SEANCE DU 7 NOVEMBRE 2000
M. le président.
Par amendement n° 56, M. Lauret propose d'insérer, après l'article 38
bis,
un article additionnel ainsi rédigé :
« Le statut monodépartemental de la Réunion est confirmé. Toute modification
du périmètre de ce département devra être précédée d'une consultation pour avis
de sa population. »
La parole est à M. Lauret.
M. Edmond Lauret.
La possibilité d'organiser la consultation des populations des départements
d'outre-mer constitue une mesure d'adaptation qui semble entrer dans le champ
de l'article 73 de la Constitution.
En effet, les départements d'outre-mer étant les seules régions françaises
monodépartementales, cette situation singulière justifie qu'une procédure
spécifique de consultation de leur population sur les évolutions
institutionnelles soit mise en place.
La possibilité d'organiser une telle consultation à l'échelle d'une
collectivité territoriale d'outre-mer supracommunale a d'ailleurs été reconnue
par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 4 mai 2000 relative à la loi
organisant la consultation de la population de Mayotte sur l'évolution
institutionnelle de ce territoire.
Le projet de bidépartementalisation de la Réunion voulu par le Gouvernement
suscite une très forte opposition de la population et des élus locaux du
conseil régional et du conseil général, ainsi que de l'ensemble des forces
vives de l'île.
Trois sondages réalisés en l'espace d'un an ont confirmé cette hostilité, le
dernier faisant apparaître que 63 % des habitants s'opposent à ce découpage de
l'île.
Une consultation pour avis s'impose donc ; elle aura le mérite de permettre au
Gouvernement de prendre sa décision en connaissance de cause.
Dans une démocratie qui se respecte, on ne peut pas refuser que la population
dise son sentiment ou admettre que la population soit bâillonnée par un
amendement tel l'amendement n° 211 déposé à l'Assemblée nationale par M. Elie
Hoarau, M. Claude Hoarau et par Mme Bello, qui visait à ne pas faire appel à la
consultation de la population.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. José Balarello,
rapporteur.
La commission a longuement discuté du problème qui nous est
soumis par M. Lauret.
J'indique d'emblée que notre commission a décidé de s'en remettre à la sagesse
du Sénat. Certes, il faudra en arriver tôt ou tard, et le plus tôt sera le
mieux, à la consultation des populations, non seulement dans les départements
d'outre-mer mais peut-être aussi ailleurs, dans d'autres secteurs que je ne
nommerai pas ce soir.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ah !
M. José Balarello,
rapporteur.
Cela étant, nous nous sommes demandé si cet amendement
n'était pas contraire à la Constitution. Certes, nous avons le précédent de la
consultation de Mayotte.
M. Lucien Lanier.
Oui !
M. José Balarello,
rapporteur.
J'avais été le rapporteur du texte. Nous avons examiné la
décision du Conseil constitutionnel du 4 mai 2000 concernant Mayotte. Je vous
donne lecture du considérant relatif à la consultation :
« Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa du préambule de la Constitution
de 1958, en vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des
peuples, la République offre aux territoires d'outre-mer qui manifestent la
volonté d'y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l'idéal commun de
liberté, d'égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution
démocratique ;
« Que pour la mise en oeuvre de ces dispositions, les autorités compétentes de
la République sont, dans le cadre de la Constitution, habilitées à consulter
les populations d'outre-mer intéressées, non seulement sur la volonté de se
maintenir au sein de la République française ou d'accéder à l'indépendance,
mais également sur l'évolution statutaire de leurs collectivités territoriales
à l'intérieur de la République ;
« Que toutefois, dans cette dernière éventualité, lesdites autorités ne
sauraient être liées en vertu de l'article 72 de la Constitution par le
résultat de cette consultation. »
Le problème provient du fait que le deuxième alinéa du préambule de la
Constitution stipule que : « En vertu de ces principes et de celui de la libre
détermination des peuples, la République offre aux territoires d'outre-mer qui
manifestent la volonté d'y adhérer des institutions nouvelles fondées sur
l'idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité et conçues en vue de leur
évolution démocratique. »
C'est la raison pour laquelle la commission des lois s'est interrogée sur la
constitutionnalité de la consultation envisagée et a recherché des éléments
susceptibles d'apporter une réponse, notamment la décision du Conseil
constitutionnel du 4 mai 2000 concernant Mayotte.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
J'ai le sentiment que, derrière la sagesse du Sénat
qu'invoquait à l'instant M. le rapporteur, se cache sans doute quelque embarras
devant plusieurs arguments juridiques que M. Balarello aurait certainement
souhaité évoquer et qui plaident contre la constitutionnalité de cet
amendement.
Je voudrais dire simplement, pour ma part, qu'est affirmé à l'article 1er du
projet de loi d'orientation pour l'outre-mer le droit à la consultation des
populations en cas d'« évolutions statutaires ». Or, une réforme
administrative, une modification des limites des départements constituent non
pas une évolution statutaire mais une décision relevant très clairement de la
responsabilité du Parlement. J'ai envie de dire, à ce stade de la discussion,
mesdames, messieurs les sénateurs, que les parlementaires prennent dans ce
domaine leurs responsabilités, avec la possibilité de fixer dans la loi les
nouvelles limites des départements.
