Séance du 24 février 2000







COMMISSION DE CONTRÔLE NATIONALE DES FONDS PUBLICS ACCORDÉS AUX ENTREPRISES

Rejet d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi n° 163 (1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la constitution d'une commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises. [Rapport n° 214 (1999-2000).]
Je précise que le rapport de la commission des finances porte également sur la proposition de loi n° 140 (1999-2000) de M. Guy Fischer et plusieurs de ses collègues, qui a le même objet.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, justice et efficacité sont les maîtres mots du texte qui vous est présenté.
Dans l'emploi des fonds publics, dans la lutte contre le chômage et, de manière plus générale, en économie, justice et efficacité ne doivent pas être opposées l'une à l'autre. Au contraire, réconcilier ces deux notions, voilà ce qui peut favoriser une modernisation de l'Etat dans ses modalités d'intervention ! Voilà ce qui peut permettre à notre économie, et surtout à notre société, de s'inscrire dans une dynamique de progrès !
Telle est précisément l'ambition de la proposition de loi de M. Robert Hue et du groupe communiste de l'Assemblée nationale, sur laquelle le gouvernement de Lionel Jospin, en la personne de M. Christian Sautter, s'est déjà prononcé favorablement en première lecture à l'Assemblée nationale.
Christian Sautter avait à cette occasion souligné que, pour atteindre le double objectif d'efficacité et de justice des dépenses en faveur des entreprises, l'instrument proposé dans la proposition de loi était la transparence, qui est l'une des premières vertus de la démocratie.
J'ai appris du Sénat que M. Guy Fischer et ses collègues du groupe communiste républicain et citoyen avaient déposé de leur côté une proposition de loi de même teneur ; je salue bien sûr cette initiative.
S'agissant de la proposition de M. Robert Hue, je voudrais, au nom du Gouvernement, insister sur la pertinence d'un contrôle des fonds publics, pour préciser ensuite en quoi les modalités de ce contrôle retenues dans la proposition de loi nous paraissent très judicieuses.
Interrogeons-nous tout d'abord sur l'opportunité d'une commission de contrôle.
La proposition de loi n'est pas seulement une réaction à des événements récents qui ont choqué nos concitoyens, elle résulte aussi d'une démarche de longue haleine.
Très légitimement, la démarche qui nous est présentée aujourd'hui a été conçue par M. Robert Hue, en septembre dernier, puis après la manifestation du 16 octobre 1999, comme une réponse à ce que certains commentateurs ont appelé « l'affaire Michelin ».
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Mais la proposition de loi repose aussi sur des travaux parlementaires, qui ont poussé l'analyse avec une grande rigueur et un sens aigu du concret. Je pense notamment aux rapports de MM. les députés Daniel Paul et Alain Fabre-Pujol de juin 1999 sur « les pratiques des grands groupes et leurs conséquences sur l'emploi et l'aménagement du territoire ».
Cette proposition de loi vise à rendre à la fois plus efficace et plus équitable la dépense publique. Efficacité et justice, disais-je, loin d'être contradictoires, sont, bien au contraire, convergentes.
Le Gouvernement, en effet, est animé d'une double conviction.
Tout d'abord, il estime que les aides à l'emploi peuvent être utiles ; elles ont leur part dans ce que les économistes appellent « l'enrichissement de la croissance en emplois », ce qui explique d'ailleurs en partie les excellents résultats que nous enregistrons depuis plus de deux ans et demi dans la lutte contre le chômage.
Ensuite, il est convaincu que l'amélioration de l'efficacité de la dépense publique doit plus que jamais constituer le critère central de notre politique budgétaire.
Dès lors, il paraît nécessaire de trouver des réponses adaptées aux abus - parce qu'il y a abus, ne nous le cachons pas - liés à l'octroi de fonds publics aux entreprises.
En effet, même si les aides sont octroyées par les services gestionnaires sur des critères précis, ce qui est le cas, même si cet octroi est surveillé par les services des différents ministères et par les corps d'inspection compétents, les abus en la matière sont particulièrement choquants pour l'ensemble des contribuables et des citoyens, mais surtout pour les salariés lorsque c'est un engagement sur l'emploi qui n'est pas respecté.
Il ne s'agit évidemment pas de diaboliser les systèmes d'aides, qui ont leur logique économique et sociale ; même les plus libéraux en conviennent, au moins quand ils sont confrontés localement aux difficultés d'une entreprise. Mais il s'agit de traquer les dévoiements : tel chef d'entreprise qui s'engage à un maintien de l'emploi qu'il sait impossible, tel autre qui contracte avec une collectivité sans pouvoir respecter ses obligations, tel autre enfin qui se trouve comme « abonné » à certaines aides dont il pourrait se passer.
Pour remédier à ces abus, il fallait éviter deux écueils opposés : celui de la bureaucratie et celui de l'alibi. Contrairement à ce que certains ont affirmé un peu vite, ces écueils ont été évités par les auteurs de la proposition de loi.
S'agissant de l'écueil de la bureaucratie, la commission nationale n'est pas instituée dans l'optique d'une investigation systématique et ne fait pas peser une suspicion généralisée sur l'ensemble de nos aides aux entreprises, avec à la clef le risque paradoxal d'un procès en légitimité de l'action de l'Etat.
L'écueil de la commission-alibi, dénuée de tout pouvoir, est également évité. La proposition de loi dote la commission de moyens d'information puissants et de relais régionaux efficaces.
Le principe même d'une instance nationale d'évaluation répond donc à une lacune de notre dispositif actuel. Il n'existe pas, en effet, à ce jour, d'instance nationale d'évaluation des dispositifs d'aides aux entreprises.
Il manque aujourd'hui une instance nationale susceptible de connaître l'ensemble des pratiques abusives, de mener des évaluations des systèmes d'aides et de formuler des observations qu'elles soient d'ailleurs positives ou négatives.
La proposition de loi met fin à ce vide, en instituant une commission nationale, qui se déclinera en commissions régionales. Cette commission nationale examinera la pertinence de dispositifs existants ou projetés au regard des objectifs des aides, essentiellement l'emploi. Elle pourra proposer les réformes et modifications qui s'avéreront nécessaires.
