Séance du 4 avril 2000
M. le président. « Art. 2 bis A. - I. - Il est inséré, après l'article 63-4 du même code, un article 63-5 ainsi rédigé :
« Art. 63-5 . - Les interrogatoires des personnes placées en garde à vue font l'objet d'un enregistrement sonore. L'enregistrement original est placé sous scellés fermés et sa copie est versée au dossier.
« Sur décision d'un magistrat, l'enregistrement original peut être écouté au cours de la procédure.
« A l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de la date de l'extinction de l'action publique, l'enregistrement original et sa copie sont détruits dans le délai d'un mois. »
« II. - Dans le dernier alinéa de l'article 77 du même code, après la référence : "63-4", est insérée la référence : "63-5".
« III. - Dans la première phrase du dernier alinéa de l'article 154 du même code, après la référence : "63-4", est insérée la référence : "63-5". »
Sur l'article, la parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout au long de son histoire, la France a connu des procès en sorcellerie dont les motivations étaient le plus souvent entachées de légitimes suspicions.
Nous assistons aujourd'hui à un procès de même essence fait à notre assemblée que certains, irrités par son indépendance, souhaiteraient voir s'aligner en tous domaines sur la pensée dominante.
C'est, alimenté par certains au mépris des réalités, un procès en ringardise qui est instruit depuis quelque temps contre le Sénat, affligé de la très lourde tare d'être une assemblée de réflexion dans une société soumise à la dictature de l'image et sensible au choc de l'instant.
« Au mépris des réalités », disais-je, et cinq exemples concrets, tous tirés de l'actualité, en portent témoignage, n'en déplaise à ses contempteurs.
Ringard, le Sénat, initiateur, grâce à Guy Cabanel, de l'alternative à certains abus du placement en détention provisoire qu'est le bracelet électronique ?
Ringard, le Sénat, qui peut se flatter d'avoir, là encore en éclaireur, pallié cette faille du système judiciaire français qu'est l'impossibilité de faire appel des jugements rendus en cour d'assises, ce qui vient d'être salué par vous-même, madame la ministre, comme un moment historique ?
Ringard, le Sénat, qui, sensible à certaines dérives de la prestation compensatoire a, de son propre chef, à l'invitation de l'un des siens, notre collègue Nicolas About, décidé d'y porter remède ?
Ringard, le Sénat, qui, il y a tout juste douze jours, applaudissait longuement Claude Allègre lors de son ultime plaidoyer en forme de testament pour la réforme de notre système éducatif ?
Ringard, le Sénat, qui, jeudi dernier, votait la constitution de sa commission des finances en commission d'enquête dans le dessein de mettre un terme à l'omerta de la citadelle de Bercy ?
M. Michel Charasse. Oh ! le mot est fort !
M. Christian Bonnet. Il appartient à ce Sénat, dont l'indépendance a toujours été la fierté, de ne pas tomber dans le travers du « suivisme », de ne pas céder à la grande peur de l'an 2000 : celle de ne pas être « dans le coup », celle d'être insensible aux caprices du vent !
Le Sénat, s'il n'est pas sourd aux évolutions nécessaires, ne doit pas pour autant faire preuve d'aveuglement face à une improvisation lourde de conséquences surgie au Palais-Bourbon en deuxième lecture.
Il ne doit pas avaliser, fût-ce en tentant de l'encadrer, le principe d'un enregistrement dont Mme le garde des sceaux a été amenée, voilà quelques jours, à confirmer, ici même, avec la finesse dont elle est coutumière, qu'il l'amenait à se poser des questions... propos ô combien révélateur !
Notre réputation, mes chers collègues, nous la devons à la qualité de notre réflexion. Et, quelle que doit la prégnance médiatique, nous n'avons pas le droit de l'altérer sur un sujet aussi fondamental en apportant notre caution à une mesure dont l'application se révèlerait immédiatement ingérable : sait-on qu'il y a eu, en France, près de 450 000 gardes à vue, qui ont ouvert la voie à près d'un million d'auditions ?
La police, comme toute institution humaine, connaît des défaillances. Mais elle est aussi la plus exposée et la plus contrôlée de toutes les institutions.
Volontiers prolixe sur les manques de ceux - policiers et gendarmes - qui ont la charge de veiller à la sécurité des Français dans un contexte social de plus en plus difficile, on ne l'est guère sur leurs mérites.
Mes chers collègues, chacun aura compris que le Sénat doit, après réflexion, refuser un enregistrement ingérable mais aussi, montrant par là son ouverture d'esprit, adopter le progrès que va représenter la formule de compromis imaginée, avec l'objectivité qui est l'une des marques de son talent, par l'excellent rapporteur de la commission des lois qu'est notre collègue Charles Jolibois. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 92, MM. Haenel, Gélard et les membres du groupe du Rassemblement pour la République et apparentés proposent de supprimer cet article.
Par amendement n° 4, M. Jolibois, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit les deux premiers alinéas du texte présenté par le I de l'article 2 bis A pour l'article 63-5 du code de procédure pénale :
« Les interrogatoires des personnes placées en garde à vue font, à leur demande, leur avocat consulté, l'objet d'un enregistrement sonore. L'enregistrement original est placé sous scellés fermés et sa copie est versée au dossier.
