Séance du 20 juin 2000
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi d'orientation, je donne la parole à M. Vergès pour explication de vote.
M. Paul Vergès. D'après les informations que j'ai reçues de mon île, nos débats retransmis intégralement à la Réunion ont fortement impressionné l'opinion. Tout le monde a vu qu'à Paris nous étions conscients de la gravité de la situation là-bas, de l'urgence qu'il y a - le mot urgence étant pris dans son sens immédiat et non dans celui que lui donnait Talleyrand, à savoir que lorsque c'est urgent c'est déjà trop tard ! - à apporter des solutions diversifiées, en fonction de nos territoires, et de la nécessité de changement, y compris éventuellement statutaire, pour les départements français d'Amérique.
Tout le monde a remarqué également l'ampleur et la diversité des mesures contenues dans ce projet de loi d'orientation. Il est juste de souligner, comme l'ont dit ici nos collègues, qu'elles sont, en matière de financements inscrits comme en nombre d'intéressés, trois ou quatre fois supérieures à celles de la loi Perben, qui a souvent été évoquée.
S'agissant de ce qu'on appelle la défiscalisation, nous avons tous enregistré que le Gouvernement proposerait des mesures qui ne seront pas moins favorables et, surtout, qui éviteront les dérives, comme celles qui ont été exposées hier soir sur une chaîne publique à l'occasion d'une émission de grande portée.
Nous devons retenir qu'en ce qui concerne l'égalité sociale, revendication très chère à l'ensemble de nos compatriotes, des engagements ont été pris, même si nous regrettons que la commission ait décidé, et son intention est claire, de voter conforme, pour le RMI, le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale, afin de le rendre définitif. Ce faisant, la commission et l'Assemblée nationale ont pris, effectivement, la responsabilité de retarder le rattrapage du RMI local par rapport à celui de la métropole.
Mais, au-delà des mesures économiques et sociales, je pense que les votes qui sont intervenus la semaine dernière et aujourd'hui sont en contradiction flagrante avec toutes les déclarations qui ont été faites. Si l'on considère le volet administratif, institutionnel ou statutaire, on ne peut que constater une rupture par rapport à la demande de changement qui a été exprimée sur l'ensemble des travées de notre assemblée.
On a dit qu'il fallait rompre avec les aménagements du passé mais, dès qu'il s'agit d'effectuer réellement ce changement par des mesures de type administratif ou institutionnel, on s'y refuse.
A cet égard, je pense que le congrès - j'ai entendu des arguments pour et des arguments contre, tous valables - aurait pu constituer une instance de réflexion et de concertation utile pour éviter que le débat n'ait lieu dans la rue, pour qu'il s'instaure entre élus revêtus d'une légitimité populaire et qui, dans cette instance de concertation, auraient pu échanger leurs points de vue.
De même, on a refusé la création d'un ou deux départements, réforme pourtant inséparable de la réforme administrative générale, qui comporte la création de nouvelles communes et de nouveaux cantons.
Je redis notre étonnement devant cet immobilisme de fait alors que toutes les déclarations insistaient sur la nécessité du changement.
Pour la Réunion, on peut prendre argument de la prise de position négative des deux assemblées locales. Toutefois, on oublie toujours d'ajouter que c'est sur le premier projet gouvernemental qu'elle s'est appliquée, que les trois ou quatre élus qui ont pris la responsabilité de rejeter ce premier texte ont déclaré publiquement qu'ils donnaient leur adhésion au nouveau texte. On ne peut donc pas intellectuellement et honnêtement dire qu'il y a eu prise de position négative.
En ce qui concerne la création d'un nouveau département, il faut compter en effet avec le temps de la réflexion. Je souscris entièrement à ce qu'a dit notre collègue Lanier : avec le temps, on peut changer ; et vous connaissez le proverbe : il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas... Je ferai cependant une exception pour nos amis de l'opposition, qui n'ont pas changé depuis vingt ans !
