SEANCE DU 21 NOVEMBRE 2000
CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE
SUR LES CONDITIONS D'UTILISATION
DES FARINES ANIMALES
Adoption d'une proposition de résolution
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la
commission des affaires sociales sur la proposition de résolution (n° 73,
2000-2001) de MM. Jean Arthuis, Guy-Pierre Cabanel, Henri de Raincourt et
Josselin de Rohan tendant à la création d'une commission d'enquête sur les
conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux
d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs.
[Rapport n° 88 (2000-2001) et avis n° 81 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
mes chers collègues, la commission des affaires sociales a été saisie de la
proposition de résolution présentée par MM. Jean Arthuis, Guy-Pierre Cabanel,
Henri de Raincourt et Josselin de Rohan tendant à la création d'une commission
d'enquête sur les conditions d'utilisation des farines animales dans
l'alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent pour
la santé des consommateurs.
Rappelant « la gravité des développements récents de la crise liée à
l'alimentation animale et à l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine »
ainsi que la « forte inquiétude chez nos concitoyens », les auteurs de la
proposition de résolution estiment que « le Parlement ... ne peut être absent
d'un débat aussi essentiel pour la santé des consommateurs. Il est de son rôle
de donner à nos concitoyens et à tous les acteurs concernés tous les éléments
de jugement sur des questions aussi graves ».
La commission d'enquête devrait notamment, selon les auteurs de la proposition
de résolution, « déterminer les conditions et le périmètre des contrôles opérés
par les pouvoirs publics sur l'importation et l'utilisation de farines
animales, en particulier britanniques ; évaluer les éventuelles solutions de
substitution et d'élimination de ces farines animales ; vérifier la bonne
application du système de traçabilité des produits mis en place depuis 1996 ;
s'assurer du respect du principe de précaution à tous les niveaux de la chaîne
agro-alimentaire ; mesurer les efforts engagés par l'Etat en matière
d'identification de l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine ».
Pour les auteurs de la proposition de résolution, « tous ces éléments doivent
contribuer à assurer la transparence et la précaution, deux principes
indispensables à la protection de la santé de nos concitoyens ».
La commission des affaires sociales a donc examiné l'opportunité de la
création d'une telle commission d'enquête.
Elle avait été saisie voilà un peu plus d'un an d'une proposition de
résolution présentée par Mme Odette Terrade et les membres du groupe communiste
républicain et citoyen, tendant à créer une commission d'enquête sur la
sécurité sanitaire et alimentaire des produits destinés à la consommation
animale et humaine en France et dans l'Union européenne.
La commission des affaires sociales n'avait pas été, alors, favorable à la
constitution d'une telle commission d'enquête. Elle avait, en effet, considéré
que ses auteurs attendaient des travaux du Sénat moins une véritable « enquête
» qu'une étude approfondie et des propositions.
Elle avait dès lors estimé que les dispositions de l'article 21 du règlement
du Sénat, qui prévoient que le Sénat peut, sur leur demande, octroyer aux
commissions permanentes ou spéciales l'autorisation de désigner des missions
d'information sur les questions relevant de leur compétence, apparaissaient
plus adaptées pour parvenir au résultat recherché par les auteurs de la
proposition de résolution.
La sécurité sanitaire des aliments constitue en effet une compétence de la
commission des affaires sociales, à qui il appartient d'examiner toutes les
questions relatives à la santé de l'homme, et notamment du consommateur.
La commission des affaires sociales a, sur ces sujets, fait usage de sa
compétence en constituant, en 1996, une mission d'information sur les
conditions du renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité
sanitaire des produits destinés à l'homme, dont le rapport d'information a été
annexé au procès-verbal de la séance du 30 janvier 1997.
Les travaux de cette mission ont conduit au dépôt d'une proposition de loi
adoptée définitivement par le Parlement le 18 juin 1998.
La loi du 1er juillet 1998, issue des travaux de notre commission, a constitué
une réforme majeure de l'administration sanitaire française, de la veille
sanitaire au contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.
Les nouvelles institutions créées par cette loi - l'Institut de veille
sanitaire, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et
l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments - ont été installées au
printemps 1999.
En conséquence, la commission des affaires sociales avait estimé qu'établir un
bilan du fonctionnement de ces agences moins de six mois après leur mise en
place aurait été prématuré.
Elle avait d'ailleurs relevé que, en ce qui concerne la gestion de l'affaire
dite de « la vache folle », l'intervention de l'Agence française de sécurité
sanitaire des aliments avait été exemplaire. C'est en effet sur le fondement
d'un rapport des experts de l'agence que le Gouvernement français a décidé, le
1er octobre 1999, d'interrompre la procédure de levée de l'embargo sur
l'importation de viande bovine d'origine britannique.
Soucieuse d'un suivi attentif de ce dossier, la commission des affaires
sociales a organisé, le 25 mai 2000, une journée d'auditions publiques
consacrées à l'application de la loi et, plus largement, à l'état des lieux et
aux perspectives dans le domaine de la sécurité sanitaire en France et en
Europe. Elle a manifesté l'intention de connaître, à cette occasion, le point
de vue des agences, celui des producteurs, des consommateurs, des experts, des
journalistes spécialistes de ces questions, des responsables ministériels
concernés ainsi que celui du commissaire européen chargé de la protection de la
santé et des consommateurs. Cette journée d'auditions a donné lieu à un rapport
d'information publié en mai dernier.
Saisie d'une demande identique de constitution de commission d'enquête,
l'Assemblée nationale a, pour sa part, fait un choix différent, en décidant, le
7 octobre 1999, la création d'une commission d'enquête sur la transparence et
la sécurité sanitaire de la filière alimentaire en France.
Cette commission d'enquête, présidée par M. Félix Leyzour, député des
Côtes-d'Armor, et dont M. Daniel Chevallier, député des Hautes-Alpes, était le
rapporteur, a rendu ses conclusions le 29 mars 2000.
Elle s'est notamment interrogée sur l'interdiction des farines animales, dont
les inconvénients lui sont apparus, au terme d'un large débat, plus grands que
les avantages.
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'en quelques mois le contexte a
profondément évolué !
Le 25 octobre dernier, le Président de la République déclarait en effet au
salon international de l'alimentation : « Il n'est pas admissible que, dix ans
après leur interdiction, des traces de farines animales puissent encore être
trouvées dans l'alimentation des bovins. La question de l'interdiction de ces
farines pour l'alimentation de tous les animaux d'élevage doit être posée afin
d'empêcher toute contamination croisée. »
Le mardi 7 novembre, le Président de la République réaffirmait cette
conviction : « Nous devons sans retard interdire les farines animales et
prendre le cap du dépistage systématique de la maladie, afin de limiter, autant
qu'il est techniquement possible, les risques de contamination. »
Pour sa part, le Premier ministre annonçait, le 14 novembre, un renforcement
du dispositif de sécurité sanitaire reposant sur sept volets : la suspension de
l'utilisation des farines de viande et d'os dans l'alimentation des porcs, des
volailles, des poissons ainsi que des animaux domestiques ; la poursuite des
mesures de retrait des tissus dits à risques ; le renforcement des moyens de
contrôle sur l'ensemble de la chaîne alimentaire ; l'extension du dépistage de
l'ESB par les tests biologiques ; la préparation de mesures de retrait de la
chaîne alimentaire de certaines catégories de bovins ; le renforcement des
mesures de précaution et de sécurisation pour la santé de l'homme contre le
risque éventuel de transmission de la maladie humaine à l'occasion des
activités de soins ; le renforcement de la recherche.