« En cas de contestation du contenu du procès-verbal d'interrogatoire par la personne, l'enregistrement original peut être écouté sur décision d'un magistrat au cours de la procédure. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 155, présenté par M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et tendant, dans la première phrase du premier alinéa du texte présenté par l'amendement n° 4, à supprimer les mots : "à leur demande, leur avocat consulté," ».
Par amendement n° 109, MM. Dreyfus-Schmidt, Charasse, Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter le deuxième alinéa du texte présenté par le I de l'article 2 bis A pour l'article 63-5 du code de procédure pénale par deux phrases ainsi rédigées :
« Toutefois, ces enregistrements sonores ne sont versés au dossier qu'à titre indicatif. Seuls les procès-verbaux écrits et signés font foi sauf si la bande enregistrée fait l'objet, sur le champ, d'une transcription intégrale signée par la personne entendue. »
Par amendement n° 107, MM. Dreyfus-Schmidt, Charasse, Badinter et Rouvière proposent, après le deuxième alinéa du texte présenté par le I de l'article 2 bis A pour l'article 63-5 du code de procédure pénale, d'insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La publication ou la diffusion, totale ou partielle, de ces enregistrements sonores par tout moyen audiovisuel est passible des peines prévues au 1er alinéa de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »
Par amendement n° 108, MM. Dreyfus-Schmidt, Charasse, Badinter et Rouvière proposent de compléter in fine l'article 2 bis A par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... - Le premier alinéa de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 est complété par une phrase ainsi rédigée : "Cette amende est portée à 200 000 francs en cas de publication ou de diffusion totale ou partielle par tout moyen audiovisuel des enregistrements sonores visés à l'article 63-5 du code de procédure pénale". »
La parole est à M. Haenel, pour défendre l'amendement n° 92.
M. Hubert Haenel. Je crois que nous sommes toutes et tous, quelles que soient les travées de la Haute Assemblée sur lesquelles nous siégions, profondément attachés au respect de la liberté individuelle et de la dignité humaine. Il ne faut donc pas, à mon avis, faire de procès sur ce terrain-là.
Je ne reviendrai pas sur les arguments que j'ai déjà eu l'occasion de développer lors de la discussion générale en faveur de la suppression de l'amendement, adopté par l'Assemblée nationale, visant à instituer l'enregistrement sonore systématique des gardes à vue dont le nombre - M. Bonnet vient de le rappeler - s'élève à près de 450 000 par an.
Je rappelle que cet amendement n'est pas réaliste, et ce pour toutes sortes de raisons d'ordre pratique, technique et budgétaire. Mme la ministre nous avait d'ailleurs indiqué, en réponse aux propos que j'avais tenus dans la discussion générale, le coût qu'une telle masse représenterait pour le budget du ministère de la justice.
Par ailleurs, cet amendement ne va pas jusqu'au bout de la logique sur laquelle il se fonde. En effet, un enregistrement sonore n'a pas de sens. Il aurait fallu, pour être parfaitement cohérent, parler d'enregistrement vidéo.
En outre, cet amendement jette dangereusement - on vient de le dire et je reprends ce propos - et de façon infondée la suspicion sur l'ensemble des officiers de police judiciaire, tant de la police nationale que de la gendarmerie nationale. Il n'est pas opportun. Il faut rappeler - et c'est notamment aux sénateurs, qui sont souvent confrontés à ces difficiles questions tant dans les villes que dans les zones rurales, qu'il incombe de le faire - le difficile métier exercé aujourd'hui par les policiers et les gendarmes. Je crois que nos policiers et nos gendarmes ont plus besoin de considération que de suspicion ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Une autre question se pose - vous-même, madame la ministre, en êtes convenue, je crois - concernant la nature juridique de cet enregistrement. Quelle sera sa valeur probante ? Quelles garanties aurons-nous que l'enregistrement sera bien fidèle, compte tenu de tous les problèmes que cela pose et surtout des nullités à la clef. Quand, comme cela arrive malheureusement de temps en temps, un magistrat, une cour d'appel ou une chambre d'accusation doit, pour cause de nullité, relâcher une personne qui est pourtant passée aux aveux, nos concitoyens considèrent cela comme inadmissible et se demandent ce que fait la justice. Il ne faut donc pas donner des motifs supplémentaires d'avoir à relâcher, pour des raisons de nullité, des truands, des bandits de grand chemin.
Il y a au moins trois autres solutions pour recadrer la garde à vue. Tout d'abord, il faut faire en sorte que le procureur de la République et ses substituts contrôlent effectivement la garde à vue ; pour cela, ils ont besoin de temps et de moyens.
Par ailleurs, il y a la présence du médecin - ne l'oublions pas ! - au cours de la garde à vue.
Enfin, il y a la présence de l'avocat : actuellement à l'issue de la vingtième heure, bientôt dès la première heure, si ce projet de loi est adopté, ou dès la dixième heure, si le sous-amendement n° 183 déposé par M. Jacques Larché est adopté.
Par conséquent, tenons-nous en à ces formules de contrôle et ne tentons pas de copier des modèles étrangers qui - il faut absolument le dire - ne sont pas transposables dans notre système.
