Séance du 9 décembre 1999
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. Barraux.
M. Bernard Barraux. Au moment où l'ensemble du monde caresse de très grandes ambitions, puisqu'il s'agit rien moins que de chercher des solutions communes aux innombrables problèmes que pose le commerce sur notre planète, vous nous proposez, monsieur le ministre, un budget qui n'en affiche pas beaucoup.
Représentant un département d'élevage charolais - l'Allier - je le regrette tout particulièrement, car il s'agit du premier budget qui suit la loi d'orientation agricole, loi sur laquelle les éleveurs ont fondé beaucoup d'espoir.
Nous sommes d'autant plus déçus que vous nous aviez habitués à des démarches plus volontaristes.
Dans l'affaire du boeuf britannique, il est clair que, manifestement, vous n'avez pas manqué de courage. Vous avez su, avec une grande fermeté, vous en tenir aux conclusions des experts de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, qui, je le rappelle, a pour origine la proposition de loi sénatoriale Huriet-Descours...
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Absolument !
M. Bernard Barraux. ... ayant donné lieu à la loi du 1er juillet 1998.
Sous la pression des représailles européennes, vous avez réussi à imposer des conditions draconiennes à la levée de l'embargo - on en connaît le résultat - et nous nous en réjouissons tous. Nous ne pouvons que vous en féliciter. Nous vous en sommes très reconnaissants. D'ailleurs, je me réjouis de l'annonce qui a été faite hier soir par M. le Premier ministre du maintien de cet embargo sur le boeuf britannique.
Je fais partie de ceux qui pensent que ce délai supplémentaire qui vient de nous être accordé doit inciter tous les professionnels de la chaîne de la viande bovine à multiplier leurs efforts de traçabilité et de certification. Cependant, les nouvelles contraintes imposées aux éleveurs sont lourdes, voire extrêmement lourdes. La facture de l'identification augmente de 26 millions de francs. Les éleveurs assurent eux-mêmes 88 % du coût de la traçabilité jusqu'à l'abattoir. Cette situation n'est pas acceptable et l'Etat devrait participer davantage en apportant une contribution plus importante à ce dispositif fondamental de traçabilité qu'est l'identification.
Face aux compromis et à un certain nombre de concessions, nos éleveurs doivent expliquer la différence qui existe entre leur production, qui est une viande saine et de haute qualité, et la production britannique. Ils doivent insister sur l'extrême rigueur des règles sanitaires appliquées en France, qui garantissent au maximum la santé des consommateurs, ce qui n'est manifestement pas toujours le cas chez nos voisins et amis de sa Gracieuse Majesté, qui mettent sur le marché des produits qui ne sont pas exempts de risques, vous le savez mieux que quiconque.
Ce travail d'information sera d'autant plus délicat que le risque existe d'amalgames pernicieux qui conduiraient le consommateur à rejeter en bloc la viande bovine - et Dieu sait si elle est en concurrence avec les viandes blanches - car les experts français multiplient encore les mises en garde. Il y a donc tout lieu de redoubler de vigilance.
Ce qui nous interpelle, c'est le fait que les experts européens et français ont pris des positions qui semblent opposées sur les risques, que l'Allemagne n'a pas ouvert ses frontières et reste à l'écart du débat, et, enfin, que la Commission retarde l'obligation d'étiquetage.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous vous demandons de maintenir une position toujours aussi ferme pour conserver les garanties apportées à nos consommateurs.
Le problème de la qualité et de la sécurité alimentaire est au coeur des préoccupations de la société tout entière. Nous souhaitons tous que la France prenne des dispositions pour devenir le fer de lance de la qualité et de la sécurité alimentaire, afin de pouvoir imposer à l'Europe une autorité indiscutée.
Je ne m'étendrai pas sur les problèmes de la modulation des aides qui ont déjà été évoqués par plusieurs orateurs. Je préciserai simplement qu'elle accroîtra les importantes contraintes administratives imposées aux agriculteurs et augmentera lourdement non seulement le travail de votre administration, monsieur le ministre, mais également la tâche des centres de gestion sollicités par les agriculteurs pour tenter de limiter l'addition ou, plutôt, la soustraction.
Quant aux contrôles, ils seront plus lourds. En outre, il ne faudrait pas que ce surcroît de travail entraîne un retard de paiement des aides de la PAC.
