Séance du 10 novembre 1999
DIVERSES PROFESSIONS RELEVANT
DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE
Adoption d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 416,
1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, portant sur diverses professions
relevant du ministère de la justice, la procédure civile et le droit comptable.
[Rapport n° 57 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président, monsieur
le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, dans le cadre de l'examen de cette proposition de loi,
déposée à l'origine par M. Gérard Gouzes, je commencerai tout d'abord par vous
demander de soutenir l'article 2, qui vise à permettre, sous certaines
conditions, la perception par les huissiers de justice d'un droit proportionnel
à la charge du créancier pour le recouvrement forcé des créances.
Consciente que cette mesure est controversée, je voudrais vous faire part des
quelques éléments de contexte qui m'apparaissent indispensables au débat.
Je rappelle qu'il y a, au départ, un choix très clair de l'Etat : ne pas
exécuter lui-même les décisions de justice, mais confier l'exclusivité de cette
tâche à des professionnels libéraux, officiers publics et ministériels, les
huissiers de justice.
On peut évidemment contester ce choix. Je constate, pour ma part, que le
système qui est le nôtre depuis très longtemps se développe partout dans le
monde et en Europe - je pense notamment aux pays de l'ancien bloc de l'Est - et
qu'il fait, ainsi, largement preuve de son efficacité et de son pouvoir
d'attraction.
Ces professionnels doivent, bien entendu, être rémunérés pour les
recouvrements qu'ils effectuent.
L'article 32 de la loi du 9 juillet 1991 sur les procédures civiles
d'exécution a posé comme principe que, en matière d'exécution forcée,
l'ensemble des frais est à la charge du débiteur. Or, le décret tarifaire de
1996 prévoyait que les frais étaient partagés entre le débiteur et le
créancier. Ils sont entièrement tarifés, et l'huissier a interdiction de
prélever des honoraires libres sur les créanciers.
Dans un arrêt du 5 mai 1999, le Conseil d'Etat a annulé les dispositions qui
permettaient de prélever un droit sur le créancier.
Que se passera-t-il si la proposition de loi qui vous est soumise n'est pas
adoptée ? Les huissiers ne seront plus rémunérés que par le seul droit à la
charge du débiteur. Or, nous savons que c'est manifestement insuffisant.
Le Gouvernement a toujours eu le souci, que l'on peut comprendre, d'alléger la
charge des débiteurs et a donc fixé ce droit à un niveau très bas.
Si, faute de rémunération décente, les huissiers ne peuvent plus faire leur
travail, je crains qu'ils ne laissent le marché du recouvrement, dans le
meilleur des cas, à des sociétés de recouvrement, incontestablement plus chères
et, dans le pire des cas, à la pure force privée : on sait que cela existe, et
que trop souvent déjà on fait intervenir des « gros bras » pour les expulsions
ou les recouvrements de créances, au mépris du respect du droit et de la
dignité humaine.
Je sais, bien sûr, qu'aucun d'entre vous ne souhaite que l'on en arrive à de
telles extrémités. Quelles peuvent-être, alors, les solutions ?
Je crois que nous devons tout d'abord exclure d'augmenter les droits pesant
sur les débiteurs : ce serait contraire aux orientations prises par le
Parlement, qui a voté, dans la loi relative à l'exclusion, une réduction de
moitié du tarif des huissiers au profit des débiteurs surendettés. Mais ce
serait aussi socialement injuste, dans la mesure où la majorité des débiteurs
sont non pas de mauvaise foi mais confrontés à de réelles difficultés
économiques et financières. Il ne faut donc pas les accabler davantage.
Une autre voie, qui consisterait à rétablir le système des honoraires libres,
pourrait également être envisagée.
Je n'y suis pas, pour ma part, très favorable - et la profession d'huissier
pas davantage - parce que l'expérience a montré à quelles dérives et inégalités
pouvait conduire une liberté mal maîtrisée dans un domaine aussi sensible.
C'est la raison pour laquelle je crois indispensable de soutenir la
modification prévue à l'article 2 de la proposition de loi. D'abord, comme je
l'ai déjà dit, parce que les solutions alternatives ne sont pas satisfaisantes,
mais aussi et surtout parce que l'impact de cette mesure doit être
relativisé.
Il s'agit d'une mesure dont l'application ne coûtera pas très cher aux
créanciers, qui sont pour la plupart, nous le savons, des créanciers
institutionnels. A titre d'exemple, ceux-ci devront payer 338 francs pour faire
recouvrer une créance de 3 000 francs. Je rappelle que les tarifs des sociétés
de recouvrement sont de l'ordre de 25 % de la somme due, soit, pour reprendre
le même exemple, 750 francs !
Par ailleurs, la modification proposée ne nous interdira pas de réfléchir très
concrètement aux problèmes de l'exécution des décisions de justice, qui, je le
sais, vous préoccupent. C'est un thème que l'on ne peut, à mon sens, aborder de
manière dispersée, et l'article proposé ici est essentiel pour maintenir une
exécution professionnelle et efficace des décisions de justice.
Enfin - et je crois que cela devrait pleinement vous rassurer, du moins je
l'espère - un projet de décret a déjà été préparé, qui a reçu, avant l'été, sur
ses points essentiels, l'accord des trois organismes représentatifs de la
profession d'avocat et de la profession d'huissier. Ce texte est très
important, car il prévoit l'exonération totale des créanciers prud'homaux, des
créanciers d'aliments et des organismes publics et sociaux. Il maintient, par
ailleurs, l'interdiction pour les huissiers de percevoir des honoraires
libres.
