Séance du 4 avril 2000
M. le président. « Art. 21 octies . - I. - Le premier alinéa de l'article 231 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« La cour d'assises a plénitude de juridiction pour juger, en premier ressort ou en appel, les personnes renvoyées devant elle par la décision de mise en accusation. »
« II. - L'article 296 du même code est ainsi modifié :
« 1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Le jury de jugement est composé de sept jurés lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et de neuf jurés lorsqu'elle statue en appel. » ;
« 2° Aux deuxième et troisième alinéas, les mots : "des neufs jurés" sont remplacés par les mots : "des jurés de jugement". »
« III. - L'article 298 du même code est ainsi rédigé :
« Art. 298 . - Lorsque la cour d'assises statue en première instance, l'accusé ne peut récuser plus de trois jurés, et le ministère public plus de deux. Lorsqu'elle statue en appel, l'accusé ne peut récuser plus de cinq jurés, le ministère public plus de quatre. »
« IV. - A l'article 359 du même code, les mots : "à la majorité de huit voix au moins" sont remplacés par les mots : "à la majorité de sept voix au moins lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d'assises statue en appel".
« V. - A l'article 360 du même code, les mots : "la majorité de huit voix au moins" sont remplacés par les mots : "la majorité de voix exigée par l'article 359".
« VI. - Dans la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 362 du même code, les mots : "qu'à la majorité de huit voix au moins" sont remplacés par les mots : "qu'à la majorité de sept voix au moins lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et qu'à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d'assises statue en appel". Dans l'avant-dernière phrase de cet alinéa, les mots : "la majorité de huit voix" sont remplacés par les mots : "cette majorité". »
Par amendement n° 50, M. Jolibois, au nom de la commission, propose de supprimer les paragraphes II, III, IV, V et VI de cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Nous abordons là les dispositions qui concernent la cour d'assises.
Le Sénat avait pris l'initiative, sur la suggestion de sa commission des lois, de créer un double degré de juridiction pour les cours d'assises. L'Assemblée nationale, soucieuse de souligner le caractère d'appel de ce deuxième degré de juridiction, a retenu une solution consistant à porter de neuf à sept le nombre de jurés en première instance et à le maintenir à neuf en appel.
La commission des lois du Sénat a estimé au contraire qu'il fallait absolument conserver les neuf jurés quel que soit le degré de juridiction. En effet, si l'on réduit le nombre de jurés, on modifie du même coup le rapport numérique, au sein du jury, entre jurés tirés au sort et magistrats professionnels, ce qui n'est pas anodin.
Pour souligner le caractère d'appel du deuxième degré de juridiction - j'ai même eu recours à un néologisme, pour lequel j'implore le pardon des uns et des autres, en parlant d'« appeliser » le deuxième degré de juridiction - nous proposons que, en appel, la cour d'assises soit obligatoirement présidée par un président de chambre de cour d'appel.
Par ailleurs, en adoptant le système dit de l'« appel tournant » pour créer le deuxième degré de juridiction, nous n'avons pas voulu bouleverser les habitudes des cours d'assises. Leur fonctionnement est fortement ancré dans notre histoire : il remonte à l'époque où l'on a fondé la composition des cours d'assises sur l'échevinage, en plaçant, aux côtés de magistrats professionnels, des jurés pris parmi les simples citoyens.
Nous avons estimé qu'il était plus sage et plus prudent de conserver le même système tout en donnant, en quelque sorte, des galons obligatoires à celui qui sera appelé à présider la cour d'appel d'assises.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il s'agit là évidemment d'un point extrêmement important, et même de l'un des plus importants de ce projet de loi.
Je veux souligner à nouveau, comme je l'avais fait dans mon propos liminaire, que c'est en effet au cours de la première lecture de ce projet de loi au Sénat que le principe de l'appel tournant a été institué pour la cour d'assises. Cette initiative mérite à mon sens d'être saluée.
Je voudrais tout d'abord rappeler la communication en conseil des ministres du 27 octobre 1997, qui, vous le savez, a tracé le panorama de la réforme de la justice que souhaite le Gouvernement. J'y évoquais le principe de l'appel des décisions de cours d'assises.
J'avais demandé à mes services de réfléchir de façon approfondie aux différents scénarios envisageables et à leurs coûts respectifs, parce que j'avais souhaité tirer les leçons des longs débats que vous aviez eus sur la proposition de mon prédécesseur, M. Jacques Toubon, et surtout sur les implications en termes de créations de postes, eu égard à d'autres priorités, que ces scénarios pouvaient induire. J'ai d'ailleurs adressé aux parlementaires intéressés un document de synthèse sur cette question, qui montrait clairement les avantages et les inconvénients, les difficultés et les problèmes qui pouvaient résulter de tel ou tel choix.
