Séance du 25 janvier 2000
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Cornu pour explication de vote.
M. Gérard Cornu. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à la suite de l'échec de la commission mixte paritaire du 18 novembre 1999, la Haute Assemblée vient d'examiner, en nouvelle lecture, le projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.
Le groupe du Rassemblement pour la République a soutenu sans faille la commission des affaires économiques et du Plan, tout particulièrement son excellent rapporteur, notre collègue M. Henri Revol, afin de rétablir le texte issu des premiers travaux du Sénat.
Cette attitude était nécessaire devant un texte issu de l'Assemblée nationale, dogmatique, disons-le, et qui a nié l'équilibre indispensable entre la commission de régulation de l'électricité, le gestionnaire du réseau de transport, Electricité de France et les opérateurs entrant sur le marché.
Cette attitude était nécessaire encore pour dénoncer le comportement de votre majorité plurielle, monsieur le secrétaire d'Etat, qui a balayé, pour des considérations idéologiques et politiciennes liées à ses contradictions internes, les avancées modérées et indispensables proposées en première lecture par le Sénat qui satisfaisaient à la fois les usagers, les collectivités locales, Electricité de France et l'ensemble des entreprises concernées par l'ouverture du marché.
Cette attitude était nécessaire aussi au nom de l'urgence pour la France de respecter ses engagements européens et parce que l'absence de transposition immédiate de la directive pénalise déjà Electricité de France et les autres opérateurs français en difficulté par rapport à leurs concurrents européens.
Cette attitude était nécessaire enfin pour assurer, d'une part, l'indépendance énergétique de la France et permettre, d'autre part, à toutes les entreprises d'être en situation d'affronter la concurrence d'une manière saine, loyale et équilibrée.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les explications que vous venez de nous exposer, loin de nous satisfaire, prouvent aujourd'hui que vous maintenez définitivement les gages politiques donnés à votre majorité plurielle sur ce projet de loi. En fait, nous étions sans illusion après avoir observé comment cela se passait en commission mixte paritaire.
Vous tournez le dos aux intérêts de la France. C'est la raison pour laquelle le groupe du Rassemblement pour la République votera le dispositif proposé par la commission des affaires économiques et du Plan. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger. En première lecture, le groupe socialiste n'avait pu émettre un vote favorable sur le projet de loi issu des délibérations de notre assemblée. Bien que nous ayons alors souligné l'émergence d'une attitude constructive du Sénat, de nombreux points positifs et des clarifications rédactionnelles bienvenues, ce texte contenait, à nos yeux, des propositions inacceptables. Il s'agit essentiellement de l'extension des pouvoirs et du rôle de la commission de régulation de l'électricité, des modalités de soutien à la production décentralisée, du statut du gestionnaire du réseau de transport et des conditions d'exercice du négoce que l'on appelle aussi le trading .
Sur ces points fondamentaux du texte, il y avait et il y a toujours des clivages réels et honorables entre la majorité que nous représentons et l'opposition.
Il n'empêche, la fermeté des convictions ne signifie pas l'absence d'esprit de construction. Indépendamment de commentaires parfois malheureux, le texte de l'Assemblée nationale intègre de nombreux amendements sénatoriaux, en particulier ceux qui ont été déposés sur l'initiative de mon collègue Jean Besson et qui concernent les collectivités locales ; nous y tenons tout particulièrement. Aujourd'hui, en nouvelle lecture, il me semble que cet esprit de construction fait défaut à la majorité sénatoriale.
En effet, le Sénat repousse, par exemple, l'article 17, uniquement modifié par un amendement de M. Micaux, député de l'Union pour la démocratie française, et qui donne aux communes la possibilité de mener en faveur des personnes les plus démunies des actions dans le domaine de l'énergie. Je ne parlerai pas de l'article 25, qui a déjà été commenté par M. le secrétaire d'Etat.
Compte tenu de la nature de ce texte, qui, rappelons-le, n'est que la transcription d'une directive signée sous la présidence de l'actuel président de la République par le gouvernement d'Alain Juppé, nous aurions pu attendre, de la part de la majorité sénatoriale, un plus grand souci de conciliation. Or tel n'est pas le cas.
