Séance du 24 février 2000
COMMISSION DE CONTRÔLE NATIONALE DES FONDS PUBLICS ACCORDÉS AUX ENTREPRISES
Rejet d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi n° 163
(1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la constitution
d'une commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds publics
accordés aux entreprises. [Rapport n° 214 (1999-2000).]
Je précise que le rapport de la commission des finances porte également sur la
proposition de loi n° 140 (1999-2000) de M. Guy Fischer et plusieurs de ses
collègues, qui a le même objet.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, justice et efficacité sont les maîtres mots du texte
qui vous est présenté.
Dans l'emploi des fonds publics, dans la lutte contre le chômage et, de
manière plus générale, en économie, justice et efficacité ne doivent pas être
opposées l'une à l'autre. Au contraire, réconcilier ces deux notions, voilà ce
qui peut favoriser une modernisation de l'Etat dans ses modalités
d'intervention ! Voilà ce qui peut permettre à notre économie, et surtout à
notre société, de s'inscrire dans une dynamique de progrès !
Telle est précisément l'ambition de la proposition de loi de M. Robert Hue et
du groupe communiste de l'Assemblée nationale, sur laquelle le gouvernement de
Lionel Jospin, en la personne de M. Christian Sautter, s'est déjà prononcé
favorablement en première lecture à l'Assemblée nationale.
Christian Sautter avait à cette occasion souligné que, pour atteindre le
double objectif d'efficacité et de justice des dépenses en faveur des
entreprises, l'instrument proposé dans la proposition de loi était la
transparence, qui est l'une des premières vertus de la démocratie.
J'ai appris du Sénat que M. Guy Fischer et ses collègues du groupe communiste
républicain et citoyen avaient déposé de leur côté une proposition de loi de
même teneur ; je salue bien sûr cette initiative.
S'agissant de la proposition de M. Robert Hue, je voudrais, au nom du
Gouvernement, insister sur la pertinence d'un contrôle des fonds publics, pour
préciser ensuite en quoi les modalités de ce contrôle retenues dans la
proposition de loi nous paraissent très judicieuses.
Interrogeons-nous tout d'abord sur l'opportunité d'une commission de
contrôle.
La proposition de loi n'est pas seulement une réaction à des événements
récents qui ont choqué nos concitoyens, elle résulte aussi d'une démarche de
longue haleine.
Très légitimement, la démarche qui nous est présentée aujourd'hui a été conçue
par M. Robert Hue, en septembre dernier, puis après la manifestation du 16
octobre 1999, comme une réponse à ce que certains commentateurs ont appelé «
l'affaire Michelin ».
Mme Hélène Luc.
Absolument !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Mais la proposition de loi repose aussi sur des
travaux parlementaires, qui ont poussé l'analyse avec une grande rigueur et un
sens aigu du concret. Je pense notamment aux rapports de MM. les députés Daniel
Paul et Alain Fabre-Pujol de juin 1999 sur « les pratiques des grands groupes
et leurs conséquences sur l'emploi et l'aménagement du territoire ».
Cette proposition de loi vise à rendre à la fois plus efficace et plus
équitable la dépense publique. Efficacité et justice, disais-je, loin d'être
contradictoires, sont, bien au contraire, convergentes.
Le Gouvernement, en effet, est animé d'une double conviction.
Tout d'abord, il estime que les aides à l'emploi peuvent être utiles ; elles
ont leur part dans ce que les économistes appellent « l'enrichissement de la
croissance en emplois », ce qui explique d'ailleurs en partie les excellents
résultats que nous enregistrons depuis plus de deux ans et demi dans la lutte
contre le chômage.
Ensuite, il est convaincu que l'amélioration de l'efficacité de la dépense
publique doit plus que jamais constituer le critère central de notre politique
budgétaire.
Dès lors, il paraît nécessaire de trouver des réponses adaptées aux abus -
parce qu'il y a abus, ne nous le cachons pas - liés à l'octroi de fonds publics
aux entreprises.
En effet, même si les aides sont octroyées par les services gestionnaires sur
des critères précis, ce qui est le cas, même si cet octroi est surveillé par
les services des différents ministères et par les corps d'inspection
compétents, les abus en la matière sont particulièrement choquants pour
l'ensemble des contribuables et des citoyens, mais surtout pour les salariés
lorsque c'est un engagement sur l'emploi qui n'est pas respecté.
Il ne s'agit évidemment pas de diaboliser les systèmes d'aides, qui ont leur
logique économique et sociale ; même les plus libéraux en conviennent, au moins
quand ils sont confrontés localement aux difficultés d'une entreprise. Mais il
s'agit de traquer les dévoiements : tel chef d'entreprise qui s'engage à un
maintien de l'emploi qu'il sait impossible, tel autre qui contracte avec une
collectivité sans pouvoir respecter ses obligations, tel autre enfin qui se
trouve comme « abonné » à certaines aides dont il pourrait se passer.
Pour remédier à ces abus, il fallait éviter deux écueils opposés : celui de la
bureaucratie et celui de l'alibi. Contrairement à ce que certains ont affirmé
un peu vite, ces écueils ont été évités par les auteurs de la proposition de
loi.
S'agissant de l'écueil de la bureaucratie, la commission nationale n'est pas
instituée dans l'optique d'une investigation systématique et ne fait pas peser
une suspicion généralisée sur l'ensemble de nos aides aux entreprises, avec à
la clef le risque paradoxal d'un procès en légitimité de l'action de l'Etat.
L'écueil de la commission-alibi, dénuée de tout pouvoir, est également évité.
La proposition de loi dote la commission de moyens d'information puissants et
de relais régionaux efficaces.
Le principe même d'une instance nationale d'évaluation répond donc à une
lacune de notre dispositif actuel. Il n'existe pas, en effet, à ce jour,
d'instance nationale d'évaluation des dispositifs d'aides aux entreprises.
Il manque aujourd'hui une instance nationale susceptible de connaître
l'ensemble des pratiques abusives, de mener des évaluations des systèmes
d'aides et de formuler des observations qu'elles soient d'ailleurs positives ou
négatives.
La proposition de loi met fin à ce vide, en instituant une commission
nationale, qui se déclinera en commissions régionales. Cette commission
nationale examinera la pertinence de dispositifs existants ou projetés au
regard des objectifs des aides, essentiellement l'emploi. Elle pourra proposer
les réformes et modifications qui s'avéreront nécessaires.
