SEANCE DU 6 DECEMBRE 2000
M. le président.
Nous reprenons l'examen des dispositions du projet de loi concernant la
décentralisation.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 25 minutes ;
Groupe socialiste, 16 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 14 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 14 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Je vous rappelle qu'en application des décisions de la conférences des
présidents aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix
minutes.
Par ailleurs, le temps programmé pour le Gouvernement est prévu au maximum
pour vingt-cinq minutes.
La parole est M. Dufaut.
M. Alain Dufaut.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le
domaine des collectivités locales, il me paraît temps de passer de la parole
aux actes. Mais le constat que l'on peut faire, à la lecture attentive de ce
projet de budget, ne m'incite pas à penser que le Gouvernement a vraiment la
volonté de donner un nouveau souffle à la décentralisation. Ce n'est pas faute,
pourtant, d'insister sur la nécessité de procéder, vingt ans après la grande
réforme décentralisatrice des années quatre-vingt, à un approfondissement de ce
processus législatif. MM. les rapporteurs l'ont d'ailleurs pleinement exprimé
ce matin.
Le Sénat, d'ailleurs, sous l'impulsion de son président, a pris une part plus
qu'active à cette démarche, de la constitution d'une mission commune
d'information au dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle relative à la
libre administration des collectivités territoriales et à ses implications
fiscales et financières, en passant par l'organisation de nombreux colloques ou
réunions sur le sujet.
Alors, je m'interroge : le Gouvernement, conscient de l'envergure d'un tel
chantier législatif, osera-t-il enfin ouvrir ce dernier ?
Il semble plus facile de se consacrer à l'inversion du calendrier électoral
plutôt que de passer à « l'acte II de la décentralisation » !
M. Gérard Cornu.
Eh oui !
M. Alain Dufaut.
Il ne s'agit pourtant pas, monsieur le ministre, de tout remettre en cause. La
réforme, en effet, ne consiste pas nécessairement à vouloir brutalement tout
bouleverser pour tout reconstruire ensuite.
Il importe, en revanche, puisque justement la décentralisation est désormais
entrée dans « l'âge de raison » et que l'expérience tirée de bientôt deux
décennies de pratique le permet, de franchir enfin un seuil important dans la
clarification des responsabilités et des compétences.
Or, en fait de réforme, monsieur le ministre, nous avons eu droit, jusqu'à
présent, à une réduction sensible de l'autonomie fiscale des collectivités
locales, c'est-à-dire à une mesure à l'évidence recentralisatrice, puisque tout
à fait contraire au principe de libre administration des collectivités
territoriales et, par conséquent, limitant leur autonomie. Comme le soulignait
tout à l'heure le rapporteur spécial, M. Michel Mercier, c'est contraire à la
relation de confiance souhaitable entre l'Etat et les collectivités locales.
A l'appui de cette affirmation, je n'aurai qu'à signaler les différentes
mesures prises depuis trois ans et frappant durement les collectivités locales
dans leur autonomie : baisse des droits de mutation des départements,
suppression des droits de mutation des régions, suppression de la part
salariale de la taxe professionnelle, de la part régionale de la taxe
d'habitation et, tout récemment, de la vignette, et ce sans concertation
préalable des associations nationales représentatives des collectivités
locales.
Face à ce constat, vous comprendrez, je l'espère, que nous ayons quelques
doutes sur votre capacité à relancer la décentralisation, voire sur votre
volonté de le faire, monsieur le ministre. Et ce ne sont pas les conclusions de
la commission pour l'avenir de la décentralisation, présidée par Pierre Mauroy,
qui nous rassureront pleinement.
Le renforcement de la démocratie locale ainsi que la recherche d'une plus
grande efficacité dans l'action publique locale et d'un développement mieux
équilibré du territoire, le tout dans un cadre financier borné par une loi sur
l'évolution des budgets locaux, s'imposent pourtant à tous avec force.
Parallèlement, il faudra bien effectuer des choix pour éviter les effets
pervers des diverses strates administratives qui se créent au gré des
différentes lois, en clarifiant les compétences, sur la base d'une concertation
avec les structures représentatives des différentes collectivités locales.
Franchement, monsieur le ministre, dans le système actuel, les élus ne savent
plus où ils en sont ! On n'a jamais vu, je crois, une organisation du
territoire aussi compliquée et disparate. La technocratie, parfaitement
incarnée, à mon sens, par la DATAR, la délégation à l'aménagement du territoire
et à l'action régionale, est en train de redessiner le territoire à l'aide de
circulaires, et l'on empile allègrement les structures - établissements publics
de coopération intercommunale, pays, régions, etc. - sans se soucier de la
cohérence, sans rechercher les articulations nécessaires au bon fonctionnement
de l'ensemble et, comme l'a souligné Michel Mercier ce matin, sans mettre en
place les financements nécessaires à l'intercommunalité. Tout cela est bien
dommage !
Pourtant, de nouveaux transferts de compétences dans des domaines comme les
routes, la culture ou l'enseignement supérieur pourraient bénéficier au
département et à la région, lesquels sont prêts à les assumer. Mais, pour cela,
il faut bien sûr, auparavant, en arrêter le principe ensemble et, surtout,
prévoir les transferts de ressources correspondants.
S'agissant de la région, une réforme du mode de scrutin est indispensable pour
rapprocher les citoyens de leurs représentants à ce niveau. Quant à l'échelon
administratif de base, il paraît nécessaire que le développement de
l'intercommunalité, même s'il est souhaitable, ne remette pas en cause le
respect des identités locales.
L'exercice n'est pas facile, nous en convenons, mais il faut trouver le juste
milieu, l'échelon le plus efficace pour procéder à un réel aménagement du
territoire, le « niveau pertinent », selon la formule chère aux dirigeants de
la DATAR. Mais, de grâce ! ouvrons enfin le débat de fond et tranchons une
bonne fois pour toutes.
Nous sommes nombreux, ici, à penser qu'il nous faut passer à une nouvelle
phase de la décentralisation, cet acte II que tout le monde souhaite, une phase
devant impérativement intégrer une clarification des compétences des
collectivités locales, avec, c'est certain, de nouvelles compétences, la
limitation des financements croisés, qui constituent un véritable obstacle à
l'avancée de nos dossiers, l'adoption d'un véritable statut de l'élu, et
l'autonomie fiscale des collectivités locales, laquelle nous obligera à
réformer en profondeur et à moderniser notre fiscalité, comme l'a indiqué ce
matin M. Daniel Hoeffel.
Ce ne sont bien sûr que quelques pistes de réflexion, mais elles me semblent
essentielles en vue d'une bonne maîtrise de l'aménagement du territoire ; nous
souhaiterions qu'elles soient abordées à l'occasion d'un grand débat au
Parlement, en particulier au Sénat.
En attendant, force est de constater que nous devons nous contenter d'un
budget qui n'ouvre aucune perspective de réforme et qui, de plus, confirme,
comme l'a très justement indiqué le rapporteur spécial à l'Assemblée nationale,
M. Gérard Saumade, que « les modalités de financement des collectivités
territoriales ne semblent plus en mesure de leur assurer les moyens nécessaires
pour supporter les charges croissantes qui leur incombent ».
M. Gérard Cornu.
Nous sommes tous d'accord !
M. Alain Dufaut.
Vous ne vous étonnerez pas, par conséquent, monsieur le ministre, que votre
impuissance à résoudre ces questions pourtant essentielles pour l'avenir des
collectivités locales et votre incapacité à présenter les réformes qui
s'imposent nous incitent à refuser de voter les crédits consacrés à la
décentralisation.
M. le président.
La parole est à M. Nachbar.
M. Philippe Nachbar.
Monsieur le ministre, mon intervention portera sur la situation des communes
forestières.
Un an après la tempête qui les a si lourdement frappées, je veux, en ma
qualité d'élu d'un des départements de France les plus sinistrés et au nom de
la fédération nationale des communes forestières, qui m'a demandé de le faire,
et qui a pu, je crois, très utilement travailler avec votre cabinet, vous
alerter avec force sur la gravité de la situation de ces communes et sur les
menaces pesant sur leur avenir pour de nombreuses années.
Le temps du bilan est aujourd'hui venu. Il apparaît aux yeux de tous que la
forêt française a subi la plus grande catastrophe de son histoire en décembre
dernier. Les chiffres - je me limiterai à n'en citer que deux ou trois -
témoignent de l'ampleur du désastre. La forêt française a perdu 115 millions de
mètres cubes, dont 25 millions de mètres cubes pour la seule forêt communale,
qui nous intéresse aujourd'hui.
