Séance du 20 juin 2000
RAPPELS AU RÈGLEMENT
M. Daniel Hoeffel.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l'article 36 du
règlement du Sénat.
Voilà soixante jours que vingt et une personnes, dont deux ressortissants
français, sont retenues en otage sur l'île de Jolo. Au moment où un autre otage
français est libéré en Tchétchénie, la France ne peut et ne doit se
désintéresser du sort des Français retenus aux Philippines.
L'action de solidarité et de soutien qui est menée sur le plan régional en
faveur de nos otages doit être relayée par des actions concrètes des
responsables de notre pays. Ces actions s'avèrent urgentes, monsieur le
ministre. Il y va non seulement du sort des otages, mais aussi de l'autorité de
la France. Le temps qui passe sans que les otages soient libérés ne risque-t-il
pas d'être un encouragement pour d'autres prises d'otages dans l'avenir ?
(Applaudissements.)
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le sénateur, le Gouvernement est très
attentif au sort de ces otages, français et étrangers, dont la captivité dure
déjà depuis de trop longues semaines au mépris de leur santé, voire de leurs
intérêts vitaux.
Le ministère des affaires étrangères suit de près cette question. Comme vous
le savez, M. Solana, qui est le responsable de la politique extérieure de
sécurité commune pour l'Union européenne, s'est rendu aux Philippines. Nous
étudions tous les moyens de pression dont nous disposons compte tenu du fait
qu'il s'agit d'un rapport de force entre les preneurs d'otages dans l'île de
Mindanao et le Gouvernement philippin et que toute intervention armée comporte
des risques pour la vie des otages.
Il s'agit d'une affaire délicate. Nous avons malheureusement l'expérience de
la gestion de plusieurs affaires similaires, que ce soit au Liban, en
Tchétchénie ou en Asie centrale. Par conséquent, le Gouvernement suit de très
près, avec l'appui des services spécialisés, l'évolution de cette situation en
pensant à l'inquiétude des familles que, j'en suis sûr, nous partageons tous.
(Applaudissements.)
M. Jean-Luc Bécart.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
Mon rappel au règlement se fonde également sur l'article 36 du règlement du
Sénat, monsieur le président.
Solidaire des préoccupations de notre collègue Daniel Hoeffel et tout à fait
sensible à la réponse que M. le ministre vient de nous donner, je voudrais
dire, au nom de mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, que
nous sommes particulièrement émus à la suite du drame qui vient de se dérouler
à Douvres : les corps de cinquante-huit hommes et femmes ont été découverts
dans un camion frigorifique, cinquante-huit personnes qui ont simplement voulu
quitter leur pays natal pour vivre sur des terres plus clémentes.
Après le sommet de Tampere, qui a fait de la lutte contre l'immigration
clandestine une priorité et confié à Europol la mission de participer au
démantèlement des filières, les mafias de passeurs continuent de prospérer.
Au-delà, ce sont les insuffisances et parfois les hypocrisies du système
Schengen qui nous sont révélées au travers de ce drame. Aussi hautes que soient
les barrières qui sépareront l'Europe des pays voisins, aussi nombreux - et
c'est souhaitable - que soient les bataillons de douaniers et de policiers qui
seront chargés des contrôles, cela ne découragera pas les plus audacieux, les
plus désespérés ou les plus fous de tenter le voyage vers un Eldorado
hypothétique.
Il est d'ailleurs à craindre que, à force de mettre l'accent uniquement sur le
tout répressif, on ne constate, en fin de compte, que les tarifs de ces
négriers des temps modernes sont devenus plus prohibitifs encore et que les
passages sont toujours plus dangereux.
Il faut, certes, aujourd'hui, renforcer la coopération entre les Etats membres
d'Europol, mais, il importe aussi et surtout de mettre l'accent sur le
codéveloppement avec les pays d'origine sans lequel toute politique de lutte
contre l'immigration clandestine, et plus encore toute tentative de gestion des
flux migratoires, seront vouées à l'échec.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le sénateur, le drame bouleversant de
Douvres doit nous faire prendre conscience de l'immensité du problème auquel
nous sommes confrontés. Ce n'est pas seulement un problème ponctuel, qui aurait
d'ailleurs pu se produire à partir de Calais et non pas à partir de Zeebrugge ;
c'est un problème mondial que l'Europe va devoir affronter au moins dans les
cinquante années qui viennent, et peut-être même davantage : d'immenses
déséquilibres économiques et démographiques existent dans une humanité qui
s'achemine vers les 10 milliards d'individus au milieu du siècle prochain.