Je souhaite maintenant préciser la position du Gouvernement à l'égard de la
proposition de loi sur trois points : la composition et la saisine de la
commission, ses pouvoirs et le rôle des acteurs du terrain.
Tout d'abord, la composition large de la commission, la facilité de sa saisine
et son champ d'intervention enrichiront la vision des pouvoirs publics sur la
mise en oeuvre des aides.
En cas de non-respect par une entreprise des engagements qu'elle a pris pour
bénéficier d'une aide, les divers acteurs adoptent souvent les attitudes
suivantes : les élus dénoncent le non-respect de la règle, l'entreprise en
cause argue qu'en cas de retrait de l'aide elle risque de devoir licencier -
combien de fois n'avons-nous entendu cette menace ! - ses concurrents
soulignent la distorsion de concurrence occasionnée, tandis que les
représentants des salariés peuvent souhaiter le strict respect de la règle
comme ils peuvent être sensibles aux arguments de leur direction.
Face à cette diversité des points de vue, les auteurs de la proposition de loi
ont retenu une composition très large de la commission, ainsi que des
possibilités de saisine très ouvertes. Le Gouvernement ne peut que se rallier à
cette position, qui paraît tout à fait pragmatique et qui tient compte des
réalités locales.
Quant aux pouvoirs de la commission, ils sont à la fois étendus et respectueux
du rôle des partenaires sociaux et des administrations gestionnaires des aides.
Ils s'articulent autour de trois idées : d'abord, une information précise,
grâce aux rapports qui seront transmis chaque année par les préfets de région ;
ensuite, une évaluation rigoureuse, qui sera confortée par la capacité de
saisir les organismes gestionnaires d'aides et par le rôle central dévolu au
Commissariat général du Plan ; enfin des pouvoirs de sanction effectifs, avec
la possibilité pour le gestionnaire d'aides de suspendre ou de supprimer les
aides, voire d'en obtenir - cela est très important - le remboursement.
Par ailleurs, la proposition de loi de M. Robert Hue et du groupe communiste
de l'Assemblée nationale confère tout leur rôle aux acteurs du terrain, en
prévoyant la possibilité pour le comité d'entreprise de saisir le gestionnaire
de l'aide pour lui signaler le non-respect par l'entreprise de ses
engagements.
Il y a là un progrès évident dans la procédure comme au regard de la vie
économique locale et de la vie de l'entreprise.
C'est ici la généralisation d'une disposition prévoyant ce recours en ce qui
concerne l'aide structurelle aux 35 heures, prévue dans la seconde loi sur les
35 heures dite « loi Aubry ».
Cette saisine des services compétents par les acteurs eux-mêmes démultiplie
les moyens de contrôle des abus caractérisés sur l'ensemble du territoire
national. Elle permettra d'apporter une réponse directe et rapide aux
situations qui auront été reconnues comme abusives.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les commentaires que m'inspire la
proposition de loi de M. Robert Hue et du groupe communiste de l'Assemblée
nationale sont donc simples et clairs : le Gouvernement la soutient parce qu'il
est comptable de la justice et de l'efficacité en matière d'emploi des fonds
publics. Il y voit en outre un puissant adjuvant dans la lutte pour l'emploi et
pour un développement équilibré de notre économie.
Sur cette conviction, très solidement ancrée, d'une convergence entre justice
et efficacité se fonde la politique économique et sociale du gouvernement de M.
Lionel Jospin.
Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à voter la présente
proposition de loi.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Joseph Ostermann,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat est saisi, de manière
conjointe, de deux propositions de loi identiques, déposées respectivement par
le groupe communiste de l'Assemblée et par celui du Sénat, qui tendent à
constituer une commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds
publics accordés aux entreprises.
L'Assemblée nationale a adopté, le 18 janvier dernier, le texte de M. Robert
Hue et de ses collègues. Seul ce dernier texte est inscrit à notre ordre du
jour.
Il s'agit avant tout d'un texte de nature conjoncturelle. A la suite
d'importants licenciements et de délocalisations de production décidés par de
grands groupes industriels, elle tend à créer une commission chargée de
contrôler les fonds publics accordés aux entreprises, afin de contrôler
l'utilisation des aides publiques qui leur sont octroyées.
Je ne vous cacherai pas, mes chers collègues, que la création d'une telle
commission ne peut que susciter mon scepticisme quant à son utilité, ma
perplexité ironique quant aux circonstances qui ont présidé à sa création et
mon étonnement quant à l'origine parlementaire d'une initiative qui dessaisit
le Parlement de ses prérogatives.
En premier lieu, la création d'une commission nationale des aides publiques
aux entreprises ne me paraît guère utile.
D'abord, les arguments des auteurs et du rapporteur du texte à l'Assemblée
nationale ne me semblent pas convaincants. Il s'est agi pour eux de légiférer
dans la précipitation, après l'émotion suscitée dans l'opinion publique par le
comportement de plusieurs entreprises peu attentives à la situation de l'emploi
en France mais confrontées à la mondialisation de la production
industrielle.
Il convient toutefois de rappeler que ces cas ont été fortement médiatisés.
Cela ne doit pas, selon moi, conduire le législateur à recourir à des arguments
de nature émotionnelle, peu conformes à l'exigence de réflexion et de sérénité
qu'implique l'élaboration d'une bonne loi.
Ensuite, cette proposition de loi est étayée par une conception de l'économie
qui appartient au passé : elle reflète une nostalgie certaine de l'économie
administrée, qui est en complète contradiction avec les caractéristiques d'une
économie de marché moderne, libre et efficiente.
Pour ma part, je considère que la multiplication des contrôles, voire des
tracasseries administratives - et nous en connaissons en France ! - ne saurait
constituer un moyen efficace pour lutter contre le chômage ; elle risquerait
plutôt de contrarier l'allocation optimale des ressources et, de ce fait,
pourrait constituer un frein à la croissance et à l'emploi.
Il est vrai que le Gouvernement a parfois succombé à la tentation de décréter
le niveau de l'emploi, comme il en a fait la démonstration avec les
emplois-jeunes !
Mais le principal reproche qui peut être adressé à ce texte n'est pas là : son
adoption risquerait d'entraîner un affaiblissement des prérogatives du
Parlement en matière de contrôle.