Je souhaite maintenant préciser la position du Gouvernement à l'égard de la proposition de loi sur trois points : la composition et la saisine de la commission, ses pouvoirs et le rôle des acteurs du terrain.
Tout d'abord, la composition large de la commission, la facilité de sa saisine et son champ d'intervention enrichiront la vision des pouvoirs publics sur la mise en oeuvre des aides.
En cas de non-respect par une entreprise des engagements qu'elle a pris pour bénéficier d'une aide, les divers acteurs adoptent souvent les attitudes suivantes : les élus dénoncent le non-respect de la règle, l'entreprise en cause argue qu'en cas de retrait de l'aide elle risque de devoir licencier - combien de fois n'avons-nous entendu cette menace ! - ses concurrents soulignent la distorsion de concurrence occasionnée, tandis que les représentants des salariés peuvent souhaiter le strict respect de la règle comme ils peuvent être sensibles aux arguments de leur direction.
Face à cette diversité des points de vue, les auteurs de la proposition de loi ont retenu une composition très large de la commission, ainsi que des possibilités de saisine très ouvertes. Le Gouvernement ne peut que se rallier à cette position, qui paraît tout à fait pragmatique et qui tient compte des réalités locales.
Quant aux pouvoirs de la commission, ils sont à la fois étendus et respectueux du rôle des partenaires sociaux et des administrations gestionnaires des aides. Ils s'articulent autour de trois idées : d'abord, une information précise, grâce aux rapports qui seront transmis chaque année par les préfets de région ; ensuite, une évaluation rigoureuse, qui sera confortée par la capacité de saisir les organismes gestionnaires d'aides et par le rôle central dévolu au Commissariat général du Plan ; enfin des pouvoirs de sanction effectifs, avec la possibilité pour le gestionnaire d'aides de suspendre ou de supprimer les aides, voire d'en obtenir - cela est très important - le remboursement.
Par ailleurs, la proposition de loi de M. Robert Hue et du groupe communiste de l'Assemblée nationale confère tout leur rôle aux acteurs du terrain, en prévoyant la possibilité pour le comité d'entreprise de saisir le gestionnaire de l'aide pour lui signaler le non-respect par l'entreprise de ses engagements.
Il y a là un progrès évident dans la procédure comme au regard de la vie économique locale et de la vie de l'entreprise.
C'est ici la généralisation d'une disposition prévoyant ce recours en ce qui concerne l'aide structurelle aux 35 heures, prévue dans la seconde loi sur les 35 heures dite « loi Aubry ».
Cette saisine des services compétents par les acteurs eux-mêmes démultiplie les moyens de contrôle des abus caractérisés sur l'ensemble du territoire national. Elle permettra d'apporter une réponse directe et rapide aux situations qui auront été reconnues comme abusives.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les commentaires que m'inspire la proposition de loi de M. Robert Hue et du groupe communiste de l'Assemblée nationale sont donc simples et clairs : le Gouvernement la soutient parce qu'il est comptable de la justice et de l'efficacité en matière d'emploi des fonds publics. Il y voit en outre un puissant adjuvant dans la lutte pour l'emploi et pour un développement équilibré de notre économie.
Sur cette conviction, très solidement ancrée, d'une convergence entre justice et efficacité se fonde la politique économique et sociale du gouvernement de M. Lionel Jospin.
Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à voter la présente proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Joseph Ostermann, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat est saisi, de manière conjointe, de deux propositions de loi identiques, déposées respectivement par le groupe communiste de l'Assemblée et par celui du Sénat, qui tendent à constituer une commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises.
L'Assemblée nationale a adopté, le 18 janvier dernier, le texte de M. Robert Hue et de ses collègues. Seul ce dernier texte est inscrit à notre ordre du jour.
Il s'agit avant tout d'un texte de nature conjoncturelle. A la suite d'importants licenciements et de délocalisations de production décidés par de grands groupes industriels, elle tend à créer une commission chargée de contrôler les fonds publics accordés aux entreprises, afin de contrôler l'utilisation des aides publiques qui leur sont octroyées.
Je ne vous cacherai pas, mes chers collègues, que la création d'une telle commission ne peut que susciter mon scepticisme quant à son utilité, ma perplexité ironique quant aux circonstances qui ont présidé à sa création et mon étonnement quant à l'origine parlementaire d'une initiative qui dessaisit le Parlement de ses prérogatives.
En premier lieu, la création d'une commission nationale des aides publiques aux entreprises ne me paraît guère utile.
D'abord, les arguments des auteurs et du rapporteur du texte à l'Assemblée nationale ne me semblent pas convaincants. Il s'est agi pour eux de légiférer dans la précipitation, après l'émotion suscitée dans l'opinion publique par le comportement de plusieurs entreprises peu attentives à la situation de l'emploi en France mais confrontées à la mondialisation de la production industrielle.
Il convient toutefois de rappeler que ces cas ont été fortement médiatisés. Cela ne doit pas, selon moi, conduire le législateur à recourir à des arguments de nature émotionnelle, peu conformes à l'exigence de réflexion et de sérénité qu'implique l'élaboration d'une bonne loi.
Ensuite, cette proposition de loi est étayée par une conception de l'économie qui appartient au passé : elle reflète une nostalgie certaine de l'économie administrée, qui est en complète contradiction avec les caractéristiques d'une économie de marché moderne, libre et efficiente.
Pour ma part, je considère que la multiplication des contrôles, voire des tracasseries administratives - et nous en connaissons en France ! - ne saurait constituer un moyen efficace pour lutter contre le chômage ; elle risquerait plutôt de contrarier l'allocation optimale des ressources et, de ce fait, pourrait constituer un frein à la croissance et à l'emploi.
Il est vrai que le Gouvernement a parfois succombé à la tentation de décréter le niveau de l'emploi, comme il en a fait la démonstration avec les emplois-jeunes !
