Séance du 5 juin 2000
M. le président. « Art. 22 septies . - Il est inséré, dans la même loi, un article 30-5 ainsi rédigé :
« Art. 30-5 . - I. - Le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut être saisi par les titulaires d'autorisation mentionnés aux articles 30-1 et 30-2, par les sociétés bénéficiaires d'un droit d'usage prioritaire de la ressource radioélectrique au titre de l'article 26, par toute personne mentionnée à l'article 20-3, par les prestataires auxquels ces titulaires, ces sociétés et ces personnes recourent, ainsi que par toute personne visée à l'article 42 de tout litige portant sur les conditions techniques et financières relatives à la mise à disposition auprès du public de services de communication audiovisuelle par voie hertzienne terrestre en mode numérique.
« Lorsque les faits à l'origine du litige sont susceptibles de constituer une pratique anticoncurrentielle au sens du titre III de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, le Conseil supérieur de l'audiovisuel saisit le Conseil de la concurrence et lui transmet son avis dans le délai d'un mois. Cette saisine peut être introduite dans le cadre d'une procédure d'urgence, auquel cas le Conseil de la concurrence rend sa décision dans les deux mois suivant la date de la saisine. Dans les autres cas, il met en oeuvre la procédure prévue au II du présent article. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel se prononce dans les deux mois.
« II. - Le Conseil supérieur de l'audiovisuel se prononce, dans un délai de deux mois, après avoir mis les parties à même de présenter leurs observations. Sa décision est motivée et précise les conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, d'ordre technique et financier dans lesquelles sont assurées la commercialisation ou la diffusion des services.
« Lorsque le litige restreint l'offre de services de télécommunication, le Conseil supérieur de l'audiovisuel recueille l'avis de l'Autorité de régulation des télécommunications qui se prononce dans un délai d'un mois. Dans le respect des secrets protégés par la loi, le conseil peut également inviter les tiers intéressés à présenter des observations sur des éléments utiles du règlement des différends dont il est saisi. L'avis de l'Autorité de régulation des télécommunications et les observations des tiers intéressés sont notifiés aux parties.
« Lorsque le différend porte immédiatement atteinte à la composition de l'offre de programmes autorisée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, celui-ci peut, après avoir entendu les parties en cause, ordonner des mesures conservatoires en vue d'assurer la continuité de l'offre de programmes aux téléspectateurs.
« Le Conseil supérieur de l'audiovisuel rend publiques ses décisions, sous réserve des secrets protégés par la loi. Il les notifie aux parties et modifie en conséquence, le cas échéant, les autorisations délivrées. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 84, M. Hugot, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
Par amendement n° 273, le Gouvernement propose de supprimer la dernière phrase du second alinéa du I de l'article 30-5 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 84.
M. Jean-Paul Hugot, rapporteur. L'article 22 septies confie au CSA une compétence de règlement des litiges entre les opérateurs du numérique de terre, qu'il s'agisse de personnes publiques ou privées.
Sans vouloir faire un quelconque procès d'intention, madame la ministre, je me permettrai de soulever les risques que je distingue dans cette perspective.
Ce dispositif soulève en effet plusieurs objections.
D'un point de vue général, il est douteux que le CSA soit mieux armé que les tribunaux de commerce ou le Conseil de la concurrence pour régler les litiges entre les opérateurs du numérique de terre, litiges que le régime d'attribution de la ressource de diffusion mis en place par l'Assemblée nationale va sans doute multiplier. Le CSA ne dispose en effet d'aucune expérience juridictionnelle en matière de droit commercial comme de droit de la concurrence.
La seconde objection nécessite un rappel un peu détaillé de la procédure instituée par l'Assemblée nationale.
Cette procédure n'accorde pas de compétence exclusive au CSA, d'où sa redoutable complexité. Les demandeurs auront le choix du juge de première instance : CSA, d'une part, Conseil de la concurrence ou tribunal de commerce, selon la nature du litige, d'autre part. La compétence exclusive du Conseil de la concurrence est cependant maintenue en matière de pratiques anticoncurrentielles. Cette exception à la procédure d'exception a conduit les auteurs du texte à mettre en place un système de va-et-vient entre les deux autorités administratives indépendantes. Le CSA, s'il est saisi d'un litige susceptible de révéler une pratique anticoncurrentielle, devra saisir le Conseil de la concurrence et lui transmettre son avis dans un délai de deux mois. Il pourra aussi inviter le Conseil de la concurrence à rendre sa décision dans un délai de deux mois à compter de sa saisine.
Dans les cas où le CSA ne voit pas sa nouvelle compétence réduite à ce rôle consultatif et d'aiguillon, il doit rendre sa décision dans un délai de deux mois, non sans avoir saisi l'Autorité de régulation des télécommunications, l'ART, qui doit se prononcer dans un délai d'un mois, si le litige restreint l'offre de services de télécommunications. J'observe accessoirement que le texte ne précise pas si la saisine de l'ART reporte le délai de deux mois dans lequel le CSA doit rendre sa décision.
On voit que les auteurs de ce dispositif ont pris soin d'enfermer le déroulement de la procédure dans des délais impératifs susceptibles d'empêcher les procès de se perdre dans les méandres de celle-ci. Cependant, le non-respect de ce délai n'entraîne aucune conséquence concrète.
A chacun de tirer la leçon de cette brève description. La commission constate pour sa part que l'usine à gaz fait des métastases (Sourires) - permettez-moi, mes chers collègues, cette métaphore un peu confuse - et estime indispensable de s'en tenir au droit commun.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour défendre l'amendement n° 273 et pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 84.
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. L'amendement n° 273 vise à la rectification d'une erreur matérielle.