En réalité, je ne puis dissimuler mon étonnement et même mon incompréhension
face à la volonté de parlementaires d'amoindrir leurs propres prérogatives. Le
contrôle des aides publiques aux entreprises relève en effet, au premier chef,
des compétences du Parlement.
Je n'entends pas faire un cours de droit constitutionnel ou parlementaire. Je
rappellerai simplement que l'article 164-IV de l'ordonnance du 30 décembre 1958
portant loi de finances pour 1959 définit les prérogatives des rapporteurs
spéciaux de la commission des finances des assemblées parlementaires.
Par ailleurs, ces dernières peuvent constituer des commissions d'enquête dont
le rapporteur est également investi de prérogatives particulièrement étendues.
Et le Parlement, le Sénat notamment, ne manque pas de faire usage de ses
pouvoirs de contrôle de l'action du Gouvernement.
Dès lors, je ne perçois pas bien la nécessité de créer une commission
administrative dont les prérogatives empiéteraient sur celles que détiennent
des assemblées parlementaires démocratiquement élues.
Je voudrais souligner la position paradoxale de l'Assemblée nationale à cet
égard. Celle-ci, en effet, ainsi que son président, M. Laurent Fabius, ont
affirmé leur volonté de renforcer le contrôle parlementaire de la bonne
utilisation des deniers publics. C'est dans cette perspective que l'Assemblée
nationale a créé, au sein de sa commission des finances, une mission
d'évaluation et de contrôle, qui a précisément travaillé sur les aides à
l'emploi, sans jamais préconiser, toutefois, la création d'une commission
nationale de contrôle des aides publiques aux entreprises.
Ainsi l'Assemblée nationale a-t-elle contribué à mettre en exergue le manque
de pertinence de certaines aides publiques accordées aux entreprises, phénomène
aujourd'hui bien connu. On ne voit pas bien ce qu'une commission de plus
apporterait à ce débat.
Pourquoi l'Assemblée nationale a-t-elle donc décidé de créer une telle
commission de contrôle alors que le Parlement dispose déjà des pouvoirs
nécessaires pour remplir la mission qui serait dévolue par la présente
proposition de loi à ladite commission ? Et pourquoi souhaite-t-elle affaiblir
ses prérogatives en matière de contrôle budgétaire, alors que, en créant la
mission d'évaluation et de contrôle, il y a un an, elle avait au contraire
cherché à les renforcer ?
En fait - mais vous l'avez déjà bien compris, mes chers collègues -, la
réponse à ces questions est d'ordre politique. Il s'agit pour le Gouvernement
et l'Assemblée nationale moins d'assurer le contrôle des fonds publics que de
renforcer la cohésion de la majorité plurielle !
Je rappellerai quelques événements qui plaident en ce sens.
D'abord, l'Assemblée nationale a rejeté la proposition de M. Dominique Paillé
tendant à créer une commission d'enquête portant sur les suites données aux
rapports publics de la Cour des comptes, estimant que « vouloir contrôler le
contrôle » était superflu. Il me semble pourtant que la présente proposition de
loi vise le même objectif, à cette différence près qu'elle prévoit la création
d'un nouvel organisme de contrôle alors que M. Dominique Paillé proposait
simplement d'utiliser un moyen traditionnel d'exercice par le Parlement de ses
pouvoirs de contrôle, c'est-à-dire la constitution d'une commission
d'enquête.
Je tiens également à rappeler les propos de M. Didier Migaud, rapporteur
général de la commission des finances de l'Assemblée nationale. En commission,
il s'est déclaré « hostile en principe à cette proposition », ajoutant que «
les rapporteurs spéciaux sont dotés des pouvoirs nécessaires » et que « la
multiplication des organismes de contrôle se traduit par un affaiblisseemnt du
régime parlementaire ». Son analyse rejoint donc parfaitement la mienne !
Il s'est pourtant déclaré « conjoncturellement favorable » à cette proposition
de loi.
En fait, la conjoncture dont il est question est moins économique que
politique. Il s'agit de donner un gage à une composante de la majorité
plurielle, le groupe communiste en l'occurrence.
Il convient en effet de rappeler que M. André Lajoinie a déposé une
proposition de loi tendant à renforcer le régime juridique des licenciements
pour motif économique. Or le Gouvernement n'était pas favorable à ce texte, et
l'Assemblée nationale, lors de son examen, a décidé de ne pas présenter de
conclusions. Rappelons toutefois que le refus de discuter les articles résulte
du vote des seuls députés socialistes, les autres composantes de la majorité
plurielle ayant été favorables à une telle discussion.
Après ces tensions apparues au sein de la majorité plurielle, il fallait au
Gouvernement resserrer la cohésion de celle-ci en donnant un gage au groupe
communiste. Ce gage, c'est l'inscription à l'ordre du jour du Parlement de la
présente proposition de loi.
Quant au dispositif proposé, il suscite de ma part un grand nombre de
critiques, non seulement quant au fond - je viens de les exposer - mais
également quant à sa portée concrète, en raison de son caractère insuffisamment
pratique, irréaliste et parfois inapplicable.
Permettez-moi de donner quelques exemples.
L'article 1er ne définit pas les aides publiques que la commission nationale
est chargée de contrôler. En outre, il ne précise pas les conditions d'exercice
des pouvoirs de la commission.
Il convient de rappeler que cet article a fait l'objet d'une nouvelle
rédaction, largement inspirée par le ministère de l'économie, des finances et
de l'industrie. Désormais, la commission nationale pourra se voir opposer par
un service gestionnaire d'aides le secret des affaires, en particulier pour des
informations de caractère industriel ou fiscal, c'est-à-dire des informations
en réalité essentielles à la compréhension de l'attribution et de l'utilisation
des aides publiques accordées.
L'article 3 prévoit les modalités de saisine de la commission nationale et des
commissions régionales. Ces commissions pourront être saisies par un nombre
considérable de personnes, à commencer par les 36 000 maires de France, ce qui
induit un risque réel de paralysie de leur fonctionnement.