Cependant, il ne pourra être soumis au Conseil d'Etat que si cette proposition
de loi est adoptée. Voilà pourquoi je vous demande, mesdames, messieurs les
sénateurs, de bien vouloir voter ce texte, qui me paraît constituer une
solution équilibrée à l'ensemble des problèmes que je viens d'évoquer.
Je souhaite également que les autres mesures proposées, qui concernent les
autres professions judiciaires et juridiques dont j'ai la charge ainsi que la
procédure civile, puissent être adoptées.
Par la loi du 6 avril 1998, vous avez créé le comité de la réglementation
comptable, chargé d'établir des prescriptions comptables, et notamment
d'adapter certaines règles aux normes internationales.
Je crois utile, dans un souci de coordination, de donner à ce comité le
pouvoir d'établir certaines prescriptions en matière de comptes consolidés des
sociétés commerciales, celles-ci relevant jusqu'à présent d'un décret en
Conseil d'Etat.
La mesure prévue par l'article 3 de la loi permettra de conforter le comité de
la réglementation comptable, tout en donnant aux sociétés des moyens modernes
d'établissement de leurs comptes consolidés dans un contexte international.
L'article 4 prévoit, quant à lui, d'introduire une modification concernant la
procédure disciplinaire applicable aux avocats. Le législateur de 1990,
soucieux d'améliorer le fonctionnement des ordres, a instauré la possibilité,
pour les conseils de l'ordre des barreaux d'au moins 500 avocats, de siéger
comme conseil de discipline en une ou plusieurs formations de neuf membres,
présidées par le bâtonnier ou un ancien bâtonnier.
En l'état, cette procédure ne permet pas, dans les grands barreaux, de traiter
les dossiers disciplinaires dans de bonnes conditions. En effet, le conseil de
l'ordre statuant en assemblée plénière constitue l'organe disciplinaire de
premier degré. Dans les barreaux regroupant un nombre important d'avocats, dont
celui de Paris, qui en compte plus de 13 000, la réunion en assemblée plénière
du conseil de l'ordre pose d'importants problèmes, notamment pour atteindre le
quorum
requis pour chaque procédure disciplinaire, soit plus de la
moitié des membres du conseil.
Aussi convient-il, pour assurer dans les grands barreaux un traitement
efficace de ces procédures, de réduire de neuf à cinq le nombre des membres
composant les formations disciplinaires et d'élargir aux anciens membres du
conseil de l'ordre la possibilité de siéger dans ces formations.
A la suite d'une erreur de transcription, le texte transmis par l'Assemblée
nationale évoque « les membres ou anciens membres du conseil de l'ordre ayant
quitté leurs fonctions depuis au moins huit ans », au lieu de : « depuis moins
de huit ans » dans la rédaction proposée.
Je vous demande toutefois d'adopter cet article qui, je vous l'assure, fera
prochainement l'objet d'une correction.
(M. Dreyfus-Schmidt
s'esclaffe.)
De même, je vous demande de bien vouloir adopter l'article 5, qui concerne la
procédure civile. J'ai en effet tout particulièrement à coeur de rénover en
profondeur la justice civile, justice du quotidien dont les dysfonctionnements
affectent profondément la vie de nos concitoyens. Je pense, par exemple, ici,
aux lenteurs qui viennent retarder un divorce ou le recouvrement d'une créance
alimentaire.
Cette ambition d'une justice civile rénovée, vous l'avez soutenue en adoptant
la loi du 18 décembre 1998 relative à l'accès au droit. Le pouvoir
réglementaire a bien évidemment joué pleinement son rôle en cette matière pour
permettre de réaliser ces ambitions.
Ainsi, le décret du 28 décembre 1998 relatif à la procédure civile est
intervenu pour améliorer et accélérer le traitement des contentieux civils,
ainsi que pour favoriser les modes de règlement amiable des litiges.
Ce décret prévoit notamment que, lorsque les parties ont transigé et sont
parvenues à un accord, elles ont désormais la faculté de demander au président
du tribunal de grande instance de conférer force exécutoire à leur accord. Il
s'agit d'une disposition essentielle qui s'inscrit pleinement dans la politique
de mise en oeuvre concrète et pragmatique des modes alternatifs de solution des
contentieux.
En effet, le texte permet désormais de donner une valeur juridique nouvelle à
l'accord intervenu, identique à celle d'un jugement. Dès lors, et dans
l'hypothèse où l'une des parties serait tentée de reprendre sa parole et de se
soustraire aux obligations qu'elle avait librement contractées, son adversaire
pourra en poursuivre l'exécution forcée.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Avec droit de recouvrement de la créance ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Vous comprenez, j'en suis sûre, l'intérêt d'un tel
dispositif, gage de sécurité juridique, qui a recueilli l'assentiment tant de
la profession d'avocat, toujours soucieuse de favoriser l'émergence du
compromis - n'est-ce pas monsieur Dreyfus-Schmidt ? -...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pas sur l'article 2, madame la ministre !
(Sourires.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
..., fidèle en cela à l'adage selon lequel « un accord
est toujours préférable à un procès », que de la profession d'huissier de
justice, chargée de l'exécution.
Une difficulté a toutefois été soulevée par la doctrine.