La pression est énorme. La Grande-Bretagne a accueilli, l'an dernier, 71 000
demandeurs d'asile, l'Allemagne, 98 000 et la France, qui recevait 17 000
demandes d'asile en 1997, en aura reçu plus de 30 000 l'année dernière et nous
en avons enregistré plus de 10 000 rien que pour le premier trimestre,
c'est-à-dire que nous suivons une évolution européenne.
Cette pression est aussi encouragée par une sorte de négligence des pays
d'origine, qui ne cherchent plus à contrôler ces flux. Or ces flux ne
correspondent pas toujours à leur intérêt, car il s'agit de personnes qui
pourraient participer au développement de ces pays : ces personnes qui
cherchent à fuir ont souvent un certain niveau d'éducation.
L'individualisme est tel aujourd'hui, dans le monde entier, que le souci du
développement des pays du Sud passe à l'arrière-plan. Nous-mêmes devrons
apporter une réponse équilibrée à ce problème. Le Conseil européen de Tampere a
repris un triptyque que vous connaissez bien, puisque c'était celui du rapport
Weil, celui de la loi RESEDA du 11 mai 1998 : codéveloppement, intégration des
étrangers qui sont présents légalement sur notre sol, mais aussi répression de
l'immigration clandestine. Ils sont des centaines de milliers à se bousculer à
nos frontières. Nous ne pouvons les intégrer que dans certaines conditions, en
respectant les équilibres sociaux, économiques et culturels de notre pays.
Il faut parler sérieusement d'un sujet qui est très sérieux. En qualité de
ministre de l'intérieur, je dois assumer une fonction très ingrate, face à
toutes les démagogies contradictoires qui se développent sur ce terrain. Nous
avons préparé, pour la présidence française de l'Union européenne, qui commence
le 1er juillet prochain, plusieurs projets de textes renforçant les sanctions à
l'égard des passeurs, alourdissant les pénalités pour les transporteurs,
facilitant l'intégration par un titre de séjour de dix ans pour ceux qui sont
présents légalement sur notre sol et mettant l'accent sur le développement avec
les pays sources.
Un séminaire sur la lutte contre les filières d'immigration clandestine aura
lieu le 21 juillet prochain. Il réunira tous les pays de l'Union européenne,
les Etats-Unis, le Mexique, le Canada et le Brésil. Un sommet dit informel du
conseil JAI - justice, affaires intérieures - se tiendra à Marseille à la fin
du mois de juillet. Il sera consacré au problème à long terme que l'immigration
pose à l'Europe.
C'est un énorme problème. Il faut savoir le regarder en face. Cela nécessite
une vision haute et large, qui ne tolère ni la faiblesse ni les petits
compromis du quotidien. Nous avons affaire à des passeurs derrière lesquels se
cachent de véritables filières criminelles, des mafias, qu'elles soient
chinoise, russe, turque ou albanaise, qui tirent profit d'un véritable trafic
de négriers dont on voit le résultat.
Nous avons quelques bons outils : la police des frontières et l'Office central
de répression du trafic de main-d'oeuvre clandestine. Il faudrait qu'existe la
même prise de conscience à l'échelon européen mais aussi aux frontières
extérieures de l'espace Schengen. En effet, c'est là que le contrôle est
possible. Vous le savez, les frontières intérieures de l'espace Schengen
n'existent plus aujourd'hui. En tout cas, le contrôle y est devenu très
difficile. Par exemple, certaines pénalités concernant les transporteurs ne
peuvent pas être imposées à l'intérieur de l'espace Schengen, elle peuvent
seulement l'être à la frontière extérieure de cet espace. Vous savez que
certaines frontières sont particulièrement poreuses. Je ne vous dirai pas
lesquelles car vous les connaissez.
C'est donc une tâche extrêmement rude. Nous la menons avec résolution. Nous
avons toute une batterie de propositions à soumettre au Conseil des ministres
Affaires intérieures.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi
que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, du RDSE et sur
plusieurs travées de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
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