M. Jean-Jacques Hyest. Il ne nous traite tout de même pas d'imbéciles ! (Sourires.)
M. Paul Vergès. Depuis 1982, elle propose la solution des deux départements et on ne peut pas dire qu'elle réfléchissait à un éventuel changement de position puisque, dans un texte signé par tous ses membres, l'opposition du conseil régional demandait, voilà moins de vingt mois, qu'en préalable à toute autre mesure soit créé un deuxième département.
Sur la demande de l'ensemble de l'opposition, du comité de la fédération socialiste, nous avons adopté la même position et choisi de satisfaire une revendication qui faisait l'unanimité du monde politique.
Que certains aient aujourd'hui changé d'opinion, cela les regarde. Ils en ont parfaitement le droit. Mais ils devront expliquer leur position dans les mois ou les années à venir.
Enfin, je pense que, dans l'esprit de chacun, ce projet de loi d'orientation constitue une étape positive vers la recherche d'un rythme propre à chaque territoire afin de tenir compte des modifications intervenues sur le plan économique et social, vers un changement sur le plan administratif ou institutionnel.
Des structures de suivi et d'harmonisation seront mises en place, du moins je l'espère, pour apprécier les avancées positives ou les corrections nécessaires à apporter car l'essentiel du contenu de ce projet de loi est appelé à évoluer. Or la rédaction finale qui sort des travaux du Sénat ne peut qu'engendrer un blocage par rapport à l'évolution nécessaire. C'est pourquoi, en dépit des améliorations qu'il apporte, je ne pourrai voter ce texte, qui refuse le changement et la vie. ( Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Hyest pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Notre débat sur ce projet de loi d'orientation a été extrêmement riche. Il faut en féliciter notamment les rapporteurs, qui ont beaucoup travaillé sur le sujet.
Certains peuvent prétendre que ce texte n'a pas abouti au but recherché. En fait, le dispositif proposé n'a pas paru justifié au Sénat dans la mesure où il comportait des outils inadaptés. Je pense notamment à la bidépartementalisation et à la notion de congrès.
Mais il ne faut pas oublier que, sur le plan institutionnel, de nombreuses avancées ont été réalisées, en ce qui concerne l'approfondissement de la décentralisation, et les nouvelles compétences données aux collectivités tout particulièrement. Ce n'est pas négligeable.
Rappelons que le plus important pour nos concitoyens des départements d'outre-mer, c'est le développement économique et social et la lutte contre l'exclusion ; ce sont leurs priorités. D'ailleurs, ce sont également des priorités pour les métropolitains, qui préfèrent que l'on gère cette situation plutôt que de se battre éternellement sur des problèmes institutionnels qui les concernent relativement peu. En la matière, les apports du Sénat ont été conséquents.
Le Gouvernement avait fait des propositions très importantes, s'agissant du développement économique et social. L'Assemblée nationale a renchéri, le Sénat également. Le bilan, de ce point de vue, est positif. Ces dispositifs devraient permettre aux départements d'outre-mer d'évoluer favorablement sur le plan économique, notamment dans le domaine de l'emploi.
Je note qu'on a ouvert le débat sur le sujet, quelque peu tabou, de la situation des fonctionnaires. Nous ne sommes pas allés au bout de la question et, si l'on veut instaurer un véritable équilibre dans les départements d'outre-mer, il faudra peut-être aller au-delà de ce que nous avons fait aujourd'hui. Néanmoins un premier pas a été franchi.
Il en va de même pour l'égalité sociale. Certains ont regretté qu'elle ne soit pas réalisée en un an mais des engagements fermes et précis ont été pris pour qu'elle soit effective dans un délai très bref.
Il y a également l'aspect budgétaire. A ce sujet, je pense que l'importance des crédits qui sont inscrits aux contrats de plan et des fonds structurels européens ouvre une possibilité considérable de développement pour les départements d'outre-mer.
Par ailleurs, sont également à noter les acquis relatifs à l'identité culturelle et aux relations avec la zone géographique des divers départements, qui ne sont pas négligeables.