S'agissant de l'amendement n° 84, je ne partage pas la vision dramatique qu'a M. le rapporteur de ce dispositif. (M. Weber s'exclame.)
Je conviens que la procédure n'est peut-être pas, en elle-même, porteuse de simplification. Il est vrai que le texte prévoit d'instaurer une procédure permettant aux opérateurs de faire trancher leurs litiges éventuels, s'agissant de la mise en place de ce marché, par l'autorité administrative en charge du secteur, à l'instar d'ailleurs du choix effectué par le Sénat, en 1996, à propos du secteur des télécommunications.
Je crois que l'on peut adopter deux visions : tout d'abord, une vision assez terrifiante, qui vient d'être développée par M. le rapporteur, avec le croisement des procédures dont aucune, en effet, n'est exclue par l'introduction de ce dispositif novateur ; mais on peut aussi imaginer, en fonction de la qualité de la relation qui s'établira entre les opérateurs concernés et le Conseil supérieur de l'audiovisuel, que ce dernier soit à lui seul, dans un certain nombre de cas, à même d'apporter une réponse rapide. Nous estimons que cela vaut la peine, et le Gouvernement, en conséquence, est défavorable à l'amendement n° 84.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 273 ?
M. Jean-Paul Hugot, rapporteur. Bien qu'il s'agisse d'un amendement à mes yeux incompatible avec la suppression de l'article qu'elle propose, la commission a émis un avis formellement favorable !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 84.
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Le sujet dont nous débattons ici est tout à fait significatif,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui !
M. Philippe Marini. ... car nous avons vu se créer, dans un certain nombre de domaines, des autorités administratives indépendantes ayant compétence sectorielle : nous avons, ici, le Conseil supérieur de l'audiovisuel ; nous avons, dans un domaine connexe, l'Autorité de régulation des télécommunications ; nous avons aussi, par ailleurs, une autorité administrative dont je ne sais si elle est vraiment très indépendante et qui a une compétence horizontale, générale : le Conseil de la concurrence.
Il s'agit ici, d'une part, de régler dans un domaine bien particulier, le problème des rapports entre ces autorités administratives indépendantes et, d'autre part, de prévoir des procédures pour définir ce qui relève de leur compétence et ce qui reste de la responsabilité des juridictions de droit commun, des tribunaux de commerce en particulier. La matière est donc très complexe.
Par ailleurs, je le rappelle, le Gouvernement a saisi les assemblées d'un projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques. Ce projet de loi a fait l'objet d'une déclaration d'urgence, mais le Sénat ne devrait l'examiner qu'au tout début de la session d'octobre. Dès lors, madame le ministre, ne pensez-vous pas qu'il eût été préférable de traiter ce sujet de manière globale, c'est-à-dire de s'interroger sur les relations qui doivent exister entre les autorités de régulation sectorielles et le Conseil de la concurrence ?
Le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques comporte tout un chapitre relatif au droit de la concurrence, qu'il réforme dans une très large mesure, en modifiant considérablement les missions du Conseil de la concurrence et les procédures engagées devant cette instance. Il me paraît donc contestable de traiter d'un sujet aussi ponctuel dans ce projet de loi alors qu'un autre texte, actuellement en navette, nous permettrait de l'appréhender de façon plus large.
C'est bien un problème de principe que de savoir comment doivent fonctionner ces différentes autorités administratives indépendantes par rapport aux organes juridictionnels de droit commun ! Le législateur leur a donné délégation de compétences dans un certain nombre de domaines, mais il l'a fait au fur et à mesure, dans des secteurs différents, en mettant en place des autorités dont le rôle est loin d'être harmonisé.
Y a-t-il vraiment unité de vues entre vous-même, madame le ministre, et votre collègue chargé de l'économie, des finances et de l'industrie, qui va nous présenter prochainement le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques ? N'aurait-il pas été préférable que ce dernier projet de loi aille un peu plus loin dans l'harmonisation des rôles des différentes autorités administratives indépendantes ?
Je pose là une question d'ordre assez général, mais elle n'est pas sans incidence sur la disposition qui nous est ici soumise. Pour ma part, je souhaite donc vous entendre, madame le ministre, même si je m'apprête à voter l'amendement de la commission à titre conservatoire, parce qu'il me semble préférable de s'occuper globalement des procédures de régulation, comme le Gouvernement prétend vouloir le faire, avant de régler des questions de détail de procédure telle que celle qui nous est ici soumise.
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Monsieur Marini, il y a totale cohérence du Gouvernement sur cette question et, bien entendu, je travaille avec mon collègue chargé de l'économie, des finances et de l'industrie sur l'architecture globale du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, comme d'ailleurs l'ensemble du Gouvernement.
La position que je soutiens ici sur la régulation sectorielle dans le domaine de la communication est et sera donc totalement cohérente avec la position du Gouvernement sur le texte relatif aux nouvelles régulations économiques.
Nous ne pouvons pas changer de pied constamment, même s'il se pose une question politique d'ensemble sur la régulation exercée par les instances indépendantes créées pour assumer telle ou telle fonction.
Chacun dans cette enceinte est conscient de la spécificité de l'histoire, de l'organisation et des enjeux - au-delà du seul aspect économique - du secteur de la communication, et notre intérêt est de bien asseoir la spécificité de l'instance indépendant de régulation de ce secteur, à condition, bien entendu, de veiller à ce qu'elle s'inscrive dans l'organisation globale des régulations.
Nul ne comprendrait que cette question soit différée ou traitée du seul point de vue des régulations économiques. Elles sont, bien entendu, nécessaires, mais elles doivent tenir compte de la spécificité du secteur de l'audiovisuel.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 84, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 22 septies est supprimé et l'amendement n° 273 n'a plus d'objet.
Article 22 octies