Séance du 21 mars 2000
CONSEIL D'ADMINISTRATION D'AIR FRANCE
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 254, 1999-2000),
adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'élargissement du conseil
d'administration de la société Air France et aux relations de cette société
avec l'Etat, et portant modification du code de l'aviation civile. [Rapport n°
264 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Monsieur le
président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet
de loi que l'Assemblée nationale a adopté le 1er mars dernier en première
lecture vise à augmenter le nombre des représentants des salariés au sein du
conseil d'administration d'Air France et à élargir l'autonomie de gestion de la
compagnie nationale.
Le principe de l'élargissement du conseil d'administration en faveur de la
représentation des salariés qui ont accepté d'échanger une partie de leurs
salaires contre des actions n'est contesté par personne.
L'Assemblée nationale l'a d'ailleurs bien compris, puisqu'il ne s'est pas
trouvé un seul député pour voter contre ce texte, les groupes de gauche l'ayant
approuvé et les trois groupes de l'opposition s'étant abstenus, sans qu'aucun
amendement ne soit déposé.
Les députés de la majorité ont considéré que ce texte contribuait au
redressement d'Air France en témoignant une confiance dans l'avenir de
l'entreprise de la part de la direction et des salariés, en particulier des
personnels navigants.
Les députés de l'opposition ont eu, pour leur part, la sagesse de ne pas
vouloir remettre en cause, par une attitude tranchée, l'équilibre social et le
climat de confiance qui prévalent aujourd'hui au sein de la compagnie.
Vous l'avez compris, ce projet de loi est en quelque sorte un dernier élément
au plan que le Gouvernement a voulu mettre en oeuvre pour le redressement et
pour le développement durable de cette entreprise dans laquelle l'Etat restera
majoritaire.
Comme vous le savez, Air France s'est trouvée dans une situation difficile au
début des années quatre-vingt-dix, lorsque le marché du transport aérien s'est
brusquement dégradé, notamment avec la guerre du Golfe.
Les efforts consentis avant 1997 pour la sortir de cette situation ont été
réels, et il ne m'appartient surtout pas de les nier.
Il convient également de saluer le travail accompli depuis cette date par le
président Spinetta, conformément aux orientations définies par le Gouvernement,
ainsi que par son équipe et par l'ensemble des salariés de l'entreprise.
Ils ont en effet fortement contribué à l'embellie que connaît aujourd'hui la
compagnie, avec une progression sur l'exercice 1999-2000 de 13 % pour son
trafic de passagers et de 7 % pour le fret.
Aujourd'hui, Air France construit une alliance de dimension mondiale, s'engage
dans des partenariats, progresse en parts de marchés et, pour la quatrième
année consécutive, présente un résultat d'exploitation positif, et ce tout en
restant au sein du secteur public, ce que certains d'ailleurs me reprochent.
Les efforts engagés par nos prédécesseurs pour assainir la situation l'avaient
au contraire été dans le but essentiel de privatiser l'entreprise, ce qui
présentait à terme le risque non négligeable de voir celle-ci subir les effets
d'une de ces offres publiques d'achat qui peuvent entraîner la disparition des
entreprises qui en sont victimes.
Je vous laisse mesurer les effets qu'aurait pu avoir une OPA sur une
entreprise nationale comme Air France, notamment ce qu'il aurait pu advenir
pour la desserte aérienne intérieure et extérieure de la France si une telle
situation s'était produite.
Dès 1997, l'objectif a été de mettre Air France sur le chemin du développement
et de rétablir la confiance, au sein de l'entreprise et vis-à-vis de ses
clients habituels ou potentiels.
Pour conquérir ou reconquérir des parts de marchés, il fallait créer une
dynamique de conquête qui ne peut réellement s'affirmer que dans le cadre d'un
climat social positif.
Depuis 1997, le Gouvernement inscrit ses efforts dans la perspective de la
pérennisation de l'entreprise, donc dans le sens de l'intérêt général. Nous
sommes désormais très loin des 8 milliards de francs de pertes de 1993 et nous
considérons que, en recapitalisant l'entreprise à hauteur de 20 milliards de
francs, l'Etat a fait son devoir d'actionnaire.
Certains ont voulu justifier la perspective de privatisation par les exigences
communautaires. Mais, vous vous en souvenez sûrement, mesdames, messieurs les
sénateurs, la Commission européenne elle-même déclarait, après nos
interventions, le 4 septembre 1997 : « Nous ne demandons pas qu'une entreprise
soit privée ou publique, mais qu'elle soit concurrentielle et qu'elle suive les
règles du marché. »
Il se disait également à l'époque qu'Air France ne pourrait pas nouer
d'alliances internationales si l'Etat restait l'actionnaire majoritaire.
Je relève à ce propos que, à l'époque, la perspective de la privatisation
n'avait pas conduit à la conclusion d'alliances particulièrement
florissantes.
Je note par ailleurs que, depuis, Air France a construit et continue de
construire son réseau d'alliances qui permettra d'offrir, sous une marque
unique, un réseau mondial formé de l'ensemble des réseaux de ses
partenaires.
A cette fin, Air France a signé, le 22 juin dernier, un accord exclusif avec
Delta Air Lines, qui a vocation à être complété par d'autres, tel celui qui est
négocié avec Aeromexico. De plus, sur le marché européen, Air France a
désormais la capacité de croître par des prises de participations.
Elle a récemment pris le contrôle, en France, de Regional Airlines, et, en
Irlande, de City Jet. Afin d'améliorer son offre sur le marché domestique, elle
fait aujourd'hui à British Airways une offre de rachat d'Air Liberté.
L'amélioration de sa position sur le marché intérieur ne pourra avoir que des
effets bénéfiques sur sa compétitivité sur les marchés internationaux.
Parallèlement au rétablissement de sa situation financière, l'appareil de
production d'Air France a été profondément restructuré. Une plate-forme de
correspondance compétitive, le
hub,
a été créée à Roissy et elle se
développe.
Des navettes ont été mises en place sur les principales lignes du marché
intérieur. Le réseau, qui avait été restructuré avec la fermeture des lignes
les plus déficitaires, se développe aujourd'hui à nouveau.
L'ouverture du capital, en février 1999, a été et demeure un progrès. La
demande privée a très largement dépassé l'offre et l'opération destinée aux
salariés a été aussi innovante que réussie. Ni les salariés ni les
investisseurs privés n'ont manifestement été découragés par la place importante
de l'Etat dans le capital et par le rôle qu'il entend jouer.
Cette présence est, au contraire, apparue aux nouveaux actionnaires comme un
gage de sérieux et de stabilité pour la stratégie suivie par la compagnie. Son
maintien dans le giron de l'Etat n'est donc ni perçu ni vécu comme un
handicap.
A vrai dire, il faut bien se rendre compte du fait que la privatisation totale
n'engendre pas automatiquement la confiance, comme l'atteste, parmi d'autres,
l'exemple de British Airways, dont le cours de l'action, après avoir
pratiquement doublé, a fortement baissé ces derniers temps.
L'ouverture du capital, qui n'incite pas à la spéculation boursière, permet,
en fait, à Air France de financer son projet industriel, dont la réussite passe
notamment par un renouvellement très important de sa flotte.
La solution choisie permet d'éviter à l'Etat d'avoir à financer ces achats
d'avions à partir des deniers publics, ce qui, d'ailleurs et de toute manière,
ne serait plus accepté ni par la Commission ni par la Cour de Luxembourg.
Donner à Air France les moyens de renouveler sa flotte, c'est aussi lui donner
les moyens d'améliorer ses dessertes, le confort de ses clients et aussi, en
définitive, de causer moins de nuisances sonores aux abords des aéroports où
elle déploie son activité, car les nouveaux modèles d'avions sont de moins en
moins bruyants.
Nous savons tous, mesdames, messieurs les sénateurs, combien ce dernier aspect
des choses est important aujourd'hui à proximité de Roissy, d'Orly ou des
principaux aéroports de nos régions.
L'ouverture du capital a permis de renforcer sensiblement l'actionnariat
salarié qui a été mis en oeuvre pour la première fois par la compagnie en 1995.
Elle a contribué au renouveau du dialogue social au sein de l'entreprise après
un conflit d'envergure, vous vous en souvenez tous, avant la Coupe du monde de
football. Je considère, pour ma part, que la réussite du dialogue social est
l'une des conditions essentielles pour la réussite et le renouveau de la
compagnie nationale.
Il convient de souligner que la part du capital proposée aux salariés a été
plus importante que dans les précédentes opérations d'ouverture de capital
d'entreprises publiques, car 15 % des titres ont été cédés, contre 10 %
habituellement. Cette offre a été « sur-souscrite » par les salariés, dont près
des trois quarts ont participé à l'opération.
