Séance du 29 novembre 1999
M. le président. « Art. 2 bis. _ I. _ Il est inséré, dans le code général des impôts, un article 80 duodecies ainsi rédigé :
« Art. 80 duodecies . _ 1. Sous réserve de l'exonération prévue au 22° de l'article 81, constitue une rémunération imposable toute indemnité versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail, à l'exception des indemnités de départ volontaire versées dans le cadre d'un plan social au sens des articles L. 321-4 et L. 321-4-1 du code du travail, des indemnités mentionnées à l'article L. 122-14-4 du même code ainsi que de la fraction des indemnités de licenciement ou de mise à la retraite qui n'excède pas le montant prévu par la convention collective de branche, par l'accord professionnel et interprofessionnel ou, à défaut, par la loi.
« La fraction des indemnités de licenciement exonérée en application du premier alinéa ne peut être inférieure ni à 50 % de leur montant ni à deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le salarié au cours de l'année civile précédant la rupture de son contrat de travail, dans la limite de la moitié de la première tranche du tarif de l'impôt de solidarité sur la fortune fixé à l'article 885 U.
« 2. Constitue également une rémunération imposable toute indemnité versée, à l'occasion de la cessation de leurs fonctions, aux mandataires sociaux, dirigeants et personnes visés à l'article 80 ter. Toutefois, en cas de cessation forcée des fonctions, notamment de révocation, seule la fraction des indemnités qui excède les montants définis au deuxième alinéa du 1 est imposable. »
« II. _ A la dernière phrase du deuxième alinéa de l'article L. 122-14-13 du code du travail, les mots : "fiscal et" sont supprimés. »
Par amendement n° I-4, M. Marini, au nom de la commission, propose :
A. - A la fin du second alinéa du 1 du texte présenté par le I de cet article pour l'article 80 duodecies du code général des impôts, de supprimer les mots : « , dans la limite de la moitié de la première tranche du tarif de l'impôt de solidarité sur la fortune fixé à l'article 885 U ».
B. - De compléter ce même article par un paragraphe ainsi rédigé :
« III. - Les dispositions du I et du II s'appliquent pour les indemnités versées à compter du 21 octobre 1999. »
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous abordons, avec cet amendement, un sujet qui a été très médiatisé lors du débat budgétaire à l'Assemblée nationale. Il s'agit du statut fiscal des indemnités de licenciement, qui détermine lui-même le traitement de ces indemnités au regard des charges sociales.
Adopté, vous le savez, dans le feu de l'actualité et alors que les esprits étaient échauffés par le débat sur les stock-options...
M. Emmanuel Hamel. Parlez français !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... les options de souscription ou d'achat d'actions, mon cher collègue,...
M. Jacques Oudin. C'est mieux !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais c'est un peu plus long ! Pardonnez-moi d'être parfois paresseux ! (Sourires.)
M. Emmanuel Hamel. Mais c'est français !
M. le président. Monsieur Hamel, laissez s'exprimer M. le rapporteur général ou demandez-lui l'autorisation de l'interrompre.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Bref, l'article 2 bis a été inséré dans le projet de loi de finances à la suite de l'adoption, dans un contexte dont chacun se souvient, d'un amendement présenté par le député François Hollande et visant à déterminer les seuils à partir desquels les indemnités de licenciement ou de cessation de mandat social doivent être fiscalisées.
Je rappellerai simplement qu'il s'agissait d'un amendement en quelque sorte transactionnel puisqu'il a permis le retrait d'un amendement du président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, M. Bonrepaux, lequel amendement était susceptible de faire dispararaître de facto l'essentiel de ces options de souscription ou d'achat d'actions.
Certains membres de la commission des finances ont d'abord été tentés de supprimer purement et simplement une disposition ad hominem rédigée dans l'urgence. Toutefois, la commission a examiné le problème sur le fond. Si elle a estimé que cet article avait du « mauvais », elle a également constaté qu'il avait du « bon » et, selon une pratique qui lui est habituelle, elle a voulu éviter de jeter le bébé avec l'eau du bain.