C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter l'amendement n° 92, visant à la suppression de l'article 2 bis A. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 4.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Mes chers collègues, vous en savez suffisamment maintenant, compte tenu à la fois du débat public et des intéressantes interventions qui ont eu lieu dans cette assemblée, sur le problème de l'enregistrement sonore. Cette disposition a été introduite dans le projet de loi lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale. Nous avons donc dû examiner cette disposition présentée à la fois comme généreuse et comme protectrice des intérêts et des droits des citoyens placés en garde à vue.
Il nous est ainsi très rapidement apparu - et cette réflexion a aussi été la vôtre, madame la garde des sceaux - que l'enregistrement pouvait donner lieu à certaines dérives, qu'une telle mesure, si elle était adoptée, devrait être encadrée, et qu'elle nécessiterait en tout cas une profonde réflexion.
Les dérives possibles sont évidentes.
Tout d'abord la police peut, dans une certaine mesure, être paralysée dans la recherche des preuves, alors que, très souvent, le délit vient juste d'être commis.
Par ailleurs, l'enregistrement peut, dans certains cas, se retourner contre l'intéressé, ce qui risquerait d'aller à l'encontre du souhait des auteurs de l'amendement. Rappelez-vous le nombre de fois où un inculpé ou un accusé, même au cours de l'audience, revient sur les aveux qu'il a faits et qui figurent au dossier. Je rappelle que le dossier de garde à vue est essentiellement constitué de longs interrogatoires qui se terminent quelquefois par deux pages de déclaration contresignées par la personne auditionnée. Je rappelle également qu'il en est de même, au cours de l'instruction, puisque le juge d'instruction, en présence de l'avocat, procède, devant le greffier, à de longs interrogatoires, qui sont souvent résumés, quelquefois avec beaucoup de talent, par le juge d'instruction et ne reprennent donc pas la totalité de la conversation.
Quel serait l'intérêt de diffuser in extenso, à l'audience, l'enregistrement sonore de la garde à vue, alors que la personne interrogée est présente et peut être à nouveau questionnée ?
Nous avons déjà eu sur ce point un débat très intéressant, dont certains d'entre vous peuvent se souvenir. M. Dreyfus-Schmidt, qui, malheureusement, n'est pas là aujourd'hui, était intervenu tant en commission des lois que dans l'hémicycle pour nous rappeler que le système français était fondamentalement ancré sur l'oralité des débats.
L'oralité des débats, c'est l'audience. A l'audience, bien que l'on dispose d'un dossier écrit, on fait revenir les témoins, on interroge à nouveau l'accusé. La possibilité de passer des enregistrements au cours de l'audience pourrait donc constituer une atteinte à l'oralité des débats selon le choix de la partie de l'audition diffusée.
C'est la raison pour laquelle, lors de la discussion du projet de loi relatif aux infractions sexuelles contre les mineurs, dont j'étais le rapporteur, le Sénat avait refusé, sur proposition de la commission, qu'il soit procédé à la diffusion de l'enregistrement de l'audition de la petite victime au cours de l'audience, en raison de l'impression que cela pouvait avoir soit sur les juges, soit sur les jurés.
Nous avions ainsi déjà senti la difficulté que présentait le système de l'enregistrement, et nous avions voulu y parer.
Dans le cas présent, j'avais cru, dans un premier temps, qu'il était possible de répondre à ces dérives éventuelles en proposant à la commission des lois, qui l'avait accepté, un système comportant deux barrières. La première consistait à ne procéder à l'enregistrement que lorsque la personne interrogée le demandait ; la seconde, à ne pouvoir produire l'enregistrement au cours de l'audience qu'en cas de contestation du procès-verbal par la personne gardée à vue. Cette double protection aurait permis d'encadrer l'introduction de l'enregistrement sonore dans notre procédure judiciaire, qui n'est pas prête pour une telle innovation.
Cela étant, un amendement tendant à la suppression pure et simple de l'article 2 bis A a été déposé par M. Haenel et les membres du groupe du RPR. La commission des lois, qui l'a examiné, est alors revenue quelque peu sur sa décision, décision qu'elle avait prise, reconnaissons-le, après beaucoup d'hésitation et à une courte majorité. Ainsi, dans sa sagesse, elle a finalement estimé préférable, pour l'instant, de supprimer l'enregistrement.
Ce mot seul d'« enregistrement » avait d'ailleurs ouvert de nombreuses portes : certains demandaient un enregistrement audiovisuel complet, d'autres qu'il soit procédé à des vérifications de l'enregistrement. Nous aurions alors couru le risque de basculer dans un tout autre système au moment même où les innovations très importantes qui sont introduites dans notre code de procédure pénale - que je salue aujourd'hui, comme vous avez bien voulu le faire, madame le garde des sceaux - pouvaient, parce que nous aurions voulu en faire trop sans prévoir l'encadrement suffisant de la mesure proposée, nous faire perdre la chance qui nous est offerte d'élaborer un texte moderne et prometteur pour l'avenir.
C'est la raison pour laquelle c'est sans aucun regret que je vois s'évanouir la chance de voir adopté l'amendement que j'avais imaginé pour encadrer l'enregistrement et l'enserrer dans des règles protectrices à la fois pour la société et pour les droits de la personne gardée à vue.