En effet, la loi de 1991 relative aux procédures civiles d'exécution énumère
limitativement les actes qualifiés de titres exécutoires et comme tels
susceptibles de donner lieu à une exécution forcée par huissier. Le législateur
de 1991 n'avait pu, à l'époque, prévoir les développements de la transaction.
Aussi l'article 3 de cette loi ne prévoit-il pas expressément de faire figurer
la transaction au rang des titres exécutoires.
C'est pourquoi il est nécessaire, pour éviter les contestations éventuelles,
de prendre en compte cette innovation et d'inscrire la transaction homologuée
par le juge au côté des décisions de justice. En visant expressément la
transaction, l'article 3 de la loi de 1991, une fois modifié, permettra que les
mesures nouvelles, voulues par le Gouvernement et le Parlement, deviennent
pleinement efficaces.
Enfin, je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir
adopter l'article 6, qui a pour objet la validation de diverses mesures
intéressant la carrière de quatre-vingt-un personnels de l'administration
pénitentiaire.
En effet, les promotions au grade de premier surveillant prenant
respectivement effet au 16 février et au 14 septembre 1998 et faisant suite à
la session du concours interne organisée au titre de l'année 1997 font
actuellement l'objet d'un recours pour excès de pouvoir formé auprès du
tribunal administratif de Paris.
Ce recours est notamment fondé sur les moyens procédant du défaut de base
légale tels que la désignation d'examinateurs en dehors des membres du jury et
l'absence de péréquation des notes entre les différents groupes
d'examinateurs.
Sans vouloir influer de quelque manière que ce soit sur le cours de la justice
régulièrement saisie, je puis vous indiquer qu'il est juridiquement permis de
penser que le second moyen sera écarté, dès lors que l'absence alléguée de
péréquation est infirmée par le procès-verbal en ce qui concerne les épreuves
d'admissibilité et formellement justifiée par les faibles écarts de notes
existant entre les différents groupes d'examinateurs.
En revanche, la désignation d'examinateurs en dehors des membres du jury, qui
est contraire aux dispositions du statut général de la fonction publique,
notamment à l'article 20 de la loi du 11 janvier 1984, est de nature à
justifier l'annulation des promotions de 1998.
Dans ces conditions, sans attendre une décision définitive du juge
administratif, j'ai estimé devoir faire régulariser les promotions litigieuses
en saisissant le Parlement d'un projet de validation législative.
Dans le présent cas, le recours au processus de validation législative ne
contrevient pas au principe de séparation des pouvoirs, puisqu'il ne concerne
que des décisions individuelles sur lesquelles la justice ne s'est pas encore
prononcée. Dans ces conditions, il ne va en aucun point à l'encontre de la
jurisprudence constante du Conseil constitutionnel. Ainsi, la sécurité
juridique des fonctionnaires, dont la carrière s'est poursuivie après qu'ils
eurent bénéficié de l'acte dont la légalité est actuellement mise en cause,
sera assurée.
C'est sous le bénéfice de ces observations que j'ai l'honneur de vous demander
de bien vouloir valider par la voie législative les promotions au grade de
premier surveillant des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire
résultant du concours organisé en 1997.
Lors du discours que j'ai prononcé à Lyon, le 22 octobre dernier, devant la
convention des avocats, j'ai annoncé le dépôt d'amendements à la proposition de
loi soumise aujourd'hui à votre examen. Il s'agissait de tirer les leçons du
rapport que M. Nallet a remis, à ma demande, au Premier ministre sur les
réseaux pluridisciplinaires. Une consultation sur le texte de cet amendement
est en cours avec les trois organisations professionnelles, à savoir le conseil
national des barreaux, la conférence des bâtonniers et le barreau de Paris.
Sitôt la réponse de ces organismes connue, je soumettrai ce texte à la
représentation nationale.
Les avocats sont en effet confrontés à une concurrence nationale et
internationale de plus en plus vive. Ils doivent, par conséquent, disposer des
outils juridiques susceptibles d'assurer la pérennité et le développement de
leur activité. A cet effet, le texte prévoira de modifier sous trois aspects la
loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des
professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire dont le
titre est protégé.
L'évolution de la consultation sur ce projet de modifications de la loi de
1990 ne fait donc pas obstacle à l'adoption conforme de la proposition de loi
dont nous débattons aujourd'hui.
Pour conclure, je tiens à remercier M. Nicolas About, rapporteur, la
commission des lois du Sénat et son président, M. Jacques Larché, pour le vote
conforme qu'ils ont émis hier sur cette proposition de loi.
Je souhaite que le Sénat permette maintenant l'adoption définitive de ce texte
que les différents professionnels concernés attendent, vous le comprendrez,
avec une grande impatience.
(Applaudissements sur les travées socialistes et
sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est
soumis n'a plus rien à voir avec la proposition de loi de M. Gouzes, qui ne
comportait qu'un article unique. Celui-ci a été supprimé par l'Assemblée
nationale, les dispositions qu'il contenait ayant été intégrées à la loi du 23
juin 1999 renforçant l'efficacité de la procédure pénale.
Mais cette proposition de loi a tout de même permis à l'Assemblée nationale
d'insérer d'importantes dispositions relatives aux émoluments perçus par les
huissiers en matière de recouvrement de créances, ainsi que diverses autres
mesures de nature quelque peu hétéroclite.