A titre d'exemple, parce que l'on ne parle bien que de ce que l'on connaît
bien, la Meurthe-et-Moselle a perdu plus de 8 millions de mètres cubes, soit
l'équivalent de dix années de production.
Les conséquences sont lourdes pour le cadre de vie et pour l'environnement.
Elles sont accablantes sur le plan économique pour l'ensemble des
professionnels de la filière bois. Elles vont, enfin, peser durablement sur le
budget des communes forestières, qui se voient confrontées à d'immenses
difficultés tant à court qu'à moyen ou à long terme.
La réponse des élus de ces communes a été exemplaire à double titre. Je veux
invoquer l'effort immense que ces communes ont fait pour exploiter, stocker et
commercialiser dans des conditions très éprouvantes les chablis, mais aussi la
solidarité manifestée par les communes moins touchées ou non touchées, qui ont
soit gelé, en 2000, les coupes vendues et non exploitées, soit purement et
simplement supprimé celles de 2001.
L'inquiétude des communes, monsieur le ministre, est à la mesure de l'effort
qu'elles ont consenti. Pour des centaines d'entre elles, la perte de la forêt
ampute le budget d'une ressource essentielle pour de nombreuses années et
compromet durablement l'équilibre budgétaire.
A titre d'exemple, une nouvelle fois, puisque je me réfère à ce que je vois
tous les jours dans mon département, en Meurthe-et-Moselle, la forêt communale
représentait 163 000 hectares : 90 000 hectares sont endommagés ou à terre,
certaines forêts communales étant détruites à 90 %. Cela signifie que nombre de
communes ont perdu jusqu'à cinquante ans et plus de leurs revenus forestiers.
Pour nombre d'entre elles, cette recette représentait jusqu'à 40 % de leur
budget, alors même qu'elles vont devoir remettre en état leur voirie forestière
et régénérer leur forêt.
C'est tout l'effort d'investissement qu'elles ont consenti qui risque d'être
remis en cause, avec les conséquences qui s'ensuivront pour les entreprises
travaillant pour elles. C'est aussi tout l'avenir de secteurs entiers du monde
rural qui est durablement compromis.
Comment les élus pourront-ils continuer à créer les services et les
équipements publics nécessaires pour attirer une population nouvelle et
revitaliser leurs communes ? Comment ces dernières, qui ont réalisé un effort
d'investissement tout à fait remarquable, pourront-elles faire face aux charges
de fonctionnement et aux annuités d'emprunts pesant sur leur budget ? Il ne
faudrait pas que des années d'effort soient anéantis et que nous voyions
s'aggraver cette fracture géographique qui nous mènerait tout droit à une
France à deux vitesses et à deux catégories de citoyens.
Des dispositions ont été prises par le Gouvernement tout au long de l'année
2000. Deux circulaires très importantes, en date des 20 mars et 16 mai
derniers, ont institué une commission d'aide aux communes forestières dans
chaque département, associant administration et élus - je ne peux que m'en
féliciter - et prévu un dispositif complexe que l'on peut ramener à une
subvention d'équilibre versée après avis de cette commission et soumise à un
certain nombre de conditions qui s'assimilent à l'exigence d'un déséquilibre du
budget de la commune, soit un déséquilibre constaté, si le budget est voté en
déséquilibre, soit un déséquilibre potentiel, si le budget ne peut être
équilibré qu'avec l'imputation de recettes non certaines.
Ce dispositif appelle deux remarques.
Tout d'abord, les conditions d'éligibilité sont, à l'évidence, trop strictes,
car la notion même de budget en déséquilibre ne peut que se heurter aux
objections légitimes des maires, soucieux à la fois de la bonne gestion des
deniers communaux et d'une présentation transparente et sincère - exigence
légale, je le rappelle au passage - des documents budgétaires.
Ensuite, et surtout - ce point est fondamental, monsieur le ministre - ce
dispositif ne vaut que pour 2000 et 2001. Or, dans la plupart des cas, j'y
insiste, c'est à partir de 2002 que les ressources des communes forestières
vont se tarir.
En 2000, la plupart des communes forestières ont retiré de la vente des
chablis, malgré l'effondrement des cours, malgré les difficultés d'écoulement
du bois, les recettes nécessaires pour équilibrer leur budget. Certaines ont
reporté à 2001 la vente d'une partie des bois tombés pendant la tempête.
Encore faut-il noter que ces recettes sont amputées par les frais importants
entraînés par la réfection des chemins et le début des travaux de régénération
des massifs, pour lesquels la charge résiduelle pesant sur la commune est d'au
moins 20 %.
De plus, remarque d'évidence, ces communes n'avaient évidemment pas souhaité
percevoir de telles sommes, qu'elles n'ont pu, je le souligne au passage,
placer comme elles l'auraient souhaité et qui représentent en une seule fois
l'équivalent de nombreuses années de coupe.
Monsieur le ministre, ce qu'attendent les communes forestières, c'est d'abord
que l'Etat considère qu'elles ont été sinistrées, au sens plein du terme, et
que le dispositif actuel, dont je ne critique ni le principe ni les grandes
lignes, soit perfectionné et pérennisé au-delà de 2001.
Le dispositif doit être, tout d'abord, perfectionné car la notion de
déséquilibre budgétaire doit être assouplie pour ouvrir droit à la subvention
d'équilibre. Il serait souhaitable, à cet égard, que soit réalisée une étude
financière sur la situation de chaque commune pour la durée nécessaire à la
régénération et au retour de la ressource forestière.
Dans le cadre de cette étude, des cas particuliers devraient pouvoir être
intégrés. Certaines communes ont en effet subi des dommages tout à fait
exceptionnels et d'une gravité toute particulière. Je citerai le cas d'une
commune de mon département, qui, ignorant, bien sûr, ce qui allait se passer
quelques années plus tard, avait acquis, en 1995, une forêt qui est aujourd'hui
intégralement rasée, alors qu'il reste 1,5 million de francs d'emprunts étalés
sur quinze ans à payer.
Dans ces conditions, une nouvelle circulaire, complétant, en les affinant, les
deux circulaires que je viens de citer, pourrait indiquer de manière très
claire la façon dont les maires pourraient présenter leur budget afin de le
rendre éligible à la subvention d'équilibre.
Une solution, que je vous suggère, pourrait consister à intégrer dans les
prévisions de recettes la subvention d'équilibre correspondant à la perte
constatée. Je rappelle qu'en mars 2000 le Sénat avait adopté une proposition de
loi que j'avais déposée avec mes collègues du groupe des Républicains et
Indépendants, et qui instituait semblable dispositif.
Après avoir évoqué la nécessité de préciser et de perfectionner le dispositif,
je voudrais surtout insister sur ce qui est essentiel, à savoir la
pérennisation de ce dispositif au-delà de 2001, lorsque les communes
traverseront une période très difficile, privées qu'elles seront alors, pour la
plupart d'entre elles, des ressources tirées de la forêt.
Il faut que ce dispositif continue à s'appliquer année après année, à se
perfectionner si nécessaire, en associant les élus et les administrations dans
le seul souci de l'intérêt général.
N'oubliez pas, monsieur le ministre, l'importance des communes forestières
pour l'avenir économique de notre pays. Un seul chiffre : elles produisent, à
elles seules, 40 % du bois d'oeuvre en France.
La forêt communale ouvre également d'intéressantes perspectives pour notre
environnement. Je n'évoquerai que l'usage du bois énergie, qui se développe de
plus en plus dans les réseaux de chaleur.
N'oubliez pas, enfin, monsieur le ministre, que cette exigence de solidarité
nationale pour les communes forestières aujourd'hui, pour d'autres catégories
de communes en difficulté demain, est pour l'Etat une ardente obligation si
l'on veut éviter de voir se creuser le déséquilibre entre les différentes
régions de notre pays.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le ministre, après les excellents rapports de nos collègues Michel
Mercier et Daniel Hoeffel, qui ont bien expliqué les raisons qui s'opposent à
ce que le Sénat adopte votre budget, raisons qui ont convaincu la grande
majorité des parlementaires de mon groupe, je me bornerai, dans les quelques
minutes qui me sont imparties, à traiter le sujet essentiel, s'agissant des
concours de l'Etat, de la dotation globale de fonctionnement.
Créée en 1978, plusieurs fois réaménagée, notamment lorsque M. Hoeffel était
au Gouvernement, la DGF est aujourd'hui en crise - et ce ne sont pas les
éminents commissaires du Gouvernement qui vous entourent qui contesteront ce
fait !
La DGF a trois rôles distincts : d'abord, assurer à toutes les collectivités
locales, départements et communes, un minimum pour financer leurs dépenses de
fonctionnement ; ensuite, réaliser une péréquation en tenant compte de la
richesse, mesurée par des indicateurs complexes et difficiles à maîtriser,
aussi bien entre les départements qu'entre les communes ; enfin, et ce depuis
quelques années, financer l'intercommunalité.