Enfin, dans la mesure où, à ce jour, la France est le seul pays européen à avoir décidé de moduler les aides, des distorsions de concurrence vont inévitablement se créer avec les autres Etats membres.
Des inquiétudes légitimes subsistent pour de nombreuses productions, comme le tabac ou la pomme de terre fécule, qui perçoivent des montants d'aides élevés par hectare.
Par ailleurs, les aides destinées aux exploitations dégageant un revenu faible ou négatif, ou aux jeunes en phase d'installation, pourront être modulées. Non seulement le dispositif de prélèvement des aides de la PAC est extrêmement complexe mais il va, en outre, créer injustices et inquiétudes chez bon nombre d'agriculteurs, puisque 80 % des exploitations verront leurs aides amputées de 6 % et 1 500 agriculteurs subiront un prélèvement de 20 %, le taux maximal. Quant au secteur bovin, 6 % des élevages sont visés à un taux moyen de 5 %.
Monsieur le ministre, il est bien difficile de cautionner le dispositif de la modulation des aides. C'est pourquoi nous vous demandons instamment d'en revoir les modalités.
Je ne veux pas conclure mon propos sans évoquer le fameux problème des écotaxes. Il faut bien que j'y apporte ma petite touche ! Puisque nous parlons d'agriculture, je me permettrai de dire que le Gouvernement s'apprête à moissonner. A travers la taxe générale sur les activités polluantes, il financera la réduction du temps de travail.
Les engrais ou les produits phytosanitaires seront taxés. Ainsi, les agriculteurs, qui travaillent entre douze et quinze heures par jour, ce qui leur fait des semaines de soixante-dix à quatre-vingts heures, devront payer pour que leurs autres camarades qui travaillent ne fassent que 35 heures. Ce n'est pas très logique ; je dirai même que c'est assez extravagant, pour ne pas dire choquant. Ne pourrait-on affecter la TGAP au plan de maîtrise des pollutions agricoles ?
La TGAP sur les produits phytosanitaires constitue un impôt injuste et inefficace pour l'environnement. Un retour financier en faveur de l'environnement, via les agences de l'eau, eût été préférable. Cette taxe viendra renchérir le coût des productions dans des secteurs déjà affectés par des crises récurrentes ou dont le cadre économique est bouleversé par la réforme de la politique agricole commune. Ce nouvel impôt restera essentiellement à la charge des agriculteurs. Pourront-ils seulement un jour le répercuter sur le prix des produits ? Nous savons bien que non.
Vous l'avez compris, monsieur le ministre, c'est pour l'ensemble de ces raisons que nous ne pourrons apporter notre soutien au projet de budget de l'agriculture pour 2000 que vous nous présentez aujourd'hui, et nous le regrettons très sincèrement. (M. le ministre sourit.) Nous n'avons pas le sentiment que votre budget apportera les apaisements nécessaires aux inquiétudes des agriculteurs ni l'impulsion indispensable à la concrétisation de la loi d'orientation agricole. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Joël Bourdin, rapporteur spécial. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu. Monsieur le ministre, voilà un an, au cours du débat budgétaire, j'attirais votre attention sur le financement des contrats territoriaux d'exploitation, innovation qualifiée de majeure de la loi d'orientation agricole.
M. Jean-Marc Pastor. Oh oui !
M. Gérard Cornu. Nous étions un certain nombre, dans cet hémicycle, à regretter l'option qui était la vôtre d'agir par redéploiement de crédits nationaux, ce qui avait pour conséquences fâcheuses de vider les chapitres réservés, notamment, au fonds de gestion de l'espace rural et aux OGAF, les opérations groupées d'aménagement foncier, et de transférer une partie des crédits du FIA, le fonds pour l'installation en agriculture.
Notre cri n'a malheureusement pas trouvé d'écho puisque, cette année encore, vos méthodes ne varient pas. C'est ainsi que votre projet de budget pour 2000, qui met en oeuvre les priorités de la loi d'orientation, mais en année pleine cette fois, prévoit, pour abonder le fonds de financement des CTE, un prélèvement de 145 millions de francs sur le FIA - qui de ce fait disparaît - et de 155 millions de francs sur la dotation aux jeunes agriculteurs, et ce alors même que la recommandation du conseil supérieur d'orientation du 16 juin dernier, approuvée par les organisations professionnelles, précise que la dotation aux jeunes agriculteurs n'est pas subordonnée à la conclusion d'un CTE. Permettez-moi de douter que les jeunes voient dans ces procédés un quelconque encouragement à s'installer.