En ce qui concerne les dispositions relatives aux émoluments perçus par les
huissiers de justice, par exception au principe général selon lequel les frais
de l'exécution forcée sont à la charge du débiteur, la disposition prévue à
l'article 2 a pour objet de permettre le rétablissement de la perception par
les huissiers d'un droit proportionnel de recouvrement à la charge des
créanciers.
Ce droit avait été instauré par les articles 10 à 12 du décret du 12 décembre
1996 portant fixation du tarif des huissiers. Or, ces articles ont été annulés
par un arrêt du Conseil d'Etat en date du 5 mai 1999.
En effet, la légalité du décret de 1996 a rapidement été contestée par les
organismes professionnels représentant les avocats, qui ont saisi la
juridiction administrative de recours pour excès de pouvoir.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pas seulement eux ! Il y a eu également la CFDT, la CGT, etc. !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Le Conseil d'Etat a annulé les articles 10 à 12 du décret,
après avoir constaté que ceux-ci étaient contraires au principe posé par
l'article 32 de la loi du 9 juillet 1991, aux termes duquel « les frais de
l'exécution forcée sont à la charge du débiteur, sauf s'il est manifeste qu'ils
n'étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés ».
Cette annulation a deux effets importants.
Tout d'abord, elle nécessite la validation de l'application du décret dans le
passé pour éviter un abondant contentieux. A défaut, chaque créancier serait en
effet fondé à réclamer le remboursement des droits perçus par les huissiers
entre l'entrée en vigueur du décret et son annulation. On ne peut imaginer
laisser un tel contentieux s'engager, et la validation sera donc proposée à
l'article 7.
Cette annulation pose aussi le problème d'une baisse annoncée de la
rémunération des huissiers estimée de 10 % à 20 % selon les études, selon les
régions, selon, surtout, les dires de la chambre nationale des huissiers de
justice. Je dis : « estimée », car, à ce jour, je n'ai pas, en tant que
rapporteur, de chiffres précis sur lesquels me fonder.
L'article 2 de la proposition de loi vise donc à donner un fondement légal à
la perception par les huissiers d'un droit proportionnel de recouvrement à la
charge des créanciers et, à cette fin, il tend à modifier l'article 32 de la
loi du 9 juillet 1991 en ce sens, permettant un nouveau décret.
Selon les informations qui me sont parvenues, le projet de décret préparé par
le Gouvernement prévoit le rétablissement du droit proportionnel à la charge du
créancier, mais comporte trois importantes modifications par rapport au décret
de 1996.
Tout d'abord, la perception de ce droit serait expressément limitée - vous
l'avez confirmé, madame le garde des sceaux - aux hypothèses où l'huissier est
effectivement mandaté aux fins d'effectuer un recouvrement ou un
encaissement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Encore heureux !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Ensuite, le plafond serait abaissé de moitié, passant de 21
000 francs, ce qui correspond à 2 000 fois le taux de base, à 10 500 francs,
soit 1 000 fois le taux de base, le barème général restant inchangé. Pour
l'instant, rien ne nous dit qu'il pourrait être modifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Eh oui !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Enfin, des exonérations seraient prévues au profit de
nouvelles catégories de créanciers. Seraient exonérés de droits proportionnels
à la charge du créancier les personnes morales de droit public - cette
disposition existait déjà dans le premier décret - mais aussi, après l'adoption
de ce texte, les organismes de droit privé habilités à délivrer des titres
exécutoires, en particulier les organismes d'assurance sociale, ainsi que les
personnes agissant en vertu d'un titre exécutoire relatif soit à un litige
prud'homal soit à une créance alimentaire.
A ce propos, madame le garde des sceaux, ces exonérations me semblent
anormales ; comme s'il existait de mauvais créanciers et de bons créanciers,
des créanciers de qui on pourrait exiger des droits proportionnels de
recouvrement et d'autres qui en seraient exonérés ! Qu'ils soient riches ou
pauvres, on ne fait pas de différence.
L'abaissement du plafond, même s'il était peut-être souhaitable, ainsi que de
nouvelles exonérations contribuent peut-être aussi à réduire l'efficacité du
dispositif. L'abaissement immédiat des moyens qui seront tirés du dispositif
constitue-t-il une bonne solution ? Je ne veux pas exagérer la portée du
dispositif proposé.
La commission des lois a rappelé les problèmes de principe que pose en matière
d'exécution forcée la perception systématique d'un droit proportionnel de
recouvrement pesant sur le créancier. Cependant, consciente des difficultés
auxquelles sont confrontés les huissiers, soucieuse qu'ils puissent exercer
leur mission dans de bonnes conditions pour éviter, comme vous l'avez rappelé,
madame le garde des sceaux, le développement du recours à des sociétés de
recouvrement privées qui n'offrent pas les mêmes garanties que celles qui
résultent du statut d'officier ministériel des huissiers de justice, la
commission des loi propose au Sénat d'adopter sans modification les articles 2
et 7 du texte.
Les autres dispositions de cette proposition de loi sont de nature très
diverse. Mais vous les avez remarquablement exposées, madame le garde des
sceaux, et je ne reviendrai pas sur leur contenu.
La commission a, bien sûr, émis un avis favorable sur les articles 3, 4 et
5.
L'article 6, qui tend à valider les promotions au grade de premier surveillant
des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire consécutives au
concours interne organisé en 1997, soulève des interrogations.
