Séance du 4 avril 2000
M. le président. « Art. 2 D. - I. - Dans le premier alinéa de l'article 63-1 du même code, après les mots : "agent de police judiciaire, ", sont insérés les mots : "de la nature de l'infraction sur laquelle porte l'enquête, ". »
« II. - Le premier alinéa du même article est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les dispositions de l'article 77-2 sont également portées à sa connaissance. »
Par amendement n° 3, M. Jolibois, au nom de la commission, propose de supprimer le II de cet article.
Cet amendement est assorti de deux sous-amendements.
Par sous-amendement n° 177 rectifié, MM. Jacques Larché, Gélard, Ulrich, de Richemont, Fauchon et Balarello proposent :
I. - De compléter l'amendement n° 3 par un B ainsi rédigé :
« B. - Compléter in fine cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« Il est inséré, après l'article 63-4 du même code, un article 63-5 ainsi rédigé :
« Art. 63-5. - Sans préjudice des dispositions de l'article 63-4, la personne gardée à vue peut être assistée par un avocat pendant ses auditions.
« Toute personne placée en garde à vue est immédiatement informée de ce droit. Si elle n'est pas en mesure de désigner un avocat ou si l'avocat choisi ne peut être contacté. elle peut demander qu'il lui en soit commis un d'office par le bâtonnier.
« Le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai.
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsque la garde à vue est soumise à des règles particulières de prolongation et lorsque l'enquête a pour objet la participation à une association de malfaiteurs prévue par l'article 450-1 du code pénal, les infractions de proxénétisme et d'extorsion de fonds aggravés prévues par les articles 225-7, 225-9, 312-2 à 312-5 et 312-7 du code pénal ou une infraction commise en bande organisée prévue par les articles 224-3, 225-8, 311-9, 312-6, 322-8 du code pénal. »
II. - En conséquence, de faire précéder le texte de l'amendement n° 3 de la mention : « A ».
Par sous-amendement n° 183, M. Jacques Larchépropose :
I. - De compléter l'amendement n° 3 par un B ainsi rédigé :
« B. - Compléter in fine cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« Le premier alinéa de l'article 63-4 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :
« La personne peut également demander à s'entretenir avec un avocat à l'issue de la dixième heure. »
II. - En conséquence, de faire précéder le texte de l'amendement n° 3 de la mention : « A ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 3.
M. Charles Jolibois, rapporteur. L'article 2 D prévoit que l'officier de police judiciaire doit immédiatement prévenir une personne mise en garde à vue que, six mois plus tard, si elle ne fait l'objet d'aucune poursuite, elle pourra interroger le procureur pour connaître la suite donnée à la procédure. Il nous est apparu qu'à la minute où une personne est placée en garde à vue la notification de cette information revêt un caractère quelque peu surréaliste.
Nous maintenons la position que nous avions adoptée en première lecture : nous demandons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à M. Fauchon, pour défendre le sous-amendement n° 177 rectifié.
M. Pierre Fauchon. C'est un enfant qui a eu beaucoup de pères à l'origine et qui n'en a plus qu'un. C'est un enfant abandonné. Ce n'est pas comme le Cid, qui arrive au port de plus en plus entouré : là, j'arrive tout seul, et il faut que je tienne le coup encore quelques minutes ! (Sourires.)
Dans les incertitudes où nous étions, il me semblait que la solution saine et raisonnable consistait à dire, comme le pensent beaucoup de professionnels, que plutôt que d'avoir l'avocat à la première, à la dixième, à la vingtième heure - c'est comme les ouvriers de l'Evangile ! - l'avocat est présent d'un bout à l'autre de l'interrogatoire.
Les interrogés sont bien assistés d'avocats pour une raison que je vais vous apprendre et qui va être une révélation extraordinaire ! Depuis plus de cent ans, on considère en effet que les personnes soumises aux pressions d'un interrogateur, d'un inquisiteur, doivent être défendues, doivent être assistées.
Dans ce cas de figure-là, cela paraît une évidence, et personne ne songerait à supprimer la présence de l'avocat en cours d'instruction.