Que nous est-il proposé ? Tout simplement de rétablir le texte adopté par le Sénat en première lecture, exception faite de l'article 21 introduit sur l'initiative du Gouvernement à l'Assemblée nationale en vue de faciliter la reconstruction des ouvrages électriques endommagés par les tempêtes exceptionnelles de décembre.
En clair, la majorité sénatoriale n'a pas voulu tenir compte des apports de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, ni même de l'esprit d'ouverture des députés qui a conduit ces derniers à adopter conformes 14 des 58 articles transmis par le Sénat et à reprendre nombre de ses propositions.
M. Dominique Braye. Lesquelles ?
M. Jacques Bellanger. Je n'y reviens pas, notre collègue Henri Weber ayant longuement développé ce point lors de la discussion générale. En clair, la majorité sénatoriale n'a pas voulu s'appliquer à elle-même ce qu'elle revendique pour les autres : l'esprit de construction et de conciliation. (Très bien ! sur les travées socialistes. - Protestations sur les travées du RPR.)
M. Gérard Cornu. C'est de l'autosatisfaction !
M. Dominique Braye. Cessez de nous faire la morale !
M. Jacques Bellanger. En clair, ce qu'il nous est proposé d'adopter, c'est en quelque sorte une question préalable qui ne dit pas son nom. Pourquoi ne pas le dire ? Nous ne pouvons que nous y opposer ; nous voterons donc contre ce projet de loi, tel qu'il vient d'être amendé par la majorité sénatoriale.
Pour conclure, je souhaite brièvement indiquer les motifs de satisfaction de notre groupe au regard du texte qui sera finalement adopté aux termes du processus législatif.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ce projet de loi de transposition de la directive Electricité est un bon texte.
C'est un bon texte, car il est un exemple, dans une économie de marché, de régulation moderne au service de l'intérêt général :...
M. Gérard Cornu. A minima !
M. Jacques Bellanger. ... au Parlement et au Gouvernement, la définition de la politique énergétique ; à une autorité indépendante - la CRE - le contrôle de l'accès aux réseaux, transparent et non discriminatoire.
C'est un bon texte, car il soutient la compétitivité de toutes les entreprises.
M. Dominique Braye. C'est nouveau !
M. Jacques Bellanger. Pour celles du secteur électrique, comme pour les autres, il permet une baisse des coûts de l'électricité. Je me félicite par ailleurs que EDF, cette grande entreprise de service public, cette entreprise à la pointe des technologies, n'ait pas été démantelée.
C'est enfin un bon texte, car il permet le maintien d'un service public de qualité en faisant de la péréquation tarifaire un principe législatif. Mieux, il le modernise pour répondre à la diversité des situations et des attentes des usagers ; je pense à la prise en compte des préoccupations d'aménagement du territoire, d'environnement, du rôle des collectivités locales ou encore à la création d'une tranche sociale pour les personnes en difficulté.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le secteur de l'énergie est encore amené à évoluer. Je pense à la directive Gaz, que nous serons sans doute prochainement appelés à examiner. J'espère, comme pour ce projet de loi, que vous nous proposerez un bon texte de transcription. (Bravo ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Dominique Braye. A minima aussi !
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au terme de cette nouvelle lecture, chacun peut le constater, le Sénat s'apprête à adopter un texte en tout point identique à celui qui a été voté voilà quatre mois.
MM. Gérard Cornu et Dominique Braye. Nous sommes logiques avec nous-mêmes !
M. Pierre Lefebvre. Dès lors, nous aussi logiques avec nous-mêmes, nous confirmerons le vote négatif émis alors.
Ainsi, pour la majorité sénatoriale, entre le 7 octobre 1999, date de la première lecture, et ce jour du 25 janvier 2000, il ne s'est rien passé dans le pays !
A l'évidence, les tempêtes, malgré des pointes à plus de 150 kilomètres à l'heure, n'ont pas suffi à ébranler le conservatisme et l'immobilisme.