En effet, le dispositif de l'article 2 bis présente l'avantage de fixer dans la loi le régime fiscal des indemnités de rupture de contrat. Ce régime fiscal était jusqu'à présent laissé à l'appréciation de l'administration, sous le contrôle du juge de l'impôt. Ainsi, cette disposition permet d'éviter les désagréments liés aux fluctuations de la doctrine et elle est susceptible d'améliorer la sécurité juridique des citoyens contribuables.
En particulier, l'article 2 bis valide législativement la pratique actuelle de l'administration, qui considère, sur le fondement de la jurisprudence des tribunaux administratifs, des cours administratives d'appel et du Conseil d'Etat, qu'à concurrence de leur fraction conventionnelle ou, à défaut, de leur fraction légale, les indemnités ne doivent pas être soumises à l'impôt sur le revenu. Une jurisprudence de même inspiration a été fixée par la Cour de cassation s'agissant des charges sociales correspondantes.
L'article 2 bis va même plus loin puisqu'il prévoit que les indemnités doivent demeurer exonérées à concurrence soit de l'équivalent de deux années de revenu brut, soit de la moitié de leur montant. Ces seuils d'exonération sont supérieurs à ce que le Conseil d'Etat a accordé jusqu'ici.
De surcroît, le caractère proportionnel des seuils retenus permet de maintenit un lien entre le montant fiscalisable des indemnités et la situation personnelle de chaque salarié ou mandataire.
Toutefois, l'article 2 bis présente, ainsi que je l'ai déjà laissé entendre, un défaut majeur. Il dispose en effet que toutes les indemnités qui excèdent un montant en valeur absolue, fixé à 2,35 millions de francs, doivent être fiscalisées, même si leur montant est inférieur aux seuils proportionnels que je viens de mentionner. En d'autres termes, au-delà de 2,35 millions de francs, il y a présomption selon laquelle les sommes distribuées sont purement et simplement représentatives de perte de rémunération et ont donc, par extension, le caractère de rémunération fiscalisable, devant par ailleurs supporter, en tant que telle, les charges sociales correspondantes.
La commission des finances a estimé que la fixation d'un seuil d'imposition en valeur absolue, quel qu'en soit le montant, portait gravement atteinte au principe selon lequel des indemnités qui ont le caractère de dommages et intérêts ne sauraient être soumises à l'impôt sur le revenu.
Selon les jurisprudences en vigueur, tant administrative que judiciaire, il y a, dans les indemnités de licenciement, une part représentative de perte de rémunération et une part visant à réparer un préjudice global. Or la réparation d'un préjudice global a bien la nature de dommages et intérêts et ces derniers ne sauraient être fiscalisés.
Si l'on admettait, comme le proposent les députés, qu'au-delà de ce seuil de 2,35 millions de francs toute somme versée en réparation d'un préjudice est imposable, il faudrait alors, mes chers collègues, soumettre à l'impôt sur le revenu, par exemple, les indemnités réparatrices versées aux accidentés de la route ou à un pianiste ayant perdu l'usage de ses mains. On conçoit bien qu'une telle conséquence ne puisse être admise et qu'elle soit contraire aux principes généraux du droit.
A la limite, si l'on allait dans le sens que suggèrent les députés, il faudrait examiner la situation fiscale personnelle d'une personne à qui un tribunal civil octroierait des dommages et intérêts parce qu'elle aurait été victime d'une violation contractuelle ou d'un dol.
Pour en revenir aux indemnités de licenciement, il convient de préciser que le départ de son plein gré d'un mandataire social doit s'apparenter à une cessation forcée de ses fonctions, dès lors qu'il s'agit de la résultante d'une restructuration d'entreprise. Prenons l'exemple d'un président-directeur général remercié à la suite d'une offre publique d'achat hostile sur son entreprise : manifestement, son départ résulte non pas d'un choix, mais bien d'une cessation forcée de ses fonctions.
On vient de remarquer que, du fait de l'accélération des restructurations d'entreprises, de telles situations se renouvellaient fréquemment. Il ne saurait être question de créer des obstacles fiscaux artificiels et générateurs d'inéquités en fonction d'une situation individuelle sans doute choquante, celle du président d'Elf Aquitaine. Si je ne m'abuse, celui-ci ne devrait pas forcément être touché par la mesure telle qu'elle a été calibrée à l'Assemblée nationale.
