Séance du 29 novembre 1999
M. le président. Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° I-20, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose d'insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - A la fin du 2 de l'article 200 A du code général des impôts, le taux : "16 % est remplacé par le taux : 15 %".
« II. - La perte de recettes résultant pour l'Etat des dispositions du I ci-dessus est compensée par le relèvement à due concurrence des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Par amendement n° I-164, Mme Beaudeau, MM. Loridant, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le 2 de l'article 220 A du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« A compter de l'imposition des revenus, au titre de 1999, les gains nets obtenus dans les conditions prévues aux articles 92 B à 92 F du code général des impôts sont imposés à l'impôt sur le revenu suivant les règles applicables aux traitements et aux salaires. »
« II. - Le taux prévu à l'article 278 du code général des impôts est réduit à due concurrence. »
Par amendement n° I-165, Mme Beaudeau, MM. Loridant, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyer proposent d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le 3 de l'article 200 A du code général des impôts est rétabli dans la rédaction suivante :
« 3. Ce taux forfaitaire est porté à 20 % pour les gains nets réalisés sur les opérations à court terme. »
La parole est à M. le rapporteur général, pour présenter l'amendement n° I-20.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il s'agit d'aligner le taux proportionnel d'imposition des plus-values de cession, qui s'élève actuellement à 16 %, sur le taux de prélèvement libératoire sur les produits des placements à revenu fixe, qui est de 15 %.
Cette modification est certes peu importante mais elle est significative. Le dispositif actuel se caractérise par la coexistence de plusieurs taux d'imposition selon les différentes catégories de produits d'épargne. Le dispositif proposé vise donc à simplifier ce paysage. Les différences actuelles en matière de taux d'imposition des plus-values de cession, d'une part, et des produits de placement à revenu fixe, d'autre part, présentent deux inconvénients. D'abord, elles nuisent à la lisibilité de la fiscalité relative à l'épargne. Ensuite, elles peuvent traduire des distorsions de comportement, lorsque les titres concernés sont des obligations, en raison du caractère très proche du point de vue économique des notions de revenus et de plus-values.
Aussi, il peut être avantageux d'acheter des obligations avant le détachement du coupon, d'encaisser ce dernier imposé au taux de 15 % puis de revendre les obligations. Cette cession sera assimilée à une perte qui pourra être imputée sur des produits de même nature, eux-mêmes imposés à 16 %, la différence de taux permettant de diminuer l'imposition sur les plus-values.
Je ne sais si ce raisonnement est susceptible de s'appliquer à un grand nombre de cas mais l'arithmétique démontre qu'un tel comportement est possible.
Au demeurant, monsieur le secrétaire d'Etat, nous ne faisons que reprendre une suggestion du conseil des impôts figurant dans son dix-septième rapport au Président de la République, publié en 1999, et concernant la fiscalité des revenus de l'épargne.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, pour présenter les amendement n°s I-164 et I-165.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'amendement n° I-164, que j'avais annoncé lors de la discussion générale, est particulièrement chargé de sens et concerne l'essence même de notre système fiscal.
Nous proposons en effet, concurremment, deux mesures fortes dans le cadre de cet amendement.
La première porte sur la question de la prise en compte des revenus financiers dans le cadre de l'application du barème de l'impôt sur le revenu.
La seconde concerne le problème du taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée et la nécessité de réduire ce taux qui a été majoré depuis quatre ans.
La première question porte sur le régime des plus-values de cession d'actifs de revenus mobiliers, aujourd'hui soumis à un prélèvement libératoire de 16 %, prélèvement largement inférieur, chacun le sait, au taux marginal d'imposition au titre de l'impôt sur le revenu, à savoir 54 %, comme au taux marginal moyen que l'on a pu observer, qui se situe aux alentours de 40 %.