Il faudrait, enfin, cesser de recourir à cette procédure de la validation, qui
est véritablement détestable. Si la commission propose d'adopter l'article 6
sans modification, le rapporteur se permet tout de même d'attirer l'attention
de chacun sur ce type de procédé, qui devrait disparaître ; on imagine dans
quel état d'esprit se trouvent ceux qui ont intenté un recours contre un
concours et qui voient, avant même le prononcé du jugement, le Parlement
valider ce concours !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ils en sont pour leurs frais !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest.
Quelquefois, ils font des recours pour des questions de forme tout à fait
secondaires !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Oui, mais là, il y avait peut-être matière !
Je n'insisterai pas non plus sur l'article 7, puisque j'ai déjà indiqué tout à
l'heure qu'il était nécessaire de valider les droits perçus pendant la période
comprise entre l'entrée en vigueur du décret et son annulation.
Mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations, la commission des
lois vous propose d'adopter sans modification la présente proposition de loi.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, Platon
est mon ami - Mme la garde des sceaux aussi, les huissiers aussi ! - mais la
réalité l'est plus encore.
J'ai eu mon attention attirée sur ce texte par une lettre que j'ai reçue, en
date du 22 septembre 1999, d'un professeur qui se trouve être domicilié dans le
territoire de Belfort. Cette lettre est la suivante :
« Un décret du 12 décembre 1996 autorisait les huissiers requis pour recouvrer
des dettes à prélever des frais auprès des créanciers. C'est original !
Heureusement, un arrêt du Conseil d'Etat du 5 mai 1999 annulait trois articles
de ce décret au motif qu'ils contrevenaient à la loi du 9 juillet 1991, selon
laquelle les frais de recouvrement forcé sont, par principe, à la charge du
débiteur article 32.
« Après une intervention pressante des huissiers auprès des députés pour
empêcher tout recours des créanciers sur le prélèvement de ces frais illégaux,
l'Assemblée nationale, dès le 9 juin, votait un texte allant dans ce sens, et
les huissiers l'opposent désormais à toute demande de remboursement.
« Pourtant ce texte n'est pas définitif, puisqu'il doit encore passer devant
le Sénat en octobre prochain.
« Et je m'adresse à vous sur ce sujet d'une façon un peu intéressée. J'ai en
effet été escroqué naguère par un marchand de meubles que la justice a condamné
en première instance à Belfort, puis en appel à Besançon. Pour recouvrer mon
argent, j'ai dû faire appel à un cabinet d'huissiers de Mulhouse. J'ai obtenu
réparation. Mais il m'en a coûté 780 francs pour une créance de 5 000 francs.
En bref, j'ai payé pour avoir été escroqué.
« Mon cas est, hélas ! loin d'être isolé, non seulement dans cette affaire,
mais dans quantité d'autres du même genre. Je comprends mal l'attitude des
huissiers. Je comprendrais encore plus mal qu'il leur soit donné raison... »
Les termes de cette lettre me paraissent poser le problème de manière claire
et n'appeler qu'une réponse : il est impossible d'accepter le texte qui nous
est proposé.
Est mis à mal par ce texte un principe de la République qui est plus que
fondamental : « qui casse les verres les paie ».
Il est tout à fait normal que celui qui est obligé d'intenter un procès pour
recouvrer son dû, excepté, bien sûr, si l'huissier n'arrive pas à recouvrer sur
le débiteur - à ce moment-là, il est légitime en effet qu'il défraie l'huissier
pour les travaux qu'il a effectués - n'ait rien à payer.
Ce principe, vieux comme le monde - en France, en tout cas - a été de nouveau
posé par l'article 32 de la loi du 9 juillet 1991, que vous connaissez : « Les
frais de l'exécution forcée sont à la charge du débiteur, sauf s'il est
manifeste qu'ils n'étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés.
Les contestations sont tranchées par le juge de l'exécution. »
Lorsque nous avons discuté de ce texte au Sénat, le 15 mai 1990, sept
amendements ont été déposés, mais aucun d'entre eux ne portait sur les premiers
alinéas de cet article 32. Nous avons longuement débattu pour savoir comment il
fallait légiférer en ce qui concerne les recours amiables, en particulier par
les officines de recouvrement, mais, sur le principe même, il ne s'est pas
trouvé un sénateur ou un membre du Gouvernement pour proposer que le créancier
ait un droit de recouvrement à payer ; je tenais à le rappeler.
Un créancier, un débiteur, c'est quoi ?
Le créancier n'est pas
a priori
quelqu'un de riche et le débiteur n'est
pas forcément quelqu'un de pauvre. Nous avons un demandeur et un défendeur ;
nous en avons un qui a raison et l'autre qui a tort. Le demandeur est obligé
d'engager des frais pour récupérer ce qui lui est dû. Ainsi, une victime
d'escroquerie, d'accident ou de toute autre infraction devient un créancier.
Par ailleurs, sont des titres exécutoires, vous l'avez rappelé, madame le
garde des sceaux, les décisions des juridictions, le titre délivré par
l'huissier en cas de non-paiement d'un chèque, les procès-verbaux de
conciliation signés par les juges et parties. Et, comme vous l'avez annoncé,
vous allez nous proposer tout à l'heure un article 5 aux termes duquel devront
également être considérées comme des titres exécutoires les transactions
homologuées par le juge.
Autrement dit : vous avez reçu un chèque en bois ; vous voulez qu'il vous soit
crédité ; vous le donnez à l'huisser qui vous délivre un titre, et celui-ci est
un titre exécutoire. Or, vous allez devoir payer un droit de recouvrement sur
ce chèque !