En revanche, dans la phase antérieure, celle de la garde à vue, où cependant la pression morale - je préfère ne pas parler des pressions physiques puisqu'il est entendu qu'ici nous restons un peu à la surface des choses - est plus forte qu'elle ne le sera jamais par la suite, les avocats ne sont pas nécessaires, si ce n'est pour jouer le rôle d'infirmiers ou de témoins de temps à autre.
Le Sénat va sans doute se rallier à cette dernière solution. Elle est peut-être un peu moins mauvaise que celle qui figure dans le texte qui nous a été transmis. Disons que, parmi les solutions acceptables ou acceptées - car nous en sommes à faire le recensement de ce qui est supporté ou non ici ou là, et généralement plus ailleurs qu'ici en vérité - c'est cette solution qui passe le mieux.
Pourtant, la solution saine, normale, à laquelle on aboutira me semble-t-il assez rapidement, à moins de passer directement à l'accusatoire, consisterait tout simplement à dire que, lorsqu'on est dans un état aussi angoissant, lorsqu'on se trouve seul face à un inquisiteur redoutable, il est normal que l'on soit assisté, parce qu'il est juste et conforme aux principes les plus anciens des droits de l'homme qu'un homme qui est mis en accusation, qui est « mis sur la sellette », ne soit pas seul. C'est un droit fondamental ! Il me semble qu'il eût été bien de le reconnaître à cette occasion en prévoyant que la personne gardée à vue peut être assistée par un avocat pendant toutes ses auditions.
Voilà ce que je propose pour ma part et sur quoi je souhaiterais entendre les réflexions des uns et des autres.
M. le président. La parole est à M. Jacques Larché, pour défendre le sous-amendement n° 183.
M. Jacques Larché. Pour ce sujet, il y a eu tout un cheminement avant de parvenir au sous-amendement que j'ai l'honneur de présenter à la réflexion de la Haute Assemblée.
Tout d'abord, je dirai qu'aucun membre de la Haute Assemblée n'entend jeter la suspicion sur les gendarmes et la police. Je dirai par ailleurs qu'aucun parmi nous, j'en suis persuadé, ne voudrait faciliter outre mesure ce qui se passe au cours d'une garde à vue.
Un problème se pose, ce problème est très simple à formuler. Nous nous efforçons tous de le résoudre, mais en utilisant des méthodes différentes.
La garde à vue existe. Elle fonctionne. Fonctionne- t-elle bien ?
Si nous répondons oui à cette question, nous n'avons pas besoin de voter quoi que ce soit, nous pouvons même supprimer la présence de l'avocat à quelque moment que ce soit.
Si nous estimons en revanche que le déroulement de la garde à vue, qui est nécessaire, ô combien ! présente quelquefois, quelquefois seulement, un certain nombre d'aspects qui ne sont peut-être pas intégralement satisfaisants, nous pouvons chercher à améliorer le dispositif.
Il ne s'agit nullement de jeter une suspicion sur qui que ce soit. Cela peut même être de nature à aider ceux qui accomplissent la tâche difficile de mener la garde à vue, dans le respect des lois et de la dignité des personnes, autant que faire se peut. Le cheminement, vous le connaissez : l'amendement, l'Assemblée nationale l'a voté à l'unanimité, mais pas à la demande du Gouvernement ; circonstance atténuante, si j'ose dire ! Mais nous ne sommes pas en garde à vue, pour l'instant, nous sommes en train de voir exactement le déroulement des événements (Sourires.)
La proposition de notre collègue M. Charles Jolibois, je le dis très franchement, m'avait paru, à titre personnel, parfaitement raisonnable. L'enregistrement était encadré et il pouvait conduire à des résultats positifs aussi bien pour ceux qui mènent l'enquête que pour ceux qui la subissent.
La position de la commission des lois était parfaitement claire, sur la base de l'amendement de notre collègue. Mais la proposition d'un enregistrement n'existant plus, nous nous sommes efforcés de trouver une autre solution.
C'est alors qu'un certain nombre de démolisseurs habituels de l'ordre public (Sourires), je veux parler de MM. Patrice Gélard, Maurice Ulrich, Henri de Richemont, Pierre Fauchon, José Ballarello et de moi-même, bien sûr, se sont demandés si l'on ne pouvait pas envisager la présence de l'avocat tout au long de la garde à vue.