Ces trois objectifs sont certes louables et intéressants, mais ils aboutissent
à une véritable explosion de la DGF. C'était parfaitement clair quand les
grandeurs économiques sur lesquelles était fondée cette dotation - évolution
des prix et évolution du PIB - étaient relativement faibles.
Le Gouvernement a d'ailleurs reconnu, monsieur le ministre, que ces trois
rôles étaient difficiles à concilier, puisqu'il a pris, depuis deux ans, la
déplorable habitude non pas de majorer le montant total de la DGF, mais
d'ajouter des abondements spécifiques : et tant pour la dotation de solidarité
urbaine, la DSU, et tant pour la dotation de solidarité rurale, la DSR, et tant
pour l'intercommunalité, et tant pour le recensement ! Bref, toute une série de
bricolages qui ne font qu'aggraver le phénomène et qui permettent de tenir une
année de plus. Mais jusqu'à quand ? Je crains vraiment que nous ne soyons au
terme de notre exercice.
Encore une fois, monsieur le ministre, puisque tout ce qu'il fallait dire sur
votre budget a été dit, et parfaitement dit, par les rapporteurs, je me
bornerai à faire trois propositions de clarification.
La première, la plus simple pour vous, consiste à en revenir à la réalité
démographique de nos collectivités, c'est-à-dire à supprimer le système mis en
place par la loi en 1993 et qui veut que l'on ne tienne pas compte de la
population réelle, si bien qu'aujourd'hui certaines communes, dont la
population a baissé, gardent la dotation ancienne, alors que d'autres, dont la
population a augmenté, ont une dotation minorée de façon fictive. Tout cela est
absurde.
Il faut en revenir à la réalité, c'est-à-dire utiliser des données
démographiques réelles, celles du décompte de 1999, et mettre en place un
système de recensement permanent, que l'INSEE prépare, d'ailleurs.
En effet, le fait que les recensements globaux n'interviennent que tous les
neuf ans et que certaines communes procèdent à des recensements partiels
entre-temps introduit de très grandes inégalités.
Je connais l'exemple d'une commune qui, partant de l'indice 100 au recensement
de 1990, a vu, après un recensement partiel - recensement dont chacun connaît
le caractère contestable - intervenu quelques années après, sa DGF
considérablement augmentée parce que l'on a tenu compte de la population alors
recensée. Au recensement réel de 1999, la population décomptée était bien
inférieure, mais, du fait du mécanisme, la commune a gardé la population
fictive supplémentaire qu'elle avait pu obtenir à l'époque du recensement
partiel. Là encore, c'est absurde.
Nous avons, dans ce pays, des principes fictifs partout : on en a en matière
fiscale, en matière sociale ; il est absurde d'en avoir en matière
démographique. Comme nous avons suffisamment de fonctionnaires et d'agents
publics pour décompter les gens, ce qui n'est tout de même pas extraordinaire -
on le faisait déjà au début de notre ère ! - je crois que l'on pourrait revenir
à la réalité des choses.
Deuxième proposition : il faut développer la péréquation de la DGF en partant
de bases sérieuses et de critères objectifs. Ces critères, c'est évidemment
l'effort fiscal demandé aux contribuables de chaque commune. Mais l'effort
fiscal, cela tient compte à la fois des valeurs locatives et des taux de
l'impôt ; et non pas seulement des taux, car il peut y avoir des taux très
élevés avec des bases très faibles ou des taux modérés avec des bases très
fortes. Ce qui est important, c'est le produit par habitant.
On peut développer la péréquation, en essayant de resserrer l'écart entre les
petites communes rurales et les très grandes agglomérations et en faisant un
programme étalé sur plusieurs années pour que le resserrement de cet écart
permette d'arriver à une meilleure péréquation en matière de dotation
totale.
Troisième proposition, la plus importante : il faut accepter de faire trois
parts dans l'enveloppe globale de la DGF : une part pour les départements -
elle existe ; une part pour les communes ; une part pour l'intercommunalité.
C'est sur la part de l'intercommunalité que le Gouvernement pourrait exercer
sa générosité, en faisant des dotations et des abondements particuliers, de
sorte que les départements et l'ensemble des communes bénéficieraient de
l'augmentation réelle des données économiques et l'intercommunalité
bénéficierait, par des dotations ou des abondements particuliers, de la prise
en compte du développement des opérations.
J'attendais beaucoup, mes chers collègues, de la commission Mauroy. Sur ce
sujet, elle n'est pas allée très loin dans le détail.
Mon temps de parole étant épuisé, j'en termine.
Monsieur le ministre, sur ces trois propositions, à mon avis pleines de bons
sens, et que le Gouvernement peut mettre à l'étude, j'attends avec intérêt une
réponse positive de votre part.
(Applaudissements sur les travées du RDSE,
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
décentralisation est un sujet des plus prisés. Elle fait couler beaucoup
d'encre et suscite de nombreuses réactions. Quasiment vingt ans après les
premières lois de décentralisation, tous les partis politiques s'accordent à
dire qu'il faut franchir un nouveau pas pour aller vers plus de
décentralisation.
Les lois de décentralisation sont aujourd'hui reconnues par tous et
apparaissent à chacun comme des éléments majeurs de la modernisation de notre
pays, même à vous, chers collègues de la droite, alors qu'il en allait tout
autrement en 1982, lors du premier débat sur la décentralisation !
M. Michel Mercier,
rapporteur spécial.
C'est un peu usé comme argument !
M. Robert Bret.
Depuis trois ans, de multiples missions, bilans, rapports ont permis de
dégager des orientations de réforme.
C'est le cas de la mission d'information sénatoriale, monsieur Mercier, mais
surtout de la mission Mauroy, chargée de dresser le bilan de la
décentralisation.
La discussion de nombreux textes a également fourni l'occasion aux uns et aux
autres de donner leur point de vue, qu'il s'agisse de la loi relative au
renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, de la loi
d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, de la loi
relative au fonctionnement des conseils régionaux, de la loi tendant à fournir
l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions
électives ou de la loi relative à la limitation du cumul des mandats électoraux
et des fonctions et à leurs conditions d'exercice.
Un constat unanime se dégage de ce débat collectif, à savoir que les
transferts de compétences consentis depuis 1982 n'ont pas été suivis de
transferts financiers suffisants. Tel est le cas en ce qui concerne le
patrimoine scolaire : de nombreux collèges, écoles et lycées en mauvais état
sont devenus la propriété des collectivités, et l'on constate aujourd'hui que
les sommes consacrées par celles-ci à leur entretien dépassent largement le
montant des transferts financiers consentis au titre du transfert des
compétences scolaires.
D'une façon générale, on observe une déconnexion entre le montant des
dotations et ce que ces dernières sont censées financer ou compenser. Il en est
ainsi pour la dotation de compensation de la taxe professionnelle, qui était
supposée couvrir les moins-values liées à l'abattement généralisé de 16 %, et
pour la compensation du plafonnement des taux de la taxe professionnelle. On
peut estimer,
grosso modo,
la perte actuelle à 20 milliards de
francs.
Les missions des collectivités territoriales se sont énormément diversifiées
et multipliées, alors que leurs budgets n'ont pas augmenté à la raison des
besoins. Cela étant, le Gouvernement montre son attachement à la réussite de la
modernisation des règles de répartition des compétences. Nous nous en
félicitons, tout comme nous mesurons les efforts qui ont été consentis ces
dernières années.
La loi de finances de 1999, par exemple, a permis aux collectivités locales,
avec l'instauration du pacte de croissance et de solidarité, de bénéficier plus
fortement des fruits de la croissance. L'enveloppe normée s'établit aujourd'hui
à 182, 534 milliards de francs, contre un peu plus de 167 milliards de francs
précédemment. Cette augmentation importante est liée au changement de périmètre
global de l'enveloppe, puisque, sur 15,528 milliards de francs de hausse, 12
milliards de francs proviennent de la compensation de la suppression de la
vignette. L'Association des maires de France note que si nous étions restés
sous le régime de l'ancien pacte de stabilité, les budgets des collectivités
auraient encore été amputés de 3,7 milliards de francs.
Quoi qu'il en soit, de nombreuses dotations ont bénéficié de crédits
supplémentaires. Ainsi, cette année encore, la dotation de solidarité urbaine
augmente de 850 millions de francs, et la dotation d'intercommunalité de 1
milliard de francs, ce qui entraîne une majoration de la dotation globale de
fonctionnement de près de 3 milliards de francs.