J'en viens au niveau institutionnel. Pour ma part, je n'ai jamais cru à la bidépartementalisation. J'ai expliqué pourquoi, outre l'expérience personnelle que j'en ai, je ne crois pas que ce soit en changeant de structures ou en les multipliant que les problèmes se résolvent.
Il reste que nous sommes tous convaincus que l'évolution devra être « cousue main », pour reprendre l'expression de M. le rapporteur de la commission des lois.
Le congrès était-il le bon outil ? Je pense qu'il aurait rigidifié à l'excès un dispositif de dialogue qui peut s'instituer. Monsieur le secrétaire d'Etat, il y a d'autres endroits où le dialogue sur l'évolution institutionnelle peut se nouer. La porte n'est pas fermée : rien n'interdit aux collectivités locales, représentant effectivement nos concitoyens d'outre-mer, de faire des propositions.
Je pense que nous aurons à nous réunir de nouveau pour envisager une évolution institutionnelle de ces départements en fonction de leurs intérêts respectifs, de leur appartenance à telle ou telle zone géographique. Au demeurant, nous sommes convaincus que, quelle que soit l'évolution qui se dessine, nos concitoyens restent attachés à la République française. Je crois que c'est la leçon que nous devons retirer de ce débat : ne les décevons pas !
Bien entendu, le groupe de l'Union centriste votera le projet tel qu'amendé par nos travaux. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Lanier.
M. Lucien Lanier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne voudrais pas prolonger un débat qui a déjà largement permis à chacun d'exprimer son point de vue et je ne voudrais pas risquer de tomber dans la redondance.
Vous savez, Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous l'ai dit à plusieurs reprises, que nous espérions cette loi programme, qui est devenue une loi d'orientation. Nous étions parfaitement conscients de son urgence, nous en étions demandeurs et nous le restons.
Monsieur Vergès, je vous ai écouté et je vous aime bien. Vous avez du talent et une façon maligne de présenter les choses. En effet, tous les arguments que vous nous avez fournis et qui tendaient à faire de nous des « ringards » - rien de moins - peuvent se retourner finalement contre vous, si nous parlons non pas de « ringardise » mais d'immobilisme !
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous étions conscients, d'une part, comme l'indiquait le Président de la République, de l'étendue du champ des réflexions concernant un sujet que nous considérons d'une importance capitale, et, d'autre part, de la difficulté de votre tâche. Je vous l'ai dit : vous vous êtes trouvé au carrefour des intérêts et des sentiments. Ainsi, nous sommes parfaitement conscients de notre responsabilité dans l'affaire.
C'est pourquoi nous avons abordé l'étude de votre projet avec un soin particulier, beaucoup de conscience, en transcendant, selon vos propres termes, les clivages politiques traditionnels.
Trois parmi les six commissions du Sénat ont étudié avec une parfaite objectivité et leur sérieux habituel ce projet de loi. Elles ont présenté des amendements judicieux auxquels le Gouvernement a, le plus souvent, répondu par la négative, même si ce fut, de votre part, monsieur le secrétaire d'Etat, je tiens à le souligner, avec la plus grande courtoisie. Il reste que les arguments que vous avez employés ne nous ont généralement pas convaincus.
Votre volet social et économique comporte de très bonnes orientations, mais nous vous avons mis en garde contre ce que nous considérons comme certains défauts, et tout d'abord contre le gouffre d'une assistance immédiate et hâtive dont il reste à prouver qu'elle sera, à l'avenir, source de progrès.
Quant à votre volet institutionnel, il ne répond pas - là, c'est une certitude - à l'avenir de ces départements, de plus en plus différents les uns des autres.
