Séance du 20 juin 2000
ÉGAL ACCÈS DES FEMMES ET DES HOMMES
AUX MANDATS ÉLECTORAUX
Adoption d'un projet de loi organique
en nouvelle lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi
organique (n° 363, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée
nationale en nouvelle lecture, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et
des hommes aux mandats de membre des assemblées de province et du Congrès de la
Nouvelle-Calédonie, de l'Assemblée de la Polynésie française et de l'Assemblée
territoriale des îles Wallis et Futuna. [Rapport n° 413 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je serais très bref sur ce projet de loi organique qui a pour objet
d'appliquer à certaines collectivités d'outre-mer les dispositions de la loi
ordinaire relatives à la plus grande partie du territoire de la République,
adoptées définitivement le 27 avril dernier, validées par le Conseil
constitutionnel le 30 mai 2000 et devenues la loi du 6 juin 2000.
Le principe constitutionnel d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats
et fonctions électives doit, en effet, s'appliquer pleinement dans les
collectivités d'outre-mer.
Si cette application relève de la loi ordinaire pour les départements
d'outre-mer, Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte, ainsi que pour les conseils
municipaux en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, l'intervention
d'une loi organique est, en revanche, rendue nécessaire, par l'article 74 de la
Constitution pour l'assemblée de Polynésie française et l'Assemblée
territoriale de Wallis-et-Futuna, et par l'article 77 de la Constitution pour
les assemblées de province et le congrès de Nouvelle-Calédonie.
Contrairement au projet de loi ordinaire, ce projet de loi organique n'a pas
fait l'objet d'une déclaration d'urgence. Deux lectures ont donc été
nécessaires dans chacune des assemblées avant que la commission mixte paritaire
puisse se réunir. Comme il était prévisible - et comme pour la loi ordinaire -
la commission mixte paritaire a échoué. Après la nouvelle lecture à laquelle
vous procédez aujourd'hui, l'Assemblée nationale sera donc appelée à statuer
définitivement.
Je précise que la loi organique n'est pas, dans le cas qui nous occupe, la
norme supérieure à la loi ordinaire. Elle applique simplement, à des
territoires spécifiques, les règles définies pour la plus grande partie du
territoire de la République par la loi ordinaire. Il n'y a donc pas
d'inconvénients majeurs à cette « arythmie » des procédures, dont vous
pourriez, à juste titre, vous étonner.
En outre, ces dispositions spécifiques aux assemblées d'outre-mer seront bien
adoptées définitivement dans les semaines à venir et seront donc applicables,
elles aussi, aux prochaines élections.
Sur le fond, il s'agit d'appliquer à ces assemblées d'outre-mer les mêmes
règles que celles qui sont fixées par la loi ordinaire pour le reste du
territoire de la République. Je ne reviens pas sur ces règles, désormais
validées par le Conseil constitutionnel, mais c'est en fonction du respect de
ce principe d'égalité que je me prononcerai sur les amendements proposés par
votre commission des lois.
Telles sont les observations que je voulais présenter sur le dispositif qui
vous est aujourd'hui proposé.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Guy Cabanel,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes de nouveau
saisis de ce projet de loi organique qui porte exclusivement sur les assemblées
territoriales de la Polynésie française, de Wallis-et-Futuna et de
Nouvelle-Calédonie. Il est soumis à l'examen du Sénat en nouvelle lecture,
après l'échec de la commision mixte paritaire qui s'est réunie le 9 mai
2000.
Je rappelle, à la suite de M. le ministre, que le projet de loi simple, adopté
définitivement, a été promulgé sous la forme de la loi du 6 juin 2000, après
que le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution
l'abaissement à 2 500 habitants du seuil d'application du scrutin proportionnel
aux élections municipales.
Deux articles du projet de loi organique ont été adoptés dans les mêmes termes
par les deux assemblées : il s'agit, dès la première lecture, de l'article 4,
prévoyant l'application du texte à l'occasion du prochain renouvellement
intégral des assemblées territoriales concernées et, en deuxième lecture, de
l'article 1er, relatif à l'assemblée territoriale de la Polynésie française,
selon lequel chaque liste de candidats devrait comporter un nombre égal de
candidats de chaque sexe à une unité près, sans précisions supplémentaires sur
l'ordre de présentation des candidats.