Mais le principal reproche qui peut être adressé à ce texte n'est pas là : son adoption risquerait d'entraîner un affaiblissement des prérogatives du Parlement en matière de contrôle.
En réalité, je ne puis dissimuler mon étonnement et même mon incompréhension face à la volonté de parlementaires d'amoindrir leurs propres prérogatives. Le contrôle des aides publiques aux entreprises relève en effet, au premier chef, des compétences du Parlement.
Je n'entends pas faire un cours de droit constitutionnel ou parlementaire. Je rappellerai simplement que l'article 164-IV de l'ordonnance du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959 définit les prérogatives des rapporteurs spéciaux de la commission des finances des assemblées parlementaires.
Par ailleurs, ces dernières peuvent constituer des commissions d'enquête dont le rapporteur est également investi de prérogatives particulièrement étendues. Et le Parlement, le Sénat notamment, ne manque pas de faire usage de ses pouvoirs de contrôle de l'action du Gouvernement.
Dès lors, je ne perçois pas bien la nécessité de créer une commission administrative dont les prérogatives empiéteraient sur celles que détiennent des assemblées parlementaires démocratiquement élues.
Je voudrais souligner la position paradoxale de l'Assemblée nationale à cet égard. Celle-ci, en effet, ainsi que son président, M. Laurent Fabius, ont affirmé leur volonté de renforcer le contrôle parlementaire de la bonne utilisation des deniers publics. C'est dans cette perspective que l'Assemblée nationale a créé, au sein de sa commission des finances, une mission d'évaluation et de contrôle, qui a précisément travaillé sur les aides à l'emploi, sans jamais préconiser, toutefois, la création d'une commission nationale de contrôle des aides publiques aux entreprises.
Ainsi l'Assemblée nationale a-t-elle contribué à mettre en exergue le manque de pertinence de certaines aides publiques accordées aux entreprises, phénomène aujourd'hui bien connu. On ne voit pas bien ce qu'une commission de plus apporterait à ce débat.
Pourquoi l'Assemblée nationale a-t-elle donc décidé de créer une telle commission de contrôle alors que le Parlement dispose déjà des pouvoirs nécessaires pour remplir la mission qui serait dévolue par la présente proposition de loi à ladite commission ? Et pourquoi souhaite-t-elle affaiblir ses prérogatives en matière de contrôle budgétaire, alors que, en créant la mission d'évaluation et de contrôle, il y a un an, elle avait au contraire cherché à les renforcer ?
En fait - mais vous l'avez déjà bien compris, mes chers collègues -, la réponse à ces questions est d'ordre politique. Il s'agit pour le Gouvernement et l'Assemblée nationale moins d'assurer le contrôle des fonds publics que de renforcer la cohésion de la majorité plurielle !
Je rappellerai quelques événements qui plaident en ce sens.
D'abord, l'Assemblée nationale a rejeté la proposition de M. Dominique Paillé tendant à créer une commission d'enquête portant sur les suites données aux rapports publics de la Cour des comptes, estimant que « vouloir contrôler le contrôle » était superflu. Il me semble pourtant que la présente proposition de loi vise le même objectif, à cette différence près qu'elle prévoit la création d'un nouvel organisme de contrôle alors que M. Dominique Paillé proposait simplement d'utiliser un moyen traditionnel d'exercice par le Parlement de ses pouvoirs de contrôle, c'est-à-dire la constitution d'une commission d'enquête.
Je tiens également à rappeler les propos de M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale. En commission, il s'est déclaré « hostile en principe à cette proposition », ajoutant que « les rapporteurs spéciaux sont dotés des pouvoirs nécessaires » et que « la multiplication des organismes de contrôle se traduit par un affaiblisseemnt du régime parlementaire ». Son analyse rejoint donc parfaitement la mienne !
Il s'est pourtant déclaré « conjoncturellement favorable » à cette proposition de loi.
En fait, la conjoncture dont il est question est moins économique que politique. Il s'agit de donner un gage à une composante de la majorité plurielle, le groupe communiste en l'occurrence.
Il convient en effet de rappeler que M. André Lajoinie a déposé une proposition de loi tendant à renforcer le régime juridique des licenciements pour motif économique. Or le Gouvernement n'était pas favorable à ce texte, et l'Assemblée nationale, lors de son examen, a décidé de ne pas présenter de conclusions. Rappelons toutefois que le refus de discuter les articles résulte du vote des seuls députés socialistes, les autres composantes de la majorité plurielle ayant été favorables à une telle discussion.
Après ces tensions apparues au sein de la majorité plurielle, il fallait au Gouvernement resserrer la cohésion de celle-ci en donnant un gage au groupe communiste. Ce gage, c'est l'inscription à l'ordre du jour du Parlement de la présente proposition de loi.
Quant au dispositif proposé, il suscite de ma part un grand nombre de critiques, non seulement quant au fond - je viens de les exposer - mais également quant à sa portée concrète, en raison de son caractère insuffisamment pratique, irréaliste et parfois inapplicable.
Permettez-moi de donner quelques exemples.
L'article 1er ne définit pas les aides publiques que la commission nationale est chargée de contrôler. En outre, il ne précise pas les conditions d'exercice des pouvoirs de la commission.
Il convient de rappeler que cet article a fait l'objet d'une nouvelle rédaction, largement inspirée par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Désormais, la commission nationale pourra se voir opposer par un service gestionnaire d'aides le secret des affaires, en particulier pour des informations de caractère industriel ou fiscal, c'est-à-dire des informations en réalité essentielles à la compréhension de l'attribution et de l'utilisation des aides publiques accordées.
L'article 3 prévoit les modalités de saisine de la commission nationale et des commissions régionales. Ces commissions pourront être saisies par un nombre considérable de personnes, à commencer par les 36 000 maires de France, ce qui induit un risque réel de paralysie de leur fonctionnement.