Je n'ai d'ailleurs pas entendu M. le Président de la République, qui s'est
exprimé au moins à deux reprises sur le principe de la bidépartementalisation,
poser en préalable comme condition nécessaire la consultation des populations.
Il s'agit bien là, je le répète, d'une réforme d'ordre administratif, à la
différence, bien sûr, d'autres épisodes récents pour lesquels il a été
nécessaire d'opérer une consultation locale ou une consultation nationale : je
pense, à cet égard, à la Nouvelle-Calédonie ou à Mayotte.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 56.
M. Edmond Lauret.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Lauret.
M. Edmond Lauret.
Je dois avouer que je ne comprends plus, monsieur le secrétaire d'Etat ! J'ai
cité, dans l'exposé des motifs de mon amendement, un paragraphe entier du
rapport de M. Jérôme Lambert, qui n'appartient pas à nos rangs. Alors, vérité à
l'Assemblée nationale, erreur au Sénat ? M. Jérôme Lambert dit que c'est
possible. Je ne comprends plus ! En tout cas, je maintiens mon amendement.
M. Georges Othily.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous avons adopté, dans le corps de l'article 1er du projet de loi
d'orientation, voilà quelques instants, une phrase aux termes de laquelle, dans
le cadre de la République, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la
Réunion ont la possibilité d'évoluer, à l'avenir, vers une organisation
institutionnelle qui leur soit propre.
Je suis favorable à toute évolution institutionnelle des départements
d'outre-mer, parce que le département et la loi ne doivent pas être figés. Je
considère que la consultation est souhaitable, valable et possible.
La consultation des Français est un élément essentiel de la démocratie,
principalement de sa forme directe. Elle a été considérablement renforcée sous
la Ve République, qui l'a placée sur le même plan que la démocratie
représentative au sein de l'article 3 de la Constitution de 1958. Le premier
alinéa de ce dernier dispose en effet ceci : « La souveraineté nationale
appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du
référendum. »
Le deuxième alinéa de ce même article précise cependant ceci : « Aucune
section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. » La
consultation d'une fraction du corps électoral est entourée de règles
constitutionnelles qui sont d'autant plus solennelles qu'elles ne bénéficient
pas de définition incontestée.
L'actualité du droit de l'outre-mer a donné l'occasion au Conseil
constitutionnel de préciser certains éléments de la consultation des
populations d'une partie du territoire français, dans sa décision 2000-428 DC
du 4 mai 2000, à propos de la loi organisant une consultation à Mayotte.
Les précisions apportées par le juge constitutionnel ne résolvent pas toutes
les difficultés relatives à une telle consultation, mais il est possible de
classer celles-ci autour de quatre questions : quelle est la population ou
quelles sont les populations qui peuvent être consultées ? Quel est l'objet de
la question qui peut être posée ? Quelle peut être la portée d'une telle
consultation ? Quelles sont les conditions formelles qui doivent entourer la
consultation ?
Dans sa décision du 4 mai 2000, le Conseil constitutionnel considère que la
consultation et la loi qui l'organise trouvent leur fondement dans l'alinéa 2
du préambule de la Constitution de 1958. Notre excellent rapporteur ayant cité
in extenso
le sixième considérant de cette décision, je n'y reviendrai
pas.
Cette argumentation du Conseil constitutionnel appelle plusieurs observations,
mais je n'en citerai qu'une : le Conseil a une conception assez peu précise de
la notion de « peuples » ou de « populations d'outre-mer ». Si le premier terme
renvoie expressément à des peuples distincts du peuple français, ceux des
territoires d'outre-mer existant en 1958 et qui devaient se prononcer sur
l'acceptation des nouvelles institutions, la notion de « population d'outre-mer
» est beaucoup plus neutre et ne paraît désigner qu'un groupe de personnes
géographiquement déterminées, par leur situation « ultra-marine », sans
qu'elles forment pour autant un véritable « peuple ». La référence aux
populations d'outre-mer est renouvelée au douzième considérant de la décision
de mai 2000.
Il n'est pas indifférent de constater que, si des populations d'outre-mer
peuvent être consultées, et non des peuples, celles des départements
d'outre-mer peuvent l'être aussi. La seule limite posée par le Conseil
constitutionnel concerne l'outre-mer, ce qui interdit d'organiser une
consultation en métropole, sous réserve de la question de la Corse dont la
situation ultra-marine est désormais évoquée de manière expresse par certains
commentateurs ou analystes.
Le Conseil constitutionnel semble alors assimiler tout « territoire
d'outre-mer » au sens géographique du mot aux « territoires d'outre-mer » au
sens juridique du même mot. Dans ce cas, on ne voit pas ce qui interdirait non
plus la consultation dans les départements d'outre-mer, sauf à estimer que ce
qui est possible à Mayotte ne l'est pas dans les départements d'outre-mer au
motif que Mayotte fut, autrefois, dans le cadre des Comores, un véritable
territoire d'outre-mer. Mayotte n'est cependant pas non plus un département
d'outre-mer, ni à l'heure actuelle ni même dans le cadre du futur statut, même
si l'île sera une « collectivité départementale ».
