Séance du 25 novembre 1999
M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont.
M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Les évolutions technologiques facilitent la mise en fiches généralisée des individus. Les puces électroniques gardent traces de nos faits et gestes ; elles investissent progressivement tous nos objets usuels : l'ordinateur connecté à la Toile, le téléphone, la télévision. Il est tentant d'y recourir pour faciliter les contrôles.
L'année passée, le Gouvernement a autorisé l'interconnexion des fichiers fiscaux et sociaux. Cette année, l'article 57 du projet de loi de finances étend à toutes les professions libérales, médecins, notaires, avocats, agents d'assurance, la faculté pour l'administration fiscale de connaître « l'identité du client ainsi que le montant, la date et la forme du versement des honoraires. » Cette mesure menace les libertés publiques et remet en cause toute une catégorie de professions dont l'existence même repose sur la confiance et le secret professionnel.
S'agissant, par exemple, de la médecine, le Gouvernement s'est fondé sur deux arguments.
D'une part, l'article 57 ne ferait qu'harmoniser la situation de tous les médecins vis-à-vis du fisc dans un sens conforme à l'équité, puisque cette disposition s'applique déjà aux médecins adhérents d'une association de gestion agréée.
D'autre part, un amendement a été adopté interdisant à l'administration fiscale de s'enquérir de la nature des prestations fournies.
Ces deux réponses sont loin de lever toutes nos craintes.
Certaines affections peuvent nuire socialement au patient si elles sont connues. Or, le nom même de la spécialité du médecin consulté peut laisser suspecter une telle affection. La simple révélation de l'identité du patient de tel psychiatre ou de tel cardiologue constitue donc une violation du secret médical ; elle ne commence pas seulement à la connaissance de la nature des prestations.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Léonce Dupont. Cela explique pourquoi les médecins exerçant ces spécialités peuvent avoir refusé d'adhérer à une association de gestion agréée ; ils l'ont fait afin d'éviter la divulgation du nom de leurs patients. L'équité fiscale, que vous invoquez, porte ainsi atteinte à l'équité médicale et elle supprime la liberté de choix du médecin.
M. le président. Je vous prie de conclure.
M. Jean-Léonce Dupont. Votre sens de l'équité, monsieur le secrétaire d'Etat, vous conduira sans doute à appliquer cette mesure au secret professionnel de l'administration fiscale ! Est-ce au programme de la prochaine loi de finances ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mon cher collègue, je tiens à vous faire savoir que votre question et la réponse de M. le secrétaire d'Etat ne sont pas retransmises à la télévision.
Telle est la seule raison qui me conduit parfois à être rigoureux, voire sévère, quant au respect du temps imparti à chacun.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le sénateur, je tiens à déclarer solennellement que, contrairement à ce que vous venez d'indiquer, le texte de loi qui a été adopté hier par l'Assemblée nationale ne porte nullement atteinte au secret médical.
En effet, l'accès à l'identité des patients est déjà possible pour tous les adhérents à une association de gestion agréée, soit 80 % des membres des professions médicales ! Cette faculté existe depuis dix-sept ans et n'a jamais soulevé la moindre difficulté.
L'article 57 du projet de loi de finances pour 2000 ne fait qu'étendre une telle possibilité aux professionnels qui n'ont pas adhéré à une association de gestion agréée. Il s'agit seulement de permettre un accès aux pièces comptables pour mieux contrôler la sincérité des recettes déclarées. En aucun cas, l'administration fiscale ne pourra avoir accès à la nature des prestations fournies aux patients.
Le texte de loi assure donc un équilibre entre la nécessité de respecter la vie privée, nécessité à laquelle le Gouvernement est viscéralement attaché, et le principe d'égalité des citoyens devant l'impôt, autre nécessité absolue. C'est d'ailleurs ce qu'a jugé à plusieurs reprises, chacun le sait au Sénat, la Cour de cassation sur les dispositions en vigueur depuis dix-sept ans qui lui ont été soumises.
De plus, M. Edouard Salustro, président de l'Union nationale des associations de professions libérales, a déclaré, après le vote du texte par l'Assemblée nationale : « Les amendements peuvent apaiser les craintes en matière de secret professionnel. »
Enfin, je suis heureux de vous annoncer que les mesures de simplification comptable admises dans le passé ne sont pas remises en cause, en particulier pour les médecins conventionnés du secteur 1. Les relevés individuels établis par la sécurité sociale pourront, comme par le passé, tenir lieu de livre-journal pour la comptabilité de ces médecins. C'est ainsi que les indications médicales spécifiques à chaque patient disparaissent, dans ce cas, de ce qui est communiqué à l'administration fiscale.
Par conséquent, l'esprit et la lettre de votre demande sont, je crois, parfaitement respectés par le texte de loi qui a été adopté hier par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
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