Est-ce juste ? Est-ce normal ? Est-ce moral ? Vraiment, je ne le pense pas et
je suis sûr que bien peu nombreux sont ceux qui, sur ces travées, sont d'un
autre avis.
Que deviennent les principes ? D'abord, la justice gratuite. Ah ! nous l'avons
longtemps réclamée et nous l'avions presque obtenue puisqu'il n'y avait plus de
frais à payer. Et voilà que la TVA est arrivée, mettant un terme à cette
situation de gratuité, et il faudrait maitenant, en plus, que le créancier paie
un droit de recouvrement !
Et puis, il est un autre principe, le droit à la réparation intégrale -
intégrale ! - du préjudice, c'est-à-dire sans subir la diminution d'un droit de
recouvrement. La réparation intégrale du préjudice n'existerait plus ?
La loi a progressivement mis en place en matière civile l'article 700, avec
ses équivalents en matière pénale, avec ses équivalents en matière
administrative, en vertu desquels le juge a le droit de condamner le perdant à
une indemnité au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Va-t-il falloir maintenant, pour récupérer l'indemnité prévue à l'article 700,
payer un droit de recouvrement ? Ce n'est pas possible !
Pour quelle raison le serait-ce ? Lorsqu'un tribunal condamne le perdant à
verser une indemnité au titre de l'article 700, il ne sait pas si le défendeur
s'exécutera volontairement ou non. Il ne peut donc être question d'intégrer
dans les dommages et intérêts les droits de recouvrement qui seraient demandés
au créancier obligé d'avoir recours à un recouvrement forcé parce que le
débiteur ne veut plus payer.
Je ne parle pas, bien sûr, du cas du débiteur qui ne peut pas payer. On ne
peut pas raser un oeuf ! Dans ce cas, il est effectivement normal que le
créancier qui voudra essayer de recouvrer sa créance désintéresse l'huissier.
Mais, dans les autres cas, il n'y a aucune raison qu'il le fasse.
A déjà été rappelée la teneur du décret du 12 décembre 1996 - M. Toubon était
alors garde des sceaux - qui était manifestement contraire à la loi et qui
mettait en place un droit proportionnel de recouvrement ou d'encaissement à la
charge du débiteur, en matière d'exécution forcée, et un droit proportionnel de
recouvrement ou d'encaissement à la charge du créancier en matière de
recouvrement amiable ou forcé, ce droit étant d'un montant plus élevé, 21 000
francs au maximum, et les tranches du barème dégressif étant elles aussi plus
élevées.
Par ailleurs, ce décret prévoyait une exception : les personnes morales de
droit public délivrant des titres qualifiés d'exécutoires en étaient exonérées.
En effet, ce qui est bon pour le tout-venant n'est pas bon pour l'Etat, qui ne
s'applique pas certaines règles à lui-même !
Ce décret a, évidemment, été annulé.
Il est important de relever, à cet égard, que le Conseil d'Etat avait été
saisi, d'abord, par un certain M. Morin, puis par les barreaux de Paris, de
Marseille, par le conseil national des barreaux, par la conférence des
bâtonniers, puis, sur intervention, par les barreaux de Toulouse, de
Versailles, de Seine-Saint-Denis, de Lyon, d'Aix-en-Provence, de Grenoble, de
Nice, de Lille et de Strasbourg, la confédération des avocats, le syndicat des
avocats de France. Mais il n'y avait pas qu'eux !
En effet, comme je me suis permis, tout à l'heure, de vous le faire remarquer
lorsque vous parliez d'organismes d'avocats, madame le garde des sceaux, il y
avait également - excusez du peu ! - la Confédération française démocratique du
travail, la CFDT, et la Confédération générale du travail, la GCT.
Je constate, en outre, que des organismes de consommateurs continuent à nous
demander d'empêcher que les dispositions de ce décret puissent de nouveau être
appliquées. Cela fait donc beaucoup de monde !
J'ignore pourquoi on parle essentiellement des avocats. Ils constitueraient un
lobby, peut-être ! Quel intérêt ont-ils dans cette affaire ? Aucun ! Plus
exactement, ils défendent le même intérêt que la CGT, la CFDT ou n'importe qui
d'autre, à savoir l'intérêt du justiciable, de ceux dont le procès était fondé,
de ceux qui sont dans leur bon droit.
Permettez-moi de rappeler aussi, madame le garde des sceaux - mais vous vous
en souviendrez très bien - que, lorsque j'estime personnellement que les
organismes professionnels ont tort, par exemple en décrétant des droits
d'inscription, quel qu'en soit le montant, pour les étudiants des centres de
formation des avocats, je combats leur position. Je ne suis personnellement,
vous le savez, inconditionnel de personne ! Ce que je recherche, c'est la
vérité.
Cela étant, comme je l'ai dit en commençant mon propos, nous n'avons rien,
bien entendu, contre les huissiers, qui doivent, c'est bien normal, gagner leur
vie.
Cette profession, dit-on, serait sinistrée. J'ai cherché dans l'excellent
rapport de notre collègue M. Nicolas About des éléments quelconques me
permettant de me faire une opinion à ce sujet ; je n'ai rien trouvé !
Il paraît que cette affirmation provient de la chambre nationale des
huissiers. Malgré tout le respect que j'ai pour cette institution, cela ne me
suffit pas et j'aimerais savoir ce qu'il en est exactement.
