Séance du 23 mai 2000
CHASSE
Discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 298, 1999-2000),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la
chasse. [Rapport n° 335 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Monsieur
le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le
projet de loi que je vous présente aujourd'hui a été préparé par le
Gouvernement au terme d'une concertation qui n'a pas cessé depuis l'été 1997,
et qui a connu une forme et une intensité remarquables grâce au travail conduit
par M. François Patriat depuis le mois de juin 1999. Il faut remercier celui-ci
des efforts qu'il a accomplis pour conduire une véritable concertation dans des
dizaines de départements, afin de permettre aux points de vue de s'exprimer et
de se rapprocher.
Je veux aussi saluer le travail réalisé par la commission des affaires
économiques et du Plan, sous la conduite de son président, M. Jean
François-Poncet, et avec l'appui de son rapporteur, Mme Heinis.
Le Gouvernement a donné suite à ce travail de concertation en préparant un
projet de loi. Adopté en conseil des ministres deux mois après la remise du
rapport de M. François Patriat, l'Assemblée nationale l'a examiné les 28 et 29
mars derniers, en première lecture. Maintenant constitué de trente-neuf
articles, le projet de loi qui vous est proposé comporte sept titres, qui
traitent successivement de la chasse et de son organisation, des associations
communales et intercommunales de chasse agréées, du permis de chasser, de la
sécurité, du temps de chasse, de la gestion du gibier et de dispositions
administratives et pénales.
Le projet de loi que le Gouvernement soumet à votre délibération est un
compromis équilibré entre les demandes des chasseurs et les demandes de ceux
qui ne chassent pas, dans le respect des engagements communautaires et
internationaux de la France. Aucun des termes ne doit être oublié pendant nos
débats, qu'il s'agisse de la prise en compte des intérêts de chacun ou de celle
du cadre juridique international dans lequel nous travaillons.
Le compromis que je vous propose cherche à atteindre trois objectifs : créer
les conditions d'une coexistence pacifiée entre les chasseurs et les autres
usagers des espaces naturels, en redéfinissant la place de la chasse dans la
gestion des milieux et des espèces ainsi que dans le partage des espaces ;
clarifier et moderniser les missions et le rôle des structures qui organisent
le monde de la chasse ; adapter notre droit interne de façon à mettre fin aux
contentieux suscités par certaines pratiques de la chasse depuis de nombreuses
années.
J'évoquerai, tout d'abord, la nécessité de mettre en place et de reconnaître
un accès partagé par tous les usagers de la nature à des espaces naturels et
ruraux protégés.
La société française, les modes de vie, les besoins de nos concitoyens ont
connu des transformations importantes.
La conception que se font les chasseurs eux-mêmes de la chasse évolue. Une
récente étude réalisée à la demande de l'Union des fédérations montre bien que
le clivage entre chasseurs urbains et chasseurs ruraux a fait son temps, et que
tous considèrent la ruralité comme un bien collectif.
L'accroissement du temps libre, la concentration urbaine, l'augmentation de la
mobilité, ont très sensiblement accru et diversifié les demandes en matière
d'accès aux aménités offertes par les espaces ruraux et naturels. Il ne faut
pas s'en plaindre : c'est sans aucun doute source de brassages sociaux et
culturels, de développement économique et touristique, et, plus prosaïquement,
de flux financiers.
L'heure est maintenant au partage de l'espace et à la combinaison des
différentes manières d'en user et d'en jouir.
Le souci de préserver l'environnement prend progressivement sa place dans les
mentalités comme dans les comportements. Le processus est trop lent à mon gré,
mais personne ne peut contester que cette préoccupation se développe.
L'afflux de bénévoles sur les côtes de l'Atlantique souillées par le fioul de
l'
Erika
est, en quelque sorte, la preuve par le passage à l'acte de
l'attention grandissante que nos concitoyens portent à l'environnement.
Simultanément, la société française fait l'apprentissage de la concertation.
Les débats publics ouverts aux citoyens et à leurs associations se multiplient.
La démocratie participative se développe. Elle ne remet pas en cause la
démocratie représentative mais elle la complète, en permettant effectivement
aux citoyens de prendre leurs affaires en main. L'impressionnante consultation
que M. François Patriat a conduite sur le terrain dans le courant de l'été
dernier en est un bon exemple. Sans porter atteinte en quoi que ce soit aux
prérogatives des parlementaires, il aura permis de préparer et d'éclairer le
travail du Gouvernement et le vôtre.
Même si je regrette la faiblesse des soutiens qui sont accordés aux
disciplines touchant à l'environnement, l'avancée des connaissances
scientifiques en matière d'écologie, de dynamique des populations et de
fonctionnement des milieux a été sensible ces dernières années. Aux progrès
acquis correspond, évidemment, tout un lot de controverses et de lacunes ; mais
cela ne suffit pas pour se dispenser de prendre en compte ce qui est maintenant
connu et ne l'était pas voilà quelques décennies.
L'évolution de l'environnement sous l'effet des pratiques agricoles et de
l'urbanisation a considérablement transformé les milieux naturels et ruraux. Il
faut, aujourd'hui, tirer les conclusions de ces changements.
Il est maintenant indéniable que les sociétés humaines ont une responsabilité
déterminante dans la pérennité des espèces, dans le fonctionnement des milieux
et dans le maintien des équilibres écologiques. La France a d'ailleurs
pleinement assuré cette responsabilité en se dotant, en juillet 1976, de la loi
relative à la protection de la nature, dont les dispositions ont été renforcées
en 1995.
Plus récemment, la loi d'orientation agricole a, par exemple, redéfini les
contours d'une agriculture nouvelle en reconnaissant la multifonctionnalité
économique, sociale et environnementale de l'agriculture.
La même évolution s'est produite sur les plans européen et international, avec
l'adoption, depuis la conférence des Nations unies sur l'environnement et le
développement de Rio de Janeiro en 1992, d'un projet de développement durable,
malheureusement encore bien peu mis en oeuvre, mais auquel aucune activité
humaine, pas même la chasse, ne peut se soustraire.
C'est dans ce contexte qu'il faut replacer les efforts que nous entreprenons
pour redéfinir la place de la chasse dans la gestion des espaces naturels et
des espèces sauvages.
De la même façon, il nous faut aujourd'hui jeter les bases d'un nouveau
contrat qui permette à chacun, chasseurs, agriculteurs et autres « usagers de
la nature » - du promeneur du dimanche à l'ornithologue en passant par le
randonneur ou le ramasseur de champignons - d'adhérer à un projet commun,
c'est-à-dire à une chasse conforme à un développement durable et assurée de sa
pérennité.
En premier lieu, ce projet de loi traite donc de la place de la chasse dans la
gestion des milieux.
L'article 1er du projet de loi indique que « la gestion du patrimoine faunique
et de ses habitats est d'intérêt général » et que « la pratique de la chasse,
activité à caractère environnemental, culturel, social et économique, participe
à cette gestion et contribue à l'équilibre entre le gibier, les milieux et les
activités humaines en assurant un véritable équilibre agro-sylvo-cynégétique.
»
Cet article décline, pour la chasse, les dispositions plus générales qui
figuraient dans la loi relative à la protection de la nature de 1976 et dans
celle de 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement. Je
rappelle que ces dispositions, qui figurent déjà dans le code rural, font des
espèces animales des éléments du patrimoine commun de la nation, comme le sont
les équilibres écologiques, les ressources naturelles ou les paysages, et font
de leur protection ou de leur gestion des responsabilités d'intérêt général.
L'article 1er du projet de loi fait du principe de prélèvement raisonnable sur
les ressources naturelles renouvelables la contrepartie de la contribution des
chasseurs à la gestion des écosystèmes. Il définit l'acte de chasse et précise
que « la chasse et les usages non appropriatifs de la nature doivent s'exercer
dans des conditions compatibles ».
La part que peut prendre une chasse raisonnée dans la gestion des espèces est
ainsi confirmée. Elle est cohérente avec des dispositions plus générales de la
loi relative à la protection de la nature de 1976.
Le fait que le rôle de la chasse soit ainsi défini correspond à la
reconnaissance de la part qu'elle prend souvent dans la gestion des espèces et
des milieux, mais impose, en retour, une responsabilité qui doit conduire à
écarter les pratiques de chasse qui ne seraient pas compatibles avec les
exigences de la protection de la nature.
Ainsi rédigé, le projet de loi qui vous est proposé consacre les évolutions
positives constatées sur le terrain et les encourage.
Plus souvent qu'on ne le dit, la cohabitation entre les chasseurs et ceux qui
ne chassent pas est parvenue à un équilibre local qui satisfait chasseurs,
agriculteurs, protecteurs de la nature et de l'environnement et toutes autres
sortes d'usagers des espaces naturels, forestiers ou ruraux.
M. Roland du Luart.
C'est nouveau !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Nous
souhaitons tous que ces situations d'exception deviennent la règle.
Il faut, pour cela, parvenir à un accord explicite sur le partage de l'accès
aux espaces naturels et ruraux, dans des conditions qui respectent les intérêts
de chacun. Cet accord suppose que soit reconnue la légitimité de certaines
limitations à l'exercice du droit de chasse et que nous définissions ensemble
les fondements de ces restrictions. La liberté de chasser n'a, en effet, jamais
été absolue depuis 1789. La loi de 1844, reprenant celle du 30 avril 1790,
précisait, par exemple, que « nul n'a la faculté de chasser sur la propriété
d'autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit » et que «
nul ne pourra chasser si la chasse n'est pas ouverte ».
Les raisons de ces limites apportées à l'exercice du droit de chasser sont
forcément différentes aujourd'hui de ce qu'elles étaient voilà un siècle et
demi ; à nous de les préciser. Il me semble qu'elles doivent s'inspirer de deux
types de préoccupations : celles qui tiennent à la coexistence entre les
usagers de la nature, d'une part, et celles qui tiennent à la préservation des
espèces sauvages, d'autre part. C'est en s'inspirant des premières que nous
avons proposé l'instauration du « mercredi sans chasse », afin que ce jour-là,
chacun puisse profiter de la nature en toute sérénité... Cette proposition a
été inscrite à l'article 10 du projet de loi qui vous est proposé.