Pour toutes ces raisons, la commission propose, par l'amendement n° I-4, la suppression du seuil de 2,35 millions de francs. Par suite, les indemnités versées aux dirigeants ou mandataires sociaux d'une entreprise seront soumises au même régime fiscal que celles qui sont octroyées aux salariés : elles seront imposées au-delà de deux années de salaire brut ou à concurrence de la moitié de la somme perçue.
En outre, cet amendement prévoit de supprimer la rétroactivité fiscale, qui nous semble inadmissible, c'est-à-dire l'application de la mesure dès le 1er janvier 1999. Il nous paraît bien suffisant que ce dispositif prenne effet à sa date d'annonce, c'est-à-dire à la date de la présentation de l'amendement en séance publique à l'Assemblée nationale, le 21 octobre 1999.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je rappellerai tout d'abord le principe : les contribuables assujettis à l'impôt sur le revenu le sont à raison de l'ensemble des revenus qu'ils perçoivent, quelle que soit la nature de ceux-ci.
A ce principe général du droit, le Gouvernement a entendu apporter une atténuation par l'article 2 bis - il est issu, d'ailleurs, d'un amendement parlementaire adopté avec l'avis très favorable du Gouvernement - qui clarifie le régime fiscal des indemnités de rupture du contrat de travail ou de rupture du mandat social perçues, en effet, vous venez de le rappeler, monsieur le rapporteur général, à compter du 1er janvier 1999.
Le principe général étant posé, par exception, peuvent être exonérées les indemnités de licenciement pour leur montant légal ou conventionnel et, le cas échéant, si les indemnités sont supérieures à ce montant, dans la limite globale la plus élevée, de 50 % de leur montant ou de deux fois la rémunération annuelle brute du bénéficiaire. Le montant exonéré ne peut toutefois excéder la moitié de la première tranche du tarif de l'impôt de solidarité sur la fortune, soit 2,35 millions de francs pour les indemnités perçues au cours de l'année 1999.
Les indemnités allouées aux mandataires sociaux à l'occasion de la cessation forcée de leurs fonctions sont exonérées dans les mêmes limites que celles qui ont été indiquées ci-dessus.
La mesure que vous proposez, monsieur le rapporteur général, tend à aller plus loin que l'article 2 bis : vous voulez garantir aux contribuables de bonne foi, c'est-à-dire la majorité de nos concitoyens, nous en sommes certains, la sécurité juridique à laquelle ils peuvent légitimement prétendre. L'imprévisibilité actuelle du régime définitif au regard de l'impôt sur le revenu des indemnités perçues, qui repose sur l'appréciation subjective d'une situation de fait, est effectivement la cause d'une grande insécurité juridique, à la fois pour les contribuables et pour les services fiscaux, et la source de nombreux contentieux, très complexes, qui ne cessent d'encombrer les tribunaux.
Vous proposez, par ailleurs, de mettre fin à certains abus qui sont facilités par l'incertitude actuelle de la norme juridique. C'est ainsi que des indemnités d'un montant très élevé - vous avez fait référence à un cas particulier qui le confirme - versées, notamment, à des cadres dirigeants ou à des mandataires sociaux d'entreprise, en application soit du contrat de travail, soit du mandat social - c'est ce qu'on appelle, veuillez m'excuser, monsieur Hamel, les golden parachutes -...
M. Emmanuel Hamel. Dites-le en français : les parachutes dorés !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. ... soit d'une transaction, peuvent échapper à l'impôt, parce que les services fiscaux ne disposent pas d'informations de recoupement.
Or votre amendement, qui permettra que des indemnités d'un montant supérieur à 2,35 millions de francs continuent d'être exonérées de l'impôt sur le revenu au titre de dommages et intérêts, va à l'encontre, c'est une évidence, de ces deux objectifs.
S'agissant de la date d'entrée en vigueur du dispositif, c'est à la suite d'une demande expresse de l'Assemblée nationale qu'il a été décidé d'appliquer ces nouvelles règles à l'ensemble des indemnités reçues au cours de l'année 1999. Votre amendement, plus restrictif, limiterait la recette fiscale de l'Etat en la matière.
Le Gouvernement n'a pas souhaité - il ne le souhaite toujours pas - s'opposer au voeu de sa majorité, celle qui le soutient à l'Assemblée nationale. Pour toutes ces raisons, je demande le retrait de cet amendement.