En revanche, deux articles ont été adoptés dans des rédactions différentes par
l'Assemblée nationale et le Sénat : il s'agit des articles 2 et 3, concernant
Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie, pour lesquelles l'Assemblée
nationale a adopté une stricte alternance de candidats de chaque sexe, alors
que le Sénat a prévu une parité globale, sans contrainte supplémentaire.
La navette n'aurait donc dû porter que sur ces deux articles, donc sur
Wallis-et-Futuna et sur la Nouvelle-Calédonie. C'est ainsi que la délibération
de la commission mixte paritaire n'a pas porté sur l'article 1er relatif à la
Polynésie française.
Pourtant, en nouvelle lecture, l'Assemblée nationale, revenant sur l'accord
entre les deux assemblées concernant la Polynésie française, a retenu, pour
cette collectivité aussi, une exigence de stricte alternance de candidats de
chaque sexe.
Il s'agit là d'un véritable détournement de procédure. En effet, l'Assemblée
nationale a, en nouvelle lecture, rappelé l'article 1er « pour coordination »,
procédure qui ne lui permettait, en principe, que des coordinations formelles,
et non la remise en cause des solutions de fond adoptées en termes identiques
par les deux assemblées lors d'une lecture précédente.
Or, précisément, les députés ont remis en cause la solution adoptée dans les
mêmes termes par les deux assemblées, en prévoyant une stricte alternance de
candidats de chaque sexe, alors que le texte adopté en termes identiques se
limitait à une parité globale des listes.
L'Assemblée nationale, à tort ou à raison, a prétendu coordonner un article
définitif avec deux articles en navette, et donc encore modifiables, prétextant
la nécessité d'une mise en cohérence des régimes applicables en outre-mer.
Afin de parvenir à cette cohérence, certes souhaitable, il aurait été plus
rigoureux, pour les députés, d'aligner les solutions pour les deux articles
restant en discussion sur celle qui concerne la Polynésie française, et qui,
définitive depuis la deuxième lecture, ne pouvait plus subir de modifications
de fond.
La violation par l'Assemblée nationale de l'accord entre les deux assemblées
ne porte donc pas sur un point de détail, puisqu'elle a consisté en la reprise
pure et simple d'une formule expressément rejetée par le Sénat lors de ses
lectures précédentes.
Cette manière de faire contrevient gravement au principe même de la navette
parlementaire, ce que nous ne pouvons accepter.
La commission des lois du Sénat émet des doutes sur la régularité de la
procédure législative suivie par l'Assemblée nationale.
La commission s'interroge sur le droit pour l'Assemblée nationale de confirmer
en lecture définitive une modification substantielle apportée à un article
adopté en termes identiques par les deux assemblées avant la commission mixte
paritaire et qui, de ce fait, n'a pas été soumise à cette procédure
constitutionnelle de conciliation prévue par l'article 45 de la
Constitution.
Par ailleurs, je rappelle que le Conseil constitutionnel sera obligatoirement
saisi sur la conformité à la Constitution de ce projet de loi organique, comme
sur tout autre projet de loi organique.
Dans ces conditions, la commission des lois vous propose trois amendements
afin de rétablir le texte de l'article 1er dans sa rédaction votée par les deux
assemblées - parité globale, sans contrainte supplémentaire - et de reprendre,
pour les articles 2 et 3, qui concernent Wallis-et-Futuna et la
Nouvelle-Calédonie, le texte déjà adopté par le Sénat, prévoyant aussi une
parité globale sans contrainte supplémentaire.
De la sorte, le régime applicable en outre-mer serait unifié, tout en tenant
compte des situations particulières de ces collectivités.
Certes, les règles en outre-mer seraient ainsi plus souples que celles qui
sont prévues en métropole par la loi simple du 6 juin 2000 - stricte alternance
de candidats de chaque sexe pour les scrutins de liste à un tour. Une telle
différence serait cependant conforme, monsieur le ministre, au principe de
spécificité prévu par les articles 74 et 77 de la Constitution.
Certes, on peut souhaiter l'homogénéisation avec les règles de la métropole,
mais on peut tout aussi bien considérer que les conditions particulières des
territoires d'outre-mer nécessitent l'application des articles 74 et 77 de la
Constitution. D'ailleurs, cette application correspondrait aux informations
recueillies auprès de nos collègues sénateurs des trois territoires
d'outre-mer, qui n'ont pas manqué d'attirer l'attention de la commission des
lois et du Sénat sur les difficultés qu'il y aurait à appliquer une parité
stricte et complète dès les prochains scrutins.