Le projet de préservation de la faune sauvage s'exprime notamment dans les
articles relatifs à la transcription de la directive communautaire de 1979,
dont nous reparlerons, mais aussi dans ceux qui précisent les objectifs des
plans de chasse, en les élargissant à la gestion des interactions entre les
espèces. Il vous est également proposé de créer un dispositif nouveau de
gestion des espèces, celui du « prélèvement maximal autorisé », qui sera, dans
certains cas, un moyen plus souple et plus efficace de gestion de l'importance
des prélèvements pratiqués.
En second lieu, ce projet de loi prévoit de rénover l'organisation du monde de
la chasse et de la rendre plus claire.
Dans son article 2, pour tenir compte du développement des missions de
l'Office national de la chasse, l'ONC, et notamment de l'élargissement de son
champ d'intervention à des nombreuses espèces de la faune sauvage qui ne sont
pas chassables, il est proposé de modifier, en l'inscrivant dans la loi, la
dénomination de l'établissement, qui deviendrait l'« Office national de la
chasse et de la faune sauvage ».
L'élargissement du champ d'intervention de l'office n'est en rien artificiel.
Les écosystèmes sont des ensembles cohérents, et les objectifs de gestion de la
faune sauvage, chassable ou non, souvent indissociables.
Les missions de l'office sont donc redéfinies, en insistant sur ses rôles
d'études et d'appui technique en faveur de la chasse et de la conservation de
la faune sauvage et des habitats.
Pour les mêmes raisons mais aussi pour marquer l'ouverture de l'office, le
conseil d'administration de ce dernier doit s'élargir à des représentants des
usagers et des gestionnaires des espaces naturels.
Les missions des fédérations départementales de la chasse sont, quant à elles,
redéfinies, tout comme leurs relations avec leur nouvelle fédération nationale.
Il est en effet important que la vitalité et la responsabilité du mouvement
associatif que suscite la chasse soient consolidées, tant pour clarifier sa
propre identité et son autonomie que pour faciliter un dialogue responsable
avec les autres acteurs, notamment sociaux et professionnels, parties prenantes
à la protection de la nature.
Depuis quelques décennies, à côté d'autres acteurs du monde rural, voire en
coopération avec eux, les fédérations de chasse mènent des actions en faveur du
patrimoine naturel qui se sont développées et diversifiées. Elles constituent
des réserves et se préoccupent de la protection et de la reproduction du
gibier. Il fallait en prendre acte.
Leurs responsabilités dans le domaine de la formation initiale et continue de
leurs adhérents devaient être simultanément reconnues et confortées pour être
mieux assumées. Enfin, leur rôle de coordination des associations communales de
chasse agréées devait aussi être confirmé.
L'Assemblée nationale a apporté des compléments importants à ce dispositif en
instaurant le principe électif « un homme, une voix » et en confiant aux
fédérations la responsabilité d'élaborer un schéma départemental pluriannuel de
mise en valeur cynégétique soumis à l'approbation du préfet.
La responsabilité d'indemniser les dégâts de grand gibier aux récoltes, qui
était partagée entre l'office national de la chasse et les fédérations, est
désormais confiée aux seules fédérations de chasse. Les fédérations
départementales qui le souhaiteraient pourront concourir à la prévention du
braconnage.
Enfin, une fédération nationale regroupera les fédérations départementales de
chasseurs, consolidant ainsi la représentativité générale et la cohésion du
mouvement. Cette fédération nationale aura notamment à constituer et à gérer un
fonds de péréquation destiné à réduire les inégalités entre des fédérations
dont les ressources dépendent du nombre d'adhérents et ne sont pas toujours en
rapport avec les charges qu'elles doivent supporter.
Evidemment, si les moyens sont donnés aux fédérations de renforcer leur action
et leur représentativité, cela va de pair avec un contrôle effectif des
pouvoirs publics sur leur fonctionnement et sur la façon dont elles utilisent
leurs fonds. Il faut rappeler que ce qui justifie l'existence des fédérations
de chasse et les prérogatives qui leur sont reconnues, c'est bien le rôle
qu'elles doivent jouer dans la gestion des espèces sauvages et des espaces
qu'elles gèrent, et uniquement cela. Un récent rapport de la Cour des comptes a
mis en évidence que cela n'était pas toujours le cas, et il faudra
naturellement y mettre bon ordre. Pour ce qui concerne mon ministère, j'ai
immédiatement pris les dispositions nécessaires.
Sur un autre plan, il fallait mettre les règles de fonctionnement des
associations communales de chasse agréées, les ACCA, en conformité avec l'arrêt
de la Cour européenne des droits de l'homme.
Chacun connaît les associations communales de chasse agréées. Je ne reviendrai
donc pas sur le dispositif, sur son utilité ou sur les critiques qui lui ont
été portées. Je note, évidemment avec satisfaction, que la Cour européenne des
droits de l'homme a admis que la loi Verdeille poursuivait, dans son ensemble,
des objectifs légitimes et qu'elle a été adoptée dans une perspective conforme
à l'intérêt général. Il est cependant devenu nécessaire d'inscrire dans notre
législation les dispositions qui permettront à ceux qui le désirent de faire
valoir un droit de non-chasse, pour reprendre l'expression consacrée, dans des
conditions raisonnables et simples. C'est l'objet des articles 6 et 7 du projet
de loi. Ces dispositions, comme l'instauration d'un jour sans chasse,
apaiseront sans aucun doute, et pour peu qu'elles soient mises en oeuvre
loyalement, les relations entre chasseurs et non-chasseurs.
Il me semble ainsi que nous sommes parvenus à des propositions qui, alliant
simplicité et responsabilité, peuvent satisfaire les propriétaires qui, par
conviction personnelle, refusent l'exercice de la chasse sur leurs biens, tout
en garantissant la stabilité nécessaire à une bonne gestion des territoires de
chasse. C'est là l'exemple d'un de ces points d'équilibre auxquels il nous faut
tenir pour gagner le pari d'une chasse acceptée, moderne et durable.
J'évoquerai plus rapidement les améliorations apportées au permis de chasser.
L'instauration d'une épreuve pratique et le permis accompagné évoqué à
l'article 8 du projet de loi renforceront la crédibilité de cet examen. Ces
dispositions sont essentielles pour améliorer la sécurité de la chasse, tant
pour les pratiquants que pour les citoyens en général, et pour promouvoir une
image de responsabilité.
Il s'agit, en troisième et dernier lieu, de moderniser notre législation
nationale pour mettre fin aux contentieux qui empoisonnent le débat depuis des
années et dégradent l'image même de la chasse.
Je l'ai rappelé, notre droit de la chasse est ancien. Il n'est donc pas
étonnant qu'il se révèle inadapté aux évolutions de la société ou à celles des
connaissances en matière de faune ou de milieu, et qu'il s'articule parfois
fort mal avec la législation communautaire de création plus récente.
Comme le préconise le rapport de François Patriat, il faut mettre notre droit
national en accord avec le droit européen, et notamment avec la directive n°
79-409/CEE du 2 avril 1979, dite « directive Oiseaux », adoptée à l'unanimité
en 1979, sous présidence française. C'est l'objet de l'article 10 du projet de
loi.
Cet article, très attendu, traite de la fixation des périodes de chasse. Il
prend en compte la jurisprudence du Conseil d'Etat, notamment l'arrêt que
celui-ci a rendu le 3 décembre 1999, et respecte la distinction fréquemment
rappelée par ce même Conseil d'Etat entre matière législative et matière
réglementaire.
La rédaction proposée établit donc le principe d'une fixation des périodes de
chasse par l'autorité administrative dans des conditions fixées par un décret
en Conseil d'Etat.
Elle soumet par ailleurs la fixation des dates au respect des principes
inscrits à l'article 7-4 de la directive « Oiseaux », c'est-à-dire au respect
des périodes de reproduction ou de dépendance et à l'absence de chasse durant
le retour vers les lieux de nidification.
Des documents de travail, préparés pour servir d'éléments versés à la
concertation conduite avec tous les partenaires, ont été invoqués et très
sollicités ces derniers jours pour justifier des points de vue que je ne
partage pas.
Les choses sont pour moi très claires et n'ont pas changé depuis le débat qui
a eu lieu à l'Assemblée nationale. Les dates d'ouverture et de fermeture de la
chasse au gibier d'eau et aux espèces migratrices seront fixées en principe du
1er septembre au 31 janvier. Dans le respect des principes posés par la
directive communautaire, c'est-à-dire en tenant compte de ce que les
scientifiques disent de la biologie des espèces, ces dates pourront être
portées au 10 août et au 10 février pour les espèces migratrices dont les
périodes de dépendance et de reproduction et celles de retour vers les lieux de
nidification le permettent. Cette réalité devra être établie par les
scientifiques spécialistes de ces questions.
Enfin, selon le même raisonnement, la chasse au gibier d'eau sur le domaine
maritime pourrait dépasser ces limites, pour autant, encore une fois, que cela
soit compatible avec les principes posés par la directive de 1979 désormais
traduite dans notre droit interne.
Pour le reste, l'article 9 de cette même directive prévoit la possibilité de
dérogations, en nombre limité, si l'état de conservation des espèces le permet,
et dans de strictes conditions d'encadrement. J'ai déjà indiqué que j'étais
prête à en discuter avec l'ensemble des partenaires intéressés, dès lors que
l'on se situait bien dans ce cadre.
L'Assemblée nationale a par ailleurs demandé au Gouvernement, dans le premier
article du texte qu'elle a adopté, d'interroger la Commission européenne sur
les modalités d'application du principe de subsidiarité en matière de fixation
des dates de chasse. J'ai d'ores et déjà écrit à la commission chargée de
l'environnement pour l'interroger sur ce point.
