Séance du 3 novembre 1999
M. le président. « Art. 1er bis . _ Il est inséré, dans le code du travail, un article L. 212-1-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 212-1-2 . _ Tout salarié soumis à un aménagement de son temps de travail bénéficie de contreparties pertinentes et proportionnelles aux sujétions professionnelles et personnelles imposées. »
Par amendement n° 6, M. Souvet, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet, rapporteur. Cet amendement vise à la suppression de l'article 1er bis. En vertu d'un principe établi par les partenaires sociaux en 1989, des contreparties pertinentes et proportionnelles aux sujétions imposées aux salariés sont accordées à ces derniers. Ce principe ayant été établi, il ne paraît pas nécessaire de l'inscrire dans la loi. C'est la raison pour laquelle la commission vous propose d'adopter un amendement de suppression de cet article.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Cet article, qui résulte d'un amendement adopté à l'Assemblée nationale, prévoit que tout salarié qui est soumis à un aménagement du temps du travail doit bénéficier de contreparties pertinentes et proportionnelles aux sujétions professionnelles et personnelles imposées.
Pour ma part - je l'ai d'ailleurs dit à l'Assemblée nationale lors du débat - je préférerais - je pense que nous allons y travailler d'ici à la nouvelle lecture, et j'aurais accepté cet amendement s'il avait été complété par d'autres - que l'on prévoie ces contreparties dans les cas réels d'aménagement du temps de travail où elles sont nécessaires. Je pense, par exemple, à des modulations larges, à des changements d'horaires dans le cas du travail à temps partiel, ou à une réduction du délai de prévenance. L'existence de ces contreparties me paraît importante à chaque fois que la souplesse entraîne des modifications dans les conditions de vie ou un risque de précarisation du salarié.
Pour ma part, je préférerais que, à la place d'un article général, qui est un peu placé hors du contexte, des dispositions soient prévues chaque fois que cela est nécessaire. C'est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur, si vous aviez repris cette notion, notamment sur les trois thèmes dont je parle, j'aurais pu être favorable à cet amendement. Mais comme il n'en est rien et que vous supprimez totalement l'idée de contrepartie en cas de souplesse, je ne peux qu'être défavorable à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 6.
M. Alain Gournac. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Avec cet article 1er bis, nous examinons la série de quatre articles additionnels cédés à la majorité plurielle de l'Assemblée nationale.
Les entrepreneurs que nous avons rencontrés s'inquiétaient déjà de la première mouture du projet de loi.
Certains en avaient pris leur parti et avaient décidé de s'en accommoder. Mais ici, avec ces quatre articles additionnels, nous nous retrouvons dans une problématique moderne d'opposition des classes sociales.
Plus aucun pays moderne ne prône cette logique de confrontation permanente entre patrons et salariés.
Cet article 1er bis, adopté sur l'initiative des Verts, prévoit des contreparties pour tout salarié qui serait soumis à un aménagement de son temps de travail. Il est ainsi supposé bénéficier de contreparties pertinentes et proportionnelles aux sujétions qui lui sont imposées.
Personne ne conteste qu'en soi cela est pertinent. Mais fallait-il l'inscrire dans la loi ?
Ce principe de contreparties est retenu depuis dix ans par les partenaires sociaux, et il n'apparaît pas nécessaire de l'ériger en principe de loi immuable puisque les seuls cas où il n'est pas appliqué, c'est justement lorsque les entreprises sont dans une situation telle qu'elles ne pourraient assumer un surcoût salarial.
Mais permettez-moi de citer les propos que vous avez tenus à l'Assemblée nationale, madame le ministre : « Je suis d'accord sur le principe mais je pense que l'endroit proposé par les Verts pour insérer une telle disposition n'est peut-être pas le meilleur », avez-vous dit.
En conséquence, madame le ministre, je pense que vous ne verriez pas d'inconvénient à ce que nous supprimions cet article 1er bis.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, je venais moi-même de rappeler la phrase que j'avais prononcée à l'Assemblée nationale. Je n'ai pas de double langage et, en règle générale, j'essaie, dans mes propos, d'être cohérente avec mes pensées.
A l'Assemblée nationale, j'ai effectivement dit que, au lieu d'inscrire ce principe général, nous devions être capables de prévoir ces contreparties là ou elles se justifiaient. C'est la raison pour laquelle, comme je l'ai indiqué à M. le rapporteur, et parce que nous ne retrouvons ces contreparties à aucun endroit dans le texte, je ne peux que m'opposer à cet amendement.
Monsieur le sénateur, je ne pense pas qu'une problématique moderne vise à considérer que les uns ont raison contre les autres. Au contraire, dans une problématique moderne, quand on crée des contraintes à certains, on est prêt à en payer le prix. C'est vrai dans un cas comme dans l'autre. C'est toute la logique de la réduction du temps de travail.
La souplesse est nécessaire aux entreprises pour mieux utiliser leurs équipements, pour mieux répondre à leurs clients en termes de qualité et de délais ; elle est également nécessaire pour répondre à une saisonnalité, liée au temps ou à la consommation. Nous en sommes tous d'accord. Quand cette saisonnalité est prévisible, lorsqu'elle n'est pas précarisante, les contreparties ne se justifient pas. Mais dès lors qu'elle est imprévisible et que des changements peuvent modifier les conditions de vie des salariés, il n'est pas aberrant, dans une société moderne, que des contreparties négociées puissent être avancées.
Personnellement, je pense qu'à des souplesses précarisantes pour les salariés doivent répondre des contreparties. Cela fait partie des relations « modernes », comme vous dites. Je dois avouer que je n'aime pas beaucoup ce mot dont je n'ai d'ailleurs jamais très bien compris ce qu'il signifiait. Cela veut dire tout simplement que chacun est prêt à rentrer dans la logique de l'autre et à prendre en compte les problèmes posés dès lors qu'ils sont réels, et, dans ce cas, à prévoir des contreparties qui sont elles-mêmes discutées. On est au contraire dans une logique de changement profond des relations sociales où les chefs d'entreprise n'imposent plus la flexibilité mais la légitiment, l'explicitent. Lorsqu'elle est acceptée et si elle n'entraîne pas de modification dans les conditions de vie, il n'y a pas de contrepartie ; dans le cas contraire, il y a alors des contreparties.
La réduction du temps de travail permet de telles négociations dans l'entreprise, c'est-à-dire une meilleure compréhension des intérêts des uns et des autres et la recherche de solutions mieux équilibrées. C'est d'ailleurs l'objectif même des négociations !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er bis est supprimé.
Article 1er ter