Dans les faits, on a d'ailleurs un peu l'impression que, même si les plus-values réalisées sur les cessions de titres mobiliers ne bénéficient pas des mêmes conditions de traitement que les plus-values de nature immobilière, la prime à la durée de détention des titres est matérialisée par le niveau pour le moins réduit du prélèvement libératoire.
Selon l'évaluation des voies et moyens, le coût de ce dispositif est relativement important, puisqu'il est estimé aujourd'hui à 20 milliards de francs, et la bonne santé du marché boursier au cours des dernières années a très sensiblement majorté ce coût, d'environ 30 % en deux ans.
On observera, d'ailleurs, que ces 20 milliards de francs de dépense fiscale, qu'il convient de majorer de l'ensemble des dispositions annexes dont le coût n'est pas chiffré avec précision, par exemple des reports d'imposition, constituent, à eux seuls, plus de six points de rendement de l'impôt sur le revenu et représentent une dépense une fois et demie plus élevée que celle qui résulte de l'abattement de 10 % sur les pensions et retraites ou deux fois plus élevée que celle que représente l'exonération des prestations familiales.
La progression constante du niveau de la valorisation boursière est, évidemment, le fait générateur essentiel de cette croissance rapide de la défense fisale.
Quand, dans une France qui connaît encore un taux de chômage de 11 % et où plusieurs millions de nos compatriotes vivent dans la précarité, le CAC 40 affiche insolemment des records quotidiens à 5 200 points et tend à atteindre, au cours de l'an 2000, le seuil des 7 000 points, il n'est guère surprenant de constater le coût de plus en plus élevé des avantages fiscaux dérogatoires au droit commum consentis aux revenus des capitaux.
Outre que cela nous interpelle sur la capacité de la bourse à traduire le mouvement de l'économie réelle, cela traduit aussi une profonde inégalité de traitement des contribuables, qui profite seulement à ceux qui ont fait de la valorisation des fonds propres des entreprises, avec, je le signale au passage, toutes ses conséquences en termes d'organisation du travail, leur source essentielle de revenu.
C'est pourquoi cet amendement vise à remédier à cette situation.
Il est, nous l'avons vu, assorti d'une proposition de réduction du taux normal de la TVA.
Cette démarche de notre groupe est relativement ancienne et remonte à l'époque où le taux normal de la TVA a été majoré, au nom de l'emploi.
Nous estimons que le potentiel de croisance de l'économie est bridé par l'existence d'un taux normal de TVA trop élevé et que la réduction de celui-ci, au-delà de dispositifs ciblés sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir, est une des priorités que le Gouvernement doit afficher dans toute démarche de réforme de notre fiscalité.
Compte tenu des dispositions qui sont désormais prises pour le financement d'un certain volume de la dépense publique pour l'emploi, force est de constater que le financement de cette dépense publique par le biais du relèvement du taux de la TVA n'a plus beaucoup de sens.
Au-delà, il importe, selon nous, de porter une attention particulière à la question des droits indirects, au regard de données assez fondamentales.
Ces droits, et singulièrement la TVA, sont régressifs dans leur application et frappent donc plus lourdement nos concitoyens qui disposent des revenus les plus modestes, qui ont une capacité d'épargne plus faible.
Ils sont donc en contradiction avec le principe même de notre fiscalité, selon lequel « chacun contribue à la charge publique à proportion de ses facultés », et doivent être clairement réformés.
Ils doivent l'être, ainsi que le prévoit notre amendement, en regard d'un renforcement de l'efficacité de nos impôts directs.
Pour que notre fiscalité trouve un nouvel équilibe et « marche sur ses deux jambes », nous vous demandons donc, mes chers collègues, d'adopter ce dispositif.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s I-164 et I-165 ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. L'amendement n° I-164 étant à l'opposé des orientations de la commission des finances, celle-ci ne peut qu'émettre un avis défavorable.
Toutefois, je voudrais inciter notre collègue Mme Marie-Claude Beaudeau à la réflexion.