Enfin, cet article vise à interdire la chasse à tir dans les espaces non clos
un jour par semaine, en principe le mercredi, dans le souci de permettre un
usage partagé et harmonieux des milieux naturels. En fonction des circonstances
locales, le préfet aura la possibilité de choisir un autre jour de la
semaine.
L'article 11 indique que le permis de chasser donne le droit de chasser à la
passée le seul gibier d'eau. La chasse à la passée s'exerce à l'aube ou au
crépuscule. L'Assemblée nationale a souhaité en préciser les plages horaires :
deux heures avant le lever du soleil et deux heures après son coucher. Je n'ai
pas caché, lors de l'examen du texte par l'Assemblée nationale, que ces plages
horaires, supérieures à ce que la quasi-totalité de nos partenaires européens
ont souhaité retenir, pourraient à mon avis nous poser des problèmes quand nous
aurions à en discuter avec la Commission européenne. J'avais donc proposé une
durée inférieure : une heure avant le lever du soleil et une heure après son
coucher. Mais les députés en ont décidé autrement.
L'article 12 traite du sujet tant contesté de la chasse de nuit. Une longue
discussion a eu lieu à ce sujet à l'Assemblée nationale. Nous vivons
actuellement, vous le savez, sous un régime d'interdiction légale de la chasse
de nuit, régime à vrai dire fort ancien, dont le respect est battu en brèche
depuis des décennies.
A la suite du rapport Patriat, le Gouvernement proposait de sortir de ce
régime d'interdiction en suspendant les sanctions pénales dans un nombre limité
de départements, pour une période de cinq ans, au terme de laquelle un bilan
aurait été tiré pour savoir s'il convenait de prolonger cette expérience.
Les députés ont préféré une légalisation pure et simple de la chasse de nuit
dans les vingt départements où cette pratique est considérée comme
traditionnelle, tout en conservant les autres dispositions prévues par le
projet du Gouvernement : pas de nouvelles installations dans les départements
où cette pratique est autorisée, contrôle des prélèvements réalisés, notamment.
Il ne serait pas raisonnable d'aller au-delà de ces dispositions, par exemple
en allongeant la liste des départements bénéficiant de cette légalisation, car
ces mesures perdraient alors toute légitimité et deviendraient non négociables
avec la Commission de l'Union européenne.
Afin d'amorcer la conclusion de cet exposé nécessairement sommaire du contenu
du projet de loi, je vous précise que les titres V et VI comportent des
dispositions relatives à des outils de gestion, comme le plan de chasse, les
battues administratives ou les prélèvements maxima autorisés, ou encore des
dispositions administratives et pénales d'adaptation ou d'harmonisation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'espère, à travers cette approche
liminaire, par certains côtés technique, vous avoir conduits à percevoir
l'équilibre que le Gouvernement a souhaité instaurer dans son projet entre les
préoccupations des chasseurs ou de leurs organisations et celles des autres
usagers des espaces ruraux et naturels, sans omettre pour autant les
modifications que l'Assemblée nationale y a apportées.
Je souhaite que les travaux du Parlement renforcent durablement cet équilibre,
que je m'efforcerai de garantir dans l'application de la loi comme dans ses
dispositions réglementaires.
Ce compromis est fragile et aucun des éléments qui le constituent ne saurait
être remis en cause sans que l'édifice entier risque de s'effondrer.
En l'occurrence, la surenchère serait mauvaise conseillère. Sans régler
durablement les questions immédiates, elle ne ferait que justifier un
immobilisme dangereux pour la chasse elle-même et encourager la poursuite
d'affrontements qui, par certains côtés, apparaissent à toutes les parties
vains, inutiles, et mêmes dérisoires.
L'enjeu dépasse largement les contentieux, toujours évoqués, ou l'organisation
immédiate de la chasse. Il vous revient de continuer à briser la logique
infernale des conflits qui ne profitent ni à la chasse, ni à la nature, ni à la
société. Sur le terrain, bien des protagonistes, tant du côté des associations
de protection de la nature que du côté des chasseurs, sont prêts à faire
quelques pas les uns vers les autres pour peu que l'équilibre minutieux de ce
texte soit au rendez-vous.
Les débats qui ont précédé le travail parlementaire ont montré que la chasse
doit impérativement trouver une nouvelle légitimité. Cette dernière ne sera
durablement acquise que si, parallèlement à vos travaux, s'établissent et se
poursuivent un dialogue et une réflexion collective entre les chasseurs et le
reste d'une société qui a profondément changé. De ce dialogue dépend,
d'ailleurs, l'appréciation que la Commission de l'Union européenne portera sur
notre manière de mettre ce texte en application.
La loi que nous préparons ensemble rendra ce dialogue et cette réflexion
collective plus ou moins faciles suivant qu'elle maintiendra ou non un
équilibre acceptable par toutes les parties prenantes, faute de quoi elle ne
serait qu'un nouvel épisode dans une querelle artificiellement entretenue, dans
laquelle, contrairement à ce que certains s'emploient à leur faire croire, les
chasseurs n'ont rien à gagner.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Anne Heinis,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, madame le ministre, mes chers collègues, la chasse française est
aujourd'hui prise dans une sorte d'étau que rien ne justifiait au départ,
puisque, jusque vers les années quatre-vingt-dix, elle se pratiquait d'un bout
à l'autre de la France sans provoquer de heurts particuliers. Elle a d'ailleurs
inspiré, dans la première moitié du xxe siècle, des romans qui ont fait rêver
beaucoup, comme les romans de Vialar ou les récits de chasse aux bartavelles de
Pagnol.
La chasse faisait partie du paysage, des traditions et de la culture rurales
et, il faut le savoir, les chasseurs étaient majoritairement des gens modestes,
qui n'étaient pas propriétaires de territoires de chasse. Cette particularité
demeure vraie aujourd'hui.
La législation et la réglementation de la chasse ont évolué dans le temps. En
revanche, l'amour des chasseurs pour cette discipline - qui, pour beaucoup, est
véritablement un art et, pour certains, un art de vivre - n'a pas changé, et
cela n'est pas toujours compris.
Les grandes migrations urbaines, le dépeuplement de nos campagnes ont coupé
une partie importante de notre population des réalités et de la connaissance de
la nature, considérée trop souvent, hélas ! comme une vaste extension des
jardins publics de nos cités.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Le Sénat, quant à lui, fidèle à sa mission de représentation
du territoire, n'a pas failli à sa tâche et s'est beaucoup intéressé à la
question. Trois textes, notamment, en témoignent : la loi du 15 juillet 1994,
la loi du 3 juillet 1998, et la proposition de loi adoptée par le Sénat en juin
1999 puis malheureusement rejetée de justesse par l'Assemblée nationale, sans
oublier les propositions de loi déposées par nos collègues du groupe d'études
de la chasse, MM. du Luart et Charasse, qui n'ont jamais été examinées mais
dont nous nous sommes beaucoup inspirés pour l'examen de ce projet de loi sur
la réorganisation de la chasse.
J'y ajouterai le remarquable travail de recherche intitulé
Vers une chasse
moderne, légitime et responsable,
effectué à la demande de notre collègue
Gérard Larcher et du député Henri Cuq.
Pourquoi une nouvelle loi ? La réponse est simple : il s'agissait de sortir
des contentieux et des blocages divers qui pèsent sur la chasse, du fait tant
de l'Europe que des décisions nombreuses et parfois divergentes des
juridictions françaises, décisions faisant suite, il faut le souligner, à des
plaintes incessantes venant de représentants d'assocations que je qualifierai
d'« anti-chasse ».
Avant de présenter brièvement les grands points de ce texte, je ferai deux
observations préliminaires.
L'urgence a été déclarée sur ce projet de loi, ce qui prive le Sénat d'exercer
de façon convenable et constructive son droit d'amendement. Non seulement je le
déplore, mais je dénonce vigoureusement cette pratique, qui prive le Parlement
de réels débats démocratiques sur un texte difficile. Vous en êtes d'ailleurs
convenue, madame le ministre.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de
l'Union centriste.)
M. Roland du Luart.
C'est vrai !
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Cette observation revêt une importance supplémentaire lorsque
le rapporteur de ce texte apprend, à la veille de l'ouverture des débats, par
des articles de presse non démentis...
M. Roland du Luart.
C'était dans
Le Courrier picard
!
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
... que le ministre se propose de modifier substantiellement
son projet de décret sur les dates de la chasse aux oiseaux migrateurs, selon
un engagement qui serait bien antérieur.
M. Jean-Louis Carrère.
Vous avez maintenu l'amendement !
Mme Anne Heinis.
Là aussi, je déplore vivement que le dialogue entre le Parlement et le
Gouvernement passe ainsi par la presse. Dans ces conditions, quelle confiance
accorder à de tels engagements qui, visiblement, varient au gré d'arrangements,
pour ne pas dire de marchandages conclus à l'écart du débat parlementaire ?
(Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Jean-Louis Carrère.
Là, vous poursuivez un autre but, et je ne suis pas d'accord !
M. Raymond Courrière.
C'est de la politique politicienne !
(Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Non, ce n'est pas politicien, c'est la vérité. On ne mène pas
des actions claires sans dire la vérité !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. Jean-Louis Carrère.
Je préfère fixer de bonnes dates pour la chasse !
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Le présent débat se déroule dans un climat piégé par des
successions de conflits divers qui n'ont fait que croître au fil du temps,
alimentant d'innombrables procès dont le compte rendu médiatique ne reflète pas
toujours la réalité.
J'évoquerai, tout d'abord, le contexte actuel. La loi doit affronter trois
sortes d'obstacles, à savoir le mécontentement général des différents
intéressés et l'aspect très passionnel des conflits, un incroyable imbroglio
juridique entre les différentes juridictions françaises et européennes et,
enfin, l'hostilité du ministre de tutelle - de vous-même, madame - qui,
paradoxalement, n'a jamais défendu la chasse mais a contribué, hélas ! à la
placer dans une position de plus en plus délicate.