Nous ne sommes pas, a priori , contre l'étape d'une assemblée unique pour chacun, le cas échéant, afin d'avoir à terme, s'il en est d'accord, un interlocuteur représentatif des populations concernées. Mais que nous proposez-vous pour résoudre un problème dont nous sommes parfaitement conscients et que nous désirons régler ? Le partage de la Réunion en deux départements et, dans les départements français d'Amérique, la création d'une troisième assemblée dénommée « congrès », au rôle parfaitement ambigu et aux procédures inextricables. Comment voulez-vous rompre avec un traitement uniforme pour tous si vous occultez les identités et les aspirations de chacun ?
Nous ne sommes pas, par principe, opposés à vos intuitions, monsieur le secrétaire d'Etat, mais permettez-moi de vous dire que l'intuition ne fait pas, à elle seule, la valeur de l'action. Nous sommes contre la méthode que vous préconisez parce qu'elle est, à nos yeux, en contradiction avec ce que vous souhaitez vous-même, notamment ce consensus que vous estimez indispensable mais que vous n'avez pas obtenu, faute d'avoir proposé une nouvelle construction juridique économiquement et socialement cohérente à partir de laquelle aurait pu s'établir un débat local, démocratique et transparent - ce sont vos propres termes - entre les diverses assemblées régionales et départementales, un débat orienté vers la fin des catégories uniformes.
Aux questions que nous vous avons posées vous n'avez apporté, la plupart du temps, que des réponses négatives. Disons-le, vous voulez faire passer en force votre projet de loi tel qu'il est : il est à prendre ou à laisser. Alors, ne vous étonnez pas, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'avec un immense regret le groupe du RPR ne puisse l'approuver. Il s'abstiendra donc, afin de reconnaître tout de même l'excellent travail qui a été fait par nos rapporteurs mais que, de manière quasi systématique, vous avez rejeté, vous disant qu'après tout votre loi passerait tout de même ! (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au terme de notre discussion, je constate que, malheureusement, le débat qui vient d'avoir lieu n'a pas permis d'avancer vers un projet de loi qui réponde pleinement aux attentes des populations des DOM.
Peut-on même parler véritablement d'un projet de loi d'orientation quand - au-delà de mesures sociales qui sont positives - la discussion a essentiellement porté sur des dispositions visant à offrir toujours plus aux entreprises sans aucune garantie de retour en termes de création d'emplois et de développement durable ?
Comment prétendre soutenir la croissance endogène avec de telles mesures qui confortent une certaine forme d'aubaine, susceptible d'avoir toutes sortes d'effets pervers, et avec un projet qui fait bien peu de cas des aspirations d'émancipation des populations ?
Mes chers collègues, les populations des DOM, attachées à la République française, doivent avoir les moyens de réaliser leur propre développement à partir de leurs choix et de leurs potentiels locaux, dans le respect de leur diversité. Comment accepter que l'on soit si loin, aujourd'hui, de ces préoccupations ?
Les sénateurs de la droite nous ont dit qu'il fallait « faire plus », mais ils n'ont su que formuler des critiques et faire le choix de l'immobilisme en supprimant la bidépartementalisation pour la Réunion et le congrès pour les autres départements d'outre-mer. Du même coup, ils ont achevé de vider le projet de loi de son peu de substance quant à son volet institutionnel.
Chers collègues, je crains malheureusement que ce « rendez-vous » manqué - car il s'agit bien de cela - n'entraîne, comme je l'avais dit lors de la discussion générale, une immense déception des populations domiennes et des réactions qui obligeront à trouver, un jour prochain, des solutions dans l'urgence.
Nous avions là une occasion de répondre aux enjeux de notre temps concernant l'avenir de ces départements d'outre-mer, d'ouvrir des perspectives nouvelles qui, dans le respect des règles démocratiques, auraient permis aux populations de ces régions de s'engager dans la voie d'un véritable développement durable et endogène. De ce point de vue, hélas ! le résultat est extrêmement mince, alors qu'il était urgent de trouver des solutions. C'est pourquoi les sénateurs communistes ne voteront pas ce projet de loi. (M. Vergès applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Payet.
