Séance du 16 mai 2000
M. le président. La parole est à M. Darcos, auteur de la question n° 767, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Xavier Darcos. Monsieur le ministre, je voudrais attirer votre attention sur les problèmes de délinquance et d'insécurité constante auxquels est confrontée la ville de Périgueux, dont je suis le maire.
Je précise tout de suite que je ne fais pas de l'insécurité une idée fixe, voire obsessionnelle : ce thème est très souvent abordé avec démesure ou avec démagogie, mais les faits sont là et ils sont têtus. Je sais, en outre, que mon département n'est pas haut placé dans le « hit parade » de la grande délinquance.
Je sais aussi, pour avoir consulté les derniers numéros du Journal officiel, que trop de questions écrites ou orales portent sur cette question, en particulier sur le non-respect de la sécurité des biens et des personnes.
Monsieur le ministre, vous connaissez donc parfaitement les nombreuses questions qui vous sont posées, qui se ressemblent toutes et qui reçoivent souvent les mêmes réponses, convenues, cordiales, mais abstraites.
Les doléances concernent une délinquance ambiante qui, depuis une vingtaine d'années, devient plus fréquente, plus inquiétante, plus violente, plus récidiviste, et met, hélas ! en cause des personnes de plus en plus jeunes.
Régulièrement, vous êtes saisi - y compris par moi-même - de demandes de renforcement des effectifs de la police nationale alors que le rapport du nombre des policier sur celui des habitants est, je crois, déjà très élevé en France par rapport à ce qu'il est dans les autres pays d'Europe : il faut donc repenser la répartition ou l'organisation des tâches du maintien de la sécurité, notamment la nuit.
Enfin, Mme la garde des sceaux est, elle aussi, régulièrement saisie de questions liées au fait que les victimes de l'insécurité n'osent plus porter plainte, car elles doutent de l'utilité de leur démarche.
Mais, pour revenir à la ville de Périgueux, je suis, comme tant d'autres maires, en droit de vous demander comment je dois répondre aux attentes de mes administrés, qui ont le sentiment que la sécurité des biens et des personnes est insuffisamment assurée.
Le sujet est devenu obsédant pour les élus. Il ne se passe pas une journée sans que je sois saisi de doléances.
A titre d'exemple, je citerai la dernière lettre que j'ai reçue - une parmi tant d'autres - d'un habitant de Périgueux, qui m'interrogeait sur l'insécurité dans notre ville :
« Est-il normal, monsieur le maire, que je doive maintenir constamment fermée la porte de mon commerce pour éviter des visites indésirables ?
« Je suis redevable d'environ 12 000 francs de taxe professionnelle chaque année, n'ai-je pas, en contrepartie, droit à exercer ma profession dans des conditions normales ?
« Est-il normal, de constater une véritable démission des agents de la force publique au centre même de la ville de Périgueux, à cent mètres du commissariat de police ?
« Est-il normal que ces agents ne se déplacent même plus lorsqu'ils sont alertés par des riverains.»
Monsieur le ministre, je fais certes la part des choses et je sais reconnaître des mouvements d'humeur. Mais j'ai lu récemment une étude sur la délinquance relatant que des villes gigantesques comme celles de New-York, Londres, Hambourg ou Barcelone étaient parvenues à garantir la sécurité de leurs populations, surtout dans les transports urbains.
Pourquoi n'en serait-il pas de même dans une ville de 3 000 habitants ?
A maintes reprises, j'ai saisi M. le préfet de la Dordogne, M. le procureur de la République et le commissaire principal de police de la ville de Périgueux de nombreux actes de délinquance. Or je n'ai reçu en réponse que des paroles encourageantes ou, pis, des aveux d'impuissance.
Je constate aujourd'hui qu'il n'y a eu aucune amélioration. C'est donc un problème de fond qui se pose.
Il faut que vous renforciez l'effectif de policiers dans ma ville.