J'ai, en effet, reçu de la commission des lois instruction de retirer cet amendement, ce que je fais bien volontiers dans la mesure où nous allons aboutir à un système qui tiendra quand même compte des idées que nous avons échangées et qu'a suscitées ce simple mot d'« enregistrement ». Nous aurons ainsi pénétré dans les mécanismes complexes de ces trois phases d'un procès que sont la garde à vue, l'instruction et l'audience.
Dès lors, j'indique sans aucun regret que la commission des lois est favorable à l'amendement n° 92 de M. Haenel, qui tend à supprimer l'enregistrement dans l'attente d'un futur système. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Hubert Haenel. Merci !
M. le président. L'amendement n° 4 est retiré.
En conséquence, le sous-amendement n° 155 n'a plus d'objet.
La parole est à M. Charasse, pour présenter les amendements n°s 109, 107 et 108.
M. Michel Charasse. Ces amendements ne se justifient, bien entendu, que dans l'hypothèse où l'amendement n° 92 de M. Haenel, qui vient de recueillir le soutien de la commission, ne serait pas adopté. Dans le cas contraire, ces amendements faisant référence au même article 63-5 du code de procédure pénale, ils n'auraient bien évidemment plus d'objet.
Nous vous proposons de prendre un certain nombre de précautions, dans l'esprit qu'a rappelé M. le rapporteur, en précisant d'abord - c'est l'objet de l'amendement n° 109 - que les enregistrements sonores ne seraient versés au dossier qu'à titre indicatif, puisque seuls les procès-verbaux écrits et signés par l'intéressé font foi, sauf si la bande enregistrée devait être décryptée immédiatement et la transcription signée par l'intéressé avant la fin de l'audition. Cela me paraît être une précaution élémentaire.
M. Jean Chérioux. Cela prouve bien que cela ne sert à rien !
M. Michel Charasse. L'amendement n° 107 vise à réprimer le risque - et c'est à mon avis l'un des risques majeurs de ce dispositif d'enregistrement - de diffusion de l'enregistrement à la radio le lendemain matin. En effet, on n'est jamais sûr qu'il n'y aura pas de fuite et, dans ce cas, la fuite serait absolument dramatique puisque l'on entendrait sur France Inter, RTL, Europe 1 ou telle radio périphérique...
M. Hubert Haenel. Ne citons personne !
M. Michel Charasse. ... un extrait de l'enregistrement d'une personne entendue en garde à vue, extrait choisi à dessein sans que l'intéressé ait la possibilité de se défendre ou de faire valoir ses arguments.
L'amendement n° 107 vise donc à interdire absolument toute diffusion, partielle ou totale, de ces enregistrements par un moyen audiovisuel, en renvoyant à la loi de 1881 et en fixant l'amende, dans ce cas, à 200 000 francs, ce qui est la moindre des choses.
Cela étant, monsieur le président, il est évident que si l'amendement n° 92 est adopté, je n'aurai parlé que pour le Journal officiel ! (Rires.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 92, 109, 107 et 108 ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission n'a pas émis d'avis sur les amendements n° 109, 107 et 108 puisqu'elle est, je le confirme, favorable à l'amendement de suppression n° 92. Et, si ces amendements n°s 109, 107 et 108 deviennent sans objet, je n'aurai parlé que pour le Journal officiel. (Nouveaux rires.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 92, 109, 107 et 108 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'Assemblée nationale a adopté deux dispositions prévoyant l'enregistrement sonore des interrogatoires des majeurs et des mineurs au cours de la garde à vue.
Ces dispositions ont fait ici, au Sénat, l'objet de nombreux amendements. Je vais vous donner dans un instant l'avis du Gouvernement sur ces amendements, mais peut-être me permettrez-vous d'abord de vous faire part de la position du Gouvernement sur le principe même des mesures adoptées par l'Assemblée nationale.
D'abord, je rappelle que le Gouvernement n'a pas proposé l'enregistrement sonore des gardes à vue : celui-ci résulte de deux amendements introduits en deuxième lecture par l'Assemblée nationale...
M. Maurice Ulrich. C'est habile !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... et adoptés, je le souligne, à l'unanimité de tous les groupes.
M. Jacques Oudin. C'est inquiétant !
M. Michel Charasse. Les erreurs collectives, cela existe !
M. Jean Chérioux. Cela ne nous fera pas changer pour autant !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je souligne cette unanimité, parce que je veux quand même rappeler la réalité des faits !
M. Michel Charasse. Oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Par conséquent, le Gouvernement n'a pas proposé l'enregistrement sonore, c'est l'Assemblée nationale qui l'a proposé et adopté en deuxième lecture, à l'unanimité de tous les groupes.
L'amendement n° 92, de MM. Haenel et Gélard, tend à supprimer cet enregistrement.
Votre rapporteur, de son côté, avait proposé de conditionner l'enregistrement à une demande expresse du gardé à vue.
Des policiers s'interrogent sur les conséquences de cet enregistrement sur le déroulement de l'étrange dialogue que constitue l'interrogatoire de la garde à vue.
Des magistrats se demandent ce que deviendra cet enregistrement écouté dans le silence du prétoire ou, pis, comme vient de l'indiquer à l'instant M. Charasse, produit sur une radio de manière légale ou illégale.
Nous sommes donc tous d'accord, et ce bref rappel des péripéties du débat le montre, il s'agit d'une question délicate.