L'article 4 permet à un comité d'entreprise ou à un délégué du personnel de
saisir le service gestionnaire des aides s'il estime que l'employeur ne
respecte pas les engagements qu'il a précédemment souscrits pour bénéficier des
aides publiques. Le service saisi peut décider de suspendre ou de supprimer
l'aide octroyée, voire d'en exiger le remboursement. Or lesdits services
bénéficient déjà de la faculté de suspendre une aide ou d'en demander le
remboursement ; mais les cas sont extrêmement rares en raison de la lourdeur et
de la complexité de la procédure, ainsi que des difficultés qu'elle ne manque
pas d'entraîner.
Je m'interroge toutefois sur les conséquences sur l'emploi d'une suspension ou
d'une suppression des aides accordées aux entreprises dans le cadre du passage
aux 35 heures, après intervention en ce sens d'un comité d'entreprise ou d'un
délégué du personnel.
Enfin, l'article 4
ter,
ajouté par l'Assemblée nationale, confie le
secrétariat de la commission nationale au Commissariat général du Plan. Cette
disposition prouve que la commission nationale ne disposera pas de moyens
propres pour mener à bien ses missions et qu'elle dépendra directement du
Premier ministre.
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission a estimé qu'il n'y avait pas
lieu de délibérer sur la présente proposition de loi et a déposé une motion
tendant à opposer la question préalable.
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
proposition de loi dont nous débattons a été déposée à l'Assemblée nationale
par Robert Hue et nos collègues du groupe communiste et apparentés - nous en
avons nous-mêmes repris l'essence dans une proposition de loi déposée le 16
décembre dernier sur le bureau de notre assemblée. Elle nous invite à la
constitution d'une commission nationale et décentralisée de contrôle des aides
publiques aux entreprises.
M. le secrétaire d'Etat, et je l'en remercie, a très précisément et très
justement dégagé nos objectifs et présenté nos propositions : il s'agit de
répondre à une demande déjà ancienne et exprimée au cours de nombreux débats
par voie d'amendements. Il nous semble cependant utile d'y porter un regard
nouveau, afin de définir avec le plus de précision possible - n'est-ce pas l'un
des griefs portés à l'encontre de la proposition de loi elle-même par la
majorité sénatoriale ? - le cadre dans lequel le débat se situe.
Je commencerai par rappeler qu'au début du mois de septembre les événements
ont voulu que, avec mon amie et collègue Hélène Luc, nous nous trouvions à
Clermont-Ferrand au moment où la direction de Michelin annonçait la suppression
de 7 500 emplois sur trois ans alors que l'entreprise affichait un résultat net
en progression de 17 % et que le cours de l'action avait connu une hausse de 11
%. Or, à partir des indications fournies par la presse économique et par vos
services, monsieur le secrétaire d'Etat, nous avions établi que, depuis 1983,
Michelin avait bénéficié de plus de 10 milliards de francs d'aides
publiques,...
Mme Hélène Luc.
Eh oui !
M. Guy Fischer.
... ce qui n'avait pas empêché la suppression de plusieurs milliers d'emplois
!
La création d'une commission de contrôle vise précisément et avant tout à
concourir à l'objectif national de maintien et de création d'emplois, à
favoriser l'essor des qualifications, à lutter contre l'explosion de la
précarité, à permettre le développement d'investissements utiles à la création
de richesse.
Toutes ces orientations sont précisément définies dans l'exposé des motifs de
la proposition de loi.
Nous nous fixons trois objectifs essentiels.
Tout d'abord, nous voulons assurer la lisibilité et la transparence des aides
publiques accordées aux entreprises, au moment où l'on constate que ni les
salariés d'une entreprise, ni les élus, qu'ils soient locaux ou même nationaux,
ne sont en mesure de connaître la réalité des sommes en jeu et les flux
financiers qu'elles provoquent.
On sait pourtant fort bien qu'en 1998 l'Etat a consacré 170 milliards de
francs aux entreprises, et, si l'on prend en compte les aides économiques
versées par les collectivités territoriales, on doit presque doubler cette
somme ! Il s'agit donc d'un enjeu financier important, et il nous semble
absolument nécessaire de rassembler des informations fiables, à l'échelle
locale et à l'échelle nationale, afin de connaître la réalité des concours
financiers.
Le deuxième objectif est d'assurer le suivi détaillé et concret de
l'utilisation des aides dans l'entreprise et de mesurer leur impact sur
l'emploi tant à l'intérieur de l'entreprise qu'à l'extérieur, la connaissance
de l'impact externe pouvant être utile, aux élus par exemple, pour connaître la
situation du bassin d'emploi au coeur duquel l'entreprise est placée.
Pour connaître l'usage des aides publiques et vérifier que les engagements
sont respectés, la commission nationale et les commissions régionales de
contrôle pourront s'appuyer sur les travaux des instances de suivi
paritaires.
Les sommes en jeu sont importantes. On parle, je l'ai dit, de 170 milliards de
francs venant de l'Etat, si l'on s'en tient aux seules dépenses d'intervention
; il faut y ajouter une partie de la dépense fiscale connue et retracée dans le
document d'évaluation des voies et moyens, sans oublier les sommes engagées par
les collectivités locales.
Le bien-fondé de la proposition de loi est donc indéniable, d'autant que le
troisième objectif développé dans l'exposé des motifs est de confier à la
commission de contrôle nationale et décentralisée une sorte de droit d'alerte,
afin de contrôler la réalité de l'impact de la dépense publique consacrée aux
entreprises à partir de l'analyse concrète de son efficacité sur le terrain,
rôle qu'elle pourra tenir notamment du fait des conditions de sa saisine.
Rendre possibles la modification, la suppression, la suspension, voire le
remboursement des aides publiques en fonction des résultats en termes d'emploi
et de formation, comme c'est l'objet de la proposition de loi examinée à
l'Assemblée nationale, pourrait servir de base à une réforme globale des aides
à l'emploi : on passerait d'une logique de subsides à une logique d'incitation,
et, puisque la régionalisation est une réalité, on pourrait peut-être envisager
la création de fonds régionaux pour l'emploi, la formation et le
développement.
L'analyse de la répartition des fonds montre que les 170 milliards de francs
d'aides publiques versés en 1998 ont été dispensés, pour l'essentiel, à dix
grands groupes. La majeure partie des PME-PMI ont été exclues. Il convient
donc, pour revitaliser le tissu économique, de réorienter les aides afin
qu'elles soient appropriées à la réalité du terrain et innervent les
PME-PMI.