M. Lylian Payet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, tel qu'il ressort de nos travaux, ce texte contient encore des dispositions intéressantes pour les DOM, notamment pour la Réunion, je le reconnais volontiers. Néanmoins, certaines de ses dispositions ne correspondent ni aux attentes de la population ni même à l'esprit de la Constitution.
Contre l'alignement, dès la promulgation de la loi, du RMI, de l'allocation de parent isolé et du complément familial, l'article 40 de la Constitution a été invoqué. Permettez-moi d'opposer à cet article 40 l'article 1er de la Constitution, qui édicte que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » et qu'« elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens ». Je pense que ce premier article de la Constitution a plus de poids que son article 40.
Le délai de trois ans prévu pour l'application du RMI et de prestations sociales qui doivent permettre d'accroître le pouvoir d'achat des ménages réunionnais et domiens est inacceptable. Je ne serai pas complice de la prolongation de cette inégalité, malheureusement soutenue par la majorité du Sénat, et je voterai donc contre ce projet de loi. (M. Vergès applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Lise.
M. Claude Lise. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'interviens au nom du groupe socialiste et apparentés.
Nous avons, depuis mardi soir, assisté à des débats que l'on peut, sans conteste, qualifier d'intéressants ; la confrontation des points de vue a certainement été profitable aux uns et aux autres, même si des divergences et des malentendus notables subsistent ; on vient de le constater encore à l'instant.
Concernant le volet économique et social, les élus du groupe socialiste et apparentés se félicitent, bien entendu, que le texte du projet de loi d'orientation ait pu être enrichi sur plusieurs points.
Ils ont particulièrement apprécié le fait que la majorité sénatoriale ait accueilli favorablement certains de leurs amendements, tels ceux qui contenaient des mesures intéressant l'artisanat, les emplois-jeunes ou les RMIstes âgés de plus de cinquante ans, pour ne prendre que quelques exemples.
Néanmoins, les membres de notre groupe déplorent qu'un certain nombre de mesures aient été adoptées dans un esprit de surenchère, faisant fi de tout réalisme en matière d'enveloppe budgétaire.
Ils regrettent que l'orientation clairement affichée en faveur de la création d'emploi ait été, ici et là, franchement mise de côté.
Ils ne comprennent pas que l'on ait pu, dans le même temps, faire preuve de tant de générosité pour certaines catégories d'entreprises, qui ne sont pas forcément les plus en difficulté, et se montrer aussi dur envers des petites et moyennes entreprises lourdement endettées parce qu'elles sont les plus exposées à toute une série de facteurs défavorables que chacun connaît, en tout cas outre-mer.
Dans un certain nombre de domaines, tels que la culture et l'habitat, notre groupe relève avec satisfaction les assurances données par le Gouvernement à la suite de la présentation de certains de ses amendements visant, par exemple, le problème de l'indivision ou celui de l'alignement du prix du livre.
Pour ce qui est, enfin, du volet institutionnel, les sénateurs socialistes et apparentés ne peuvent que se réjouir de l'unanimité qui s'est dégagée sur toute une série de transferts de compétences aux collectivités locales des DOM, particulièrement en matière de coopération régionale. Il est apparu, sur ce point, fort heureusement, que tous mesuraient bien la portée des dispositions prévues, notamment les perspectives qu'elles pouvaient désormais ouvrir en termes de développement économique.
Quelques améliorations ont d'ailleurs été apportées au titre V du projet de loi, qui concerne la coopération régionale.
Cependant, nous sommes obligés de dénoncer avec force le rejet de deux éléments fondamentaux du texte. Il s'agit, en premier lieu, de la suppression de l'article 38, lequel résultait pourtant des voeux plusieurs fois exprimés par un grand nombre d'élus réunionnais, soucieux d'un aménagement du territoire de leur île mieux équilibré, en second lieu de la suppression de l'article 39, qui prévoit une procédure d'évolution institutionnelle légale, démocratique et transparente, que l'on s'est plu à caricaturer à l'extrême, à défaut de pouvoir la critiquer sur une base objective.