Lors de l'examen du projet de loi au Sénat en première lecture, en juin dernier, le texte a été complété par un amendement tendant à instituer le principe du recours circulaire des décisions de cours d'assises. Nous en étions restés là, car j'avais pensé, à l'époque, que notre réflexion n'avait pas encore suffisamment mûri.
Cependant, le texte que vous avez adopté en juin m'a amenée à présenter sept mois plus tard devant l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, des propositions précises sur l'appel tournant, conformément d'ailleurs aux engagements que j'avais pris devant vous.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale vise à engager une réforme tenant compte des enseignements du passé et des choix opérés par le Sénat en juin dernier. L'objectif de cette réforme peut se résumer, de mon point de vue, en une phrase : donner aux personnes condamnées pour crime le droit à une deuxième chance.
Deux interrogations principales demeurent au stade où nous en sommes, que vous avez d'ailleurs rappelées, monsieur le rapporteur : elles portent sur le nombre de jurés et sur la question de l'appel. Il s'agit évidemment ici, à titre principal, de la possibilité d'appel pour le condamné - cela est déjà inscrit dans le projet de loi, sinon il n'y aurait pas de deuxième chance - mais ne faut-il pas aussi prévoir que le parquet puisse interjeter appel, sauf, bien entendu, en cas d'acquittement ? En outre, ne convient-il pas d'ouvrir une possibilité d'appel à la partie civile s'agissant des intérêts civils ?
En ce qui concerne le nombre de jurés, les thèses qui s'affrontent, les uns souhaitant que le nombre des jurés soit identique pour les deux degrés, les autres optant pour un effectif différent, sont à mon avis également soutenables. Je ne doute pas qu'un accord soit possible en commission mixte paritaire sur cette question.
Je m'étendrai plus longuement sur la question plus complexe de l'appel.
Conférer un droit d'appel principal au parquet ou à la partie civile implique que l'appel criminel n'est plus uniquement une deuxième chance pour le condamné, comme j'en avais fait le choix au nom du Gouvernement lorsque j'avais déposé le texte à l'Assemblée nationale, mais qu'il peut également constituer une deuxième chance pour la société. Depuis l'adoption du texte par l'Assemblée nationale, j'ai procédé à de nombreuses consultations et il est vrai que de nombreux magistrats m'ont dit souhaiter un appel principal du parquet, même si, à leurs yeux, un tel appel devrait rester exceptionnel.
Je souhaite là encore qu'un accord puisse être trouvé à ce propos entre les deux assemblées, et je voudrais suggérer une solution qui pourrait être étudiée par la commission mixte paritaire, si le Sénat en était d'accord, et qui aurait précisément pour avantage de permettre d'instaurer le principe de cet appel du parquet tout en faisant en sorte qu'il reste exceptionnel : elle consisterait à réserver la possibilité d'appel principal au seul procureur général.
Telle est l'idée que je soumets à votre réflexion, mesdames, messieurs les sénateurs. En tout état de cause, je m'en remets à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 50, et je souligne naturellement à nouveau l'importance historique, ce qualitatif ne me semble pas exagéré, de la réforme sur laquelle le Sénat va se prononcer. Je me félicite encore une fois que le Sénat en ait pris l'initiative sur le plan des principes et que le travail que nous avons pu accomplir ensemble, ainsi qu'avec l'Assemblée nationale, nous permette de la faire aboutir dans des conditions qui n'avaient pas été réunies à ce degré lors de l'examen du texte de mon prédécesseur, qui cependant a certainement contribué aussi, je tiens à le souligner, à faire mûrir les esprits.
Je suis donc très heureuse que nous puissions trouver une solution à cette question qui est débattue depuis maintenant plusieurs années. Elle nous permettra de donner une deuxième chance aux personnes condamnées par la cour d'assises et de nous mettre ainsi au diapason des pays européens et des préconisations de la Convention européenne des droits de l'homme.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 50.
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. « Dispositions instaurant un recours en matière criminelle » : à lui seul, l'intitulé du chapitre III ter représente une véritable révolution.
Ainsi, il est enfin remédié à ce qui, avec le temps, apparaissait comme un anachronisme : pour les infractions les plus graves, mettant en jeu, plus qu'en nul autre domaine, la vie des personnes et le droit des victimes, il n'existe actuellement aucun recours aux décisions de justice quant au fond.