Sans pour autant empiéter sur les droits naturels de la représentation
parlementaire, à laquelle il appartient de décider de l'allocation de la
ressource publique, la commission de contrôle pourrait utilement participer à
la réflexion que nous devons mener sur le sens de la dépense publique et sur le
renforcement de son efficacité.
L'enjeu est d'importance.
Si l'on examine, d'une part, la situation des comptes publics, d'autre part,
celle des entreprises et, enfin, la situation sociale à un moment où la
croissance ne permet pas encore de réduire durablement le chômage et
s'accompagne de la persistance de la précarité, on ne peut que demander plus de
transparence.
En outre, monsieur le secrétaire d'Etat, la transparence permettrait davantage
de justice et d'efficacité, comme vous le souhaitez.
Combien d'emplois ont été créés, monsieur le rapporteur, grâce aux 45
milliards de francs de la ristourne dégressive, à la baisse de l'impôt sur les
sociétés, à la réduction de la taxe professionnelle, elle-même évaluée à près
de 35 milliards de francs en deux ans ?
Si l'on récapitule les aides publiques aux entreprises, force est d'ailleurs
de constater que leur champ a connu récemment une importante extension !
Nous sommes en effet loin du temps où ces aides publiques se limitaient à
quelques mesures ponctuelles et strictement définies de défiscalisation :
décote de la TVA ou exonération de taxes assises sur les salaires, comme cela
peut encore se faire dans le secteur artisanal.
Les données actuelles du problème sont tout autres.
Toutes choses égales par ailleurs, on pourrait se livrer à un exercice de pure
spéculation intellectuelle sur la comparaison entre le déficit budgétaire de
l'Etat en 1984 et 1985 et ce qu'il est aujourd'hui, tous comptes faits et après
constat des plus-values observées à la fin de 1999.
Ainsi, pour 1999, si notre déficit public s'élève à 206 milliards de francs,
on peut aussi souligner qu'il est obtenu avec un taux de l'impôt sur les
sociétés réduit de 50 % à 33,33 % depuis 1985, ce qui représente une
moins-value pour le moins assez considérable, qui se chiffre en dizaines de
milliards de francs et qui, cumulée au processus observé depuis une décennie et
demie, aurait pu constituer un puissant levier de soutien public au
développement des entreprises.
Dans le même temps, nous avons connu une modification très sensible en valeur
absolue et relative en périmètre du champ des dépenses d'intervention
économique incluses dans le titre IV.
J'ai dit que l'on parlait à ce titre de 170 milliards de francs.
Quand on ajoute à ces sommes le coût de la défiscalisation d'une part
croissante de la taxe professionnelle et les divers aménagements qui concernent
aujourd'hui l'impôt sur les sociétés, on aboutit à des totaux pour le moins
spectaculaires.
Ainsi, la taxe professionnelle est corrigée de près de 40 milliards de francs
bruts au titre du plafonnement de la valeur ajoutée, tandis que l'allégement
transitoire des 16 % peut être estimé à plus de 30 milliards de francs.
Il s'agit là, certes, de chiffres bruts, mais ils montrent bien l'importance
du problème.
On ne doit, en effet, jamais oublier que certaines interactions systématiques
entraînent, à choix de gestion inchangés, des majorations d'impôt sur les
sociétés à proportion des réductions de la taxe professionnelle.
Peut-être, au-delà de la croissance, peut-on d'ailleurs penser que la
suppression de la base imposable des salaires est l'un des éléments de
progression du rendement de l'impôt sur les sociétés observé en 1999.
Toutes ces sommes et les faits que je viens de rappeler nous conduisent, en
fait, à constater une opération pour le moins complexe : s'acquittant auprès de
l'Etat de l'impôt sur les sociétés, les entreprises de notre pays bénéficient
de sommes au moins équivalentes au titre des dépenses d'intervention, de
certains allégements de la fiscalité directe locale ou de modifications du
cadre d'application de l'impôt sur les sociétés. Vous m'excuserez d'avoir fait
ce détour technique pour justifier la création de cette commission de
contrôle.
Je pense que, en fin de compte, nous en arrivons ainsi à un jeu à somme nulle,
voire favorable en dernier lieu aux entreprises plus qu'aux comptes publics.
C'est ce qui a justifié notre initiative et nous a conduits à nous interroger
sur la définition précise de ce qu'est une économie de marché « moderne, libre
et efficiente ».
Est-ce une économie dans laquelle l'argent public est généreusement distribué,
sans contreparties clairement définies, essentiellement au bénéfice de
quelques-uns, en l'occurrence les entreprises ? On est, il est vrai, toujours
plus libéral avec l'argent des autres qu'avec le sien !
Alors, mes chers collègues, l'Etat devrait-il utiliser tant de moyens
financiers pour soutenir les entreprises et l'activité économique sans que cela
puisse être examiné, étudié, contrôlé, évalué ?
M. Joseph Ostermann,
rapporteur.
Ce n'est pas le problème !
M. Guy Fischer.
Si !
Chers collègues, je connais votre attachement à l'allocation rigoureuse des
dépenses publiques, comme votre sourcilleuse attention quant au respect des
règles d'application budgétaire.
Ainsi, nous connaissons votre acharnement pour exiger, en vertu des
prérogatives parlementaires, le plus d'éclaircissements possibles sur la
dépense publique destinée à la solidarité nationale, sur le RMI, par exemple,
ou encore les aides au logement, le fonctionnement de l'administration
pénitentiaire, etc.
Nous n'avons pas oublié que des propositions de création de commission
d'enquête ont été adoptées pour analyser les dépenses de personnels de
l'éducation nationale ou celles du ministère de l'économie.
Or, tout à coup, s'agissant des fonds publics destinés aux entreprises, il n'y
aurait pas lieu de faire de même ?
Mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, votre sourcilleuse attention
connaîtrait donc des instants de relâchement ?
Il y aurait donc une zone taboue, un sanctuaire inapprochable, réservé aux
seuls initiés dans votre quête de transparence budgétaire. Ce serait le champ
des aides publiques aux entreprises.
Ainsi, on interrogerait madame la ministre de l'emploi et de la solidarité sur
la fraude éventuelle portant sur l'allocation de parent isolé qui ne représente
que 4,5 milliards de francs et on serait un peu moins regardant sur la
ristourne dégressive sur les bas salaires qui en représente plus de 45 ?