La situation financière des collectivités locales semble s'améliorer. Pour
autant, nous ne pouvons pas dire que tout va pour le mieux. En effet, la
tendance à la financiarisation des budgets locaux, au détriment de leur
fiscalisation, se confirme.
Au total, en dix-sept ans, au travers de vingt-quatre mesures, pas moins de
167 milliards de francs d'impôts ont été remplacés par des dotations, des
compensations et des dégrèvements. Au terme de la mise en oeuvre de la réforme
relative à la suppression de la part salariale dans l'assiette de la taxe
professionnelle, 53 % du montant des budgets des collectivités territoriales
proviendront du budget de l'Etat. La suppression de la vignette automobile
contribue à cette évolution.
Ce constat renvoie au principe d'autonomie des collectivités posé par
l'article 72 de la Constitution. La commission des lois du Sénat estime qu'il
faut donner une valeur constitutionnelle au principe de libre administration
des collectivités locales, afin de les prémunir contre les tentations
centralisatrices de l'Etat et du législateur et de leur garantir des moyens
suffisants. Pourtant, le corollaire indispensable de l'autonomie financière des
collectivités territoriales ne peut consister en une reconnaissance
constitutionnelle.
Le plus grave, me semble-t-il, est non pas que les ressources des
collectivités locales proviennent pour la plus grande part du budget de l'Etat,
mais qu'elles soient insuffisantes. Le plus inquiétant pour nous est donc non
pas la perte d'autonomie financière, mais la perte de l'autonomie de
gestion.
A notre sens, les collectivités territoriales doivent simplement disposer de
crédits leur permettant d'assumer pleinement leurs missions, sans être
tiraillées entre la satisfaction des besoins et l'accroissement de la pression
fiscale. Comment les communes peuvent-elles répondre à l'ensemble des demandes
sans augmenter les impôts ? Le chômage, la précarité, la violence sont autant
de difficultés à gérer pour les collectivités locales, qui voient également
monter en puissance un certain nombre de contraintes auxquelles elles devront
se plier au prix de lourds investissements, qu'il s'agisse des travaux
d'assainissement, de la récolte et du traitement des déchets ou de la
protection de l'environnement.
La réponse à cette question passe nécessairement par la mobilisation de
nouveaux financements. Le groupe communiste républicain et citoyen propose
d'inclure les actifs financiers dans l'assiette de la taxe professionnelle. Il
s'agit, et nous en avons déjà débattu lors du débat budgétaire spécifique aux
finances locales, de faire participer ces capitaux au financement des dépenses
publiques.
Cette proposition est un élément de régulation des comportements spéculatifs,
qui permettrait d'alléger la contribution, apportée par l'Etat au titre des
compensations, et de mettre un terme aux inégalités territoriales grâce à un
mode de répartition par péréquation. Son adoption permettrait d'entamer, de
façon sereine, une nouvelle étape de la décentralisation, sans se focaliser sur
les questions financières, et de traiter ainsi les autres problèmes en toute
quiétude.
La pyramide institutionnelle française compte trois échelons de collectivités
locales : la commune, le département et la région. Nous considérons que chacun
d'entre eux est pertinent et qu'il ne faut pas en supprimer un, comme certains
le préconisent s'agissant du département, même si, ces derniers temps, un bémol
a été mis à cette suggestion...
En revanche, nous souhaitons faire évoluer le mode de scrutin pour les
élections cantonales, afin de le rendre plus accessible et plus démocratique,
et nous nous réjouissons que le rapport Mauroy fasse sienne cette
proposition.
En ce qui concerne la coopération intercommunale, le rapport Mauroy préconise
l'élection au suffrage universel des conseillers communautaires, ce qui leur
donnerait une légitimité élective et conférerait une assise institutionnelle
aux structures intercommunales.
Par ailleurs, faut-il, mes chers collègues, que les établissements publics de
coopération intercommunale soient érigés en collectivités locales ? Nous ne le
pensons pas : les EPCI doivent être l'un des moyens de fédérer des projets, de
mettre en commun des expériences et de partager des richesses, mais la
coopération intercommunale doit rester un outil au service des communes.
La dernière question, et non des moindres, qui touche directement à la
décentralisation est celle de la démocratie locale.
Le Premier ministre a annoncé, lors du congrès des maires de France, que le
Gouvernement soumettrait au Parlement un projet de loi relatif à la démocratie
locale. Nous nous réjouissons de cette initiative, comme nous apprécions la
rapidité dont vous avez su faire preuve, chers collègues de la majorité
sénatoriale, pour déposer puis faire inscrire à l'ordre du jour de notre
assemblée votre proposition de loi sur le statut de l'élu.
(Sourires.)
Depuis de nombreuses années, les membres du groupe communiste républicain et
citoyen souhaitent l'élaboration d'un véritable statut de l'élu. Nous avons
déposé de nouveau une proposition de loi visant à permettre aux élus de
bénéficier d'une sécurité matérielle et professionnelle, ainsi que d'une
formation et d'une clarification de leur statut juridique et de leur
responsabilité, condition indispensable pour permettre la constitution d'un
tissu électif diversifié et représentatif de notre société. La richesse et la
vitalité de notre démocratie en dépendent.
Nous souhaitons que l'Etat mette tout en oeuvre pour que ces mesures entrent
en vigueur, ce qui soulève également des questions d'ordre financier. Aussi
proposons-nous la création d'un fonds national de compensation destiné à
rembourser les entreprises des absences légales de leurs salariés élus. Cela
permettra de garantir une application réelle des droits d'absence, et la
création d'un tel fonds est donc absolument nécessaire.
Le projet de loi sur la démocratie locale est la première initiative
législative destinée à renforcer le lien entre élus et citoyens. Sur le
terrain, les élus qui en ont eu la volonté politique ont déjà effectué de
nombreuses tentatives d'exercice de la démocratie participative. Ce sont des
expériences riches et intéressantes, aussi approuvons-nous l'initiative
gouvernementale tendant à instaurer des conseils de quartier dans les villes de
plus de 20 000 habitants.
Mes chers collègues, la nouvelle étape de la décentralisation est, à mon sens,
bien engagée, et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen
pensent que le projet de budget qui nous est présenté correspond aux
engagements pris par le Gouvernement. Pour ces raisons, nous le voterons, sans
pour autant renoncer à une réforme d'ensemble des finances locales.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est
facile de repérer, dans le budget de l'Etat, les masses financières consacrées
aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Pour 2001, ces
crédits s'élèvent à 50,5 milliards de francs.
Pourtant, il est fort difficile, comme d'ailleurs dans nos collectivités,
s'agissant en particulier des départements, à cause de l'évolution de la DGD,
d'établir des comparaisons de budget à budget. Il y faudrait en fait une
présentation simplement comptable, mais aussi à législation ou à réglementation
constante.
Ainsi, la part très importante des dotations de l'Etat destinées à compenser
des impôts levés auparavant par les collectivités locales introduit des
perturbations. Pour 2001, la prise en compte de la compensation de la
suppression de la part régionale de la taxe d'habitation et, surtout, de la
vignette représente 18,5 milliards de francs, ce qui fait que l'augmentation
nominale, qui est de plus de 60 %, doit en fait être ramenée à 3,5 %.
Par parenthèse, ce n'est cependant pas cette gymnastique qui est très gênante,
c'est le principe de cette regrettable évolution à la baisse des recettes
fiscales des collectivités territoriales. Bien entendu, je n'ai guère apprécié
le coup médiatique de nos éminents collègues de droite, qui ont voulu inscrire
dans la Constitution la garantie des ressources des collectivités territoriales
et, surtout, donner au passage des pouvoirs exorbitants au Sénat, mais il n'en
demeure pas moins que, comme l'immense majorité des élus, je déplore cette
longue dérive. Elle n'est certes pas nouvelle, mais elle aboutit aujourd'hui à
une situation qui n'est plus acceptable.
Pourtant, l'évolution des dotations des collectivités territoriales est très
favorable dans la mise en oeuvre du contrat de croissance et de solidarité. En
effet, les indexations prévues sont appliquées, ce qui donne, pour les
collectivités, des résultats nettement meilleurs que ceux qu'a permis d'obtenir
le pacte de stabilité de la législature précédente : l'enveloppe normée croît
ainsi de 2,32 %, contre 1,48 % en 2000. Cette seule évolution suffirait à
justifier sans difficulté notre vote positif, même si je me garderai d'entrer
dans le détail des chiffres, qui ont été présentés par nos excellents
rapporteurs. Cela me dispense de les répéter, d'autant que, la semaine
dernière, nous avons eu un débat important sur les recettes des collectivités
locales, au cours duquel tous ces dossiers ont été largement évoqués.