Je dois dire que je rejoins ici le propos très éloquent qu'a tenu tout à l'heure mon ami Pierre Fauchon : si nous adoptons cette mesure, nous changeons de système, et l'avocat change de nature. Il n'est plus cet avocat que nous avons l'habitude entre nous de qualifier d'« avocat humanitaire », c'est-à-dire celui qui vérifie si les sandwichs étaient bons, si le médecin est venu à l'heure, ou s'il faisait chaud dans la salle, toute une série de prescriptions particulièrement importantes qui doivent êtres vérifiées, c'est un avocat d'assistance. La garde à vue se transforme dès lors en instruction.
Vous avez dit, monsieur Fauchon, que l'on y viendrait peut-être dans cinq ou dix ans.
M. Pierre Fauchon, Bien sûr !
M. Jacques Larché. Je suis persuadé pour ma part que l'on y viendra bien avant ! Nous allons en effet nous rendre compte que tout ce que nous nous efforçons de faire ne produit pas le résultat escompté.
Nous aboutirons donc, un jour, à la présence de l'avocat de manière constante tout au long de la garde à vue, ce qui induira, sans aucun doute, un certain nombre de progrès importants dans la manière dont ces gardes à vue se déroulent parfois. En disant cela, je ne pense pas aux violences physiques ! Il y a tellement d'autres moyens que les violences physiques pour faire aboutir une garde à vue qu'il n'est même plus besoin de parler de ce genre de procédés.
On viendra un jour à la présence de l'avocat tout au long de la garde à vue mais, vous l'avez reconnu, monsieur Fauchon, nous ne sommes pas prêts à la transposition totale non seulement de ce mécanisme, mais de tout ce qui l'accompagne.
Si nous passons d'un système inquisitoire à une procédure accusatoire, il faut en effet instituer le « plaider coupable », ce qui n'est pas facile. Il faut aussi changer le rôle des procureurs de manière fondamentale. Le procureur ne sera plus obligatoirement un magistrat pouvant passer de la magistrature assise à la magistrature debout. Mais ce n'est pas tout.
Honnêtement, à dix-neuf heures quarante-cinq, ce soir, je dirai que nous ne sommes pas prêts pour aboutir à un résultat de cet ordre. Je vous propose donc, c'est l'objet du sous-amendement n° 183, un système plus modeste : la présence accrue de l'avocat.
Cette présence accrue ne change pas la nature de l'avocat. Il reste celui qui vient vérifier les conditions matérielles de la garde à vue et qui n'entre pas dans le déroulement de l'interrogatoire. Mais il sera là un peu plus que dans le passé.
Nous sommes déjà convenus qu'il serait là à la première heure, à la vingtième heure et, si la garde à vue est prolongée, à la trente-sixième heure, nous proposons aujourd'hui qu'il soit là, aussi, à la dixième heure.
Mais, ne nous y trompons pas, même si cet amendement paraît relativement secondaire, il est important et intéressant. Il signifie que le Sénat aura porté une attention particulière aux conditions dans lesquelles se déroule la garde à vue. Qui plus est, il démontre que le Sénat aura entendu apporter sa pierre à la correction nécessaire des conditions dans lesquelles se déroulent certaines gardes à vue (Applaudissements sur certaines travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les sous-amendements n°s 183 et 177 rectifié ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission est défavorable au sous-amendement n° 177 rectifié de M. Fauchon...
M. Pierre Fauchon. Nous n'avons pas délibéré !
M. Charles Jolibois, rapporteur. C'est par voie déductive et non par délégation !
Elle est favorable au sous-amendement n° 183 de M. Larché, qui s'inscrit plus dans la logique de ce que nous avons décidé à l'occasion des discussions que nous avons eues lorsque nous avons accepté la présence de l'avocat dès la première heure.
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 3 et les sous-amendements n° 177 rectifié et 183 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Comme je l'avais indiqué en première lecture, il ne me paraît pas illogique de prévoir, comme le propose l'Assemblée nationale, d'aviser les personnes gardées à vue de leur droit de saisir le président du tribunal dans le cas où, six mois après cette garde à vue, elles s'inquiètent de la suite de la procédure. Je suis donc défavorable à l'amendement n° 3.