Le mécontentement général s'est cristallisé sur les dates de chasse aux
oiseaux migrateurs. Alors que l'un des principaux objectifs de ce projet de loi
aurait dû être de régler ce problème, pomme de discorde, tel n'est pas le cas
dans sa présentation actuelle.
Les conflits ont un aspect très passionnel, car la chasse suscite autant
d'amour chez les chasseurs que de détestation chez les anti-chasseurs, ce qui
ne simplifie pas les choses. Toutefois, et je tiens à le préciser, les «
anti-chasse » n'ont qu'un objectif, faire disparaître la chasse par tous les
moyens, en particulier par des moyens juridiques - ce qui explique la véritable
guérilla qu'ils mènent auprès des tribunaux - alors que les chasseurs, eux,
souhaitent seulement pouvoir chasser tranquillement sans être harcelés en
permanence ni soumis à une réglementation toujours plus contraignante et
parfois incompréhensible. Leur exaspération vient de là, et l'on serait bien
inspiré de transposer ce que disait saint Paul : « Parents, n'exaspérez pas vos
enfants ! »
M. Jean-Louis Carrère.
On va en revenir à la révision de la loi Falloux, avec ces références
bibliques !
(Sourires.)
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Mon cher collègue, la Bible s'intéresse beaucoup à la nature,
car le peuple qu'elle décrit vivait dans la nature !
Cela étant, les minorités qui se livrent à des actes de violence doivent être
fermement condamnées ; en revanche, les chasseurs responsables, qui sont la
majorité, doivent pouvoir être respectés dans l'exercice d'un droit très
ancien, expression d'une liberté qui leur procure un sentiment de communion
avec la nature, venu du fond des âges. Mais ce sentiment doit être
indissociable de la conservation du patrimoine cynégétique, que nous avons le
devoir de transmettre aux générations futures !
J'en viens à l'imbroglio juridique qui tend à resserrer la pression sur la
chasse et à nous éloigner petit à petit de l'esprit de la directive « Oiseaux
», en ne prenant en compte qu'un élément du texte communautaire sorti de son
contexte général, ce qui aboutit à une interprétation manifestement
ultrarestrictive de la volonté de l'Union européenne.
Ainsi, les notions de risque, de confusion et de perturbation pendant les
périodes de reproduction, de dépendance et de retour ont été manipulées par la
Cour de justice des Communautés européennes de façon à élever en exception la
possibilité de chasser. Elles visent, en effet, à la protection complète des
individus pendant ces périodes, ce qui va bien au-delà du principe de maintien
des populations à un niveau suffisant, clairement affirmé par la directive pour
les espèces chassables. On doit noter, en effet, que des vols erratiques
d'oiseaux ne sont pas la preuve d'un début de migration, ce que reconnaît
d'ailleurs la Commission européenne.
Les contentieux, sur le plan national, ont été volumineux et contradictoires.
Ils ont abouti à l'arrêt du Conseil d'Etat qui a, le 3 décembre 1999, déclaré
incompatibles dans leur quasi-totalité les dispositions de la loi du 3 juillet
1998 avec la directive telle qu'interprétée par l'arrêt du 19 janvier 1994 de
la Cour de justice des Communautés européennes.
Cette dernière décision nous a placés dans une situation de blocage total,
mais ce blocage est, en réalité, la conséquence de la position du ministre en
charge de la chasse, car je regrette, madame, que vous n'ayez recherché aucun
consensus avec la Commission européenne : les relations entre la Commission et
le ministère de l'environnement ont été marquées par des manquements graves de
ce dernier, ce qui a largement contribué à leur détérioration.
C'est ainsi que, depuis qu'a été promulguée la loi de 1994, la France n'a
jamais justifié, voire négocié, nos positions avec la Commission de Bruxelles,
alors que c'était absolument nécessaire, et même obligatoire.
C'est ce refus qui a déclenché les premières poursuites et, à cet égard, le
document d'une page et demie adressé en réponse à l'avis motivé du mois d'août
1998, qui en comptait vingt et une, a montré une désinvolture qui ne nous a pas
servis, c'est le moins qu'on puisse dire.
En outre, on ne peut que dénoncer avec force votre refus, madame, de publier
les décrets d'application permettant la mise en place des plans de gestion
instaurés par la loi de 1998. Ces documents, vous le savez, sont des pièces
maîtresses dans la transposition de la directive, puisqu'ils sont destinés à
assurer une gestion équilibrée des espèces chassées.
De plus, la France n'a jamais demandé de dérogation, alors que tous les pays
étrangers l'ont fait.
Vous avez évoqué, madame, la subsidiarité. Il importe en effet de rappeler ce
principe, ainsi que cela a été fort opportunément fait avec l'amendement
Giscard d'Estaing, que nous avons réécrit et repris avant l'article 1er, et en
vertu duquel le gibier sédentaire devrait relever de la loi nationale, la loi
européenne définissant les principes que doit respecter ladite loi nationale
pour les migrateurs.
Permettez-moi de vous dire que je pense qu'il faut non pas demander à la
Commission européenne ce que nous devons faire, mais négocier avec elle, comme
l'ont fait les autres pays. Or, lorsque je me suis rendue à Bruxelles, tout le
monde m'a dit : « Qu'attend le Gouvernement pour venir négocier ? » Je ne l'ai
pas inventé, on me l'a dit plusieurs fois.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. Jean-Louis Carrère.
Et vos gouvernements, l'avaient-ils fait ?
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Donner abusivement une dimension communautaire à ce qui
devrait rester national conduit, d'une part, à une perte de notre juste liberté
et, d'autre part, à alimenter des réactions de refus vis-à-vis de l'Europe, ce
dont nous n'avons, certes, pas besoin.
Le projet de loi s'articule autour de six thèmes - que je ne reprendrai pas,
mes chers collègues, car vous avez tous pu eu prendre connaissance - et
comporte désormais trente-neuf articles.
Sur ces six thèmes, je formulerai diverses propositions, étant observé que les
difficultés les plus grandes portent sur l'organisation et sur le temps de
chasse.
Il conviendra également d'ajuster le statut des ACCA, en conciliant une bonne
gestion cynégétique et le respect du droit de propriété, lui-même concerné par
les jours de non-chasse.
Enfin, il s'agira de reconnaître les pratiques traditionnelles tout en les
insérant dans un cadre juridique stable.
J'en viens aux principales orientations.
Sur l'organisation de la chasse, les amendements qui vous seront proposés
visent à son indispensable modernisation en définissant clairement les missions
et les finances de l'ONCFS et des fédérations en y incluant la notion de
gestion et d'équilibre agro-sylvo-cynégétique telle qu'elle est définie à
l'article 1er.
L'ONC devient l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, ce qui
traduit un certain élargissement de ses missions d'étude, de recherche et de
formation. Il convient logiquement de la placer sous la double tutelle des
ministres chargés de la chasse, de l'agriculture et de la forêt.
La composition de son conseil d'administration est modifiée de façon qu'y
figurent un tiers de représentants de l'Etat, un tiers de représentants des
milieux cynégétiques et un tiers de personnes qualifiées, ce qui porterait son
nombre de vingt à vingt et un.
M. Jean-Louis Carrère.
C'est une bonne idée !
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Le contrôle ou la tutelle de l'ONCFS sur les fédérations est
supprimé. Toutefois, l'office devra rester présent à la commission nationale
d'indemnisation pour les dégâts de gros gibier, désormais gérés par la
fédération nationale, avec le concours des fédérations départementales.
Il reviendra aux préfets et à la Cour des comptes de contrôler
a
posteriori
- et non
a priori
- l'exécution des missions de service
public auxquelles collaborent les fédérations et de veiller à la conformité de
l'utilisation des ressources aux fins prévues par la loi.
S'agissant de la répartition des compétences, la garderie est transférée des
fédérations à l'ONCFS. La commission proposera de faire de ses agents des
fonctionnaires de l'Etat.
Les fédérations, qui ont pour mission de représenter et de défendre les
intérêts des chasseurs, contribuent à la gestion des espèces, réalisent des
actions d'information et de formation - notamment pour le permis de chasser -
de prévention et d'indemnisation des dégâts de grands gibiers, ce qui est tout
à fait nouveau.
Sur ce dernier point, il faut aller plus loin que l'Assemblée nationale et
définir les ressources financières des fédérations, puisqu'elles devraient
assumer des charges nouvelles.
La commission proposera d'amender en ce sens l'article 14
bis.
Il
conviendra notamment d'indiquer qu'une partie des redevances cynégétiques devra
être affectée, d'une part, au fonds de péréquation pour l'indemnisation des
dégâts de gros gibiers et, d'autre part, aux dépenses des fédérations relatives
à la validation du permis de chasser, puisque ce sont elles qui deviendront le
guichet unique.
Enfin, les fédérations participeront à la surveillance de la chasse et à la
prévention du braconnage, grâce à des « agents de développement cynégétique »
commissionnés par elles et assermentés à cet effet sur les territoires des
propriétaires adhérents à la fédération, et uniquement sur ces
territoires-là.
M. Jean-Louis Carrère.
Remarquez bien que Mme le rapporteur n'a pas parlé de la répression !
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Leurs conseils d'administration seront désormais élus selon
le principe posé par l'Assemblée nationale : un chasseur - une voix, avec
possibilité de délégation.
Pour toutes les autres décisions, ce sont les statuts agréés par les ministres
chargés de la chasse, de l'agriculture et de la forêt qui définiront les
modalités de participation des adhérents, ce qui permettra de prendre en compte
la nécessaire représentation des territoires. L'ensemble des fédérations
départementales sera tenu d'adhérer à la Fédération nationale des chasseurs.
En ce qui concerne le régime des ACCA, le projet de loi reprend très largement
le dispositif de la proposition de loi sénatoriale que nous avions adoptée à
l'unanimité le 27 juin dernier.
