de la première loi d'habilitation votée en
1998.
Qu'il me soit permis d'exprimer un léger regret sur l'ordre du jour : en
effet, du fait de l'éloignement géographique des sénateurs concernés par
l'outre-mer, il m'aurait paru souhaitable de regrouper l'examen de ces textes,
comme cela a été fait à l'Assemblée nationale.
Mis à part ce détail, je n'exprimerai pas les mêmes réserves que bon nombre de
parlementaires - je prie M. Hyest de m'en excuser - notamment nos collègues
députés en juin dernier, sur l'utilisation de la procédure des ordonnances : il
me semble en effet que, sur des domaines tels que ceux dont il est question,
notamment pour la transposition outre-mer des règles déjà existantes en
métropole, le recours aux ordonnances ne constitue pas une violation des droits
du Parlement, et nous permet au contraire de soulager un peu un ordre du jour
déjà bien rempli.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Ah, si c'est uniquement pour cela, d'accord !
M. Robert Laufoaulu.
Cette opinion ne vaut néanmoins que sous réserve que les élus de chaque
département ou territoire soient consultés et associés à l'élaboration des
textes les concernant.
Cela vaut tout particulièrement, s'agissant des îles Wallis-et-Futuna, pour la
création de l'agence de santé.
Bien entendu, la création d'un établissement public national à caractère
administratif chargé d'élaborer un programme de santé publique ne peut que nous
réjouir. Une telle initiative, que nous devons saluer, correspond à un réel
besoin à Wallis-et-Futuna. Tous ceux qui connaissent le territoire savent à
quelle impérieuse nécessité répond une telle décision.
Qu'il me soit donc permis, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous rendre un
hommage chaleureux pour ce projet qui vous doit tant, et de vous en remercier
très solennellement.
Néanmoins, la perfection n'étant pas de ce monde, je suis certain que M. le
secrétaire d'Etat ne m'en voudra pas de lui faire part de quelques remarques
sur l'avant-projet d'ordonnance sur l'agence de santé qu'il a bien voulu nous
communiquer, concernant des points qui préoccupent l'ensemble des élus de
Wallis-et-Futuna, et qu'il me semble nécessaire de rappeler ici puisque
l'occasion m'en est donnée.
Tout d'abord, je souhaite attirer votre attention, monsieur le secrétaire
d'Etat, sur le système de tutelle actuellement envisagé. Ce premier point me
semble important et suscite une inquiétude générale, tant la triple tutelle du
secrétariat d'Etat à l'outre-mer, du secrétariat d'Etat à la santé et à
l'action sociale et du secrétariat d'Etat au budget laisse augurer une lourdeur
handicapante pour le bon fonctionnement de cet établissement.
En second lieu, la participation éventuelle du territoire au budget de
l'agence de santé appelle une certaine réserve, car elle paraît contraire à la
loi du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis-et-Futuna le statut de
territoire d'outre-mer, et qui stipule dans son article 7 que « la République
assure l'hygiène et la santé publique ».
Troisièmement, la participation éventuelle des usagers, si elle ne suscite pas
une hostilité de principe de ma part, m'incite à vous demander des assurances
fermes et publiques que seuls les plus nantis pourraient un jour être concernés
par une telle mesure.
En effet, comme vous le savez, l'immense majorité de la population du
territoire de Wallis-et-Futuna ne dispose que de très faibles ressources.
Envisager de la faire payer en ferait renoncer beaucoup à aller se faire
soigner, réduisant ainsi à néant tous les progrès effectués ces dernières
décennies en matière sanitaire et médicale, alors même que vous savez bien,
monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il reste encore tant à faire dans ce domaine.
S'agissant toujours de l'agence de santé, je salue votre volonté affichée
d'agir en faveur des personnes handicapées. Il me paraîtrait cependant
souhaitable que le programme de santé publique intègre dans ses préoccupations
les personnes âgées : en effet, si cela peut aujourd'hui sembler secondaire, au
fil du temps cela risque de revêtir une importance plus grande.
Par ailleurs, afin de préparer au mieux la mise en place de l'agence et, ce
faisant, de ne pas perdre le bénéfice de l'augmentation de la dotation
consentie par l'Etat, il me semble indispensable que les 17,4 millions de
francs prévus, correspondant au premier versement de l'apurement de la dette,
soient inscrits dans la loi de finances rectificative de cette année. Cette
demande est d'autant plus pressante que la CAFAT et le centre hospitalier de
Nouméa attendent légitimement ces remboursements.
