Séance du 11 mai 2000
RÉGIMES DE RETRAITE
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 22 de
M. Jean-Pierre Fourcade à M. le Premier ministre, sur les régimes de retraite,
suivante :
M. Jean-Pierre Fourcade demande à M. le Premier ministre de préciser les
orientations qu'il vient d'annoncer sur les perspectives des régimes de
retraite dans les prochaines années. Il l'interroge sur les modalités
techniques et financières du rapprochement entre les régimes de base et les
régimes spéciaux, et sur la juxtaposition des mécanismes de répartition avec
ceux de l'épargne salariale.
La parole est à M. Fourcade, auteur de la question.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, j'ai
interrogé le Premier ministre sur les orientations qu'il vient de définir pour
assurer l'avenir des régimes de retraite en France dans les vingt prochaines
années, et je vous remercie d'avoir accepté de venir en débattre devant la
Haute Assemblée.
S'agissant d'un problème essentiel qui préoccupe sept français sur dix, selon
les sondages, j'estime qu'il est nécessaire de l'aborder de manière sérieuse et
réfléchie en se situant bien au-delà des polémiques observées depuis quelques
semaines.
Je partirai de quatre constats.
D'abord, l'allongement de l'espérance de vie constitue l'une des principales
mutations auxquelles la société française sera confrontée dans les décennies à
venir ; ce phénomène démographique est certain et rien ne peut permettre de le
contourner.
Ensuite, c'est à partir de 2005-2006 que les générations nombreuses de
l'après-guerre partiront en retraite, ce qui entraînera un bouleversement des
équilibres entre les actifs et les retraités.
Par ailleurs, notre système français de régime de retraite est complexe,
inéquitable et relativement opaque : entre les pensions de retraite versées aux
agriculteurs et celles dont bénéficient les agents de la SNCF ou de la RATP, il
y a peu de points communs, si ce n'est qu'elles sont toutes largement financées
par des transferts de ressources provenant des contribuables.
Enfin, en dépit des innombrables rapports, colloques, tables rondes et de
quelques mesures courageuses décidées en 1993, la France est en retard ; le
fait de différer les décisions aggrave le problème et inquiète autant les
futurs retraités que les jeunes qui débutent leur carrière. Il est donc urgent
de savoir ce qui se prépare pour éclairer nos concitoyens.
J'attends beaucoup de notre débat pour faire progresser la réflexion sur ce
sujet.
Je vous poserai ce soir deux questions seulement. D'une part, quelles sont les
orientations précises du Gouvernement concernant les modalités techniques et
financières du rapprochement entre les régimes de base et les régimes spéciaux
? D'autre part, quelle est la cohérence de la juxtaposition des mécanismes de
répartition avec ceux de l'épargne salariale, cette question étant au coeur de
l'actualité compte tenu de la présentation par le ministre des finances des
lignes directrices de son projet ?
Concernant le régime général et les régimes spéciaux, nous savons qu'ils
souffrent d'un déficit structurel qui ne fera que s'aggraver du fait des
événements que j'ai rappelés et de l'évidente détérioration du rapport entre
les actifs et les retraités.
Comme le soulignait notre excellent collègue Alain Vasselle dans son rapport
sur l'assurance-vieillesse dans le cadre de la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2000, « le rapport
Perspectives à long terme des
retraites
de 1995 évaluait ainsi les besoins de financements futurs du seul
régime général à 18,4 milliards de francs en 2000, 17,8 milliards en 2005, 55,4
milliards de francs en 2010 et 107 milliards de francs en 2015 », soit à cette
date, si on convertit de manière sommaire, l'équivalent de 4,3 points de
cotisation.
Pour les fonctionnaires civils, monsieur le ministre, le besoin de financement
était évalué à 34,2 milliards de francs en 2005, 56 milliards de francs en 2010
et 80,2 milliards de francs en 2015.
Au total, les besoins de financement en 2015 des différents régimes étudiés
par le rapport de 1995 - le régime général, les fonctionnaires civils, la
caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL,
la SNCF, l'association des régimes de retraites complémentaires, l'ARRCO,
l'association générale des institutions de retraites des cadres, l'AGIRC, les
exploitants agricoles - atteignaient 330 milliards de francs.
Ce poids difficilement supportable au regard des contraintes budgétaires
proviendrait pour moitié des régimes spéciaux des fonctions publiques de l'Etat
et des collectivités locales. Le régime général aurait un besoin de financement
légèrement moindre, de l'ordre de 107 milliards en 2015, comme je l'ai déjà
dit.
Les systèmes de retraite du secteur privé ont déjà fait l'objet de plusieurs
réformes, notamment celles qui ont été entreprises par le gouvernement de M.
Edouard Balladur en 1993, qui ont contribué à résorber les déficits et à
assurer une évolution des dépenses relativement compatibles avec les
ressources.
Il est maintenant devenu urgent de réformer les régimes spéciaux dont
l'équilibre est assuré par le contribuable. J'ai cru comprendre que le
Gouvernement s'en tient à l'engagement d'une négociation avec les partenaires
sociaux, assortie de la mise en place ces jours-ci d'un « conseil d'orientation
des retraites ». Après dix années de réflexion, vous avouerez que c'est un peu
court ! Je souhaiterais savoir ce soir quelles seront les prochaines étapes.
En effet, l'opacité de notre système de retraite porte aussi bien sur les
prestations servies par les différents régimes, qui ne sont pas du tout égales
selon que l'on relève du régime spécial de la SNCF, de la caisse autonome
nationale de compensation de l'assurance vieillesse artisanale, la CANCAVA, de
l'organisation autonome nationale d'assurance vieillesse de l'industrie et du
commerce, l'ORGANIC, que sur les relations financières compliquées entre
l'Etat, le régime général et les régimes spéciaux.
Nous savons tous que les disparités de traitement entre salariés du secteur
privé et salariés du secteur public sont allées croissant au cours des
dernières années.
Or, les perspectives financières de ces régimes spéciaux ne sont pas
favorables.
Je crains surtout que les écarts ne s'accroissent entre les assurés des
régimes spéciaux et les assurés des régimes qui ont déjà connu des réformes, au
détriment de ces derniers.
C'est pourquoi il me semble que rétablir l'égalité entre les salariés du
secteur privé et les agents de la fonction publique est une priorité. La
fonction publique bénéficie de privilèges qui menacent à terme les équilibres
budgétaires.
Par ailleurs, je crois nécessaire de rendre plus transparent l'engagement de
l'Etat en matière de retraite. Pour ma part, je pense qu'il serait nécessaire -
mais je sais que c'est une matière un peu taboue - d'individualiser le compte
retraite des agents publics au sein du budget de l'Etat pour peu que l'on
connaisse enfin
ex ante
et non
ex post
le taux des cotisations
versées pour la retraite des agents de l'Etat.
Par ailleurs, au Sénat - c'est la présence de M. Domeizel qui m'incite à le
dire - nous savons tous la nature des ponctions qu'a subies la CNRACL depuis un
certain nombre d'années et la complexité des mécanismes de compensation et de
surcompensation.
Autant la compensation est obligatoire du fait de la multiplicité des régimes
de base, autant la surcompensation est une astuce pour ponctionner les régimes
excédentaires afin de financer les autres.
Malheureusement, comme nous le savons tous et comme nous le disons cette
année, ce dispositif a des limites !
Je regrette que le Premier ministre, lors de sa déclaration du 21 mars
dernier, n'ait pas souhaité aborder ces questions essentielles et qu'il s'en
soit tenu à des dispositions générales.
J'en viens à la seconde partie de ma question : elle porte sur la
juxtaposition des mécanismes de répartition - auxquels tout le monde est
attaché - avec ceux de l'épargne salariale.
L'actualité me conduit à traiter de la note concernant le plan partenarial
d'épargne salariale, le PPES, qui vient d'être adressée aux partenaires
sociaux. Je regrette d'ailleurs que le Parlement, sur un sujet aussi important,
ait dû prendre connaissance de ce document par la presse.
Vous savez que le fonds de réserve que vous avez créé n'est pas une solution
durable au problème de financement futur de notre système de retraite ; il ne
peut constituer qu'une mesure d'accompagnement d'une réforme plus globale, même
s'il est utilisé comme un instrument de lissage temporaire.
Un tel fonds ne résout pas le problème du financement futur des retraites : il
ne peut que constituer une mesure d'accompagnement. Ce ne sont donc pas les
sommes que vous prévoyez d'affecter au fonds de réserve pour les retraites qui
sont à la mesure de la difficulté décrite dans le rapport Charpin. Je sais bien
qu'après il y a eu le rapport Teulade, mais, comme l'a parfaitement démontré la
commission des affaires sociales de la Haute Assemblée, le rapport Teulade
étant fondé sur des erreurs mathématiques évidentes, il est clair que le
rapport Charpin est plus indicatif.
Le défi démographique et financier que nous devons relever passe par la
création d'un système de retraite mixte, répartition-capitalisation.
S'agissant de l'introduction d'un complément de retraite par capitalisation,
sous la forme de fonds d'épargne retraite, le Gouvernement semble aujourd'hui
prendre conscience du caractère indispensable de cet apport. Que de temps perdu
!
Aussi, j'ai difficilement compris l'obstination du Gouvernement, au cours de
ces dernières années, à ne pas vouloir compléter le système de répartition par
de véritables fonds de pension fondés sur la capitalisation.
Au lieu de bricoler un dispositif d'épargne salariale créant une confusion
avec l'épargne-retraite, il aurait suffi, comme j'ai eu déjà l'occasion de vous
le dire, madame la ministre, de deux amendements très simples à la loi Thomas
que votre majorité aurait pu adopter très rapidement pour qu'ils s'appliquent
dès 1997. Nous avons perdu trois ans !
D'une part, il fallait réduire la possibilité de prélèvement par les
employeurs sur la marge laissée disponible en matière de financement de la
sécurité sociale, car, je le reconnais volontiers, la majorité de l'époque
était sans doute allée trop loin dans l'utilisation de cette marge.
M. Claude Domeizel.
C'était une mauvaise loi !
M. Roland Muzeau.
C'est le moins qu'on puisse dire !
M. Jean-Pierre Fourcade.
D'autre part, il convenait sans doute de supprimer la disposition prévoyant
que le chef d'entreprise pouvait décider seul d'un fonds de pension, sans
l'accord des délégués du personnel.
Pour le reste, les méthodes de collecte, de gestion, l'utilisation, la sortie
en rente et l'ensemble du dispositif prudentiel, la loi était parfaitement
équilibrée. Il suffisait de faire adopter très rapidement ces deux amendements
pour que nous ayons des fonds de pension capables de concurrencer ceux qui
viennent sous notre nez acheter des parts importantes de nos grandes
entreprises et générer des investissements, en général immobiliers,
sélectionnés du seul point de vue de la rentabilité brute.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Vous savez bien que les fonds de pension sont indispensables, mais vous
préférez parler d'épargne salariale, ce qui revient au même ; c'est une simple
différence de vocabulaire.
En fait, si l'on regarde de plus près la note concernant l'avant-projet de loi
sur l'épargne salariale qui vient d'être adressée aux partenaires sociaux, on
constate que vous allez créer un troisième étage de retraite complémentaire
reposant sur la capitalisation.
Alors qu'il était président de l'Assemblée nationale, M. Laurent Fabius a
souvent plaidé pour des fonds de pension à la française, dénommés par lui «
fonds partenariaux de retraite ». L'actuel ministre de l'économie, des finances
et de l'industrie propose aujourd'hui une nouvelle formule d'épargne-retraite.
L'avant-projet transmis aux syndicats et au patronat comporte la création d'un
nouveau plan d'épargne pour les salariés. D'une durée de dix ans à quinze ans,
il pourrait être liquidé sous forme de capital ou de rente et, dans ce dernier
cas, offrir un complément de retraite.
Je me félicite que ce projet crée une véritable rupture avec la philosophie
que vous avez défendue depuis plusieurs années, qui refusait le principe même
de la capitalisation.
Cependant, je constate que ce projet suscite déjà une réelle opposition de la
part d'un certain nombre d'éléments de la majorité plurielle qui soutient,
madame la ministre, monsieur le ministre, votre gouvernement.
Or, si j'ai bien lu, « la sortie du PPES » - permettez-moi d'utiliser ce
nouveau sigle pour le faire connaître - « pourrait se faire librement, au choix
du salarié, en capital ou en rente ».
Le coeur de ce nouveau dispositif consiste à ouvrir la possibilité pour tous
les salariés, y compris dans les PME et les PMI, dont 97 % des employés ne
bénéficient pas aujourd'hui de ces mécanismes, de cotiser à un « plan
partenarial d'épargne salariale » à long terme, avec abondement de
l'employeur.
Il s'agit de créer un nouveau produit d'épargne longue, en incitant à ce qu'il
soit investi majoritairement en actions, notamment celles de l'entreprise.
En clair, même si le Gouvernement reste - si j'ai bien compris - prudent sur
l'emploi du vocabulaire, il propose aux syndicats de créer, en quelque sorte, «
des fonds de pension de gauche », pour reprendre l'expression amusante d'un
journaliste de la presse écrite.
Ce qui me semble ennuyeux dans cette affaire, c'est la confusion entre
épargne-retraite et épargne salariale que le Gouvernement est en train de
créer.
Je souhaite donc connaître les orientations du Gouvernement s'agissant de la
cohérence des modalités techniques et financières de cette juxtaposition des
mécanismes de répartition avec ceux de l'épargne salariale.
Quelles sont les étapes ? Quel est le volume envisagé ? Quelles sont les
modalités de participation des employeurs et comment seront définies les
frontières entre ce troisième étage de capitalisation et les deux étages
actuels, à savoir les régimes de base et les régimes complémentaires ? Ce sont
là des problèmes de fond qui se posent à nous, et l'on ne peut s'en remettre à
une négociation de longue durée pour les résoudre.