En effet, j'ai essayé les autres solutions : le contrat local de sécurité, que j'ai signé avec l'Etat, un comité intercommunal de lutte contre la délinquance, que nous avons créé avec plusieurs communes et même un contrat de ville. Eh bien, monsieur le ministre, après les avoir expérimentés, je vous rends tous ces comités « Théodule » du monde au profit de quelques policiers de terrain présents et actifs.
Pour ma part, je crois que la conjugaison des effectifs de la police nationale et de la police municipale est insuffisante.
Sur le court terme, il me faut régler en urgence ce problème de l'insécurité ou, du moins, venir à bout de ce sentiment d'insécurité. Que pouvez-vous faire à cet égard ?
J'ajoute que j'ai recruté trois agents de médiation sociale. La ville lutte ainsi par la prévention pour limiter l'insécurité à laquelle sont exposés mes administrés.
Les faits quotidiens - vols à l'arraché, actes de malveillance, brutalités diverses - sont évocateurs. Il faut en tirer les enseignements : celui qui cause un dommage à autrui doit être en mesure de le réparer. Aussi longtemps que l'auteur potentiel d'un délit, même mineur, notamment commis par un jeune, aura le sentiment de pouvoir rester impuni, le malaise de l'insécurité profondément ressenti à Périgueux, comme ailleurs, ne fera que s'accentuer.
Même si dix années sont nécessaires, la réparation doit être totale. C'est à ce titre que les garanties constitutionnelles seront assurées.
Monsieur le ministre, je souhaite connaître vos intentions et les moyens dont vous disposez.
M. le président La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous avez vous-même distingué, à juste titre, l'insécurité et le sentiment d'insécurité.
La réalité de ce sentiment d'insécurité nous conduit à adapter nos modes d'action, à les adapter profondément. C'est tout le sens de la police de proximité qui sera déployée sur le terrain en trois phases successives : la première commencera le 1er juin ; la deuxième débutera le 1er janvier 2001 et la troisième sera mise en oeuvre en octobre 2001.
La mise en place sera complète au milieu de l'année 2002.
Il s'agit là de la mise en oeuvre d'une doctrine d'emploi résolument nouvelle, d'une police territorialisée exerçant une responsabilité de secteurs, agissant de manière polyvalente et capable de nouer des liens en partenariat dans le cadre des contrats locaux de sécurité ; 368 ont d'ores et déjà été signés.
Comme vous le savez, la sécurité repose sur la citoyenneté, qui est la forme moderne du lien social. Il n'est pas possible de placer un policier derrière chaque citoyen, derrière chaque commerçant. Ayant été un responsable de l'éducation nationale, vous êtes bien placé pour savoir à quel point l'éducation à la citoyenneté est un impératif dans notre pays où cette discipline a été trop longtemps délaissée.
Je veux en venir maintenant aux problèmes que vous avez évoqués concernant la ville que vous administrez, Périgueux.
J'observe d'abord qu'il convient, vous l'avez d'ailleurs dit vous-même, de faire la part des choses. Un devoir d'explication incombe à chacun.
J'ajoute que, entre 1998 et 1999, nous avons observé, dans la circonscription de Périgueux, une diminution de la délinquance générale de 6 %, et une baisse de la délinquance sur la voie publique de 16,1 %.
La baisse significative du nombre des vols avec violences, 18,3 %, des cambriolages, 21,8 %, des vols de véhicules, 19 %, et des dégradations, 14,3 %, est, me semble-t-il, un résultat qui est à mettre à l'actif, sans doute des autorités municipales, mais aussi de la police nationale.
Un contrat local de sécurité a d'ailleurs été signé, je le rappelle, le 6 février 1998, avec cinq communes de la circonscription de Périgueux et avec deux autres communes situées en zone de gendarmerie de Chancelade et de Marsac-sur-l'Isle.