La deuxième innovation a été la proposition aux personnels navigants
techniques - les pilotes - d'un échange entre salaire et actions. Tout le monde
se souvient du conflit de juin 1998 ; pourtant, témoignant de leur confiance
dans l'avenir de l'entreprise, près de 80 % des pilotes ont accepté cet échange
qui participe directement à la baisse des coûts de production de la société
sans que le revenu des pilotes en soit affecté sur la durée de leur
carrière.
En conséquence, Air France est maintenant une des entreprises françaises où
l'actionnariat salarié est le plus développé, avec environ 11 % du capital.
Enfin, l'entreprise s'est redressée. L'exercice courant devrait se terminer,
pour la cinquième année consécutive, par un résultat d'exploitation positif. A
l'issue de son dernier exercice, le 31 mars 1999, le résultat net était de 1,64
milliard de francs. Les neuf premiers mois du présent exercice ont vu la
compagnie accroître son offre de 12 %, son trafic de 13,3 % et ses recettes de
12,7 %.
Ce développement, conduit à un rythme plus rapide que celui de ses
concurrentes européennes, a également été favorisé par l'extension de
l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, avec l'ouverture de la troisième piste,
et l'occupation par Air France du nouveau terminal F à Roissy 2.
Ce développement profite à la compagnie, mais aussi à l'ensemble de la
collectivité. Air France a en effet créé plus de 3 500 emplois depuis avril
1997 et compte en créer 6 500 de plus dans les trois prochaines années, grâce à
l'effet conjugué de la négociation avec les partenaires sociaux sur la
réduction du temps de travail et de la croissance de l'activité.
Alors que la compagnie avait dû supprimer, je le rappelle, 9 000 emplois
pendant la crise dont j'ai parlé tout à l'heure, elle en aura créé au total
plus de 10 000 entre 1997 et 2002.
Il convient aussi de souligner que la croissance d'Air France, qui gagne des
parts de marché en Europe, ne se fait pas au détriment de la rentabilité. La
compagnie garde la maîtrise de ses coûts. Il en est résulté, pour les neuf
derniers mois de 1999, un résultat d'exploitation de 2,6 milliards de francs,
ce qui représente une progression de 45 %.
Ces bons résultats contribuent à la consolidation de la structure financière
de l'entreprise. Ainsi, l'endettement diminue, puisqu'il n'était plus que de
9,8 milliards de francs à la fin de l'année contre 14 milliards de francs en
mars 1999. Air France a désormais en ce domaine des ratios comparables à ceux
des grands transporteurs de l'Union européenne.
On peut donc dire que l'ouverture du capital a été une réussite. Le
développement de l'entreprise se poursuit, dans l'appartenance au secteur
public, et le présent projet de loi prouve que ce cadre n'est pas synonyme
d'immobilisme, au contraire.
Le changement apporté par l'ouverture du capital et par la situation de vive
concurrence doit être pris en compte dans le cadre institutionnel régissant la
société. La modernisation des relations entre l'entreprise et l'Etat
actionnaire doit être l'occasion d'une meilleure implication des salariés.
L'ouverture du capital implique de modifier les conditions d'exercice de la
tutelle de l'Etat. Il convient en particulier de recentrer l'exercice de la
tutelle sur le conseil d'administration et d'adapter la composition de
celui-ci. Tel est l'objet du texte qui vous est proposé.
S'agissant des relations entre l'Etat et l'entreprise, certaines procédures
sont inutilement lourdes et des dispositions sont devenues obsolètes car elles
relèvent désormais de règlements communautaires. Il vous est par conséquent
proposé de les supprimer.
Par ailleurs, le texte vise à recentrer sur le conseil d'administration
l'examen des projets d'investissements et de prise de participation de la
compagnie.
Modernisation de la tutelle ne veut cependant pas dire suppression de la
tutelle. La volonté du Gouvernement étant qu'Air France reste dans le secteur
public, l'Etat doit continuer à exercer l'ensemble de ses prérogatives
d'actionnaire majoritaire par son intervention dans le conseil d'administration
et dans le cadre de la tutelle exercée par le ministère des transports et par
celui de l'économie.
Le renforcement de l'actionnariat salarié et l'arrivée de nouveaux
actionnaires privés dans le capital d'Air France doivent aussi être pris en
compte. C'est l'objet de l'élargissement du conseil d'administration de 18 à 21
membres, qui reflétera ainsi plus fidèlement la structure du capital tout en
garantissant la représentation des salariés.
Je précise - c'est une nouveauté - que les salariés auront 6 représentants au
conseil d'administration de la compagnie, ce qui correspond à une parité de
sièges avec l'Etat.
Cette représentation s'inscrit - j'insiste sur ce point - dans le respect de
l'accord signé avec les personnels navigants techniques le 29 octobre 1998.
C'est donc un engagement du Gouvernement.
Votre rapporteur, M. Jean-François Le Grand, dont les compétences en matière
de transport en général et de transport aérien en particulier sont bien
connues,...
M. Jean-Pierre Plancade.
Eh, oui !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
... propose,
dans son rapport, d'adopter conforme le projet de loi issu de l'Assemblée
nationale. Cela permettait ainsi la promulgation de cette loi dans le courant
du mois prochain.
Cependant, à la suite d'un amendement parlementaire, la commission a modifié
sa position. Je vous le dis très sincèrement, il serait dommageable pour
l'entreprise que l'entrée en vigueur de la loi soit reportée de presque un an,
du fait des navettes parlementaires.
Dans ce domaine comme dans d'autres, je crois qu'il faut savoir dépasser
certaines querelles et toute position qui pourrait s'apparenter à du
dogmatisme. L'intérêt général, l'esprit de responsabilité et tout simplement la
raison doivent l'emporter.
Aussi, je souhaite que vous adoptiez ce projet de loi qui, comme vous le
savez, est très attendu par toutes celles et tous ceux qui souhaitent le
développement d'Air France.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un an après
l'ouverture du capital d'Air France, il nous est proposé, avec le présent
projet de loi, d'en tirer les conséquences juridiques. Autrement dit, le
Gouvernement souhaite adapter le statut d'Air France, défini par le code de
l'aviation civile, à la nouvelle composition de son capital.
Avant d'aborder ces dispositions, je dirai quelques mots sur le contexte.
Comme vous le savez, le marché du transport aérien a connu, depuis une dizaine
d'années, une libéralisation accélérée et sans précédent. Aujourd'hui, c'est un
marché largement concurrentiel.
Je ne reviendrai pas sur les différentes étapes de cette libéralisation, ni
sur l'adoption du deuxième paquet, entre 1990 et 1992, qui a apporté la
cinquième liberté, c'est-à-dire le libre accès aux liaisons aériennes entre
chaque Etat.
Confrontée à ce nouvel environnement, la compagnie Air France a dû
entreprendre une restructuration qui était d'autant plus importante que, il
faut le dire, elle y était mal préparée.
Tout d'abord, Air France avait été habituée à une situation de quasi-monopole.
Victime de choix stratégiques contestables, elle avait accusé, dans les
premières années de la libéralisation du marché, d'importantes pertes de parts
de marché, qui se sont d'ailleurs très vite traduites par des pertes
financières considérables. Ainsi, en 1994, ces dernières s'élevaient à environ
14 milliards de francs. C'est dire si, aujourd'hui, nous revenons de loin !
Depuis, Air France n'a pu se redresser qu'avec le soutien de l'Etat, qui - il
faut le souligner - a procédé, en 1994, à une recapitalisation de 20 milliards
de francs. Vous l'avez rappelé tout à l'heure à la tribune, monsieur le
ministre, ce sont 20 milliards de francs que l'Etat a apportés, mais
permettez-moi d'être un peu plus précis que vous ne l'avez été. En fait, ce
sont les contribuables qui les ont apportés, à cette occasion, pour redresser
les erreurs stratégiques et permettre à la compagnie de remédier aux
différentes défaillances de son actionnaire principal.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
On le dit en termes pudiques, vous le constatez !
Cette recapitalisation n'a été autorisée par la Commission européenne - vous
l'avez aussi rappelé - que sous réserve de la mise en place d'un plan de
redressement financier et commercial sévère, qui commence aujourd'hui à porter
ses fruits.
Le redressement est, il faut le dire, spectaculaire. L'exercice comptable de
1999 s'est clos, pour la quatrième année consécutive, sur un résultat
d'exploitation positif. En 1998, Air France a conquis le troisième rang
européen derrière British Airways et Lufthansa. Les actions structurelles mises
en oeuvre par Air France depuis 1994 lui ont permis de renouer avec les
profits.