L'Assemblée nationale a prévu en outre que le droit d'opposition cynégétique
du propriétaire ne peut faire obstacle au droit de chasser du fermier. Bien
entendu, nous avons maintenu ce droit. En revanche, nous ajouterons que ce
dernier devra se conformer aux règles et usages relatifs à la chasse sur le
territoire de l'ACCA, ce qui est la règle générale.
S'agissant des périodes de chasse, le texte tel qu'il nous a été transmis par
l'Assemblée nationale soulève d'importantes difficultés, tout le monde le
sait.
A cet égard, le dispositif de l'article 10, relatif aux périodes de chasse aux
oiseaux migrateurs, qui renvoie à un décret le soin de déterminer les dates
d'ouverture et de fermeture est inacceptable, car, de nouveau, cela déclenchera
immédiatement d'interminables séries de procès, déjà annoncés par les
représentants des groupes « anti-chasse ». J'ai auditionné ces derniers et ils
m'ont aimablement prévenue. Ils m'ont dit - je n'invente rien ! - que, dès le
lendemain du jour où des arrêtés seront pris, ils les attaqueront. Nous sommes
obligés de tenir compte de cette déclaration. Je le déplore vivement, mais nous
en sommes là.
Nous devons sortir de l'impasse dans laquelle nous a menés le Gouvernement par
son refus de justifier le bien-fondé de notre mise en oeuvre de la directive «
Oiseaux » auprès de la Commission européenne, car la transposition n'a pas été
faite, comme cela aurait dû être le cas.
Ces refus successifs sont à la source de nos contentieux avec l'Europe et, par
ricochet, ont conduit à l'arrêt du Conseil d'Etat du 3 décembre 1999. Il faudra
bien sortir de cette situation !
Votre rapporteur vous propose donc, mes chers collègues, premièrement,
d'inscrire dans la loi que l'objectif poursuivi est bien de veiller à ce que la
chasse ne soit pas pratiquée pendant la période de reproduction et durant le
trajet de retour ; c'est une des conditions de la directive que nous respectons
; deuxièmement, d'inscrire dans la loi des dates d'ouverture et de fermeture de
la chasse aux oiseaux migrateurs dans un calendrier échelonné par espèce et par
département pour coller aux réalités biologiques et territoriales ; rien dans
la directive ne précise si nous devons recourir à une réglementation ou à une
loi ; troisièmement, d'insister sur les plans de gestion pour les espèces en
état de conservation défavorable, car la question essentielle posée par la
directive est en effet celle de l'état de conservation des espèces. On peut
presque dire que les dates sont un substitut à ce qu'il serait souhaitable de
faire, si c'était possible, dans un autre contexte, en raisonnant en termes de
prélèvements beaucoup plus qu'en termes de dates ; mais nous sommes obligés de
procéder ainsi pour encadrer les choses.
Le temps de chasse doit donc s'inscrire dans une optique de gestion, qui doit
toujours rester prioritaire dans notre raisonnement.
Par ailleurs, l'article 10 interdit la pratique de la chasse à tir le mercredi
ou, à défaut, à une autre période, fixée par le préfet en fonction des
circonstances locales.
Cette disposition fait l'unanimité contre elle, excepté les écologistes
intégristes, défenseurs d'un « partage des usagers de la nature ».
Elle procède en effet d'une grave confusion entre le droit de chasse, qui
s'exerce toujours en vertu d'un titre, qui découle à la fois du droit de
propriété et d'un examen national, et les usages non appropriatifs de la
nature, qui doivent s'exercer dans le respect du droit de la propriété et
devront d'ailleurs un jour faire l'objet de dispositions législatives rénovées
portant sur les droits et obligations des usagers, les responsabilités, les
indemnisations, etc.
C'est un problème très important, qui est lié à la fois au développement du
sport pour tous et à la protection des habitats de la faune sauvage, lesquels
sont, il faut s'en souvenir, toujours la propriété de quelqu'un. Seul le gibier
est
res nullius,
pas son habitat.
La chasse traditionnelle repose sur des pratiques héritières du passé, le plus
souvent régionales et perpétuées par des hommes « qui se mêlent, se lient et
s'épanouissent dans le milieu naturel ». Ces pratiques sont fondées sur un
savoir-faire et des connaissances appelés à disparaître si l'on n'y prend pas
garde. Elles font partie de notre patrimoine culturel.
L'article 11 du projet de loi autorise la chasse à la passée deux heures avant
et deux heures après le coucher du soleil, heure légale. Il vous est proposé,
mes chers collègues, de voter cet article conforme.
A l'article 12, l'Assemblée nationale a choisi de légaliser la chasse de nuit
dans vingt départements. Je vous propose d'ajouter à cette liste huit
départements supplémentaires, injustement oubliés alors que cette chasse y est
incontestablement traditionnelle et couramment pratiquée.
Pour conclure, je voudrais rappeler que, à l'occasion de l'examen de ce texte,
la commission a eu pour premier objectif d'élaborer une loi juste, répondant
aux attentes légitimes des chasseurs, dans le respect des grands équilibres
naturels, notamment cynégétiques, et de la gestion des territoires ruraux.
Cela nous a conduits tout naturellement à soumettre l'ensemble des structures
concernées à la double tutelle des ministres en charge de la chasse, de
l'agriculture et de la forêt.
Le deuxième objectif de la commission était de prendre acte de la nouvelle
répartition des compétences entre l'ONCFS et les fédérations de chasseurs, d'en
tirer les conséquences au plan financier, en proposant une affectation des
redevances cynégétiques entre ces différentes structures, sans mécanismes de
financements croisés.
Enfin, un troisième objectif était d'inscrire dans la loi des dates de chasse
aux oiseaux migrateurs qui répondent aux exigences communautaires en matière de
protection des espèces, en s'appuyant sur des données biologiques validées par
les recherches scientifiques les plus récentes.
Ce sont ces principes qui nous ont guidés.
Mais il faut bien se souvenir, madame le ministre, que la loi nouvelle devra,
elle aussi, être justifiée, voire négociée auprès de la Commission de Bruxelles
par le Gouvernement, sous peine d'être de nouveau invalidée, comme je l'ai
souligné au début de mon exposé.
Je pense que c'est à ce prix et dans le respect des droits des chasseurs et
des non-chasseurs que l'on peut espérer l'apaisement tant souhaité.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et certaines
travées socialistes.)
M. Jean-Louis Carrère.
Moi, je n'applaudis qu'une partie de cet exposé.
(Sourires.)
M. Jean Chérioux.
C'est déjà ça !
M. Charles-Henri de Cossé-Brissac.
Ce n'est qu'un début !
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 60 minutes ;
Groupe socialiste, 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 38 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 36 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 23 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis
quelques mois, le débat est ouvert dans notre pays. L'opposition entre les
chasseurs et les non-chasseurs a certes toujours existé. Elle s'exerce parfois
dans la violence. Elle ressemble quelquefois à un dialogue de sourds. Pourtant,
compte tenu de l'enjeu, il faut que la communication s'établisse.
Je comprends que des divergences de vue puissent exister, mais je ne crois pas
à un monde manichéen. Dans ce domaine comme dans d'autres, nous devons parvenir
à nous entendre et à nous respecter.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Jean-Marc Pastor.
Jean Giono écrivait : « Je ne crois pas qu'un homme puisse être différent des
autres hommes au point d'avoir des raisons totalement incompréhensibles. »
M. Jean-Pierre Bel.
Très bien !
M. Jean-Marc Pastor.
La chasse remonte à la nuit des temps et ne laisse personne indifférent. Nous
ne pouvons éluder la réflexion sur la nature et sur l'espace, sujets devenus
politiques aujourd'hui, et sur l'évolution de ses rapports plus généraux avec
l'homme.
Le débat que nous engageons aujourd'hui ne doit pas être seulement guidé par
la passion ou par la pression des uns et des autres, des partisans et des
adversaires de la chasse, il doit revêtir une autre dimension, dont l'avenir
est sans commune mesure avec la querelle qui est née.
Le texte que nous examinons aujourd'hui ne doit pas être non plus un simple
compromis, qui, par définition, ne satisfait ni les uns ni les autres. Pour
autant, je crois sincèrement que chacun peut aussi s'y retrouver, car il faut
de toute façon établir une cohabitation sereine entre les chasseurs et ceux qui
ne le sont pas.
Des pas ont été franchis par l'Assemblée nationale par rapport au texte
initial. Nous vous proposerons des amendements complémentaires, madame la
ministre. A ne pas avoir voulu aborder ce sujet depuis la signature de la
directive européenne par le Gouvernement du président Giscard d'Estaing, des
espoirs laissant parfois libre cours à de fausses idées sont nés pendant plus
de vingt ans.
Nous avons trop tardé pour régler cette question. Le débat s'est enlisé. Par
ailleurs, l'opacité de certaines normes ou décisions européennes a alourdi ce
débat. Les uns s'appuient sur des traditions et des usages que je qualifie de
justifiés, les autres sur des droits confirmés par les tribunaux et visant à
limiter la pratique de la chasse.
La non-écoute de l'autre conduit parfois à l'intolérance. Il ne serait pas à
notre honneur de glisser dans la démagogie. Personne ne détient seul la clef.
Aussi, plutôt que d'avoir un texte figé et si de trop fortes exigences
apparaissent, ne conviendrait-il pas de fixer des étapes afin de faire un bilan
de l'application de la loi qui sera issue de ce débat. Après une large
concertation, nous pourrions alors apporter les correctifs nécessaires.
M. Raymond Courrière.
Excellente idée !
M. Jean-Marc Pastor.
Il faut légitimer la chasse dans sa diversité et dans ses traditions, tout en
permettant aux non-chasseurs de jouir également de la nature, dans le respect
fondamental du droit de propriété, qui reste notre fil conducteur.
(Très
bien ! sur les travées socialistes.)
M. Roland du Luart.
Très bien !
M. Jean-Marc Pastor.
L'implication et la réconciliation de tous les acteurs sont nécessaires dans
la reconquête de l'entretien des territoires et le renouvellement des espèces.