J'interviendrai dans quelques instants sur un dispositif proche du vôtre, monsieur le rapporteur général, mais qui ne présente pas les mêmes inconvénients aux yeux du Gouvernement : il s'agit de l'amendement n° I-288 rectifié présenté par M. Baylet.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-4.
M. Marc Massion. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion. Cet article 2 bis, introduit à l'Assemblée nationale, permet d'apporter une clarification au régime fiscal des indemnités de rupture de contrat de travail ou de mandat social.
Actuellement, le régime fiscal des indemnités de rupture du contrat de travail versées aux salariés est fixé essentiellement par la jurisprudence et la doctrine administrative. Il en est de même pour les indemnités versées aux dirigeants en cas de rupture du contrat social. Ces indemnités constituent un complément de rémunération imposable, à moins qu'elles n'aient pour objet de réparer un préjudice exceptionnel autre que la perte de salaires.
Le dispositif proposé par cet article reprend les principes doctrinaux et jurisprudentiels et permet ainsi d'énoncer clairement que les indemnités correspondant aux conventions collectives ou les indemnités de départ ou de licenciement sont exonérées de l'impôt sur le revenu.
Le second apport de cet article résulte dans le traitement des indemnités de licenciement ou des indemnités versées à des dirigeants lors de la cessation forcée de leurs fonctions lorsque celles-ci dépassent l'indemnité conventionnelle ou légale. Ce surplus serait alors exonéré jusqu'à concurrence au maximum de 50 % du montant de l'indemnité ou de 50 % de la limite de la première tranche du tarif de l'impôt de solidarité sur la fortune, soit 2 350 000 francs.
Ce plafond n'est pas accepté par M. le rapporteur général. On se trouve pourtant loin des situations habituelles. Les sommes accordées sont même, dans certains cas, vertigineuses et font alors clairement partie de dispositifs confinant à l'abus. Il n'y a aucune raison qu'au-delà de ce montant déjà très élevé de 2 350 000 francs il y ait une exonération de l'impôt sur le revenu. D'autant que, dans ces cas précis, la personne concernée est rarement en difficulté pour retrouver un emploi. Comment expliquer à un salarié modeste qui paie l'impôt sur le revenu sur son salaire que M. X, qui quitte une entreprise pour un autre poste dans une autre entreprise, ne paiera rien sur les millions qu'il touche en indemnité de départ ?
Il nous faut donc corriger ces excès en ne prévoyant pas d'exonération de l'impôt sur le revenu au-delà de ce montant de 2 350 000 francs. J'ajoute que le fait de déclarer ces sommes permettra également l'introduction d'un peu de transparence dans ces indemnités.
C'est donc avec détermination que le groupe socialiste votera contre cet amendement.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je dois dire que, depuis ce matin, M. le secrétaire d'Etat nous donne l'occasion d'avoir un débat serein...
M. Michel Charasse. Et de qualité !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. ... sur la fiscalité et sur son rôle dans notre société. Afin de ne pas alourdir la discussion, j'ai attendu que l'occasion se présente pour apporter une contribution supplémentaire aux grands principes qu'il a édictés.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il est un principe auquel je crois profondément et que vous n'avez pas évoqué : l'impôt est un instrument de rendement et, chaque fois que l'on veut lui faire jouer un autre rôle, on risque de commettre des imprudences, des excès, et de causer des dommages auxquels on n'a pas songé.
Ce matin, vous avez donné l'impression - je serai bref, car nous sommes maintenant loin du sujet - que, finalement, l'impôt pouvait, sous une forme ou sous une autre, j'allais dire convoquer la croissance. Je suis beaucoup plus réservé que vous ! Je vous souhaite, je souhaite à la France que la croissance se poursuive le plus longtemps possible. Toutefois, si, brusquement, elle devenait plus fragile, vous iriez bien vite en chercher les raisons à l'extérieur ; vous ne diriez pas que c'est à cause des mesures géniales que vous nous proposez qu'elle n'est plus au rendez-vous !