L'article 4 permet à un comité d'entreprise ou à un délégué du personnel de saisir le service gestionnaire des aides s'il estime que l'employeur ne respecte pas les engagements qu'il a précédemment souscrits pour bénéficier des aides publiques. Le service saisi peut décider de suspendre ou de supprimer l'aide octroyée, voire d'en exiger le remboursement. Or lesdits services bénéficient déjà de la faculté de suspendre une aide ou d'en demander le remboursement ; mais les cas sont extrêmement rares en raison de la lourdeur et de la complexité de la procédure, ainsi que des difficultés qu'elle ne manque pas d'entraîner.
Je m'interroge toutefois sur les conséquences sur l'emploi d'une suspension ou d'une suppression des aides accordées aux entreprises dans le cadre du passage aux 35 heures, après intervention en ce sens d'un comité d'entreprise ou d'un délégué du personnel.
Enfin, l'article 4 ter, ajouté par l'Assemblée nationale, confie le secrétariat de la commission nationale au Commissariat général du Plan. Cette disposition prouve que la commission nationale ne disposera pas de moyens propres pour mener à bien ses missions et qu'elle dépendra directement du Premier ministre.
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission a estimé qu'il n'y avait pas lieu de délibérer sur la présente proposition de loi et a déposé une motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons a été déposée à l'Assemblée nationale par Robert Hue et nos collègues du groupe communiste et apparentés - nous en avons nous-mêmes repris l'essence dans une proposition de loi déposée le 16 décembre dernier sur le bureau de notre assemblée. Elle nous invite à la constitution d'une commission nationale et décentralisée de contrôle des aides publiques aux entreprises.
M. le secrétaire d'Etat, et je l'en remercie, a très précisément et très justement dégagé nos objectifs et présenté nos propositions : il s'agit de répondre à une demande déjà ancienne et exprimée au cours de nombreux débats par voie d'amendements. Il nous semble cependant utile d'y porter un regard nouveau, afin de définir avec le plus de précision possible - n'est-ce pas l'un des griefs portés à l'encontre de la proposition de loi elle-même par la majorité sénatoriale ? - le cadre dans lequel le débat se situe.
Je commencerai par rappeler qu'au début du mois de septembre les événements ont voulu que, avec mon amie et collègue Hélène Luc, nous nous trouvions à Clermont-Ferrand au moment où la direction de Michelin annonçait la suppression de 7 500 emplois sur trois ans alors que l'entreprise affichait un résultat net en progression de 17 % et que le cours de l'action avait connu une hausse de 11 %. Or, à partir des indications fournies par la presse économique et par vos services, monsieur le secrétaire d'Etat, nous avions établi que, depuis 1983, Michelin avait bénéficié de plus de 10 milliards de francs d'aides publiques,...
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Guy Fischer. ... ce qui n'avait pas empêché la suppression de plusieurs milliers d'emplois !
La création d'une commission de contrôle vise précisément et avant tout à concourir à l'objectif national de maintien et de création d'emplois, à favoriser l'essor des qualifications, à lutter contre l'explosion de la précarité, à permettre le développement d'investissements utiles à la création de richesse.
Toutes ces orientations sont précisément définies dans l'exposé des motifs de la proposition de loi.
Nous nous fixons trois objectifs essentiels.
Tout d'abord, nous voulons assurer la lisibilité et la transparence des aides publiques accordées aux entreprises, au moment où l'on constate que ni les salariés d'une entreprise, ni les élus, qu'ils soient locaux ou même nationaux, ne sont en mesure de connaître la réalité des sommes en jeu et les flux financiers qu'elles provoquent.
On sait pourtant fort bien qu'en 1998 l'Etat a consacré 170 milliards de francs aux entreprises, et, si l'on prend en compte les aides économiques versées par les collectivités territoriales, on doit presque doubler cette somme ! Il s'agit donc d'un enjeu financier important, et il nous semble absolument nécessaire de rassembler des informations fiables, à l'échelle locale et à l'échelle nationale, afin de connaître la réalité des concours financiers.
Le deuxième objectif est d'assurer le suivi détaillé et concret de l'utilisation des aides dans l'entreprise et de mesurer leur impact sur l'emploi tant à l'intérieur de l'entreprise qu'à l'extérieur, la connaissance de l'impact externe pouvant être utile, aux élus par exemple, pour connaître la situation du bassin d'emploi au coeur duquel l'entreprise est placée.
Pour connaître l'usage des aides publiques et vérifier que les engagements sont respectés, la commission nationale et les commissions régionales de contrôle pourront s'appuyer sur les travaux des instances de suivi paritaires.
Les sommes en jeu sont importantes. On parle, je l'ai dit, de 170 milliards de francs venant de l'Etat, si l'on s'en tient aux seules dépenses d'intervention ; il faut y ajouter une partie de la dépense fiscale connue et retracée dans le document d'évaluation des voies et moyens, sans oublier les sommes engagées par les collectivités locales.
Le bien-fondé de la proposition de loi est donc indéniable, d'autant que le troisième objectif développé dans l'exposé des motifs est de confier à la commission de contrôle nationale et décentralisée une sorte de droit d'alerte, afin de contrôler la réalité de l'impact de la dépense publique consacrée aux entreprises à partir de l'analyse concrète de son efficacité sur le terrain, rôle qu'elle pourra tenir notamment du fait des conditions de sa saisine.
Rendre possibles la modification, la suppression, la suspension, voire le remboursement des aides publiques en fonction des résultats en termes d'emploi et de formation, comme c'est l'objet de la proposition de loi examinée à l'Assemblée nationale, pourrait servir de base à une réforme globale des aides à l'emploi : on passerait d'une logique de subsides à une logique d'incitation, et, puisque la régionalisation est une réalité, on pourrait peut-être envisager la création de fonds régionaux pour l'emploi, la formation et le développement.
L'analyse de la répartition des fonds montre que les 170 milliards de francs d'aides publiques versés en 1998 ont été dispensés, pour l'essentiel, à dix grands groupes. La majeure partie des PME-PMI ont été exclues. Il convient donc, pour revitaliser le tissu économique, de réorienter les aides afin qu'elles soient appropriées à la réalité du terrain et innervent les PME-PMI.
Sans pour autant empiéter sur les droits naturels de la représentation parlementaire, à laquelle il appartient de décider de l'allocation de la ressource publique, la commission de contrôle pourrait utilement participer à la réflexion que nous devons mener sur le sens de la dépense publique et sur le renforcement de son efficacité.