Ces deux suppressions aboutissent à une profonde transformation du projet de loi initial. Celui-ci marquait une rupture dans la manière d'appréhender les réalités des départements d'outre-mer. Il ouvrait, en particulier, des perspectives d'évolution différenciées pour chacun de ces départements, et il les ouvrait concrètement, pas simplement dans le discours.
On imagine la déception que la dénaturation du texte sur ce point entraînera dans les départements d'outre-mer, notamment dans les départements français d'Amérique, dont on ne peut sous-estimer les aspirations fortes en faveur d'une responsabilité locale accrue et la volonté de voir s'ouvrir la possibilité d'une évolution statutaire.
Dans ces conditions, le groupe socialiste et apparentés se trouve dans l'obligation, au terme de nos débats, d'émettre un vote défavorable sur un texte qu'il ne peut en aucune façon assumer en l'état. Il garde néanmoins l'espoir de voir, lors de la CMP, les points de vue se rapprocher sur les importantes questions qui ont été débattues à l'occasion de l'examen des articles 38 et 39. Un tel rapprochement est possible si, de part et d'autre, sont mises en avant les réalités de chacun des départements d'outre-mer, et mis au premier plan les aspirations et les intérêts de leurs peuples. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Larifla.
M. Dominique Larifla. Monsieur le président, mes chers collègues, je voudrais d'abord dire à M. le secrétaire d'Etat que le projet de loi d'orientation qu'il a soumis au Parlement au nom du Gouvernement constitue un changement de cap dicté par un changement de mentalité.
La vision du développement durable des départements d'outre-mer est conçue de façon globale. Pour la première fois, le développement économique n'a pas été dissocié de la nécessaire modification du cadre institutionnel ou statutaire. C'est d'ailleurs ce qu'ont indiqué le Premier ministre, Lionel Jospin, et, dans une certaine mesure, le Président de la République.
En effet, l'histoire nous enseigne qu'il ne suffit pas d'apporter des financements, des subventions, fussent-ils massifs, pour faire décoller l'économie ; sinon, la départementalisation adaptée de 1961, les lois cadres, la loi Pons de défiscalisation, la loi Perben auraient guéri nos pays de tous leurs maux, et nous n'aurions pas aujourd'hui à discuter une loi d'orientation pour l'outre-mer.
L'histoire nous a aussi appris que la revendication d'un statut ne suffisait pas, à elle seule, pour accéder au bien-être. La pensée ou la voie unique n'a jamais réussi à aucun peuple.
Certes, les travaux de notre assemblée ont contribué à améliorer le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture. Nos discussions et nos amendements l'ont rendu plus précis.
Malheureusement, en dépouillant l'édifice de son volet institutionnel, ce travail a été réduit à néant. En supprimant la bidépartementalisation pour la Réunion et le congrès pour les départements français d'Amérique, congrès qui constitue un espace d'échange institué dans un cadre démocratique et légal, la majorité sénatoriale prive les peuples de l'outre-mer d'une chance de convenir sereinement de leur avenir dans le cadre de la République française.
Il est à craindre que nous, citoyens de l'outre-mer, nous n'apparaissions encore longtemps comme des peuples parasites, comme un fardeau historique et, pour reprendre l'expression d'un ancien Président de la République, comme les « danseuses de la France ».
Nous estimons qu'est venu le temps où tout préjugé doit être détruit. Est venu le temps où il faut comprendre qu'il ne suffit pas d'ouvrir les autres à sa raison : il faut aussi s'ouvrir soi-même à la raison des autres, en faisant le deuil de sa prétendue universalité.
J'étais intimement persuadé que notre assemblée, animée par les grands principes républicains qui ont forgé la nation française, n'aurait pas eu, s'agissant d'une loi si importante pour les départements doutre-mer, une vision étriquée qui fait perdre au projet son équilibre, donc son efficacité.