Par ailleurs, l'impôt n'a pas pour objet de donner des leçons de morale ! Il s'agit là d'un exemple où, sous la tyrannie des médias, on légifère à partir de cas particuliers dont on ne connaît pas l'ampleur. Personnellement, je ne connais pas l'ampleur des cas particuliers auxquels on a fait allusion. J'ai du reste le sentiment que, quels que soient les efforts accomplis par le Gouvernement, par l'Assemblée nationale et par le Sénat, de toute manière, cette mesure représentera un coût pour l'entreprise, mais pas pour les personnes concernées par ce type de situation. (M. le rapporteur général fait un signe d'approbation.)
Nous pouvons donc prendre toutes les mesures que nous voudrons : de toute façon, les leçons de morale de ce genre n'auront aucun effet !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Et les actionnaires ?
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. En effet, mais cela peut être des Français modestes, qui ont épargné,...
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Tout à fait !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. ... et je ne crois pas qu'ils méritent d'être sanctionnés.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous poursuivez dans une voie que tous vos prédécesseurs ont emprunté à tort, me semble-t-il : vous voulez, comme chaque fois, légiférer à partir de cas particuliers.
Tout à l'heure, parlant des contribuables de bonne foi, vous avez ajouté qu'il s'agissait de la majorité de nos concitoyens. Mais nous ne traitons dans la loi que de ceux-là. Ceux qui ne sont pas de bonne foi sont, je l'espère, sanctionnés, et il existe dans notre législation des règles et des sanctions précises - hélas, on ne les utilise pas assez souvent - notamment l'abus de droit. Au reste, nous avons à plusieurs reprises évoqué cette question.
Il s'agit pour vous de mettre fin à certains abus grâce à des recoupements auxquels l'administration pourrait procéder. Or les moyens qui sont mis à la disposition de l'administration française pour procéder à ces contrôles sont tout de même d'un bon niveau et, sauf à vouloir vraiment que la totalité des informations concernant les personnes dans ce pays soit portée à la connaissance de l'administration fiscale, sauf à le vouloir vraiment, nous ne pouvons pas en faire davantage.
Un aspect du débat qui vient de s'instaurer m'a frappé - d'ailleurs M. le rapporteur général l'a souligné. Il me paraît, en effet, capital que nous nous en tenions à un principe d'égalité entre les victimes de préjudices, quels qu'ils soient.
Ne tombons pas dans la démagogie, en tout cas pas dans cette maison. Il ne faut pas que ce soit le journal télévisé de vingt heures ni les journaux du soir ou du matin qui nous dictent notre ordre du jour ou notre ligne de conduite. Faisons en conscience ce que nous croyons devoir faire pour le bien du pays. Or je ne crois pas, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il soit juste de commencer à discriminer les catégories de préjudices et à élaborer des régimes fiscaux séparés selon une typologie des dommages que pourraient subir certaines victimes. Ce n'est pas réalisable.
Ce que l'on peut reprocher à ce dispositif, issu d'une initiative parlementaire mais soutenu, et peut-être sollicité par le Gouvernement, c'est précisément de nous faire entrer dans la considération de cas si particuliers que nous encombrons inutilement notre dispositif normatif. Vous avez appelé ce matin à la lisibilité et à la simplicité, monsieur le secrétaire d'Etat, or nous n'y contribuons pas.
Personnellement, j'invite instamment le Sénat à suivre la voie que nous propose M. le rapporteur général, car c'est celle de la sagesse et de la sérénité, celle qui nous garantit contre les pressions de toute nature que nous subissons les uns et les autres, une voie sur laquelle nous sommes appelés à élaborer une législation fiscale juste et équitable et qui offre à l'Etat un rendement suffisant pour qu'il puisse mener son action - vous n'êtes pas mal servi à cet égard pour l'instant, monsieur le secrétaire d'Etat ! - une voie libre de dispositions qui, à terme, engendreraient inégalités et inefficacité. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je voudrais répondre brièvement à M. le président de la commission des finances.
Que l'on ne se méprenne pas : nous voulons non seulement assurer la rigueur et la justice du système fiscal, notamment en ce qui concerne l'emploi des indemnités de rupture du contrat de travail ou du mandat social, mais aussi, comme je crois l'avoir déjà dit ce matin au début de notre débat, manifester le souci constant du Gouvernement de dynamiser l'économie, de favoriser la création d'activités et d'entreprises et d'induire par l'innovation, à un rythme beaucoup plus soutenu que celui que notre économie a connu jusqu'à présent, de la croissance pour la mettre au service de l'emploi.