Le sous-amendement n° 183 prévoit que, à sa demande, le gardé à vue pourra consulter un avocat à l'issue de la dixième heure. Le sous-amendement n° 177 rectifié prévoit que l'avocat pourra être présent en permanence pendant la garde à vue et assister son client. Ces dispositions ont clairement pour objectif de constituer une contrepartie à la suppression, que vous venez de décider, de l'enregistrement sonore des auditions. Je me suis expliquée sur les questions que soulève l'enregistrement sonore.
Je voudrais tout d'abord souligner que le texte d'ores et déjà adopté en termes conformes par le Sénat et l'Assemblée nationale prévoit des garanties fondamentales indépendamment de ces deux amendements, puisque la personne gardée à vue pourra demander à trois reprises l'intervention d'un avocat : dès la première heure - je rappelle que cette présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue est une disposition que j'avais présentée dès le 27 octobre 1997 dans ma communication en conseil des ministres - à la vingtième heure et à la trente-sixième heure, c'est-à-dire douze heures après une éventuelle prolongation. Ce sont là des droits significatifs qui constitueront des contraintes importantes pour les enquêteurs, il ne faut pas le cacher, mais que justifie la nécessité de sauvegarder les libertés individuelles.
Le Gouvernement se demande s'il est possible d'aller plus loin, sauf à modifier trop sensiblement les équilibres de notre procédure pénale. Bien sûr, la disposition proposée par M. Jacques Larché, la présence de l'avocat à la dixième heure, soulève moins de difficultés que la proposition de M. Fauchon qui prévoit la présence de l'avocat tout au long des auditions. Mais je voudrais tout de même souligner quelques-unes des difficultés importantes que provoquerait la proposition de M. Jacques Larché, à savoir la présence de l'avocat à la dixième heure.
D'abord, il s'en suivrait, pour l'avocat, un aller-retour qui serait difficilement possible dans la plupart des procédures en raison de la charge que cela représenterait pour les barreaux. Qu'un avocat puisse être suffisamment disponible pour intervenir pendant trente minutes à trois reprises pendant les premières vingt heures de la garde à vue pour s'entretenir avec la personne mise en cause sera souvent difficile. Les contraintes liées à la présence de l'avocat à la première, à la vingtième et à la trente-sixième heures sont déjà très importantes. La Chancellerie, qui a augmenté le budget de l'aide juridictionnelle en conséquence, de plus de 55 millions de francs, ne peut qu'espérer que les barreaux, spécialement ceux de province, pourront y faire face.
Permettre un nouvel entretien du gardé à vue pendant trente minutes avec l'avocat à la dixième heure est, à l'évidence, une source de contraintes supplémentaires pour les enquêteurs. Je voudrais vous donner un exemple précis des difficultés qui en résulteraient pour les enquêteurs si l'avocat devait revenir aussi à la dixième heure.
Imaginons un cas de violences urbaines ; de nombreux auteurs présumés sont arrêtés en même temps par les enquêteurs. Dans le temps limité de la garde à vue, les enquêteurs devraient gérer les auditions d'une dizaine de personnes pouvant s'entretenir avec un avocat à trois reprises - première, dixième et vingtième heure - pendant les vingt premières heures, soit trente entretiens ! Le sous-amendement n'exige pas que les enquêteurs attendent l'arrivée de l'avocat pour procéder à des auditions, mais il est évident que les enquêteurs devront, en pratique, concilier leurs investigations avec les disponibilités des avocats ! Je voulais souligner ces difficultés matérielles que, je crois, il ne faut pas négliger.
Avec le sous-amendement n° 177 rectifié de M. Fauchon, qui prévoit que l'avocat pourra être présent en permanence pendant la garde à vue et assister son client, à l'évidence on change de système. On confère à l'enquête de police judiciaire un aspect aussi contradictoire que l'instruction elle-même.
M. Hubert Haenel. Absolument !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. D'ailleurs, M. Fauchon est cohérent puisqu'il a rappelé tout à l'heure qu'il souhaitait qu'on passe à la procédure accusatoire, de type anglo-saxon. C'est effectivement ainsi que cela se passe dans la procédure accusatoire. Mais en proposant un tel sous-amendement, il oublie que la plupart des procédures, au Royaume-Uni, par exemple - je ne parle pas des Etats-Unis - comprennent une phase policière très longue sans la présence de personne.