Dans ces conditions, en mon âme et conscience, je ne puis accorder un vote favorable au projet de loi tel qu'il résulte des travaux de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis. A l'issue de ce débat, j'aimerais faire part de deux observations sur le volet social de ce texte.
J'exprimerai tout d'abord ma satisfaction, car je crois que ce volet social a été sensiblement amélioré par rapport à sa version initiale. J'entends parler d'immobilisme : je crois que c'est un argument tellement facile et tellement récurrent qu'il finit par perdre toute substance.
Notre approche n'a pas été toujours bien comprise. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous redoutiez, de notre part, une attitude de « toujours plus », alors que notre souci était le développement de la compétitivité des entreprises, avec ses conséquences spécifiques sur l'emploi dans les territoires domiens.
Cette amélioration n'a pas toujours reçu le soutien du Gouvernement, et je pense notamment à l'amplification des exonérations.
Mais elle a aussi pu se faire dans la concertation : la discussion des articles sur le projet initiative-jeune, sur le congé-solidarité, sur l'allocation de retour à l'activité et sur le titre de travail simplifié en témoigne.
J'exprimerai néanmoins un regret parce que notre dispositif a été amputé d'un de ses volets majeurs à l'article 2, qui prévoyait une majoration du montant du salaire ouvrant droit à exonération de 1,3 à 1,5 SMIC, est malheureusement tombé, de manière totalement incompréhensible, sous le coup de l'article 40 de la Constitution.
M. le secrétaire d'Etat, il faudra revoir ce problème, le Gouvernement a invoqué l'article 40 sur cet amendement, alors que celui-ci prévoyait une diminution de recettes sociales gagée par la majoration d'une autre recette. Il était donc parfaitement acceptable sur le plan de la recevabilité financière.
Dans ces conditions, je ne puis que déplorer que, au terme de divers artifices de procédure, le texte issu des travaux du Sénat soit moins ambitieux qu'il n'aurait dû l'être. Il n'en demeure pas moins d'une portée bien plus importante que ne pouvait l'être celui qui nous avait été transmis. Ce texte mérite, en fait, d'être complété dans le respect du particularisme de chaque département d'outre-mer.
M. le président. La parole est à M. Lauret.
M. Edmond Lauret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, sur le plan institutionnel, la Haute Assemblée a pu, en supprimant les articles 38 et 39, bloquer les aventures de la bi-départementalisation et du congrès, projets qui nous paraissent inutiles et dangereux et qui ne recueillent l'accord ni de la population ni des élus locaux.
Toutefois, dans le domaine économique et social, ce projet de loi, même amendé par la Haute Assemblée, reste quelque peu en deçà de nos ambitions, car il ne réglera pas les très grandes difficultés auxquelles se heurte notre population, notamment le problème du chômage des jeunes, en raison des blocages successifs opposés par le Gouvernement qui a invoqué trop systématiquement l'article 40 de la Constitution.
Rien n'est prévu pour le logement alors qu'il serait nécessaire de doubler les crédits de la ligne budgétaire unique. Rien n'est prévu en matière d'égalité sociale et de défiscalisation des investissements.
En réalité, ce texte reste timide. En dehors de la restauration et de l'amélioration de la loi Perben, nous ne percevons pas d'avancée notable dans les domaines économiques et social.
Les positions prises par M. le secrétaire d'Etat à l'occasion des discussions que nous avons eues ont montré que l'outre-mer n'est pas une priorité pour le gouvernement actuel. La loi de développement de l'outre-mer reste à faire pour rendre l'espoir à nos populations ultramarines.
Tout en me réjouissant des options retenues en matière institutionnelle, je m'abstiendrai sur l'ensemble de ce texte en raison de son manque d'ambition dans les domaines économique et social.
M. José Balarello, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello, rapporteur. Monsieur le président, je demande une brève suspension de séance.
M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, monsieur le rapporteur.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures trente-cinq, est reprise à onze heures quarante.)