L'enjeu est d'importance.
Si l'on examine, d'une part, la situation des comptes publics, d'autre part, celle des entreprises et, enfin, la situation sociale à un moment où la croissance ne permet pas encore de réduire durablement le chômage et s'accompagne de la persistance de la précarité, on ne peut que demander plus de transparence.
En outre, monsieur le secrétaire d'Etat, la transparence permettrait davantage de justice et d'efficacité, comme vous le souhaitez.
Combien d'emplois ont été créés, monsieur le rapporteur, grâce aux 45 milliards de francs de la ristourne dégressive, à la baisse de l'impôt sur les sociétés, à la réduction de la taxe professionnelle, elle-même évaluée à près de 35 milliards de francs en deux ans ?
Si l'on récapitule les aides publiques aux entreprises, force est d'ailleurs de constater que leur champ a connu récemment une importante extension !
Nous sommes en effet loin du temps où ces aides publiques se limitaient à quelques mesures ponctuelles et strictement définies de défiscalisation : décote de la TVA ou exonération de taxes assises sur les salaires, comme cela peut encore se faire dans le secteur artisanal.
Les données actuelles du problème sont tout autres.
Toutes choses égales par ailleurs, on pourrait se livrer à un exercice de pure spéculation intellectuelle sur la comparaison entre le déficit budgétaire de l'Etat en 1984 et 1985 et ce qu'il est aujourd'hui, tous comptes faits et après constat des plus-values observées à la fin de 1999.
Ainsi, pour 1999, si notre déficit public s'élève à 206 milliards de francs, on peut aussi souligner qu'il est obtenu avec un taux de l'impôt sur les sociétés réduit de 50 % à 33,33 % depuis 1985, ce qui représente une moins-value pour le moins assez considérable, qui se chiffre en dizaines de milliards de francs et qui, cumulée au processus observé depuis une décennie et demie, aurait pu constituer un puissant levier de soutien public au développement des entreprises.
Dans le même temps, nous avons connu une modification très sensible en valeur absolue et relative en périmètre du champ des dépenses d'intervention économique incluses dans le titre IV.
J'ai dit que l'on parlait à ce titre de 170 milliards de francs.
Quand on ajoute à ces sommes le coût de la défiscalisation d'une part croissante de la taxe professionnelle et les divers aménagements qui concernent aujourd'hui l'impôt sur les sociétés, on aboutit à des totaux pour le moins spectaculaires.
Ainsi, la taxe professionnelle est corrigée de près de 40 milliards de francs bruts au titre du plafonnement de la valeur ajoutée, tandis que l'allégement transitoire des 16 % peut être estimé à plus de 30 milliards de francs.
Il s'agit là, certes, de chiffres bruts, mais ils montrent bien l'importance du problème.
On ne doit, en effet, jamais oublier que certaines interactions systématiques entraînent, à choix de gestion inchangés, des majorations d'impôt sur les sociétés à proportion des réductions de la taxe professionnelle.
Peut-être, au-delà de la croissance, peut-on d'ailleurs penser que la suppression de la base imposable des salaires est l'un des éléments de progression du rendement de l'impôt sur les sociétés observé en 1999.
Toutes ces sommes et les faits que je viens de rappeler nous conduisent, en fait, à constater une opération pour le moins complexe : s'acquittant auprès de l'Etat de l'impôt sur les sociétés, les entreprises de notre pays bénéficient de sommes au moins équivalentes au titre des dépenses d'intervention, de certains allégements de la fiscalité directe locale ou de modifications du cadre d'application de l'impôt sur les sociétés. Vous m'excuserez d'avoir fait ce détour technique pour justifier la création de cette commission de contrôle.
Je pense que, en fin de compte, nous en arrivons ainsi à un jeu à somme nulle, voire favorable en dernier lieu aux entreprises plus qu'aux comptes publics. C'est ce qui a justifié notre initiative et nous a conduits à nous interroger sur la définition précise de ce qu'est une économie de marché « moderne, libre et efficiente ».
Est-ce une économie dans laquelle l'argent public est généreusement distribué, sans contreparties clairement définies, essentiellement au bénéfice de quelques-uns, en l'occurrence les entreprises ? On est, il est vrai, toujours plus libéral avec l'argent des autres qu'avec le sien !
Alors, mes chers collègues, l'Etat devrait-il utiliser tant de moyens financiers pour soutenir les entreprises et l'activité économique sans que cela puisse être examiné, étudié, contrôlé, évalué ?
M. Joseph Ostermann, rapporteur. Ce n'est pas le problème !
M. Guy Fischer. Si !
Chers collègues, je connais votre attachement à l'allocation rigoureuse des dépenses publiques, comme votre sourcilleuse attention quant au respect des règles d'application budgétaire.
Ainsi, nous connaissons votre acharnement pour exiger, en vertu des prérogatives parlementaires, le plus d'éclaircissements possibles sur la dépense publique destinée à la solidarité nationale, sur le RMI, par exemple, ou encore les aides au logement, le fonctionnement de l'administration pénitentiaire, etc.
Nous n'avons pas oublié que des propositions de création de commission d'enquête ont été adoptées pour analyser les dépenses de personnels de l'éducation nationale ou celles du ministère de l'économie.
Or, tout à coup, s'agissant des fonds publics destinés aux entreprises, il n'y aurait pas lieu de faire de même ?
Mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, votre sourcilleuse attention connaîtrait donc des instants de relâchement ?
Il y aurait donc une zone taboue, un sanctuaire inapprochable, réservé aux seuls initiés dans votre quête de transparence budgétaire. Ce serait le champ des aides publiques aux entreprises.
Ainsi, on interrogerait madame la ministre de l'emploi et de la solidarité sur la fraude éventuelle portant sur l'allocation de parent isolé qui ne représente que 4,5 milliards de francs et on serait un peu moins regardant sur la ristourne dégressive sur les bas salaires qui en représente plus de 45 ?