Cependant, il est remarquable de constater que, afin de prendre acte du succès
inespéré de l'intercommunalité, vous avez prévu, monsieur le ministre,
d'affecter à celle-ci une dotation globale de fonctionnement d'un montant
double de ce qui était prévu initialement, soit un milliard de francs, au lieu
de 500 millions de francs pour les quatre années à venir, dotation qui a même
été portée à 1,2 milliard de francs par l'Assemblée nationale.
Cette décision me semble tout à fait judicieuse et devrait se révéler
suffisante, mais le succès de l'intercommunalité est tel que, sans faire de
procès d'intention, rien ne peut être assuré. Il faudra surveiller
attentivement la courbe du nombre des créations de communauté de communes ou
d'agglomération, pour ne pas limiter, en raison d'un assèchement prématuré des
fonds qui lui sont consacrés, l'ample mouvement qui se dessine.
Comme je l'ai indiqué, le groupe socialiste votera ce projet de budget, qui
nous paraît bon. Certes, M. Hoeffel, rapporteur pour avis de la commission des
lois, peut bien, dans le détail, relever les points qui posent problème et
fonder son jugement négatif sur le fait que la modernisation de la vie publique
locale n'est pas achevée.
Il reste, bien entendu, de l'ouvrage à accomplir en ce qui concerne, par
exemple, le statut de l'élu ou le renforcement de l'intercommunalité.
Néanmoins, M. Hoeffel, comme je le lui ai dit en commission, doit se livrer à
certaines contorsions intellectuelles pour élaborer sa critique, cette remarque
étant faite en toute respectueuse amitié.
Pour ma part, je voudrais simplement formuler quelques observations sur la
future réforme qui est annoncée.
Tout d'abord, j'ai cru comprendre qu'un débat d'orientation se tiendrait au
Parlement au mois de janvier. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous
préciser si le Gouvernement déposera un texte d'orientation ? Dans
l'affirmative, quand le fera-t-il, et quelle échéance prévoyez-vous pour
l'achèvement de ce débat, et donc pour la mise en oeuvre de la nouvelle loi de
renforcement de la décentralisation ?
Par ailleurs, avez-vous déjà des certitudes, monsieur le ministre, quant à la
clarification à apporter en matière fiscale, s'agissant notamment de l'idée,
séduisante mais qui donne lieu à débat, de « spécialiser » les impôts locaux
par collectivités ?
Mais peut-être jugez-vous qu'il est encore trop tôt pour donner des
orientations dans ce domaine.
En ce qui concerne maintenant la vignette, je ne reviendrai pas sur
l'opportunité de la suppression de cet impôt, dont le produit avait de toute
façon tendance à baisser. Cela étant, il serait plus satisfaisant de le
supprimer totalement, ne serait-ce que parce que l'on peut prévoir que la
fraude sera massive. En effet, gendarmes et policiers feront difficilement la
différence entre une voiture de société banalisée, qui devrait afficher la
vignette, et l'automobile d'un particulier. En outre, à la suite de cette
réforme, il deviendra ridicule que les conseils généraux prélèvent, au titre de
leurs propres véhicules, une recette qui ne fera que transiter, en quelque
sorte, sur les pare-brise concernés... Tout cela coûtera cher, pour un profit
qui, à cause notamment de la fraude, va diminuer.
Pour en revenir à des propos plus généraux, je voudrais attirer l'attention
sur l'association des collectivités territoriales aux négociations nationales
relatives aux personnels. Bien sûr, on connaît, dans ce domaine, les accords
nationaux du type des accords « Durafour », mais il existe aussi de nombreuses
négociations, non pas secrètes mais discrètes, qui entraînent, sans que les
collectivités territoriales y participent, des conséquences financières très
fâcheuses.
Je dispose ainsi d'une note relative à la révision de la convention collective
de 1966, pour les cadres des associations soumises à celle-ci. Cette note
indique que le surcoût résultant des augmentations de salaire, payé par les
départements, sera de quelque 2 millions de francs. La convention en question a
été validée par le ministère des affaires sociales, au mois de juillet dernier,
sans que les collectivités aient eu leur mot à dire.
Monsieur le ministre, il faut créer une instance nationale où siège
l'employeur collectif des 1 500 000 fonctionnaires qui finance les
établissements dont le poste principal de dépenses est lié au personnel ; je
pense notamment aux établissements pour handicapés. Les collectivités locales
doivent être associées à la prise de décision.
Il est clair, en outre, que l'approfondissement de la décentralisation doit
être concomitant avec une amélioration des conditions de fonctionnement des
services territoriaux de l'Etat, et sur ce point, je vous poserai trois
questions précises, monsieur le ministre.
Tout d'abord, que comptez-vous faire pour mettre en oeuvre ce véritable
serpent de mer que Gaston Defferre prônait déjà en 1982 : placer tous les
services extérieurs de l'Etat sous l'autorité du préfet, ce qui n'est pas
encore le cas, loin s'en faut ?
Ensuite, ne pensez-vous pas qu'il soit nécessaire de donner au sous-préfet,
par l'intermédiaire d'une instruction adressée aux préfets, outre leur mission
de proximité - vous avez opportunément rappelé que vous ne souhaitiez pas
supprimer les sous-préfectures - des missions transversales à travers le
département, et ce de façon systématique ?
Enfin, vous semble-t-il opportun, ne serait-ce que pour des raisons d'équité,
mais avec un surcoût induit, de supprimer la fusion des fonctions de préfet de
région et de préfet de département ?
Telles sont les questions que je souhaitais vous poser, monsieur le ministre,
en vous précisant bien, mais vous l'avez compris, qu'elles n'étaient pas de
nature à remettre en cause notre vote positif.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu.
Monsieur le ministre ; revenons brièvement, si vous le voulez bien, dix-huit
ans en arrière, et remémorons-nous ce qui constituait le socle de la première
loi de décentralisation : rapprocher les citoyens des lieux de décisions,
renforcer les pouvoirs locaux par rapport au pouvoir central, transférer sans
charges supplémentaires de nouvelles compétences aux autorités élues et
faciliter le développement local sur l'initiative des acteurs de terrain,
enfin, assurer une gestion plus efficace afin de mieux répondre aux besoins.
Le ministre de l'intérieur de l'époque, Gaston Defferre, caractérisait ainsi
ce système intermédiaire entre centralisation et autonomie, en déclarant : «
Désormais, les élus seront libres, libres d'exercer pleinement leur mandat,
libre de prendre leurs responsabilités, sans entraves, sans les limitations,
sans les détournements imposés par les services ministériels. »
M. Michel Caldaguès.
C'est fini !
M. Gérard Cornu.
Il est un fait certain que les lois de décentralisation ont suscité beaucoup
d'espoir, notamment celui de voir renforcer les libertés locales et la
démocratie de proximité. Pour cela, elles ont opéré des transferts importants
de pouvoirs au profit des exécutifs locaux, qu'ils soient régionaux,
départementaux ou communaux, des transferts de compétences et, par voie de
conséquence, des transferts de moyens au travers des dotations de l'Etat vers
les collectivités. Ces transferts ont eu quelque chose de révolutionnaire en ce
qu'ils se sont faits au détriment de l'Etat par la suppression de la tutelle de
celui-ci
a priori.
Mais ces lois ont également nourri des inquiétudes au premier rang desquelles
l'insuffisance des garanties fiscales et financières en matière de compensation
des transferts de compétence.
Vingt ans après, il y a tout lieu de constater que nous avions quelques
raisons d'être inquiets. L'autonomie locale ne va pas sans une certaine
autonomie fiscale, laquelle est depuis quelques années bien malmenée. Le total
des concours financiers de l'Etat aux collectivités locales a connu une
progression très importante.
Le Gouvernement, bien que reconnaissant par la voix du premier ministre que «
le système de financement des collectivités locales est obsolète et injuste »,
supprime toujours plus de recettes fiscales aux collectivités territoriales :
la part salariale de la taxe professionnelle, la part régionale de la taxe
d'habitation, la baisse des droits de mutation en matière immobilière et,
désormais, la taxe différentielle sur les véhicules à moteur. La liste est
connue de chacun d'entre nous, responsables et élus locaux.
Certes, en contrepartie, l'Etat accroît son effort financier en faveur de nos
collectivités : il compense les exonérations fiscales et les dégrèvements
d'impôts locaux par une augmentation de crédits. Mais, en même temps, il porte
de plus en plus atteinte à l'indépendance de nos exécutifs et au principe
constitutionnel de libre administration de nos collectivités locales, le tout
dans le mépris le plus total des élus qu'il place volontairement devant le fait
accompli, en l'absence de toute concertation.