A la lumière de ces événements récents, la création d'une commission d'enquête
sur les conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des
animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des
consommateurs apparaît pleinement justifiée.
A un moment où l'opinion publique semble gagnée par une profonde inquiétude,
cette commission d'enquête pourrait dresser un constat objectif de la situation
et formuler des propositions pour l'avenir.
On sait aujourd'hui que la première cause de l'émergence de l'encéphalopathie
spongiforme bovine, l'ESB, en France réside dans les farines de viandes et d'os
importées du Royaume-Uni et destinées à l'alimentation du bétail.
Le système de fabrication de ces farines incorporait à l'origine la totalité
du cerveau et de la moelle épinière, là où l'agent pathogène, le prion, est
essentiellement présent lorsque les animaux sont malades. Des changements dans
le processus de fabrication de ces farines - diminution de la température et de
la pression - décidés en Grande-Bretagne au début des années 1980, ont accéléré
la transmission de cet agent au sein de l'espèce. A ce jour, on a détecté 180
000 bovins britanniques atteints de l'ESB.
Tirant les conclusions de la mise en évidence de ce mode de contamination, la
France a décidé, en juillet 1990, de retirer les farines animales de
l'alimentation des bovins. En décembre 1994, l'interdiction a été étendue à
l'ensemble des ruminants : bovins, ovins et caprins.
Sont cependant apparus parallèlement des cas français dits « NAIF »,
c'est-à-dire nés après l'interdiction des farines, attribués à la fraude, puis
à la « contamination croisée » : les farines destinées aux porcs et aux
volailles auraient « pollué » plus ou moins accidentellement les aliments
destinés aux bovins.
Combien y a-t-il aujourd'hui en France de bovins apparemment sains contaminés
par l'agent pathogène responsable de l'encéphalopathie spongiforme bovine ?
Rien, en l'état actuel des données épidémiologiques, ne permet de le dire.
Le premier cas d'ESB a été repéré en France en 1991 ; depuis, environ cent
quatre-vingts cas ont été identifiés, dont une quarantaine grâce aux tests
récemment développés et qui sont appliqués sur des bovins morts.
Or, l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine a, semble-t-il, réussi à
franchir la barrière d'espèce et à atteindre l'homme par voie alimentaire.
Le nombre de décès dus à la nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob,
liée à la maladie de la « vache folle », fait craindre en Grande-Bretagne une
épidémie de grande ampleur.
Selon les dernières statistiques officielles, quatre-vingt-quatre cas mortels
ont déjà été recensés dans le pays. « Une large partie du Royaume-Uni court un
risque grave », expliquaient il y a quelques mois trois des meilleurs
spécialistes internationaux de cette maladie.
Ainsi se trouve posée la question de l'exposition des populations européennes
à l'agent de la maladie de la « vache folle ». Cette question concerne tout
particulièrement la France, où la population a été plus exposée au risque
infectieux que celle des autres pays européens, du fait des importations
massives de farines et de viandes bovines britanniques. En France, on n'a
cependant recensé à ce jour que trois cas de la nouvelle variante de la maladie
de Creutzfeldt-Jakob.
La commission d'enquête devra donc apporter sa contribution à une meilleure
compréhension de cette problématique complexe dans un contexte où les
incertitudes scientifiques restent grandes.
L'exposé des motifs de la proposition de résolution couvre largement le champ
des investigations qui pourront être menées par la commission d'enquête.
Votre rapporteur souhaite, à cet égard, formuler trois observations.
Première observation : comme l'a affirmé le Président de la République, « dans
cette crise, aucun impératif ne peut être placé plus haut que l'exigence de la
santé publique. ... Aucune objection économique, aucune contrainte technique ne
peuvent être retenues qui seraient contraires à cet impératif. Tout doit donc
être mis en oeuvre pour parvenir à une sécurité maximale. » Votre rapporteur
souscrit pleinement à cette exigence.
Deuxième observation : dans des matières aussi complexes, la démarche retenue
doit être avant tout scientifique. Elle suppose à la fois prudence et
objectivité.
Le temps d'incubation de la nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
reste pour l'heure inconnu. Dès lors, les mesures prises depuis le début des
années 1990 peuvent limiter les risques à l'avenir ; elles n'empêcheront
vraisemblablement pas l'émergence de nouveaux cas dans les prochaines
années.
Il convient donc, en s'appuyant sur les données scientifiques les plus
récentes, de répondre aussi objectivement que possible aux attentes et aux
inquiétudes de l'opinion publique.
Troisième observation : il s'agit de rechercher les dysfonctionnements
éventuels et de comprendre le contexte dans lequel certaines décisions ont été
prises.
Au demeurant, les investigations de la commission d'enquête devront
naturellement porter sur les moyens mis en oeuvre par les pouvoirs publics et
les différents services publics pour répondre au défi sanitaire que
représentent la maladie de la vache folle et ses conséquences pour la santé
humaine.
En conséquence, la commission des affaires sociales a retenu pour ses
conclusions la proposition de résolution dans son texte initial. C'est ce texte
qu'elle vous propose d'adopter.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
A l'unanimité !
M. Claude Huriet,
rapporteur.
La commission des affaires sociales - j'en donne acte à son
président - s'est en effet prononcée à l'unanimité en faveur du texte de cette
proposition de résolution.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Patrice Gélard,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Quand elle n'est pas saisie au fond, la commission des lois n'a
qu'un rôle relativement formel.
L'article 11 de notre règlement prévoit en effet que « lorsqu'elle n'est pas
saisie au fond d'une proposition tendant à la création d'une commission
d'enquête, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale est appelée à
émettre un avis sur la conformité de cette proposition avec les dispositions de
l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, modifiée, ... »
L'article 6 de l'ordonnance précitée dispose que « les commissions d'enquête
sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits
déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises
nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a
créées. »
La proposition faite par la commission des affaires sociales entre
parfaitement dans le champ de l'article 6 de l'ordonnance de 1958. C'est la
raison pour laquelle la commission des lois a donné un avis favorable à cette
proposition.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet.
Monsieur le président, mes chers collègues, l'épidémie d'ESB qui sévit dans le
cheptel français depuis plusieurs années a subitement entraîné, ces derniers
mois, une psychose chez nos concitoyens : 70 % des consommateurs sont
aujourd'hui inquiets et avouent ne plus vouloir consommer de viande de
boeuf.
Cette épidémie n'a pourtant rien à voir, dans son ampleur, avec celle qu'on
connaît outre-Manche : 180 485 cas ont été diagnostiqués à ce jour en
Grande-Bretagne, contre 172 en France.
La contamination de l'homme, hypothèse longtemps exclue, constitue aujourd'hui
un réel problème de santé publique puisque 85 cas de la nouvelle variante de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob ont été enregistrés en Grande-Bretagne, contre
deux en France.
La modélisation des épidémiologistes les plus compétents, tel Roy Anderson,
chiffre le nombre des victimes à l'horizon 2040 à 136 000 en
Grande-Bretagne.
La population française court-elle les mêmes risques de contamination ? On
peut et on doit, malheureusement, se poser la question en raison des
importations de viandes bovines, notamment avant l'instauration de l'embargo en
avril 1996. On peut et on doit se poser cette même question en raison de
l'importation, à partir de 1988, d'abats toujours d'origine anglaise.