Pour terminer sur ce sujet primordial pour le territoire, je souhaite dire un
mot sur la formation des personnels hospitaliers, qui doit être prévue au
budget de l'établissement - c'est indispensable -, qui devra être fortement
majoré à ce effet.
Par conséquent, et à l'identique de la procédure applicable au corps médical,
le plan de formation des personnels non médicaux qui sera élaboré chaque année
devrait être également soumis à la consultation du comité d'établissement.
Enfin, pour ce qui concerne les statuts du personnel du service de santé,
c'est leur diversité qui est à l'origine du malaise social qui y règne
actuellement. Aussi faudra-t-il réfléchir sérieusement à cette question qu'une
convention collective ne réussira pas à trancher définitivement.
Les autres articles du projet de loi d'habilitation appelleront peu de
remarques de ma part.
Je me réjouis tout particulièrement de l'amélioration des conditions générales
de sécurité des travailleurs, et je vous remercie, monsieur le secrétaire
d'Etat, d'avoir accepté les amendements du député Victor Brial, relatifs, d'une
part, à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles, mesure qui
devrait rassurer les entreprises installées à Wallis-et-Futuna et, d'autre
part, à l'âge de la scolarité obligatoire.
Tout ce qui a trait à l'éducation et à la formation m'intéressant tout
particulièrement, comme vous le savez, je profite donc de l'occasion que me
donne cette discussion pour vous dire qu'une réflexion sérieuse est
actuellement menée par le vice-rectorat du territoire sur la réforme des
programmes et filières d'enseignement, notamment professionnel, et que j'espère
vivement que le Gouvernement lui réservera un accueil favorable.
Je regrette en revanche que rien n'ait été prévu en matière d'aide au
logement, comme cela existera bientôt à Mayotte en vertu de l'ordonnance n°
98-520 du 24 juin 1998. J'espère que nous pourrons réfléchir ensemble à
l'instauration à Wallis-et-Futuna d'un système d'aide à l'accession à la
propriété au profit des ménages à revenu intermédiaire, comme vous vous y êtes
engagé.
Je terminerai mon intervention sur la question du droit d'asile évoquée à
l'article 4 de ce projet de loi d'habilitation. Cette disposition soulève
quelques inquiétudes, non dans son principe, mais pour les problèmes éventuels
qui pourraient en découler, notamment pour l'application du dispositif des
zones d'attente.
Pour conclure, permettez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, sous les quelques
réserves que je viens d'exprimer, de vous remercier pour les ordonnances en
prévision. C'est avec joie et avec confiance que je voterai donc ce projet de
loi d'habilitation.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
souhaite vous faire part de deux interrogations, l'une générale et l'autre plus
particulière. Sur un plan général, nous n'estimons pas que la procédure
d'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance soit satisfaisante.
Cette position de notre part ne date pas d'aujourd'hui : nous estimons que la
représentation nationale, le pouvoir législatif, doit pouvoir contrôler jusqu'à
son terme l'élaboration des normes du domaine de la loi au regard de la
Constitution.
Cette attitude de principe, nous la maintenons, même si nous reconnaissons,
notamment dans le domaine concerné aujoud'hui, la nécessité d'une très grande
souplesse, d'une marge de manoeuvre pour le Gouvernement dans ses discussions
avec les représentants élus des différents départements et territoires.
Au regard du contenu de l'action gouvernementale, nous voterons le projet de
loi, mais cela ne vaut tout de même pas approbation de la méthode.
Ma question particulière concerne le flou des dispositions envisagées à
l'avenir pour l'Institut d'émission des départements d'outre-mer, l'IEDOM.
Le texte ne fait référence qu'à la seule modification à venir, par ordonnance,
du statut de l'Institut. Nous souhaitons, monsieur le secrétaire d'Etat,
obtenir aujourd'hui ou rapidement quelques précisions supplémentaires. Ma
question, vous l'avez compris, s'inscrit dans le cadre des attentes des 326
salariés de l'IEDOM.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, une
nouvelle fois, en vertu de l'article 38 de la Constitution, le Parlement est
sollicité pour habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures
législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit
applicable outre-mer.
Ainsi que l'a observé justement le rapporteur de la commission des lois, notre
excellent collègue, M. Jean-Jacques Hyest, le recours à cette procédure tend à
se banaliser. Nous allons d'ailleurs examiner prochainement quatre projets de
loi de ratification d'ordonnances portant sur le même sujet, prises sur le
fondement de la loi d'habilitation du 6 mars 1998.