M. Pierre Fauchon. Avec enregistrement !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Pas toujours, loin de là ! Comme je l'ai souligné la semaine dernière, on voit les défauts de notre système, mais pas ceux des autres ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Charasse applaudit également.)
Outre le fait qu'il tend à changer de système, le sous-amendement n° 177 rectifié présenté par M. Fauchon non seulement entraînerait des difficultés matérielles, comme je viens de le dire s'agissant de la présence de l'avocat à la dixième heure, mais présenterait le risque d'affaiblir l'enquête et donc de la rendre moins efficace, puisqu'il ne retient pas tous les dispositifs qui sont en vigueur dans les pays anglo-saxons et qui rendent l'enquête ô combien efficace.
Le sous-amendement n° 183 de M. Jacques Larché entraînerait des difficultés matérielles, que je crains considérables et difficiles à surmonter.
Vous l'aurez compris, je vous demande de laisser aux nouvelles dispositions qui font l'objet d'un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat, à savoir la présence de l'avocat à la première heure, à la vingtième heure et à la trente-sixième heure, le temps de faire leurs preuves. Déjà, nous instituons une avancée considérable en permettant au gardé à vue de demander trois entretiens successifs avec un avocat, le premier ayant lieu dès le début. Ces dispositions très protectrices doivent d'abord être appliquées au moins quelque temps. Ce n'est qu'après que l'on verra s'il est nécessaire et possible d'aller plus loin, ce dont je ne suis pas aujourd'hui persuadée, mais cela peut apparaître.
Un bilan détaillé, qui n'a jamais été réalisé pour les dispositions de la loi du 4 janvier 1993, qui a institué la présence de l'avocat à la vingtième heure de la garde à vue, pourra être dressé. Nous ferons de même au début de l'année 2002 pour la présence de l'avocat à la première heure de la garde à vue, disposition introduite par la loi du 4 janvier 1993 et supprimée par une loi d'août 1993, rappelons-le. Tout le monde évolue et les esprits mûrissent. En effet, cette disposition avait été introduite en janvier 1993 pour permettre la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue, mais elle a été supprimée en août 1993 par la nouvelle majorité de l'époque. Quoi qu'il en soit, c'est très bien que nos points de vue se rapprochent.
Ce bilan, sur la présence de l'avocat à la première heure, que je compte faire effectuer pourra comporter une appréciation quantitative sur le nombre d'interventions sollicitées, effectuées à la première heure, à la vingtième heure et à la trente-sixième heure, sur les pourcentages d'avocats choisis et d'avocats commis d'office, sur les délais moyens pour l'arrivée de l'avocat et enfin, sur les conséquences sur la durée des gardes à vue ; n'oublions pas ce dernier point. Il pourra également comporter une appréciation qualitative demandée aux praticiens : avocats, enquêteurs et magistrats.
Je m'engage à réaliser un rapport pour le début de 2002, à le porter, bien évidemment, à la connaissance des parlementaires, qui verront ainsi s'il est vraiment nécessaire de légiférer. Voilà pourquoi je demande au Sénat de ne pas se précipiter sur la solution proposée.
Je comprends, certes, que vous vouliez manifester - c'est aussi mon souci - votre volonté d'améliorer les conditions de garde à vue. Nous sommes tous, je crois, d'accord sur cet objectif. Toutefois, je vous demande d'abord de réfléchir déjà sur les dispositions qui font l'objet d'un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Vous l'aurez donc compris, je souhaite que vous rejetiez ces deux sous-amendements.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Monsieur le président, je demande que le sous-amendement n° 183 soit mis aux voix en priorité.
M. Pierre Fauchon. Ce n'est pas gentil !
M. Michel Charasse. Ce n'est pas M. Fauchon qui aurait fait ça !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je n'ai pas d'opposition.
M. le président. La priorié est ordonnée.
Je vais donc mettre aux voix le sous-amendement n° 183.
M. Hubert Haenel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Ma première considération sera de rappeler que le Sénat est réputé, et à juste titre, pour sa sagesse et son sérieux. Nous devons donc faire très attention de ne pas bouleverser complètement les ordres juridiques au détour d'un sous-amendement dont nous ne sommes pas en mesure d'apprécier toutes les conséquences.