Ces tentatives de recentralisation ne datent certes pas d'aujourd'hui. Si
elles déplaisent, elles n'étonnent plus. Depuis 1997, elles se sont même
accentuées. Ce sont, en effet, près de 80 milliards de francs de produit fiscal
que les collectivités territoriales se sont vu confisquer depuis 1997. La part
des recettes fiscales dans les budgets de fonctionnement des conseils généraux
est ainsi passée de 70 % à 54 %. Ces modalités de financement ne semblent plus
en mesure d'assurer aux collectivités locales les moyens nécessaires pour
supporter les charges croissantes qui leur incombent. Comme l'a très justement
souligné notre rapporteur spécial, M. Michel Mercier, ces crédits constitueront
des dépenses de fonctionnement incompressibles dans le budget national. Qu'en
sera-t-il exactement quand les marges de manoeuvre de l'Etat seront réduites
par un possible ralentissement de la croissance et par une dégradation des
finances publiques ?
Pour donner un nouvel élan à la décentralisation, il est impératif de changer
la nature des relations entre l'Etat et les collectivités territoriales. Les
missions et les responsabilités des élus locaux doivent être mieux respectées,
et la concertation doit redevenir la règle pour mener à bien toute réforme
d'ampleur. Cette réforme s'impose, car la plainte des élus se fait entendre de
plus en plus fort.
Quand les vraies questions seront-elles enfin abordées ? Quand vous
attellerez-vous à la nécessaire modernisation de la fiscalité locale ? Quand
donnerez-vous un signe encourageant aux élus locaux, qui, chaque jour,
subissent les défaillances du système et vivent en direct les lacunes des lois
initiales ?
M. Philippe François.
Très bien !
M. Gérard Cornu.
Une réforme allant au-delà des ajustements ponctuels doit sérieusement être
envisagée. Le rapport Mauroy est une base de travail. Le Conseil économique et
social, dans l'avis qu'il a adopté le 21 juin dernier, s'est lui aussi penché
sur toutes ces questions et formule des propositions tout à fait intéressantes
s'orientant autour de trois axes : mieux équilibrer la libre administration des
collectivités d'un côté et, de l'autre, le rôle régulateur de l'Etat ;
simplifier la répartition des compétences entre des structures modernisées en
conciliant efficacité et démocratie ; réconcilier les élus et les citoyens en
conjuguant démocratie représentative et démocratie participative.
M. Patrick Lassourd.
Ah !
M. Gérard Cornu.
En bref, ces suggestions visent à une gestion plus efficace et plus claire du
territoire en même temps qu'à une participation plus active du citoyen. J'ai
bien conscience que l'examen du projet de budget de la décentralisation ne nous
offrira pas le cadre adapté pour poser les prémices d'une réforme, mais il est
l'occasion de lancer un nouvel appel au Gouvernement, un appel à prendre
conscience de l'urgence qu'il y a à s'attaquer aux difficultés que tous nous
rencontrons dans l'action publique locale.
(Applaudissements sur les travées
du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Haut.
M. Claude Haut.
La discussion de votre budget, monsieur le ministre, intervient cette année -
le groupe socialiste ne peut que s'en réjouir - dans un contexte favorable,
parce que la croissance économique est et reste au rendez-vous, ce qui a des
conséquences très positives pour nos collectivités locales. Il conviendra
cependant d'être vigilant et d'imaginer pour les années à venir une suite au
pacte triennal de croissance et de solidarité, qui ne pénalise pas nos
collectivités locales.
Mon propos aujourd'hui, monsieur le ministre, consistera, d'une part, à vous
inviter à mettre en oeuvre une véritable réforme d'ensemble des finances
locales déjà annoncée et, d'autre part, à vous sensibiliser à l'urgence qu'il y
a à mettre en oeuvre un véritable statut de l'élu local, moderne et rénové, qui
mettrait notre pays à l'unisson de la plupart de ses voisins européens.
Les finances locales, en tout premier lieu, monsieur le ministre, et les
crédits affectés aux collectivités locales progressent cette année, tous
concours confondus, de 10,5 %. S'agissant des concours sous enveloppe, à
structure constante, leur progression sera de 2,32 %, c'est-à-dire une
évolution supérieure à celle qui a été enregistrée au cours de ces deux
dernières années. La situation sera plus favorable grâce au contrat de
croissance et de solidarité initié en 1998 par votre gouvernement et indexé
pour 2001 sur 33 % du PIB, ce qui donne - on doit bien le reconnaître - une
marge de manoeuvre certaine à nos collectivités pour 2001.
Dans tous les cas, ce contrat de croissance et de solidarité nous change
agréablement du pacte de stabilité, dont je rappelle qu'il n'avait de pacte que
le nom, engagé par le gouvernement précédent.
Pour l'avenir, monsieur le ministre, il faudra respecter l'esprit et la
lettre de ce contrat de croissance et de solidarité : l'esprit tout d'abord,
cela signifie l'importance d'une réelle négociation avec l'ensemble des
associations d'élus, menée largement en amont de la décision ; la lettre
ensuite, c'est-à-dire faire en sorte d'intégrer une part croissante du PIB dans
le calcul des dotations d'Etat aux collectivités locales.
Une inquiétude cependant, monsieur le ministre, vient quelque peu ternir cette
appréciation positive de l'évolution des principales dotations. On ne peut en
effet que regretter le poids croissant du financement de l'intercommunalité qui
pèse sur les dotations de solidarité et sur la DCTP - dotation de compensation
de la taxe professionnelle - qui sont les variables d'ajustement de ce qu'on
appelle dans le jargon de la direction générale des collectivités locales
l'enveloppe « normée », c'est-à-dire les concours de l'Etat aux
collectivités.
Ainsi, en 2001, la dotation des groupements augmente de 16 %, ce qui aurait pu
conduire à une diminution de la dotation de solidarité rurale et de sa fraction
« bourg-centre », si l'Assemblée nationale n'avait pas voté un amendement
majorant cette dotation de 150 millions de francs, à l'instar de ce qui avait
été décidé pour l'année 2000. C'est donc une bonne chose pour ces villes-là.
Je crois donc, monsieur le ministre, que la sortie du pacte de croissance et
de solidarité devra impérativement donner lieu à une réflexion approfondie sur
les modes de financement de l'intercommunalité.
Il faudra peut-être également à cette occasion s'interroger sur cette
disparité persistante qui consiste à opérer deux traitements différents en
termes de DGF supplémentaire pour les communautés de communes et pour les
communautés d'agglomération. Même si j'ai bien compris que la loi de votre
prédécesseur devait en tout premier lieu dynamiser la coopération urbaine, il
serait dommageable pour l'équilibre du territoire de pérenniser cette
situation.
Toutes les discussions, et elles ont été particulièrement nombreuses ces
derniers temps sur le sujet, démontrent le caractère urgent qu'il y a à
procéder à une réforme d'ensemble de la fiscalité locale. Nous sommes en effet
arrivés à l'heure de vérité pour ce qui concerne un système inextricable et
dont les mécanismes subtils ne sont connus que par quelques initiés.
Si l'on se refuse, et c'est ce qui ressort de la position majoritaire des élus
locaux, mais aussi des travaux de la commission présidée par notre collègue
Pierre Mauroy, sur l'avenir de la décentralisation, à envisager la suppression
pure et simple des impôts locaux, comme remède à l'injustice, à l'inefficacité
et à la mauvaise répartition, il faut s'engager résolument dans la
modernisation de notre système de fiscalité locale.
Il est selon moi hors de question de remplacer des impôts dont les
collectivités locales ont la maîtrise par des dotations octroyées par l'Etat
car il est éminemment souhaitable de conserver un lien fiscal, ou plutôt un
lien de citoyenneté, entre les électeurs et les collectivités locales :
supprimer ce lien direct serait, me semble-t-il, une véritable régression
démocratique.
Par ailleurs, il serait dommageable que, catalyseurs et moteurs du
développement local, les collectivités locales ne profitent pas des retombées
fiscales de ce développement. Cette nécessaire réforme, monsieur le ministre,
il faut l'aborder en se fondant sur trois points : l'autonomie, la
simplification et la péréquation.
En ce qui concerne l'autonomie, il faudra faire en sorte que nos collectivités
ne soient plus à la merci d'une simple loi de finances annuelle. Pour cela,
nous avons davantage besoin de règles simples et durables pour pouvoir
anticiper et préparer l'avenir.
Par le terme « simplification » j'entends une clarification des relations
Etat-collectivités locales. Ainsi que le propose la commission Mauroy, la
spécialisation fiscale, qui vient de connaître une rigoureuse avancée avec «
l'intercommunalisation » de la taxe professionnelle, est une voie qui mérite
d'être examinée très sérieusement.