Je suis donc personnellement très sensible aux idées qui sous-tendent l'amendement de M. Marini ainsi que celui de M. Baylet : quoi de plus intelligent, en effet, que de prévoir, sous certaines conditions - et là est, en vérité, le débat - le réemploi des indemnités de licenciement ou de rupture du mandat social au profit de la création d'entreprise, au profit de la création de richesses, au profit de la création de valeurs, donc au profit de l'emploi ? Le Gouvernement s'inscrit totalement dans cette orientation. Toutes les dispositions législatives qu'il a proposées jusqu'à présent, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, vont dans ce sens.
Cependant, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission, la question se pose de savoir où l'on place le curseur pour ce qui est des conditions que l'on doit imposer afin que cette disposition soit à la fois suffisamment dynamique, économiquement efficace et socialement juste. C'est là que le Gouvernement se sépare de la majorité du Sénat : nous ne sommes pas d'accord sur cette limite.
Certes, nous convergeons sur l'objectif de dynamisation économique, de prise de risques, de création d'entreprises, bref sur tout ce qui fait la chair et le sang d'une croissance vive et forte de l'économie française, mais nous ne pouvons pas vous rejoindre sur les limites sociales que vous voulez, au fond, faire disparaître, ce qui, de notre point de vue, serait source d'injustices et aboutirait à rompre l'équilibre du système de sorte que la bonne idée de départ ne pourrait être poursuivie jusqu'à son terme dans un contexte de justice tout à la fois sociale et fiscale. C'est tout ce qui nous sépare ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je pourrais m'en tenir aux explications, excellentes, de mon ami Marc Massion et de M. le secrétaire d'Etat, mais je voudrais faire deux observations complémentaires pour justifier mon vote hostile à l'amendement qui nous est présenté, malgré le talent du rapporteur général et du président de la commission des finances.
Je pense que la suppression du plafond global, que prévoit l'amendement de M. Marini, est contraire à la fois au principe d'égalité et à l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Comment, comment ?
M. Michel Charasse. La suppression de ce plafond est contraire au principe d'égalité puisque, pour la première fois dans notre droit, on prévoit en matière fiscale, mais pas dans les autres matières, la compensation intégrale du préjudice. Or, cela n'existe nulle part ailleurs. (M. le rapporteur général s'étonne.) Monsieur le rapporteur général, lorsque la justice a fixé des barèmes pour le pretium doloris, elle a fixé des barèmes de façon totalement arbitraire. Certains peuvent estimer qu'ils sont très bas, mais il n'y a jamais véritable réparation du préjudice. Tous ceux qui ont eu à affronter, à un moment ou à un autre, la justice savent bien que, quel que soit l'effort qui est fait, le préjudice n'est jamais réparé. Or là, on veut qu'il soit réparé totalement. C'est la première rupture du principe d'égalité.
La seconde rupture, monsieur le rapporteur général, est liée à l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, article qui prévoit que la contribution commune « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
J'ai le sentiment qu'en supprimant tout plafond (M. le rapporteur général s'exclame), ou plutôt tout plafond global, - il en reste un, et c'est ce à quoi vous devez penser à l'instant - vous allez au-delà. Selon moi, compte tenu de la jurisprudence, toujours sévère, du Conseil constitutionnel en ce qui concerne l'application des principes, notamment de la déclaration de 1789, en matière fiscale, cette disposition, si elle devait prospérer, n'aurait aucune chance de passer rue Montpensier.
Donc, j'appelle votre attention sur ces deux points : pourquoi faudrait-il que le préjudice soit intégralement réparé uniquement en matière fiscale, et pas ailleurs ? Pourquoi faudrait-il que l'expression « en raison de leurs facultés » ne s'applique pas aux indemnités de licenciement ?
J'attends qu'on me donne la réponse.
En tout cas, je ne voterai pas cet amendement n° I-4.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Plusieurs points de l'intervention de M. Charasse nécessitent réponse.
Autant j'était presque fasciné au début de la séance, mon cher collègue, par votre rappel au règlement - je souscris, vous le savez, tout à la fois à son style et à son contenu -...
M. Michel Charasse. Merci, mais le sujet n'est pas le même !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... autant je suis perplexe et je m'interroge sur les propos que vous venez de tenir, et ce pour un certain nombre de raisons.