Devant l'Assemblée nationale, je vous l'ai rappelé, j'avais marqué ma réserve sur la réponse qui était apportée à une vraie question, celle du contrôle des gardes à vue.
J'ai trois doutes, essentiellement, sur la portée réelle d'un éventuel enregistrement des gardes à vue. Je les ai exprimés à l'Assemblée nationale, je les redis ici.
Tout d'abord, risque de contestation ultérieure de la véracité des enregistrements dès lors que la bande magnétique n'est pas inviolable, et donc de fragilisation des procédures.
Ensuite, risque d'allongement des procédures si les audiences se transforment en auditorium : comment refuser à telle personne mise en cause le droit d'entendre, même à plusieurs reprises, tel enregistrement pour en commenter ou en contester tel passage ?
Enfin, risque d'affaiblissement de l'enquête : l'enregistrement sonore suppose du son et il peut conduire la personne mise en cause à se taire de peur de se voir opposer directement la version originale de ses dires.
L'intérêt principal d'un enregistrement serait de vérifier d'éventuelles discordances de fond - et non de forme - entre les propos tenus et les propos retranscrits dans un procès-verbal signé par l'intéressé, qui accepte ainsi cette retranscription.
J'avais également souligné, devant l'Assemblée nationale, la difficulté résultant du fait que l'enregistrement pouvait être écouté sur décision d'un magistrat, ce qui semblait indiquer qu'aucun contentieux ne pourrait intervenir si ce magistrat, malgré la demande des parties, refusait cette consultation ; on pouvait par ailleurs penser qu'il aurait été difficile pour la juridiction d'instruction ou de jugement de refuser de faire droit à de telles demandes, ce qui pouvait avoir pour conséquence de paralyser le traitement des affaires en temps réel, notamment les audiences de comparution immédiate.
J'avais aussi indiqué que certaines personnes pouvaient refuser de parler en sachant que leurs propos seraient enregistrés et que cet enregistrement pouvait être utilisé contre elles.
Voilà le rappel des questions que j'avais posées devant l'Assemblée nationale.
Dès lors, faut-il, dans ces conditions, comme le propose M. Haenel dans l'amendement n° 92, supprimer ces dispositions ? Je comprends que la question soit posée.
M. le rapporteur vient de retirer son amendement n° 4. Je ferai à ce sujet une simple remarque, même si j'avais préparé un argumentaire plus complet au cas où il l'aurait maintenu : cet amendement m'avait paru intéressant, parce qu'il répondait à certaines de mes préoccupations. Il empêchait, notamment, qu'un enregistrement ne se retourne contre la personne gardée à vue, ce qui, parmi toutes les considérations que j'ai énumérées, est sans doute la plus préoccupante. Mais je passe rapidement, puisque votre rapporteur vient de retirer son amendement.
La même remarque vaut pour le sous-amendement n° 155 de M. Bret.
Par ailleurs - j'en viens aux amendements n°s 109, 107 et 108 - faut-il prévoir une sanction en cas de diffusion des enregistrements sonores effectués lors d'une garde à vue, comme le prévoient les amendements n°s 107 et 108 du groupe socialiste ? Sans doute, ne serait-ce que parce qu'une disposition similaire existe pour la diffusion des enregistrements sonores ou audiovisuels des auditions des mineurs victimes d'infractions sexuelles : il s'agit, vous vous en souvenez, de l'article 706-54 du code de procédure pénale, qui résulte de la loi du 17 juin 1998.
Je pense donc que ces amendements sont justifiés dans leur principe.
Je me demande toutefois s'il ne serait pas plus simple, comme c'est le cas dans l'article 706-54, qui prévoit, dans son dernier alinéa, une peine d'un an d'emprisonnement et de 100 000 francs d'amende, de faire figurer cette sanction dans le nouvel article 63-5 du code de procédure pénale plutôt que dans la loi sur la presse, et de prévoir des pénalités similaires. Mais cette question pourra sans doute être examinée lors de la commission mixte paritaire.
M. Michel Charasse. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Faut-il, enfin, préciser que les enregistrements ne sont qu'indicatifs et que seul le procès-verbal fait foi, sauf retranscription intégrale et immédiate de ces enregistrements, comme le prévoit l'amendement n° 109 ?
Je ne le pense pas, pour plusieurs raisons. D'une part, d'une manière générale, les procès-verbaux ne valent qu'à titre de simple renseignement, ils ne font foi que jusqu'à preuve du contraire, en application des articles 430 et 431 du code de procédure pénale. D'autre part, si, en écoutant l'enregistrement, on découvre une discordance de fond - et non de forme - si, par exemple, à aucun moment la personne ne reconnaît les faits alors que les aveux sont couchés sur le procès-verbal, il serait paradoxal que le juge ne puisse pas en tenir compte.
M. Michel Charasse. Les enregistrements peuvent être « bidouillés » !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Enfin, si une retranscription intégrale et immédiate de l'enregistrement était prévue, cela démultiplierait les difficultés matérielles, déjà très importantes, qui résultent des nouvelles dispositions proposées. Cela justifie d'ailleurs que le Gouvernement prévoie le report de leur entrée en vigueur d'un an afin de permettre leur application effective dans de bonnes conditions.
Voilà les quelques remarques que je voulais faire.