En effet, hormis le contrôle de la Cour de cassation, la contestation d'une décision de cour d'assises n'est actuellement possible que par la voie du procès en révision. Pourtant, ni l'existence d'une instruction à double degré ni la spécificité de la composition de la cour d'assises ne pouvaient justifier que l'on refuse durablement le droit à une seconde chance. Cela étant, nous avons encore des difficultés à concevoir la procédure d'appel, comme le montrent les tâtonnements actuels.
Si nous approuvons la quasi-totalité des modifications proposées par la commission des lois en cette matière, en particulier le droit d'appel octroyé au ministère public et la possibilité d'appel de la victime s'agissant des intérêts civils, il nous semble toutefois que le choix d'une composition identique pour les deux cours d'assises de premier et de second ressorts n'est pas bon.
On peut notamment douter que soient pleinement remplies les exigences posées par l'article 2 du protocole n° 7 annexé à la Convention européenne des droits de l'homme : celui-ci donne en effet le droit à toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation.
La nécessité d'un appel devant une juridiction supérieure n'implique-t-elle pas au moins une composition différente et singulièrement plus large de la cour d'assises d'appel par rapport à celle de la cour d'assises de première instance ? Il ne suffit pas, selon nous, de confier la présidence de celle-là au président de la cour d'appel pour qu'elle ait une légitimité renforcée justifiant la remise en cause d'une décision prise par le peuple souverain.
On sait que les procès d'assises sont toujours traumatisants pour les victimes, a fortiori s'agissant de l'appel des décisions de condamnation. Si l'on veut que l'institution d'un appel permette d'atteindre les objectifs visés, il ne faut surtout pas que l'on puisse mettre les deux décisions de premier et de second ressorts en concurrence, sur le même plan, spécialement en cas d'appréciations divergentes sur la culpabilité de l'accusé.
Telles sont les réflexions que je souhaitais vous livrer, mes chers collègues, s'agissant du dispositif proposé par la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je crois que nous vivons un moment important du débat parlementaire. Au terme d'un très long travail, qui a commencé sous de précédents gouvernements et qui a été alimenté par bon nombre de réflexions tendant à souligner le caractère inéquitable de notre système judiciaire, nous sommes en voie d'aboutir.
Cela étant, faisons très attention : c'est une lourde mécanique que nous mettons en place. En effet, lorsqu'une cour d'assises se sera prononcée dans un sens et qu'une autre cour d'assises aura émis un jugement différent, que dira l'opinion publique ? Or chacun bénéficiera de ce droit d'appel. Songez à des procès d'allure historique relativement récents : que serait-il advenu si l'appel avait été alors possible ? C'est donc une voie difficile, mais nécessaire, que celle dans laquelle nous nous engageons.
Il est un point de procédure que nous ne pouvons pas régler par la loi, mais qui revêtira, dans la pratique, une extrême importance : c'est la Cour de cassation qui décidera du choix de la chambre de renvoi. Toute une politique est sous-jacente, car, on le sait bien, certaines cours d'assises ont quelquefois tendance à être plus répressives ou, à l'inverse, plus indulgentes que d'autres. Il faudra donc que ceux qui seront responsables de cette dévolution y prêtent une attention considérable.
Vous savez que, lorsqu'il y a cassation d'une décision de la cour d'assises de Paris, il est de coutume que l'on renvoie l'affaire à Orléans ; il en est ainsi dans presque tous les cas. Or il faudra faire très attention au choix de la chambre de renvoi, j'y insiste, car il entraînera, en pratique, des conséquences considérables. Je relève que plusieurs systèmes étaient possibles : celui qu'avait proposé M. Jacques Toubon et un autre, auquel j'avais réfléchi mais qui n'a pas eu la faveur de la Cour de cassation, et qui consistait à accroître le pouvoir de vérification donné à la Cour de cassation.
Nous aboutissons cependant à un système acceptable. Vos quelques remarques, madame le garde des sceaux, montrent, à l'évidence, non pas que nous sommes parfaitement d'accord, mais que, aux détails près que vous avez soulignés, nous sommes très proches de l'accord. Je crois donc que nous pourrons tous nous souvenir que nous aurons vécu la mise en place de l'appel des cours d'assises.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 50, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. Robert Bret. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 21 octies , ainsi modifié.
(L'article 21 octies est adopté.)
Article additionnel après l'article 21 octies