La tendance est-elle propre à 1999 ? Non ! on la retrouve pour les premiers mois de l'année 2000. Pour les deux premiers mois de l'année, on observe en effet une diminution de 16,5 % de la délinquance générale et une baisse de 24 % de la délinquance sur la voie publique.
Pour ma part, je pense, monsieur le sénateur-maire, qu'il est important d'avoir un rôle d'explication vis-à-vis d'un certain nombre de vos concitoyens.
Si la personne dont vous avez rapporté les propos doit s'absenter entre midi et quatorze heures, peut-être ne serait-il pas malavisé de sa part de fermer la porte de son commerce. Je sais bien qu'on peut regretter des temps patriarcaux où cela n'était peut-être pas nécessaire, en tout cas à Périgueux. Je peux cependant vous dire que, partout ailleurs, on considère que, si l'on s'absente, il vaut mieux fermer sa bijouterie, si c'est une bijouterie, ou son commerce de détail. C'est un réflexe qu'il faut acquérir.
Je doute par ailleurs que les agents ne se déplacent plus. Je considère au contraire qu'un effort très soutenu a été fait en direction du commissariat de Périgueux, puisque, depuis le 1er janvier 1997, c'est-à-dire grosso modo depuis l'année de ma prise de fonctions, douze policiers titulaires supplémentaires et dix-huit adjoints de sécurité ont été affectés à Périgueux.
Au début du mois d'avril 2000, quatre gardiens de la paix ont encore été affectés à ce service qui reçoit en outre ponctuellement le renfort des personnels des compagnies républicaines de sécurité et des élèves gardiens de la paix de l'Ecole nationale de police de Périgueux.
Je peux également annoncer que le département de la Dordogne va bénéficier d'une dotation supplémentaire de quarante-cinq adjoints de sécurité, dont une bonne partie pourrait renforcer ceux qui sont déjà en poste à Périgueux.
Je sais que votre problème est aussi celui des horaires : vous souhaitez que ces horaires soient repoussés le plus tard possible dans la soirée. Cela implique naturellement un dialogue avec les personnels de façon à assurer une présence policière visible et soutenue, au contact direct de la population. On me dit que le service d'îlotage fonctionne actuellement de douze heures à vingt heures. Peut-on faire mieux ? Il faudra voir sur place. Mais vous comprenez bien que cela dépend également des moyens globaux dont nous disposons.
Monsieur le sénateur, je crois que nous devons véritablement agir de concert, mais les résultats enregistrés témoignent que l'effort n'est pas nul. Si l'on peut faire mieux, on le fera : je me tiens donc en rapport avec vous-même et avec la municipalité de Périgueux.
Honnêtement, je pense toutefois que jamais n'a été mieux vérifié le proverbe : « Quand je me vois, je me désole ; mais quand je me compare, je me console. » Les statistiques en témoignent.
M. Xavier Darcos. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Darcos.
M. Xavier Darcos. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Je tiens cependant à indiquer que la commerçante dont j'ai parlé ne s'absente pas de son magasin ; elle le ferme entre deux clients, par peur des irruptions !
Je connais les chiffres que vous avez indiqué et je constate que vos réponses nuancées vont dans le sens de ce que je pouvais attendre. Je n'aurai donc pas la cruauté de rappeler les statistiques concernant les personnels de la police nationale à Périgueux quant aux congés de maladie, aux congés de longue durée et sur le fait que certains habitent très loin de la ville.
Comme nous le savons, le nombre ne suffit pas à créer la mobilisation et, quels que soient les chiffres, le sentiment de la population des villes moyennes d'être livrée à elle-même face à la petite délinquance reste très fort. On peut trouver qu'il s'agit d'un sentiment irrationnel, on peut considérer que l'on est dans la pensée symbolique, mais, monsieur le ministre, les premiers magistrats de chaque ville de France y sont confrontés au quotidien.
POLITIQUE DE LUTTE CONTRE L'INSÉCURITÉ