En résumé, tout en comprenant les interrogations des auteurs des différents amendements, en les remerciant d'approfondir ainsi la réflexion sur une question complexe et certainement importante - même si elle n'a pas l'importance historique de la réforme de la cour d'assises et des libérations conditionnelles, n'est-ce pas ! - le Gouvernement adopte la position suivante.
Le Gouvernement n'a pas proposé, dans son projet initial, d'enregistrement des gardes à vue. Il ne l'a ensuite pas demandé. Par conséquent, il s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 92, il est favorable aux amendements n°s 107 et 108 sur les sanctions en cas de diffusion de l'enregistrement - si, finalement, la CMP décidait de conserver cette modalité - et il est défavorable à l'amendement n° 109 sur les valeurs probantes respectives du procès-verbal et de l'enregistrement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 92.
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l'amendement présenté par MM. Haenel et Gélard tend à supprimer purement et simplement l'enregistrement sonore des gardes à vue, qui, comme vient de le rappeler à l'instant Mme le garde des sceaux, a été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
Cette position qui a été finalement retenue, alors que la commission des lois avait initialement opté pour le principe de l'enregistrement, en l'assortissant de conditions restrictives, reflète les hésitations que nous avons ici et là sur une question délicate qui a cristallisé l'opposition des syndicats de police.
Ces derniers ont en effet ressenti l'adoption des dispositions à l'Assemblée nationale comme une marque de suspicion injustifiée à leur égard.
Il est, à mon avis, fort dommage que le débat ait pris une telle ampleur, alors qu'il ne représente, en fin de compte, qu'un élément de la réforme en profondeur qui est réalisée ici.
Mais peut-être est-ce parce que le système des enregistrements sonores est assez éloigné de notre droit pénal. En France, celui-ci reste essentiellement fondé sur l'écrit et l'on ne conçoit pas facilement d'entourer le travail d'enquête de certaines garanties vécues comme autant d'entraves.
J'en veux pour preuve l'étrange ressemblance des arguments développés aujourd'hui contre l'enregistrement des interrogatoires avec les critiques qu'on avait pu entendre lors de la réforme du code pénal en 1993, quand le Parlement avait introduit la présence de l'avocat à la vingtième heure de garde à vue.
L'usage a montré que cette disposition n'avait pas entraîné les catastrophes que certains avaient pu prédire à l'époque. D'ailleurs, les expériences menées à l'étranger devraient nous convaincre que, à défaut d'être une panacée, l'enregistrement des interrogatoires ne porte pas en lui toutes les menaces qu'on lui prête trop volontiers, à mon goût.
Je regrette que les enregistrements sonores aient été perçus comme un « espionnage » déguisé des commissariats. Mais peut-être aurait-il mieux valu, pour éviter ce sentiment, associer plus étroitement les personnels de police et de gendarmerie au traitement de la question !
M. Hubert Haenel. Ça, c'est vrai !
M. Robert Bret. Pour nous, l'enregistrement ne doit être qu'un complément du procès-verbal d'interrogatoire : en cas de contestation de ce dernier, l'enregistrement sert d'instrument de certification. C'est pourquoi nous y sommes favorables.
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je voterai, bien sûr, l'amendement n° 92.
Je dois dire que j'ai écouté Mme le garde des sceaux avec beaucoup d'intérêt, notamment lorsqu'elle a rappelé les déclarations qu'elle avait faites devant l'Assemblée nationale. Ce que je constate, c'est qu'à l'évidence l'Assemblée nationale ne les a pas entendues, si j'en juge par son vote.
Ce que je constate aussi, c'est que le Sénat, lui, les a bien enregistrées et qu'il en a fait son miel, ce qui montre, à l'évidence, l'importance de son rôle. Le Sénat est une chambre de réflexion, et il vient encore de le prouver.
Ce qui m'étonne, dès lors, c'est que Mme le garde des sceaux s'en remette à la sagesse du Sénat, un Sénat qui vient de lui donner raison puisqu'elle nous a dit que le Gouvernement n'avait jamais proposé l'enregistrement et qu'elle nous a donné les raisons pour lesquelles, au fond, sans trop le dire, elle était contre.
Malgré cela donc, peut-être en raison d'une espèce de révérence pour l'Assemblée nationale, qu'elle ne veut pas désavouer, Mme le garde des sceaux se contente de s'en remettre à la sagesse.
C'est déjà quelque chose, et cela montre, en tout cas, que le Sénat est plein de sagesse ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. M. Chérioux est très perspicace.
En effet, si je suis très respectueuse du Sénat - je l'ai montré à plusieurs reprises en saluant les apports de votre Haute Assemblée à ce projet de loi sur la présomption d'innocence - je suis aussi très respectueuse du vote de l'Assemblée nationale, surtout lorsqu'il est unanime.
M. Josselin de Rohan. Ce n'est pas un critère !
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. A ce moment du débat, je souhaite rappeler un certain nombre d'éléments qui ont peut-être échappé aux uns et aux autres.
C'est vrai, dans d'autres pays, on procède à l'enregistrement. Je signale d'ailleurs qu'en Grande-Bretagne, c'est la police elle-même qui a pris l'initiative de procéder à l'enregistrement, pour se défendre contre des attaques dont elle était parfois l'objet.