Pour ce qui a trait à l'évolution des dotations de l'Etat à nos collectivités,
ne serait-il pas possible, monsieur le ministre, d'institutionnaliser une
réunion annuelle associant le Gouvernement et les associations d'élus, et qui
serait notamment chargée d'examiner et d'évaluer les mesures ayant un impact
budgétaire pour nos collectivités.
Enfin, monsieur le ministre, il faut renforcer sensiblement nos dispositifs de
péréquation, car les distorsions entre collectivités continuent de s'accroître.
Il faut donc mieux tenir compte des potentiels fiscaux et des critères de
charges.
Je souhaiterais aborder devant vous, monsieur le ministre, un second point qui
préoccupe les élus locaux que nous sommes, au moins autant que la question des
finances locales : le statut de l'élu ou, plutôt, les conditions d'exercice des
mandats locaux, qu'il est urgent de moderniser.
A l'approche des élections municipales et cantonales, ce sujet est d'une
grande actualité : une première proposition de loi a été déposée sur le bureau
de l'Assemblée nationale, une seconde sur celui du Sénat. Toutes ces réflexions
ont le mérite de souligner combien la question des moyens donnés aux élus,
notamment aux maires et à leurs adjoints, est maintenant dans les têtes.
Vous avez, monsieur le ministre, annoncé qu'un projet de loi, qui serait
déposé l'année prochaine, comporterait des dispositions permettant de
progresser dans cette matière.
L'objectif principal d'une telle réforme est d'assurer l'égalité des chances
devant l'éligibilité. Il s'agit d'améliorer la situation des salariés qui
servent leur collectivité en y assumant des fonctions électives, sans quoi la
sur-représentativité des fonctionnaires et, surtout, des retraités, ne pourra
que s'accroître.
Mais, il existe d'autres pistes que le Gouvernement ne doit pas méconnaître :
la formation, la rémunération, la protection sociale.
L'amélioration des conditions dans lesquelles les actifs peuvent assurer les
missions que les électeurs leur ont confiées doit être prioritairement
recherchée dans le cadre du futur « statut de l'élu ». Elle passe aussi bien
par la suppression de la limitation du droit à suspension du contrat de travail
à un seul mandat que par l'augmentation des possibilités d'absence, que ce soit
sous la forme de crédits d'heures pour les salariés ou de compensations pour
pertes de revenus pour les professions libérales.
Garantir à l'élu qu'il ne sera pas, une fois son mandat perdu, écarté du
marché du travail est un autre moyen d'inciter les salariés du secteur privé et
les indépendants à s'engager davantage dans les fonctions électives. Ne faut-il
pas envisager la création d'une indemnité de transition de fin de mandat, qui
équivaudrait à une année de rémunération du mandat, et qui serait versée, selon
les choix de chacun, sous la forme d'une rente ou d'un capital, ce dernier
permettant aux membres de professions libérales de relancer leur activité ?
M. Alain Dufaut.
Très bien !
M. Claude Haut.
Nous souhaitons tous, monsieur le ministre, que notre pays s'engage dans une
deuxième phase de décentralisation. Mais cette volonté restera lettre morte si
les élus des plus petites collectivités, encore trop souvent dépourvus de
personnel hautement qualifié, continuent de se trouver sous la tutelle des
services de l'Etat et des grandes collectivités, faute d'une formation
suffisante.
Il serait urgent de prévoir au moins une multiplication par cinq des jours
pendant lesquels les élus peuvent s'absenter de leur travail pour se former, en
percevant tout de même des compensations. Ce droit est aujourd'hui limité à six
jours : c'est notoirement insuffisant !
M. Alain Dufaut.
C'est en effet ridicule !
M. le président.
Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Claude Haut.
La rémunération des fonctions électives est sans doute, monsieur le ministre,
le point le plus sensible de la question. C'est un point sensible pour les
finances publiques, certes, mais également pour nos concitoyens ; qui sont de
plus en plus nombreux à partager notre point de vue et à considérer que le
niveau de rémunération des maires est notoirement insuffisant.
Vous noterez, mes chers collègues, que j'ai parlé de « rémunération » et non
plus d'« indemnités ». Je crois que le mythe du bénévolat a vécu et que les
vingt dernières années ont considérablement tranformé la fonction de maire :
plus de technicité, de disponibilité et de responsabilité leur sont demandées,
la loi limitant le cumul des mandats en prend d'ailleurs acte.
Je citerai également la protection sociale que doit compléter la loi du 5
avril 2000, ainsi que la retraite des élus, qui, avec 1 000 francs par mois
après vingt ans de cotisations, paraît aujourd'hui ridicule.
M. le président.
Je vous prie de conclure, monsieur Haut, car vous avez largement dépassé votre
temps de parole.
M. Claude Haut.
Le statut de l'élu local rénové et modernisé est donc devenu, monsieur le
ministre, un chantier prioritaire. C'est cette réforme globale de la
décentralisation que j'appelle aujourd'hui de mes voeux par le biais d'un grand
débat que vous avez d'ailleurs annoncé.
En conclusion, je souhaiterais vous dire que le groupe socialiste votera votre
budget parce qu'il va dans le bon sens et parce que nous vous faisons
pleinement confiance pour mettre en oeuvre la deuxième phase de la
décentralisation. Nous savons, en effet, où sont les véritables
décentralisateurs, ceux qui se situent dans la lignée de François Mitterrand,
Pierre Mauroy et Gaston Defferre.
(Applaudissement sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen du
budget de la décentralisation me conduit à souligner le
hiatus
dans
lequel le Gouvernement s'enferre et qui transparaît au grand jour.
Les options politiques de la majorité mettent en lumière une volonté
insidieuse de remembrement du territoire, tandis que, sur le plan des moyens,
une logique recentralisatrice, héritière du dogme du système et du « tout à
l'Etat » gouverne.
M. Raymond Courrière.
C'est nous qui avons fait la décentralisation !
M. Bernard Fournier.
Premièrement, nous assistons à un double mouvement d'écartèlement de notre
conception de l'Etat. L'indivisibilité de la République n'est plus qu'un
concept s'effaçant sous les coups de butoir du fédéralisme triomphant.
Cette dérive ne se fait pas au grand jour. Elle rampe dans les arcanes de la
technocratie. On la débusque au gré des « orientations » ou des « programmes »
du Gouvernement.
Le débat est évité, la concertation repoussée, le peuple oublié.
M. Raymond Courrière.
Oh là là !
M. Claude Haut.
Il ne faut pas exagérer !
M. Bernard Fournier.
La tentation fédéraliste est à son comble ! Elle s'observe tant au niveau
supranational qu'au niveau infranational. L'Europe coiffe la République,
laquelle semble être condamnée à se dissoudre en régions autonomes, tranformant
notre pays, au mieux en Etat régional, au pire en fédération d'entités
autonomes. Tout se discute, certes, mais laissez-nous au moins le temps d'un
débat là-dessus : on ne peut pas défaire à coup de discours ce que la
Constitution a établi.
Hiatus, disais-je - ce sera le second point de mon propos -, parce que le
Gouvernement ne manque pas une occasion de procéder à la recentralisation. Vos
lois d'orientation furent le prétexte à une amputation des moyens et des
compétences des collectivités, avec, en arrière-plan, la suppression des
ressources, l'augmentation des contrôles de l'Etat, la défiance et les
sanctions envers les communes, qui sont - faut-il le dire ? - au banc des
accusés.
Vous stigmatisez l'augmentation des besoins des collectivités locales. Ceux-ci
augmentent, car les transferts de charges augmentent et parce que vous
recentralisez les ressources fiscales : faut-il rappeler que, depuis que vous
êtes aux affaires, monsieur le ministre, nous avons perdu deux points en
matière d'autonomie des collectivités locales ?
« Il faut, certes - c'est vrai - une véritable réforme fiscale. Les
propositions de certains de vos collègues de la majorité visant l'affectation
d'un impôt d'Etat aux collectivités ont le mérite d'aller dans le bon sens : je
ne suis pas ingrat, je vous l'accorde.
Malgré ce débat naissant, ce projet de loi de finances n'échappe pas à la
règle en matière de recentralisation. La fiscalité locale est mise à mal. On
supprime des ressources pour les remplacer par des dotations étatiques qui
resserrent la dépendance des communes, des départements et des régions à
l'égard du pouvoir central.
La localisation de l'impôt est symbolique. Elle est importante, aux yeux tant
des contribuables que des gestionnaires.