Deuxième considération : si des lecteurs étrangers lisaient nos débats, ils auraient le sentiment que, dans le système français, la garde à vue n'est absolument pas encadrée, ce qui est totalement faux ! La garde à vue est encadrée, même si elle mérite encore des aménagements, auxquels nous sommes en train de réfléchir.
Troisième considération : qu'est-ce que la garde à vue ? Le système britannique, qui a été évoqué tout à l'heure, ne comporte pas d'officiers de police judiciaire, qui sont des mandataires de justice. Ils ont une qualification qui leur a été reconnue à l'occasion d'un concours et ils sont habilités par chaque procureur général pour exercer leurs pouvoirs dans un ressort. La garde à vue est donc « sous main de justice ». Ne l'oublions jamais !
C'est pourquoi je m'étonne qu'on parle beaucoup d'avocats, mais que l'on n'ait pas encore évoqué une seule fois les procureurs de la République. Ce sont pourtant eux et leurs substituts qui sont chargés du contrôle de la garde à vue ! J'aimerais bien qu'on me dise, une fois pour toutes, si l'on donne les moyens nécessaires aux procureurs de la République et aux substituts.
En fait, comme ils n'en ont pas, on prévoit la présence des avocats à la vingtième heure, à la huitième heure, à la onzième heure... Mais ce n'est pas satisfaisant.
Qu'il y ait un avocat, oui ! Mais alors le procureur de la République, qui est tout de même le gardien de l'intérêt général, doit être présent, d'une façon ou d'une autre. Arrêtons de dire, pour des raisons qui m'échappent, que seul l'avocat doit être présent ! Cela me choque profondément, pour des raisons qui tiennent au droit.
Où est donc passé le procureur de la République ?
M. Michel Charasse. On se le demande !
M. Hubert Haenel. S'agissant de l'avocat à la première heure, à la dixième heure, à la vingtième heure, vous avez dit, les uns et les autres - sauf Pierre Fauchon - que c'est un avocat humanitaire qui sera présent, mais en se taisant, et qui aura droit de s'entretenir avec celui qui n'est même pas son client puisqu'il ne l'assiste pas. Quel est exactement son rôle ? Cela mériterait aussi une définition.
M. Michel Charasse. Il serait un témoin. (Sourires.) M. Hubert Haenel. Que va donc dire l'avocat à cette personne, sinon lui répéter ce que lui a déjà dit le policier avec peut-être plus de détails ? « Voici vos droits ! »
On aurait pu aussi imaginer que le procureur de la République, ou son substitut, intervienne à la dixième heure. C'était également une solution. Personne n'y a songé, et je me garderai bien d'aller à l'encontre de la position du président de la commission des lois sur ce point !
J'en viens au barreau. J'ai dit dès la première lecture que je regrettais - je sais que M. Badinter n'était pas d'accord avec moi - qu'un truand appréhendé puisse présenter une carte et dire : « Appelez M. Untel, avocat ; s'il n'est pas là, appelez tel autre ! » Cela me semble dangereux.
Il faudrait donc que le barreau s'organise. Il pourrait y avoir un avocat de permanence, commis d'office, lequel avocat - je l'avais dit, j'y reviens - ne pourrait pas ensuite défendre la personne qu'il aurait assistée. Voilà qui me paraîtrait sérieux.
On n'a pas voulu adopter cette proposition. Tant pis ! Mais cela méritait de figurer dans le débat. Si, par la suite nous avons encore un débat sur la présence accrue de l'avocat, il faudra bien entendu se poser la question !
Si nous allions au bout de la logique de Pierre Fauchon, il n'y aurait plus de garde à vue ! Une personne arrêtée serait immédiatement mise entre les mains du juge d'instruction : il faut le savoir ! Je ne vois pas pourquoi on conserverait la garde à vue si, pendant son déroulement, il y a un avocat et pas de procureur. Je trouve quand même un peu extravagant qu'un avocat soit présent, ainsi que le policier qui mène son enquête, mais pas celui qui représente l'intérêt général et qui est, jusqu'à nouvel ordre, le procureur de la République !