Cette politique s'est développée autour de cinq axes que je ne détaillerai
pas, puisque, lors des débats budgétaires ou de l'examen de textes relatifs aux
transports aériens, nous avons examiné chacun d'eux. Je les rappellerai
simplement pour mémoire : la restructuration du réseau d'Air France, le
développement du
hub
à Roissy, la mise en oeuvre du système de
tarification des sièges dit de
yield management
- nous ne pouvons que
nous réjouir du fait qu'Air France ait utilisé cette technique, même si elle
l'a fait longtemps après d'autres compagnies étrangères -, la conclusion d'une
alliance globale avec Delta Airlines et l'adoption d'un plan d'économies de
plus de 3 milliards de francs.
A cet instant, compte tenu de la qualité et de la nature du redressement, nous
ne pouvons que féliciter à la fois la direction et les salariés de la compagnie
pour leurs performances.
Ce redressement est également la conséquence de l'ouverture du capital d'Air
France. Comme vous le savez, la réduction des coûts salariaux des pilotes n'a
été possible que grâce à la cession de 12 % du capital à ceux qui ont consenti,
au terme de l'opération « salaires contre actions », à des réductions de
salaire. Il n'est point besoin de revenir sur les circonstances. C'était, comme
vous l'avez dit, monsieur le ministre, l'époque de la Coupe du monde de
football...
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Juste avant !
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
C'est exact. Cela a peut-être permis d'accélérer la
conclusion de l'accord. On peut toujours imaginer, même si ce n'est pas écrit
dans les textes, que ceci n'était pas étranger à cela...
Ainsi, 12 % du capital ont été cédés. Aujourd'hui, plus de 72 % des salariés
d'Air France détiennent des actions de leur compagnie. Air France est ainsi
devenue l'entreprise française cotée ayant l'actionnariat salarié le plus
important. Parallèlement, les investisseurs privés ont acquis plus de 30 % du
capital d'Air France. Les institutionnels comme les nombreux particuliers qui
ont misé sur Air France n'ont pas aujourd'hui à le regretter.
Monsieur le ministre, nous aurions préféré la privatisation au lieu de cette
respiration du capital. Nous aurions préféré le grand air ; ce fut un vent
modéré. Nous attendions un vol long-courrier ; ce fut du moyen-courrier, l'Etat
étant resté actionnaire majoritaire de la société. Sa part devrait se réduire
d'ici à 2003 à seulement 53 % du capital. Nous ne sommes donc pas très loin
in fine
de la privatisation...
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Mais nous n'y
sommes pas encore !
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
J'y reviendrai dans un instant.
Je me félicite, quant à moi, que le Gouvernement, à l'instigation de son
ministre - je vous rends hommage ; comme vous m'avez cité tout à l'heure, c'est
un juste retour des choses !
(Sourires)
- ait engagé Air France dans
cette voie, bien que ce soit quelquefois un peu curieux. Bien entendu, je vous
invite à aller plus loin et à autoriser Air France à prendre le large. Encore
un petit effort !
Je crois qu'Air France a besoin d'être guidée par un actionnaire capable
d'exercer entièrement les responsabilités d'un gestionnaire d'entreprise. Elle
a besoin d'un actionnaire capable d'accompagner financièrement son
développement et d'assumer sans faiblesse les décisions propres à favoriser son
succès.
Les choix industriels sont biaisés et le dialogue social est faussé dès lors
que les ministres apparaissent comme des recours d'autant plus mobilisables que
pèsent sur eux des pressions électorales et politiques qui peuvent ne pas être
guidées parfois par les seuls intérêts de l'entreprise.
Je constate que les transporteurs aériens à statut public ne sont en Europe
plus que des exceptions. British Airways et Lufthansa sont depuis longtemps
privatisées ; Al Italia et Iberia sont en voie de l'être.
Sans doute m'objecterez-vous les difficultés que connaît British Airways ; on
en entend parler ici et là. Cela étant, comparons ce qui est comparable ! Même
si British Airways connaît quelques fluctuations dans son évolution, sa
privatisation, depuis près de vingt ans, a fait de cette compagnie un leader
européen - situation extrêmement confortable au niveau mondial - placé
largement encore devant Air France.
Air France risque d'être, à la fin de l'année, la seule grande compagnie
européenne encore publique. Il me semble que l'attachement - parfois louable -
du Gouvernement à maintenir l'exception française pourrait s'exercer dans
d'autres domaines que celui-là !
Je suis toutefois reconnaissant à l'actuelle majorité de n'avoir pas remis en
cause la loi du 19 juillet 1993, par laquelle le Parlement a autorisé la
privatisation d'Air France. Il faut vous en donner acte, monsieur le ministre,
vous n'êtes pas revenu sur cette autorisation qui était accordée au
Gouvernement d'aller jusqu'à la privatisation. Il suffirait donc d'un décret.
Mais j'ai cru comprendre qu'un tel décret ne serait pas pris tant que vous
seriez ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Pas d'ici à ce
que je parte !
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
On peut le faire maintenant, et privatiser Air France au
cours de la séance ! Il me semble qu'un jour nous y parviendrons.
Venons-en aux dispositions du projet de loi lui-même.
Pour ne rien vous cacher, monsieur le ministre, je crois, dans un premier
temps, que ces dispositions étaient un peu inutiles. Aucune d'elles, pour ce
qui est des deux premiers articles, en tout cas, ne me paraît strictement
indispensable au bon fonctionnement de l'entreprise.
Il est vrai que l'alignement des dispositions du code de l'aviation civile sur
le droit communautaire était en toute rigueur nécessaire au respect de la
hiérarchie des normes et à la cohérence juridique du texte. Toutefois, chacun
le sait - j'ai été récemment rapporteur d'un texte de loi permettant d'adapter
le droit français au droit européen - les règlements communautaires sont
directement applicables et obligatoires dans tous leurs éléments ; les
dispositions actuelles du code de l'aviation civile qui leur sont contraires ne
pouvaient donc pas être appliquées.
Quant à l'allégement de la tutelle de l'Etat, annoncé assez généreusement dans
l'exposé des motifs, il relève pour une large part d'un toilettage technique de
dispositions qui sont - cela m'ennuie d'autant plus de vous le dire que vous
avez fait, monsieur le ministre, une présentation importante de cette affaire -
soit sans portée réelle, comme la contrainte de l'équilibre financier - qui
exigerait le contraire d'une entreprise ? - soit inappliquées, comme les
dispositions relatives aux conditions d'exercice du transport aérien.
Mes chers collègues, la portée juridique et pratique des deux premiers
articles laisse donc à penser que leur vocation première était d'accompagner
l'article 3, qui modifie la composition du conseil d'administration d'Air
France.
Cette modification tend à tirer les conséquences de l'ouverture du capital
d'Air France opérée en 1999. Elle permet l'introduction de nouveaux
administrateurs représentant les actionnaires privés et le renforcement de la
présence des représentants des salariés actionnaires.
Je constate néanmoins que l'augmentation du nombre d'administrateurs - seule
mesure qui exigeait réellement le recours à la loi, la composition aujourd'hui
relevant du décret - n'était pas elle-même indispensable à cet objectif.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, il était possible d'atteindre cet
objectif sans modifier le nombre global d'administrateurs, c'est-à-dire sans
recourir à la loi. Toutefois, j'ai cru comprendre que cette solution avait été
écartée en raison de la crainte que des personnalités qualifiées, pourtant
nommées par l'Etat, ne manifestent à l'occasion de certains votes une certaine
indépendance, voire une indépendance certaine !
Il m'est donc arrivé de penser que ce projet de loi avait pour objectif ultime
d'asseoir la majorité de l'Etat au sein du conseil d'administration.
Après réflexion, et suite à de nombreuses auditions, il m'a semblé que ce
texte avait cependant une ambition tout autre.
Il permet d'abord de consacrer la participation des salariés actionnaires au
conseil d'administration et à la direction d'Air France. C'est à mon sens un
élément essentiel de motivation du personnel que son implication dans l'avenir
de la société.
Il favorise ensuite l'introduction, pour la première fois depuis sa
nationalisation, de représentants d'investisseurs privés au sein du conseil
d'administration d'Air France. J'y vois là une consécration ou une affirmation
d'un processus qui nous mène plus loin : vers la privatisation, comme je le
disais tout à l'heure.
J'ai noté avec intérêt la volonté du Gouvernement d'assurer l'autonomie de
gestion d'Air France. Je crois que la suppression de la procédure
d'autorisation préalable pour les prises de participation d'Air France lui
permettra d'engager sa parole dans des négociations sans devoir demander, pour
chaque opération, l'approbation des services de l'Etat.
C'était déjà une réflexion que j'avais présentée voilà deux ou trois ans à
l'occasion du vote du budget. J'avais indiqué qu'il était sans doute pénalisant
pour Air France d'avoir systématiquement à recourir à l'autorisation préalable
avant d'engager des pourparlers ici ou là et d'orienter différemment son
activité.
Réjouissons-nous donc de la volonté de desserrer la tutelle de l'Etat sur le
conseil d'administration !