En effet, la France importait à elle seule, en 1995, 106 261 tonnes de viande
anglaise sur les 216 661 tonnes exportées vers l'Union européenne. Quant aux
abats, c'est-à-dire les parties les plus à risques, les importations ont
représenté 326 tonnes en 1987, 4 883 tonnes en 1988, pour atteindre 8 000
tonnes en 1993 et en 1994.
On peut donc logiquement considérer que la contamination potentielle de
l'homme date des années quatre-vingt à quatre-vingt-dix, lorsque l'on
consommait en toute ignorance ces abats aujourd'hui classifiés de « à risques
». Ce serait donc la population française qui, entre 1985 et 1995, aurait été,
après la population britannique, la plus exposée à ce risque infectieux.
On comprend mieux pourquoi le Président de la République a souhaité que le
Gouvernement interdise rapidement l'incorporation de farines de viandes et d'os
dans l'alimentation de tous les animaux, notamment les porcs et les volailles,
l'interdiction ayant été décidée dès 1990 pour les bovins.
La décision du Sénat de mettre en place une commission d'enquête sur les
conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux
d'élevage et sur les conséquences qui en résultent pour la santé des
consommateurs s'avère donc pertinente. Le rôle de cette commission sera
fondamental pour répondre d'abord à l'inquiétude de nos concitoyens, ensuite à
celle des agriculteurs de la filière bovine et des entreprises agroalimentaires
qui subissent une crise sans précédent, bien plus grave que celle de 1996.
Il importera précisément de déterminer les conditions et le périmètre des
contrôles opérés par les pouvoirs publics sur l'importation et l'utilisation de
farines animales, en particulier britanniques, d'évaluer les éventuelles
solutions de substitution et d'élimination de ces farines animales, de vérifier
la bonne application du système de traçabilité des produits mis en place depuis
1996, de s'assurer du respect du principe de précaution à tous les niveaux de
la chaîne agroalimentaire et, enfin, de mesurer les efforts engagés par l'Etat
en matière d'identification de l'agent de l'ESB.
Je me permettrai d'attirer votre attention sur quatre points précis : le rôle
de la Grande-Bretagne dans l'évolution et la propagation de cette maladie, tout
d'abord, la nécessaire dimension européenne dans l'approche de ce dossier,
ensuite, la substitution aux farines animales de produits à base de protéines
végétales, par ailleurs, le dialogue avec nos concitoyens sur leur
alimentation, enfin.
Il est clair que la responsabilité des industriels britanniques dans
l'apparition de l'ESB est pleine et entière. En s'affranchissant des
contingences de fabrication auxquelles la France a toujours fait référence,
c'est-à-dire la température, la durée et la pression, la Grande-Bretagne a
fabriqué des farines de viandes qui se sont révélées porteuses d'agents
transmissibles non conventionnels, responsables de la maladie.
N'oublions pas que l'utilisation des farines dans l'alimentation animale date
de 1868 et qu'elle n'avait jusqu'alors induit aucune incidence sanitaire
négative.
Ayant établi la relation directe entre ces farines et l'ESB, la
Grande-Bretagne n'a-t-elle pas exporté à bas prix farines, viandes et abats dès
les années quatre-vingt ? Il faudra clairement établir l'importance et la
nature de ces échanges commerciaux et considérer les responsabilités de chacun,
de part et d'autre de la Manche.
La nécessaire approche qu'il convient aujourd'hui d'avoir sur ce délicat
dossier est une approche européenne. L'harmonisation des législations portant
sur l'interdiction des farines, des tests de dépistages, de l'étiquetage, de la
traçabilité des divers produits ne peut se concevoir qu'à l'échelle européenne.
La mise en oeuvre du livre blanc sur la sûreté alimentaire, élaboré par la
Commission européenne, va précisément dans ce sens et doit se concrétiser
rapidement. Il est impératif d'élaborer la liste des ingrédients entrant dans
l'alimentation animale.
Je sais que les avis sont divergents sur ce point précis. La France doit être
très ferme, je l'ai déjà dit lors de l'adoption d'une résolution à l'unanimité
tant devant la délégation du Sénat pour l'Union européenne, le 11 octobre 2000,
qu'en commission des affaires économiques et du Plan, le 25 octobre 2000.
La création de l'autorité alimentaire européenne est incontournable et elle ne
doit désormais prendre aucun retard. L'agriculture a été, hier, le fondement de
la construction européenne. Je crains, au travers de cette crise de l'ESB, que
cette même agriculture ne devienne aujourd'hui « la pomme de discorde » d'une
construction européenne inachevée et toujours en devenir.
La mutation de ce secteur d'activité qui, aux côtés de l'agro-business, ne
l'oublions pas, reste le secteur économique majeur de notre société est l'objet
de turbulences fortes par absence de desseins et d'objectifs clairement
définis. La loi d'orientation agricole votée l'an passé n'aura pas su donner le
grand souffle que l'on attendait tant aux agriculteurs qu'aux industriels de
l'amont et de l'aval de la filière.
J'insiste sur ce point, car je crains malheureusement que nous ne soyons à
l'aube d'une crise politique européenne majeure avec, pour toile de fond, un
problème de santé publique.
Quant à la substitution aux protéines animales de protéines végétales, c'est
un sujet dont, depuis 1992, avec les accords de Blair House, nous avons été
nombreux à souligner l'enjeu. A chaque examen du budget du ministère de
l'agriculture, j'ai insisté sur cette substitution. Je considère en effet que
l'Europe ne peut être dépendante à hauteur de 76 % pour les protéines
nécessaires à la nourriture de ses animaux.
La France quant à elle, dois-je le rappeler ? ne produit que 285 000 tonnes de
soja, quand il lui en faudrait 4,5 millions de tonnes ! Renégocier les accords
de Blair House sera incontournable. Cultiver davantage d'oléoprotéagineux dès
la récolte 2001 ne l'est pas moins, en réorientant les aides de la PAC vers les
oléoprotéagineux plus que vers les céréales.
Je me permets de rappeler que, pour combler les 430 000 tonnes de farines
animales utilisées dans l'alimentation de nos animaux, il conviendra d'employer
980 000 tonnes de pois protéagineux et 650 000 tonnes de tourteaux de colza et
de tournesol.
Quant aux importations supplémentaires de soja, américain pour la plus grande
part, chacun sait qu'à 50 % elles portent sut un soja génétiquement modifié. Le
Gouvernement a eu tort de laisser diaboliser les biotechniques pour cause de «
majorité plurielle ».
Il n'a pas été responsable de sa part d'accepter, depuis deux ans, un
moratoire sur les OGM sans profiter de ce laps de temps pour parfaire la
connaissance et l'expertise de leurs effets éventuels sur l'environnement et la
santé, alors même que ces OGM avaient déjà fait l'objet d'un examen détaillé de
la part de la commission du génie biomoléculaire. Gouverner, c'est prévoir ! En
la matière, il y a eu non pas prévision, mais attentisme. Le consommateur est
troublé et inquiet. Cette attitude n'est pas pour le rassurer.
En dernier lieu, je souligne que la mutation de notre société n'est pas
toujours bien appréhendée par nos concitoyens. Toute évolution, en quelque
domaine que ce soit, est plutôt vécue par les Anglo-Saxons comme une continuité
de progrès, alors qu'elle est subie par les Françaises et les Français comme
une rupture culturelle entraînant de leur part une crispation passéiste. C'est
particulièrement vrai dans le domaine alimentaire. L'alimentation était un des
derniers repères qui rassurait nos concitoyens, une alimentation avec laquelle
ils entretenaient des rapports culturels forts.