Votre logique m'échappe et votre rapport ne me convainc pas.
M. Joseph Ostermann,
rapporteur.
C'est dommage !
M. Guy Fischer.
Ou doit-on, en fait, conclure, que, à défaut d'être logique, votre position
est en réalité idéologique ?
Cela tient sans doute à l'identité des auteurs de la proposition de loi et, à
vos yeux, cela suffit certainement pour escamoter un débat au fond que vous ne
souhaitez pas, comme le montre d'ailleurs votre choix de déposer une motion
tendant à opposer la question préalable.
Mais cela tient plus profondément au fait que ce débat de fond a, selon vous,
un défaut essentiel : il risque, en effet, de balayer nombre des arguments
réglementaires, techniques ou budgétaires que vous avez pris l'habitude
d'invoquer depuis 1997, et encore aujourd'hui, avec le débat sur l'exécution
1999, au profit de la confrontation avec les faits et aux réalités.
Posons la question : a-t-on réellement quelque chose à cacher en matière de
fonds publics accordés aux entreprises ?
Si oui, alors la commission de contrôle que nous invite à créer la présente
proposition de loi est bienvenue.
Si tel n'est pas le cas, pourquoi tant d'objections ? Pourquoi l'objection
constitutionnelle, selon laquelle nous nous substituerions ainsi aux
prérogatives du Parlement ? Il y a là un vide à combler.
Il s'agit aujourd'hui, devant tant d'objections, tant d'affirmations
péremptoires et définitives, voire d'ironie ou de sarcasme, de voir quelle est
la réalité.
Pour conclure provisoirement dans ce débat, nous pensons, pour notre part, que
cette proposition de loi est salutaire et nécessaire et qu'elle a une autre
portée que celle qui est née d'événements ponctuels, qu'il s'agisse de
Michelin, Daewoo, JVC ou Panasonic, et nous pourrions citer d'autres
d'exemples. Monsieur le rapporteur, je le sais, vous êtes scandalisé, vous
aussi, lorsque, dans votre région, une entreprise qui a bénéficié de fonds
publics, de fonds de la région, ferme ses portes ou menace de le faire. Nous
nous retrouvons dans ces actions. Ces événements n'ont fait que souligner
l'urgence de cette proposition de loi, d'où la nécessité de l'adopter.
Cette portée citoyenne, cette transparence dans l'utilisation de l'argent
public, c'est précisément ce que, d'après les solutions que vous formulez
aujourd'hui, vous ne voulez à aucun prix et que nous souhaitons voir
émerger.
Nous sommes pourtant entrés dans une époque où le peuple de notre pays demande
chaque jour toujours plus de clarté et de transparence, où la représentation
nationale doit enfin prendre appui sur les comportements politiques nouveaux de
nos compatriotes. Ces comportements exigent la transparence, plus de démocratie
et de morale. Cette exigence s'impose et s'imposera à nous, et je m'en
réjouis.
Approuvant les termes de la proposition de loi et donc rejetant les
conclusions de M. le rapporteur, nous marquerons une fois de plus notre
différence, expression de la pluralité sénatoriale, en ne suivant pas la
commission des finances dans sa motion de procédure.
(Applaudissements sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées
socialistes. - MM. Emmanuel Hamel et Victor Reux applaudissent
également.)
M. le président.
La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
après ce brillant plaidoyer en faveur de la proposition de loi, je serai
beaucoup plus concis que mon collègue Guy Fischer, afin que vous gardiez bien à
l'esprit l'essentiel des arguments qu'il vient de développer.
Nous nous félicitons de ce projet de création d'une commission de contrôle des
fonds publics accordés aux entreprises. En effet, celle-ci devrait permettre de
mieux évaluer l'effet et l'efficacité des aides publiques attribuées aux
entreprises. Chacun sait que les entreprises qui bénéficient le plus de ces
aides sont généralement de grands industriels, qui utilisent lesdites aides
pour parfois - trop souvent ! - se délocaliser sur le territoire national, dans
un autre pays européen ou même hors de l'Europe. Les PME en pâtissent trop
souvent, elles qui sont nos partenaires au quotidien et qui auraient bien
besoin de ces aides pour mieux jouer leur rôle de créateurs de richesses et
d'emplois, mais aussi d'aménageurs du territoire.
Tout ce qui peut contribuer à l'amélioration de la connaissance de
l'utilisation des crédits publics doit donc être encouragé. Cela permettra
d'aider effectivement, je dis bien « effectivement », la création d'emplois,
c'est-à-dire, en particulier, de lutter contre les effets d'aubaine, dans un
souci de justice et d'économie, et d'ajuster les interventions publiques, dans
le souci d'une meilleure efficacité.
Les représentants de l'Etat, préfets et administrateurs des services
déconcentrés, vérifient bien sûr que les engagements pris par les entrepreneurs
pour bénéficier des aides de l'Etat sont respectées. Mais quelle est la réalité
de la connaissance de l'effet et de l'efficacité des aides fournies par les
collectivités locales, la sécurité sociale ou la Communauté européenne ?
A-t-on une vue d'ensemble, à l'échelon national comme à l'échelon régional,
des aides à l'emploi accordées par les collectivités territoriales, par exemple
? Celles-ci ont-elles aujourd'hui les instruments nécessaires pour évaluer la
cohérence globale de leurs interventions économiques, alors qu'elles sont
toutes sollicitées quotidiennement par ces mêmes entreprises ? N'est-il pas
souhaitable que le Parlement ait, lui aussi, sa part, toute sa part, dans le
suivi des aides accordées par la sécurité sociale, par exemple, en direction de
ces grands groupes ? N'est-il pas normal que les aides européennes, qui ont
notamment pour objet de réduire les disparités régionales et sociales, soient
évaluées tant au niveau régional qu'au niveau interrégional ?
Il est tout à fait satisfaisant qu'une instance nationale rassemble enfin tous
les intervenants économiques pour leur faciliter un diagnostic d'ensemble de
leurs interventions et la recherche d'une meilleure cohérence de leurs actions,
bien sûr dans le respect des grands principes de la décentralisation qui nous
animent tous, et tout en visant la recherche de meilleurs équilibres régionaux
et sociaux. C'est peut-être à partir de là que nous pourrons entamer une
véritable démarche autour de l'aménagement du territoire.