Je partage avec vous, monsieur le ministre, le souci qu'Air France puisse se
battre à armes égales avec ses concurrents. J'ai trop souvent regretté ici, à
cette tribune, le retard pris dans un certain nombre d'alliances ; j'ai trop
souvent regretté ici, à cette tribune, la difficulté pour Air France d'évoluer
dans ce milieu éminemment concurrentiel pour, aujourd'hui, faire la fine bouche
et ne pas dire que ce point nous paraît effectivement tout à fait positif.
Mes chers collègues, parce que ce texte représente une avancée dans la bonne
direction, même s'il est encore insuffisant, parce qu'il constitue une étape
vers la privatisation, la commission ne vous proposera aucune modification.
Nous aurons donc seulement à étudier les amendements déposés par notre collègue
M. Poniatowski,...
M. Ladislas Poniatowski.
Et adoptés en commission !
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
... qui ont reçu un avis favorable de la commission ; j'y
reviendrai dans un instant.
Cette approbation de principe s'accompagne néanmoins de quelques
inquiétudes.
Je regrette notamment que la voie législative empruntée par le Gouvernement
pour modifier le conseil d'administration entraîne l'interruption du mandat
d'administrateurs désignés voilà à peine trois ans. En la matière, la
continuité aurait permis, me semble-t-il, un suivi des dossiers plus propice au
sérieux des travaux. La prorogation de l'actuel conseil d'administration avec
adjonction de membres nouveaux aurait sans aucun doute été préférable.
Cette réforme aura en outre comme conséquence de provoquer de nouvelles
élections syndicales, de sorte que, pour Air France, l'année 2000 sera une
année d'élections, comme l'a été l'année 1999. Ce climat permanent de campagne
électorale me semble être de nature à raviver les tensions entre les
différentes catégories de personnels. De ce point de vue, on aurait pu
attendre, de la part du Gouvernement, une attitude plus attentive à la cohésion
sociale dans l'entreprise.
Certaines dispositions du projet de loi ont notamment soulevé les inquiétudes
de certaines catégories de salariés. Ainsi, les dispositions permettant de
prévoir les élections au sein de deux sections de l'assemblée générale
composées respectivement du personnel navigant technique actionnaire et des
autres salariés traduisent, je le sais, des accords passés par la direction
avec les pilotes. Elles ont néanmoins l'inconvénient de raviver le clivage
entre les PNT et les autres salariés, qui ont déjà assez mal perçu leur faible
représentation au sein du comité d'audit et de stratégie.
Il est vrai, monsieur le ministre, que le fait que certains des salariés aient
pu bénéficier, en échange de diminutions de salaire, d'actions de l'entreprise
qui leur ont été, en quelque sorte, offertes, alors que d'autres ont dû
acquérir les leurs au prix normal, c'est-à-dire au prix coûtant, a créé une
différence notable dans la relation à l'intérieur même de l'entreprise.
Monsieur le ministre - faut-il le dire ? - les salariés sont la force de cette
entreprise : leur cohésion est un facteur du redressement d'Air France.
Mes chers collègues, en dépit des quelques inquiétudes dont je vous ai fait
part, la commission des affaires économiques vous propose d'approuver les
dispositions du projet de loi ainsi amendé, qui, bien que de portée limitée,
engagent un peu plus, et c'est bien, Air France dans la voie de la
privatisation.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'avais
pas l'intention de voter ce projet de loi relatif à l'élargissement du conseil
d'administration d'Air France en l'état. Mais s'il est modifié dans le sens des
amendements que j'ai déposés et que la commission a approuvés, mon groupe le
votera. S'il n'est pas modifié en ce sens, nous ne le voterons pas.
Nous faisons l'objet, je le sais, d'une forte pression pour qu'il soit adopté
conforme, « afin de ne pas prendre de retard », avez-vous dit, monsieur le
ministre. Mais vous avez attendu presque un an et demi pour le présenter ; on
peut bien attendre quelques semaines de plus pour une navette qui ne durera pas
un an, monsieur le ministre !
Mme Hélène Luc.
Vous faites du zèle par rapport à vos amis de l'Assemblée nationale !
M. Ladislas Poniatowski.
Ce texte, mes chers collègues, contrairement à ce qui a été dit, est loin
d'être anodin. Il est, en effet, l'aboutissement de deux événements importants
qui ont eu lieu en 1998, événements que vous avez rappelés, monsieur le
rapporteur, et auxquels vous avez également fait allusion, monsieur le
ministre.
Le premier de ces événements, c'est la grève des pilotes d'Air France
intervenue lors de la Coupe du monde de football, en juin 1998.
Le second événement, c'est l'ouverture du capital d'Air France, décidée en
novembre 1998 et qui a pris effet en février 1999.
Je souhaite revenir sur ces deux événements et tenter de vous convaincre, mes
chers collègues, de nous suivre en acceptant la modification sur laquelle la
commission a donné un avis favorable ce matin.
Les pilotes d'Air France ont deux particularités. Première particularité : ce
sont les pilotes les mieux payés au monde. Je m'en réjouis pour eux, bien sûr,
mais cela coûte très cher à l'entreprise, au point de la handicaper par rapport
à ses concurrents. Il faut savoir que, en termes de rémunération, les pilotes
d'Air France coûtent 40 % de plus que ceux de la Lufthansa et 20 % de plus que
ceux de British Airways.
Seconde particularité : lorsqu'ils font grève, c'est systématiquement à la
veille de départs en vacances ou de week-ends fériés prolongés, voire à la
veille de grands événements, comme ce fut le cas lors du Mondial. Cela leur
réussit parfaitement, d'ailleurs, puisqu'ils obtiennent assez facilement des
avantages. La preuve : ce sont, je le répète, les pilotes les mieux payés au
monde ! La veille du Mondial, monsieur le ministre, ils ont fait fort, ils ont
même fait trop fort ! En annonçant qu'ils ne transporteraient pas les centaines
de milliers de spectateurs venus du monde entier pour assister aux différents
matches organisés à travers notre pays, ils remettaient en cause tout le
championnat du monde, avec ses intérêts économiques et financiers, en matière
de télédiffusion notamment, intérêts que nous connaissons bien, les uns et les
autres. La menace était telle que le Gouvernement, notamment vous-même,
monsieur le ministre, était prêt à tout céder. Et il a tout cédé !
Jamais, dans aucune négociation sociale, les revendicateurs n'ont à ce point
obtenu tout ce qu'ils réclamaient. Cette négociation, et je pèse mes mots,
monsieur le ministre, je considère qu'elle a été honteuse, vous allez voir
pourquoi.
Vous avez tout accordé, à qui ? A une toute petite minorité de salariés - 3
600 - les mieux payés de l'entreprise, alors que rien n'a été donné aux 45 000
autres salariés ! Je vous rappelle, au passage, que les dix jours de grève ont
coûté cher à Air France, qui a perdu au total 1,8 milliard de francs de
recettes pendant que ses avions étaient cloués au sol. Elle a coûté cher aussi
aux pilotes en terme d'image dans l'opinion publique. Non seulement ils ont été
perçus plus que jamais comme des privilégiés mais aussi comme des êtres peu
responsables, dans la mesure où la paralysie de la compagnie a profité surtout
à ses concurrents.
Monsieur le ministre, vous n'avez peut-être pas participé directement aux
discussions entre la direction d'Air France et les syndicats de pilotes, mais
vous étiez à la tête de la cellule de suivi qui a été mise en place dans votre
ministère...
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
C'est vrai.
M. Ladislas Poniatowski.
... comprenant des représentants du ministère des transports, du ministère de
l'économie et des finances et même de Matignon puisque M. Schramek, directeur
de cabinet de M. Jospin, fut particulièrement présent dans les derniers
jours.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Ça c'est faux
!
M. Ladislas Poniatowski.
Cette cellule représentait l'Etat actionnaire, ce qui est normal puisque
certains éléments de la négociations concernaient précisément l'Etat
actionnaire. C'est bien vous qui avez donné le feu vert pour le point fort de
l'accord auquel vous faisiez allusion, monsieur le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Ça c'est vrai
!
M. Ladislas Poniatowski.
En échange d'un gel des salaires pendant sept ans, les pilotes ont obtenu un
sacré cadeau en actions, un cadeau tel qu'on n'en avait jamais vu auparavant
dans toute l'histoire de la participation dans notre pays.
Les négociations sur ce que l'on appelle « l'échange salaire-actions » n'ont
en fait abouti que plus tard puisqu'elle ont redémarré après les vacances,
entre septembre et octobre. L'objectif visé était très bon puisqu'il s'agissait
d'obtenir une économie sur la masse salariale des pilotes afin de diminuer les
coûts d'exploitation et de favoriser corrélativement l'ouverture du capital de
la compagnie en valorisant les actions émises.