Malheuresusement, à leurs yeux, l'agriculture s'est modernisée, structurée,
sans qu'ils la comprennent vraiment aujourd'hui, et leur alimentation s'est,
quant à elle, profondément déstructurée.
Au-delà d'un réel et grave problème de santé publique, la société française
est malade. Elle subit une fracture culturelle supplémentaire car elle n'a plus
de liaison forte avec la ruralité qui entre dans une nouvelle phase de
modernité. Ce mal s'appelle la disparition de la confiance. Pour rétablir cette
confiance, il conviendra de faire toute la lumière sur les conditions
d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage.
C'est le rôle de cette commission d'enquête.
Il conviendra ensuite de rétablir un dialogue avec nos concitoyens ; ce sera
une tâche longue et difficile, à laquelle nous sommes tous conviés. La
cohérence et l'évolution harmonieuse de notre société sera à ce prix.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Emorine.
M. Jean-Paul Emorine.
Les semaines passées, la crise liée à l'ESB a connu de nouveaux développements
d'une forte intensité et gravité. On retiendra deux faits particulièrement
importants : un négociant a été placé en garde à vue pour avoir présenté à
l'abattoir un animal malade alors que le reste du troupeau avait déjà été
commercialisé ; des craintes sont apparues sur les modalités de découpe des
côtes de boeuf.
Ces événements ont provoqué une vive inquiétude chez nos concitoyens comme en
témoignent la chute de la consommation de viande de boeuf et le retrait de
cette même viande dans les cantines scolaires de plusieurs communes.
La peur, voire la psychose, s'est bel et bien installée, comme l'atteste
l'étude du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de
vie, leCREDOC, menée les 16 et 17 novembre : 45 % des personnes interrogées
déclarent avoir réduit leur consommation et vouloir continuer de le faire dans
les mois à venir.
Ces résultats corroborent les données commerciales disponibles, qui font état
d'une baisse de 50 % des ventes bovines en France, baisse qui peut se traduire
par une chute vertigineuse pour certaines entreprises spécialisées.
Après le paroxysme de l'année 1996 et le maintien de l'embargo sur le boeuf
britannique en 1999, ce nouvel épisode de la crise de la « vache folle » nous
conduit à renouveler notre réflexion sur la manière de traiter cette épizootie,
et ce dans un unique objectif : protéger et rassurer nos concitoyens.
A cet effet, nous devons placer au premier plan les impératifs de santé
publique et de sécurité alimentaire qui imposent aux pouvoirs publics la
recherche de la protection maximale du consommateur.
En février dernier, déjà, sur l'initiative de notre collègue Hubert Haenel,
nous avions organisé, ici même, un débat sur l'épizootie de l'ESB.
Dès ce moment, je soulignais, au nom du groupe des Républicains et
Indépendants, plusieurs facteurs qui devaient, nous semblait-il, être pris en
compte immédiatement, à savoir : organiser un système de surveillance
épidémiologique ainsi qu'un système d'alerte efficace et contrôlé à l'échelon
européen, généraliser le test de dépistage à grande échelle, développer la
recherche pour un test sur animaux vivants et harmoniser le mode de fabrication
des farines animales en Europe.
La crise que nous traversons aujourd'hui donne un relief tout particulier à
cette dernière suggestion.
En effet, l'ESB apparaît en Grande-Bretagne dans les années quatre-vingt, à la
suite d'une modification des conditions de fabrication des farines carnées.
Essentiellement pour des raisons de productivité, les autorités britanniques
ont alors autorisé la diminution de leur température de cuisson, en deçà du
seuil de résistance du prion. Il est donc très tôt admis que les farines
contenant les déchets de ruminants sont un vecteur de l'ESB.
C'est pourquoi la France a décidé de prendre plusieurs mesures destinées à
sécuriser ces farines, qui, par ailleurs, apportent aux animaux un supplément
en protéines.
Successivement, nous avons interdit l'importation des farines carnées
britanniques, leur utilisation dans l'alimentation des bovins, puis dans celle
des ruminants. Enfin, nous avons interdit dans les farines les matériaux à
risques spécifiés, tels la moelle, la cervelle, les yeux. Parallèlement, les
farines sont soumises à un traitement thermique afin d'inactiver les prions.
Cependant, malgré ces règles strictes, nous constatons la multiplication des
cas d'animaux malades, ce qui révèle la contamination d'animaux nés après
l'interdiction des farines, soit après 1990.
La principale explication invoquée tient aux farines : ou leur interdiction
n'a pas été respectée, ou des contaminations croisées entre filières d'aliments
pour ruminants et non ruminants ont eu lieu, lors de la fabrication, du
transport ou de l'entreposage.
Dans un entretien au journal
Le Monde,
le 31 octobre 2000, M. Hirsch,
directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments,
situait exactement les termes du débat : « On sait que l'emploi des farines
animales et le recyclage de l'agent infectieux sont à l'origine du
développement spectaculaire des cas d'ESB... C'est la raison pour laquelle des
restrictions de leur usage ont été décidées... Or on voit encore apparaître
dans plusieurs pays, dont la France, des cas d'ESB et l'on sait que les farines
animales ne sont pas interdites dans l'ensemble des espèces animales. Il est
tentant de faire le rapprochement entre ces deux faits et naturel de poser la
question d'une interdiction totale ».
Bannir les farines apparaît alors comme un moyen de supprimer une des sources
de contamination. A ce titre, après la déclaration de M. le Président de la
République, nous saluons la décision du Gouvernement de suspendre l'utilisation
des farines d'os et de viande, même si nous regrettons les hésitations et les
discours parfois contradictoires entre le secrétariat d'Etat à la santé et le
ministère de l'agriculture.
Nous sommes également étonnés que l'AFSSA n'ait pas été saisie plus tôt de la
question des farines, ce qui aurait permis de connaître l'avis des
scientifiques et de ne pas agir dans l'urgence.
Savoir anticiper fait pleinement partie du rôle de l'homme politique, tout
comme communiquer et expliquer. C'est dans cette perspective que le Sénat
propose aujourd'hui la mise en place d'une commission d'enquête sur les
conditions d'utilisation des farines carnées.
La décision de suspendre les farines cache d'autres interrogations que nous
devons aborder dans un souci de clarté et de vérité.
En tenant compte des suggestions de notre collègue rapporteur M. Claude
Huriet, et sans préjuger les travaux ultérieurs de la commission d'enquête, je
souhaite aborder avec vous quelques points importants.
La question des importations est particulièrement sensible. Dès 1997, notre
collègue de l'Assemblée nationale M. Jean-François Mattéi soulignait dans son
rapport que les « différentes séries statistiques ... ne sont pas cohérentes
entre elles. » Nous pouvons nous demander si des stocks de farines importées
avant l'interdiction n'ont pas été écoulés sur le marché.
S'il y a eu des contaminations croisées, cela a-t-il été le fait d'erreur ou
de fraude ? La réglementation a-t-elle été respectée, notamment pour
l'élimination de tous les tissus susceptibles de transmettre le prion et les
procédés de chauffage ?
A l'avenir, nous devons nous donner les moyens d'appliquer strictement les
dispositifs de contrôle en vigueur et, peut-être, d'adapter les structures
administratives qui ont en charge la gestion du risque sanitaire.
Plus généralement, nous devrons chercher à savoir comment les moyens de
protection de santé publique ont été mis en oeuvre.
Mais le travail d'une commission d'enquête est un travail de réflexion qui
s'inscrit sur plusieurs mois.