Je crois que l'on a mal cerné le problème en voulant utiliser l'enregistrement dans les prétoires. En règle générale, les pays qui pratiquent l'enregistrement - l'Espagne, l'Allemagne, la Grande-Bretagne - n'utilisent pas les enregistrements dans le prétoire, au cours du procès.
Le vrai problème, c'est que, dans ce projet de loi sur la présomption d'innocence, nous avons fait d'énormes progrès, mais que nous ne sommes pas allés au bout des choses. Il est vraisemblable que, dans cinq ou dix ans, il nous faudra revenir sur la loi sur la présomption d'innocence,...
M. Henri de Raincourt. Peut-être même avant !
M. Patrice Gélard. ... il nous faudra revoir l'ensemble de notre système d'instruction pénale pour le mettre en conformité avec les normes européennes, pour le rendre plus dynamique, plus moderne.
Le problème est si difficile, si complexe, qu'on ne peut pas se lancer dans l'aventure par le biais de l'adoption d'un amendement déposé et adopté, malheureusement, à l'unanimité - Mme le garde des sceaux l'a rappelé à l'instant même - à l'Assemblée nationale.
C'est une réforme dont on n'a pas étudié les conséquences, qu'il ne serait donc pas sérieux de mettre en oeuvre sans une véritable étude d'impact, sans une véritable étude comparative avec ce qui se passe à l'étranger. Nous n'avons pas fait ces préalables. La justice, la presse, les avocats, la police et la gendarmerie ne sont pas mûrs, ne sont pas prêts.
Aussi, la sagesse était de trouver une autre solution, et c'est pourquoi mon collègue Hubert Haenel et moi-même avons proposé la suppression de l'article.
Ce n'est pas un enterrement, c'est simplement une mise en réflexion pour voir si, par la suite, nous ne pourrons pas reprendre cette disposition, mais certainement pas dans les termes où elle a été retenue à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication du vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, mes chers collègues, la commission mixte paritaire aura une lourde tâche, notamment dans ce domaine, et nos collègues qui y siégeront - je n'en serai pas - peuvent s'attendre à ce que les discussions avec leurs collègues de l'Assemblée soient vives, même si elles sont courtoises et amicales. Il n'est donc pas inutile que les membres de la commission mixte paritaire puissent, le moment venu, se référer aux travaux du Sénat.
J'ai écouté, tout à l'heure, Mme le garde des sceaux commenter les amendements n°s 109, 107 et 108, qui sont, qu'on le veuille ou non, liés à l'article 2 bis A, dont l'amendement n° 92 propose la suppression.
J'ai bien entendu ce qu'a dit Mme le garde des sceaux sur les amendements n°s 107 et 108 : si la commission mixte paritaire devait revenir à l'enregistrement, à supposer que le Sénat le supprime, il serait utile de prévoir des pénalités, sous une forme ou une autre, pour éviter la diffusion audiovisuelle de ces enregistrements.
A titre de bienveillance, je retire les amendements n°s 107 et 108, car il me paraît préférable d'attendre que la commission mixte paritaire trouve la bonne rédaction. Ce que souhaitait le groupe socialiste c'est que les idées soient retenues et que sa démarche soit comprise et acceptée. A cet égard, je remercie le Gouvernement.
S'agissant de l'amendement n° 109 - j'en viens, du même coup, à l'amendement n° 92 - je me demande si nous ne sommes pas tous en train de commettre une erreur de raisonnement, erreur que j'ai peut-être moi-même commise lorsque je l'ai rédigé avec mes collègues.
Que recherchait l'Assemblée nationale, ou alors je n'y comprends rien ? A l'évidence, à protéger les droits individuels pour qu'il n'y soit pas porté atteinte pendant une garde à vue, qu'il y ait donc un témoin. Et comme on n'a pas trouvé le témoin physique, on a mis le magnétophone.
Mais, s'il s'agit de cela, mes chers collègues, il ne peut s'agir que de cela, et la bande enregistrée ne peut être éventuellement utilisée que si on l'évoque ou l'on invoque des incidents en cours de garde à vue. Dès lors, quand on prévoit, dans telle disposition, qu'on peut, à titre indicatif, écouter l'enregistrement pour vérifier, par exemple, si la personne entendue ne s'est pas contredite entre le texte du procès-verbal écrit et ce qui a été enregistré, on n'est plus du tout dans le domaine qui était visé, celui de la garantie des droits, et rien d'autre. On ne peut pas à la fois prétendre garantir les droits et utiliser l'enregistrement, le cas échéant, pour protéger ou piéger l'intéressé. C'est un point qui devra être examiné de très près en commission mixte paritaire.
L'amendement n° 109 participe donc de cette confusion dans laquelle je m'étais également laissé entraîner au départ, et c'est pourquoi, je le retire.
J'en viens à l'amendement n° 92. S'il s'agit de savoir si la garde à vue s'est passée normalement ou non, c'est-à-dire si chacun a fait son métier sans franchir les limites de l'épure, l'enregistrement est-il le meilleur moyen d'y parvenir ?
Mme le garde des sceaux a énuméré tout à l'heure - d'autres collègues en ont également parlé - les inconvénients qui pouvaient s'attacher à l'enregistrement : risque de fuite, de diffusion audiovisuelle. Mais le magnétophone peut aussi tomber en panne sans que personne s'en aperçoive : on continue à interroger l'intéressé, qui dit peut-être des choses très intéressants - on ne sait pas, on n'a pas fait attention ! - alors qu'il y a eu une panne de courant ou que la bande est arrivée au bout de sa course. La technique n'est pas si facile à manipuler, comme dirait « M. Microsoft », après le jugement de ce matin ! (Sourires.)