Madame la ministre, monsieur le ministre, à persévérer dans l'attentisme, le
Gouvernement fait courir plusieurs risques à la société française : d'abord,
celui de décourager les jeunes, qui sont déjà nombreux à s'expatrier et qui
n'acceptent pas volontiers de voir augmenter les taux de cotisation qu'ils
subissent ; ensuite, celui de découvrir, mais un peu tard, que la seule réponse
valable au déséquilibre entre actifs et retraités sera d'ouvrir très largement
la porte à l'immigration de travailleurs plus ou moins qualifiés ; enfin, celui
de rendre plus difficile le maintien de la stabilité budgétaire, que vous êtes
en voie de retrouver. C'est l'une des clefs du bon fonctionnement de l'euro, et
il me semble que cet attentisme s'agissant du règlement du problème des
retraites comporte à terme un certain nombre de menaces pour la monnaie
unique.
C'est donc avec beaucoup d'intérêt que j'attends vos réponses.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE ainsi que sur les travées de
l'Union centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
- groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
- groupe socialiste, 25 minutes ;
- groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
- groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
- groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, le thème des retraites constitue certainement une des préoccupations
majeures des Français. Ils sont très attentifs aux réponses, car ils savent que
la qualité de leur avenir en dépend.
Mais, on le constate, le Gouvernement ne sait pas aller au-delà de
déclarations générales bien décevantes, hélas !
Pourtant, ce n'est pas faute d'information. Depuis M. Michel Rocard, tous les
Premiers ministres connaissent l'échéance des années 2000, tous connaissent la
difficulté des mesures à prendre. Le courage est une qualité indispensable à
ceux qui veulent gouverner dans l'intérêt du pays, même s'ils doivent en subir
les dures conséquences.
Que sont devenues les recommandations du rapport Charpin remis au Premier
ministre il y a plus d'un an ? Ont-elles été enterrées au profit des
conclusions lénifiantes du rapport Teulade ? Chacun le proclame : le devoir du
politique, c'est de prévoir et de dessiner l'avenir par des décisions claires.
Les difficultés futures du pays seront proportionnelles à votre indécision.
La question de mon ami Jean-Pierre Fourcade et son brillant exposé permettent
de revenir en profondeur sur le sujet dans toute son envergure. En effet,
l'avenir des retraites concerne l'ensemble des Français, quel que soit leur
âge.
D'autres orateurs interviendront certainement sur les facteurs démographiques
faisant apparaître de manière inéluctable des déficits et sur les projections
selon les divers régimes de retraite. Pour ma part, je centrerai mon propos sur
les régimes agricoles et, plus spécifiquement, sur le régime des non-salariés
agricoles.
En effet, alors que ce dernier présente des caractéristiques qui le
distinguent de la majorité des autres régimes de retraite - un niveau de
pensions excessivement bas, le plus faible de tous, et un déficit structurel,
le plus faible nombre d'actifs par retraite, à savoir un pour trois - le
Gouvernement ne prend guère en compte ces particularités en dehors du BAPSA et
il ne définit pas les mesures qu'il compte prendre pour rendre justice une fois
pour toutes aux retraités agricoles. Dès 1994, les décisions avaient laissé
espérer une évolution positive et accélérée. L'espoir a fait place à la
désillusion.
Madame la ministre, monsieur le ministre, voilà un mois, je vous ai posé une
question d'actualité sur les mesures que vous envisagiez pour pallier la
faiblesse des montants des pensions. La réponse n'était pas au niveau de
l'injustice. La revalorisation en valeur absolue des retraites des non-salariés
tenait davantage de l'effet d'annonce que d'une mesure conséquente.
Je choisirai l'exemple de mon département, le Gers, qui est significatif. La
masse trimestrielle versée par la mutualité sociale agricole aux retraités non
salariés s'élève à 173 millions de francs et la revalorisation en cours
s'établit à 4,2 millions de francs par trimestre, soit 2,46 %. Concrètement,
elle représente 175 francs de plus par mois pour 8 455 retraités sur 28 000.
Cette revalorisation est donc modeste dans son montant, et les deux tiers des
retraités en sont exclus. Les agriculteurs ne sont pas dupes de ces effets
d'annonce et l'autosatisfaction du Gouvernement leur apparaît comme de la
provocation.
Madame la ministre, monsieur le ministre, allez-vous dès lors accélérer et
étendre la revalorisation des retraites pour permettre aux anciens agriculteurs
de bénéficier, comme tous les citoyens, d'une conjoncture économique générale
favorable ? N'étaient-ce pas eux qui, en priorité, devaient bénéficier des
excédents fiscaux ? Je vous rappelle à ce propos que les agriculteurs sont les
seuls actifs dont le revenu a baissé cette année ; très précisément, il a
diminué de 7 %.
Pourquoi ne mettez-vous pas en application le « souci permanent de justice
entre générations et entre catégories sociales » proclamé par M. le Premier
ministre dans sa lettre de commande à M. Charpin, ainsi que « la solidarité
nationale », qui, selon les termes mêmes de la
Lettre du Gouvernement
du
6 avril dernier, devrait continuer de jouer à l'égard des régimes en
difficulté, car « l'équilibre est hors de leur portée, du fait des évolutions
économiques et sociales » ?
Une revalorisation substantielle serait une mesure de justice attendue par les
agriculteurs et elle serait comprise par tous ; elle ne saurait pourtant tenir
lieu de seule politique pour l'avenir. Elle doit être accompagnée de réformes
structurelles. Je citerai trois d'entre elles.
Il conviendrait de créer un régime complémentaire obligatoire pour les
agriculteurs, véritable deuxième pilier, comme cela existe déjà dans la plupart
des autres régimes. Le projet a été approuvé le 18 mars 1999 par le congrès de
la FNSEA. Le Gouvernement compte-t-il le mettre en oeuvre ?
Il faudrait intégrer, à moyen terme, dans le régime général les non-salariés
agricoles, leur assurer un statut homogène avec celui des salariés agricoles
dont le régime est déjà aligné sur le régime général.
En ce qui concerne le rapprochement entre régimes de base et régimes spéciaux,
formulé par M. Jean-Pierre Fourcade dans sa question, la refonte est
indispensable pour plusieurs raisons. Elle met en application le principe de
solidarité nationale, elle permet une simplification souhaitable alors que la
France dispose de vingt-six régimes différents. Techniquement, la baisse
continue du nombre de non-salariés agricoles rend possible une telle mesure.
Enfin, je voudrais souligner que l'allongement de la durée de cotisation pour
obtenir une retraite au taux plein est inévitable. J'insiste sur le fait que
cette décision ne sera comprise que si elle est appliquée à tous les régimes,
sans exception et de la même façon.
L'avenir des retraites et le maintien du système par répartition ne peuvent
être compromis par le report sans courage de décisions urgentes. Madame la
ministre, vous avez fait preuve de beaucoup de pugnacité et de détermination
pour des sujets comme le PACS ou les 35 heures.
M. Jean-Pierre Fourcade.
C'est vrai !
M. Aymeri de Montesquiou.
Nous observerons si vous faites preuve des mêmes vertus pour lutter contre une
injustice. Si vous le voulez, vous le pouvez !
(Applaudissements sur
certaines travées du RDSE et sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Domeizel.
M. Claude Domeizel.
Nous remercions M. Fourcade d'avoir posé cette question car elle devrait
permettre au Gouvernement non seulement de prouver qu'il n'est pas resté
immobile sur ce dossier, mais aussi d'apporter des précisions en complément des
orientations générales annoncées par M. Lionel Jospin, le 21 mars dernier, sur
l'avenir des retraites.
Il ne m'appartient pas de répondre au lieu et place du Gouvernement, mais,
pour ce qui me concerne comme pour le groupe socialiste, cette question est
l'occasion de rappeler la pertinence de la démarche adoptée par le Premier
ministre pour traiter cet épineux dossier qui préoccupe tous les Français, les
retraités aussi bien que les actifs.
Car le règlement du dossier est inéluctable et la recherche d'une solution est
un problème auquel tout gouvernant, quel qu'il soit, est confronté.
Je ne reviendrai pas sur les diagnostics qui ont été opérés : allongement de
la vie, allongement des retraites, choc démographique, problème de financement
des retraites.
Les faits sont là, et ce n'est pas en pratiquant la politique de l'autruche
qu'ils s'évacueront d'eux-mêmes.
MM. Aymeri de Montesquiou et Jean-Pierre Fourcade.
C'est vrai !
M. Claude Domeizel.
Je sais gré au Premier ministre d'avoir eu le courage de prendre ce dossier à
bras-le-corps avec conviction et méthode. Il est toujours facile de critiquer,
mais vous savez très bien que ce n'est pas en s'opposant systématiquement,
comme vous le faites constamment ici, mesdames et messieurs de la droite, que
des solutions constructives seront apportées.
Au fait, qu'avez-vous fait lorsque vous étiez au pouvoir ?
Mme Hélène Luc.
Bonne question !
M. Claude Domeizel.
M. Balladur a fait passer la durée de cotisations de 37,5 annuités à 40. M.
Juppé a totalement échoué en présentant son projet sur les retraites en dehors
de toute concertation.
Vous avez voté la loi Thomas, et notre collègue Jean-Pierre Fourcade a très
rapidement démontré que ce n'était pas une bonne loi puisque lui-même a demandé
qu'elle soit modifiée. Mais nous allons l'abroger.
Plus généralement, et c'est absolument regrettable, vous avez créé un climat
tendant à faire entrer dans les esprits que le système par répartition était
voué à l'échec.
Dans un communiqué de presse du 3 mai dernier, M. Delaneau, le président de la
commission des affaires sociales, ne vante-t-il pas la capitalisation en
faisant remarquer que la commission des affaires sociales du Sénat n'a pas
attendu la création d'un Conseil d'orientation des retraites pour formuler et
faire adopter par le Sénat des propositions concrètes en matière de retraite ?
Il rappelle que le Sénat a adopté une proposition de loi donnant aux 14
millions de salariés du régime général la possibilité de constituer un
complément de retraite par capitalisation.
Aujourd'hui, que proposez-vous d'autre ? Rien.
Il est facile de taxer le Gouvernement d'immobilisme et de faire de
l'opposition systématique ! S'agissant toujours de M. Delaneau, il ne serait
pas, si j'en crois ses communiqués, décidé à siéger au conseil d'orientation
des retraites, par principe.
Au contraire, le Gouvernement agit.
Monsieur Fourcade, vous avez très brièvement parlé de la CNRACL, dont je suis
président depuis quelques années. Permettez-moi de vous rappeler que le taux de
surcompensation diminue peu, mais c'est sur la bonne voie.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Grâce à qui ?
M. Claude Domeizel.
Grâce au Gouvernement, qui agit dans la concertation.
Nous soutenons la méthode employée par Lionel Jospin. D'ailleurs, nous ne
sommes pas les seuls à l'approuver. Si je me réfère aux résultats d'un sondage
réalisé après les annonces du Premier ministre sur les retraites, « les
Français approuvent majoritairement sa méthode » et, selon un autre sondage, «
les Français suivent le Premier ministre sur la retraite ».
Pour ce qui est de la méthode, celle de Lionel Jospin est totalement opposée à
celle qu'utilisait Alain Juppé. Travailler seul, dans la précipitation, conduit
à l'échec ; M. Juppé en a fait l'expérience qu'on connaît : tout le monde a en
mémoire les événements de l'automne 1995.
Sur un tel dossier, il est indispensable de prendre le temps nécessaire, car
nous n'avons pas le droit de nous tromper. Toute réforme pour s'assurer des
garanties de succès est rarement le fruit d'une génération spontanée. Et,
d'ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à agir ainsi. Plusieurs pays ont
procédé de la sorte. Il suffit de prendre un seul exemple, celui de la Suède,
qui vient de transformer la structure de son système de retraite par un
processus de réforme qui s'est étalé sur une quinzaine d'années.
La retraite est en effet un dossier porteur d'enjeux sociaux et financiers
importants, concernant l'ensemble de la société française pour plusieurs
générations. Les décisions en ce domaine méritent donc la plus grande attention
et nécessitent la mise en oeuvre d'une démarche concertée dans le double but de
les inscrire dans la durée et de préserver l'équité entre les générations
successives.
La première étape consistait à faire le point de la situation ; c'est l'état
des lieux réalisé par le rapport de Jean-Michel Charpin. Il était en effet
impératif de procéder à des diagnostics lucides pour prendre en compte la
mesure de la complexité du sujet.
La seconde étape repose sur la concertation ; c'est celle qui a été déjà menée
avec les partenaires sociaux. Je note que le Gouvernement n'entend pas imposer
une solution, il souhaite qu'une négociation s'engage rapidement avec les
partenaires sociaux. Notamment pour la fonction publique, il propose de
conclure un pacte pour les retraites toujours dans la concertation, préalable à
toute décision.
S'agissant du fond du sujet, la clé de voûte de l'édifice est la garantie de
notre régime de retraite par répartition et la consolidation de ce système,
symbole de la chaîne de solidarité qui relie entre elles les générations.
Cette position est la concrétisation des intentions que vous affichiez, madame
la ministre, au cours du débat sur la branche vieillesse lors de la discussion
du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 au chapitre
intitulé : « Consolider nos régimes par répartition », avec la détermination du
Gouvernement « d'assurer la pérennité de nos régimes par répartition dans la
concertation et le souci d'équité entre générations et régimes ».
Avec les membres du groupe socialiste, je ne puis qu'être favorable à la
consolidation des régimes par répartition.
Je constate également que le Gouvernement formule une série d'idées nouvelles
: un passage progressif de l'activité à la retraite ; la reconnaissance de la
pénibilité de certaines tâches ; la possibilité de racheter des annuités.
Toutes ces propositions vont dans le sens de l'équité et de la justice.
Ainsi, pour assurer la pérennité de retraites par répartition, Lionel Jospin a
avancé cinq principes : une démarche concertée et progressive ; le respect de
la diversité et de l'identité des régimes ; l'équité et la solidarité entre les
régimes ; une plus grande souplesse pour mieux respecter les choix individuels
et, enfin, l'anticipation de l'évolution démographique afin d'équilibrer les
charges entre les générations après l'horizon 2020.