Dans l'immédiat, nous souhaitons que le Gouvernement profite de la présidence
française de l'Union européenne pour convaincre nos partenaires de prendre des
dispositions similaires aux nôtres afin de garantir la sécurité alimentaire de
nos concitoyens. Le principe de précaution doit s'appliquer au niveau
européen.
Il faut aussi relancer, au sein de la PAC, les productions d'oléoprotéagineux,
harmoniser nos mesures sanitaires et développer des tests dans tous les
pays.
En France même, il est indispensable de venir en aide à tous les acteurs de la
filière, des producteurs aux bouchers-charcutiers.
Enfin, nous devons tirer les leçons de cette crise pour l'avenir. Dans cette
perspective, il nous faut encourager la recherche afin de mieux connaître la
variante humaine de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ; assurer une plus grande
participation des citoyens à la décision ; améliorer le fonctionnement de ce
que l'on appelle la « comitologie bruxelloise » ; ne pas craindre de lancer un
programme de recherche sur l'impact des OGM sur la santé et l'environnement
car, incidemment, cette nouvelle crise de l'ESB pose la question du recours aux
OGM, même si l'Europe arrive à augmenter sa propre production
d'oléo-protéagineux sans recourir à des importations.
En conclusion, nous devons nous attacher à résorber la crise de confiance
entre les citoyens consommateurs et les pouvoirs publics. La constitution d'une
commission d'enquête sur les farines animales y participe pleinement, tant par
l'analyse de l'action publique qu'elle peut faire que par les moyens nouveaux
pour l'avenir qu'elle peut proposer.
C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants apporte son entier
soutien à la proposition de résolution visant à créer une telle commission
d'enquête.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, mes chers collègues, la proposition de résolution
visant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions
d'utilisation des farines animales nous amène à évoquer la crise liée à l'ESB
dans son ensemble.
L'intervention du Président de la République demandant, le 7 novembre dernier,
lors d'une communication solennelle à la télévision, la suspension immédiate de
l'utilisation des farines animales et la généralisation du dépistage des
animaux porteurs de prions a provoqué, on ne saurait le nier, une véritable
panique dans l'opinion publique.
Ce n'était sans doute pas l'effet recherché.
Mais il est des déclarations qui, relayées par la presse dans le contexte
d'inquiétudes que l'on sait, peuvent provoquer de véritables psychoses.
Le président de la République en est lui-même conscient. Il déclarait, dans
une conférence de presse lors d'un sommet européen de 1996 : « Il n'y a pas de
vaches folles, il n'y a qu'une presse folle ». Le point sur lequel il vaudrait
de s'interroger est de savoir si, à certains moments plus qu'à d'autres, la
presse et l'opinion publique ont de bonnes ou de mauvaises raisons de
s'affoler.
Le Premier ministre a décidé de suspendre temporairement l'utilisation des
farines animales destinées à l'alimentation des porcs, des volailles et des
poissons.
Il l'a fait sans pouvoir bénéficier des conclusions de l'AFSSA, à laquelle il
avait récemment confié la mission d'évaluer les risques liés à l'utilisation de
ces mêmes farines. Au vu de la complexité des recherches à mener, l'AFSSA ne
pourra, en effet, apporter la réponse que dans environ trois mois.
Cette demande adressée à l'AFSSA s'inscrivait dans la continuité d'un certain
nombre de mesures prises en application du principe de précaution et visant à
renforcer les protections à l'égard de la santé publique de nos concitoyens.
Si, concernant la maladie de la « vache folle », les connaissances
scientifiques ont nettement progressé, il n'en demeure pas moins que de
nombreuses incertitudes subsistent, qui peuvent justifier certaines
craintes.
Pour autant, dans la confusion générale qui règne aujourd'hui, on se doit de
rappeler qu'un point au moins semble faire l'unanimité : la réglementation
française est certainement la plus rigoureuse en Europe.
Toutes les commissions d'enquête, expertises et rapports d'information
consacrés à l'ESB - celui d'Evelyne Guilhem et de Jean-François Mattéi, par
exemple, précisément destiné à faire le point sur la maladie de la vache folle
et intitulé
De la vache folle à la vache émissaire
, de janvier 1997, ou
celui de Félix Leyzour et Daniel Chevallier, qui est plus récent et dont le
propos était plus large, intitulé
Transparence et sécurité de la filière
alimentaire française,
de mars 2000 - ont souligné l'exemplarité du système
de contrôle sanitaire français.
En la matière, la France a valeur de modèle, modèle dont nos partenaires
européens auraient eu intérêt à s'inspirer, comme le soulignait à juste titre
le rapport Guilhem-Mattéi. En outre, depuis trois ans, les dispositifs de
contrôle n'ont cessé de se renforcer.
Permettez-moi, mes chers collègues, de rappeler les spécificités de notre
modèle français de protection sanitaire de la filière alimentaire. J'essayerai,
sur ce point, de ne pas être exhaustif...
Depuis les années cinquante, la France dispose d'une structure originale dans
le domaine de l'éradication des maladies contagieuses du bétail : les «
groupements de défense sanitaire du bétail », constitués de la quasi-totalité
des éleveurs et présents au sein de chaque commune. Son système
d'identification du troupeau de bovins est l'un des plus fiables en Europe. Il
se traduit par une surveillance efficace de tous les animaux et de leurs
mouvements.
La réforme de 1995, qui permet une préidentification des animaux dès leur
naissance, a encore accru sa fiabilité et renforcé sa crédibilité. Enfin, non
négligeable du point de vue du consommateur, la mise en place du sigle VBF -
viande bovine française - permet d'identifier précisément les animaux nés,
élevés et abattus en France.
Depuis 1994, le système d'épidémio-surveillance s'appliquant à l'ESB conduit à
l'abattage systématique d'un troupeau au sein duquel au moins un animal a été
suspecté d'être atteint de cette maladie.
A toutes ces mesures s'ajoutent encore celles qui s'apparentent à un
néoprotectionnisme, un « protectionnisme sanitaire », et qui ont été prises à
l'encontre de certains de nos partenaires commerciaux pour éviter la
transmission de l'ESB dans le cheptel français.
Ainsi, en 1990, les importations de farines animales en provenance du
Royaume-Uni sont interdites. En 1994, la pénétration sur le territoire français
de bovins de moins de six mois en provenance de la Grande-Bretagne est soumise
à l'autorisation des services vétérinaires. En 1995, l'importation de tissus ou
d'organes de bovins ou encore de déchets d'animaux britanniques est interdite.
En 1996, toute importation de viande bovine, de bovins vivants et de produits à
base de tissus bovins en provenance du Royaume-Uni est interdite.
Signalons encore les taxes d'équarrissage - 1996, 1998 - qui, souvenons-nous,
avaient provoqué des débats houleux au sein même de cette assemblée. Ces taxes,
à défaut d'autres solutions, sont pourtant essentielles pour financer le
retraitement et l'élimination des farines animales.
Tous ces dispositifs ont été complétés et renforcés avec le souci de protéger
efficacement la santé publique par deux lois : celle du 1er juillet 1998
relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité
sanitaire des produits destinés à l'homme et la loi du 9 juillet 1999
d'orientation agricole, qui comporte un important volet relatif à la sécurité
sanitaire des aliments.
Entre autres institutions nouvelles, la première a créé l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, dont la mission est de veiller à
assurer la sécurité sanitaire de l'ensemble de la chaîne alimentaire depuis le
stade de la matière première jusqu'à celui du produit fini.