Elle déplore que le CAC 40 soit élevé. Mais, en cas de crise financière,...
M. Emmanuel Hamel. Ça va venir ! Ça craquera !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... si l'indice était brutalement divisé par deux, il en résulterait inévitablement des dommages pour les entreprises. En effet, plus les titres sont bas, plus l'appétit des prédateurs grandit, plus il y a d'offres publiques d'achat, plus il y a de prises de contrôle, plus il y a de restructurations et plus il y a de pertes d'emplois !
M. Emmanuel Hamel. Nous vivons dans un monde de prédateurs !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Est-ce ce que vous souhaitez, madame Beaudeau ?
Il faut voir les choses comme elles sont dans le monde où nous vivons. Le mur de Berlin est tombé voilà dix ans ! Nous constatons tous qu'il n'y a pas d'autre système que l'économie de marché,...
M. Emmanuel Hamel. Laquelle ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... que l'autarcie n'existe pas. Il faut donc éviter d'employer des expressions qui ne sont plus de notre temps. Nous devons, les uns et les autres, essayer de travailler avec les rouages qui existent.
Les anathèmes ne devraient pas avoir cours. Certes, il s'agit de bons propos de tribune - aujourd'hui, on ne parle plus de propos de préau puisqu'il n'y en a plus - de propos pour se faire bien voir par certains de nos concitoyens qui n'ont pas nécessairement la formation économique qui devrait leur être transmise. Il serait sans doute préférable que nous les aidions à obtenir cette formation, que nous sachions leur parler de manière responsable, pour qu'ils comprennent les rouages de l'économie moderne et qu'ils puissent réagir par rapport aux dysfonctionnements de celle-ci.
Tout ce qui les conforte dans des discours du passé purement démagogiques est mauvais. C'est de ce point de vue que je me place pour transmettre l'avis défavorable de la commission.
MM. Michel Caldaguès et Jean-Pierre Schosteck. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je rappellerai d'abord un principe, qui va de soi, et je rejoins Mme Beaudeau dans l'esprit qui a sous-tendu son intervention. Depuis juin 1997, le Gouvernement s'efforce de rééquilibrer la charge de l'imposition sur les revenus du travail et celle qui concerne les revenus du capital dans le sens de la justice fiscale ; cela apparaît en filigrane dans l'intervention de Mme Beaudeau.
Plus directement, il n'y a pas, monsieur le rapporteur général, de logique absolue - dison le mot - à instaurer un alignement des taux tel que vous le proposez. Pendant de longues années, et jusqu'au 1er janvier 1990, le taux du prélèvement libératoire sur les intérêts d'obligations a été fixé à 25 %, alors que le taux d'imposition des plus-values l'était à 16 %. Et il existe encore, actuellement des prélèvements libératoires au taux de 35 % pour les produits de bons de caisse, de bons du Trésor et pour les produits assimilés émis entre 1990 et le 31 décembre 1994.
Je ne m'engagerai pas dans le procès du financement de l'économie par le marché boursier : le rôle principal de la Bourse est de financer l'économie, de financer les investissements, et donc de financer l'emploi. Au-delà des aspects spéculatifs circonstanciels qui peuvent apparaître, le fondement de notre financement de l'économie est bien là, et je préfère qu'il soit assuré par de l'épargne française plutôt que de voir les valeurs soumises à la dispersion et au gré des fonds de pension étrangers.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Créons nos propres fonds de pension !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Plus nous rendrons le site français attractif pour le financement de nos investissements, mieux cela vaudra pour notre économie nationale et pour notre indépendance nationale, j'en suis convaincu !
M. Emmanuel Hamel. Oui, monsieur le secrétaire d'Etat : veillez à la défendre, notamment à Bruxelles ! Il faut que la France reste la France !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Cependant, comme le marché boursier se porte bien, je pense qu'il n'est pas nécessaire de donner actuellement un signal politique qui serait mal perçu par certains épargnants, par certaines couches de la population, par certains contribuables. Il faut laisser « reposer la pâte ».