La composition diversifiée de la commission sera un gage de sa
représentativité, empêchera ses membres d'avoir une vision trop segmentée des
choses et lui permettra d'aider à l'efficacité non seulement économique mais
aussi sociale des interventions.
Le Parlement pourra ainsi exercer, pour une fois, sa véritable compétence de
contrôle et d'analyse, à travers l'action de ses représentants au sein même de
cette commission. Le choc de l'affaire Michelin doit être un révélateur pour
chacun d'entre nous. Oui, justice et efficacité - vous l'avez rappelé dans
votre propos liminaire, monsieur le secrétaire d'Etat - sont des objectifs
fondamentaux du Gouvernement, à l'égard des entreprises et de la société en
général. Qui peut nous détailler aujourd'hui la ventilation et les retours des
dotations exceptionnelles accordées par le gouvernement Balladur aux
entreprises ? C'était pourtant bien en faveur des entreprises que ce dispositif
avait été mis en place. Même le Parlement - je suis obligé de le rappeler,
monsieur le rapporteur - aurait aujourd'hui du mal à en tirer les conclusions,
parce qu'il s'agit effectivement d'une mécanique et d'une démarche qui sont
restées opaques. Il est important que l'on puisse quelque peu « retoiletter »
l'ensemble de ces interventions.
Cette proposition de loi s'inscrit pleinement dans un souci de transparence,
laquelle apparaît aujourd'hui comme une nécessité.
Mme Hélène Luc.
Absolument !
M. Jean-Marc Pastor.
Ce n'est que par le biais de l'analyse fine des retours financiers par cette
commission décentralisée y compris à l'échelon régional qu'une véritable
démarche de réflexion politique pourra être enclenchée de façon à pouvoir
assurer ce véritable aménagement du territoire auquel nous sommes, les uns et
les autres, très attachés.
Les abus choquants de certaines entreprises - cela a déjà été évoqué - nous
contraignent aujourd'hui à cette démarche.
C'est donc avec une grande satisfaction que le groupe socialiste soutient une
initiative législative de M. Robert Hue et du groupe communiste de l'Assemblée
nationale qui s'inscrit dans la droite ligne de l'action du Gouvernement.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Des différentes interventions que je viens d'écouter
attentivement, je retiendrai principalement cinq questions.
Première question, est-ce un texte circonstanciel ? C'est l'interrogation,
préjudicielle en quelque sorte, de M. le rapporteur.
Deuxième question, cette proposition de loi est-elle adaptée aux réalités
concrètes auxquelles ont à faire face les entreprises ?
Troisième question, y a-t-il une trop forte concentration des aides sur les
grands groupes ?
Quatrième question, ce texte répond-il à des objectifs d'aménagement du
territoire et de développement économique régional équilibré ?
Enfin, cinquième question, centrale, posée par M. le rapporteur : cette
proposition de loi, futur texte de loi, je l'espère, témoigne-t-elle, dans la
méthode même qui a été suivie, d'un affaiblissement des prérogatives du
Parlement ?
Je reprendrai, pour y répondre, chacune de ces interrogations.
Première question, donc : s'agit-il d'un texte circonstanciel qui vise
simplement - je vous cite, monsieur le rapporteur - « à renforcer la cohésion
de la majorité plurielle » ?
Je pense très sincèrement qu'il ne s'agit ni d'un moyen de promotion ni d'un
moyen de renforcement d'une cohésion qui existe déjà. La démarche, intimement
soutenue par l'ensemble de la majorité, que traduit cette proposition de loi
rejoint celle du Gouvernement. Evoquant voilà quelques instants, dans mon
intervention liminaire, les principes qui ont guidé ma collègue Mme Martine
Aubry à présenter, au nom du Gouvernement, son second projet de loi concernant
la réduction négociée du temps de travail, je soulignais les impératifs - M.
Pastor vient de le rappeler excellemment - de transparence, de justice sociale
et d'efficacité de la dépense publique qui sont au coeur même de la démarche de
ce texte. Cette démarche traduit la cohésion, l'entente parfaite qui existent
entre la majorité plurielle et le Gouvernement.
Je ne veux pas croire que la motion tendant à opposer la question préalable
qui sera défendue tout à l'heure témoigne d'une gêne face à un texte qui est -
je le crois sincèrement - réclamé par l'opinion publique et, dans la pratique,
par nombre de salariés, d'organisations syndicales et même d'entreprises qui,
lorsqu'elles utilisent les aides publiques à bon escient - et elles sont très
nombreuses dans ce cas - sont en fait navrées et gênées de constater certains
abus qu'il faut en effet - M. Fischer l'a souligné à l'envi - dénoncer,
combattre et sanctionner.
Deuxième question : la proposition de loi est-elle adaptée aux réalités
concrètes ? La pertinence des propositions de M. Hue et du groupe communiste de
l'Assemblée nationale est, à mon avis, réelle. J'ai pu le constater dans deux
cas d'espèce qu'il me faut rappeler à la Haute Assemblée et dans lesquels
l'insuffisance des mécanismes existants était tout à fait patente : je pense
aux entreprises Michelin et Moulinex.
Mme Hélène Luc.
Eh oui !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Dans ces deux cas, j'ai demandé, après avoir reçu les
élus nationaux et locaux concernés, qu'une commission se réunisse sur le plan
régional, sous l'égide du préfet de région, pour évaluer le montant des aides
reçues et faire là aussi oeuvre de transparence. Vous en avez parlé tout à
l'heure, monsieur Fischer, en citant des chiffres tout à fait éloquents quant
au montant des aides que certaines entreprises ont pu recevoir en une dizaine
d'années.
Sur le plan national, local ou européen, il convient d'ailleurs, dans un souci
de bonne gestion des fonds publics, d'évaluer, de peser, voire de critiquer,
lorsque c'est nécessaire, le principe même de dévolution de certaines des
aides, pour en soutenir aussi l'application dans les cas où ces aides peuvent
révéler un véritable objectif de dynamisation de l'économie et d'aménagement du
territoire.