Organe indépendant, composée d'experts scientiques disposant de moyens
significatifs, elle contribue incontestablement à améliorer l'évaluation des
risques alimentaires.
Au début du mois de novembre 1999, à la demande du Gouvernement, l'AFSSA a
engagé une procédure de réévaluation du dispositif français de prévention. A la
suite de ses avis d'expertise, le Gouvernement a récemment décidé de retirer
les intestins de bovins et les matières à risques spécifiés de la chaîne
alimentaire.
La seconde loi, la loi d'orientation agricole, outre le fait qu'elle amorce
une rupture dans la manière même de concevoir l'agriculture, point sur lequel
nous aurons l'occasion de revenir, renforce de manière contraignante le
contrôle sanitaire des animaux et des viandes.
Enfin, les dernières mesures annoncées par le Gouvernement visent à renforcer
les contrôles sur l'ensemble de la chaîne alimentaire, à multiplier les tests
de dépistage de l'ESB, à renforcer les effectifs d'environ 500 postes de
vétérinaire ou de pharmacien inspecteur, d'ingénieur sanitaire, de médecin.
Saluons les initiatives et les efforts du Gouvernement.
Malgré un système rigoureux de protection, malgré l'interdiction des farines
animales dans l'alimentation des bovins depuis 1990, puis de tous les
ruminants, la maladie de la vache folle n'a pas été éradiquée. Depuis 1991, 176
cas ont été identifiés. Comment expliquer la persistance de la maladie, les
nouveaux cas, alors que le système de contrôle n'a cessé de se renforcer ?
Les connaissances scientifiques progressent et tentent d'apporter des
explications pertinentes sur les mécanismes de transmission et de propagation
de l'ESB.
Les commissions d'enquête parlementaires contribuent aussi à améliorer la
transparence et la connaissance de la sécurité alimentaire. Mais, si toutes ces
démarches sont satisfaisantes et nécessaires, elles ne nous éviteront pas de
nous interroger sur l'origine du recours aux farines animales.
L'utilisation de telles substances, qui sont riches en protéines, qui
permettent de faire grossir plus rapidement le bétail et de réduire le cycle de
production, ne témoigne-t-elle pas d'une dérive productiviste ayant pour
finalité la réduction des coûts et des prix ?
Le recensement des cas déclarés d'ESB fait apparaître que l'épidémie touche
essentiellement la Grande-Bretagne.
Plus de 160 000 bêtes ont été atteintes depuis 1989, soit 99 % des cas
recensés. Ne doit-on pas commencer par s'interroger sur le mode de production
britannique, fondé sur une agriculture intensive et fortement exportatrice à la
recherche de nouvelles parts de marché au niveau européen ? Motivé par la
course à la productivité et à la réduction des coûts de production, le modèle
britannique aurait-il fini par générer des effets pervers ou, pour le dire
autrement, des externalités négatives, significatives de la défaillance d'une
régulation fondée exclusivement sur le marché ?
Si, selon une étude d'un universitaire de Cambridge, les premiers cas de
maladie de la vache folle sont apparus en Grande-Bretagne au début des années
soixante-dix, l'épidémie s'est fortement développée à partir de la fin de ces
mêmes années. C'est au cours de cette même période que les conditions de
fabrication des farines animales ont été modifiées, le nouveau procédé, plus
économique, consistant à préparer les farines non plus par lots, mais en
continu et avec un chauffage limité à 80-90 degrés contre 120 degrés au
préalable. Selon les experts scientifiques, ce nouveau procédé serait l'une des
principales causes du développement de la maladie bovine.
Avant 1985, 54 000 cas d'ESB précliniques ont été recensés, en tout 500 000
avant l'interdiction totale des farines.
Plus inquiétant encore, 500 000 animaux infectés seraient entrés dans la
chaîne alimentaire en Grande-Bretagne. Compte tenu des délais d'incubation, les
effets liés à la « sécurisation » des farines ne seront connus qu'à partir de
2001. Le coût économique est à la hauteur de la lenteur de la réaction : 4,5
millions de bovins ont été abattus.
Les autorités britanniques ont tardé avant de réagir et de prendre les mesures
nécessaires. Leur négligence et leur incurie en la matière sont dénoncées dans
un rapport récent comportant plus de seize volumes.
Si, selon Luc Guyau, « les farines animales peuvent être considérées comme un
élément de la modernité agricole », alors, c'est sur ce type de modernité,
fondatrice du modèle productiviste, qu'il convient de se poser des
questions.
Or c'est précisément ce modèle-là qui, au cours des années quatre-vingt, s'est
imposé comme référent et a orienté les choix européens. C'était sans compter
avec les effets pervers qu'il engendre.
Si les cas de maladie que l'on observe aujourd'hui peuvent s'expliquer par la
longue période d'incubation, ils peuvent aussi être liés à un écoulement
frauduleux de farines.
Cette dernière hypothèse a été évoquée par le Premier ministre. En juin 1993,
Le Monde
n'avait pas hésité à parler d'un « blanchiment » des farines
animales anglaises, exportées massivement vers la France. Malgré l'embargo qui
frappait la Grande-Bretagne, des quantités importantes de farines infectées
seraient entrées sur le territoire national.
Qui sont les coupables ? Les exportateurs britanniques ? Les fabricants
d'aliments pour le bétail qui ont importé les farines parce qu'ils
bénéficiaient d'un rabais de 30 % ? Dans l'un et l'autre cas, les motivations
ont répondu au même souci : la recherche de la rentabilité à tout crin, au
mépris de la santé publique.
La crise que connaît actuellement la filière alimentaire n'est-elle pas le
résultat d'une dérive productiviste qui accule les producteurs à une baisse
drastique des coûts ?
A l'aval de la filière, ce sont les grands groupes de la distribution qui,
bénéficiant d'un rapport de force favorable, font pression sur les prix de
leurs fournisseurs. Cette pression sur les prix se répercute, à travers la
recherche d'un accroissement des rendements et d'une diminution des coûts, tout
au long de la filière. Faire pression sur les coûts pour obtenir les matières
premières à des prix plus faibles peut conduire à certaines aberrations, tant
du point de vue de la sécurité alimentaire que de celui de la qualité des
aliments.
Les éleveurs qui, aujourd'hui, subissent de plein fouet la crise sont-ils
coupables ? Ne sont-ils pas plutôt les victimes de la grande distribution, où
cinq groupes se partagent 93 % des parts de marché ?
Vendre, comme l'a déjà fait le groupe Carrefour, du rosbif à moins de 40
francs le kilogramme, suppose d'acheter des carcasses à 14 francs le
kilogramme, soit 30 % de moins que le prix habituel. C'est à ce genre de
conditions que sont soumis les fournisseurs des grandes surfaces. Et c'est sur
fond de déflation des revenus que s'enclenche la spirale de réduction des
coûts.
A l'amont de la filière, les revenus du travail diminuent, tandis que les
grands groupes de l'agroalimentaire et les grandes surfaces captent, en valeur,
la plus grande partie des richesses créées.
Ce sont aujourd'hui les éleveurs qui pâtissent le plus d'une situation dont
ils ne sauraient être tenus responsables. Toute la lumière doit être faite sur
les responsabilités de la crise actuelle et de la psychose qu'elle a
suscitée.
La crise de la vache folle et ses conséquences dramatiques pour l'ensemble de
la filière agroalimentaire sont le résultat d'une dérive productiviste, peu
soucieuse de l'environnement et des considérations d'ordre éthique.
