Séance du 10 novembre 1999
M. le président. « Art. 2. _ Le début du premier alinéa de l'article 32 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution est ainsi rédigé :
« A l'exception des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement qui peuvent être mis partiellement à la charge des créanciers dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, les frais de l'exécution forcée... (Le reste sans changement.) »
La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd. Veuillez me pardonner, madame le garde des sceaux, je vais sans doute être un peu redondant compte tenu des propos que vient de tenir M. Dreyfus-Schmidt.
Je l'avoue, je ne suis pas juriste ; j'appartiens à une profession médicale. Si j'interviens sur cet article 2, c'est parce que je suis choqué par le non-respect du bon sens et de la morale.
L'article 32 de la loi du 9 juillet 1991 est très clair : en matière d'exécution forcée, l'ensemble des frais est à la charge du débiteur. Remis en cause par un décret du 12 décembre 1996, qui prévoit que des droits peuvent être partiellement supportés par le créancier, ce principe a été réaffirmé par une décision du Conseil d'Etat du 5 mai 1999. Reprenant le fondement de la loi du 9 juillet 1991, le Conseil d'Etat renvoie ainsi définitivement les frais d'exécution à la charge du débiteur.
L'article 2 de la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise heurte la raison puisqu'il ne respecte pas le droit en vigueur.
Je souhaite également formuler des objections liées à des questions de principe, de morale, de justice et de bon sens.
S'agissant de la question de principe, il n'est pas normal que des droits proportionnels de recouvrement et d'encaissement puissent être mis, même partiellement, à la charge du créancier. Pourquoi les créanciers devraient-ils payer pour récupérer leurs biens légitimes ? Un tel raisonnement va à l'encontre des principes élémentaires d'équité et de morale.
S'agissant de la question de justice, j'estime essentiel - j'axerai mon propos sur ce point - d'assurer la défense du justiciable. Une décision de justice doit être exécutée sans pénaliser les créanciers, qui, il faut le rappeler, sont souvent très modestes. Si nous votons cette proposition de loi, de nombreux créanciers à peine solvables vont hésiter à financer une procédure d'exécution et risquent de renoncer à faire valoir leur bon droit.
Est-il bon d'entraver ainsi la marche de la justice ? La question est grave. Etes-vous consciente, madame le ministre, du nombre très important de personnes, créanciers modestes, qui se trouvent pénalisées par ce texte ?
Quant à la question de bon sens, je souhaite dénoncer les exonérations, que vous avez annoncées en commission des lois, concernant les personnes morales de droit public, les organismes de droit privé, les litiges prud'-homaux et les créances alimentaires.
Pourquoi la proposition de loi s'attaque-t-elle donc uniquement aux particuliers, sans aucun souci de leur solvabilité ? Dans de nombreux cas de loyers impayés ou de paiements non honorés lors d'une vente, vous savez bien que nombre de créanciers ne disposent pas de moyens financiers importants. Pourquoi faire ainsi deux poids deux mesures ? Cela me paraît injuste.
En ce qui concerne la question de droit, le Gouvernement, par le biais de cette proposition de loi, qui est, avouez-le, un peu un texte « fourre-tout », s'empare d'une décision revêtue de l'autorité du Conseil d'Etat et cherche à la contourner purement et simplement.
Outre la condamnation sur le fond de cette proposition de loi, le procédé, pour le moins tortueux, qui a été suivi par le Gouvernement révèle, dans la forme, un certain mépris pour la représentation nationale.
Cette mesure introduite dans le projet de loi relatif à la procédure pénale présenté au Sénat, sous forme d'amendement, puis reprise sous forme de proposition de loi à l'Assemblée nationale, charge de frais d'huissiers le créancier, c'est-à-dire qu'elle reprend clairement le décret de 1996, pourtant annulé. Elle nous est véritablement imposée dans le calendrier parlementaire !
De plus, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, il faut laisser au juge, et au juge seul, un pouvoir d'appréciation sur la question, afin de tenir compte des situations et des contextes au cas par cas. Il n'est pas besoin d'édicter une règle contraignante et source d'injustice en matière d'exécution forcée, où les situations sont très variables. Le souci de préserver le débiteur et de faire respecter les droits du créancier doit revenir au juge.
Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas cet article 2. A mes yeux, cette proposition est une coquille vide puisque son application est renvoyée à des décrets dont nous ignorons officiellement la teneur. L'adopter, c'est donner un blanc-seing au Gouvernement, sans aucune garantie que nos objections aient été écoutées et prises en compte.
Dans ces conditions, madame le ministre, comprenez mon indignation et mon inquiétude à l'égard de ces milliers de créanciers modestes qui seront pénalisés par cette proposition de loi. Je vous serais reconnaissant de leur apporter ici solennellement des précisions sur le décret que vous projetez de publier, c'est-à-dire sur leur sort, et d'informer ainsi le Parlement, dont vous avez, tout au long de l'itinéraire suivi par ce texte, quelque peu méprisé l'avis et le rôle. (M. Pierre Fauchon applaudit.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On ne sait jamais !
M. le président. ... émanant...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. De qui ?
M. le président. ... de la commission des lois, par la voix de son président.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il fait la loi à lui tout seul !
M. le président. Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne de demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 14:
Nombre de votants | 215 |
Nombre de suffrages exprimés | 213 |
Majorité absolue des suffrages | 108 |
Pour l'adoption | 209 |
Contre | 4 |
Articles 3 à 5