Il s'agit, il faut tout de même le reconnaître, d'une procédure qui présente
une certaine gravité car elle emporte dessaisissement volontaire du législateur
au profit de l'exécutif dans de nombreuses matières qui intéressent aussi bien
les départements que les collectivités et territoires d'outre-mer. En
regroupant divers sujets qui mériteraient chacun d'être traité plus à fond,
force est de constater également que la technique de l'habilitation n'est pas
très mobilisatrice.
Cependant, nous avons tous conscience de la complexité qu'entraîne
l'application du droit outre-mer, d'un droit régit, tantôt, pour les
territoires d'outre-mer, par le principe de spécialité législative, tantôt pour
les départements d'outre-mer, par le principe d'assimilation. Quant aux
collectivités
sui generis
, des modalités différentes existent encore.
Cette situation est le résultat des particularités géographiques, économiques
et culturelles qui caractérisent l'outre-mer dans son ensemble.
Des adaptations législatives et réglementaires se révèlent donc nécessaires,
mais elles prennent du temps et finissent par augmenter les retards, surtout si
l'on prend en compte le fait que les recommandations des circulaires de 1988 et
1990 adressées aux administrations centrales ne sont pas toujours suivies.
Ce constat critique ne doit pas cependant nous faire perdre de vue que
l'adaptation du droit de l'outre-mer demeure une priorité car il y va de son
développement et de sa modernisation.
L'outre-mer, dans son ensemble, est en train de connaître de profonds
bouleversements. Nous en avons pris acte pour la Nouvelle-Calédonie. Nous le
ferons bientôt pour la Polynésie française.
En ce qui concerne les départements d'outre-mer, notre collègue Claude Lise et
Michel Tamaya, député de la Réunion, ont remis au Premier ministre un excellent
rapport dans lequel ils expriment une série de propositions qui vont dans le
sens de l'approfondissement de la décentralisation, mais en prenant en compte
le contexte particulier des collectivités locales d'outre-mer. Nous devons
également nous atteler à la modification du statut de Mayotte - n'est-ce pas la
priorité ? - qui joue le rôle de pôle de stabilité dans l'archipel des
Comores.
Le groupe socialiste votera ce projet de loi d'habilitation, car ce texte
permettra de procéder de façon rapide et efficace à l'actualisation très vaste
du droit outre-mer. Cette remise à niveau est en effet indispensable.
Les domaines d'intervention de l'habilitation en témoignent. Avec l'ensemble
de ces dispositions, nous répondons à des obligations financières, nous
veillons à l'extension de droits sociaux et, au final, nous confortons la
sécurité juridique du droit de l'outre-mer.
En ce qui concerne les questions relatives aux agences départementales
d'insertion et à l'Institut d'émission des départements d'outre-mer - deux
questions essentielles de ce projet de loi - elles évoluent correctement et, en
tout état de cause, demeureront au service de l'outre-mer.
D'autres projets d'habilitation seront inévitablement déposés dans l'avenir
car cette procédure se révèle bien adaptée au caractère très technique des
mesures qui doivent être prises.
Quoi qu'il en soit, le Parlement conserve son pouvoir de contrôle, et il
l'exercera au moment de la ratification. Aussi - dois-je le redire ? - le
groupe socialiste approuvera ce projet de loi d'habilitation.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, je ne reviendrai pas sur la
procédure, mais je voudrais apporter quelques précisions aux intervenants qui
m'ont posé des questions.
Tout d'abord, je répondrai à M. Laufoaulu, sénateur de Wallis-et-Futuna, qui
m'a posé six questions sur l'agence de santé.
En ce qui concerne la tutelle, comme le préfet présidera l'établissement
public, il ne pourra plus exercer le pouvoir de tutelle puisqu'il serait en
quelque sorte juge et partie dans ce domaine. La tutelle sera donc exercée au
niveau central, au niveau parisien ; mais je veillerai à ce qu'elle soit le
plus allégée possible et que ce dispositif n'entrave pas le travail conduit par
l'agence.
En ce qui concerne la participation du territoire, elle ne peut être que
facultative et ne peut porter que dans ses domaines de compétences. Or, d'une
façon générale, la santé est de la compétence de l'Etat.
Sur la participation des usagers, je connais bien le niveau de vie à
Wallis-et-Futuna et je pense qu'une participation des usagers ne pourra être
envisagée que lorsque ce territoire connaîtra un véritable développement
économique. En tout état de cause, comme vous le souhaitez, cette participation
sera modulée en fonction des revenus des habitants.
S'agissant des personnes âgées, elles pourront être intégrées dans le
dispositif de l'agence de santé par convention avec le territoire. Je signale à
ce propos que le Gouvernement a prévu, à partir de l'an 2000, de doubler, sur
trois ans, le minimum vieillesse qui est versé aux personnes âgées à
Wallis-et-Futuna.