Quelle autre solution y aurait-il si c'était vrai ? Si c'était vrai, car je
n'ai pas encore vu d'huissiers qui aient déposé leur bilan et je connais le
prix des charges, qui reste encore assez élevé !
Cela dit, vous prétendez que leurs tarifs, madame la ministre, ne peuvent être
augmentés compte tenu du nombre de surendettés. Cela n'a aucun rapport ! Les
surendettés ne pouvant pas payer, n'en parlons pas ! Ne parlons que de ceux qui
peuvent et doivent payer. Et envers ces derniers, il n'y a aucune raison
d'avoir quelque scrupule que ce soit.
Si les tarifs ne sont pas suffisants, ils augmenteront, mais ne touchons pas
au principe selon lequel il appartient au perdant, à celui qui a obligé à un
recours, de payer.
Madame le garde des sceaux, la proposition de loi n'a d'autre but que de
valider rétroactivement et pour l'avenir ce décret.
Je n'ai jamais voté une validation et n'en voterai jamais.
A cet égard, s'agissant d'un autre article de la proposition de loi tendant à
valider un concours sur le point d'être annulé, madame le garde des sceaux,
vous dites que les quatre-vingt-un fonctionnaires pénitentiaires qui ont été
reçus ne doivent pas être sanctionnés. Mais il y a aussi ceux qui n'ont pas été
reçus ou ceux qui auraient pu l'être s'il n'y avait pas eu d'irrégularité et,
parmi eux, ceux qui ont engagé les frais d'un procès parce qu'ils croyaient en
la justice de leur pays, qui ont obtenu une décision, mais pour qui cela ne
sert à rien puisqu'il y aurait validation du concours vicié. Cela me paraît
tout à fait choquant.
Il en est de même pour le texte principal dont nous parlons et qui est visé
par l'article 2.
Madame le garde des sceaux, vous aviez proposé au Sénat, peu de jours après
l'arrêt du Conseil d'Etat du 5 mai 1999 annulant le décret de 1996, dès le 11
mai, dans le texte relatif à l'efficacité de la procédure pénale, un amendement
qui ressemblait comme un frère jumeau à la proposition de loi de notre collègue
M. Gouzes, qui, lui-même, l'avait fait adopter par la commission des lois de
l'Assemblée nationale dès le 3 février 1999, c'est-à-dire avant même que
l'arrêt ne soit rendu.
J'ai sous les yeux les protestations de M. Pierre Fauchon, ici présent, qui
déclarait : « Il se peut que les huissiers connaissent des difficultés » - il
disait « il se peut », car il n'avait pas plus d'éléments que nous aujourd'hui
- « mais ce n'est pas une raison pour imposer de manière générale et
automatique, qu'une fraction des frais de recouvrement sera mise à la charge
des créanciers. » Il ajoutait : « On ne saurait en faire une règle. »
Notre collègue M. Bret, lui aussi ici présent, déclarait le même jour : « Je
m'interroge, comme les avocats du barreau de Marseille, qui dénoncent, dans un
courrier signé de M. le bâtonnier qu'ils m'ont adressé aujourd'hui, la
non-conformité de cet amendement à l'intérêt du justiciable et le fait qu'il
est la reprise partielle du texte annulé par le Conseil d'Etat. »
C'est dans ces conditions que le Sénat n'a pas accepté l'amendement que vous
proposiez, mais que M. Gouzes a repris devant l'Assemblée nationale - qui l'a
adopté, non sans opposition - le 9 mai 1999 !
On a, par exemple, entendu M. Mariani - je crois qu'il appartient au groupe du
RPR - dire : « Ainsi que cela a été souligné au Sénat, il peut arriver que l'on
doive faire assumer une partie des émoluments des huissiers aux créanciers,
mais on ne peut transformer cette possibilité en règle générale. Il appartient
au juge d'apprécier, cas par cas, en fonction des situations concrètes et du
dossier qu'il doit traiter, s'il convient ou non de faire peser ces frais sur
le créancier et sur le débiteur. »
On a par ailleurs entendu M. Blessig, membre de l'UDF, dire : « Une décision
de justice doit pouvoir être exécutée sans pénaliser une partie de la
population constituée de créanciers modestes qu'un alourdissement du coût des
procédures risque de dissuader de recourir à la procédure d'exécution. »
On a aussi entendu M. Gantier, du groupe Démocratie libérale, demander : «
Pourquoi les créanciers devraient-ils payer pour récupérer leurs biens
légitimes ? Estimez-vous moral de pénaliser les créanciers en butte à un
mauvais débiteur, d'autant que, souvent, ces créanciers sont des gens modestes
qu'il n'est pas admissible de faire participer aux droits de recouvrement ?
»
Le moins que l'on puisse dire - et vous le savez, madame le garde des sceaux,
vos propos l'ont démontré - c'est que, s'il y a une opinion unanime sur le fond
de cette affaire : en conscience, c'est bien pour condamner un tel texte.
Quels sont les arguments avancés pour légitimer cette injustice, pour traiter
différemment, on l'a dit et c'est vrai, les justiciables, en violant ce qui me
paraît être un principe fondamental de la République ?
Malheureusement, c'est vrai, le Sénat, en particulier le président de la
commission des lois, s'est opposé jadis à cette réforme constitutionnelle
proposée par le Président de la République de l'époque, qui prévoyait qu'à tout
moment, et pas seulement avant qu'elle ne soit définitive, on puisse mettre en
cause la constitutionnalité d'une loi.