Dans mon département, l'Eure-et-Loir, à forte dominante rurale, comme vous le savez, on n'a recensé que trente-cinq à quarante installations cette année ; le constat dressé est inquiétant : les fils d'exploitant s'installent de moins en moins et les cédants ont plus que jamais besoin d'être encouragés pour transmettre à des jeunes hors du cadre familial.
M. Jean-Marc Pastor. Bien sûr !
M. Gérard Cornu. Je voudrais brosser rapidement avec vous le tableau de notre agriculture française.
Avant d'aborder le dossier de la dioxine, et outre la baisse des prix sur laquelle je ne reviendrai pas, chacun a en effet à l'esprit la baisse des prix du lait, de la viande bovine, du poulet, du porc et des céréales, permettez-moi de dire quelques mots sur les accords de Berlin et, surtout, sur leurs conséquences. La modulation des aides que la France peut se targuer d'être seule à mettre en oeuvre au sein de l'Union européenne - j'y vois là une première dont nos agriculteurs se seraient bien passé - va inévitablement entraîner des iniquités et des effets pervers.
De ce point de vue, vont être tout particulièrement touchées les régions dites intermédiaires, et donc les exploitations de petites et moyennes dimensions au revenu moyen, comme c'est le cas en Eure-et-Loir et dans d'autres départements du Centre. Comme vous le savez, dans ces territoires, la modulation concernera, en moyenne, un tiers des exploitations.
M. Jean-Marc Pastor. C'est faux !
M. Gérard Cornu. Je crains que ce choix gouvernemental ne contribue à diviser l'agriculture et le monde rural, mais aussi à créer des distorsions de concurrence sur le plan européen. Qu'envisagez-vous, monsieur le ministre, pour en atténuer les effets ? Que répondez-vous, notamment, aux exploitants spécialisés en céréales et oléagineux ?
Une délégation de jeunes agriculteurs de mon département est aujourd'hui présente dans nos tribunes. J'en profite pour les saluer. Ils ont tout spécialement délaissé leur exploitation l'espace d'une journée pour venir assister à ces débats. Leurs attentes sont fortes et leur présence significative de l'ampleur de leurs inquiétudes. Il vous appartient de ne pas les décevoir.
Je n'aurai malheureusement pas le temps de m'arrêter sur la réforme du plan de régionalisation qui prévoit la suppression de la référence au rendement départemental...
M. Jean-Marc Pastor. C'est heureux !
M. Gérard Cornu. ... et qui pourrait se traduire en Eure-et-Loir par des pertes oscillant entre 200 francs et 400 francs par hectare. Je ne pourrai pas non plus m'étendre sur la TGAP créée l'an passé par la loi de finances dans le but de pénaliser les mauvaises pratiques. Permettez-moi simplement de dire qu'il est pour le moins regrettable que les revenus tirés de cette taxe aillent abonder le fonds de compensation des allégements de charges prévus par le second projet de loi sur la réduction du temps de travail. Les agriculteurs auraient sans doute vu d'un moins mauvais oeil que les sommes ainsi dégagées soient en priorité destinées au secteur agricole et - pourquoi pas ? - affectées au financement du volet environnement des CTE, par exemple.
J'en viens au dossier de la dioxine. Je m'attarderai plus volontiers sur les victimes, qui sont nombreuses, et, en premier lieu, les entreprises de fabrication d'aliments qui ont commercialisé des produits soupçonnés de contamination, alors que ceux-ci se sont toujours avérés sains.