La cession d'actions aux salariés en échange d'une réduction de salaire - qui
dit gel sur plusieurs années dit réduction de salaire - est un procédé qui
n'était pas nouveau. Il avait déjà été mis en application peu de temps
auparavant dans d'autres pays. C'est ainsi qu'aux Etats-Unis les salariés de
United Airlines possèdent 51 % du capital de l'entreprise et ceux de Northwest
37 % du capital. Mais, dans l'une comme dans l'autre entreprise, le dispositif
n'a pas été réservé à 3 600 salariés. Dans les deux cas de figure, le capital a
été ouvert à tous les salariés.
C'est pour cette raison que j'ai qualifié votre négociation de « honteuse »,
monsieur le ministre, car elle a créé un nouveau type de participation : la
participation réservée aux privilégiés.
M. Michel Pelchat.
A deux vitesses !
M. Ladislas Poniatowski.
Oui, tout à fait !
Je suis un chaud partisan de la participation, mais de la participation telle
qu'elle avait été initiée par le général de Gaulle, c'est-à-dire d'une
participation pour tous. Le gouvernement de M. Jospin restera, dans l'histoire
sociale de la France, comme étant celui qui aura donné, je dis bien donné -
vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, et vous avez raison - 7 % du
capital aux salariés les plus favorisés d'Air France et qui aura vendu 4,5 % du
capital aux 45 000 autres salariés d'Air France au prix du marché, même s'ils
ont bénéficié d'un petit avantage fiscal au passage, ce qui est exact.
M. Joël Bourdin.
C'est la lutte des classes !
(Sourires.)
M. Michel Pelchat.
Ce sont des marxistes !
M. Ladislas Poniatowski.
Je souhaite vous indiquer que cette première injustice de traitement entre les
pilotes et les autres salariés s'est doublée d'une seconde injustice entre les
pilotes en exercice à la date de la signature de l'accord et les nouveaux
pilotes embauchés depuis.
Au rythme d'environ deux cents nouveaux pilotes par an - d'ici à cinq ou dix
ans, vous voyez combien cela fera - ils seront suffisamment puissants pour
bloquer à leur tour la compagnie et obtenir un cadeau similaire en capital.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Vous encouragez
les grèves !
M. Ladislas Poniatowski.
De cet accord, la direction escompte retirer une économie estimée à environ
235 millions de francs par an de la masse salariale...
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Un peu plus !
M. Ladislas Poniatowski.
Par an.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Un peu plus !
M. Ladislas Poniatowski.
La direction donne cette estimation, mais vous connaissez mieux que moi la
situation de la masse salariale de l'entreprise, monsieur le ministre.
En échange, le cadeau accordé aux pilotes n'a pas été négligeable puisque la
cession gratuite d'actions représente un cadeau de 1,4 milliard de francs,
valeur février 1999, c'est-à-dire le jour de la mise sur le marché du capital
d'Air France.
Le texte que nous examinons aujourd'hui n'est que la cerise sur le gâteau par
rapport à ce cadeau puisqu'il s'agit d'accorder une place supplémentaire au
conseil d'administration d'Air France.
Je voudrais m'arrêter maintenant sur le second événement qui a manqué Air
France en 1998 : la décision d'ouverture de son capital, qui s'est achevée par
une entrée en bourse réussie le lundi 22 février 1999.
Ce fut une entrée en bourse très réussie puisque, finalement, 2,4 millions
d'actionnaires individuels - vous aviez raison de le dire tout à l'heure,
monsieur le ministre - ont souscrit à l'ouverture du capital pour un prix de 14
euros, soit à peu près 91 francs par titre. La demande avait été telle que,
pour la satisfaire « en partie », le nombre d'actions offertes aux particuliers
avait été augmenté au détriment des investisseurs institutionnels. Bercy, et
c'est un bien, avait tenu à donner une priorité absolue aux petits
actionnaires. Les ordres ayant fait l'objet d'une réservation inférieure à dix
actions ont été servis et tous ceux qui avait demandé plus n'ont reçu que dix
actions. Cela montre le succès de cet appel à l'actionnariat populaire, et je
m'en réjouis.
Les investisseurs institutionnels français et internationaux, qui s'étaient
bousculés, avaient en définitive reçu un nombre d'actions à peine plus
important que les particuliers - 23,6 millions d'actions contre 21,9 millions
d'actions.
Monsieur le ministre, vous aviez raison de rappeler que le cumul des
réservations de titres des investisseurs particuliers et institutionnels
s'élevait à près de cent milliards de francs, pour une offre portant sur
seulement quatre milliards de francs.
Les pilotes ont bien sûr largement profité de ce bon accueil. Ils ont profité
de ce qui s'est passé depuis car l'action a augmenté en un an de près de 11 %.
Cela signifie que le cadeau qui représentait très précisément 1,45 milliard de
francs à l'époque représente aujourd'hui 1,64 milliard de francs. Ainsi, près
de 85 % des pilotes ont accepté l'offre d'échange « salaire-actions ».
Quant à l'immense majorité des salariés d'Air France qui ont eu le droit
d'acheter des actions de leur entreprise, ils ont bénéficié d'un avantage
important par rapport aux autres citoyens français : chacun a eu le droit
d'acheter plus de dix actions. Je pense que c'est une excellente chose, car il
me paraît très intéressant que des salariés puissent détenir une partie du
capital de leur entreprise. C'est ainsi que les salariés d'Air France autres
que les pilotes sont aujourd'hui propriétaires de 4,4 % du capital de
l'entreprise.
La répartition du capital d'Air France est actuellement la suivante : 11,5 %
aux salariés de l'entreprise, notamment les pilotes ; 31,7 % aux investisseurs
particuliers - les 2 400 000 petits porteurs - et institutionnels ; enfin, 56,8
% à l'Etat, étant entendu que la part de l'Etat ne sera plus que de 53 % en
mars 2003.
Le texte que nous examinons aujourd'hui tend à augmenter le nombre de sièges
au conseil d'administration d'Air France afin de tenir compte de cette nouvelle
répartition. Cependant, nous ne sommes amenés à nous prononcer que sur le
nombre : c'est ensuite vous, monsieur le ministre, qui déciderez de la
répartition, par voie d'arrêté.
J'ai eu la curiosité de lire le projet d'arrêté. Il y est précisé que l'Etat
conservera onze représentants, soit des fonctionnaires, soit des personnalités.
Conformément à la loi de 1983 sur le secteur public, les salariés garderont six
sièges ; je signale au passage qu'un des sièges est réservé aux pilotes. Les
actionnaires autres que l'Etat et les salariés, qui n'avaient aucun siège, en
obtiendront deux. Monsieur le ministre, vous avez raison : c'est un premier
pas. Il reste que, à Air France, la détention de 32 % du capital donne droit à
moins de 10 % des sièges, et je considère qu'il y a là une anomalie : d'où ma
proposition.
Ma proposition vous donne d'ailleurs une marge de manoeuvre plus importante,
monsieur le ministre. En portant non à vingt et un mais à vingt-trois le nombre
de membres du conseil d'administration, je ne cherche pas à me substituer à
vous pour déterminer à qui il faut attribuer les deux sièges supplémentaires.
Cependant, dans mon esprit, il s'agit évidemment de faire en sorte que ceux qui
sont mal représentés au conseil d'administration le soient mieux. Selon moi, il
conviendrait donc d'attribuer un des deux sièges supplémentaires aux
actionnaires autres que les salariés et l'Etat.
En revanche, vous serez certainement obligé, monsieur le ministre, de réserver
le second à l'Etat. En effet, en tant que représentant de la nation, je
souhaite que l'Etat qui est majoritaire dans le capital le soit également au
sein du conseil d'administration. Mais l'amendement qui a été approuvé ce matin
en commission vous permet de réparer une injustice.
Les grands défis auxquels devra faire face Air France au cours des dix
prochaines années sont ceux que doivent relever toutes les grandes compagnies
mondiales. Les quarante premières compagnies aériennes, même si certaines sont
« plus publiques » et d'autres « plus privées », ont d'ailleurs des statuts
assez semblables à celui d'Air France.
Il faut savoir que, dans le transport aérien, les fusions et les OPA sont
interdites. Sur tous les continents, les compagnies dépendent du domaine
souverain des Etats. Même aux Etats-Unis, la loi interdit à un investisseur
étranger de posséder plus de 25 % d'un transporteur aérien local. En Europe,
les Etats ouvrent plus ou moins le capital de « leur » compagnie nationale,
mais tous tiennent
mordicus
à ce que 51 % du capital restent au moins
entre les mains d'investisseurs nationaux. Ces règles, qui tendent à protéger
le secteur très particulier qu'est le transport aérien, doivent être
maintenues.