Le Conseil constitutionnel considère d'ailleurs que les populations concernées
peuvent également être consultées sur des évolutions statutaires, ce qui, à mon
avis, élargit considérablement le champ de ces consultations.
Je terminerai cet exposé par quatre remarques.
Les populations d'outre-mer, mais elles seules, peuvent être consultées. Cela
vise aussi bien les populations des départements d'outre-mer que des
territoires d'outre-mer. La seule incertitude concerne les limites de
l'outre-mer, et, à cet égard, je pense à la Corse.
La question posée peut concerner un autre objet que celui du maintien ou non
du territoire dans le sein de la République française. Ainsi, une question sur
l'avenir, sur l'évolution du statut de la collectivité territoriale ou un autre
objet, peut être posée. Il n'y a pas de limite matérielle à la question
posée.
Il y a, en revanche, une limite dans la formulation : la consultation ne peut
être qu'une demande d'avis et certainement pas une obligation qui viendrait
lier les législateurs que nous sommes.
La consultation, par conséquent, doit correspondre à des critères de clarté et
de loyauté, et ne doit pas tromper la population sur le sens caché de la
question. Parmi ces exigences figure notamment et principalement celle selon
laquelle la consultation ne doit pas être un référendum déguisé.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
L'amendement n° 56 soulève beaucoup plus de problèmes qu'il n'y paraît.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je crois d'ailleurs que vous n'avez pas assez
bien répondu à la question posée par cet amendement.
En effet, nous avons une carence de réflexion en ce qui concerne - et notre
collègue Georges Othily l'a très bien dit à l'instant même - la différence
entre territoire et département d'outre-mer.
Voilà bien longtemps que le droit d'outre-mer n'est plus enseigné dans les
universités de droit - c'est d'ailleurs bien dommage ! -, la dernière édition
d'un manuel de droit d'outre-mer datant, si mes souvenirs sont exacts, de 1962,
son auteur étant François Luchaire, ancien membre du Conseil
constitutionnel.
Il est temps, monsieur le secrétaire d'Etat, que vos services lancent une
étude, une recherche sur ces concepts juridiques que nous n'étudions plus
depuis longtemps et qui mériteraient pourtant de l'être. En effet, nous nous
trouvons ici au coeur même de problèmes de droit, de droit constitutionnel et
administratif en particulier.
A l'heure actuelle, nous ne savons pas, avec les outils juridiques dont nous
disposons, régler le problème posé. On l'a bien vu, la notion de consultation
soulève nombre de problèmes : la consultation est-elle permise ou pas par la
Constitution ? Est-elle un référendum ? Est-elle un simple avis ? Qui doit-on
consulter ? Comment doit-on consulter ? Comment doit-on poser les questions ?
La consultation engage-t-elle l'ensemble du peuple français de la République
une et indivisible ? Le département d'outre-mer a-t-il une autre vocation que
de faire partie de la République une et indivisible ? Voilà toute une série de
questions que nous devons soulever et que nous ne sommes pas en mesure de
régler aujourd'hui.
Je regrette, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous n'ayez pas fait preuve
d'esprit révolutionnaire dans ce domaine en reconnaissant que des problèmes
existent et qu'ils doivent donc être traités, qu'il est normal que le
département engage un grand débat sur ces questions de consultation de
population. A terme, cela concerne non pas seulement l'outre-mer, mais aussi la
métropole, nos régions, le problème des minorités nationales, la question des
langues, autant de sujets qu'il faut pouvoir traiter avec des outils juridiques
nouveaux que nous n'avons pas.
J'étais prêt à demander à M. Lauret de retirer son amendement si le
Gouvernement manifestait un début d'esprit d'ouverture dans cette nécessaire
réflexion que nous devons entamer. Je n'ai pas noté ce début d'ouverture. C'est
la raison pour laquelle je voterai l'amendement !
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Je tiens à dire à M. Gélard que je suis tout à fait
ouvert à un tel débat, y compris dans cet hémicycle, bien évidemment. Encore
faudrait-il qu'il ait lieu au bon moment de la discussion. Or, le bon moment,
ce n'est certainement pas l'article 38 de ce projet de loi, qui concerne la
bidépartementalisation, c'est-à-dire, je le répète, une réforme administrative,
laquelle n'est en rien une évolution statutaire et ne relève en rien de la
consultation des populations !
De grâce, par conséquent, considérons que nous ferions fausse route, les uns
et les autres, en évoquant, à l'occasion de la bidépartementalisation, ces
questions absolument fondatrices pour la République dans sa relation avec
l'outre-mer !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 56, repoussé par le Gouvernement et pour
lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 38
bis.
Intitulé du chapitre IV du titre VI (suite)