M. Jean-Marc Pastor. C'est n'importe quoi !
M. Gérard Cornu. Viennent ensuite les éleveurs avicoles, dont les élevages ont été mis sous séquestre, et dans mon département, la production de vingt-huit d'entre eux s'est trouvée ainsi mise sous séquestre pendant deux semaines, rendant impossible sa commercialisation. Je ne prendrai qu'un exemple, celui d'un agriculteur dont l'élevage avicole représente 30 % du chiffre d'affaires de l'exploitation. Ses pertes s'élèvent à quelque 216 000 francs. Toutes les demandes d'indemnisation faites auprès des pouvoirs publics ont essuyé une fin de non-recevoir. La chambre départementale d'agriculture a conduit les organisations professionnelles à engager une action en justice au côté des éleveurs concernés afin de faire reconnaître la responsabilité de l'Etat dans ces pertes et d'obtenir réparation. Rien que pour mon département, les préjudices subis sont globalement estimés à 12 millions de francs. Le doigt est ainsi pointé sur la mise en oeuvre par l'Etat du principe de précaution et sur ses conséquences financières. Ne voyez là aucun esprit polémique de ma part ! Mais être contraint d'introduire une procédure contentieuse pour obtenir une juste réparation me laisse rêveur quant à l'intérêt que ce Gouvernement porte à une filière bien mise à mal.
A ce stade, je crois utile de vous faire une proposition, monsieur le ministre.
M. André Lejeune. Ah !
M. Gérard Cornu. L'an passé, je m'étais étonné que le Gouvernement n'abonde pas le fonds national de garantie des calamités agricoles. Vous m'aviez alors répondu que, la trésorerie de ce fonds étant largement excédentaire, il ne vous apparaissait pas nécessaire de prévoir une ligne budgétaire.
Je vais vous prouver que l'opposition peut être constructive ! (M. le ministre rit.)
Partant du constat que je viens de vous exposer, ma suggestion est simple : pourquoi ne pas rattacher les conséquences financières du principe de précaution au fonds de garantie contre les calamités agricoles, afin d'assurer ainsi aux victimes un juste dédommagement ? J'aimerais connaître votre avis sur ce point.
Il ne peut plus faire de doute, aujourd'hui, que la conjugaison des différentes mesures que nous avons évoquées conduit à un affaiblissement inquiétant de notre agriculture ; de plus, les discussions de l'OMC nous font craindre le pire.
Dès lors, ma question est simple : pourquoi tant d'acharnement à déstabiliser l'ensemble du monde rural ?
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre, ce budget est décevant, à l'exception peut-être de la forte augmentation des crédits en faveur de la qualité et de la sécurité sanitaires des aliments. Sur ce point, j'attends d'ailleurs votre réponse à ma question écrite sur l'étiquetage obligatoire des produits contenant des OGM pour les consommateurs français.
Aujourd'hui, je souhaite intervenir plus particulièrement sur les retraites, l'installation des jeunes et la fiscalité.
Vous poursuivez, en matière de retraites, une politique de revalorisation progressive que le précédent gouvernement avait lancée. Assurer une retraite minimale supérieure au RMI à l'ensemble des agriculteurs, quel que soit leur statut, est, certes, louable, mais c'est très insuffisant. Pourquoi ne pas accélérer cette revalorisation ? Profitons des recettes budgétaires imprévues cette année pour attribuer, dès maintenant, une retraite, pour une carrière complète, au moins égale au minimum vieillesse. Le coût estimé de cette mesure est de 5 milliards de francs.
Vous estimez normal de financer les 35 heures à hauteur de 105 milliards de francs en année pleine. Estimez-vous anormal que ceux qui n'ont pas compté leurs heures et se sont sacrifiés pour bâtir une agriculture moderne puissent toucher une retraite décente ?
Concernant les jeunes agriculteurs, le nombre d'installations est en baisse de 15 %. Il est donc absurde de supprimer le fonds pour l'installation en agriculture,...
M. André Lejeune. Il n'est pas supprimé !
M. Aymeri de Montesquiou. ... dont l'efficacité est démontrée. Pourquoi le faites-vous ?
En réalité, vous mettez en danger l'installation des jeunes pour financer votre contrat territorial d'exploitation.
Lors de l'examen du dernier budget, j'avais attiré votre attention sur le flou concernant le financement du CTE. Aujourd'hui, le CTE, dispositif général s'il en est, est financé à près de 30 % par une amputation sur les crédits dévolus aux jeunes, soit un prélèvement de 145 millions de francs sur le fonds d'installation en agriculture et de 155 millions de francs sur la dotation aux jeunes agriculteurs, c'est-à-dire le quart de son montant ! Monsieur le ministre, pourquoi supprimer des crédits qui ont fait la preuve de leur efficacité ?
Enfin, en matière de fiscalité, tous les exploitants agricoles attendaient avec impatience les dispositions promises par le Gouvernement lors de la discussion de la loi d'orientation agricole.