Pour faire face à ces défis qui attendent les compagnies, celles-ci prennent
des décisions comparables. En particulier, un peu partout, elles concluent des
alliances. La plus importante est la fameuse
star alliance,
qui regroupe
United Airlines, Lufthansa, Singapore Airlines, Air Canada et Varig. Mais il y
a aussi la « petite alliance », celle qui unit Air France, Delta Airlines et
Aero Mexico.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Et ce n'est pas
fini !
M. Ladislas Poniatowski.
Quel est l'objectif de ces alliances ?
Il s'agit peut-être de contourner l'obstacle des fusions interdites, et
pourtant indispensables dans d'autres secteurs économiques, comme on le
constate.
Il s'agit sans doute de répondre à des impératifs économiques : mieux négocier
les achats d'avions ou de carburant, éviter les doublons de gestion.
Il s'agit surtout de proposer un catalogue de vols et de services plus
complets à la clientèle. Aujourd'hui, cela s'accompagne de baisses des tarifs.
J'espère que ce sera encore le cas dans l'avenir mais je suis un peu plus
sceptique sur ce point.
Les règles qui régissent ces géants du ciel sont les mêmes pour tous. Elles
sont du domaine de l'économie de marché. Notre compagnie nationale a tourné le
dos à ses difficultés des années quatre-vingt-dix ; M. le rapporteur, avec
raison, a insisté sur ce point. Elle a su se désengluer des conflits sociaux à
répétition. Elle a accompli d'énormes efforts pour appliquer les règles de
management du transport aérien moderne, tout simplement en imitant les
autres.
Il ne faut pas retomber dans les mauvaises habitudes, qui risquent d'alourdir
le climat social dans l'entreprise. N'oublions pas que les progrès de
productivité ont été réalisés par l'ensemble du personnel et non pas seulement
par une catégorie. Vous le savez, monsieur le ministre, car vous êtes bien
informé, les autres catégories de personnel ont profondément le sentiment que
les pilotes bénéficient d'avantages, voire de privilèges.
Nous vous donnons l'occasion d'atténuer cette injustice, comme d'autres, et
j'espère que vous la saisirez.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien qu'il
comporte un nombre limité d'articles, le projet de loi relatif à
l'élargissement du conseil d'administration de la société Air France et aux
relations de cette société avec l'Etat, et portant modification du code de
l'aviation civile, n'en constitue pas moins un texte important puisqu'il vient
conclure, sur le plan législatif, une série de mesures qui ont permis à la
compagnie nationale non seulement de se redresser mais aussi de s'adapter avec
succès à son nouvel environnement : secteur fortement concurrentiel,
constitution d'un espace aérien communautaire.
La compagnie Air France a connu bien des vicissitudes depuis sa création en
1933 : sa nationalisation en 1945 ; la fusion-absorption d'UTA, en 1992, dont
nous subissons encore quelques séquelles, notamment en matière d'indemnisation
des salariés, et, sur ce point, monsieur le ministre, nous espérons qu'un
accord amiable interviendra rapidement ; en 1994, la constitution d'une société
holding, Groupe Air France SA, avec Air Inter ; en 1998, la transformation de
la compagnie nationale Air France en société Air France, l'Etat étant alors
autorisé à céder gratuitement, dans la limite de 12 % du capital, des actions
Air France aux salariés ; enfin, en 1999, la société est cotée en bourse.
Je rappelle qu'en 1994 l'Etat a décidé de recapitaliser Air France pour un peu
plus de 20 milliards de francs : c'était le prix à payer pour la survie de
cette société. La Commission européenne a donné son accord sur cette
participation supplémentaire de l'Etat français en contrepartie de mesures
garantissant le fait que cet argent ne pourrait pas être utilisé pour modifier
les règles égalitaires de la concurrence.
C'est pourquoi Air France a dû prendre toute une série de mesures -
administratives, juridiques, financières - depuis cette date, qui font
qu'aujourd'hui elle est devenue une entreprise nouvelle, une entreprise
publique exemplaire, socialement et économiquement.
Cette entreprise a vocation à demeurer dans le secteur public précisément
parce que un peu plus de 20 milliards de francs ont été injectés dans le
capital. Cela justifie pleinement que l'Etat reste actionnaire majoritaire.
D'ailleurs, comme le disait tout à l'heure notre excellent collègue M. Le
Grand, il s'agit de l'argent des contribuables.
La participation de l'Etat a cependant été ramenée à 57 % aujourd'hui, tandis
que 12 % des actions sont détenus par les salariés et 31 % par divers
actionnaires, dont la BNP.
Le caractère public de cette entreprise ne lui interdit d'ailleurs pas d'être
cotée en bourse et il ne freine pas son développement national ou
international.
Sur le plan social, l'accord du 29 octobre 1998 a concrétisé l'opération
d'échange « salaire contre actions ». Près de 79 % des pilotes d'Air France ont
accepté de réduire leur salaire et ont reçu en échange 1,4 milliard d'actions.
Et M. Poniatowski pense qu'il s'agit là d'une injustice ! Le personnel au sol
et le personnel navigant, en dehors des pilotes, détiennent, quant à eux, 6 %
du capital. Ils les ont obtenus à des conditions différentes, monsieur
Poniatowski, de celles qui concernent les pilotes puisque ceux-ci ont accepté
une baisse de salaire. En tenant compte des retraités, Air France est ainsi
devenue l'entreprise française dont l'actionnariat salarié est le plus
important.
L'ouverture du capital à d'autres actionnaires a aussi été un succès puisque
des titres ont été achetés par 2 400 000 particuliers et que la demande des
investisseurs institutionnels est quarante fois supérieure à l'offre. Sans
doute ont-ils également estimé qu'il y avait là une injustice !
Ces constats tendraient à prouver qu'Air France est entrée avec vigueur sur le
marché et que, bien que publique, elle est donc considérée par le monde
économique comme une entreprise performante. C'est bien la preuve, comme avec
France Télécom et Thomson, que le statut d'entreprise du secteur public n'est
pas contradictoire avec la performance économique.
M. Marcel Charmant.
Très bien !
M. Jean-Pierre Plancade.
Sur le plan économique, après une longue période difficile et après la mise en
place du plan de redressement, Air France a renoué voilà maintenant cinq ans
avec les bénéfices.
Non seulement elle bénéficie d'une progression de son chiffre d'affaires et de
son résultat net d'exploitation, mais de surcroît 3 500 emplois ont été créés
depuis 1997 et vous nous avez annoncé, monsieur le ministre, qu'elle espérait
en créer plus de 6 000 dans les toutes prochaines années.
La société Air France est donc une belle entreprise publique qui n'a plus rien
à voir avec celle qui a été créée en 1948 et elle doit continuer à se
développer. C'est la raison pour laquelle nous devons encore moderniser ses
structures.
Tel est aussi le sens du projet de loi qui nous est soumis.
L'article 1er allège la tutelle de l'Etat sur Air France. Les conditions
d'exploitation ne sont plus fixées par le ministre des transports et
l'autorisation préalable de la tutelle n'est plus requise. Cet article conforte
ainsi l'autonomie de gestion d'Air France, tant demandée dans cette assemblée.
Désormais l'Etat ne pourra exercer son rôle que par ses seuls représentants au
conseil d'administration.
L'article 2 supprime l'obligation d'équilibre financier et prend en compte les
obligations de service public auxquelles doit se soumettre Air France.
L'article 3 supprime tout d'abord une disposition contraire aux règles
communautaires proscrivant les aides d'Etat.
Ensuite, il fixe la composition du conseil d'administration et porte le nombre
de ses membres de dix-huit à vingt et un, comme l'autorise la loi de 1983 sur
la démocratisation du secteur public. Le conseil d'administration comptera donc
six représentants de l'Etat, cinq personnalités qualifiées, deux représentants
des salariés actionnaires, six représentants des salariés, comme actuellement,
et deux représentants des actionnaires autres que les salariés et l'Etat.
Nous estimons souhaitable que l'ensemble des salariés, y compris ceux qui ne
font pas partie du personnel navigant technique, puissent participer activement
au conseil d'administration.
Nous regrettons par ailleurs que les usagers ne soient plus représentés au
conseil d'administration de cette société. J'aimerais, monsieur le ministre,
que vous m'indiquiez comment Air France compte assurer le dialogue avec ses
clients, qui ont, eux aussi, je peux vous l'assurer, des choses à dire...
Je souhaiterais aborder également deux sujets qui ne sont pas liés directement
au projet de loi, mais qui concernent le transport aérien et Air France.
Le développement d'Air France ne pourra se poursuivre que si cette compagnie,
tout comme les autres, prend en compte l'exigence environnementale, non
seulement en remplaçant les avions les plus bruyants, mais aussi en donnant des
consignes à ses pilotes, notamment à l'occasion des atterrissages.