Les contribuables, d'abord, peuvent ainsi comprendre la destination de leur
impôt : les réalisations des collectivités, notamment en termes d'équipements ;
deviennent palpables.
S'agissant des élus, c'est leur compétence qui est en cause : en localisant
l'impôt, on les responsabilise et l'on peut tabler sur une meilleure conception
de la mission d'intérêt général qu'ils remplissent.
De cela, vous ne voulez plus et vous organisez la reprise en main de l'impôt
par une centralisation dissimulée.
Je mettrai juste l'accent sur le domaine culturel. Le projet de loi de
finances pose les limites de la politique de contractualisation et de
cofinancement menée par le Gouvernement. Le système actuel aboutit à une
inadéquation patente, entre la nature des activités, leur mode de financement
et l'échelon territorial qui en est responsable. L'exigence de sincérité
budgétaire est bafouée et l'on s'y perd dans le dédale des transferts de
charges et de compétences. Dès lors, l'article 72 de la Constitution devient
une coquille vide.
Vous avez oublié que le principe de libre administration a pour corollaire
celui de la libre gestion, c'est-à-dire la possibilité de disposer de
ressources fiscales propres. La proposition de loi de M. le président Christian
Poncelet, adoptée par le Sénat, corrige ces dérives. Le Conseil constitutionnel
l'a maintes fois rappelé et je ne doute pas un instant qu'il le fera une
nouvelle fois. Vous malmenez en quelque sorte la Constitution.
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Fournier.
M. Bernard Fournier.
En conclusion, sur un autre plan, permettez-moi de sourire lorsque je vous
vois vous draper dans le voile de l'indignation parce que nous nous opposons à
votre tripatouillage sur l'inversion du calendrier électoral. Vous vous placez,
alors, en défenseurs des conceptions gaullistes des institutions ! Votre
défense de la Ve République est à géométrie variable. Nous ne sommes pas dupes,
le peuple non plus.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc.
Monsieur le ministre, le crédits que nous examinons aujourd'hui enregistrent
une augmentation dont nous nous félicitons tous.
Ce qui devrait nous réjouir, à l'heure où chacun s'accorde à reconnaître qu'il
est grand temps de donner une nouvelle impulsion à la décentralisation, ne nous
leurre pas, car cette augmentation n'est en aucune façon le reflet d'une
politique volontariste du Gouvernement en faveur de la décentralisation.
Bien au contraire, cette hausse des crédits est plutôt, à bien y regarder, la
conséquence d'une politique insidieuse, mais certaine, de recentralisation du
Gouvernement.
Vous ne cessez en effet de supprimer des recettes pour les remplacer par des
subventions d'Etat, et cela non en vue d'alléger les charges des collectivités
locales ou d'améliorer leurs ressources, mais bien pour des raisons
idéologiques.
Par ce biais, vous disposez de moyens de contrainte à l'encontre des
collectivités locales afin qu'elles se conforment bien à votre schéma, à savoir
assurer une égalité dogmatique de traitement des citoyens sur tout le
territoire à l'aide de dispositifs uniformes au niveau national.
Il est clair que, chaque fois que vous supprimez un impôt dont le taux est
librement fixé par des élus locaux pour le remplacer par une dotation allouée
par l'Etat, c'est une part considérable de l'autonomie des collectivités
locales qui disparaît et donc une marge de manoeuvre qui se réduit. Il y a eu,
entre autres, la suppression de la part de la taxe professionnelle assise sur
les bas salaires, qui s'achèvera dans deux ans. En bref, il y a eu cinq
réformes en l'espace de trois années, 85 milliards de francs de fiscalité
locale ont été remplacés par des dotations de l'Etat et la part de la fiscalité
dans les recettes totales des collectivités locales hors emprunts est passée,
en trois ans, en dessous de 50 %.
Ainsi, sous le prétexte d'uniformisation, de lissage des territoires, vous
êtes parvenu à aliéner les initiatives locales en les découplant de leurs
implications budgétaires, ce qui est absolument contraire au principe
d'autonomie fiscale des collectivités locales reconnu par les lois de
décentralisation.
Même le président Mauroy s'est insurgé contre cette pratique, puisqu'il a
souligné que, « si la modernisation des impôts locaux reste une priorité, la
commission estime que celle-ci ne devra plus se faire au détriment de
l'autonomie fiscale des collectivités territoriales ».
Cela pose un réel problème de démocratie locale !
Par ailleurs, on note une certaine recentralisation. En effet, la marge de
manoeuvre des collectivités locales est de plus en plus réduite. En se
défaussant sur ces dernières de certaines obligations par le biais des contrats
de plan Etat-région, le Gouvernement oriente de plus en plus les dépenses de
ces collectivités.
Quant à la liberté locale, la domination de l'Etat ne cesse de se renforcer
sur les actions des collectivités locales, notamment par l'accentuation du
pouvoir de tutelle de préfets dans le cadre de dispositions législatives.
J'en viens aux contrats.
Ces derniers auraient pu constituer un instrument privilégié pour développer
des actions communes entre l'Etat et les collectivités locales.
Malheureusement, c'est une logique contractuelle inégalitaire qui a prévalu,
car l'Etat utilise le contrat pour associer les collectivités locales à des
politiques qui relèvent de sa propre responsabilité, mais qu'il n'était pas en
mesure de financer seul, sans pour autant partager la compétence.
Dans son rapport sur l'exécution des contrats de Plan 1994-1996, après avoir
relevé que, pour cette génération de contrats, les participations locales,
régions comprises, s'étaient élevées à un niveau supérieur à celui de l'Etat,
la Cour des comptes a jugé cet état de fait : « Paradoxal puisque les
principales actions inscrites aux contrats concernent des domaines qui sont de
la responsabilité de ce dernier ». Cela se confirme pour les routes nationales,
les plans universitaires ou encore la sécurité publique.
Je doute fort que le bilan soit moins lourd pour ces collectivités à l'issue
des contrats de Plan conclus pour la période 2000-2006, car il est notoire
qu'ils ne sont que le prolongement de votre vision de la stratégie à tenir dans
les régions, pour laquelle vous avez fixé, dès juillet 1999, lors du comité
interministériel de l'aménagement et de développement du territoire, les
enveloppes ministérielles et régionales de crédits.
Mais, au-delà de ces contrats de Plan qui organisent la cogestion des
compétences dans un cadre inégalitaire assurant la prédominance de l'Etat, vous
êtes également à l'origine de mesures législatives tout à fait contraignantes
pour les collectivités locales. Ces mesures nous les avons largement
combattues, parce qu'elles nous sont apparues en totale contradiction avec le
principe de libre administration des collectivités territoriales fixé par la
Constitution.
Certaines des dispositions de la loi relative à l'accueil et à l'habitat des
gens du voyage sont particulièrement contraignantes, voire coercitives, pour
les collectivités locales. Nous pensons notamment au pouvoir de substitution
reconnu au représentant de l'Etat pour remplir les obligations mises à la
charge d'une commune ou d'un établissement public de coopération.
Peut-on considérer que les collectivités locales sont encore dotées «
d'attributions effectives » si l'Etat peut se passer de leur accord dans ce
domaine de compétences que la loi leur attribue ? Hélas non ! Voilà donc bien
un des nombreux exemples de coups portés à la libre administration des
collectivités locales.
Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, nous ne pouvons pas cautionner
votre politique, qui consiste non pas à augmenter les ressources propres des
collectivités locales, mais seulement à compenser les impôts que vous supprimez
pour mieux orienter à votre guise leurs actions.
Pour conclure, j'aimerais vous rappeler que la décentralisation est en réalité
en panne en France. C'est pourquoi nous saluons les efforts de notre président,
Christian Poncelet, qui a engagé toute son énergie pour relancer le débat sur
ce thème majeur. Tout comme lui, nous considérons qu'il est essentiel de
réaffirmer le principe d'autonomie financière de nos collectivités locales.
Nous estimons qu'il faudra, dans le même temps, avoir le courage de clarifier
les compétences, l'enchevêtrement actuel des compétences n'étant plus
supportable tant pour les différentes collectivités terriroriales, et plus
encore pour les communes, que pour nos concitoyens, qui sont en droit de savoir
qui fait quoi et à quoi servent leurs impôts.
Par ailleurs, il me semble essentiel de faire enfin confiance aux
collectivités locales pour mener à bien certaines missions d'intérêt général.
Comme l'a si bien dit notre président, Christian Poncelet, osez faire le pari
du local ! Cela sous-entend que vous transfériez de nouvelles compétences aux
collectivités locales et que ce transfert soit assorti de la possibilité, pour
ces dernières, de gérer, sans interférence de l'Etat, les ressources afférentes
à ces nouvelles compétences.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures
trente.)