M. Gérard Cornu. C'est chez vous le conservatisme ! Vous êtes des experts ! (Sourires.)
M. Pierre Lefebvre. Sans revenir ici sur les aspects négatifs apportés par la droite sénatoriale - qu'ils concernent le rôle des pouvoirs publics dans l'élaboration de la politique énergétique, édulcorée ; le rôle de l'instance de régulation, démesuré ; les avantages nombreux concédés aux productions privées ; la tarification sociale, dévoyée ; la structure intégrée d'EDF, affaiblie et éclatée, le trading rétabli dans un cadre concurrentiel élargi, etc. - je tiens à formuler un regret.
Malgré les événements importants que nous avons vécus depuis le 26 décembre 1999, le dévouement remarquable et la mobilisation des agents du service public, ainsi que la solidarité exprimée à leur égard par les Français, qui ont peut-être mieux pris conscience, ces derniers jours, du caractère précieux de l'électricité et de son service public, nos collègues de la majorité sénatoriale n'en ont pas tiré les enseignements. Ils se sont arc-boutés sur un texte tout empreint de libéralisme, bien qu'ils prétendent tout le contraire !
L'Assemblée nationale en reviendra probablement à son texte de première lecture, avec certes quelques infléchissements ici ou là, mais sans avoir pu renforcer les dispositions relatives au service public de l'électricité ou limiter les effets néfastes de la concurrence.
J'émets le voeu que les décrets d'application relatifs à la tarification sociale soient publiés au plus vite, afin que soit mis en oeuvre ce qui sera, sans aucun doute, selon nous, le principal apport de ce projet de loi, à savoir la reconnaissance pour la première fois, d'un droit à l'électricité à chaque citoyen.
Pour l'heure, le groupe communiste républicain et citoyen, comme en première lecture, votera contre le projet remanié par la droite, car il aggrave ce texte contraire, par nature, à notre conception du service public de l'électricité ainsi qu'aux valeurs que nous défendons. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Henri Revol, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. Je formulerai simplement quelques remarques.
S'agissant de la procédure - nombre de mes collègues l'ont souligné, mais permettez-moi d'y revenir - il est quelque peu contradictoire d'avoir choisi l'urgence et mis plus d'un an à adopter ce texte, en dépit d'une foudroyante accélération puisque la commission des affaires économiques n'a disposé que de huit heures pour en préparer la nouvelle lecture !
M. Gérard Cornu. Voilà la vérité !
M. Henri Revol, rapporteur. M. Lefebvre accusait la Haute Assemblée d'avoir une opinion constante. Mais, mon cher collègue, que dire de la constance du parti communiste, depuis 1946, en ce domaine ?
M. Pierre Lefebvre. Dans la défense du service public !
M. Henri Revol, rapporteur. Sur le fond, je déplore que nous tournions le dos à l'Union européenne. Nous sommes en effet, avec le Luxembourg, parmi les mauvais élèves de l'Europe en matière d'électricité.
M. Gérard Cornu. Le dernier de la classe !
M. Henri Revol, rapporteur. Absolument ! C'est un mauvais point alors que nous assurons la présidence du Conseil des ministres de l'Union européenne à partir de l'été prochain, et que la France prétend d'ailleurs, - et elle a raison - être dans ce secteur l'un des tout premiers pays au monde. Je ne suis pas certain que le texte tel qu'il sera adopté malheureusement in fine par l'Assemblée nationale, servira les intérêts de notre grande compagnie nationale, de nos entreprises...
M. Gérard Cornu. Absolument !
M. Henri Revol, rapporteur. ... et de tous les consommateurs français. En réalité, qu'il s'agisse du calendrier ou de la position de fond que s'apprête à prendre l'Assemblée nationale, je crains que les dispositions adoptées ne consacrent une défaite pour l'Europe ! (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains Indépendants.)
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Après avoir écouté attentivement les explications de vote des uns et des autres, je veux brièvement reprendre quelques mots clefs cueillis au fil des différentes interventions.
M. Cornu a parlé de dogmatisme. Je lui opposerai le caractère très pragmatique de ce projet de loi, qui est important. En effet, tout en conservant les grands principes auxquels nous sommes je crois unanimement attachés - ceux de la loi de 1946 - il ouvre des perspectives d'évolution de manière pragmatique, en établissant, conformément à la lettre et à l'esprit de la directive européenne, une concurrence maîtrisée, ouverte à d'autres entreprises de production mais non pénalisante pour EDF.