Ces propositions concrètes qui s'ouvrent au dialogue, au positionnement des
uns et des autres, dans une démarche concertée, ont également le mérite
d'aborder le problème des régimes spéciaux. Je cite le Premier ministre : « Ne
rien faire serait laisser croire que les déséquilibres, massifs à terme, des
retraites des fonctionnaires pourraient être financés par la solidarité
nationale et par l'impôt et donc par l'ensemble des Français, fonctionnaires et
non fonctionnaires. »
S'agissant, d'une part, du respect de la diversité et de l'identité des
régimes et, d'autre part, de l'équité et de la solidarité entre les régimes, je
rappelle que pas moins de vingt-six régimes assurent aujourd'hui la couverture
de base du risque vieillesse. Je note que le Gouvernement entend préserver ces
spécificités et respecter l'héritage de l'histoire sociale de notre pays.
Il invite les responsables de chaque régime à ouvrir des discussions pour que
des solutions adaptées soient dégagées rapidement par la concertation.
Pour ma part, sur ce point, je m'attacherai à développer quelques éléments de
réflexion qui me tiennent à coeur.
Il ne s'agit pas, bien entendu, de fondre en un seul régime les régimes qui
ont leur spécificité et dont l'identité peut être préservée.
Le rapprochement à faire entre le régime général et les régimes spéciaux est
une question d'équité qui doit s'opérer à différents niveaux, non seulement
celui de la durée de la cotisation, mais aussi celui du taux de remplacement de
certains fonctionnaires afin qu'il soit équivalent, celui du passage progressif
à la retraite - qui devrait s'effectuer dans des conditions identiques pour
toutes les catégories de salariés -, celui de la possibilité de racheter des
annuités - rachat prévu au régime général et non pas dans les régimes spéciaux
-, celui de l'étude des conditions de départ anticipé pour cause de pénibilité
pour tous les salariés prenant en compte l'allongement de la durée de vie,
l'évolution des métiers, mais aussi des conditions psychologiques d'exercice
des fonctions et, enfin, celui de la mise en place de puissants dispositifs de
prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Il est aussi judicieux de rapprocher les revenus sur lesquels cotisent les uns
et les autres.
Dans le privé, avec les régimes complémentaires, les cotisations portent sur
la totalité du salaire. Aussi paraît-il justifié de faire cotiser les
fonctionnaires sur tout ou partie des primes dans un souci d'équité, étant
entendu que, dans ce cas, il y aurait lieu d'opérer les correctifs nécessaires
pour ne pas créer de disparités entre les fonctionnaires eux-mêmes et les
salariés du secteur privé au niveau du taux de remplacement. Plusieurs
approches pourraient également être envisagées pour les modalités techniques de
mise en oeuvre.
Enfin, pour aplanir les disparités, dans un souci de simplification
administrative, un alignement des cotisations, aussi bien dans le privé que
dans le public, est-il utopique ? Je ne le pense pas car, d'ores et déjà, les
droits du sol ne prévalent plus. L'influence du droit communautaire sur le
droit de la fonction publique s'infiltre peu à peu dans le code des
pensions.
M. Alain Vasselle.
Pas beaucoup !
M. Claude Domeizel.
Le règlement communautaire relatif à l'application des régimes de sécurité
sociale aux travailleurs et aux membres de leur famille qui se déplacent à
l'intérieur de la Communauté étend aux régimes spéciaux le principe de la
protection sociale.
Par ailleurs, l'évolution de la réglementation sera essentiellement due au
juge communautaire. En effet, dans sa décision du 22 novembre 1995, la Cour de
justice des communautés européennes, tout en confirmant que tous les régimes
spéciaux applicables aux fonctionnaires n'entraient pas dans le champ
d'application du règlement, a confirmé que cette exclusion était incompatible
avec l'obligation posée par l'article 51 du traité de Rome.
Enfin, un autre aspect de l'unicité des droits sociaux vient d'être mis en
lumière par le Conseil d'Etat, qui vient d'anticiper, à deux reprises, sur
d'éventuels contentieux portés devant la juridiction communautaire, s'agissant
notamment des discriminations entre les hommes et les femmes au regard des
droits à pension, en matière de bonification de pension pour avantages
familiaux.
Sur ce dernier point, pour juguler les effets du choc démographique et les
problèmes de financement des retraites, ne faudrait-il pas envisager de ne plus
faire financer par les contributions de retraites les prestations pour des
motifs familiaux ? Dans un souci de clarification, il paraît en effet
indispensable de séparer ce qui doit relever de la retraite et ce qui doit
relever de la politique de la famille.
L'allongement de la durée de vie de notre population pose le problème du
financement des retraites, mais aussi de la place des personnes âgées dans
notre société et de la prise en charge de celles qui deviennent dépendantes.
Ces trois questions sont intimement liées et je voudrais insister, à ce moment
de mon intervention, sur celle de la dépendance, qui concerne 1 300 000
personnes en perte d'autonomie.
Si le Sénat est très attaché à ce dossier, nous nous rappelons de votre
persévérance, monsieur Fourcade, et de votre combat pour faire adopter la loi
que nous connaissons aujourd'hui : une loi qui, mauvaise au départ, se révèle
mauvaise à l'arrivée.
Nous avons pu, dans tous les départements et au travers des associations,
établir les enseignements de la mise en oeuvre de cette prestation. Elle attire
les critiques de tous les acteurs sociaux et de tous les bénéficiaires. Le
secteur privé comme le secteur public ne sont pas en reste de doléances.
Cette prestation est un échec. Elle ne touche que 120 000 personnes, alors
qu'elles sont 1,3 million à être au moins moyennement dépendantes, et son
montant est à la fois insuffisant et inégalitaire puisqu'il est fixé par les
conseils généraux.
M. Alain Vasselle.
Cela n'a rien à voir !
M. Claude Domeizel.
Tout est lié, monsieur Vasselle !
Ainsi, lorsque les situations sont le plus souvent comparées, les montants
servis varient d'un département à l'autre. De même, les aides attribuées par
les caisses de retraite sont extrêmement hétérogènes.
Aujourd'hui, les perspectives tracées par le Premier ministre nous
apparaissent comme une avancée très significative.
M. Alain Vasselle.
Tu parles !
M. Claude Domeizel.
Il reconnaît un droit objectif. Il préconise l'abandon de la logique d'aide
sociale et d'assistance. Il s'engage financièrement aux côtés des départements
et des caisses de sécurité sociale, afin que ce droit soit garanti dans le
cadre de la solidarité nationale. Il inscrit sa gestion au niveau
départemental, dans le respect des compétences des conseils généraux...
M. Alain Vasselle.
Tiens donc !
M. Claude Domeizel.
... et afin d'assurer un traitement de proximité des situations rencontrées
par les personnes âgées.
Je ne voudrais pas terminer sans souligner l'importance du Conseil
d'orientation des retraites, dont le décret portant création a été signé le 10
mai dernier et publié au
Journal officiel
aujourd'hui.
M. Alain Vasselle.
La seule innovation dans la réforme !
M. Claude Domeizel.
Mais elle est importante !
M. Alain Vasselle.
Tu parles !
M. Claude Domeizel.
Permettez-moi de citer Georges Bernanos : « On ne subit pas l'avenir, on le
fait. »
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Très bien !
M. Claude Domeizel.
L'instauration d'un tel conseil pour organiser, dans la durée, la concertation
sur l'avenir des retraites est une proposition innovante, car il manquait dans
notre pays un tel organisme.
M. Alain Vasselle.
Paroles ! Paroles !
M. Claude Domeizel.
Par ses compétences, comme par son autorité, il pourra dire régulièrement aux
Français, de façon incontestée, comment vont évoluer leurs retraites et quelles
sont les perspectives crédibles des différents régimes.
La mise en place de ce conseil, constitué de représentants des partenaires
sociaux, de parlementaires et de personnalités qualifiées, est une nouvelle
démonstration de la volonté de prolonger la concertation.
Ecoutez bien, monsieur Vasselle, au vu des missions dont il sera investi -
suivi des conséquences des évolutions économiques, sociales ou démographiques
sur les régimes de retraites ; veille sur l'équité et la nécessaire solidarité
entre les régimes ; force de propositions pour le Gouvernement, même s'il
restera, bien sûr, à ce dernier la responsabilité d'agir ou de trancher -,
comment peut-on prétendre qu'il s'agisse d'un « comité Théodule », comme
l'écrit M. Delaneau ? Je trouve cette attitude qui, finalement, engage la
majorité de droite du Sénat bien regrettable face à l'enjeu. Mais c'est une
nouvelle démonstration d'une opposition systématique et négative à laquelle le
Sénat nous habitués mais qui ne trompe pas l'opinion publique.
Telles sont, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues,
les quelques réflexions que m'ont inspiré les éléments de la question posée par
notre collègue Jean-Pierre Fourcade.
Le système de retraite français est un élément essentiel de notre cohésion
sociale. Fondé sur la solidarité, il opère de larges redistributions. Il a
permis d'assurer aux retraités un niveau de vie équivalent à celui des actifs
et de réduire considérablement la pauvreté chez les personnes âgées. Sa
consolidation est un objectif majeur pour la société française.
Au nom du groupe socialiste, je remercie le gouvernement d'avoir mis le
problème des retraites au coeur de ses préoccupations, d'avoir eu le courage
d'annoncer ces mesures et de se donner les moyens de les mettre en oeuvre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, je voudrais commencer par remercier notre collègue Jean-Pierre
Fourcade d'avoir permis ce débat par sa question orale sur les retraites, sujet
ô combien d'actualité, qui méritait sans aucun doute d'être abordé par la Haute
Assemblée, compte tenu de l'inertie qu'a manifestée le Gouvernement sur ce
dossier depuis 1997. Je crois qu'il est temps que nous manions l'aiguillon à
l'égard du Gouvernement pour faire bouger les choses. Je ne sais pas, monsieur
Fourcade, si nous obtiendrons les résultats que nous espérons, toujours est-il
que l'on peut toujours tenter !
Mes chers collègues, après trois années d'hésitation et de tergiversations le
Premier ministre a présenté, le 21 mars dernier, « les orientations du
Gouvernement sur l'avenir de nos régimes de retraite ».
Nous avons pris acte de la vigoureuse défense par le Premier ministre du
système de retraite par répartition, comme si ce dernier était menacé. Or, à ma
connaissance, personne n'a songé jusqu'à aujourd'hui à l'attaquer.
L'actuelle opposition nationale a ainsi toujours affirmé son attachement à la
répartition, je le rappelle avec force. Les mesures courageuses prises par le
Gouvernement de M. Balladur en 1993 témoignaient précisément du souci d'assurer
la pérennité de ce mécanisme admirable, symbole de la solidarité entre les
générations.
Nous avons, en revanche, pris connaissance avec consternation des «
orientations » du Gouvernement : la déclaration tant attendue - dans les deux
sens du terme - du Premier ministre ne comporte aucune décision concrète, à
l'exception de la création d'un conseil d'orientation des retraites, comme l'a
souligné M. Domeizel - ce qui a donné un peu de consistance à son propos !
Trois années de concertation débouchent sur l'annonce d'une nouvelle
concertation !
Il est bien beau de défendre, la main sur le coeur et des trémolos dans la
voix, le système de retraite par répartition ; il aurait été plus utile de
prendre les mesures nécessaires pour que l'avenir de ce système soit
effectivement préservé. C'est en réformant notre système de retraite que l'on
démontre l'attachement qu'on lui porte et non en le laissant dériver
inexorablement.
La déclaration du Premier ministre confirme hélas ! que le Gouvernement a
renoncé définitivement à prendre les mesures nécessaires pour assurer la
pérennité des régimes par répartition.
En réalité, notre système de retraite n'est pas menacé par l'éventuelle
introduction d'un complément de retraite par capitalisation, comme le laisse
entendre le Premier ministre ; il l'est par des perspectives démographiques et
financières inéluctables.
Les faits sont têtus et doivent être rappelés avec force.
Le rapport de M. Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, sur l'avenir de nos
retraites, remis au Premier ministre le 29 avril 1999, a ainsi confirmé les
diagnostices formulés à deux reprises déjà, en 1991 et 1995 : en raison du
vieillissement de la population française, notre système de retraite, nous le
savons tous, sera confronté à un choc financier inéluctable à partir de
2006.
Le nombre de personnes de plus de 60 ans augmenterait de 10 millions à
l'horizon 2040 tandis que le nombre d'actifs diminuerait de un million environ
; les plus de 60 ans représenteraient un tiers de la population totale en 2040
contre un cinquième en 1995. Le rapport entre les plus de soixante ans et les
20-59 ans passerait de quatre en 1995 à 7 en 2040.
La conséquence de ce déséquilibre est que, à réglementation inchangée, le
maintien de la parité de niveau de vie entre retraités et actifs conduirait à
multiplier par 1,55 le taux de cotisation d'équilibre à l'horizon 2040. A
législation inchangée, la part de la richesse nationale consacrée aux retraites
s'accroîtrait de 30 % vers 2040.
Dans l'hypothèse où la règle actuelle d'indexation des retraites du régime
général sur les prix serait maintenue, les charges de retraite des régimes
seraient multipliées, en termes réels, par un facteur de 2,8 et progresseraient
de 12,1 % du PIB en 1998 à 15,8 % en 2040.
Compte tenu de ces évolutions, le besoin de financement du système de retraite
par répartition s'élèverait, en francs constants, à 190 milliards de francs par
an en 2020 et à 700 milliards de francs par an en 2040, soit environ quatre
points de PIB, avec une hypothèse de chômage de 6 %.
Le rapport de M. Charpin a en outre démontré qu'une évolution plus favorable
de la productivité ou de l'emploi ne jouerait qu'un rôle marginal pour
l'amélioration de la situation financière des régimes de retraite : avec un
taux de chômage de 3 % - c'est-à-dire un taux exceptionnellement bas et
favorable - le besoin de financement de l'ensemble du système de retraite ne
serait réduit que de 21 % en 2020 et de 13 % en 2040 ; il demeurerait donc, en
tout état de cause, de 600 milliards de francs par an à cette date.