Je suis de ceux qui pensent que les compagnies aériennes ne pourront plus
envisager une expansion commerciale sans contribuer au développement durable
des territoires concernés, notamment par la réduction du bruit aux abords des
plates-formes aéroportuaires.
A ce propos, la proposition de notre collègue le député Jean-Pierre Blazy, qui
souhaite que les compagnies acquittent une taxe de trois francs par passager et
de un franc par tonne de fret pour alimenter des fonds de compensation contre
les nuisances sonores, permettant aux collectivités riveraines des grands
aéroports de mener une politique de protection environnementale au bénéfice des
populations, me paraît tout à fait intéressante.
La préoccupation environnementale est extrêmement importante, car elle
conditionne réellement l'avenir du transport aérien.
Enfin, je voudrais attirer votre attention sur l'inquiétude - mais je sais
qu'elle ne vous a pas échappé - des pilotes à la suite de la décision d'Air
France et de La Poste de mettre un terme à leur collaboration dans le cadre de
l'aéropostale. Connaissez-vous les raisons de ce choix et savez-vous quel est
l'avenir des pilotes de l'aéropostale ?
En conclusion, le projet de loi qui nous est soumis procède à un toilettage du
code de l'aviation civile ; il permet d'élargir le conseil d'administration aux
salariés actionnaires et aux autres ; il donne une autonomie et une liberté de
gestion à cette entreprise qui doivent lui permettre d'affronter la
concurrence, très dure à l'échelon international, de s'adapter et de préserver
son avenir.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, le groupe socialiste votera ce projet de
loi sans état d'âme et en l'état !
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 13
décembre 1990, le Sénat a décidé la création d'une commission de contrôle,
présidée par M. Cartigny, chargée d'examiner la gestion administrative,
financière et technique de l'entreprise nationale Air France.
A l'époque, la crise du Golfe, la concurrence imposée par Bruxelles, la
fermeture brutale par l'entreprise nationale de nombreuses lignes
internationales au départ de grandes villes de province, sans concertation avec
les élus et les responsables économiques locaux, justifiaient, en effet, une
réaction de notre assemblée.
La commission de contrôle fut donc décidée sur les fondements suivants :
comprendre, analyser et, si possible, apporter une aide à l'entreprise
nationale. A la suite de nombreuses auditions et d'une réflexion approfondie,
nous avions notamment conclu que la privatisation ne réduisait pas et ne
modifiait pas automatiquement l'intérêt national porté aux services aériens.
Malgré le mouvement constaté partout vers la privatisation, nous constations,
déjà, qu'il était plus facile d'introduire des capitaux étrangers dans une
compagnie privée que dans une société d'Etat.
Aujourd'hui, plus de dix années plus tard, force est de constater que
l'adaptation de la compagnie Air France à un environnement de plus en plus
concurrentiel passe toujours par sa privatisation.
Or l'ouverture du capital d'Air France a été préférée à la privatisation par
le Gouvernement qui est contraint, par le biais de ce projet de loi, d'apporter
les adaptations nécessaires à cette timide ouverture de capital.
Alors que M. Edouard Balladur puis M. Alain Juppé, Premiers ministres,
considéraient le retour dans le secteur privé du secteur public aérien comme
l'un des éléments clés de leur politique économique, vous avez affirmé à de
nombreuses reprises, monsieur le ministre, que vous ne souhaitiez ni
privatisation ni
statu quo.
Cela n'a pas empêché le Gouvernement auquel vous appartenez d'achever, en deux
ans, l'adaptation juridique de certaines entreprises publiques au secteur
concurrentiel. Ainsi, du « ni-ni », le Gouvernement, avec la bienveillance du
membre éminent du parti communiste que vous êtes, monsieur le ministre
(Exclamations sur les travées socialistes)...
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Et fier de
l'être !
M. Serge Vinçon.
... est rapidement passé à une politique plus pragmatique, autorisant la
privatisation d'entreprises comme le GAN-CIC et Thomson CSF, ou des cotations
en bourse comme pour France Télécom, ou encore la libéralisation pure et simple
du plan entier d'un secteur public comme celui de l'électricité avec la mise en
concurrence de l'opérateur historique Electricité de France.
Dans le cas particulier de la compagnie Air France, la privatisation devait
répondre à un engagement du gouvernement français pris devant la Commission de
Bruxelles en 1994 comme condition de la recapitalisation du groupe à hauteur de
20 milliards de francs. A ce titre, je me permets d'ailleurs de rappeler que
cet engagement a été validé par le Parlement. En effet, lors de l'adoption de
la loi de privatisation du 19 juillet 1993, celui-ci a fait figurer Air France
parmi la liste des sociétés privatisables par décret.
Signe de votre clairvoyance, monsieur le ministre, cette loi de juillet 1993
n'a pas été abrogée. Mieux encore, le projet de loi que vous nous soumettez
aujourd'hui tente d'intervenir pour apporter les adaptations, sur le plan
institutionnel, nécessaires, comme pour toute entreprise du secteur public qui
évolue dans une environnement concurrentiel.
Cependant, on ne peut qu'être frappé par le contraste entre l'enjeu crucial
que constitue le développement de la compagnie Air France et la modestie de ce
projet de loi.
Aujourd'hui, comme hier, nous sommes confrontés à cette récurrente question :
n'allons-nous pas causer de graves et irrémédiables problèmes à la compagnie en
la maintenant dans la position exceptionnelle, quasi unique dans le monde
d'entreprise publique ?
Même si cette entreprise a effectué un redressement spectaculaire, grâce à
l'action de son actuel président, M. Jean-Cyril Spinetta, mais aussi grâce à
l'action de son prédécesseur, M. Christian Blanc, qui a obtenu, en quatre ans,
des résultats remarquables à la tête de la compagnie nationale, les verrous de
l'Etat français n'apportent pas au groupe Air France l'assistance dont il
aurait besoin dans la recherche de ses alliances.
La preuve en est qu'il n'a toujours pas complété ses alliances avec l'Asie et
qu'il n'a pas encore de partenaire européen à part entière.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
On y travaille
!
M. Serge Vinçon.
Avant-hier déjà, souvenons-nous, la compagnie Iberia refusait de développer un
partenariat avec Air France, préférant finalement une solution plus
anglo-américaine. Hier encore, souvenons-nous, le récent accord enfin conclu
avec Delta Airlines ne provoquait pas d'autres nouvelles alliances pourtant
vitales.
Ainsi, la privatisation permettrait définitivement au groupe Air France de
répondre à deux enjeux majeurs, qui sont sa compétitivité face à la concurrence
internationale et son adaptation au nouveau paysage aérien mondial qui se
structure en réseaux d'alliances depuis près de dix ans.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement tourne le dos à ces enjeux essentiels
pour le transport aérien français, nie le transport aérien du futur et
rétrograde Air France dans une époque où l'Etat assurait à la compagnie
nationale une protection bienveillante, en la soutenant financièrement,
réglementairement et politiquement.
Le Gouvernement préfère donc l'ouverture du capital à la privatisation,
renouant ainsi avec le traditionnel pilotage automatique des entreprises
publiques par les gouvernements socialistes. Une fois de plus, la politique du
Gouvernement est motivée exclusivement par des raisons idéologiques.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Mais non !
M. Serge Vinçon.
Vous me répondrez tout à l'heure !
Malgré ce constat et pour conclure, je soutiens, au nom du groupe du
Rassemblement pour la République, la position de notre excellent rapporteur,
qui propose d'adopter ce projet. Comme l'a souligné notre collègue
Jean-François Le Grand, ce texte technique permet en effet une avancée
significative dans la bonne direction, celle de la privatisation du groupe Air
France.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi qu'il revient à notre assemblée d'examiner aujourd'hui comporte deux volets
: d'une part, l'élargissement du conseil d'administration d'Air France et,
d'autre part, le renforcement de l'autonomie de gestion de la société.
Ce texte s'inscrit dans le prolongement de l'ouverture du capital du groupe
Air France, effective depuis février 1999, et sur laquelle, vous le savez,
monsieur le ministre, notre groupe a déjà eu l'occasion d'exprimer ses
réserves, ses craintes, tant pour la situation des personnels que pour les
obligations d'intérêt général auxquelles Air France doit rester fidèle.
Bien évidemment - et les propos tenus par les députés de l'opposition à
l'Assemblée nationale ou ceux qui ont été prononcés dans cette enceinte, en
particulier par le rapporteur M. Jean-François Le Grand n'en font pas mystère -
Air France serait, à ce jour, sans nul doute privatisée à 100 % si les Français
n'avaient pas décidé de changer de majorité en juin 1997.
Mme Hélène Luc.
C'est vrai !