Je constate que M. le président Jacques Larché, dont je sais de quel poids il
a pesé devant la commisison pour faire adopter un texte conforme, est logique
avec lui-même. C'est une manière d'abuser de la situation quand on sait, et
pour cause, qu'il n'y aura pas de recours devant le Conseil constitutionnel ni
aujourd'hui, ni donc demain.
Je répète la question : quels sont les arguments ? S'agissant de la situation
des huissiers, j'ai dit que nous n'avions aucune donnée.
On ne veut pas augmenter le tarif, qui pourtant n'a subi aucune modification
depuis 1993, je tiens tout de même à le signaler !
Ensuite, le décret à venir serait modifié. M. le rapporteur l'a indiqué. Un
décret est ce qu'il sera demain et ce qu'il sera après-demain !
Vous n'aurez pas besoin, madame le garde des sceaux, ni vous ni vos
successeurs, de revenir devant le Sénat pour modifier un décret qui ne sera
plus contraire à la loi.
Donc, le contenu du décret, finalement, n'a pas beaucoup d'importance et dire
que les dispositions devraient être améliorées par rapport à celles du
précédent, même si c'est vrai, n'est pas de nature à nous convaincre.
On nous dit également - vous l'avez dit, vous aussi, madame le ministre - que
la perception serait expressément limitée aux hypothèses où l'huissier est
effectivement mandaté. Heureusement ! Pourquoi payer des honoraires à un
huissier qui irait faire exécuter un jugement qu'on ne lui aurait pas demandé
de faire exécuter ?
Le plafond serait modifié et il y aurait des exonérations au profit de
certaines catégories de créanciers. Mais c'est choquant !
Cela ne s'appliquerait pas à l'Etat, à la sécurité sociale - dont on ne
voudrait pas, bien sûr, aggraver le déficit ! - au litige prud'homal ou à une
créance alimentaire. Je ne comprends pas que ce qui n'est plus bon pour le
citoyen « lambda » continue à rester bon pour certains !
Le patron qui fera sanctionner la violation d'une clause d'un contrat de
travail - clause de non-concurrence, rupture brusque, etc. - devant le conseil
des prud'hommes n'aura pas à payer ? J'avoue ne pas comprendre cette
logique.
Vous dites également que vous voulez éviter les contentieux. Je ne comprends
pas cette manière de chercher la justice en disant à tout moment : il faut
éviter le contentieux. Pour ma part, j'avoue n'avoir jamais vu de justice sans
juge !
Il n'y a pas de justice sans juge !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ni sans avocat !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Si l'on veut rendre la justice, il faut des juges.
Et y a-t-il eu beaucoup de contentieux depuis des lustres à cet égard ?
De 1991 à 1996, période où la loi permettait - sans conteste... et sans
qu'existât le décret annulé de 1996 - que le juge laisse à la charge du
créancier une partie des frais après un recours à tort au recouvrement forcé, y
a-t-il eu beaucoup de contentieux ? On ne trouve rien à ce sujet ni dans le
projet de loi, ni dans les débats, ni dans le rapport de la commission !
Enfin, du contentieux, il y en aura encore parce que l'article 1248 du code
civil continue à disposer que « les frais du paiement sont à la charge du
débiteur », et parce que l'article 696 du nouveau code de procédure civile
continue de prévoir que « la partie perdante est condamnée aux dépens à moins
que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la
charge d'une autre partie ».
Ces principes sont tellement consubstantiels à notre droit, au droit tout
court, qu'ils figurent dans quantité de textes. Pourtant, ceux-là, vous ne
proposez pas de les modifier. Il y aura donc sans doute, si cette proposition
de loi est adoptée, encore du contentieux.
Madame le garde des sceaux, j'avoue, à la lecture de l'article 4, qui dispose
qu'il faut avoir quitté le barreau depuis au moins huit ans pour faire partie
de la section disciplinaire du barreau, qu'il n'était pas possible qu'un vote
conforme puisse intervenir.
Vous nous avez dit : « C'est une erreur ». Heureusement que vous nous l'avez
dit ; encore que le barreau de Paris ait bien voulu nous la signaler, en tout
cas en ce qui me concerne, hier. Mais je n'ai pas l'impression que la
commission des lois l'ait vue.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Si !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Excusez-moi, je n'ai rien lu dans le rapport à cet égard. Je l'ai sans doute
mal lu. Il est vrai que la commission a délibéré hier matin.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Cela ne figure pas dans le rapport, c'est vrai, mais l'erreur
a été vue.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Merci ! Donc, j'ai bien lu le rapport, bien que je ne l'aie trouvé qu'en
arrivant hier au soir.
Vous nous dites : « C'est vrai, c'est dans la loi, mais je vous promets que ce
sera corrigé très vite ». Est-il possible de demander au Sénat de voter, et
donc de mettre dans la loi une énormité comme celle-là ? Franchement ? Je ne le
crois pas. Et quand proposerez-vous la rectification ? Pourquoi ne la
proposez-vous pas maintenant ? Parce que vous voulez un vote conforme ! Le
Sénat n'est pas fait pour des votes conformes ; le Sénat est là pour faire son
travail et pour délibérer en son âme et conscience.
M. Jean-Jacques Hyest.
Bravo !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
En tout cas, en ce qui me concerne, c'est en mon âme et conscience que je
voterai contre cette proposition de loi.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er