Les résultats du rapport Charpin ont sans doute déplu au Gouvernement. Dans
son intervention du 21 mars dernier, le Premier ministre s'est ainsi efforcé de
relativiser les conclusions de ce rapport. Je le cite : « Des éléments de
diagnostic ont été établis par la commission présidée par le commissaire au
Plan, M. Jean-Michel Charpin. Des experts s'étaient exprimés avant lui,
d'autres l'ont fait depuis. Leurs conclusions parfois diverses soulignent la
complexité et la difficulté de l'expertise sur ce sujet. » Une découverte !
Le Premier ministre reconnaît, certes, que « nos régimes de retraite vont
connaître, à des degrés divers, des difficultés financières qui trouvent leur
source dans les évolutions démographiques ».
Mais c'est aussitôt pour mieux minimiser ces difficultés qui - je cite une
nouvelle fois M. le Premier ministre - « doivent toutefois être replacées dans
un contexte nouveau, celui d'une croissance forte, et dans la perspective
désormais crédible du retour au plein emploi ».
Ce faisant, M. le Premier ministre s'appuie sur les conclusions
particulièrement optimistes d'un autre rapport, celui de M. René Teulade, pour
qui « la croissance est un vecteur essentiel de la stabilité et de la
pérennisation de notre système de retraite par répartition ».
Or M. Teulade a choisi de se placer résolument dans un horizon de court terme,
de l'ordre de quatre ou cinq ans - il nous l'a confirmé devant la commission
des affaires sociales -, ce qui est pour le moins surprenant lorsqu'on veut
aborder « l'avenir des systèmes de retraite » : à un horizon de cinq ans, il
n'y a effectivement aucun problème de financement des retraites et chacun peut
partager l'optimisme de M. Teulade.
Le rapport de M. Teulade se réfère à une étude du Conseil économique et social
en date de juin 1999, intitulée
Perspectives socio-démographiques à
l'horizon 2020-2040,
pour faire valoir qu'un « taux de croissance de 3,5 %
par an pendant quarante ans serait nécessaire pour permettre le financement des
retraites sans augmentation de la part des retraites dans le PIB ».
Le problème, c'est que ce raisonnement repose sur une erreur de méthode
grossière, qui conduit le rapport de M. Teulade à minorer de moitié, soit de
plus de 300 milliards de francs par an, la charge future des régimes de
retraite.
Cette erreur est apparue de manière flagrante lors des auditions de MM.
Teulade et Charpin par la commission des affaires sociales le 9 février
dernier.
Les projections citées par M. Teulade « oublient », en effet, que la pension
moyenne augmente à long terme au même rythme que les salaires. Car les pensions
servies dépendent des salaires perçus par les assurés pendant leur carrière.
Chaque génération d'actifs bénéficiant de salaires plus élevés que les
générations précédentes, la pension moyenne augmente donc en termes réels d'une
année sur l'autre du simple fait du renouvellement des générations de
retraités, et cela quel que soit le mode d'indexation des pensions retenu.
Le Premier ministre a donc préféré faire reposer son analyse sur un rapport
erroné - celui de M. Teulade - plutôt que sur les travaux sérieux et
incontestés de M. Charpin, dont les conclusions étaient évidemment plus
embarrassantes pour le Gouvernement puisqu'elles démontraient la nécessité et
l'urgence des réformes.
L'objectif du Gouvernement est clair : semer la confusion dans l'esprit des
Français en laissant croire qu'il est possible de différer la réforme des
retraites. C'est ainsi que l'on ruine en quelques instants les efforts de
pédagogie qui avaient été accomplis depuis plusieurs années !
Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le Premier ministre n'ait pas
davantage suivi le rapport Charpin, qui recommandait d'engager dès à présent la
réforme du système de retraite, avant que le choc démographique ne fasse sentir
ses effets.
Comme l'avait souligné fort pertinemment M. Charpin, si l'on décide de
ponctionner les revenus des actifs pour rééquilibrer financièrement le système,
il n'y a aucune nécessité de le faire aujourd'hui. En clair, si l'on veut
atteindre l'équilibre financier par une hausse des cotisations, on peut très
bien attendre 2005, sans aucune difficulté.
En revanche, si l'on ne se résigne pas à cette solution, il faut agir très
vite. Si l'on veut, par exemple, jouer sur l'âge de la retraite, il faut que
l'ajustement soit étalé sur une très longue période pour préserver l'équité
entre les générations.
Le principal danger serait précisément de refuser d'affronter le problème en
temps utile. On se trouverait alors vers 2010 dans une situation où les
arbitrages seraient extrêmement douloureux à prendre. Faute de les avoir
anticipés, on risquerait justement de faire porter tout le poids du
rééquilibrage des retraites sur un nombre relativement faible de générations
qui pourraient alors refuser un effort supplémentaire.
Le titre du rapport d'information que j'avais eu l'honneur de présenter, au
nom de la commission des affaires sociales voilà un an,
Réforme des
retraites : peut-on encore attendre ?
résumait à lui seul tout l'enjeu de
notre débat.
A cette interrogation que j'avais formulée, le Premier ministre a répondu très
clairement : oui, il est non seulement possible mais urgent d'attendre !
Examinons maintenant, point par point, les annonces faites par le Premier
ministre.
On observera tout d'abord que l'allongement à quarante annuités de la durée de
cotisation dans la fonction publique est seulement suggéré comme l'un des
thèmes d'une négociation avec les partenaires sociaux.
Il est assez singulier que le Premier ministre laisse aux fonctionnaires
eux-mêmes, par l'intermédiaire de leurs organisations syndicales, le soin de
décider de l'allongement de leur durée de cotisation.
Compte tenu des échecs cuisants que vient de connaître le Gouvernement dans sa
réforme de Bercy et dans la transposition des 35 heures dans la fonction
publique - à moins que M. Sapin ne parvienne à faire évoluer les choses plus
favorablement que son prédécesseur - on ne peut qu'être très sceptique sur les
chances de succès de cette négociation et souhaiter bonne chance au
Gouvernement dans cette entreprise. J'observe d'ailleurs que certaines
organisations syndicales et non des moindres - la CGT et FO notamment - ont
fait part, dès le lendemain des déclarations du Premier ministre, de leur
opposition résolue à toute augmentation de la durée de cotisation.
On remarquera également que la déclaration du Premierr ministre constitue un
hommage appuyé à la réforme Balladur de 1993 : non seulement cette dernière
n'est pas remise en cause mais le Gouvernement propose de l'étendre en
allongeant à quarante années la durée de cotisation pour la fonction publique,
comme l'avait d'ailleurs prévu M. Alain Juppé.
La contrepartie de l'allongement de la durée de cotisation pourrait être,
selon le Premier ministre, l'intégration d'une partie des primes dans le calcul
des retraites. J'observe que cela aurait naturellement pour effet à long terme
d'accroître les charges de retraite des régimes concernés.
Je m'étonne que l'allongement de la durée de cotisation ne soit en outre
envisagé que pour la seule fonction publique et non pour les autres régimes
spéciaux - SNCF, RATP... - pour lesquels, comme l'a indiqué le Premier
ministre, « la solidarité nationale doit continuer de s'exercer (...) dans les
mêmes conditions qu'actuellement ».
Ces régimes resteront à l'écart de toute réforme puisque, je cite encore une
fois le Premier ministre, « il serait illusoire, dangereux et injuste de leur
faire supporter un effort de redressement qui serait hors d'atteinte ». S'il y
a un point sur lequel je partage l'analyse du Premier ministre, c'est
effectivement le caractère « dangereux » pour le Gouvernement d'une réforme des
régimes spéciaux.
S'agissant du régime général et des régimes alignés, le Premier ministre
souhaite faire du retour à l'emploi, notamment des personnes de plus de 50 ans,
une priorité. Comment expliquer, dans ces conditions, que le Gouvernement ait
fait paraître, le 10 février dernier un décret définissant « le nouveau cadre
de cessation anticipée d'activité des salariés âgés » ?
Alors que le Gouvernement déplore la faiblesse des taux d'activité entre 55 et
60 ans en France, l'Etat va dépenser 20 milliards de francs pour permettre à
l'industrie automobile de faire partir quelque 120 000 salariés en préretraite
à partir de 55 ans. N'y a-t-il pas là un double langage ? S'agissant du fonds
de réserve, malgré des rumeurs persistantes faisant état d'affectation de
nouvelles recettes provenant de la cession d'actifs publics, je constate que le
Premier ministre n'a pas annoncé de décision nouvelle significative.
Le chiffre de 1 000 milliards de francs en 2020, conçu à l'évidence pour
frapper les esprits, est obtenu par une simple extrapolation, pendant les vingt
prochaines années, des recettes aujourd'hui affectées au fonds, dans des
conditions économiques exceptionnellement favorables.
Ce chiffre peut sembler considérable : il ne représente pourtant que trois
années de besoin de financement - c'est-à-dire de déficit prévisionnel - des
régimes de retraite en 2020.
Je m'interroge, en outre, sur la façon dont ce fonds pourra être alimenté
jusqu'en 2020 alors même que l'ensemble des régimes de retraite devraient voir
leur besoin de financement croître fortement à partir de 2010, pour atteindre
700 milliards de francs par an en 2040.
Ainsi, le dossier remis à l'occasion de la conférence de presse du Premier
ministre indique, par exemple, que le régime général devrait alimenter le fonds
de réserve pour une somme totale de 100 milliards de francs entre 2000 et
2020.
Parallèlement, le même dossier prévoit que le régime général sera déficitaire
de 5 milliards de francs à partir de 2010, ce déficit allant croissant jusqu'à
atteindre 100 milliards de francs par an en 2020.
Pour la seule période 2010-2020, le besoin de financement cumulé des
différents régimes de retraite est évalué, dans les hypothèses économiques les
plus favorables, à plus de 1 500 milliards de francs. Entre 1 000 milliards de
francs, d'un côté, et 1 500 milliards de francs, de l'autre, il ne faut pas
être très savant pour voir que la différence est de 500 milliards de francs
!
Soit le fonds de réserve n'atteindra jamais les 1 000 milliards de francs
parce qu'il aura été entièrement épuisé avant 2020 pour combler les déficits
annuels des différents régimes de retraite, soit il continuera d'être alimenté,
mais les déficits accumulés viendront gonfler une nouvelle dette sociale. Quel
serait alors le sens d'un fonds de réserve de 1 000 milliards de francs en 2020
si, parallèlement, s'est creusée une dette de 1 000 milliards de francs ?
C'est en fin de compte, un fonds de réserve négatif que vous nous proposez.
Au total, la seule décision annoncée par le Premier ministre est la
constitution par voie réglementaire d'un conseil d'orientation des retraites
chargé d'« organiser dans la durée la concertation sur l'avenir des retraites
». Ce conseil vient d'ailleurs d'être créé par un décret paru aujourd'hui
même.
Si l'on fait le compte, il s'agit donc de la quatrième concertation sur les
retraites depuis que ce gouvernement est arrivé au pouvoir !
Le Premier ministre, par lettre en date du 29 mai 1998, avait chargé M.
Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, détablir « un diagnostic aussi
partagé que possible par les partenaires sociaux et les gestionnaires des
différents régimes ».
Après la remise de ce rapport au Premier ministre et le constat de l'échec de
ce « diagnostic partagé », une deuxième phase de concertation, de juillet à
septembre 1999, a été engagée, sans résultats : Mme Martine Aubry, ministre de
l'emploi et de la solidarité, s'est bornée à recevoir l'ensemble des
confédérations syndicales et patronales.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ce n'est déjà pas mal !
M. Alain Vasselle.
Le 27 septembre 1999, lors des journées parlementaires du groupe socialiste,
le Premier ministre a annoncé un nouveau report des décisions : « les
orientations générales » ne seraient précisées qu'au « début de l'année 2000
».
Une troisième phase de concertation a donc été lancée, par l'intermédiaire du
conseiller social du Premier ministre. Elle s'est poursuivie jusqu'aux jours
précédant la déclaration du Premier ministre, toujours sans résultats.
La finalité du conseil d'orientation des retraites est pour le moins ambiguë
puisque cet organisme devra « proposer des mesures au Gouvernement » mais qu'il
« restera bien sûr de la responsabilité de ce dernier de trancher et d'agir ».
Le Gouvernement sera donc libre de suivre ou non les recommandations du
conseil.
Je remarque d'ailleurs que c'est une curieuse conception du Parlement que de
faire siéger des parlementaires dans un organisme chargé de faire des
propositions au Gouvernement tout en tenant parallèlement le Parlement à
l'écart du débat sur les retraites.
Je voudrais, à cet égard, remercier le président Fourcade de nous avoir
permis, grâce à cette question orale, de débattre de ce sujet essentiel pour
l'avenir de notre pays.
Les difficultés que rencontre aujourd'hui le Gouvernement pour trouver des
personnes désireuses de siéger au conseil d'orientation des retraites
témoignent à l'évidence des interrogations qui pèsent sur l'utilité et l'avenir
de cet organisme.
La création d'un tel conseil traduit en réalité l'incapacité du Gouvernement à
« trancher et agir » à l'issue d'un processus de consultation engagé pourtant
depuis maintenant trois ans. On voit mal, en effet, comment cette instance
parviendrait à dégager un consensus qui n'a pas été obtenu durant trois années
de concertation.
De concertation en concertation, le Gouvernement donne vraiment le sentiment
de vouloir gagner du temps et de se refuser à assumer les risques politiques de
décisions difficiles, et pourtant indispensables.
Enfin, je ne peux que regretter que le recours à la capitalisation comme
complément de la répartition ait été une nouvelle fois écarté, ce qui prive les
Français de la possibilité de se constituer une épargne retraite.
Dans son intervention du 21 mars dernier, le Premier ministre a, une nouvelle
fois, voué aux gémonies la capitalisation. Je serais tenté de vous demander,
madame la ministre, monsieur le ministre : est-ce le mot ou la chose qui vous
fait peur ?
