Séance du 24 novembre 1999
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Il ne faut pas tarder pour évoquer un fait très récent qui touche à l'image et
à la dignité du Sénat !
Mon rappel au règlement est fondé sur les dispositions de l'ordonnance du 17
novembre 1958, en particulier son article 6, qui concerne les commissions
d'enquête et qui, plus précisément, interdit à ces commissions d'intervenir
dans des domaines couverts par des enquêtes judiciaires.
Je voudrais faire part au Sénat, en tant qu'ancien membre de la commission
d'enquête sur la Corse, de mon étonnement et même de mon indignation - je parle
sous le contrôle d'un de mes collègues également membre de cette commission - à
la suite de la demande, annoncée par un journal du soir, effectuée par quatre
agents non élus de l'Etat et relevant du statut des magistrats du siège auprès
du Président de la République, au lendemain de la publication des rapports de
deux commissions d'enquête parlementaires sur la Corse.
Ces juges reprochent à ces commissions d'avoir violé la règle de la séparation
des pouvoirs en s'immisçant dans des enquêtes judiciaires en cours.
Je ne peux bien évidemment pas me prononcer sur la manière dont les choses se
sont passées devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. En
revanche, s'agissant du Sénat, je rappelle que les trois juges antiterroristes
entendus ont déposé sous serment et ont été informés du caractère secret de nos
travaux. Ils ont été constamment libres de leurs propos, qui ne sont pas
publiés et qui ne le seront pas avant trente ans. Chaque fois qu'ils l'ont jugé
utile, ils ont pu exciper du secret de l'instruction pour ne pas répondre à nos
questions, et nous leur en avons donné acte.
On ne voit donc pas quand et comment la séparation des pouvoirs aurait pu être
violée en cette occasion par le Sénat.
J'ajoute que notre objectif était de contrôler le fonctionnement des services,
y compris judiciaires, dans le cadre des affaires en cours et non de savoir ce
que nous n'avions pas à savoir.
Nous voulions comprendre - c'est la mission que le Sénat nous avait donné -
comment fonctionnait le dispositif répressif, quelle était l'organisation des
services, quel était le rôle des uns et des autres et comment était assurée la
coordination entre tous les acteurs.
J'affirme qu'aucun juge ayant comparu devant la commission d'enquête du Sénat
n'a été à aucun moment contraint de manquer à son devoir, d'autant plus,
monsieur le président, que nous ne sommes pas journalistes et que, à notre
égard, le secret est total.
Mais il a bien fallu que les magistrats expliquent un minimum de choses et
leur responsabilité est apparue clairement pour que ce qu'elle est. Je pense
notamment à la fuite d'Yvan Colonna, événement peu glorieux pour la justice et
qui est à mettre au compte de la maladresse et de l'incompétence de nos
pétitionnaires.
Cette protestation auprès du Président de la République est donc grave à
plusieurs titres. Tout d'abord, en ce qu'elle fait un amalgame entre les deux
rapports des deux commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat alors que
les méthodes employées ont été très différentes et que le Sénat, du point de
vue de la séparation des pouvoirs, est irréprochable.
Ensuite, en ce qu'elle a eu en réalité pour objet de prévenir ce qui risque
d'arriver dans le cadre de la réforme judiciaire en cours, c'est-à-dire, à un
moment ou à un autre, la question de la mise en cause de la responsabilité des
magistrats.
Je voudrais rappeler que l'article XV de la Déclaration de 1789 précise que «
la société a le droit de demander des comptes à tout agent public de son
administration », et les magistrats en sont. J'ajouterai que l'indépendance
dans laquelle ils se couvrent aujourd'hui avec majesté ne peut pas être le
paravent de n'importe quoi, ni couvrir la faiblesse, l'incompétence, la
désinvolture et la légèreté.
Les élus, nous disent les magistrats, sont des citoyens comme les autres. Dont
acte, mais les magistrats aussi, même si cela doit leur déplaire.
C'est parce qu'ils refusent viscéralement de rendre compte que leur
protestation est inacceptable et appelle, je le crois, une très ferme démarche
du président du Sénat auprès du Président de la République pour qu'il ne donne
pas suite à la pétition fantaisiste dont il est saisi, en tout cas en ce qui
concerne le Sénat.
(Applaudissements.)
M. le président.
Mon cher collègue, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
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