C'est la mission du monde de la chasse, et pas seulement celle de l'Etat. Ce
formidable enjeu implique des bénévoles responsables ainsi que des fédérations
départementales des chasseurs plus impliquées et mieux intégrées dans la vie
locale. Plusieurs amendements iront dans ce sens, afin de conforter une
démarche citoyenne dans le cadre de la ruralité et de la gestion de l'espace
rural. Cette démarche doit restaurer l'image de la chasse « patrimoine culturel
» dans l'opinion publique.
Non ! Je ne veux pas croire à l'image trop caricaturale de la chasse que l'on
nous présente trop souvent.
M. Jean-Louis Carrère.
On n'y croit pas d'ailleurs !
M. Michel Charasse.
Image caricaturée !
M. Jean-Marc Pastor.
Mais notre société nous fait part, aujourd'hui, régulièrement, et je m'en
réjouis, de ses attentes en matière de qualité de vie. Elle redécouvre, pour de
multiples raisons liées notamment à la transformation des modes de vie, les
qualités des milieux naturels et ruraux qui peuvent être à sa disposition.
M. Roland du Luart.
Tout à fait !
M. Jean-Marc Pastor.
Jouissant de ce cadre de vie, j'ai du mal à admettre de ne pas le partager
avec d'autres : c'est tout le sens que je donne à la ruralité. Le texte que
nous abordons aujourd'hui devrait être une loi sur la ruralité, équilibre de
notre société et ouverte à tous,...
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées socialiste)
M. Gérard Delfau.
Bravo !
M. Jean-Marc Pastor.
... dont la chasse serait un des aspects...
M. Ladislas Poniatowski.
Devrait être !
M. Jean-Marc Pastor.
... et où chacun devrait avoir des droits et des devoirs.
Dans ce nouveau contexte, il nous appartenait de jeter les bases d'un nouveau
contrat sur la ruralité, la qualité de vie, la mise en valeur des traditions et
l'ouverture à un monde nouveau, qui permette à chacun - chasseurs,
agriculteurs, forestiers et autres amoureux de la nature - d'adhérer à un
projet commun d'une chasse conforme à un développement durable permettant à
tous les usagers un accès aux espaces naturels et ruraux, en respectant les
attentes et les soucis de chacun.
Je reste conscient que certaines catastrophes écologiques font autant de
dégâts, si ce n'est plus, que certains excès dus à la chasse. Ce n'est pas pour
autant qu'il ne faille pas un nouveau cadre réglementaire ou qu'il faille
renoncer à la protection écologique de nos sites.
Par ailleurs, compte tenu du contexte juridique européen, il nous appartenait
de nous préoccuper de la question. En effet, notre législation sur la chasse
est ancienne, elle date, pour l'essentiel, vous le savez très bien, de 1844,
sans parler des diverses ordonnances prises depuis Charles VI. Il n'est donc
pas anormal qu'il faille aujourd'hui la faire évoluer pour l'adapter aux
transformations de notre société.
Je tiens à saluer votre courage, madame la ministre, car vous avez enfin
abordé ce sujet, tout comme je salue le travail mené par notre collègue M.
François Patriat dans son rapport et celui de Mme Heinis. Madame le rapporteur,
nous vous remercions pour l'écoute dont vous avez fait preuve tout au long de
cette préparation.
M. Roland du Luart.
Très bien !
M. Jean-Marc Pastor.
Nous avions besoin d'un texte global, destiné à durer. Le texte initial du
projet de loi était donc une bonne base de travail et de discussion. Les débats
parlementaires contribueront à l'enrichir, j'en suis convaincu. C'est ce que va
s'efforcer de faire mon groupe, en vous proposant quelques amendements.
Le premier point du projet de loi qui a focalisé l'attention et les
dissensions concerne les périodes d'ouverture et de fermeture de la chasse aux
migrateurs. C'est l'article 10 du texte, qui prend en compte la jurisprudence
du Conseil d'Etat, notamment l'arrêt du 3 décembre dernier, après
l'interprétation de la directive par la Cour de justice des Communautés
européennes.
Cet article 10, voté par les députés, tend à rétablir le principe d'une
fixation des périodes de chasse par l'autorité administrative, selon des
conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.
Cet article, qui soulève un débat entre la nécessité de fixer par la loi un
cadre plus précis s'agissant des dates et le risque d'être mis « hors la loi »
par le Conseil d'Etat, nous amène à formuler deux types d'interrogation.
Premièrement, ne pourrions-nous pas prévoir un cadre suffisamment large pour
les dates de la chasse aux oiseaux migrateurs au-delà desquelles il ne serait
pas possible de chasser, laissant le soin, sur propositions des fédérations
départementales des chasseurs et des conseils départementaux de la chasse et de
la faune sauvage, aux autorités administratives locales d'adapter ces périodes
en fonction des cycles biologiques des espèces et des coutumes locales ?
(MM. Hérisson et François applaudissent.)
M. Ladislas Poniatowski.
Cela nous conviendrait très bien !
M. Jean-Marc Pastor.
Cette disposition aurait l'avantage de rassurer les différents acteurs
concernés sans pour autant fixer dans la loi des dates et prendre ainsi le
risque d'avoir les mêmes conséquences, venant de l'Europe, que la loi de
1998.
M. Roland du Luart.
Peut-on avoir confiance ?
M. Jean-Marc Pastor.
La deuxième interrogation vous est adressée directement, madame la
ministre.
Je pense que ce débat, qui soulève des polémiques, pourrait être, pour une
grande partie, levé dans la mesure où nous aurions des certitudes sur les
intentions européennes par rapport à cette transposition de la directive dans
le droit français.
Madame la ministre, je crois que tous nos débats sont inutiles si nous ne
négocions pas avec Bruxelles avant de proposer cette transposition, notamment
sur les périodes de chasse.
M. Roland du Luart.
Vous avez tout à fait raison !
M. Michel Charasse.
C'est évident !
M. Jean-Marc Pastor.
Qu'il s'agisse de la loi, d'un décret ou d'un arrêté préfectoral, peu importe
! Mais il convient d'avoir négocié avant, afin de mettre un terme à ce
contentieux qui pollue le débat national et qui entraîne démagogie et
surenchère.
M. Ladislas Poniatowski.
Cela aurait dû être fait plus tôt !
M. Jean-Marc Pastor.
Qu'en est-il de cette démarche ? Jusqu'où peut-on aller en ce qui concerne la
loi, le décret ou l'arrêté ?
Il est urgent que, dans cette négociation, les levées d'astreintes
pénalisantes puissent être effectives afin que nous puissions légiférer dans la
sérénité ; sinon, nous risquons de nous engager dans un débat fort intéressant
mais dont je redoute qu'il ne puisse être sanctionné car non conforme ; ce
serait alors une marche arrière. Il s'agit d'un point que nous considérons
comme capital et sur lequel nous attendons de votre part des éclaircissements
pouvant donner un sens nouveau au débat qui s'engage aujourd'hui.
Il nous a semblé en effet plus judicieux de travailler dans le respect de la
diversité biologique de chaque espèce d'oiseaux migrateurs et en fonction des
réalités locales de la migration. Nous vous proposerons donc une réécriture de
l'article 10. J'ajoute que nous sommes prêts à nous adapter en fonction de vos
réponses, madame la ministre, et du débat qui s'ouvre.
Concernant le jour de non-chasse, après de longues consultations de tous les
acteurs, chasseurs et utilisateurs du monde rural et des espaces naturels, il
nous a semblé opportun de confirmer le choix du jour de non-chasse sur
proposition des fédérations et des acteurs locaux.
M. Roland du Luart.
Très bien !
M. Jean-Marc Pastor.
Evitons de donner au jour de non-chasse un seul motif : la sécurité. Nous
conforterions ainsi l'image d'un sport dangereux et condamnable. Ce serait
regrettable.
MM. Gérard Delfau et Pierre Hérisson.
Très bien !
M. Jean-Marc Pastor.
A l'article 12, qui prévoit d'autoriser la chasse de nuit au gibier d'eau à
partir de postes fixes existants au 1er janvier 2000 dans les départements où
cette pratique est traditionnelle, l'Assemblée nationale a choisi de retenir
vingt départements, dont la liste pourrait être complétée par décret en Conseil
d'Etat. Le groupe socialiste du Sénat proposera de limiter le nombre de
départements supplémentaires où cette pratique est reconnue comme
traditionnelle.
Afin de préserver son caractère de loisir populaire, qu'il ne faut surtout pas
oublier, la chasse doit être modernisée et adaptée aux situations du moment.
Chasser aujourd'hui doit constituer un défi à l'intelligence et à la réflexion
dépassionnée. Le rôle et le régime des associations communales ou
intercommunales de chasses agréées répondent à cette évolution.
Dans le débat, nos propositions tendront à revenir non seulement sur la
législation de la chasse de nuit, mais aussi sur le respect du droit de
propriété et le statut du fermage.
J'aborderai, pour conclure, la disposition votée par l'Assemblée nationale,
sur l'initiative de notre collègue député de l'Ariège, concernant la capture
des ours slovènes réintroduits dans les Pyrénées. Nous vous proposerons
d'amender cette disposition afin de l'élargir à l'ensemble des prédateurs
introduits volontairement ou involontairement et de mieux définir la
responsabilité de l'Etat et de son représentant dans le département afin
d'éviter que le maire ne soit mis en cause.
D'une manière plus générale, cette loi comprend de bonnes dispositions sur le
rôle des ACCA, la chasse accompagnée, le guichet unique, la crédibilité des
moyens comptables, le rôle renforcé des fédérations départementales, en
concertation avec le monde agricole et les autres utilisateurs de l'espace
rural.
D'autres points font encore l'objet de difficultés et de tensions, madame la
ministre. J'espère que notre débat permettra d'y répondre.
Laissons transparaître nos traditions : elles font partie d'une tranche de vie
de chacun de nous et de notre culture. Ouvrons l'espace rural à une société qui
en a bien besoin.