Monsieur Bellanger, en qualifiant de « clivages réels et honorables » les positions émises par les uns et les autres, vous avez bien caractérisé la situation.
Il a, en effet, fallu surmonter ces clivages, vous l'avez brillamment dit, monsieur le sénateur, avec un souci de construction et de conciliation, afin de faire progresser ce texte, un grand texte, le premier sur ce thème depuis la loi de 1946.
Ce projet ouvre les perspectives de développement que nous souhaitons, non seulement, pour le service public, que le groupe socialiste s'est attaché, tout au long de ce débat, à renforcer, à moderniser, et pour l'ensemble des entreprises de ce secteur, en particulier, permettez-moi de le dire, la plus belle d'entre elles, EDF.
Par ailleurs, le rôle dévolu aux collectivités locales doit beaucoup, monsieur Besson, à l'intervention du groupe socialiste, et vous pouvez, mesdames, messieurs du groupe socialiste, avoir la satisfaction du travail bien accompli, en cohérence avec le souhait du Gouvernement. Je tiens à souligner les ajouts majeurs pour l'évolution du texte qui émanent de vos rangs.
Les mots qui caractérisent l'intervention de M. Lefebvre - continuité et franchise -, je les ai cueillis également dans ses propos. C'est en effet avec continuité et franchise, monsieur le sénateur, que vous avez défendu vos convictions, au nom du groupe communiste républicain et citoyen ; c'est toujours avec continuité et franchise que vous avez résolument défendu avec détermination, comme vos collègues du groupe socialiste, le service public, soit, pour l'exprimer de manière pragmatique et concrète, le droit à l'électricité pour tous.
L'essentiel, mesdames, messieurs les sénateurs, est aujourd'hui d'aller vite (Exclamations sur les travées du RPR) , comme je l'ai toujours souhaité, pour achever une transposition qui sera à la fois sereine et efficace ; aller vite ensuite dans la promulgation de la loi, qui doit être signée par M. le président de la République dans les quinze jours s'il ne souhaite pas profiter de la faculté qui lui est ouverte par l'article 10 de la Constitution ; aller vite pour que, tout de suite après la lecture définitive, les décrets d'application soient rédigés avec célérité et précision comme notre administration sait excellemment le faire ; aller vite en effet, monsieur Lefebvre, pour que la tarification sociale entre dans les faits le plus rapidement possible ;...
M. Dominique Braye. Mieux vaut tard que jamais !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. ... aller vite pour nommer les membres de la Commission de régulation de l'électricité ; aller vite pour réunir cette commission ; aller vite enfin pour moderniser et développer le service public de l'électricité.
A la fin de mon propos, je veux remercier M. le président Gaudin, qui a présidé, comme toujours, avec intelligence, compréhension et souvent bienveillance à l'égard soit des sénateurs, soit du Gouvernement, des débats qui ont fait émerger des oppositions intéressantes parce que cordialement exprimées.
Je veux remercier également M. le président de la commission des affaires économiques, ainsi que M. Revol, son rapporteur, qui a mené son combat et que mes sollicitations n'ont pas amené à accepter de temps en temps des retraits, qui auraient pourtant été opportuns juridiquement.
Je tiens à remercier également les membres de la Haute Assemblée qui, lors de cette nouvelle lecture, ont pris part avec beaucoup de science juridique et d'à-propos politique à la discussion : MM. Lefebvre et Bret, pour le groupe communiste républicain et citoyen ; MM. Weber, Bellanger et Besson, pour le groupe socialiste ; M. Bohl, toujours attaché à la défense des distributeurs non nationalisés, et M. Hérisson, pour le groupe de l'Union centriste, M. Valade, sans qui, il faut bien en convenir, cette loi ne serait pas ce qu'elle est, M. Cornu pour le groupe du RPR, enfin, M. Poniatowski pour le groupe des Républicains et Indépendants.
Que le personnel du Sénat soit également remercié.
Enfin, vous me permettrez, mesdames, messieurs les sénateurs, d'adresser mes remerciements aux représentants de la DIGEC, la direction du gaz, de l'électricité et du charbon, qui, m'accompagnent et qui ont, autour de leur directeur, travaillé - et bien travaillé - depuis deux ans pour que nous parvenions à un texte de bonne qualité juridique. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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