Quand le Gouvernement prendra-t-il les mesures fiscales indispensables en matière de charges sociales, de transmission d'exploitation, de régime agricole de TVA, d'impôt sur le revenu ? En a-t-il la volonté ?
Aujourd'hui, dans le contexte concurrentiel international, ce n'est plus un choix, c'est une obligation, comme la conférence de Seattle l'a très fortement démontré. Il sera difficile de garder les subventions telles qu'elles ont été mises en place dans l'Agenda 2000. Il faudra trouver un système comparable à celui des Etats-Unis.
L'agriculture familiale française sera incapable de résister à une baisse des subventions. C'est donc au niveau des charges et de la fiscalité qu'il faudra agir. Votre projet de budget ne prépare en rien cette mutation, alors que vous disposiez d'une marge de manoeuvre exceptionnelle.
Membre du groupe du Rassemblement démocratique social et européen, je serai, bien sûr, attentif à vos réponses, mais, suivant l'avis de la commission, je ne voterai pas le budget de l'agriculture pour 2000. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Piras.
M. Bernard Piras. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parmi les quatre priorités du budget de l'agriculture et de la pêche dans le projet de loi de finances pour 2000 figure l'enseignement agricole. C'est sur ce thème que je souhaite intervenir, en regrettant que, sur un sujet aussi important, le temps qui m'est imparti soit si restreint, d'autant que les débats à l'Assemblée nationale sur ce même sujet ont, eux aussi, été très brefs.
Il m'apparaît que l'étude du budget consacré à l'enseignement agricole en 2000 peut faire l'objet d'une double lecture, la première portant sur les efforts indéniables du Gouvernement, la seconde sur la situation délicate de l'enseignement agricole. Il est important de bien distinguer ces deux approches, l'une devant permettre de prendre conscience de l'effort fourni, l'autre de constater le chemin qu'il reste à parcourir. J'insiste sur ce point, car ces deux lectures sont indissociables pour une bonne et juste compréhension de la problématique de l'enseignement agricole.
Ce budget marque indéniablement une prise en compte de la situation préoccupante de l'enseignement agricole. Cela doit être souligné, au regard, notamment, de la nécessaire limitation des dépenses de l'Etat.
Sans reprendre l'ensemble des chiffres, qui ont déjà été présentés par les orateurs précédents, notamment par M. Vecten, je veux donc simplement rappeler les plus importants. Ainsi, 230 emplois sont créés, dont 70 d'ATOS et 160 d'enseignants. A cela, il faut ajouter 149 emplois créés sur la base de la loi Perben, visant à réduire la précarisation dans l'enseignement agricole. C'est ainsi qu'au total 379 emplois sont créés dans l'enseignement agricole public.
Les crédits de l'enseignement agricole s'élèvent à 7 139,58 millions de francs, soit une augmentation de 3,78 %, ce qui est remarquable, au regard de la progression de 0,9 % des dépenses de l'Etat. Les moyens de fonctionnement de l'enseignement agricole technique public augmentent de 3,7 %, au même titre que les crédits de l'enseignement technique privé.
Ces évolutions marquent indiscutablement la poursuite et même l'accentuation de l'effort entrepris en 1999, et nous ne pouvons que vous en féliciter, monsieur le ministre.
Néanmoins, si le budget de l'enseignement agricole, tel qu'il apparaît, est encourageant, il ne serait pas responsable de la part d'un élu national de passer sous silence la situation actuelle de l'enseignement agricole et de ne pas resituer le budget au regard de celle-ci.
Il ne faut pas se le cacher, la situation de l'enseignement agricole n'est pas satisfaisante. Même si le budget pour 2000 prend incontestablement en compte le manque de personnel enseignant et la précarité des emplois, il est indéniable que ces mesures peuvent apparaître comme relatives à certains. Vous êtes vous-même convenu, monsieur le ministre, que « des problèmes graves étaient posés à l'enseignement agricole ».
Je souhaite évoquer ici deux points.
Le premier concerne le déficit en effectifs dans l'enseignement public agricole. A ce sujet, le rapport Moulias recense les manques qui existent dans ce domaine, les critiques relatives aux créations de postes ayant été émises sur la base de ce rapport. Ce dernier a d'ailleurs été demandé par votre ministère, ce qui montre bien que vous souhaitez résoudre ce problème, et non le dissimuler.