Il convient de cesser d'opposer la répartition et la capitalisation en joutes
oratoires forcément stériles. Il serait absurde de considérer que la
capitalisation remplacera la répartition, garante de la solidarité entre les
générations. L'épargne retraite interviendra en complément de la
répartition.
C'est pour cette raison que le Parlement avait pris l'initiative de ce qui est
devenu la loi du 25 mars 1997 en créant les plans d'épargne retraite.
Constatant que le Gouvernement ne se résolvait ni à appliquer ni à abroger
cette loi, la Haute Assemblée a adopté le 14 octobre dernier une proposition de
loi, déposée à l'origine par nos collègues Charles Descours et Jean Arthuis,
visant à améliorer la protection sociale par le développement de l'épargne
retraite.
L'objectif de ce texte était simple : donner aux quatorze millions de salariés
du régime général la possibilité de se constituer un complément de retraite
selon un système facultatif, une sortie en rente et une gestion externe par des
professionnels.
Ce complément de retraite par capitalisation n'aurait pas fragilisé les
régimes de retraite par répartition puisque l'abondement de l'employeur était
soumis aux cotisations d'assurance vieillesse - régime de base et régimes
complémentaires - et, dans les conditions de droit commun, à la CSG et à la
CRDS.
En refusant la création de fonds de retraite pour les salariés, le
Gouvernement crée une profonde inégalité entre certaines catégories de Français
- les professions indépendantes, les agriculteurs ou les fonctionnaires - qui
peuvent disposer d'un complément de retraite par capitalisation, et les
quatorze millions de salariés qui ne le peuvent pas.
Le Gouvernement vient d'annoncer le prochain dépôt d'un projet de loi sur
l'épargne salariale. L'avant-projet qui est actuellement soumis à concertation
s'avère décevant : l'épargne salariale telle que la conçoit le Gouvernement ne
saurait se substituer à une véritable épargne retraite, épargne de long et de
très long termes.
Pourtant, selon un sondage réalisé par le ministère des finances et dont la
presse s'est fait écho ce matin même, 72 % des Français interrogés souhaitent
que l'épargne salariale puisse servir à constituer un complément de retraite
sous forme de rente. Il y a donc là, je crois, le signe d'une véritable attente
de nos concitoyens à l'égard de l'épargne retraite.
S'agissant de l'avenir des retraites, le bilan de ces trois années de
Gouvernement est particulièrement accablant : ...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Bien sûr ! Consternant même
!
M. Alain Vasselle.
... aucune décision en matière de répartition, pas davantage en matière de
capitalisation !
Cette analyse est sans doute inexacte. Vous avez, en réalité, pris une
décision implicite. En matière de retraite, en effet, l'absence de décision est
une forme de décision.
C'est ce choix que vous avez fait, et qui consiste à sacrifier les générations
futures, condamnées à supporter toute leur vie durant des hausses régulières et
répétées des cotisations. En matière de retraite, le temps perdu ne se rattrape
jamais !
Vous prenez ainsi, madame la ministre, monsieur le ministre, le risque d'un
très grave conflit de générations, qui mettrait en péril la cohésion même de
notre société. Ayez au moins le courage de l'assumer, ce courage dont vous
n'avez pas su faire preuve jusqu'à présent.
(MM. Fourcade et de Montesquiou
applaudissent)
.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Quel talent !
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, en interpellant, par la voix de M. Fourcade, le premier ministre sur
nos régimes de retraite, la majorité sénatoriale utilise cette question
cruciale de l'avenir des retraites pour polémiquer et taxer d'immobilisme un
gouvernement dépeint comme étant incapable, parce que rétif à la
capitalisation, de mener à leur terme les réformes nécessaires.
A l'autoritarisme et à la précipitation qui caractérisaient, sur le même
sujet, le plan Juppé, nous préférons, comme les Français et le monde syndical,
la concertation.
Nous sommes conscients que des mesures volontaristes s'imposeront pour
garantir et adapter le système français de retraite. Elles s'imposeront aussi
pour satisfaire les besoins collectifs nouveaux et assurer la protection
sociale des retraités. Elles devront prendre en compte les conséquences de
l'allongement de la durée de vie et de la perte d'autonomie.
Pour autant, nous n'entendons pas nous laisser enfermer dans une vision
catastrophiste d'une société française vieillissante, responsable de la
faillite inévitable de la retraite par répartition, cautionnant
de facto
l'avènement et la systématisation des fonds de pension.
Nous posons comme préalables la pérennisation et l'amélioration du principe de
la répartition.
Bien que la majorité sénatoriale s'en défende, son objectif est non de
perfectionner et de développer le champ de la retraite solidaire, mais bel et
bien de réduire la part garantie par la collectivité. Une telle attitude
équivaut à programmer la diminution du montant des pensions et à rendre plus
qu'aléatoire leur taux.
Les marchés financiers seraient les décideurs... Quel progrès social !
Le débat que vous tentez d'engager depuis quelques années, chers collègues,
est tronqué.
Non sans arrière-pensées, jouant de l'attachement légitime de l'ensemble de
nos concitoyens au système français de protection sociale, vous agitez le choc
démographique pour mieux imposer la solution éculée des fonds de pension qui
viendraient compléter la répartition.
Vous brandissez haut le principe d'égalité pour mieux opposer les Français,
stigmatiser les fonctionnaires, et pouvoir ainsi achever l'uniformisation des
situations entre régime public et régime privé en diminuant les droits de
tous.
Votre souci n'est pas de dégager des ressources supplémentaires tenant compte
de l'évolution des demandes sociales liées à la fin d'activité. Il n'est pas,
non plus, d'asseoir la protection sociale en garantissant à tous les salariés
un niveau décent de retraite.
Votre objectif, c'est de toucher à l'architecture globale du système de
retraite pour tendre vers plus d'individualisation !
Vous comprendrez alors aisément pourquoi aujourd'hui, pas plus qu'hier, nous
ne souhaitons nous inscrire dans cette logique, que vous partagez avec le
MEDEF.
Celui-ci ne cesse de déclarer que « la retraite à 60 ans a vécu », qu'elle est
« devenue impossible à financer ». Il a lourdement pesé pour l'augmentation du
nombre d'annuités nécessaires pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Il a
même surenchéri en exigeant quarante-cinq annuités, au mépris de certaines
données objectives telles que le chômage des jeunes, l'allongement de la durée
des études, l'exclusion de plus en plus précoce des salariés « âgés » du marché
du travail.
Le MEDEF, en pleine refondation sociale, s'engage désormais en faveur du
système de retraite à la carte par points.
A l'évidence, la majorité sénatoriale prête pour le moins une oreille
attentive aux propos du MEDEF.
Dans la ligne du rapport Taddei, nous ne sommes pas hostiles à l'introduction
d'un choix individuel pour le départ à la retraite, à condition toutefois que
cette liberté laissée aux cotisants ne joue que sur la base d'un bon niveau de
retraite garanti à tous. Mais c'est loin d'être le cas si l'on abandonne la
référence aux meilleures années pour lui préférer un système de points.
Cette solution possède le double « avantage » de ne pas contrer ouvertement et
frontalement le système de répartition et de favoriser le développement de
l'épargne individuelle, nécessaire pour compléter la retraite de base, réduite
a minima.
Comme l'a très justement rappelé le Premier ministre lors de sa déclaration
sur les retraites, « dessiner l'avenir de notre système de retraite ne se
réduit pas à une série d'options techniques et financières ; c'est d'abord
exprimer une vision politique pour notre société ».
Manifestement, nos choix et ceux de la majorité sénatoriale ne sauraient
converger. Contrairement à celle-ci, nous croyons aux atouts et aux garanties
du système par répartition, qui a fait la preuve de son efficacité, et nous
réfutons l'idée selon laquelle les retraités seraient des « nantis ».
Nous croyons aux vertus de la solidarité : entre générations, entre actifs et
retraités.
Opposés à la généralisation d'un étage supplémentaire de retraite par
capitalisation, nous avons défendu, en octobre dernier, au sein de la Haute
Assemblée, une motion contre une proposition de loi d'inspiration libérale.
Celle-ci visait tout simplement à instituer des fonds de retraite en réactivant
le mécanisme général des fonds de pension à la française institué par la loi
Thomas.
Intervenant alors, mon ami Guy Fischer versait à charge des fonds de pension
plusieurs griefs. Certains d'entre eux ont, tout récemment, été repris dans le
rapport du Bureau international du travail qui récuse le recours à de tels
fonds.
Ces fonds, français ou anglo-saxons, dénommés fonds de pension ou fonds
d'épargne retraite, ne constituent en rien la solution miracle pour atténuer
les problèmes démographiques, la part du PIB prélevée sur les revenus du
capital ou sur les cotisations devant aller croissant, sauf à enfermer les
retraités dans une plus grande pauvreté.
Par ailleurs, ils ne sauraient être complémentaires du système par répartition
; ils contribuent, au contraire, à siphonner celui-ci en détournant les
ressources de la protection sociale.
En outre, et très logiquement, ils jouent contre l'emploi, car il faut assurer
une rentabilité financière exorbitante. L'actualité sociale et économique,
s'agissant par exemple d'Alcatel et de Michelin, a illustré ces ravages.
Enfin, les fonds de pension sont facteurs d'insécurité et contreviennent, pour
cette raison, aux normes internationales fondamentales du travail disposant que
le revenu de retraite doit être prévisible et garanti, principe que nous
faisons nôtre.
Pour toutes ces raisons, les parlementaires communistes ont accueilli
favorablement la réaffirmation par le Gouvernement de son attachement à la
retraite par répartition et de son rejet des fonds de pension.
L'ouverture de discussions autour de la notion de pénibilité pour les salariés
du privé, la préservation des régimes spéciaux et la création d'un conseil
d'orientation des retraites sont autant de signes positifs.
Nous notons avec satisfaction que le débat s'inscrit dans l'« après-Charpin »,
et non sur la base du diagnostic et des solutions envisagées par ce dernier,
qui négligeait de mettre en avant d'autres variables clés de l'équilibre des
régimes de retraite : taux de croissance, niveau et qualité de l'emploi et
objectif de retour au plein emploi.
Quelques questions, toutefois, demeurent.
S'il semble que le Gouvernement ne reprenne pas à son compte la mesure globale
d'allongement de la durée de cotisation proposée par le rapport Charpin, nous
sommes plus que réservés quant à l'option envisagée au nom de l'équité entre
régimes dans les trois fonctions publiques.
Nous aurions évidemment souhaité que la règle soit celle du retour à
trente-sept annuités et demie de cotisation pour tous.
Nous regrettons vivement que l'on ne revienne pas sur les décisions prises
depuis 1993 et sur les accords AGIR-ARRCO de 1996, responsables des différences
entre les garanties offertes selon que les salariés appartiennent au secteur
privé ou au secteur public. Il s'agit, rappelons-nous, de l'accroissement du
nombre de trimestres de cotisation requis, de la référence aux vingt-cinq
dernières années, et non plus aux dix meilleures années, pour la base de calcul
des pensions ou de l'indexation des retraites sur les prix, et non sur les
salaires, gage d'évolution des taux de remplacement.
Autres sujets d'inquiétude, madame le ministre, l'alimentation du fonds de
réserve et la confusion entre les fonds de pension et la promotion de l'épargne
salariale à long terme contenue dans le projet de M. Fabius.
Outre l'évolution dans la nature des relations sociales au sein de
l'entreprise, l'épargne salariale risque d'être la source d'un blocage de la
progression des salaires réels.
Enfin, un élément central semble oublié pour réellement consolider nos régimes
de retraite engarantissant à tous un taux moyen de retraite. Il s'agit, bien
sûr, du financement de la protection sociale, qui passe par l'augmentation de
la cotisation patronale, mais aussi par l'élargissement de l'assiette aux
revenus financiers.
Nous sommes persuadés que vous saurez, madame le ministre, monsieur le
ministre, tenir compte de ces remarques et que le Gouvernement saura mener à
bien la concertation et les négociations pour aboutir à des mesures socialement
justes, comprises et partagées par l'ensemble des Français pour consolider les
retraites de demain.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, permettez-moi d'attirer brièvement votre attention, s'il en est
besoin, sur les futurs déséquilibres entre les régimes de retraite.
Pardonnez-moi quelques redites sans doute, inévitables en l'occurrence.
Toutes les études réalisées à ce jour soulignent l'importance des réformes à
venir avant que se fasse sentir le choc démographique. En 1991, le Livre blanc
sur les retraites prévoyait déjà que, dans les quarante années, il y aurait six
personnes âgées de 60 ans au moins pour dix personnes en âge de travailler. A
lui seul, ce ratio explique l'essentiel des difficultés auxquelles les régimes
de retraite vont être confrontés dès 2010, date d'arrivée à l'âge de la
retraite de la génération du baby-boom.
Si la législation reste inchangée, l'actualisation des hypothèses
démographiques - l'allongement de la durée de vie et le vieillissement des
générations d'après-guerre - conduira inéluctablement à une dégradation de la
situation financière des régimes de retraite. Ce sont les régimes spéciaux de
salariés qui risquent de connaître des perspectives plus défavorables que les
autres. En effet, l'espérance de vie devrait continuer à augmenter dans les
prochaines décennies, pour atteindre, en 2040, 81 ans pour les hommes et 89 ans
pour les femmes. Dès lors - même dans un contexte de fécondité, de productivité
ou de chômage plus favorable que prévu - seul un déplacement de l'âge de la
retraite pourrait freiner la hausse du poids relatif des retraités et des
actifs.
Il y a peu de temps encore, le rapport Charpin montrait que les pays proches
du nôtre ont réformé leurs systèmes de retraite ou sont en passe de le faire.
Toutes ces réformes vont dans le sens d'un report de l'âge de la retraite, ou
agissent directement sur les pensions, soit en modérant la hausse des
prestations, soit en limitant leur revalorisation. Dans tous les cas, la
préparation des réformes a nécessité de larges concertations, des débats
publics nourris et fondés sur la mise à disposition d'informations précises
tant sur la situation que sur les perspectives des systèmes de retraite.