Voilà l'esprit qui anime mon groupe sur ce sujet. J'ai la conviction que, dans
la poursuite d'un débat passionné, où chacun aura le souci d'écouter l'autre,
ce texte amendé par les différents groupes de notre assemblée - c'est mon voeu
le plus cher - traduira le respect mutuel, l'esprit de tolérance et d'équilibre
auquel nous aspirons tous.
(Bravo ! et applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. Gérard Delfau.
Beau témoignage d'équilibre !
M. Michel Charasse.
Très belle leçon de morale !
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de
loi relatif à la chasse a été adopté par l'Assemblée nationale, en première
lecture, le 4 avril dernier, par 275 voix contre 252, c'est-à-dire avec
seulement 23 voix de majorité. C'est dire que ce texte ne fait pas
l'unanimité.
J'ajoute, après avoir entendu notre collègue M. Pastor et laissant parler mon
optimisme naturel, que je forme le voeu, madame la ministre, que vous acceptiez
l'essentiel des amendements qui seront adoptés par une large majorité, voire
l'unanimité de cette assemblée.
Comment ne pas faire part de ses réserves et de ses inquiétudes sur un projet
de loi qui présente de réelles insuffisances et qui ne servira pas plus les
intérêts des chasseurs que ceux des non-chasseurs ?
Nous sommes certes pleinement conscients de la nécessité d'adapter aujourd'hui
les règles qui régissent l'organisation et la gestion des activités
cynégétiques dans notre pays. Néanmoins, nous aurions voulu que le Gouvernement
nous propose une réelle réforme d'ensemble de la chasse, qu'il reconnaisse à
celle-ci une nouvelle légitimité et qu'il affirme le rôle privilégié des
chasseurs comme gestionnaires des milieux naturels, avec d'autres.
Avec mes collègues de l'Union centriste, nous nous sommes prononcés en faveur
d'une gestion durable et écologiquement responsable de la chasse. Il nous
semble en effet que, loin des clivages idéologiques et des idées reçues, la
chasse doit pouvoir tout à la fois trouver une nouvelle place dans notre
société, être reconnue à part entière comme une activité contribuant à la
protection de l'environnement et, par-dessus tout, s'exercer dans les respects
des droits de chacun.
C'est la raison pour laquelle, avec nos collègues de la majorité sénatoriale,
nous avons formulé des propositions équilibrées et consensuelles lors des
travaux en commission.
C'est ainsi que nous avons défendu le principe d'une clarification des champs
d'intervention respectifs du droit national et du droit communautaire, ce
dernier ne devant s'attacher qu'à la définition des principes qui régissent la
chasse aux oiseaux migrateurs.
Nous avons réaffirmé la nécessité de légaliser, dans un certain nombre de
départements, les pratiques de chasse traditionnelle que sont la chasse
crépusculaire et la chasse de nuit au gibier d'eau, cela d'autant plus
qu'aucune règle communautaire ne s'oppose à cette chasse, qui est d'ailleurs
pratiquée dans de nombreux autres Etats membres de l'Union européenne.
La directive du 2 avril 1979 n'édicte, en outre, aucun principe de
non-dérangement de la faune sauvage, ni n'interdit de prélèvement présentant un
risque de confusion.
Les exigences de la Cour de justice des Communautés européennes en matière de
dérangement et de confusion sont liées aux règles fixées par la directive en
matière de fixation des périodes de chasse. Elles ne concernent pas la chasse
de nuit.
Nous avons plaidé ensuite pour une modernisation des structures publiques, en
particulier de l'Office national de la chasse, et pour une responsabilité
accrue des fédérations.
Enfin, attachés par principe au droit de propriété, nous avons soutenu une
réforme de la loi Verdeille en ajustant le statut des associations communales
de chasse agréées par une reconnaissance du droit de non-chasse, équilibrée par
des contreparties pour le propriétaire. Je veux parler évidemment de la
participation aux dégâts causés par le gibier provenant de ses fonds.
Il faut reconnaître que quelques avancées positives ont pu être obtenues à
l'Assemblée nationale, en première lecture. Il est néanmoins indéniable que ces
améliorations ont été largement initiées par nos collègues de l'opposition.
Certaines d'entre elles étaient déjà contenues dans la proposition de loi de la
majorité sénatoriale sur la chasse, adoptée à l'unanimité par le Sénat, le 23
juin dernier,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Non, ce n'est pas vrai ! J'ai voté contre !
M. Pierre Hérisson.
... et reprise ensuite par le groupe UDF de l'Assemblée nationale.
Il en est ainsi de l'autorisation de la chasse à la passée, deux heures avant
le lever et deux heures après le coucher du soleil, du principe de légalisation
de la chasse de nuit et enfin de la réforme de la loi Verdeille.
Il reste qu'aujourd'hui, en son état actuel, le texte du Gouvernement nous
semble clairement et nettement insuffisant.
C'est la raison pour laquelle mes collègues du groupe de l'Union centriste et
moi-même avons déposé un certain nombre d'amendements, que nous aimerions voir
adopter. Nous ne manquerons pas également de soutenir les propositions de
modifications du rapporteur de la commission des affaires économiques, notre
excellente collègue Mme Heinis, dont les compétences en matière de chasse sont
unanimement reconnues au sein de notre Haute Assemblée.
Nous avons constaté en premier lieu que, dans le texte issu de l'Assemblée
nationale, la réforme des institutions cynégétiques était inachevée : l'ONC
dérive vers un Office national de la chasse et de la faune sauvage,
déséquilibré dans la composition de son conseil d'administration et dans son
mode de financement, et le contrôle de l'Etat sur les fédérations, notamment
sur les actes budgétaires, est accru.
En second lieu, la chasse de nuit est certes légalisée, mais uniquement dans
les deux tiers des départements où elle est traditionnellement pratiquée ; M.
Pastor est intervenu sur ce sujet il y a quelques minutes. Dix départements
sont ainsi délibérément laissés dans une situation juridique intenable, ce qui
est parfaitement inadmissible. C'est la raison pour laquelle nous soutiendrons
l'amendement de la commission tendant à réinsérer ces dix départements dans la
liste des départements où la chasse doit être légalisée, liste d'ailleurs
avalisée par l'association nationale des chasseurs de gibier d'eau.
Enfin, s'agissant des dates de chasse aux oiseaux migrateurs, échelonnées en
fonction des espèces et des départements, comment peut-on accepter qu'elles ne
soient pas inscrites dans la loi, mais renvoyées à un décret, même si l'on
imagine facilement pourquoi ? Il faut déplorer que le Gouvernement n'ait pas eu
le courage de trancher une question aussi essentielle.
Avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, je déplore également que
l'Office national de la chasse et de la faune sauvage ne soit pas placé sous la
double tutelle du ministre chargé de l'agriculture et de la forêt et de celui
qui est chargé de la chasse. En effet, les problèmes cynégétiques, agricoles et
sylvicoles sont étroitement imbriqués, et il paraît tout à fait logique de
placer l'Office sous la double tutelle. C'est une question de bon sens, car ces
deux ministères sont concernés par les mêmes problèmes.
S'agissant de l'inscription dans la loi du mercredi comme jour de non-chasse,
il nous sera difficile d'adopter une telle proposition, car nous pensons qu'il
faut laisser à l'appréciation des fédérations départementales, seules aptes à
le proposer aux préfets, le soin de décider d'un jour de non-chasse, en
fonction des conditions climatiques, de l'état de conservation du gibier ou de
toute autre circonstance locale raisonnable.
En 1996, six ours slovènes ont été réintroduits, avec l'aide de l'Etat, dans
quatre communes de la Haute-Garonne...
M. Jean-Louis Carrère.
Pas six ! Ils n'étaient que trois.
M. Roland du Luart.
Ils ont fait des petits !
(Sourires.)
M. Pierre Hérisson.
Ils ont effectivement fait des petits depuis. Tant mieux pour eux !
En tout cas, ils ont, évidemment, étendu leur territoire à l'ensemble des
communes et des départements limitrophes.
Cette réintroduction aurait été faite sans la réalisation de l'étude d'impact
préalable prévue par l'article 11 de la convention de Berne pour toute
opération ayant des conséquences sensibles sur l'environnement et l'économie
générale du milieu. Je souscris donc pleinement à l'amendement Bonrepaux, qui
consiste, pour l'essentiel, à transposer les termes de la convention de Berne
en matière de réintroduction et à en tirer les conséquences.
En ce qui concerne la présence du loup dans les Alpes, la difficulté réside
dans la compatibilité entre la présence du prédateur et le maintien d'une
économie pastorale.
On situe aujourd'hui entre vingt et trente le nombre de loups présents en
France, installés principalement dans les départements de l'arc alpin.
Ce retour a occasionné d'importantes pertes de bétail pour les éleveurs et les
directions départementales de l'agriculture estiment à environ soixante
milliards de francs le budget nécessaire pour protéger l'ensemble des troupeaux
dans les cinq années à venir.
Dans ce contexte, la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le
loup en France a clairement conclu, en novembre dernier, à l'incompatibilité
entre la présence de ce prédateur et le maintien d'un pastoralisme durable.
Nous ne pouvons que partager les conclusions du rapport Chevalier. La présence
du loup dans l'arc alpin provoque, effectivement, des préjudices graves pour
les éleveurs et paraît difficilement compatible avec la pérennité des activités
pastorales. Les éleveurs doivent pouvoir continuer à vivre de leur métier et à
exercer celui-ci dans des conditions normales, et il est, de fait, indéniable
que le retour du loup rend leurs conditions de travail encore plus pénibles et
difficiles.
Alors que les problèmes posés par le retour du loup ont fait l'unanimité au
sein de la mission d'information de l'Assemblée nationale, il est
particulièrement regrettable que le Gouvernement n'y accorde pas plus
d'importance.
Il a fallu des générations pour faire disparaître ces prédateurs dangereux
pour l'homme : il faut s'opposer à leur retour.