Encore une fois, l'enregistrement est-il le meilleur moyen ? On n'en sait rien. N'y en a-t-il pas d'autres ? Ne peut-on imaginer que l'avocat soit témoin muet, interdiction lui étant faite d'intervenir, de parler ? Simplement, il regarde. Ce moyen n'est peut-être pas plus contestable que l'enregistrement, et il a au moins l'avantage de ne pas être lié à l'électricité ou à la mécanique.
En tout cas, le groupe socialiste, qui comprend parfaitement la démarche de ceux de ses amis qui, à l'Assemblée nationale, avaient proposé cette solution, même si elle est techniquement discutable, souhaite que, dans un domaine qui touche aux libertés individuelles, on arrive à trouver une solution qui concilie les indispensables nécessités de l'enquête et l'indispensable préservation des droits et des garanties individuels.
Alors, enregistrement, témoin ? Je n'en sais rien, car je dois dire que le groupe socialiste n'a pas tranché. C'est la raison pour laquelle il s'abstiendra sur l'amendement n° 92.
M. le président. Les amendements n°s 109, 107 et 108 sont retirés.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Madame la garde des sceaux, dans ce débat effectivement complexe et délicat - vous l'avez très bien dit - j'avoue que je suis embarrassé. Je vois bien les difficultés de l'enregistrement, mais je regrette tout de même qu'apparemment un mot n'ait pas été prononcé, et donc qu'un souci n'ait pas été exprimé. Ce mot, c'est celui d'« authenticité ».
M. Hubert Haenel. Si, moi je l'ai dit !
M. Pierre Fauchon. Il ne faut pas oublier que les transcriptions que l'on fait des déclarations des gens ne sont jamais que des transcriptions. Quant on les rapproche de l'original on est quelquefois très surpris de la distance qui les sépare. Ensuite, la transcription devient un acte définitif et poursuit son cours.
C'est un vrai problème, et je regrette qu'on ne puisse pas opter pour le dispositif prévoyant la version authentique. Je reconnais que cela soulèverait des difficultés, mais il est fâcheux que nous ne puissions pas choisir la version qui, dans les technologies modernes, devrait être la transcription audiovisuelle.
L'étape de l'enregistrement sonore est déjà dépassée ; aujourd'hui, la solution tout à fait satisfaisante, c'est l'enregistrement audiovisuel.
Songeons, si je peux rêver et vous offrir de rêver un instant, à ce que seraient les enregistrements audiovisuels des grands procès du passé. Peut-être verrions-nous Jeanne d'Arc, là, à qui on demanderait : « Etes-vous en état de grâce ? » et qui répondrait : « Si je n'y suis, Dieu m'y mette ; si j'y suis, Dieu m'y garde »... Cela serait extraordinaire ! Or, nous sommes en train de renoncer à de telles ressources historiques ! Peut-être est-ce dommage.
Mais je vois bien qu'on ne peut pas faire autrement. Je reste donc fidèle à la solution proposée par M. le rapporteur, à laquelle je m'étais rallié, non sans hésitation.
Je rends hommage à sa solution qui, me semblait-il, était assez raisonnable. Je doute pourtant que, en réalité, nous puissions trouver une solution parfaitement raisonnable.
Ces doutes montrent combien notre système inquisitorial bat de l'aile, de plus en plus d'ailleurs. En fait, on ne peut probablement plus le rendre supportable.
Je présenterai une autre solution tout à l'heure ; mais je sais bien qu'elle ne sera pas retenue. Pourtant, on le voit bien, il faudrait probablement remettre en cause le principe même de nos procédures inquisitoriales aller vers des procédures accusatoires.
Cela supposerait, au préalable, de mettre en place un système de « plaider coupable », qui permettrait d'évacuer des débats, comme c'est le cas en Grande-Bretagne, on oublie toujours de le dire, 90 % des affaires qui échappent dès lors à cette procédure accusatoire. La procédure accusatoire peut se dérouler d'une manière à peu près normale et satisfaisante, oralement, en présence du juge, des jurés et des avocats pour des affaires réellement problématiques.
Oserai-je dire que nous allons continuer à « patauger » quelque peu. M. Gélard a dit quant à lui que ce n'était pas un enterrement, je dirai pour ma part que c'est une mise au congélateur. Tout cela n'est guère satisfaisant.
Donc, en ce qui me concerne, je m'abstiendrai.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?
Je mets aux voix l'amendement n° 92, accepté par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. Michel Charasse. Le groupe socialiste s'abstient.
M. Jacques Larché. Je m'abstiens également.
M. Robert Bret. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 2 bis A est supprimé.
Article 2
bis
B
(précédemment réservé)
M. le président.
« Art. 2
bis
B. - Dans la première phrase du premier alinéa de
l'article 64 du même code, après les mots : "ces interrogatoires, ", sont
insérés les mots : "les heures auxquelles elle a pu s'alimenter, ". » -
(Adopté.)
Article 2
ter
(précédemment réservé)