Votre logique m'échappe et votre rapport ne me convainc pas.
M. Joseph Ostermann, rapporteur. C'est dommage !
M. Guy Fischer. Ou doit-on, en fait, conclure, que, à défaut d'être logique, votre position est en réalité idéologique ?
Cela tient sans doute à l'identité des auteurs de la proposition de loi et, à vos yeux, cela suffit certainement pour escamoter un débat au fond que vous ne souhaitez pas, comme le montre d'ailleurs votre choix de déposer une motion tendant à opposer la question préalable.
Mais cela tient plus profondément au fait que ce débat de fond a, selon vous, un défaut essentiel : il risque, en effet, de balayer nombre des arguments réglementaires, techniques ou budgétaires que vous avez pris l'habitude d'invoquer depuis 1997, et encore aujourd'hui, avec le débat sur l'exécution 1999, au profit de la confrontation avec les faits et aux réalités.
Posons la question : a-t-on réellement quelque chose à cacher en matière de fonds publics accordés aux entreprises ?
Si oui, alors la commission de contrôle que nous invite à créer la présente proposition de loi est bienvenue.
Si tel n'est pas le cas, pourquoi tant d'objections ? Pourquoi l'objection constitutionnelle, selon laquelle nous nous substituerions ainsi aux prérogatives du Parlement ? Il y a là un vide à combler.
Il s'agit aujourd'hui, devant tant d'objections, tant d'affirmations péremptoires et définitives, voire d'ironie ou de sarcasme, de voir quelle est la réalité.
Pour conclure provisoirement dans ce débat, nous pensons, pour notre part, que cette proposition de loi est salutaire et nécessaire et qu'elle a une autre portée que celle qui est née d'événements ponctuels, qu'il s'agisse de Michelin, Daewoo, JVC ou Panasonic, et nous pourrions citer d'autres d'exemples. Monsieur le rapporteur, je le sais, vous êtes scandalisé, vous aussi, lorsque, dans votre région, une entreprise qui a bénéficié de fonds publics, de fonds de la région, ferme ses portes ou menace de le faire. Nous nous retrouvons dans ces actions. Ces événements n'ont fait que souligner l'urgence de cette proposition de loi, d'où la nécessité de l'adopter.
Cette portée citoyenne, cette transparence dans l'utilisation de l'argent public, c'est précisément ce que, d'après les solutions que vous formulez aujourd'hui, vous ne voulez à aucun prix et que nous souhaitons voir émerger.
Nous sommes pourtant entrés dans une époque où le peuple de notre pays demande chaque jour toujours plus de clarté et de transparence, où la représentation nationale doit enfin prendre appui sur les comportements politiques nouveaux de nos compatriotes. Ces comportements exigent la transparence, plus de démocratie et de morale. Cette exigence s'impose et s'imposera à nous, et je m'en réjouis.
Approuvant les termes de la proposition de loi et donc rejetant les conclusions de M. le rapporteur, nous marquerons une fois de plus notre différence, expression de la pluralité sénatoriale, en ne suivant pas la commission des finances dans sa motion de procédure. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes. - MM. Emmanuel Hamel et Victor Reux applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après ce brillant plaidoyer en faveur de la proposition de loi, je serai beaucoup plus concis que mon collègue Guy Fischer, afin que vous gardiez bien à l'esprit l'essentiel des arguments qu'il vient de développer.
Nous nous félicitons de ce projet de création d'une commission de contrôle des fonds publics accordés aux entreprises. En effet, celle-ci devrait permettre de mieux évaluer l'effet et l'efficacité des aides publiques attribuées aux entreprises. Chacun sait que les entreprises qui bénéficient le plus de ces aides sont généralement de grands industriels, qui utilisent lesdites aides pour parfois - trop souvent ! - se délocaliser sur le territoire national, dans un autre pays européen ou même hors de l'Europe. Les PME en pâtissent trop souvent, elles qui sont nos partenaires au quotidien et qui auraient bien besoin de ces aides pour mieux jouer leur rôle de créateurs de richesses et d'emplois, mais aussi d'aménageurs du territoire.
Tout ce qui peut contribuer à l'amélioration de la connaissance de l'utilisation des crédits publics doit donc être encouragé. Cela permettra d'aider effectivement, je dis bien « effectivement », la création d'emplois, c'est-à-dire, en particulier, de lutter contre les effets d'aubaine, dans un souci de justice et d'économie, et d'ajuster les interventions publiques, dans le souci d'une meilleure efficacité.
Les représentants de l'Etat, préfets et administrateurs des services déconcentrés, vérifient bien sûr que les engagements pris par les entrepreneurs pour bénéficier des aides de l'Etat sont respectées. Mais quelle est la réalité de la connaissance de l'effet et de l'efficacité des aides fournies par les collectivités locales, la sécurité sociale ou la Communauté européenne ?
A-t-on une vue d'ensemble, à l'échelon national comme à l'échelon régional, des aides à l'emploi accordées par les collectivités territoriales, par exemple ? Celles-ci ont-elles aujourd'hui les instruments nécessaires pour évaluer la cohérence globale de leurs interventions économiques, alors qu'elles sont toutes sollicitées quotidiennement par ces mêmes entreprises ? N'est-il pas souhaitable que le Parlement ait, lui aussi, sa part, toute sa part, dans le suivi des aides accordées par la sécurité sociale, par exemple, en direction de ces grands groupes ? N'est-il pas normal que les aides européennes, qui ont notamment pour objet de réduire les disparités régionales et sociales, soient évaluées tant au niveau régional qu'au niveau interrégional ?
Il est tout à fait satisfaisant qu'une instance nationale rassemble enfin tous les intervenants économiques pour leur faciliter un diagnostic d'ensemble de leurs interventions et la recherche d'une meilleure cohérence de leurs actions, bien sûr dans le respect des grands principes de la décentralisation qui nous animent tous, et tout en visant la recherche de meilleurs équilibres régionaux et sociaux. C'est peut-être à partir de là que nous pourrons entamer une véritable démarche autour de l'aménagement du territoire.