Face aux écarts entre les régimes du secteur privé et les régimes spéciaux de
retraite, le Premier ministre, Lionel Jospin, proposait, dans une déclaration
du 21 mars dernier, de développer des fonds de réserve pour placer une partie
des gains de la croissance au service des systèmes de retraite qui seront
défaillants.
Certes, cette voie a été retenue par de nombreux pays pour consolider les
systèmes de retraite publics. Mais elle demeure insufisante si l'on n'engage
pas, à court terme, une réforme des régimes spéciaux. Sans réforme, les écarts,
et par conséquent l'iniquité, vont s'accroître entre les assurés des régimes
spéciaux et les assurés des régimes communs.
Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, ne pourrait-on
pas désormais opter, par étapes, pour un alignement progressif de la durée de
cotisation à quarante années de cotisation, quel que soit le régime de retraite
? L'erreur politique consisterait à reporter sur les générations futures le
poids des ajustements nécessaires, au risque d'aboutir à une situation
intenable, voire quasi explosive, qui mettrait en péril l'intégralité du
système par répartition fondé sur la solidarité entre les générations. Alors,
attention aux lendemains difficiles !
(Applaudissements sur les travées du
RDSE ainsi que sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mesdames, messieurs les
sénateurs, avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens à vous dire le plaisir
que j'éprouve à me retrouver dans cette enceinte, malgré l'heure tardive, et en
compagnie de mon collègue Michel Sapin. Les contraintes du calendrier
parlementaire faisaient, en effet, que nous n'étions pas appelés à nous
retrouver en séance publique avant l'automne prochain - vous imaginez quel
manque c'eût été pour moi ! -, mais M. Fourcade, en posant cette question orale
avec débat, nous donne l'occasion, ce dont je le remercie, d'être de nouveau
réunis pour parler d'un sujet majeur : l'avenir de ces retraites auxquelles
chacun a rappelé ici combien les Français étaient attachés.
Je veux d'abord redire, après l'exposé tout à fait complet de M. Domeizel,
quelle est la volonté du Gouvernement et quelle est sa méthode.
La volonté du Gouvernement, vous l'avez compris, est de garantir l'avenir des
retraites des Français en consolidant les régimes par répartition. Le Premier
ministre l'avait d'ailleurs indiqué à la représentation parlementaire, dès sa
déclaration de politique générale, le 19 juin 1997. Dans sa déclaration sur
l'avenir des retraites, le 21 mars dernier, qui a donné lieu à une large
concertation - mais nous considérons qu'elle était nécessaire - il a défini les
orientations que nous mettrons en oeuvre pour atteindre cet objectif.
Le choix de maintenir le système de retraite par répartition est un véritable
choix de société.
La répartition est d'abord un choix de solidarité, chacun l'a redit, et encore
à l'instant M. Bimbenet, puisqu'elle matérialise le lien qui unit les
générations dans notre pays. Les enfants cotisent pour leurs parents et
attendent de leurs propres enfants qu'ils assurent leurs retraites. C'est donc
une véritable solidarité intergénérationnelle.
La répartition est aussi un choix démocratique puisque la part de la richesse
nationale consacrée aux personnes âgées n'est pas renvoyée aux aléas des
marchés financiers. Elle se discute au contraire dans les régimes et, en
dernière instance, ici, au Parlement. La répartition est aussi le choix de
l'efficacité. Ce système a atteint les objectifs qui lui étaient assignés. Le
niveau de vie des retraités est, en effet, aujourd'hui égal à celui des actifs,
alors même que l'espérance de vie augmente de manière continue.
La répartition est donc notre choix. Pour autant, nous n'avons jamais
dissimulé, pas plus d'ailleurs que ne l'a fait le Premier ministre en 1997 ou
en mars dernier, les difficultés auxquelles nos régimes vont être confrontés
dans les années qui viennent. Je citerai quelques chiffres qui les résument
bien, d'autres chiffres ayant été apportés au cours du débat, notamment par M.
Fourcade : pour dix personnes d'âge actif, il y a aujourd'hui quatre retraités,
et il y en aura cinq en 2020 et sept en 2040.
C'est donc à un véritable défi démographique que sont confrontés nos régimes,
qui devront assumer à la fois l'arrivée à l'âge de la retraite à partir de 2005
des générations nombreuses de l'après-guerre et l'allongement constant de
l'espérance de vie.
Il est vrai que la baisse massive du chômage permet aujourd'hui d'envisager
sérieusement, à terme, un retour au plein emploi. Cette perspective permet
d'aborder plus sereinement la question des retraites, mais je le dis, monsieur
Vasselle, de manière très claire, après le Premier ministre, nous ne sommes pas
de ceux qui prétendent que cette baisse règle à elle seule tous les problèmes.
Et rien ne sert de caricaturer les positions sur un sujet aussi compliqué, sur
lequel, d'ailleurs, je n'ai pas entendu de votre part beaucoup de propositions
!
A l'inverse, il est vain de sombrer dans le catastrophisme, en favorisant une
précipitation attachée au spectre de la faillite des régimes, comme vous l'avez
fait tout à l'heure. Certes, il faut régler le problème, mais il n'y a pas de
fatalité à voir disparaître les régimes par répartition, bien au contraire.
Les orientations du Premier ministre ont été claires.
Nous allons engager des négociations dans chacun des régimes ; nous avons créé
et nous allons renforcer le fonds de réserve pour les retraites, et nous avons
créé un conseil d'orientation des retraites, pour assurer une vigilance
permanente sur l'évolution de nos systèmes de retraite.
Face à la diversité des régimes de retraite, il n'y a pas une solution unique.
Chaque régime a ses spécificités et le Gouvernement entend les prendre en
compte. Contrairement aux propositions mécanistes de certains, il n'est pas
question pour le Gouvernement d'uniformiser tous les régimes. Il est, à cet
égard, abusif de comparer les régimes de retraite indépendamment des statuts
propres à chaque profession. Il ne serait pas acceptable de faire table rase de
l'histoire du contrat social d'un certain nombre d'entreprises, des
caractéristiques de chaque métier, particulièrement de leur pénibilité, ou
alors il ne faut pas parler de justice, d'équilibre entre les revenus
d'activité et les retraites. A partir de ce préalable - le respect de la
spécificité de chaque régime - la réforme doit permettre d'introduire plus de
justice et d'équité entre les différents régimes, tout en garantissant leur
pérennité.
Le Gouvernement a donc choisi une méthode pragmatique : plutôt que d'imposer
d'en haut, il préfère engager des négociations dans chaque régime pour élaborer
les mesures les mieux à même d'assurer leur avenir tout en préservant leur
identité. C'est donc au plus près des réalités que les solutions doivent être
recherchées. Je ne parlerai pas de la fonction publique, puisque Michel Sapin
interviendra pour expliquer le pacte que le Premier ministre a proposé aux
fonctionnaires.
Pour les autres régimes, la question du besoin de financement, à terme, se
pose avec moins d'acuité, notamment dans le régime général, dont le déficit
prévisionnel en 2020 représente 3,5 points de cotisation. Les premiers déficits
n'interviendront que dans dix ans ; l'allongement de la durée de cotisation est
en cours pour atteindre quarante ans en 2003.
Cela dit, même si ces déficits sont moins importants et plus éloignés dans le
temps, nous devons dès maintenant engager des négociations dans le régime
général pour le consolider à l'horizon de 2020 et mieux prendre en compte les
attentes des Français : plus de souplesse dans le choix du départ à la
retraite, un traitement différencié pour ceux qui ont exercé des travaux
pénibles, ceux qui ont commencé à travailler tôt et qui ont des difficultés à
s'adapter aux évolutions technologiques. Ces négociations sont déjà engagées
entre les partenaires sociaux pour ce qui concerne les régimes
complémentaires.
Permettez-moi un aparté sur les préretraites, puisque M. Vasselle s'est
interrogé sur la cohérence du Gouvernement lorsqu'il met en place, en février
dernier, un nouveau système de départ en préretraite, et qu'il prône, dans le
même temps, pour régler le problème des retraites, l'augmentation du taux
d'activité des plus de 50 ans.
La cohérence, je vais tenter de vous l'expliquer en prenant l'exemple de
l'automobile. En 1997, cela faisait dix-sept ans que l'Etat versait 1 milliard
de francs au secteur automobile pour financer les préretraites, et ce quelle
que soit la situation des entreprises concernées, qu'elles soient en déficit
ou, au contraire, en équilibre ou en situation de profit. En effet, l'habitude
avait été prise de voir l'Etat financer les restructurations et la gestion de
la pyramide des âges dans le secteur automobile. Ce n'était sain ni pour les
entreprises, qui n'anticipaient pas les évolutions, ni, bien sûr, pour les
finances publiques, qui n'avaient pas de raison de continuer à assumer un tel
financement.
A l'inverse, nous avons, dans notre société, des hommes et des femmes qui ont
commencé à travailler tôt, qui ont travaillé dur, qui ont connu des conditions
de travail pénibles sur de longues périodes et qui sont aujourd'hui dans
l'incapacité, parce que souvent on ne les y a pas préparés, à suivre les
évolutions techniques ou qui sont usés par le travail. Nous devons prendre en
compte ces situations - c'est cela, la justice - si nous voulons effectivement
que l'ensemble des Français adhèrent à la logique de réforme des retraites.
Faire partir plus tôt ceux qui, tout au long de leur vie active, ont travaillé
beaucoup et dans des conditions pénibles, et faire en sorte que ce départ, qui
facilite le rééquilibrage de la pyramide des âges des entreprises, soit financé
à 50 % ou à 60 % par ces dernières, et non pas seulement à 10 % ou à 20 %,
comme c'est le cas pour les préretraites traditionnelles : tel est l'objectif
de ce décret qui s'appliquera non pas seulement au secteur automobile, mais à
tous les secteurs qui souhaiteront que la question soit réglée.
Cela fait partie des réponses différenciées en vue d'une plus grande justice
dans la façon de poser le problème des retraites, et cela rend plus facile, me
semble-t-il, le traitement de ce problème. En effet, ces salariés qui, en tout
état de cause, n'auraient pas pu travailler jusqu'à l'âge de la retraite,
seraient encore plus inquiets s'ils devaient envisager de prolonger leur durée
de travail. Telle est la cohérence entre ce décret et la réforme des retraites.
Nous prévoyons donc des négociations dans chaque régime. La deuxième décision
concerne le Conseil d'orientation des retraites. Ce conseil ne décidera certes
pas, puisqu'il y a un gouvernement qui négociera, notamment dans la fonction
publique, et des partenaires sociaux, qui, au sein de la CNAV, devront se
pencher sur le problème du régime général ; mais il devra suivre, comme l'a
fait le rapport Charpin, les grandes évolutions de la croissance, de l'emploi,
les évolutions démographiques, pour pouvoir, à tout moment, éclairer l'opinion
publique dans la plus parfaite transparence sur l'évolution des déficits ou sur
le rétablissement de la situation des régimes de retraite au fur et à mesure de
l'avancée des négociations.
Par la pluralité des membres qui le composeront - partenaires sociaux,
parlementaires, personnalités qualifiées - il assurera un questionnement
permanent sur le problème des retraites.
Monsieur Vasselle, je voudrais vous rassurer : si certains considèrent qu'ils
ne doivent pas faire partie de ce conseil d'orientation, d'autres, tels des
députés de l'opposition, ont cependant d'ores et déjà fait savoir qu'ils
souhaitaient y participer, sans doute parce qu'ils considèrent que le problème
des retraites mérite qu'on s'y penche sans
a priori,
avec la volonté
d'aboutir.
Avec la création du conseil d'orientation des retraites, nous assistons à la
fin d'une certaine opacité entourant ce débat, le rapport Charpin ayant
d'ailleurs déjà permis de poser les bases du diagnostic, même si nous avons
préféré, au vu des derniers résultats, prendre en compte une hypothèse de
chômage plus positive que la sienne. Nous pensons ainsi que la collectivité
pourra se réapproprier un sujet qui conditionne tout à fait son avenir.
La troisième décision est le renforcement du fonds de réserve des retraites.
Les négociations vont s'engager régime par régime dès maintenant, mais le
Gouvernement souhaite prendre ses responsabilités, c'est-à-dire faire en sorte
que la solidarité nationale puisse apporter une partie de la réponse - une
partie seulement, mais une partie quand même - au problème des retraites. C'est
la raison pour laquelle j'avais souhaité, dès l'année dernière, que soit créé,
même modestement, ce fonds de réserve des retraites pour montrer
pédagogiquement que les premiers excédents, en l'occurrence ceux de la CNAV,
pouvaient y être affectés.
Dès 1999, nous avons affecté de nouvelles ressources à ce fonds : les
excédents de la CNAV et la moitié des prélèvements de 2 % sur les revenus du
patrimoine viennent s'ajouter à l'excédent du FSV. Le fonds de réserve
bénéficie également des contributions des caisses d'épargne et de la Caisse des
dépôts et consignations.
Grâce à ces sources de financement, le fonds, qui était doté au départ de 2
milliards de francs, atteindra 20 milliards de francs dès cette fin d'année et
disposera de 1000 milliards de francs à l'horizon 2020. Je tiens à votre
disposition les éléments de calcul, qui n'ont d'ailleurs pas été contestés
jusqu'à ce que j'entende M. Vasselle. Il y aura, en 2020, la dotation initiale
de 2 milliards de francs, 3 milliards de francs de la Caisse des dépôts et
consignations, 16 milliards de francs des caisses d'épargne, 50 milliards de
francs des excédents de la CNAV, la moitié des 2 % sur les revenus du
patrimoine - 150 milliards de francs - les excédents de la C3S et du FSV - 450
milliards de francs - et les produits financiers - 330 milliards de francs.
Voilà qui donne bien les 1 000 milliards de francs que le Premier ministre a
annoncés et qui montrent que la collectivité sera ainsi capable de franchir, à
l'horizon 2020, la moitié du chemin qu'il restera encore à accomplir entre 2020
et 2040 si les hypothèses qui sont aujourd'hui les nôtres perdurent.