M. Philippe Marini.
Mais cela a toujours été le cas !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
La plupart du temps, les aides sont correctement
décidées, allouées et contrôlées, comme vous en convenez, je pense, sur
l'ensemble de ces travées, mesdames, messieurs les sénateurs ; mais, dans un
certain nombre de cas, on constate des abus, lesquels choquent l'opinion
publique et résonneraient, s'ils n'étaient pas combattus, comme une
condamnation du principe même de l'intervention, de l'aide, des crédits, que
j'appelle parfois « les crédits starter », visant à démarrer un processus
économique, pour encourager la croissance, l'innovation et l'emploi. Il s'agit
donc aujourd'hui, en fait, de bien évaluer la dépense publique, de bien la
diriger, de la contrôler mais, naturellement, sans excès de contrôle, sans
bureaucratie - je crois l'avoir signalé - et en brocardant tous les abus
possibles.
Troisième question : y a-t-il une trop grande concentration des aides sur les
grands groupes ? Monsieur Fischer, vous posez là le début d'une réflexion très
importante, qui a d'ailleurs été déjà menée par une commission d'enquête, à
l'Assemblée nationale.
J'ai rappelé tout à l'heure la commission dont MM. Daniel Paul et Alain
Fabre-Pujol, à l'Assemblée nationale, ont été les rapporteurs, et qui a
vraiment incité à réfléchir et à approfondir ces questions. Elle est
d'ailleurs, pour une part, à l'origine de la motivation du Gouvernement à
accepter la proposition de loi de M. Robert Hue.
M. Fischer me donne l'occasion de rappeler ici, ce dont je le remercie, que,
depuis la loi de finances pour 1999, c'est-à-dire depuis presque deux ans, j'ai
tout d'abord engagé une action en vue d'une plus grande sélectivité des aides
aux grands groupes - elle était d'ailleurs préconisée par M. Henri Guillaume
dans le rapport qu'il avait remis à M. Dominique Strauss-Kahn et à moi-même dès
la fin de 1998 - en vue d'une action économique efficace au service de
l'emploi.
Par ailleurs, je souhaite une meilleure orientation des aides vers les PMI et
les PME, comme cela figure dans la lettre de mission que j'ai envoyée au
président de l'Agence nationale de valorisation de la recherche, l'ANVAR, dès
janvier 1999, souhait que j'ai réitéré au début de cette année, et ce afin que,
par exemple, dans le domaine de l'innovation industrielle, la part des PME et
des PMI dans la dévolution de l'ensemble des aides aille croissant.
Croyez-moi, le Gouvernement est très attentif à cette démarche difficile,
longue et patiente, qui remet en cause des années et des années de tradition
contraire.
Mais il y avait - je crois d'ailleurs que le mot a été prononcé - une sorte
d'« abonnement » des grands groupes à une aide un peu indifférenciée qui se
reproduisait d'année en année, sans véritable discernement, contrôle ou analyse
fine de la justesse de cette affectation.
Je rappelle également que les outils d'intervention du secrétariat d'Etat à
l'industrie sont constamment réévalués à l'aune de cet impératif absolu, dicté
par le souci de l'emploi : les PMI sont prioritaires.
Et je rappelle à la Haute Assemblée que les aides pour l'investissement et
l'innovation du fonds de développement des PMI ne peuvent être attribuées qu'à
des entreprises petites ou moyennes ne faisant pas partie d'un groupe. Monsieur
Fischer, vous voyez que l'excellente remarque que vous avez formulée tout à
l'heure est mise en oeuvre par le Gouvernement avec volonté, détermination,
clarté et, là aussi, transparence.
Quatrième question : cette commission sera-t-elle un bon outil pour
l'aménagement du territoire ? Telle est l'interrogation tout à fait importante
posée par M. Pastor. Nous avons, les uns et les autres, l'oeil tourné vers les
aides convergentes attribuées tant par l'Etat que par les collectivités locales
ou territoriales, les régions, les communes, les départements dans certains
cas. Il faut donc que l'on puisse voir le bien-fondé des unes et des autres, et
ne pas aboutir à un mille-feuilles d'interventions qui serait incorrectement
construit, car incorrectement dirigé vers la priorité de l'emploi et de la
lutte contre le chômage, comme vous l'avez rappelé, monsieur Pastor.
C'est un souci de cohérence. Je pense que la proposition de loi présentée par
le groupe communiste de l'Assemblée nationale répond à cet objectif, partagé
sur toutes les travées du Sénat, j'en suis certain, de cohérence en matière
d'action régionale.
Enfin, cinquième et dernière question, fondamentale elle aussi : le texte
constitue-t-il un affaiblissement des prérogatives du Gouvernement ? Cette
manière d'aborder la proposition de loi me paraît erronée, monsieur le
rapporteur. La commission nationale qu'il vous est proposé de créer sera
composée notamment de parlementaires, et, par conséquent, de sénateurs et de
députés. Elle ne pourra bien sûr travailler que dans le respect des
prérogatives fondamentales du Parlement que vous avez rappelées, en particulier
le respect des principes qui président au fonctionnement et à la philosophie
inspira la Haute Assemblée, particulièrement dédiée aux collectivités
locales.
Le rôle de la commission nationale sera donc complémentaire de celui des
rapporteurs des commissions, en particulier des rapporteurs spéciaux des
commissions des finances, comme chacun s'en rend compte. Il y aura non pas
substitution du rôle de la commission nationale à celui du Parlement, mais, au
contraire, convergence des préoccupations parlementaires, sénatoriales en
particulier, et du souci - c'est l'
ultima ratio
de ce texte - d'une
bonne gestion des aides publiques, d'un engagement satisfaisant des fonds
publics, afin que la nation soit persuadée que les efforts qu'elles consent à
travers l'impôt sont toujours dirigés à bon escient, sous le contrôle
principal, essentiel et décisif du Parlement, bien sûr, mais aussi sous le
contrôle d'une commission qui aura à coeur d'entrer plus avant dans le détail
du fonctionnement économique de notre pays.
La commission sera donc une instance permanente qui recevra des flux
d'informations venant du terrain, qui contrôlera, qui évaluera les systèmes
d'aides aux entreprises, qui ne se surajoutera pas de manière superfétatoire à
ce que fait excellemment le Parlement, mais qui viendra conforter une démarche
correspondant à ce qui est votre souci permanent : la cohérence, la
transparence et l'efficacité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il convient donc, selon moi, que vous
repoussiez la motion tendant à opposer la question préalable qui va vous être
présentée et que vous adoptiez la proposition de loi proposée par M. Robert Hue
et le groupe communiste de l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Question préalable