La composition diversifiée de la commission sera un gage de sa représentativité, empêchera ses membres d'avoir une vision trop segmentée des choses et lui permettra d'aider à l'efficacité non seulement économique mais aussi sociale des interventions.
Le Parlement pourra ainsi exercer, pour une fois, sa véritable compétence de contrôle et d'analyse, à travers l'action de ses représentants au sein même de cette commission. Le choc de l'affaire Michelin doit être un révélateur pour chacun d'entre nous. Oui, justice et efficacité - vous l'avez rappelé dans votre propos liminaire, monsieur le secrétaire d'Etat - sont des objectifs fondamentaux du Gouvernement, à l'égard des entreprises et de la société en général. Qui peut nous détailler aujourd'hui la ventilation et les retours des dotations exceptionnelles accordées par le gouvernement Balladur aux entreprises ? C'était pourtant bien en faveur des entreprises que ce dispositif avait été mis en place. Même le Parlement - je suis obligé de le rappeler, monsieur le rapporteur - aurait aujourd'hui du mal à en tirer les conclusions, parce qu'il s'agit effectivement d'une mécanique et d'une démarche qui sont restées opaques. Il est important que l'on puisse quelque peu « retoiletter » l'ensemble de ces interventions.
Cette proposition de loi s'inscrit pleinement dans un souci de transparence, laquelle apparaît aujourd'hui comme une nécessité.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Jean-Marc Pastor. Ce n'est que par le biais de l'analyse fine des retours financiers par cette commission décentralisée y compris à l'échelon régional qu'une véritable démarche de réflexion politique pourra être enclenchée de façon à pouvoir assurer ce véritable aménagement du territoire auquel nous sommes, les uns et les autres, très attachés.
Les abus choquants de certaines entreprises - cela a déjà été évoqué - nous contraignent aujourd'hui à cette démarche.
C'est donc avec une grande satisfaction que le groupe socialiste soutient une initiative législative de M. Robert Hue et du groupe communiste de l'Assemblée nationale qui s'inscrit dans la droite ligne de l'action du Gouvernement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Des différentes interventions que je viens d'écouter attentivement, je retiendrai principalement cinq questions.
Première question, est-ce un texte circonstanciel ? C'est l'interrogation, préjudicielle en quelque sorte, de M. le rapporteur.
Deuxième question, cette proposition de loi est-elle adaptée aux réalités concrètes auxquelles ont à faire face les entreprises ?
Troisième question, y a-t-il une trop forte concentration des aides sur les grands groupes ?
Quatrième question, ce texte répond-il à des objectifs d'aménagement du territoire et de développement économique régional équilibré ?
Enfin, cinquième question, centrale, posée par M. le rapporteur : cette proposition de loi, futur texte de loi, je l'espère, témoigne-t-elle, dans la méthode même qui a été suivie, d'un affaiblissement des prérogatives du Parlement ?
Je reprendrai, pour y répondre, chacune de ces interrogations.
Première question, donc : s'agit-il d'un texte circonstanciel qui vise simplement - je vous cite, monsieur le rapporteur - « à renforcer la cohésion de la majorité plurielle » ?
Je pense très sincèrement qu'il ne s'agit ni d'un moyen de promotion ni d'un moyen de renforcement d'une cohésion qui existe déjà. La démarche, intimement soutenue par l'ensemble de la majorité, que traduit cette proposition de loi rejoint celle du Gouvernement. Evoquant voilà quelques instants, dans mon intervention liminaire, les principes qui ont guidé ma collègue Mme Martine Aubry à présenter, au nom du Gouvernement, son second projet de loi concernant la réduction négociée du temps de travail, je soulignais les impératifs - M. Pastor vient de le rappeler excellemment - de transparence, de justice sociale et d'efficacité de la dépense publique qui sont au coeur même de la démarche de ce texte. Cette démarche traduit la cohésion, l'entente parfaite qui existent entre la majorité plurielle et le Gouvernement.
Je ne veux pas croire que la motion tendant à opposer la question préalable qui sera défendue tout à l'heure témoigne d'une gêne face à un texte qui est - je le crois sincèrement - réclamé par l'opinion publique et, dans la pratique, par nombre de salariés, d'organisations syndicales et même d'entreprises qui, lorsqu'elles utilisent les aides publiques à bon escient - et elles sont très nombreuses dans ce cas - sont en fait navrées et gênées de constater certains abus qu'il faut en effet - M. Fischer l'a souligné à l'envi - dénoncer, combattre et sanctionner.
Deuxième question : la proposition de loi est-elle adaptée aux réalités concrètes ? La pertinence des propositions de M. Hue et du groupe communiste de l'Assemblée nationale est, à mon avis, réelle. J'ai pu le constater dans deux cas d'espèce qu'il me faut rappeler à la Haute Assemblée et dans lesquels l'insuffisance des mécanismes existants était tout à fait patente : je pense aux entreprises Michelin et Moulinex.
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Dans ces deux cas, j'ai demandé, après avoir reçu les élus nationaux et locaux concernés, qu'une commission se réunisse sur le plan régional, sous l'égide du préfet de région, pour évaluer le montant des aides reçues et faire là aussi oeuvre de transparence. Vous en avez parlé tout à l'heure, monsieur Fischer, en citant des chiffres tout à fait éloquents quant au montant des aides que certaines entreprises ont pu recevoir en une dizaine d'années.
Sur le plan national, local ou européen, il convient d'ailleurs, dans un souci de bonne gestion des fonds publics, d'évaluer, de peser, voire de critiquer, lorsque c'est nécessaire, le principe même de dévolution de certaines des aides, pour en soutenir aussi l'application dans les cas où ces aides peuvent révéler un véritable objectif de dynamisation de l'économie et d'aménagement du territoire.
