SEANCE DU 12 OCTOBRE 2000
M. le président.
Par amendement n° 469, M. Loridant, Mme Beaudeau, M. Foucaud, Mme Terrade, et
les membres du groupe communiste républicain et citoyen, proposent d'insérer,
après l'article 70
bis
, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les opérations qui auraient pour effet de porter à plus de 20 % le
pourcentage des titres détenus par les non-résidents, non-domiciliés dans un
Etat de l'Union européenne ou un Etat partie de l'Espace économique européen,
dans le capital d'une société dont les titres sont cotés en bourse, sont
soumises à autorisation du Gouvernement sur le rapport du ministre chargé de
l'économie et des finances. »
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Cet amendement aurait pu, sous certaines conditions, être placé ailleurs dans
le présent texte, mais il n'en garde pas moins toute son acuité.
Il s'agit, en effet, de revenir sur une question essentielle : celle de la
présence des investisseurs d'origine étrangère dans notre pays, s'agissant
notamment des opérations de prise de contrôle ou de participation là où elles
interviennent.
Vous voyez, chers collègues, malgré tous les défauts de son système fiscal et
social, la France continue d'attirer assez largement les capitaux d'origine
étrangère. Ses entreprises, notamment celles qui sont aujourd'hui concernées
par les problèmes récurrents de succession et de transmission, sont
susceptibles d'attirer également ces capitaux.
A compter d'un certain niveau de maîtrise du capital d'une entreprise, ces
investissements sont, de notre point de vue, tout à fait susceptibles d'influer
sur la marche générale de l'entreprise dans son ensemble, sur ses stratégies
industrielles et commerciales, sur sa gestion des investissements et des
facteurs de production matériels et humains.
Il ne nous semble donc pas vraiment inutile que la puissance publique puisse
avoir son mot à dire sur ces questions et rende, par conséquent, un avis
motivé, valant autorisation, dans la poursuite de ces opérations.
Bien entendu, certains vont nous reprocher ici de revenir aux temps révolus de
l'économie administrée, où le pouvoir politique s'arrogeait le droit de décider
à la place des acteurs de la vie économique.
Pour autant, la question qui nous est posée mérite qu'on l'étudie sans
a
priori
idéologiques.
Dans un contexte de mondialisation des échanges commerciaux et des
transactions sur les capitaux comme sur les biens ou les services, est-il
véritablement inconcevable que le pouvoir politique, en ce qu'il est
l'émanation de la volonté populaire, se prive de quelques outils de politique
qui, à défaut d'être une démarche programmatique et définitivement établie et
structurée, constituerait les leviers de politique économique, avec tout ce que
cela implique ?
La démocratie à laquelle nous sommes tous attachés ici peut-elle durablement
souffrir du défaut de l'impuissance à intervenir sur un aspect fondamental de
la vie de la collectivité, celui de l'économie ?
Ne devons-nous pas, dans ce contexte où l'interrogation citoyenne se fait
chaque jour de plus en plus forte sur les formes de la démocratie
représentative, tenir compte du fait que le pouvoir politique semble avoir
renoncé à intervenir concrètement dans la vie économique du pays ?
C'est aussi le sens de notre amendement n° 469, qui offre concrètement une
appréhension nouvelle de l'action de l'Etat dans ces matières, à la lumière,
bien entendu, des nécessités et de l'attente de nos citoyens.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
La commission est désolée qu'un tel amendement puisse venir
en discussion en l'an 2000. Je ne vais pas faire de commentaires...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mais si !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
A chacun sa liberté, à chacun sa conception !
Mes chers collègues, nous sommes comme vous préoccupés par la part croissante
des investisseurs étrangers non européens dans la capitalisation de nos grandes
sociétés. Mais le moyen que vous envisagez n'est pas concevable. Pour aller
dans le sens que vous souhaitez, il y a une bonne formule - il n'est jamais
trop tard pour se convertir - c'est de soutenir la création de fonds de pension
à la française, qui permettraient de recueillir l'épargne nationale et de la
diriger vers les entreprises, de telle sorte qu'il y ait davantage
d'investisseurs représentatifs de notre épargne nationale dans le capital des
grandes entreprises que ce n'est le cas actuellement !
(Mme Beaudeau
sourit.)
Je me permets de vous suggérer cette solution dont vous pourriez peut-être
approfondir l'étude, car celle que vous préconisez n'est vraiment pas
imaginable : c'est de l'expropriation généralisée sans indemnité aucune, c'est
la négation de tout marché, cela n'est pas concevable un seul instant !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Je voudrais d'abord indiquer à M. le rapporteur que ce
n'est pas en créant des systèmes que l'on crée l'épargne. C'est là aussi un
vieux débat.
En 1999, madame Beaudeau, les investissements étrangers en France ont
représenté 39,1 milliards de dollars et plusieurs milliers d'emplois, plaçant
notre pays au sixième rang mondial. Au-delà de ces chiffres en eux-mêmes
significatifs, ces investissements ont un impact très important en termes
d'aménagement du territoire. En effet, ils se localisent souvent dans des zones
éligibles à la prime d'aménagement du territoire où le taux de chômage est
supérieur à celui de la moyenne nationale.
L'amendement présenté conduirait à revenir à la situation prévalant avant
1989, c'est-à-dire à abandonner la notification
a posteriori
et à
revenir au régime de déclaration préalable. Son adoption serait susceptible
d'affecter la compétitivité du territoire non seulement face à nos partenaires
de la zone euro mais aussi face à nos concurrents à l'extérieur de celle-ci.
Indirectement, plusieurs milliers d'emplois seraient potentiellement menacés,
ce que nous ne pourrions que déplorer.
D'un point de vue juridique, sa compatibilité avec les développements récents
de la jurisprudence communautaire pourrait poser des problèmes dans la mesure
où la Cour de justice des communautés européennes a jugé récemment que les
restrictions au principe de libre circulation des capitaux devaient obéir au
principe de proportionalité. Je comprends toutefois que vous vous opposiez à ce
point de droit.
Pour répondre aux préoccupations exprimées par les sénateurs signataires de
cet amendement, je dirai que, en l'état actuel du droit, la France dispose
d'instruments efficaces pour faire prévaloir l'intérêt national chaque fois que
cela est nécessaire.
Certains régimes spéciaux prévoient des garanties spécifiques. A titre
d'exemple, le régime législatif de droit commun prévoit un système
d'autorisation préalable lorsque l'investissement étranger est lié à l'exercice
de l'autorité publique, est de nature à mettre en cause l'ordre public, la
santé publique ou la sécurité publique ou est réalisé dans un secteur relevant
de la défense nationale. Faute d'autorisation ou faute d'avoir satisfait aux
conditions fixées par l'autorisation, le ministère chargé de l'économie, après
mise en demeure, peut enjoindre à l'investisseur de ne pas donner suite à
l'opération, de la modifier ou de faire rétablir à ses frais la situation
antérieure.
Le Gouvernement considère que le régime actuel concilie de façon satisfaisante
le souci de développer, à travers l'investissement étranger, la croissance et
l'emploi et permet chaque fois que cela est nécessaire la sauvegarde de
l'intérêt national. Par conséquent, il n'est pas favorable à l'amendement
présenté. Compte tenu des précisions qui ont été apportées, nous souhaitons son
retrait.
M. le président.
Madame Beaudeau, l'amendement est-il maintenu ?
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Oui, monsieur le président.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 469, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 70 ter (priorité)