Vous ne pouvez être tenu responsable de cet état de fait. En effet si, entre 1970 et 1998, les effectifs des élèves de l'enseignement agricole ont augmenté de 84 %, ceux des enseignants n'ont progressé que de 27 %.
A cet égard, il est logique que les créations d'emploi, qui pourtant s'accélèrent, puissent apparaître insuffisantes tant le mal est ancien.
Il est bien évident que les conclusions du rapport Moulias demeurent un idéal vers lequel nous devons tendre, mais sans pour autant oblitérer les contraintes budgétaires. Puisqu'un plan pluriannuel de rattrapage ne paraît pas pouvoir être mis en place, en raison de la règle de l'annualité budgétaire, j'aimerais que vous puissiez, monsieur le ministre, nous confirmer ici que ce rattrapage sera poursuivi et même accentué dans les budgets à venir, au même titre que cela a pu être réalisé pour les retraites agricoles.
Le second point est relatif au personnel de l'enseignement agricole privé, qui bénéficie, à obligations et compétences égales, des mêmes rémunérations que celui du public. La question qui se pose est de savoir si ce personnel peut bénéficier, en matière de retraite, du RETREP, le régime temporaire de retraite de l'enseignement privé, lequel s'applique déjà aux personnels privés relevant du ministère de l'éducation nationale. Ce régime permet notamment qu'un enseignant du privé puisse prétendre à une retraite à taux plein, alors qu'il ne pourrait le faire selon les règles du privé.
Vous avez récemment saisi le Conseil d'Etat afin de savoir si la loi Rocard, dans sa rédaction actuelle, permettait au Gouvernement de mettre en place le RETREP pour l'enseignement agricole. Pouvez-vous nous donner les conclusions du Conseil d'Etat et nous informer de vos intentions dans ce domaine ? Pour ma part, il me semble que cette réforme s'avère légitime.
Pour conclure, il ne faut pas perdre de vue que l'agriculture du xxie siècle est déjà et sera au centre de nombreux enjeux : l'environnement, l'aménagement du territoire, la qualité de la commercialisation de ses produits, etc. D'ailleurs, l'article 1er de la loi d'orientation agricole de juillet dernier énonce que la politique agricole doit désormais avoir des objectifs élargis.
Tout cela va inéluctablement conduire à une diversification des compétences demandées aux acteurs du monde rural, et donc des formations agricoles enseignées. C'est ce que certains ont appelé une « nécessaire vision prospective de l'enseignement agricole ».
Lors de nos débats présents, nous regrettons que les pouvoirs publics n'aient pas pu anticiper et accompagner le succès rencontré par l'enseignement agricole, ce qui conduit au délicat rattrapage actuel. Il est indispensable qu'un tel dysfonctionnement ne puisse se poursuivre au regard de l'incontournable diversification de l'enseignement agricole.
La réflexion que nous aurons à mener, si elle demeure quantitative, devra aussi être qualitative. C'est ce défi que nous aurons à relever, et je sais, monsieur le ministre, que nous pouvons compter sur vous pour un tel challenge. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Jarlier.
M. Pierre Jarlier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le financement des contrats territoriaux d'exploitation est l'une des priorités affichées de ce budget de l'agriculture, et le triplement des crédits qui leur sont consacrés confirme bien l'importance de ce nouveau dispositif dans la loi d'orientation agricole du 9 juillet dernier.
Monsieur le ministre, vous avez vous-même qualifié ce dispositif de « clé de voûte » de cette loi. Il constitue, il est vrai, une innovation majeure en faveur d'une agriculture répondant aux nouvelles attentes qualitatives de notre société, d'une agriculture diversifiée valorisant notre environnement, nos paysages et nos terroirs.
Cette nouvelle démarche de responsabilité contractualisée suscite de réels espoirs dans les zones de montagne, que je représente ici, face aux grands défis de la mondialisation et de la nouvelle politique agricole commune.
En effet, réorienter les crédits de l'agriculture vers l'emploi, vers la qualité, vers la traçabilité et le territoire est une chance pour nos départements de montagne, qui souffrent d'un exode rural sans précédent, lié principalement à la déprise agricole.
C'est le cas du Cantal, qui a vu disparaître 40 % de ses exploitations agricoles et 15 % de sa population en vingt ans, alors qu'un actif sur cinq vit encore de l'agriculture aujourd'hui.