D'abord, nous ne proposons par l'indemnisation sans limite. Nous prévoyons même une double limite,...
M. Michel Charasse. Oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... à savoir soit deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le salarié, soit 50 % de l'indemnité de licenciement, le plus élevé de ces deux termes étant retenu. Il y a bien deux limites qui sont à apprécier non pas ne varietur, mais en fonction de la réalité du préjudice subi. Car ne croyez pas, mes chers collègues, que ces sommes soient fixées de manière arbitraire. S'il y a indemnité, c'est bien parce qu'il y a préjudice,...
M. Michel Charasse. Oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... et s'il y a indemnité élevée, c'est bien parce qu'il y a un préjudice élevé !
Le reproche que je fais personnellement au dispositif du Gouvernement et de l'Assemblée nationale, c'est qu'il pénalise d'autant plus que le préjudice est lourd, puisque, selon ce dispositif, on serait d'autant plus pénalisé fiscalement que l'indemnité serait plus élevée. Or comment voulez-vous qu'une indemnité soit fixée à un niveau élevé si le préjudice n'est pas lui-même d'une très grande gravité ?
Puisque vous invoquez le gouvernement des juges, ou plutôt, en d'autres termes, le pouvoir considérable qu'il appartient au Conseil constitutionnel d'exercer, je voudrais, me situant sur ce terrain, demander, à la suite de M. le président de la commission des finances, ce qui justifie que, par rapport à d'autes bénéficiaires d'indemnités réparatrices, ceux-là soient moins bien traités ? Au nom de quoi considérera-t-on que le fait d'avoir été privé de son emploi ou de sa réputation professionnelle soit moins grave que le fait d'avoir été victime d'un préjudice d'une autre nature corrigé par des dommages et intérêts ou par une indemnité assurantielle ?
N'y a-t-il pas, dans notre droit, un principe d'égalité des personnes se trouvant objectivement dans la même situation ?
Si l'on évoque ces sujets avec le souci de trouver une solution juste...
M. Michel Charasse. Le sida, c'est 2 millions de francs ! Et c'est plus grave que ce qui vient d'arriver à tel ou tel P-DG !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... c'est bien parce que, dans notre droit, et c'est un principe général, les dommages et intérêts ne sont pas assimilables à des revenus.
Vous nous parlez de l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et de la contribution commune qui doit être répartie à proportion des facultés. Vous ne sauriez ignorer - je ne vous ferai pas cette injure - que les indemnités dont il s'agit sont, en tout état de cause, intégralement fiscalisées au titre de la fiscalité du patrimoine. Sauf à ce que cet argent disparaisse instantanément, ce qui est difficile, il se retrouvera dans la déclaration patrimoniale de fin d'année et sera imposé selon le barème de l'impôt de solidarité sur la fortune. Il est donc faux de prétendre que ces sommes sont exemptes d'imposition.
M. Michel Charasse. Pas à un tarif très élevé !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais des dommages et intérêts, qui sont des créances réparatrices d'un préjudice, sont des éléments constitutifs d'un patrimoine et non d'un revenu.
Sur ce sujet, la Haute Assemblée est maintenant éclairée comme elle doit l'être. Différentes pistes peuvent être explorées. Nous y reviendrons. Mais, véritablement, l'amendement de la commission, qui vise à supprimer le seuil de 2,35 millions de francs, se situe, je le crois sincèrement et je le dis avec conviction, dans le cadre de nos principes généraux du droit.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-4, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° I-288 rectifié bis, MM. Baylet, Collin et Bimbenet proposent de compléter le texte présenté par le I de l'article 2 bis pour l'article 80 duodecies du code général des impôts par un alinéa ainsi rédigé :
« 3. Toutefois, la fraction des indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail ou à l'occasion de la cessation forcée des fonctions des mandataires sociaux, dirigeants et personnes visés à l'article 80 ter qui excède les montants définis au deuxième alinéa du I est exonérée à hauteur du montant investi, dans les six mois qui suivent la rupture du contrat de travail ou la cessation forcée des fonctions, dans la souscription en numéraire au capital d'une société dont les titres, à la date de la souscription, ne sont pas admis à la négociation sur un marché réglementé. La société bénéficiaire de l'apport doit satisfaire aux conditions mentionnées au 3 de l'article 92 B decies. Les souscriptions donnant lieu à l'exonération prévue au présent alinéa n'ouvrent pas droit aux déductions prévues au 2° quater de l'article 83, aux articles 83 bis, 83 ter et 163 septdecies ou aux réductions d'impôt prévues aux articles 199 undecies, 199 terdecies -O A et 199 terdecies A. »
La parole est à M. Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le secrétaire d'Etat, répondant à M. le rapporteur général sur l'amendement précédent, vous avez fait référence par avance à cet amendement-ci. J'ai cru comprendre, à cette occasion, que vous n'y étiez pas hostile.