C'est pourquoi j'attire votre attention sur ce débat qui pourrait paraître
inutile, mais qui doit nous permettre de maintenir nos positions et, à
l'occasion de l'examen de ce projet de loi organique, de voir si l'Assemblée
nationale avait vraiment le droit de modifier un article adopté dans les mêmes
termes par les deux assemblées, et ce après une commission mixte paritaire au
cours de laquelle cet article 1er n'a pas été examiné puisqu'il n'était plus en
discussion. Voilà quel est le problème, mes chers collègues.
(Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du
RPR.)
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat est
amené, cet après-midi, à examiner pour la dernière fois le projet de loi
organique appliquant aux territoires d'outre-mer des dispositions visant à
favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux.
Cette troisième lecture intervient après l'échec, le 3 mai dernier, de la
commission mixte paritaire, chaque chambre restant, comme ce fut d'ailleurs le
cas pour le projet de loi ordinaire, farouchement attachée à sa conception du
principe paritaire.
Considérant qu'il convenait, à juste titre, de donner plus de corps à la
réforme proposée, afin de réaliser concrètement, dès les prochaines échéances
électorales, une juste et égale représentation des femmes en politique,
l'Assemblée nationale, à la quasi-unanimité, est allée au-delà de la simple
obligation de composition paritaire des listes, en précisant, notamment,
l'ordre de présentation des candidates et des candidats.
Adoptée définitivement et validée par le Conseil constitionnel, la loi du 6
juin 2000 tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats
électoraux et fonctions électives dispose désormais que les formations
politiques doivent présenter des listes paritaires alternées pour les élections
au scrutin proportionnel et des listes paritaires au sein de chaque groupe de
six candidats pour les scrutins de listes à deux tours.
Voilà autant de dispositions qui ont cristallisé vos critiques, mes chers
collègues, et qui suscitent encore, de votre part, messieurs de la majorité
sénatoriale, un profond rejet, dans la mesure où vous les jugez excessives et
trop contraignantes.
Fidèle à la position prise au cours des lectures précédentes, le rapporteur
nous suggère, au nom de la commission des lois, de nous en tenir à la simple
inscription du principe de composition paritaire des listes de candidats pour
les territoires d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie et, par conséquent,
s'agissant des élections organisées sur un tour aux assemblées territoriales de
la Polynésie française, de Wallis-et-Futuna et de la Nouvelle-Calédonie, de
supprimer le mécanisme d'une parfaite alternance homme-femme sur les listes.
La souplesse que vous préconisez joue, en fait, contre la cohérence et
l'efficacité du dispositif retenu par l'Assemblée nationale.
Le principe de la parité, ses modalités d'application ne se doivent-ils pas
d'être pleinement identiques sur l'ensemble du territoire de la République ?
Vous vous défendez, messieurs, d'être opposés à la mise en oeuvre outre-mer de
la parité mais, sous couvert du principe de spécificité de ces territoires,
dont vous entendez préserver les particularités, vous acceptez que les
situations inégalitaires entre les hommes et les femmes demeurent dans la
sphère politique, ainsi que dans la sphère sociale et économique.
Pourtant, là peut-être plus qu'ailleurs, des démarches volontaristes
s'imposent. J'en veux pour preuve le récent rapport de notre délégation aux
droits des femmes sur « la situation profondément inégalitaire, les violences
faites aux femmes dans les départements d'outre-mer ».
Au moment où l'étape française de la marche mondiale des femmes, qui a eu lieu
ce week-end, nous rappelle l'aspiration universelle de celles-ci à lutter
contre toutes les formes de discrimination et à promouvoir l'égalité dans tous
les domaines, je me félicite que l'Assemblée nationale n'ait pas accepté le
statut provisoire envisagé pour Mayotte et que, à l'instar de ce qui est prévu
pour la métropole, toutes les collectivités d'outre-mer - la Polynésie
française y compris ! - se voient appliquer le régime de droit commun.
Dès lors, nous ne pouvons que regretter la démarche du Sénat, qui, une fois de
plus, est très en retrait par rapport à la version enrichie retenue par
l'Assemblée nationale pour rendre plus effective l'égalité entre les hommes et
les femmes et faire ainsi évoluer notre démocratie.
(Applaudissements sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les
travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
(pour coordination)