Pour conclure, je me permettrai de regretter que notre pays ne puisse se doter
enfin d'une grande loi sur la chasse qui, loin des tractations politiques et
des compromis maladroits, permettrait d'apaiser les tensions et de promouvoir
l'exercice de cette activité dans des conditions harmonieuses et dans un cadre
juridique stable.
La chasse fait partie de l'héritage culturel sur lequel toute société se
construit. C'est comme tel que nous la défendrons contre ses détracteurs afin
qu'elle puisse trouver une nouvelle place dans notre société et être reconnue
comme une activité incontournable de gestion de l'espace rural et de protection
de notre environnement.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE. - M. Jean-Marc Pastor applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Roland du Luart.
M. Roland du Luart.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi soumis à notre examen ne saurait ni étonner ni contrarier, dans leur
ensemble, les membres du groupe d'études chasse et pêche de notre Haute
Assemblée, que j'ai l'honneur de présider.
L'an dernier, nous avons proposé de régler les problèmes de la chasse de nuit
et de l'objection de conscience cynégétique dans les ACCA. Le projet de loi
reprend presque intégralement nos suggestions. Et pourtant que n'avons-nous pas
entendu comme critiques à l'époque ! J'ai même le souvenir d'un parlementaire
en mission traitant notre dispositif sur la chasse de nuit de « démagogique et
irresponsable ». C'est avec bienveillance que nous accueillerons son acte de
contrition !
M. Ladislas Poniatowski.
Des noms !
M. Roland du Luart.
En juin 1997, nous avons proposé de légitimer juridiquement la chasse, de
clarifier les compétences de l'ONC et des fédérations, de créer un échelon
régional et de simplifier la validation du permis de chasse. Le projet de loi
reprend, parfois au mot près, ce que nous avions alors proposé.
En 1998, enfin, nous avions unanimement modifié les dates d'ouverture et de
fermeture de la chasse au gibier d'eau et aux oiseaux migrateurs figurant dans
la loi de 1994. Dans son mémoire en réplique à la Commission européenne, le
Gouvernement français reconnaît - je le cite - que notre texte était « fondé
sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles à l'époque ». Ces
connaissances ont évolué, et nous allons adapter notre dispositif juridique en
conséquence. Nous pouvons donc être fiers de notre travail, quels que soient
les procès en « diabolisation » qui nous ont été dressés depuis 1994.
La fixation de ces dates est et demeure du domaine législatif ; notre collègue
Michel Charasse l'a rappelé récemment, avec son brio coutumier, et nous avons
de surcroît apporté la preuve que la loi pouvait parfaitement être révisée à
intervalles réguliers, en fonction de meilleures connaissances scientifiques.
Notre ami Jean-Marc Pastor l'a rappelé tout à l'heure.
M. Ladislas Poniatowski.
Très bien !
M. Roland du Luart.
Ce n'est pas le vague avant-projet de décret dont la presse, via
Le
Courrier picard
, s'est fait l'écho qui peut nous faire changer d'avis.
En effet, ce projet de décret fixe par principe la période de chasse du 1er
septembre au 31 janvier de l'année suivante et n'envisage que certaines
exceptions limitées, sans les préciser d'aucune manière. Je constate, par
exemple, que les conclusions des groupes scientifiques réunis pour élaborer ce
décret recommandent la fermeture au 31 janvier de la chasse à toutes les
espèces d'oies, ce qui rend, mes chers collègues, anecdotiques les propos d'un
député de la Somme annonçant voilà quelques jours que l'on pourrait chasser les
oies jusqu'au 28 février. Vous voyez quel crédit on peut donner à ces propos
!
Nous avons également démontré que la loi était parfois plus efficace que le
décret, car nous attendons toujours, madame la ministre, la sortie du décret
sur les plans de gestion des espèces dont l'état de conservation justifierait
la mise en oeuvre de tels plans.
De ce bref rappel, je voudrais tirer quelques conclusions de méthode, qui nous
rassembleront, je le crois, quelles que soient les travées sur lesquelles nous
siégeons.
La première est que nous péchons sans doute par une recherche trop exclusive
du travail sérieux, en refusant la gesticulation médiatique, tant il est vrai
que le bien ne fait pas de bruit et que le bruit ne fait pas de bien : il fait
même fuir le gibier !
(Sourires.)
La deuxième est que notre conviction cynégétique est indépendante des
variations politiques saisonnières : nos propositions de loi sur les dates
d'ouverture et de fermeture ainsi que sur les structures de la chasse ont été
déposées en juin 1997, soit un an avant les élections européennes. Si d'aucuns
avaient pour objectif de récupérer des bulletins de vote, ce n'est pas dans
cette assemblée qu'il faudrait les chercher. Nous, nous avons condamné les
comportements inadmissibles de certains chasseurs. Mais quel silence
assourdissant sur les exactions de certains militants écologistes en forêt de
Fontainebleau, au Somport ou aux abords de centrales nucléaires !
La troisième conclusion est un peu le corollaire de la deuxième : nous avons
toujours refusé une politisation de la chasse. Ethique, gestion, tradition et
convivialité sont au coeur de nos convictions, et c'est à partir de ces
convictions que nous aborderons ensemble et sereinement ce projet de loi,
quelles que soient les difficultés que nous rencontrerons.
M. Jean-Claude Carle.
Très bien !
M. Roland du Luart.
Quatrième et dernière conclusion : la France pâtit depuis de longues années,
quels que soient les gouvernements, de ministres de l'environnement dont la
compétence, le courage et la clairvoyance en matière cynégétique n'ont pas été
les qualités les plus éclatantes. Ils portent une responsabilité éminente dans
l'exaspération des esprits et dans l'exacerbation des procédures judiciaires en
cours.
La convenance consisterait donc à reconnaître tout ce que ce projet de loi
doit aux travaux constants du Sénat et de son groupe « chasse-pêche », mais
aussi de la commission des affaires économiques et de son remarquable
rapporteur, notre collègue Anne Heinis.
Mais ce projet souffre aussi de quelques imperfections qu'il nous appartient
de corriger.
Le « partage de la nature » - selon le terme à la mode - qu'il propose est, en
l'état, inadmissible. De nombreux projets de loi, qu'ils traitent des activités
sportives, de la pêche, de l'agriculture ou de la forêt, contiennent des
dispositions éparses qui, peu ou prou, permettent à n'importe qui d'aller
n'importe où. Une réflexion d'ensemble s'impose d'urgence pour concilier droit
de propriété, droits et obligations des utilisateurs de la nature, fiscalité,
responsabilité du fait des choses, contrats d'accès aux espaces naturels.
Je vous mets solennellement en garde, mes chers collègues, contre les risques
d'une approche au cas par cas. Elle est la source de conflits d'usage qui se
traduiront par des enclos de plus en plus nombreux, par des terrains laissés à
l'abandon, par la destruction volontaire de sites, par l'instauration de péages
- comme en Grande-Bretagne - bref, par une fermeture des paysages. C'est un
sujet très sensible qui mérite mieux que l'affichage démagogique d'un jour de
non-chasse et des préconisations irréfléchies sur les usages non appropriatifs
de la nature.
Une autre imperfection du texte tient au caractère inachevé des réflexions sur
les institutions. Nous recommandons la titularisation immédiate des gardes de
l'Office, et non l'institution d'un vague « statut national », de manière que
les responsabilités soient clairement établies. Nous sommes pour une plus
grande clarification du rôle de l'ONC, qui ne pourra pas demeurer longtemps à
la fois l'appendice du ministère de l'environnement et le partenaire efficace
et crédible du monde de la chasse. Il faut choisir !
Nous sommes pour la plus grande liberté laissée aux fédérations
départementales de chasseurs en matière de gestion cynégétique, non pour un
modèle bureaucratique de schémas départementaux, avec mentions obligatoires,
tutelle du préfet et contrôle tatillon des gardes nationaux.
En revanche, nous recommandons que la plus grande publicité soit donnée à ces
schémas, sur la réalisation desquels les fédérations devront s'engager.
S'il fallait une charte nouvelle, un pacte nouveau entre citoyens et
chasseurs, c'est par cette ardente obligation de la gestion qu'elle devrait
passer et non par je ne sais quelle mesure de gesticulation médiatique dont
notre époque est si friande.
La modestie du temps de parole qui m'est imparti ne me permet pas de
développer cette approche d'une chasse moderne et responsable, telle que nous
la préconisons et telle que nous la pratiquons. L'excellent travail effectué
par la commission des affaires économiques, dans un esprit d'ouverture et de
sérieux que je tiens à souligner, me facilitera toutefois la tâche. Notre
commission a parfaitement résumé, éclairci et enrichi les nombreuses
propositions que nous avons présentées au fil des années. C'est vraiment le «
projet chasse » du Sénat qui ressort de son travail, projet dont nous pourrons
être fiers, quelles que soient les vicissitudes ultérieures du parcours
parlementaire de ce texte. Je suis, à ce propos, de ceux qui, comme le
rapporteur, déplorent que la discussion de celui-ci doive se faire selon la
procédure d'urgence.
Pour conclure, je souhaiterais remercier très sincèrement tous mes collègues
du groupe « Chasse », avec lesquels ont été organisées de multiples réunions
préparatoires à l'examen de ce projet. Je crois que nous avons bien travaillé,
que nous participerons pleinement à ce débat, que d'autres réflexions et
d'autres rendez-vous nous attendent.
Ce texte est, certes, le projet du Gouvernement, mais c'est aussi, et
largement, le fruit de nos propres réflexions. Nous ne dissimulerons donc pas
notre satisfaction d'ensemble, même si nous conservons notre vigilance
coutumière : sans risque de perturbation ni de confusion, si je puis dire, pour
reprendre les termes d'une directive communautaire devenue trop fameuse.
Mes chers collègues, je forme donc des voeux pour un débat responsable et
serein, un débat qui fasse honneur à notre Haute Assemblée, dynamique et
rassemblée autour d'un projet essentiel à la ruralité.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour que
puisse se tenir la conférence des présidents ; nous les reprendrons à seize
heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à seize heures cinq,
sous la présidence de M. Christian Poncelet.)