Le contrat territorial d'exploitation peut constituer le socle d'un soutien actif aux initiatives collectives ou individuelles en faveur d'un nouveau développement rural. Mais sa mise en oeuvre, à mon sens, doit veiller à la prise en compte de la spécificité des territoires sur lesquels il s'applique.
De même, son financement ne peut être abondé au détriment des dispositifs existants d'aide à l'installation des jeunes agriculteurs.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de préciser rapidement ces deux points.
S'agissant de la spécificité des territoires, on ne peut, dans les exploitations de montagne, dont les modes de production sont, dans la plupart des cas, déjà inscrits dans une tradition agro-environnementale, appliquer les mêmes contraintes d'amélioration environnementale que dans les exploitations en secteur intensif. Dans ces conditions, les pratiques acquises, respectueuses de l'environnement, pourraient être encouragées dans les futurs contrats territoriaux.
De même, si le souci d'une agriculture moins intensive est parfaitement légitime sur certains territoires, l'élevage extensif de montagne, qui contribue aussi à l'aménagement de l'espace, ne peut être accentué au regard de la faible rentabilité de ces exploitations et du risque d'abandon de certaines zones.
C'est pourquoi, une adaptation à l'échelle départementale des critère d'éligibilité aux CTE, en particulier sur le volet environnemental, faciliterait la prise en compte de la capacité des territoires et de la diversité de notre agriculture, sources de richesse pour notre pays.
Par ailleurs, le financement du CTE ne doit pas être abondé au détriment des aides à l'installation. Plusieurs orateurs l'ont rappelé, 145 millions de francs prélevés sur le fonds pour l'installation en agriculture sont désormais affectés aux contrats territoriaux d'exploitation.
Il est vrai que certaines actions du FIA pourront être mises en oeuvre dans le cadre des CTE, comme, par exemple, les mesures liées à la transmission des exploitations agricoles et, désormais, les aides à l'« installation progressive », qui touchent des jeunes jusque-là exclus du dispositif classique.
En revanche, d'autres actions du FIA tout aussi importantes ne pourront plus l'être, qu'il s'agisse du repérage des exploitations sans succession, de la sensibilisation des cédants, de la mise en relation entre cédants sans successeurs et jeunes candidats au métier d'agriculteur ou, enfin, des dispositifs d'aide à des propriétaires non exploitants.
Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que ces actions pourraient être financées en 2000 sur les reliquats de crédits du FIA, mais il faut bien admettre que cette solution provisoire ne pourra pas assurer la pérennité de ce dispositif, pourtant indispensable au soutien de la politique d'installation.
C'est pourquoi, avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, nous proposerons un amendement visant à maintenir la ligne budgétaire du FIA à hauteur de 50 millions de francs, pour assurer le financement de ces actions en amont de la transmission d'exploitations.
Monsieur le ministre, au-delà de ces remarques, le contrat territorial d'exploitation ouvre bien la voie à une nouvelle ambition pour notre agriculture : « l'alliance entre les hommes et leurs territoires avec la mobilisation de tous les acteurs locaux ».
Cependant, pour assurer la réussite de ce dispositif bien accueilli dans nos campagnes, il faut absolument que la démarche soit facilement accessible à nos agriculteurs, par une information et une animation soutenues sur le terrain et, surtout, par un cadrage administratif simple. En effet, vous le savez, nos agriculteurs sont aujourd'hui submergés de formalités administratives qu'ils ne maîtrisent plus tant elles sont nombreuses et complexes.
Pour conclure, je dirai que cette nouvelle conception de l'activité agricole dans les zones de montagne est indissociable d'une reconnaissance des handicaps de l'agriculture de montagne, reconnaissance indispensable à la survie de nos exploitations dans le nouveau contexte européen et, surtout, au maintien de nos populations au pays.
Pour cela, monsieur le ministre, les agriculteurs de montagne, et particulièrement ceux du Massif central, attendent beaucoup de la renégociation du règlement européen de développement rural. Celle-ci pourrait en effet, grâce à une augmentation du taux de cofinancement communautaire, faciliter la mise en place, dans les grands massifs - et notamment dans le Massif central - d'une zone « haute montagne », dans laquelle les contrats territoriaux d'exploitation pourraient trouver toute leur signification. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)