Au demeurant, je suis sensible à un argument que vous n'avez pas développé explicitement, monsieur le rapporteur général, et qui suppose qu'il y ait égalité de traitement fiscal entre les valeurs à revenu fixe et les valeurs à revenu variable. Vieux débat, débat intéressant, débat juste !
La prise de risque doit sans doute être encouragée, mais vous auriez pu tout aussi bien, puisque vous souhaitez cette égalité, proposer une évolution dans l'autre sens et aligner le taux de 15 % sur celui de 16 % au lieu de faire l'inverse.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je suis pour la baisse !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Vous êtes pour la baisse ? Je suis, en l'état actuel des choses, pour la stabilité du système, car le financement par la Bourse, encore une fois, fonctionne bien : l'investissement français se porte bien aujourd'hui.
Parce qu'il ne vise pas un principe fondamental de philosophie fiscale, je vous invite donc à retirer l'amendement n° I-20 et, si vous n'accédiez pas à ma demande, je demanderais au Sénat de bien vouloir le rejeter.
Concernant les amendements n°s I-164 et I-165 de Mme Beaudeau, je répète que le Gouvernement est favorable au principe du rééquilibrage du prélèvement fiscal entre les revenus du travail et les revenus du capital. Je le redis ici - mais le Sénat en est convaincu - le Gouvernement a déjà montré, par les nombreuses mesures fiscales qu'il a soumises au Parlement, quelle était sa disposition d'esprit en la matière.
Je veux ajouter que la taxation à un taux proportionnel des plus-values sur valeurs mobilières permet de prendre en compte de manière forfaitaire l'augmentation nominale de la plus-value. Passer à une taxation selon un barème progressif de l'impôt sur le revenu conduirait nécessairement à instaurer un mécanisme de correction de l'augmentation nominale de la plus-value, comme c'est le cas pour les plus-values immobilières. Or il n'est pas certain que cette correction de l'assiette des plus-values sur valeurs mobilières permette une contribution plus forte des contribuables réalisant de telles plus-values.
C'est pourquoi je vous demande, madame Beaudeau, de retirer l'amendement n° I-164, et j'utiliserai le même type d'argumentation concernant l'amendement n° I-165, d'autant qu'en termes de faisabilité ce dernier serait très difficile à mettre en oeuvre car il entraînerait une augmentation des obligations déclaratives des contribuables ainsi que de celles qui sont mises à la charge des établissements financiers, sans compter que la gestion du délai de détention des titres de leurs clients par lesdits établissements leur poserait un réel problème.
Enfin, vous poussez la bouchon jusqu'à proposer la rétroactivité au 1er janvier 1999, alors que, vous le savez, les systèmes informatiques des établissements financiers sont actuellement mobilisés par les adaptations nécessaires au passage à l'an 2000.
Il faut d'ailleurs ajouter - et cette remarque intéressera le Sénat - que, dans des pays comme l'Allemagne ou la Belgique, où il existe un système de taxation des plus-values réalisées à court terme - je signale d'ailleurs au passage que le droit fiscal français ignore la notion de « plus-value à court terme » -, il est de notoriété publique que les difficultés de gestion et de contrôle rendent inefficace ce système de taxation, en particulier en Allemagne. Voyez les difficultés auxquelles nous sommes confrontées lorsque nous cherchons à rapprocher les fiscalités à l'échelon européen ! Nous butons toujours sur l'efficacité d'un contrôle des revenus de ce type.
Encore une fois, il faut donc, à mon avis, laisser « reposer la pâte » et maintenir le système en l'état, et dans le cas de l'amendement Marini et dans le cas des amendements Beaudeau.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-20, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 7, et les amendements n°s I-164 et I-165 n'ont plus d'objet.
Je vous propose, mes chers collègues, de renvoyer la suite de la discussion à quinze heures.
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