Monsieur de Montesquiou, les retraités agricoles intéressent bien évidemment
le Gouvernement, même si l'ensemble du débat sur les retraites ne se résume pas
à ce problème. Entre 1998 et 2000, ce sont plus de 5 milliards de francs de
mesures d'augmentation des pensions de retraite agricole qui ont été inscrites
au budget annexe des prestations sociales agricoles.
Par ailleurs, l'article 114 de la loi de finances pour 2000 prévoit une
nouvelle étape de réalisation du plan d'amélioration des retraites agricoles,
ces dernières étant majorées de 2 400 francs par an, soit un coût de 1,6
milliard de francs en année pleine.
Le Premier ministre, lors de la table ronde avec les organisations
professionnelles agricoles qui s'est tenue en octobre 1999, a annoncé que les
chefs d'exploitation et les personnes veuves percevraient, pour une carrière
pleine, une retraite au moins égale au montant du minimum vieillesse - nous
allons ainsi au-delà même de ce que vous demandiez - et que les conjoints ainsi
que les aides familiaux percevraient, toujours pour une carrière pleine, une
retraite équivalente au montant du minimum vieillesse du second membre du
foyer.
Cela veut dire que le montant de la pension minimum d'un chef d'exploitation
justifiant d'une carrière pleine s'élèvera à 50 % du SMIC, c'est-à-dire au même
niveau que la retraite d'un salarié rémunéré au SMIC. De ce fait, en 2002, le
régime de retraite agricole sera à point avec le régime général.
Nous mettons cette réforme en oeuvre, alors que cela n'avait pas été fait
avant. C'est pourquoi le ton de votre propos m'a paru quelque peu excessif,
monsieur le sénateur.
J'en arrive à ce qu'il est coutumier, dans notre pays, d'appeler le débat sur
les fonds de pension et l'épargne salariale. Ceux qui sont favorables à la
retraite par répartition sont, il est vrai, plus nombreux dans la
représentation nationale que ceux qui sont favorables à la capitalisation. En
tout état de cause, des prélèvements sur l'économie doivent être effectués pour
faire face aux évolutions démographiques, et cela quel que soit le système.
Mais il est vrai que, comme l'a rappelé M. Muzeau, dans un cas, ce sont la
Bourse ou les marchés financiers qui décident, alors que, dans l'autre, ce sont
les partenaires sociaux et le Parlement. Vous l'avez bien compris, c'est ce
dernier cas qu'a choisi le Gouvernement.
Substituer la capitalisation à la répartition - je ne dis pas que c'est ce que
propose la totalité de la majorité sénatoriale - aboutirait d'ailleurs à cette
absurdité de faire payer deux fois la même génération. Ce n'est pas une
solution miracle, ce n'est pas une solution indolore, et les études effectuées
dans les pays l'ayant utilisée montrent que ces derniers se sont trouvés
confrontés aux mêmes difficultés de financement, bien évidemment, mais que, en
outre, des inégalités tout à fait considérables entre personnes ont été
relevées.
On sait bien, par ailleurs, que la capitalisation individuelle favorise
toujours les personnes les plus aisées et reviendrait à instaurer un système à
deux vitesses. C'est ainsi que la loi Thomas qui sera abrogée, me semble-t-il,
puisque cette abrogation est inscrite dans la loi de modernisation sociale qui
sera discutée au mois de juin prochain à l'Assemblée nationale, non seulement
remettait en cause des principes de solidarité fondant nos régimes de retraite,
mais également menaçait notre système de protection sociale.
En effet, comme vous le savez, les fonds de pensions à l'anglo-saxonne - c'est
bien cela qui était intégré dans la loi Thomas - permettaient de ne pas payer
de cotisations sociales sur ces fonds de pension - ils vidaient donc en partie
le régime général -, de n'appliquer ces fonds de pensions qu'à certaines
catégories de salariés, et donc de donner des avantages fiscaux
particulièrement aux cadres, c'est-à-dire à ceux qui avaient les revenus les
plus élevés, et non pas à l'ensemble des salariés. J'ajoute qu'ils n'étaient
pas gérés collectivement et que le choix de l'utilisation de ces fonds n'était
pas transparent et donc, pourrait-on dire, pas démocratique. C'est la raison
pour laquelle nous avons décidé d'abroger ce texte tant la philosophie qui
était à sa base rendait impossible son amélioration.
Les défenseurs des fonds de pension à l'anglo-saxonne évoquent deux arguments
en faveur de ces derniers : la contribution au financement des retraites et le
renforcement du financement des entreprises françaises.
Pour ce qui concerne le financement des retraites, nous ne nous résignons pas
à un affaiblissement de la répartition. Nous souhaitons au contraire le
consolider.
En ce qui concerne le financement de l'économie et la possibilité pour les
Français de compléter, s'ils le souhaitent, leur régime de retraite par
répartition, le Gouvernement va développer les mécanismes d'épargne salariale
de long terme.
De quoi s'agit-il ? Je le dis de la manière la plus simple : aujourd'hui, les
salariés qui ont de l'argent ont les moyens de trouver des placements à moyen
terme ou à long terme assortis d'avantages fiscaux favorables. Ceux qui ont
moins ou beaucoup moins d'argent ont le plus grand mal à trouver aujourd'hui
des produits leur permettant effectivement, s'ils le souhaitent, soit de se
garantir un capital pour l'avenir - achat d'un logement pour eux ou pour leurs
enfants - soit de toucher une rente permettant de compléter leur retraite par
répartition.
Nous pensons que cette épargne salariale plus longue, plus durable, plus
transparente et plus solidaire, gérée collectivement, doit effectivement
laisser le choix au salarié entre une sortie en rente et une sortie en capital
permettant, dans le premier cas, de répondre à ce troisième étage de la fusée
dont nous avons souvent parlé en évoquant les régimes de retraite, au choix du
salarié, avec la liberté pour chacun de rentrer ou de ne pas rentrer dans ce
système, et avec une gestion collective.
Par ailleurs - ce n'est pas le moindre des avantages -, ces fonds permettront
aux Français de s'approprier une partie de leur entreprise, alors que,
aujourd'hui, des fonds de pension anglo-saxons, par des décisions prises à
l'extérieur de notre pays, arrivent à prendre la majorité des parts dans
certaines entreprises françaises.
Par ailleurs, je pense que la collecte de l'épargne salariale pourra aussi
profiter à de petites entreprises, par le biais de l'épargne salariale
interentreprises, et permettre ainsi à ces dernières de se développer plus
facilement puisque aujourd'hui, où elles ont souvent du mal à se faire entendre
du système bancaire.
Il s'agit donc bien d'un système totalement différent de celui des fonds de
pension à l'anglo-saxonne, d'un système là aussi fondé sur la justice et la
démocratie, qui laissera le choix aux salariés.
J'ajouterai d'un mot que l'ensemble de ces réformes proposées par le Premier
ministre doit être complété par une réflexion sur la place des personnes âgées
et des retraités dans notre société. M. Vasselle nous a dit tout à l'heure que
la réforme de la prestation spécifique dépendance, que M. Domeizel a rappelée à
juste titre, n'avait absolument aucun rapport avec les retraites. Or j'ai
acquis la conviction profonde, en discutant avec les personnes qui atteignent
aujourd'hui l'âge de la retraite, que l'on éprouve une inquiétude d'autant plus
forte à l'égard de la retraite que l'on a l'impression que l'on ne sera pas
capable de faire face au problème de la dépendance. Quand on est lourdement
dépendant, quand on souffre, comme c'est, hélas ! le cas d'un nombre toujours
croissant de nos concitoyens, de la maladie d'Alzheimer ou de sénilité précoce,
on a besoin d'une aide de la solidarité nationale, car peu de retraités
bénéficient de ressources suffisantes pour affronter seuls ces handicaps. C'est
la raison pour laquelle il nous semble que l'on ne peut pas évoquer le problème
des retraites sans tenir compte de la capacité qu'aura la solidarité nationale,
par le biais des collectivités locales et de l'Etat, d'aider l'ensemble de ceux
qui en ont besoin, de par leur dépendance physique, psychique ou financière, à
conserver le plus longtemps possible une autonomie la plus large possible et
d'avoir accès aux soins nécessaires lorsqu'ils sont dans une situation le
permettant.
C'est la raison pour laquelle - et là je rejoins totalement le diagnostic de
M. Domeizel - le Gouvernement a pris acte aujourd'hui de l'échec que constitue
la PSD, que j'avais pourtant - et chacun, notamment M. Fourcade, pourra le
reconnaître - essayé de faire fonctionner. D'abord, peu de personnes âgées en
bénéficient : 120 000, avez-vous rappelé. Par ailleurs, ses conditions de
versement sont bien inférieures aux besoins...
M. Alain Vasselle.
Il faut replacer cela dans le contexte initial, madame la ministre !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur Vasselle, puisque vous
le souhaitez, je vais vous décrire très clairement le contexte initial : les
conseils généraux ont fait un milliard de francs d'économies sur la PSD par
rapport à l'ACTP, l'allocation compensatrice pour tierce personne. Par
conséquent, s'agissant de la grande réforme sociale qui devait permettre de
prendre en compte la dépendance, les personnes âgées sauront que la majorité
sénatoriale a fait une économie d'un milliard de francs sur ce que la société
pouvait leur apporter !
M. Alain Vasselle.
Ce n'était pas l'objectif !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Si vous voulez parler du
contexte, le voilà, et ces résultats ne sont d'ailleurs contestés par personne
!
M. Alain Vasselle.
C'est une caricature !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Nous souhaitons, pour notre
part, que toutes les personnes ayant des problèmes de dépendance puissent
effectivement être aidées par la collectivité. C'est à cette préoccupation que
nous allons travailler. J'attends le rapport de M. Jean-Pierre Sueur qui me
sera rendu dans quelques heures.
Par ailleurs, le Gouvernement a dit très clairement qu'il était attaché à ce
que les conseils généraux puissent gérer ce problème de la prestation
spécifique dépendance parce que leur proximité, la qualité des interventions,
les réseaux qu'ils sont capables de mettre en place autour des personnes âgées,
sont irremplaçables et qu'eux seuls peuvent le faire ! Mais le Gouvernement est
prêt, comme le Premier ministre l'a dit, à ce que l'Etat prennne sa part
financière dans la nécessaire amélioration de la PSD.
Par ailleurs, le Premier ministre a annoncé un plan de médicalisation des
établissements sur cinq ans, d'un montant de 6 milliards de francs, et un
doublement de l'effort financier de l'Etat pour les services de soins
infirmiers à domicile.
J'ajoute que nous financerons aussi mille comité locaux d'information et de
coordination gérontologiques, qui doivent permettre de mettre l'ensemble des
services et des financeurs autour de la personne âgée et de sa famille. En
effet, aujourd'hui, nous le savons, chaque famille connaît des difficultés
lorsqu'une personne âgée devient dépendante.
J'en viens à la méthode, et je conclurai sur ce point.
J'ai entendu vos critiques sur le rythme des réformes. Certains voudraient
nous imposer la précipitation dans le calendrier. Ils voudraient sans doute que
nous ne prenions pas le temps d'écouter les uns et les autres !
S'agissant des retraites, le Gouvernement utilise une méthode qui a fait ses
preuves dans d'autres domaines : le Premier ministre l'avait dit, diagnostic,
dialogue, décision.
(M. Vasselle sourit.)
Vous pouvez rire, monsieur
Vasselle ! La sécurité sociale est en équilibre, le chômage baisse.
Nous avons beaucoup discuté et nous avons réglé certains contentieux sur les
retraites avec l'AGIRC et l'ARRCO, grâce à une négociation de deux ans et demi
avec les partenaires sociaux. Je rappelle toutefois que ce problème était sans
solution depuis seize ans ! Il est maintenant résolu, grâce à la négociation,
et chacun l'a salué. Vous auriez pu le faire aussi !
M. Alain Vasselle.
Pour l'instant, vous n'avez rien réglé pour les retraites !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Le fait d'avoir, par une
pédagogie forte, avancé - c'est le moins que l'on puisse dire ! - dans le
débat, le fait d'avoir annoncé les grands axes, comme le Premier ministre l'a
fait, le fait d'engager aujourd'hui des négociations, voilà notre méthode.
Jusqu'à présent, cela ne nous a pas si mal réussi que cela !
Je comprends bien - vous l'avez d'ailleurs dit, mais peut-être ce mot vous
est-il sorti de la bouche - qu'il y a là un risque politique. On a tellement
l'impression que certains, dans l'opposition, souhaitent que le Gouvernement
trébuche sur cette question ! Mais nous avons en mémoire les manifestations de
1995 et le mépris avec lequel on a montré certains fonctionnaires et certaines
catégories du doigt en les stigmatisant. Ce n'est pas notre méthode ! Nous,
nous réussirons sur les retraites, comme nous avons réussi dans les autres
domaines. Soyez-en assurés, car c'est la seule méthode souhaitable
aujourd'hui.
Le Gouvernement, je le dis très simplement, fait confiance aux Français - ce
qui n'est peut-être pas votre cas, d'ailleurs - pour comprendre les enjeux du
débat sur les retraites, et donc pour s'engager dans cette réforme.
Vous l'avez tous dit, pour les Français, c'est le problème numéro un,
puisqu'ils reprennent confiance sur le chômage. Je crois cependant qu'on peut
leur faire confiance pour que nous engagions ensemble, à partir d'un
diagnostic clair et net, dans chacun des régimes, les nécessaires réformes pour
garantir notre système de retraite, sachant par ailleurs que la solidarité
nationale apporte un certain nombre d'éléments complémentaires grâce aux fonds
de réserve.
J'ajoute que j'ai entendu beaucoup de propos incantatoires - je ne parle pas
de M. Fourcade - mais que je n'ai pas entendu de réelles propositions de la
part de l'opposition ou de la majorité sénatoriale.
M. Claude Domeizel.
Ils n'en ont pas !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je vois bien que certains
voudraient nous emmener à la faute, je l'ai dit tout à l'heure, mais, les
propositions, je ne les entends pas.
J'ai entendu de grands mots, monsieur Vasselle, mais l'exagération des propos
n'a jamais fait la qualité des propositions !