On reparlera peut-être un jour de ce problème lorsque l'on abordera les relations parquet-Chancellerie. En tout cas, monsieur le président, madame le ministre, ayons bien cela présent à l'esprit lorsque nous examinons les amendements d'où qu'ils viennent.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Est-ce parce que j'ai fait allusion aux procédures médiévales que l'on a créé une chausse-trappe en appelant le sous-amendement n° 183 en priorité pour faire disparaître le mien ? Au demeurant, celui-ci ne disparaîtra pas facilement car je vais profiter de cette explication de vote pour répondre aux observations de Mme la ministre, observations dont je la remercie mais qui ne sont pas satisfaisantes.
Elle m'a d'abord dit que mon système consistait en réalité à « liquider » le système inquisitoire et à le remplacer par le système accusatoire au stade de la garde à vue. La deuxième observation, sur laquelle nous reviendrons tout à l'heure, a été seulement esquissée, mais, en réalité, c'est la vraie raison de son opposition.
Je tiens à dire que le fait d'introduire l'avocat au cours de la garde à vue ne constitue pas nécessairement un changement de procédure, pas davantage que le fait que l'avocat intervienne au cours de l'instruction, sous réserve de ce que notre collègue Hubert Haenel a fait observer pour le procureur et qui est assez fondé, me semble-t-il.
Je rappellerai qu'actuellement 90 % des affaires ne font pas l'objet d'une instruction. Nous ne sommes plus du tout au temps où la moitié des affaires étaient instruites. C'est fini ! Il faut bien savoir que l'instruction ne concerne que 8 % ou 10 % des affaires. Pour les autres affaires, il n'y a rien ou bien il y a justement la garde à vue.
Par conséquent, dire que si l'on prévoit l'assistance d'un avocat pendant la phase de l'instruction, on peut également la prévoir pour les affaires qui ne font pas l'objet d'une instruction - soit 90 % des affaires - et qui donnent lieu à une garde à vue, ne changerait pas le système.
Comme je l'ai dit, toutes ces solutions ne sont pas satisfaisantes et je reconnais volontiers que la mienne est loin d'être parfaite. Tout cela nous achemine vers un changement du système, lequel- à supposer que nous le décidions et il y a peu de chances, à l'heure qu'il est, qu'il en soit ainsi - ne consisterait pas à faire intervenir l'avocat en tant qu'assistant pendant la durée de la garde à vue.
En réalité, madame, le garde des sceaux - et c'est ce que vous avez dit à la fin de votre explication - vous pensez que la présence de l'avocat pourrait nuire à l'« efficacité de l'enquête ». Sur cette formule pleine de pudeur, mais aussi d'une clarté quelque peu obscure, j'aurais aimé avoir plus de détails. Mais je n'insiste pas davantage.
Si on m'en avait laissé le loisir, j'aurais retiré cet amendement non pas parce que je souhaitais qu'il disparaisse, mais pour qu'on ne puisse pas dire que le Sénat avait voté contre l'assistance de l'avocat pendant toute la durée de la garde à vue car je ne crois pas souhaitable que nous donnions cette image à l'extérieur.
Mais, puisque la question ne va pas se poser, disons simplement que je retire mon amendement pour qu'il ne tombe pas dans la chausse-trappe, traîtreusement mise sur son chemin. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La chausse-trappe, dont vous parlez, monsieur Fauchon, est la stricte application de notre règlement et n'est le fait ni du président de séance ni du président de la commission des lois. Cela dit, le sous-amendement n° 177 rectifié est retiré.
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Je pense que tout le monde est conscient de la nécessité de renforcer les garanties de la personne à ce stade de la procédure et de renforcer la transparence de la garde à vue. De ce point de vue, le procès-verbal est largement insuffisant.
Les réticences et les inquiétudes que soulèvent les enregistrements sonores ont conduit certains de nos collègues à proposer des solutions alternatives, par le biais de deux sous-amendements, à savoir la présence de l'avocat pendant les auditions - c'est l'objet du sous-amendement n° 177 rectifié - et la possibilité de s'entretenir avec un avocat à l'issue de la dixième heure - c'est l'objet du sous-amendement n° 183.
Je souhaite, à ce sujet, formuler quelques remarques.
Tout d'abord, nous sommes en deuxième lecture et il convient à ce stade de nous placer dans la perspective d'une éventuelle commission mixte paritaire qui devrait suivre.