De quoi s'agit-il ?
Cet amendement vise à exonérer d'impôt les indemnités versées aux salariés en cas de rupture de leur contrat de travail ou aux mandataires et dirigeants d'entreprises en cas de cessation forcée de leurs fonctions, dès lors que ces indemnités sont investies dans des sociétés non cotées de moins de quinze ans, dans les six mois qui suivent le licenciement ou le départ forcé.
Cette exonération ne serait pas cumulable avec la possibilité de déduire les intérêts des emprunts contractés en vue d'acquérir les titres ou avec la réduction d'impôt résultant de la loi « Madelin ».
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cette analyse étant fort pertinente, la commission a émis un avis favorable sur la suggestion de nos collègues. Cela permettrait d'encourager des placements dans de jeunes sociétés innovantes, ce qui serait favorable au dynamisme de l'économie et à la création d'entreprises.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. M. Collin vient de défendre l'amendement que M. Baylet et lui-même ont cosigné, montrant par là même, si besoin était, l'apport décisif aux travaux de la majorité plurielle du Mouvement des radicaux du gauche sur un point essentiel.
Nous débattons en effet d'une disposition très dynamique, qui va plaire à l'opinion publique puisqu'il s'agit à la fois de la prise en compte de la situation personnelle des salariés mais aussi des mandataires sociaux lorsqu'ils sont privés de leur emploi. Vous y ajoutez des conditions. Il faut une cessation forcée de leurs fonctions. Vous introduisez l'idée d'une mobilisation des sommes indemnitaires allouées aux salariés ou aux mandataires sociaux pour que celles-ci soient réemployées dans les six mois afin, et c'est un bon objectif, de financer ce que l'on appelle des start up - je prie M. Hamel de me pardonner ! - c'est-à-dire les jeunes entreprises innovantes en création.
Le Gouvernement comprend cette démarche. Vous maintenez par ailleurs - et cette différence avec l'amendement défendu par M. le rapporteur général est de taille car elle est un signal d'orientation politique claire - la limite maximale de 2,35 millions de francs par référence à la moitié de la première tranche de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Tout en étant personnellement favorable à une disposition de ce type, qui constitue un véritable signal politique par rapport à la nécessité d'une plus grande implication de nombre de nos salariés et des mandataires sociaux dans la création d'entreprises et la prise de risque, je souhaite que l'on étudie bien la rédaction d'une telle disposition, que l'on prenne en compte la volonté politique qu'elle exprime et que l'on puisse, peut-être, s'en remettre au dialogue fructueux qui va avoir lieu entre l'Assemblée nationale et le Sénat à l'occasion de la commission mixte paritaire,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. ... dont le succès est annoncé ! (Sourires.)
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. ... dont le succès ne fait pas de doute. (Nouveaux sourires.)
M. Jean Chérioux. Dialogue restreint !
M. Michel Charasse. Il faut croire au bicamérisme !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Ainsi, au vu de ce que pourra apporter la majorité plurielle à l'Assemblée nationale, l'apport de la majorité plurielle au Sénat, qui est ici pour l'instant minoritaire, pourra être pleinement valorisé.
Je propose donc aux auteurs de cet amendement de bien vouloir le retirer, étant entendu que le message est compris par le Gouvernement, qu'il sera porté avec fidélité et dynamisme dans le débat que le Gouvernement entretient avec sa majorité plurielle de manière à étudier des conditions de rédaction concrètes et précises qui permettront, je l'espère personnellement, de donner satisfaction à MM. Collin et Baylet.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-288 rectifié bis, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2 bis, modifié.
(L'article 2 bis est adopté.)
Articles additionnels après l'article 2 bis