Si l'on veut éviter qu'à l'avenir d'autres crises semblables à celles que nous
connaissons aujourd'hui ne surviennent à nouveau, il nous faut réorienter la
politique agricole, voire la repenser.
C'est dans cette problématique que s'est inscrite la loi d'orientation
agricole de 1999, fondée sur la multifonctionnalité et la durabilité de
l'agriculture. Un effort de réflexion en ce sens doit être mené au niveau
européen.
Dans cet esprit, la recherche de solutions alternatives à l'utilisation des
farines animales doit s'accompagner d'une réflexion globale sur la politique
agricole européenne.
L'Europe a choisi de développer les céréales à bas prix destinées à alimenter
les marchés mondiaux. Elle est fortement déficitaire en oléoprotéagineux, qui
pourraient constituer un substitut aux farines animales.
On sait que, depuis 1992 et les accords de Blair House, la France et les
autres pays européens sont contraints de limiter leur production de soja, de
colza et de tournesol. La France importe environ 70 % des soja, colza, lupin et
autres protéagineux qui entrent dans l'alimentation animale. La suppression des
farines animales provoquera un accroissement de la dépendance de la France en
particulier et de l'Europe en général vis-à-vis du marché américain.
A cet égard, d'autres inquiétudes surgissent, liées aux importations d'OGM. En
effet, les milieux scientifiques n'ont aucune certitude quant aux effets à long
terme de l'utilisation des OGM. En remplaçant les farines animales par des
produits génétiquement modifiés, ne fait-on pas courir de nouveaux risques aux
consommateurs ?
Des programmes de développement de production de soja, colza et autres
protéagineux doivent être envisagés à l'échelon européen. Il est possible de
cultiver les jachères ou de réorienter certaines cultures. Cela ne sera
possible que si l'Union européenne dégage des aides, des financements et
renégocie les accords de Blair House.
La mécanisation, l'intensification et la spécialisation de l'agriculture, qui
ont participé de sa modernisation, ont eu de multiples conséquences néfastes en
matière d'environnement : pollution de l'air, de l'eau et des sols. Force est
de constater qu'elles ont aussi eu des effets néfastes en termes de santé
publique.
La crise de la vache folle a provoqué dans notre pays une véritable psychose.
Les consommateurs sont inquiets quant aux produits alimentaires qu'ils
achètent. Les parents le sont quant à ce que leurs enfants consomment dans les
cantines scolaires. Et la décision prise par certaines mairies de retirer la
viande de boeuf des cantines scolaires a eu pour effet de renforcer les
inquiétudes. Je ne jette pas la pierre aux élus, qui se sont, eux aussi,
trouvés contraints d'agir sous la pression de l'opinion publique. Le plus
difficile pour eux sera sans doute d'autoriser à nouveau la viande de boeuf
dans les cantines.
Le Gouvernement doit prendre toutes les mesures nécessaires pour rassurer
l'opinion publique. Il doit renforcer la transparence, garantir la traçabilité
de nos produits, du producteur jusqu'au consommateur, pour éviter que des
malversations ne se produisent, des changements d'étiquettes sur le bétail, par
exemple. Il doit s'efforcer d'assurer la protection des salariés qui pourraient
dénoncer d'éventuelles entorses de ce type. Il doit aider à la promotion et à
la reconnaissance des marques de qualité et des labels.
Le plan gouvernemental annoncé aujourd'hui et portant sur un montant total de
plus de 3 milliards de francs concerne l'ensemble des acteurs de la filière :
éleveurs, producteurs d'aliments destinés au bétail ou entreprises de l'aval,
comme les abattoirs, les découpeurs et les transformateurs.
Il conviendra aussi de s'assurer que l'ensemble des salariés de
l'agroalimentaire, souvent faiblement rémunérés pour un travail pénible, et
ceux de la filière des farines animales ne soient pas victimes de cette crise
de confiance qui est liée à l'insécurité alimentaire. Je compte sur ce
gouvernement pour gérer au plus près et au mieux leur situation de chômage,
qu'il soit partiel ou total.
Ce plan, messieurs de la majorité sénatoriale, est annoncé dans le contexte
d'une délicate négociation européenne, où l'affirmation du modèle français de
sécurité alimentaire est pour le moins difficile à faire passer auprès de
partenaires qui se refusent à prendre les indispensables décisions qu'impose la
situation créée.
Dans ce contexte, votre proposition de constituer une commission d'enquête
parlementaire apparaît pour l'essentiel comme une sorte d'épisode conjoncturel,
lié à une actualité portée par des déclarations diversement appréciées.
Le mérite principal que l'on peut néanmoins trouver à cette proposition est de
se placer dans la perspective de la recherche des solutions les plus
durablement adaptées à une situation qui n'a manifestement que trop duré et qui
est aujourd'hui trop sujette à controverses, polémiques et pressions, sur
l'inconscient collectif.
Vous m'autoriserez à m'interroger sur le bien-fondé de cette commission
d'enquête parlementaire.
S'agit-il réellement d'éclairer les consommateurs que nous sommes tous, hormis
quelques végétariens ou végétaliens, et de regagner leur confiance ? S'agit-il
de préserver les éleveurs et leurs intérêts ou de défendre un mode de
production qui montre ses limites et ses dangers ? S'agit-il de mesurer le
degré d'application du principe de précaution par le Gouvernement, principe
auquel il conviendrait, si cela est possible, de donner une définition
scientifique et qu'il faudrait faire admettre par l'OMC ? Ou bien s'agit-il
d'une opération à caractère politicien, visant à créer artificiellement une «
affaire du sang contaminé
bis
» ?
Les conclusions que nous tirerons du travail d'une telle commission seront
peut-être divergentes - le débat que nous avons ce soir le laisse présager -
mais nous ne devons pas nous en priver.
C'est au bénéfice de ces considérations que nous ne nous opposerons pas à la
constitution de cette commission d'enquête et que nous voterons la présente
proposition de résolution.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor.
Monsieur le président, mes chers collègues, le 14 novembre dernier, le
Gouvernement a décidé de retirer de l'alimentation de tous les animaux les
farines animales : décision grave et lourde de conséquences, mais aussi
décision sage.
En la prenant, le Gouvernement a d'abord, je le crois, entendu les Français,
qui, dans leur grande majorité, étaient favorables au retrait des farines.
Surtout, il a concrétisé la volonté qu'il a toujours affichée, celle de faire
de la santé publique un objectif majeur de sa politique.
Pour prendre des décisions, tout homme politique doit pouvoir s'appuyer sur
des experts. Dans le cas présent, le Gouvernement écoute et suit l'avis des
scientifiques qu'il consulte. Voilà un mois environ, après qu'une ESB eut été
diagnostiquée chez un bovin né après 1996, il a saisi l'AFSSA. Celle-ci a
déclaré ne pas pouvoir se prononcer avant trois à quatre mois. Dans
l'intervalle, que faire ?
Quand on a en mémoire le douloureux dossier du sang contaminé, on ne peut que
faire jouer à plein le principe de précaution. C'est là qu'il prend tout son
sens : quand les incertitudes sont trop grandes ou les délais d'examen trop
longs.
Ainsi, comme lorsqu'il avait décidé, il y a quelques mois, de maintenir
l'embargo sur le boeuf britannique, le Gouvernement a appliqué le principe de
précaution en interdisant l'utilisation de ces farines animales.
Pour autant, la décision a des incidences économiques lourdes qu'il faut
d'ores et déjà estimer et dont il faut, en même temps, prévenir les dégâts.