Pour la formation des personnels hospitaliers, je partage votre souci de la
prévoir au budget de l'agence et je veillerai à ce que les formations
nécessaires à l'emploi soient bien mises en place.
Je vous indique par ailleurs que le statut du personnel sera régi par le droit
du travail applicable à Wallis-et-Futuna et par une convention collective
validée par les ministères de tutelle.
Monsieur le sénateur, vous avez également souhaité que la dette de l'hôpital
de Wallis-et-Futuna à l'égard de l'hôpital Gaston-Bourret à Nouméa - en fait,
il s'agit des évacuations sanitaires - soit inscrite dans la loi de finances.
Conformément aux engagements pris, une première tranche figurera bien dans la
loi de finances rectificative, à hauteur de 17,4 millions de francs. Nous avons
ainsi prévu un plan d'apurement de cette dette.
Enfin, monsieur le sénateur, en ce qui concerne les conditions d'application
du droit d'asile, je dois dire que le Gouvernement souhaite la mise en oeuvre
de ces dispositions tant pour régler un problème d'interprétation des règles
découlant de la Convention de Genève que pour renforcer l'efficacité du
contrôle de l'immigration irrégulière ou clandestine.
Le dispositif qui sera mis en oeuvre par ordonnances - dispositif
réglementaire d'abord, législatif ensuite - permettra de prendre en compte ces
données.
En ce qui concerne Wallis-et-Futuna, le territoire ne connaît pas beaucoup
d'immigration clandestine, vous en conviendrez, puisque je crois savoir que
seulement une cinquantaine d'étrangers y résident ; et je ne pense pas qu'il y
ait de nombreux immigrants clandestins en dehors de ces cinquante personnes.
Je voudrais également apporter des précisions à MM. Hyest et Duffour
concernant le statut de l'IEDOM.
Comme vous l'avez indiqué, messieurs les sénateurs, cette révision est rendue
nécessaire sur le plan européen, puisque chaque Etat ne peut plus avoir qu'une
banque centrale. Par conséquent, cette activité ne peut plus être exercée dans
le cadre d'un établissement de crédit comme l'Agence française de
développement, dont dépend aujourd'hui l'IEDOM.
Pour ce qui est du changement de statut, deux termes de l'alternative ont été
examinées, dont, en premier lieu, l'idée d'une société anonyme, filiale de la
Banque de France ; or cette hypothèse n'a pas été retenue, et ce à la demande
des syndicats.
Reste maintenant la possibilité soit d'intégrer l'IEDOM à la Banque de France
- ses agences devenant des succursales de la Banque de France, ce qui est
souhaité par certains syndicats. Il faut rappeler que la Banque de France a son
statut propre, qui peut être attractif ; cela étant, je crains que
l'intégration dans cette structure ne pose des problèmes à un personnel de
l'IEDOM qui est évidemment régi par une multiplicité de statuts. Cette solution
ne me paraît pas, aujourd'hui, pouvoir être retenue.
Il est envisageable de ce fait que l'établissement public du type IEDOM soit
maintenu, afin de tenir compte de la spécificité économique des départements
d'outre-mer et des marchés qu'ils ont à traiter, notamment des missions
d'études que l'IEDOM réalise chaque année.
Ses travaux sont importants, tant en volume que sur le fond. La commission des
lois en est destinataire comme moi-même et nous savons qu'ils sont une source
de renseignements considérable sur l'activité économique des départements
d'outre-mer. Je dois dire qu'à ce jour c'est la solution de cet établissement
public, placé sous le contrôle de la Banque de France, qui a la préférence du
Gouvernement.
Si nous allons vers plus de responsabilité pour les départements d'outre-mer,
il me semble que, sur le plan bancaire, sur le plan des marchés financiers,
c'est la formule de l'établissement public lié à la Banque de France qui paraît
la plus appropriée.
En toute hypothèse, je peux vous assurer que nos préoccupations visent au
maintien d'un service public de qualité pour le développement économique des
départements d'outre-mer et pour la sauvegarde des intérêts réels des
agents.
Il y aura donc, évidemment, consultation des organisations professionnelles -
cela existe depuis près d'un an déjà - mais aussi des collectivités concernées,
puisque, je dois le dire, les projets d'ordonnance sont transmis à chaque
département, à chaque collectivité concernés, pour délibération, et ce avant la
publication des ordonnances.
Cette procédure de consultation est indispensable et vous serez bien
évidemment saisis, messieurs les sénateurs des départements d'outre-mer, des
textes prévoyant l'évolution de cette institution.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. le président.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er