M. Alain Vasselle.
C'est consternant !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Votre consternation n'a d'égale
que le vide de vos propositions : une fois de plus, nous le remarquons.
M. Alain Vasselle.
M. Balladur avait engagé des réformes, vous n'avez rien fait ! Ne nous donnez
pas de leçon sur ce sujet !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai entendu tant de leçons de
votre part que je me permets de vous en donner une petite !
M. Alain Vasselle.
Non ! Je parle des retraites. Ce n'est pas sérieux !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
N'avez-vous pas expliqué que,
depuis deux ans et demi, nous ne faisions rien sur le chômage, rien sur la
sécurité sociale ?
M. Alain Vasselle.
Vous avez perdu beaucoup de crédibilité auprès de l'opinion publique sur les
retraites !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Les résultats sont là, et ils
seront là, j'en suis convaincue, sur les retraites, ne vous en déplaise, dans
les mois qui viennent, car le temps de la concertation et du dialogue est
aujourd'hui ouvert. C'est un débat sans doute difficile, mais que nous
réglerons comme nous l'avons fait pour le chômage, avec le soutien de nos
concitoyens.
A cet égard, je souhaite rappeler - chacun l'a d'ailleurs souligné - que le
système par répartition constitue notre patrimoine commun et que notre
responsabilité commune est de le préserver des attaques dont il fait parfois
l'objet. Certaines idées valent mieux que des polémiques !
J'ajoute qu'on aurait pu espérer qu'un sujet tel que celui-là puisse
recueillir un certain consensus ! La retraite figure au rang de ce qui
préoccupe le plus les Français et le règlement de ce problème mérite, à mon
sens, que l'on se mette autour de la table.
C'est la raison pour laquelle j'ai été étonnée - mais peut-être est-ce, là
encore, parce que l'opposition n'a pas de propositions - de voir que le Sénat
s'interrogeait sur sa présence au sein du conseil d'orientation des retraites.
Il est vrai que, quand on doit sortir de l'invective pour en arriver aux
propositions, on trouve en général moins de monde en face de soi !
Cela étant, ce n'est pas là le ton de tous ceux qui se sont exprimés ce soir
et j'espère que le conseil d'orientation des retraites, parallèlement aux
négociations que nous allons mener, sera le lieu d'un vrai débat démocratique
afin, j'en suis sûre, de parvenir aux solutions que les Français attendent.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite, en quelques mots,
accompagner la réponse de Mme la ministre à la question qu'à posée M. Fourcade
sur ce sujet important des retraites, de leur avenir et de leur évolution, quel
que soit le régime auxquel les Français appartiennent.
Je vous remercie d'avoir suscité ce débat, monsieur Foucade, et de me donner
ainsi l'occasion de poursuivre dans cet hémicycle le dialogue que nous avons
parfois déjà engagé, par exemple au sein de la commission de décentralisation,
que j'ai été obligé de quitter un peu précipitamment, ce dont vous voudrez bien
m'excuser, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je remercie également tous ceux qui sont intervenus dans ce débat et qui, pour
la plupart d'entre eux, ont fait preuve de mesure. Je crois que c'est un sujet
qui nécessite beaucoup de mesure et de pondération, même si, monsieur Vasselle,
vous n'avez pas toujours été à l'abri d'un discours un peu caricatural.
S'agissant de la question des fonctionnaires et des agents publics, ceux-ci -
dois-je le dire ici, car chacun le sait bien - relèvent soit du code des
pensions civiles et militaires lorsqu'ils sont fonctionnaires de l'Etat, soit
de la CNRACL - la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités
locales, que vous connaissez bien, monsieur Fourcade, et qui est fondée sur la
répartition - lorsqu'ils sont fonctionnaires des collectivités territoriales,
soit du système hospitalier, soit de l'IRCANTEC, l'Institution de retraite
complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités
publiques.
Ce sujet des retraites est, bien entendu, financièrement important. Chacun a
apporté ici un certain nombre d'éléments qui commencent à faire lien entre nous
puisque le travail sérieux et pondéré qui a été fait par les uns et par les
autres nous permet maintenant de disposer d'un corps commun d'analyses
financières qui, au moins sur cet aspect des choses, nous permet de parler le
même langage.
Toutefois, si ce sujet des retraites est financièrement important, il est
aussi socialement très important car nos concitoyens, quel que soit le régime
auquel ils appartiennent, sont attachés à la fois à la sécurité de leur
retraite, celle qu'ils perçoivent aujourd'hui quand ils sont retraités ou celle
de demain lorsqu'ils sont en activité ou même, éventuellement, en formation,
mais aussi au maintien - beaucoup ici ont souhaité le souligner - des
dispositifs de solidarité nationale, que ce soit la solidarité par le système
de la répartition ou la solidarité par le système des pensions.
Chacun a souhaité montrer en quoi le système par répartition était à la fois
efficace économiquement, même s'il est aujourd'hui porteur d'un certain nombre
de déséquilibres auxquels il faut savoir s'attaquer, et efficace socialement,
parce qu'il exprime, par cette capacité des générations au travail de payer
pour les générations à la retraite, le sentiment profond d'une solidarité entre
générations.
Mais le système des pensions lui-même est aussi un mécanisme de solidarité,
même si ce sont les contribuables d'aujourd'hui, y compris les retraités et les
fonctionnaires, qui contribuent à assurer la retraite des retraités de la
fonction publique d'aujourd'hui.
C'est donc avec cet esprit que le Gouvernement avance. Au coeur de sa
réflexion figurent un certain nombre de principes. Il entend notamment
maintenir les mécanismes de solidarité de quelque nature qu'ils soient, qu'il
s'agisse des mécanismes de solidarité qui protègent les agents du privé ou des
mécanismes de solidarité qui protègent les fonctionnaires.
Certes, il y a aussi les questions de méthode, et Mme la ministre y a fait
plus qu'allusion en montrant en quoi celle du Gouvernement et du Premier
ministre nous paraissait la seule à être à la fois juste dans le dialogue et
efficace dans l'action.
Cette méthode consiste à ne pas séparer le débat sur l'avenir des retraites
dans le secteur privé du débat sur l'avenir des retraites dans le secteur
public. Il n'y a pas, d'un côté, les retraites d'une catégorie de salariés
auxquels il faudrait apporter des solutions et, de l'autre, des mécanismes de
retraite pour le secteur public qui seraient complètement différents. Les
Français ne veulent pas, dans un domaine comme celui-ci, être saucissonnés et
relever de solutions différentes. Il faut parler d'une même voix et si, pour
des régimes différents, les solutions peuvent être différentes, l'objectif doit
être le même.
Toujours en termes de méthode, il ne faut pas heurter systématiquement car,
chacun le sait bien - et plusieurs d'entre vous, notamment vous-même, madame la
ministre, ont fait allusion à la situation que nous avons connue en France en
1995 - ce n'est pas en heurtant qu'on avance. En heurtant, on bloque ! Ainsi,
avec la méthode qui a été utilisée en 1995, plusieurs années ont été perdues
pour le dialogue, rendant impossible l'émergence d'une solution efficace.
Nous souhaitons agir dans la durée, en allant toujours au bout de la
concertation, sur la base de discussions concrètes et objectives.
C'est également vrai pour les fonctionnaires. Le décret qui a été publié
aujourd'hui même et qui crée le comité d'orientation des retraites prend aussi
en compte cette considération que nous devons avoir pour les régimes des
fonctionnaires. Ce comité d'orientation, qui doit examiner l'ensemble des
régimes, abordera, bien entendu, les questions spécifiques aux fonctionnaires.
C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai souhaité que des personnalités
issues du monde syndical plus particulièrement représentatives des
fonctionnaires puissent en faire partie.
J'ai voulu faire en sorte que ces questions soient abordées dans ce contexte
global de l'avenir des retraites. Il me paraît en effet très important que,
sans remettre en cause la spécificité du régime de la fonction publique, à
savoir le principe du financement par l'Etat, la situation des fonctionnaires
soit examinée en même temps que celle des autres salariés.
Parallèlement à la mise en place de ce comité d'orientation des retraites,
j'ai proposé aux organisations syndicales, qui l'ont accepté lors des
entretiens que nous avons eus au moment de ma prise de fonction, de commencer à
travailler à la mise à plat de l'ensemble des dossiers et des questions posées.
Je leur ai suggéré d'étudier les pistes qui peuvent être esquissées, les
orientations qui peuvent être proposées par les uns et par les autres de
manière à discuter de tous les sujets.
Il ne s'agit pas, à ce stade, de négociations au sens strict du terme, car il
m'est apparu que, dans un premier temps, il convenait que toutes les questions
posées par les uns et par les autres puissent être examinées d'une manière plus
approfondie qu'elles ne l'ont été jusqu'ici. Ces travaux, qui sont, en quelque
sorte, des travaux préparatoires, commenceront avant cet été.
Le Premier ministre a d'ores et déjà évoqué plusieurs pistes de réflexion. Il
n'existe pas de solution unique dans ce domaine compte tenu des besoins de
financement à l'échéance de 2020, que chacun connaît bien.
La comparaison entre le secteur public et le secteur privé, que l'on fait
souvent - et que je fais moi-même fréquemment - est nécessaire, mais elle est
beaucoup plus complexe que certains voudraient bien l'affirmer.
Par exemple, il est vrai que les modes de calcul conduisent à des différences
apparentes. En moyenne, les salariés du secteur privé perçoivent deux tiers de
leur salaire antérieur, alors que les fonctionnaires perçoivent 2 % par an
après trente-sept annuités et demie de cotisations, ce qui conduit aux trois
quart de ce salaire. C'est une disparité apparente : 66 % d'un côté, 75 % de
l'autre ; mais la base n'est pas la même, puisque chacun sait que les
rémunérations accessoires ne sont pas prises en compte pour le calcul des
retraites.
En réalité, aujourd'hui, le taux de remplacement, c'est-à-dire le rapport
entre le montant de la retraite et celui des derniers salaires, est en moyenne
équivalent dans le privé et dans le public. Pour l'encadrement, il est même
souvent sensiblement inférieur dans le public à ce qu'il est dans le secteur
privé.
Les différences de carrière sont également sensibles puisque, actuellement,
les fonctionnaires réalisent des carrières d'une durée nettement supérieure à
celle des autres salariés : plus de 80 % des fonctionnaires ont effectué des
carrières complètes, alors que seulement 40 % des salariés unipensionnés du
régime général sont dans cette situation.
Aujourd'hui, plus de 40 % de fonctionnaires partent à la retraite à soixante
ans avec une ancienneté supérieure à trente-sept ans et demi.
Je note cependant que, comme dans le secteur privé mais pour des raisons
différentes, ces durées se raccourcissent. Les agents entrent souvent après
vingt-cinq ans dans l'administration. Les carrières incomplètes sont ainsi
maintenant de plus en plus fréquentes. On sait aussi que, pour certains
fonctionnaires, les années de formation indispensable à l'exercice dans de
bonnes conditions de leur métier ne sont pas prises en compte pour le calcul
des droits à pension.
Par ailleurs, la qualification moyenne des agents est plus élevée dans la
fonction publique, qui compte 43 % de cadres, compte tenu notamment de la
présence importante d'enseignants, alors que le secteur privé n'en compte que
15 %.
On peut, certes, faire des comparaisons entre les deux secteurs, mais en se
fondant sur des bases objectives et sans en avoir à l'esprit la seule volonté
de stigmatiser les uns par rapport au autres.
Le Premier ministre a donc proposé plusieurs pistes dans ce qu'il a appelé, à
juste titre, le « pacte » qu'il convenait de passer avec les intéressés sur les
retraites : l'allongement de la durée des cotisations, cohérente avec
l'allongement de la durée de vie puisque l'espérance de vie augmente d'un peu
plus d'un trimestre par an, ce qui réduirait d'environ 35 milliards de francs
le besoin de financement en 2020 ; mais également, et simultanément, la prise
en compte de la pénibilité de certaines fonctions, l'adaptation de la base
salariale - j'y ai fait allusion - prise en compte pour le calcul des
retraites, la diversification des modes de passage de l'activité à la retraite,
ou la possibilité pour les fonctionnaires n'ayant pas une durée suffisante
d'activité de racheter des annuités.
Nous devons traiter également un autre sujet - M. Domeizel l'a abordé à la fin
de son intervention - celui des différences de traitement qui peuvent exister
aujourd'hui entre les hommes et les femmes dans les dispositions du code des
pensions.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement souhaite,
dans ce domaine difficile et délicat, qui nécessitera à la fois un grand sens
du dialogue et aussi le sens de la décision, agir et avancer.
C'est pourquoi, me semble-t-il, le procès en immobilisme que l'on voit parfois
dresser par-ci par-là, et auquel, monsieur Fourcade, vous n'avez pas échappé,
même si vous avez souhaité le mener avec pondération à l'égard du Gouvernement,
est aujourd'hui malvenu.
Peut-être - mais quand je dis « peut-être » j'exprime en fait une certitude -
n'avons-nous pas le même sens de la réforme. Nous voulons la réforme. Mais,
pour nous, une réforme ne se juge pas uniquement à la capacité de faire mal, de
heurter, de blesser et, au bout du compte, de mettre beaucoup de monde dans la
rue, aboutissant ainsi à bloquer toute évolution. Pour nous, la réforme, c'est
le fruit du dialogue, de la discussion, de la concertation, de la volonté, par
l'écoute des autres - une écoute qui doit être réciproque - c'est de faire
jouer avant toute chose l'intelligence des Français, l'intelligence de ceux qui
sont directement concernés et qui souhaitent assurer la sécurité et l'avenir de
leurs mécanismes de retraite.
C'est par l'appel à cette intelligence que nous voulons avancer, sans pour
autant nous exonérer de ce que nous devrons faire. C'est cela qui caractérise
un gouvernement et une majorité décidés. Nous agissons, nous avançons, et nous
le faisons à notre manière, qui privilégie le dialogue et la concertatoin, et
non pas la confrontation.
(Applaudissements sur les travées socialistes et
sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
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