SEANCE DU 24 OCTOBRE 2000


M. le président. La parole est à M. Grignon, auteur de la question n° 879, adressée à M. le secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants.
M. Francis Grignon. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie tout d'abord de vous être déplacé pour répondre à cette unique question.
Celle-ci porte sur la mise en place de l'indemnisation des anciens incorporés de force dans le Reichsarbeitsdienst, le RAD, service du travail forcé institué par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale.
Voilà plus de deux ans était adopté le principe de l'attribution d'une allocation aux anciens incorporés dans le RAD et le KHD. Le financement de cette allocation doit être assuré conjointement par l'Etat et par la fondation Entente franco-allemande. Le niveau de cette contribution dépendra du nombre de bénéficiaires, qui devrait être connu prochainement. Ils sont de l'ordre de 8 000 à 9 000.
D'après la loi française inscrite dans le code des pensions militaires d'invalidité, les RAD avaient droit à l'indemnisation allemande, mais la rédaction du règlement intérieur de la fondation les en a exclus. Ainsi, un jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg les a, une première fois, déboutés de leur demande. La fondation ne peut pas ne pas appliquer son règlement intérieur. C'est la raison pour laquelle il ne semble pas possible de trouver une solution sur le plan juridique.
Il reste la volonté politique.
La fondation Entente franco-allemande propose d'utiliser les fonds disponibles pour indemniser les anciens RAD. Mais, en contrepartie, il est demandé au secrétaire d'Etat de compléter par un effort au moins comparable la contribution de la fondation.
Cette mesure d'équité envers les victimes du travail forcé permettrait de clore définitivement ce douloureux dossier par un financement qui n'atteindrait peut-être pas le même niveau que celui dont bénéficient les incorporés de force dans l'armée allemande, la Wehrmacht, voire, comme certains le suggèrent, avec une différenciation pour ceux de nos compatriotes qui ont été incorporés au travail forcé dans les zones de combat. Quoi qu'il en soit, on ne peut pas laisser ces quelque 9 000 personnes dans l'attente.
Je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, de prendre un engagement quant à la date et à la mise en oeuvre de règles précises de paiement de l'indemnisation des anciens incorporés dans le RAD.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants. Monsieur le sénateur, les 9 000 personnes dont vous parlez sont dans l'attente depuis 1945, en tout cas depuis la Libération.
Vous évoquez un problème très particulier de l'Alsace-Moselle résultant de l'annexion de fait des trois départements par l'Allemagne nazie qui a développé une politique de « nazification » et de germanisation de ces trois départements de 1940 à 1944, notamment en appelant les jeunes Alsaciens et Mosellans au service de l'armée nazie, dans les organisations paramilitaires, puis en les incorporant de force dans la Wehrmacht.
A la Libération, la France a mis au point des statuts relevant du code des pensions militaires d'invalidité, tendant à la prise en compte des blessures et des maladies. Puis, le temps passant, un débat s'est instauré entre la France et l'Allemagne portant sur l'indemnisation des incorporés de force.
Un accord est intervenu en mars 1981, mis en oeuvre par Jean Lorrain, ministre des anciens combattants, à partir du mois de juin 1981. Ainsi a été créée la fondation Entente franco-allemande, chargée de répartir l'indemnisation versée par l'Allemagne.
C'est là que la première difficulté apparaît, vous l'avez vous-même souligné. En effet, dans le règlement intérieur de la fondation Entente franco-allemande, l'indemnisation a été exclusivement affectée aux incorporés de force dans l'armée, dans la Wehrmacht ; nous en sommes là depuis lors.
J'ai repris le dossier en 1997 en faisant d'abord constater que la fondation pourrait et devrait indemniser les dossiers encore en suspens représentant les personnes ayant servi dans des installations militaires sans pour autant avoir la qualité d'incorporés de force dans la Wehrmacht.
C'est ainsi que, depuis 1997, 1 500 dossiers ont été pris en charge sur le fondement de la jurisprudence Kocher, c'est-à-dire qu'on a assimilé les intéressés à des incorporés de force bien qu'ils n'aient pas eu la qualité juridique de militaires.
Restent les autres. Leur nombre se situe autour de 9 000, vous l'avez indiqué, le chiffre est exact. Alors, que faire ?
En 1997-1998, je me suis tourné vers la fondation en lui demandant ce qu'elle pouvait faire pour indemniser celles et ceux qui avaient été incorporés de force dans des organismes paramilitaires, puisqu'il lui restait de l'argent dans sa caisse.
Une décision a été soumise au conseil d'administration de la fondation, qu'il a adoptée au mois de juin 1998. Aux termes de celle-ci, la fondation acceptait de verser quelque chose à la condition que l'Etat verse de son côté. Il est donc demandé à l'Etat de venir en soutien pour une indemnisation qui, à l'origine, doit être prise en charge par l'Allemagne, par le biais de la fondation Entente franco-allemande. Nous en sommes donc là.
Aujourd'hui, je demande à la fondation d'utiliser son reliquat de ressources pour verser, selon la décision qui a été prise, une indemnisation au bénéfice des hommes et des femmes, essentiellement des femmes, ayant connu le Reichsarbeitsdienst.
Pour le reste, j'ai une vraie interrogation qui concerne au premier chef le contentieux qui existe au sein de la fondation. La situation pour l'instant est en l'état, monsieur le sénateur. Aussi y a-t-il encore du travail à faire de part et d'autre pour régler positivement cette question des Reichsarbeitsdienst.
M. Francis Grignon. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon. Monsieur le secrétaire d'Etat, je relèverai simplement deux points.
D'abord, vous dites que les personnes attendent depuis la fin de la guerre. Mais toute cette question a été ravivée par la décision prise voilà deux ans de prévoir le versement d'une indemnité : nous sommes sollicités en permanence.
Ensuite, pas plus de 9 000 personnes sont concernées : chacun est donc bien conscient que le niveau de l'indemnisation ne peut pas atteindre le niveau de celle qui est versée aux personnes incorporées de force dans la Wehrmacht, qui touchent un forfait de 9 500 francs. Si, par exemple, le montant de l'allocation était fixé à 4 000 francs, cela représenterait une somme de 36 millions de francs, ce qui, dans le budget des uns et des autres, n'est pas extraordinaire.
Il est dommage de se renvoyer la balle. Peut-être vaudrait-il mieux que vous nous disiez clairement : « Non, l'Etat français ne participera jamais à cette indemnisation qui revient à l'Etat allemand ! »

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