M. Philippe Marini. Mais cela a toujours été le cas !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. La plupart du temps, les aides sont correctement décidées, allouées et contrôlées, comme vous en convenez, je pense, sur l'ensemble de ces travées, mesdames, messieurs les sénateurs ; mais, dans un certain nombre de cas, on constate des abus, lesquels choquent l'opinion publique et résonneraient, s'ils n'étaient pas combattus, comme une condamnation du principe même de l'intervention, de l'aide, des crédits, que j'appelle parfois « les crédits starter », visant à démarrer un processus économique, pour encourager la croissance, l'innovation et l'emploi. Il s'agit donc aujourd'hui, en fait, de bien évaluer la dépense publique, de bien la diriger, de la contrôler mais, naturellement, sans excès de contrôle, sans bureaucratie - je crois l'avoir signalé - et en brocardant tous les abus possibles.
Troisième question : y a-t-il une trop grande concentration des aides sur les grands groupes ? Monsieur Fischer, vous posez là le début d'une réflexion très importante, qui a d'ailleurs été déjà menée par une commission d'enquête, à l'Assemblée nationale.
J'ai rappelé tout à l'heure la commission dont MM. Daniel Paul et Alain Fabre-Pujol, à l'Assemblée nationale, ont été les rapporteurs, et qui a vraiment incité à réfléchir et à approfondir ces questions. Elle est d'ailleurs, pour une part, à l'origine de la motivation du Gouvernement à accepter la proposition de loi de M. Robert Hue.
M. Fischer me donne l'occasion de rappeler ici, ce dont je le remercie, que, depuis la loi de finances pour 1999, c'est-à-dire depuis presque deux ans, j'ai tout d'abord engagé une action en vue d'une plus grande sélectivité des aides aux grands groupes - elle était d'ailleurs préconisée par M. Henri Guillaume dans le rapport qu'il avait remis à M. Dominique Strauss-Kahn et à moi-même dès la fin de 1998 - en vue d'une action économique efficace au service de l'emploi.
Par ailleurs, je souhaite une meilleure orientation des aides vers les PMI et les PME, comme cela figure dans la lettre de mission que j'ai envoyée au président de l'Agence nationale de valorisation de la recherche, l'ANVAR, dès janvier 1999, souhait que j'ai réitéré au début de cette année, et ce afin que, par exemple, dans le domaine de l'innovation industrielle, la part des PME et des PMI dans la dévolution de l'ensemble des aides aille croissant.
Croyez-moi, le Gouvernement est très attentif à cette démarche difficile, longue et patiente, qui remet en cause des années et des années de tradition contraire.
Mais il y avait - je crois d'ailleurs que le mot a été prononcé - une sorte d'« abonnement » des grands groupes à une aide un peu indifférenciée qui se reproduisait d'année en année, sans véritable discernement, contrôle ou analyse fine de la justesse de cette affectation.
Je rappelle également que les outils d'intervention du secrétariat d'Etat à l'industrie sont constamment réévalués à l'aune de cet impératif absolu, dicté par le souci de l'emploi : les PMI sont prioritaires.
Et je rappelle à la Haute Assemblée que les aides pour l'investissement et l'innovation du fonds de développement des PMI ne peuvent être attribuées qu'à des entreprises petites ou moyennes ne faisant pas partie d'un groupe. Monsieur Fischer, vous voyez que l'excellente remarque que vous avez formulée tout à l'heure est mise en oeuvre par le Gouvernement avec volonté, détermination, clarté et, là aussi, transparence.
Quatrième question : cette commission sera-t-elle un bon outil pour l'aménagement du territoire ? Telle est l'interrogation tout à fait importante posée par M. Pastor. Nous avons, les uns et les autres, l'oeil tourné vers les aides convergentes attribuées tant par l'Etat que par les collectivités locales ou territoriales, les régions, les communes, les départements dans certains cas. Il faut donc que l'on puisse voir le bien-fondé des unes et des autres, et ne pas aboutir à un mille-feuilles d'interventions qui serait incorrectement construit, car incorrectement dirigé vers la priorité de l'emploi et de la lutte contre le chômage, comme vous l'avez rappelé, monsieur Pastor.
C'est un souci de cohérence. Je pense que la proposition de loi présentée par le groupe communiste de l'Assemblée nationale répond à cet objectif, partagé sur toutes les travées du Sénat, j'en suis certain, de cohérence en matière d'action régionale.
Enfin, cinquième et dernière question, fondamentale elle aussi : le texte constitue-t-il un affaiblissement des prérogatives du Gouvernement ? Cette manière d'aborder la proposition de loi me paraît erronée, monsieur le rapporteur. La commission nationale qu'il vous est proposé de créer sera composée notamment de parlementaires, et, par conséquent, de sénateurs et de députés. Elle ne pourra bien sûr travailler que dans le respect des prérogatives fondamentales du Parlement que vous avez rappelées, en particulier le respect des principes qui président au fonctionnement et à la philosophie inspira la Haute Assemblée, particulièrement dédiée aux collectivités locales.
Le rôle de la commission nationale sera donc complémentaire de celui des rapporteurs des commissions, en particulier des rapporteurs spéciaux des commissions des finances, comme chacun s'en rend compte. Il y aura non pas substitution du rôle de la commission nationale à celui du Parlement, mais, au contraire, convergence des préoccupations parlementaires, sénatoriales en particulier, et du souci - c'est l' ultima ratio de ce texte - d'une bonne gestion des aides publiques, d'un engagement satisfaisant des fonds publics, afin que la nation soit persuadée que les efforts qu'elles consent à travers l'impôt sont toujours dirigés à bon escient, sous le contrôle principal, essentiel et décisif du Parlement, bien sûr, mais aussi sous le contrôle d'une commission qui aura à coeur d'entrer plus avant dans le détail du fonctionnement économique de notre pays.
La commission sera donc une instance permanente qui recevra des flux d'informations venant du terrain, qui contrôlera, qui évaluera les systèmes d'aides aux entreprises, qui ne se surajoutera pas de manière superfétatoire à ce que fait excellemment le Parlement, mais qui viendra conforter une démarche correspondant à ce qui est votre souci permanent : la cohérence, la transparence et l'efficacité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il convient donc, selon moi, que vous repoussiez la motion tendant à opposer la question préalable qui va vous être présentée et que vous adoptiez la proposition de loi proposée par M. Robert Hue et le groupe communiste de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

Question préalable