Se pose d'abord l'important problème du stockage et de l'élimination de ces
farines, que la commission d'enquête devra évidemment aborder.
Les équarrisseurs français traitent actuellement 2,8 millions de tonnes de
déchets animaux par an, qu'ils transforment en farines animales, en graisses
ainsi qu'en aliments pour animaux domestiques et en matières premières pour des
industries non alimentaires. Ils traitent en outre plus de 500 000 tonnes de
saisies sanitaires et d'abats potentiellement infectieux.
De la décision qui vient d'être prise, il résulte que les volumes à détruire
vont dépasser un million de tonnes. Il s'agit donc de déterminer les capacités
d'incinération dont notre pays dispose immédiatement, non à long terme.
Avant de pouvoir tout détruire, il faudra être capable de stocker. Comment ?
Sous quelle forme ? Où ? Le problème est loin d'être mince ! Les installations
de stockage sont généralement soumises à des autorisations. Cependant, eu égard
à l'urgence, on peut toujours avoir recours à la réquisition.
Sur l'ensemble de ces problèmes, le Gouvernement a confié une mission au
préfet Jean-Paul Proust, qui a immédiatement décidé de procéder à un
recensement des sites de stockage.
Bien entendu, la commission d'enquête devra également se pencher sur le sort
de la filière bovine.
Dans quelques heures, à l'issue des négociations menées à l'échelon européen,
le ministre de l'agriculture doit confirmer les mesures de son plan de soutien
à la filière bovine et aux éleveurs touchés.
Je veux rappeler toute l'importance que revêt, en l'occurrence, la traçabilité
des produits. En situation de crise, le consommateur s'oriente de lui-même vers
des produits labellisés, connus. D'ailleurs, aujourd'hui, la plupart de nos
bouchers maintiennent une activité réelle parce que, généralement, on sait d'où
proviennent les produits qu'ils ont à l'étalage.
Il s'agit bien de retrouver la confiance. Nous avons le système de contrôle le
plus exigeant de toute l'Europe : il faut s'en servir.
Peut-être, faut-il aussi voir dans cette crise le signe que les méthodes
d'élevage appliquées depuis plus de trente ans pour intensifier les productions
sont mauvaises. Le problème auquel nous sommes confrontés ne les remet-il pas
profondément en question ?
Cela nous conforte en outre dans l'idée selon laquelle la loi d'orientation
agricole va dans le bon sens et qu'il faut en faire respecter l'esprit. Je
rappellerai ici brièvement que la nécessité d'une véritable traçabilité,
concernant notre élevage allaitant, a été largement évoquée ici même, à cette
tribune, voilà un petit peu plus d'un an. Avait notamment été soulignée la
possibilité de mettre en oeuvre des techniques modernes faisant l'objet d'une
expérimentation, laquelle doit s'achever dans les prochains mois.
On ne peut évidemment pas parler des farines animales sans aborder la
question, de dimension européenne, des protéines végétales. Il faut augmenter
de 30 % les surfaces consacrées aux oléagineux et aux protéagineux, soit, pour
la France, 400 000 hectares supplémentaires.
En effet, les fabricants d'aliments devront utiliser des protéines végétales
issues de graines protéagineuses - pois, féveroles, lupins, etc. -, du fourrage
déshydraté, des tourteaux de graines oléagineuses, etc.
Je n'oublie pas que, dans le domaine des protéines, nous sommes dépendants des
Etats-Unis, du Brésil et de l'Argentine à plus de 70 %. Nous avons donc un
champ d'action qui est encore large dans ce domaine.
En Europe, nous sommes très étroitement liés aux accords de Blair House de
1992, qui limitent à 5 millions d'hectares la surface européenne réservée aux
cultures végétales. Il convient d'engager un débat et d'exercer une pression
politique afin de faire exploser ces barrières : il est en effet nécessaire et
urgent de parvenir à lever ces restrictions de productions.
Si l'Europe y parvient, la première récolte de pois protéagineux, par exemple,
puisque la récolte est liée aux conditions de semis, pourrait avoir lieu dès
juillet 2001 et, pourtant, nous ne sommes qu'en novembre 2000. Dans cet
intervalle, comment allons-nous résoudre ce problème, sinon en favorisant
l'importation ? Mais quel type d'importation ? S'agit-il d'une importation avec
des produits OGM, ce qui nécessitera certainement des contrôles plus
spécifiques, de manière à éviter, demain, un autre problème ?
La France a les moyens d'établir un plan national « protéines », notamment
pour relancer la production de soja.
Enfin, et pour se prononcer sur l'opportunité de la question qui nous est
posée aujourd'hui, vous me permettrez, à la suite de ce tour d'horizon très
général, certes, de faire quelques remarques liminaires qui s'imposent à
moi.
Si cette commission d'enquête a pour objet, comme l'intervention du plus haut
personnage de l'Etat, d'inquiéter les Français et, par là-même, de détruire
toute une filière économique, vous comprendrez que nous ne ressentions pas
l'utilité d'une telle commission. Le mal est déjà fait ! Le comble est que la
France qui a incontestablement la meilleure protection sanitaire d'Europe, a
ainsi réussi à se faire montrer du doigt par tous les autres pays européens.
En revanche, si cette commission doit, dans sa recherche de la vérité, en
remontant suffisamment loin - 1984, 1985, 1986 peut-être - afin de porter un
jugement sur les animateurs d'un certain type d'agriculture ayant entraîné la
destruction de toute une agriculture traditionnelle, pour y substituer une
autre - industrielle, et surtout financière, où seul le rapport compte, et non
plus l'amour de ce que l'on produit, peu importe avec quoi - si donc cette
commission doit conduire sur le banc d'accusation cette prétendue forme moderne
de l'agriculture, en opposition aux zones traditionnelles d'élevage, l'élevage
allaitant, par exemple, qui reste le fleuron de notre agriculture... alors,
pourquoi pas ? Car, quel choc, quelle tristesse pour tous ces éleveurs de se
sentir lâchés, abandonnés par les plus hautes sphères professionnelles, qui
proposent l'abattage systématique des animaux nés avant 1996, accroissant
encore le trouble et accompagnant une agitation politique... même si des
mesures sont nécessaires pour rééquilibrer le marché.
Enfin, au moment où le débat, indispensable bien sûr, est engagé par l'Europe,
au moment où le Gouvernement oriente la France dans une voie responsable,
alliant la précaution sanitaire et l'incidence économique et les mesures qui
s'y rattachent, nous ne voyons ni l'urgence ni la nécessité de cette
commission. Il vaudrait mieux dépenser notre énergie sur le dépistage et la
traçabilité.
Nous serons nombreux à nous investir avec sérieux pour permettre un éclairage
supplémentaire aux scientifiques, dans un esprit neutre, avec une véritable
perspective : la préservation de la santé humaine. C'est sur ce chemin, et sur
ce chemin seulement, que nous nous engageons.
Tel est l'esprit qui anime mon groupe sur cette question. Nous participerons à
cette commission, mais, au départ, sans grand enthousiasme.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
A titre personnel, je dois dire que j'ai écouté avec attention le discours du
dernier orateur. Je ne peux en aucun cas - et mon groupe pas davantage -
m'associer à ce qu'il a dit s'agissant des propos de M. le président de la
République. Je déplore ce passage de son intervention, qui me paraît beaucoup
plus politicien que ce qu'il veut bien reprocher au chef de l'Etat.
M. Jean Arthuis.
Très bien !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'article unique de la proposition de résolution.