Séance du 11 mai 2000
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Ma question s'adressait à M. Védrine, ministre des affaires étrangères. Je regrette qu'il ne soit pas là, parce qu'il est directement concerné par le problème que je vais soulever. Je suis cependant ravi que M. Moscovici réponde à sa place.
De tous temps, la France a été une terre d'accueil et de refuge pour tous ceux qui ont quitté leur pays parce qu'ils considéraient que les droits de l'homme y étaient bafoués, voire parce qu'ils y vivaient des situations plus graves.
De tous temps, cet accueil s'est accompagné d'un certain nombre de règles.
La première de ces règles, c'est que nous demandons à ceux que nous accueillons de ne pas profiter de cette invitation sur notre territoire pour faire de la politique à l'encontre du pays qu'ils viennent de quitter.
Il existe une autre règle, qui ne figure nulle part mais qui va se soi : le moins que l'on puisse attendre de quelqu'un qui vient sur notre territoire, c'est qu'il n'insulte pas le Président de la République. Or, c'est ce que M. Taoufik Ben Brick vient de faire, à peine arrivé sur le sol français.
Je rappelle que M. Ben Brick est ce journaliste tunisien qui a fait quatre semaines de grève de la faim pour obtenir un passeport, la liberté de circuler dans son pays et le rétablissement de sa ligne de téléphone. Il a obtenu satisfaction sur tous les points, et ce, dans une certaine mesure, grâce au Quai-d'Orsay et à l'Elysée.
M. Védrine est même allé plus loin, puisqu'il lui a accordé un visa, en précisant que c'était pour des raisons humanitaires. Mais, à mon avis, M. Védrine savait à qui il avait affaire, puisqu'il a bien précisé qu'il ne lui avait pas accordé ce visa pour qu'il vienne continuer sur notre territoire la lutte contre le régime tunisien.
Or qu'a eu M. Védrine pour tout remerciement ? A peine débarqué, à peine descendu de son ambulance, M. Ben Brick a tenu une conférence de presse. Quand on lui a demandé ce qu'il pensait de l'avertissement de M. Védrine, il a laissé entendre qu'il n'en avait rien à faire.
Mais, ce qui est beaucoup plus grave, c'est qu'il a insulté à cette occasion le Président de la République et qu'il a confirmé ses propos dans un entretien dont le compte rendu est paru hier dans Courrier international . On peut lire dans ce magazine la déclaration suivante : « J'accuse Jacques Chirac d'avoir été si longtemps le plus fidèle soutien du régime ignominieux de Ben Ali... Le Président français n'hésite pas à propager des mensonges. » Un peu plus loin, M. Ben Brick affirme que « le silence de Jacques Chirac sur la nature de ce dictateur de seconde division qu'est Ben Ali en a fait le collaborateur du président tunisien ».
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.
M. Ladislas Poniatowski. Ce mot de « collaborateur » n'est pas innocent.
Je considère, compte tenu de ces propos, que M. Ben Brick n'est pas le bienvenu dans notre pays. (Murmures sur les travées socialistes.)
M. Paul Masson. Absolument !
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le ministre, ma question est donc de savoir non pas ce qui se passe en Tunisie, mais ce que vous allez faire pour inviter M. Ben Brick à exercer ses tristes talents hors de nos frontières, et ce le plus vite possible. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées socialistes.)
M. Alain Vasselle. Excellente question !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. M. Védrine n'est pas là parce qu'il fait son métier de ministre des affaires étrangères : il est en ce moment même en route vers Washington. Je me permettrai donc, à sa place, monsieur le sénateur, de rappeler l'origine de cette affaire.
M. Ben Brick, correspondant en Tunisie du journal La Croix, observait depuis le 3 avril dernier une grève de la faim pour protester contre les mesures qui l'empêchaient d'exercer son métier de journaliste et qui avaient notamment pour effet de resteindre sa liberté de circulation.
Dès le 20 avril dernier, la France a fait savoir, dans un souci d'apaisement - je répète ce propos - qu'elle était disposée à accueillir M. Ben Brick.
Celui-ci a néanmoins tenu par la suite des propos critiques à l'encontre des autorités françaises, notamment de M. le Président de la République, une première fois le 21 avril dernier et, de nouveau, dans une lettre ouverte au Président de la République, le 1er mai, propos repris dans le Courrier International .
En dépit de ces déclarations, les autorités françaises - toutes les autorités françaises, j'y insiste - toujours dans un souci d'apaisement, ont maintenu et maintiennent la même ligne, visant à favoriser le dénouement de cette affaire.
La soeur de M. Ben Brick a été reçue par un collaborateur - pardonnez-moi le mot ! - du Président de la République, le 27 avril dernier. Un visa de court séjour a été accordé à M. Ben Brick le 4 mai, après que les autorités tunisiennes lui ont délivré un passeport et ont levé l'interdiction de sortie du territoire qui pesait sur lui.
M. Ben Brick s'est rendu en France le même jour.
Le ministre des affaires étrangères avait précisé, dès le 3 mai, comme vous l'avez rappelé, que notre décision visait à contribuer à l'apaisement et non pas à encourager M. Ben Brick à poursuivre sa lutte depuis la France.
On peut déplorer ce qui se produit.
Nous regrettons - tout autant que vous, monsieur le sénateur - des propos portant une appréciation inexacte et ouvertement polémique sur la politique française à l'égard de la Tunisie.
A cet égard, je voudrais rappeler les propos d'Hubert Védrine devant l'Assemblée nationale : La France souhaite qu'une évolution politique accompagne les succès du développement économique et social que la Tunisie a su réaliser au cours des dix dernières années.
Cette ouverture, c'est aux Tunisiens eux-mêmes d'en fixer le rythme, le contenu et les modalités, mais elle est aujourd'hui à la fois indispensable et possible.
Une telle évolution, avec des nouvelles étapes vers la libéralisation et la démocratisation, permettrait aussi de concrétiser les engagements de respect des libertés fondamentales souscrits par la Tunisie elle-même dans son accord d'association avec l'Union européenne, qu'elle avait été le premier pays méditerranéen à conclure, dès 1995.
Telle est la position des autorités françaises à l'heure où je vous parle. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alain Vasselle. Alors, on le laisse continuer !
C'est une non-réponse !
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