Si nous décidions d'adopter le sous-amendement n° 177 rectifié, nous risquerions de bouleverser l'équilibre que nous avions, me semble-t-il, réussi à atteindre et que nous avions pourtant jusqu'à présent et d'un commun accord décidé de préserver, pour basculer, c'est vrai, dans un système accusatoire de type anglo-saxon.
Je sais que cette solution a de nombreux adeptes. Pour notre part, nous avons à plusieurs reprises souligné les risques d'une telle option qui favorise, on le sait, les classes aisées, au détriment des plus pauvres.
Le débat peut s'engager, mais je ne pense pas que ce soit le bon moment, sauf à considérer que le texte peut bien attendre encore un peu, sans compter que cela changerait, à notre avis, la lecture d'ensemble de la réforme globale de la justice.
Quant à la présence de l'avocat à la dixième heure de garde à vue, prévue par le sous-amendement n° 183, c'est une garantie supplémentaire, même si je ne suis pas certain qu'elle soit d'application aisée. Cela pose en effet la question des moyens et cela sous-entend, comme notre collègue M. Haenel l'a évoqué, des systèmes de permanence, car il n'y a pas toujours d'avocats disponibles, notamment dans les petites communes. Je rappelle que les gardes à vue ont bien souvent lieu la nuit.
Aussi, je pense préférable d'en rester au texte initial et il serait bon que la sagesse gagne le Sénat sur cette question.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je crois que nous sommes en train de nous engager dans une discussion qui, à mon avis, mérite une réflexion plus approfondie en commission mixte paritaire. Il faudra bien, en effet, que l'on trouve une solution, et on ne pourra la trouver qu'en essayant de rapprocher nos points de vue de ceux de l'Assemblée nationale, puisqu'elle a aussi son mot à dire.
Donc, point n'est besoin, me semble-t-il, de s'éterniser là-dessus.
Que voulons-nous, mes chers collègues, et l'opinion publique le comprendra à la lecture de nos débats ? Renforcer les garanties individuelles et ne pas empêcher, entraver ou freiner l'enquête.
Le magnétophone n'est pas forcément le meilleur témoin et, pour ce qui est de l'avocat, moi, je n'en sais rien !
Comme le disait très justement Mme le garde des sceaux, que se passera-t-il dans les petits barreaux qui ne comptent qu'un nombre d'avocats très restreint ? Si, d'aventure, à l'issue d'une manifestation agricole, par exemple, deux ou trois avocats peuvent être présents alors que dix ou vingt personnes sont interrogées à la suite de saccages divers, que se passera-t-il ?
M. Hilaire Flandre. Pourquoi les agriculteurs ?
M. Michel Charasse. Les membres de mon groupe sont donc perplexes sur la proposition de M. Larché, même si nous en comprenons bien les motifs et si elle n'est pas forcément à écarter de façon systématique.
En revanche, monsieur Fauchon, l'assistance de l'avocat en permanence pendant la garde à vue, c'est le désarmement des enquêteurs, l'impossibilité de faire avancer l'enquête. L'avocat cherchera éventuellement à prolonger indéfiniment l'interrogatoire pour arriver aux vingt-quatre, puis aux quarante-huit heures. Or, ce n'est pas un domaine où l'on a tout le temps devant soi ! La durée de la garde à vue est limitée. On ne peut pas se permettre de se perdre dans les fantaisies ou les « chicayas » de ceux qui joueront la montre pour que, au bout de vingt-quatre ou de quarante-huit heures, l'enquête préliminaire soit interrompue sans que l'on ait abouti au moindre résultat.
Monsieur le président, tout cela n'est pas satisfaisant. Aussi, de même que tout à l'heure, sur le magnétophone, nous nous sommes abstenus, nous nous abstiendrons sur le sous-amendement n° 183, tout en espérant beaucoup, je le répète,...
M. Hubert Haenel. Qui ne dit mot consent.
M. Michel Charasse. ... que ce débat inspire celles et ceux de nos collègues qui siégeront à la commission mixte paritaire pour dégager une solution qui préserve les intérêts de la personne mais aussi, et ils ne sont pas négligeables, ceux de la société et de l'Etat. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 183, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
M. Michel Charasse. Le groupe socialiste s'abstient.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.
M. Michel Charasse. Le groupe socialiste s'abstient.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2 D, ainsi modifié.
(L'article 2 D est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre maintenant nos travaux. Nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)