M. Pierre Lefebvre.
Le maintien de la compagnie nationale dans le secteur public tient
probablement aussi, pour une bonne part, à votre présence, monsieur le
ministre, au ministère des transports. Du reste, vos propos, et vous venez de
les confirmer, ont toujours été sans équivoque sur ce point. Il est non
seulement de l'intérêt d'Air France et de ses salariés que l'Etat reste
l'actionnaire majoritaire, mais, n'en déplaise aux prédictions funestes de nos
collègues de la droite sénatoriale, cette situation n'a en rien freiné, bien au
contraire, ni le développement d'Air France sur le plan international ni la
conclusion d'accords commerciaux déterminants pour les perspectives de
croissance de l'entreprise.
A ce jour, Air France, parmi les compagnies européennes, est l'entreprise dont
la situation financière et économique est la plus favorable ; elle dispose, en
outre, d'atouts solides que vous avez soutenus, monsieur le ministre - le
hub
de Roissy-Charles-de-Gaulle n'est pas le moindre - dans un secteur
où la concurrence exacerbée que se livrent les transporteurs fait craindre, à
terme, l'abandon de dessertes vitales pour le désenclavement de certains
territoires, des suppressions de personnels, une détérioration de
l'environnement et une dégradation de la qualité et de la sécurité des
flottes.
Dans ce contexte lourd de dangers, Air France poursuit son redressement : la
dette nette est passée de 14,4 milliards de francs en mars 1999 à 11,7
milliards de francs au 30 septembre de la même année ; la capacité
d'autofinancement est passée de 3,5 milliards à 5 milliards de francs ; le
résultat net du groupe a progressé de 52 % au cours du premier semestre de
l'exercice 1999-2000 ; le trafic passagers a augmenté de 16 % pour un
coefficient de remplissage proche, aujourd'hui, de 80 %.
Ces bons résultats sont, de toute évidence, à mettre à l'actif de l'entreprise
et de tous ses salariés mais aussi, il faut le dire à l'actif du Gouvernement
qui a tout d'abord su créer les conditions d'un climat social plus apaisé au
sein de l'entreprise et qui accepte, enfin, de prendre ses responsabilités
d'actionnaire principal, de propriétaire des infrastructures aéroportuaires et
de garant de la sécurité des passagers et des riverains.
Le redressement d'Air France était inespéré voilà encore cinq ans, à une
époque où d'aucuns ne juraient - comme aujourd'hui d'ailleurs - que par la
privatisation totale comme seule porte de sortie pour la compagnie. Leur mot
d'ordre pouvaient se résumer à ceci : « la privatisation ou la mort ».
Aujourd'hui, Air France n'est pas privatisée et elle est pourtant bien
vivante.
Que dire, en revanche, de British Airways, société privatisée depuis de
nombreuses années et dont le bilan s'avère particulièrement désastreux,...
Mme Hélène Luc.
Eh oui !
M. Robert Bret.
Quelle efficacité !
M. Pierre Lefebvre.
... à tel point, d'ailleurs, qu'elle s'apprête à céder Air Liberté, qui
pourrait revenir à Air France.
Pour autant, on ne peut considérer Air France comme étant à l'abri de
pressions libérales qui s'exercent et qui s'exerceront jusqu'au sein du nouveau
conseil d'administration.
L'effacement de l'Etat-tutelle, que prévoit ce projet de loi, conformément au
règlement communautaire du 23 juillet 1992, et le désengagement progressif de
l'Etat-actionnaire, qui devrait conserver 53 % du capital d'Air France d'ici à
2003, sont autant de facteurs qui offrent des marges de manoeuvre
supplémentaires aux intérêts privés dont les préoccupations ne peuvent que
conduire à privilégier la recherche du profit maximal par rapport à l'intérêt
général et à l'intérêt des salariés.
Dans ce contexte de mixité du capital d'Air France, les salariés-actionnaires
seront-ils les jouets de la Bourse ou, pire, les acteurs de leur propre
exploitation ?
Pour ma part, je suis convaincu, d'une manière générale, que sans l'obtention
de droits nouveaux pour les salariés, sans l'intervention et le contrôle de
ceux-ci sur la gestion de l'entreprise, sans l'expression d'une véritable
démocratie sociale à tous les échelons, l'actionnariat salarié ne serait, en
définitive, rien d'autre que la forme la plus achevée de l'exploitation
capitaliste.
Pire, celle-ci s'exercerait avec le concours inconscient de ses victimes,
c'est-à-dire des salariés eux-mêmes.
Je ne me fais donc aucune illusion sur les pouvoirs nouveaux dont
disposeraient les salariés grâce à leur seule entrée dans le capital.
Parler de droits nouveaux pour les salariés, actionnaires ou non, est, à nos
yeux, essentiel si on ne veut pas s'enfermer dans un débat dont les termes et
les solutions seraient
in fine
le reflet des positions patronales.
Ces réflexions dépassent, j'en conviens, le cadre de ce projet de loi. Pour
autant, nous ne pouvons ignorer les craintes et les interrogations générées par
l'ouverture du capital d'Air France, qui trouve son prolongement et sa
confirmation dans ce texte. Notre groupe avait déjà eu l'occasion d'exprimer
ces réserves au moment de l'examen du projet de loi portant diverses
dispositions d'ordre économique et financier de 1998, dont l'article 51
prévoyait, pour les pilotes en grève, le principe d'une baisse de salaire en
contrepartie de l'acquisition d'actions d'Air France.
Selon nous, il convient, en outre, de veiller à ce que la nouvelle
représentation des différentes catégories de personnels au sein du conseil
d'administration d'Air France ne vienne attiser des divisions qui seraient
stériles et qui mettraient en péril la cohésion et le dialogue qui commencent à
s'instaurer - il faut s'en réjouir - depuis plusieurs mois.
La division des personnels, selon les catégories ou selon leurs statuts, si
elle devait se réveiller et trouver à s'exprimer, y compris à l'intérieur du
conseil d'administration, ne ferait finalement le jeu que de ceux qui aspirent
à démanteler l'entreprise et à obtenir le retrait de la puissance publique dans
ce secteur.
D'ores et déjà, cette tension est permanente entre les intérêts
contradictoires, d'une part, de l'Etat et des salariés, dont les intérêts
convergent vers la satisfaction des besoins des usagers, d'autre part, des
groupes financiers, dont le seul objectif est d'adapter la gestion de
l'entreprise qu'ils contrôlent partiellement en vue d'optimiser le rendement
des actions.
Or l'orientation de la direction d'Air France vers ce que l'on appelle le «
gouvernement d'entreprise » ne revient-elle pas, en réalité, à mettre
l'entreprise sous contrôle de la finance, sous le regard bienveillant mais
impuissant des pouvoirs publics ?
Ce projet de loi, s'il ne vise qu'à une simple mise à jour de la loi pour
tenir compte d'une réalité existante, entérine cette évolution vers l'«
autonomisation » d'Air France, mais sans offrir par ailleurs de garantie
durable sur l'orientation des critères de gestion de la compagnie.
Peut-on se satisfaire d'une situation dans laquelle l'Etat serait seulement
informé
a posteriori
des stratégies d'investissement et de participation
élaborées par la direction, comme c'est déjà le cas aujourd'hui ?
Peut-on se satisfaire d'un conseil d'administration qui ne serait, en
définitive, qu'une chambre d'enregistrement de décisions prises ailleurs ?
Dans ce cas, les droits reconnus aux salariés actionnaires ne seraient que
factices, et ceux-ci n'auraient, dès lors, à attendre de l'achat d'actions que
la seule rente financière hypothétique, sans les pouvoirs supplémentaires
escomptés et annoncés.
En conclusion, monsieur le ministre, tout en prenant en considération les
efforts que vous fournissez pour infléchir le processus de libéralisation du
ciel européen qui prévaut depuis de longues années, les sénateurs du groupe
communiste républicain et citoyen s'interrogent sur un dispositif qui
participe, qu'on le veuille ou non, de cette logique.
A cet égard, face au projet néfaste de la Commission de Bruxelles d'avancer
vers une séparation des fonctions de fournisseurs de services et des fonctions
de contrôle et de régulation pour pousser plus encore la déréglementation du
ciel européen, la France doit, à notre avis, saisir l'occasion de la présidence
du Conseil qu'elle exercera dans trois mois pour proposer un projet alternatif
accordant la priorité aux règles de sécurité d'environnement et favorisant
l'harmonisation des normes sociales au niveau des compagnies européennes.
Aussi, monsieur le ministre, nos réserves sur ce texte n'entament en aucune
matière le soutien que notre groupe apporte à l'action que vous menez depuis
bientôt trois ans à la tête de ce ministère et aux combats que vous aurez
également à mener pour contrecarrer les visées de Bruxelles dans les mois à
venir.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président.
A la demande de M. le ministre, nous allons interrompre nos travaux pendant
quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt
heures.)