SEANCE DU 20 DECEMBRE 2000
EGALITÉ PROFESSIONNELLE
ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES
Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition
de loi (n° 111, 2000-2001), adoptée avec modifications par l'Assemblée
nationale en deuxième lecture, relative à l'égalité professionnelle entre les
femmes et les hommes. [Rapport n° 139 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, me voici devant vous
pour une deuxième lecture de cette proposition de loi relative à l'égalité
professionnelle entre les femmes et les hommes enrichie de propositions
concrètes, dont certaines sont issues des conclusions émises par le Conseil
supérieur de l'égalité professionnelle et d'autres du débat qui s'est déroulé à
l'Assemblée nationale.
Ce texte comporte, comme en première lecture, une deuxième partie consacrée à
la définition du travail de nuit et aux nécessaires garanties et contreparties
à inscrire dans le code du travail pour les hommes comme pour les femmes.
J'évoquerai tout d'abord les articles consacrés à l'égalité professionnelle
proprement dite.
Rappelez-vous les propos que j'ai tenus devant vous lors de la discussion de
certains amendements portant sur la place des femmes dans les lieux de décision
économiques et sociaux. Je vous demandais de bien vouloir attendre les avis du
Conseil supérieur de l'égalité professionnelle. Je suis donc en mesure
aujourd'hui de me féliciter du dialogue social engagé et des dispositions
concrètes que j'ai pu inclure dans le deuxième chapitre de la loi concernant la
représentation des hommes et des femmes dans les élections professionnelles.
Dorénavant, les conjointes collaboratrices des artisans, des commerçants et
des agriculteurs employeurs pourront devenir électrices et éligibles aux
conseils des prud'hommes en lieu et place de l'employeur. Voilà une mesure
pragmatique et très attendue dans ce milieu économique qui favorisera
l'augmentation du nombre de femmes dans les lieux de décision.
Les organisations socio-professionnelles ont la volonté de parvenir à une
représentation équilibrée des femmes dans ces instances. Dès 2002, pour ces
élections prud'homales, les organisations s'engagent à présenter des listes qui
réduiront d'un tiers le déficit actuel du nombre de femmes par rapport à leur
représentation proportionnelle. Le Gouvernement, pour sa part, s'engage à
présenter un rapport d'évaluation au Parlement dans un délai d'un an après le
renouvellement des conseils et après consultation du Conseil supérieur de
l'égalité et du conseil supérieur de la prud'homie. Ce rapport contiendra aussi
des engagements pour parvenir, en 2007, à une réelle représentation équilibrée
des femmes, compte tenu de leur place dans le corps électoral des
prud'hommes.
Des engagements ont également été pris concernant la place des femmes dans les
comités d'entreprise et parmi les délégués du personnel. Les voies et moyens en
vue d'atteindre une représentation équilibrée sur les listes de candidatures
devront faire l'objet d'un examen lors de l'élaboration du protocole d'accord
pré-électoral. Lorsqu'un accord sera passé entre l'employeur et une ou
plusieurs organisations syndicales, cet accord ne liera que les signataires.
Un autre article prévoit la constitution d'une commission de l'égalité
professionnelle dans les entreprises employant au moins 200 salariés,
commission chargée notament de préparer les délibérations du comité
d'entreprise.
Le Gouvernement, pour sa part, s'engage devant le Parlement là encore à
présenter un an après leur mise en vigueur, un rapport évaluant l'effectivité
de ces nouvelles dispositions ; il proposera, le cas échéant, de nouvelles
mesures.
Vous le savez, aujourd'hui même, le Conseil économique et social vote le
rapport de Michèle Cotta, qui a répondu à une saisine du Premier ministre sur
ces mêmes sujets. C'est avec un grand intérêt que je prendrai connaissance des
propositions émises.
J'en viens maintenant au deuxième volet de notre débat : l'encadrement du
travail de nuit.
Le chapitre III s'est considérablement enrichi du débat qui s'est déroulé à
l'Assemblée nationale. En fait, c'est, pourrait-on dire, un nouveau chapitre du
code du travail qui est institué.
J'avais déclaré devant votre assemblée que le travail de nuit n'était un
progrès social ni pour les hommes ni pour les femmes, mais que la société avait
besoin de ces 3 millions de salariés, dont 800 000 femmes, et que notre devoir
était de leur apporter à tous, hommes et femmes, les meilleures garanties et
contreparties possibles.
C'est donc avec confiance que je vous présente rapidement les principales
avancées de ce texte.
Il contient un certain nombre de dispositions d'ordre public, dictées par
l'exigence de protection de la santé et de la sécurité des salariés concernés,
notamment en matière de définition du travail de nuit, de limitation de sa
durée, de surveillance médicale ou encore de protection de la femmes
enceinte.
En conjugant ces dispositions d'ordre public et la négociation collective, ce
texte crée les conditions permettant d'éviter toute banalisation du travail de
nuit. L'article L. 213-1 est clairement rédigé : « Le recours au travail de
nuit doit être exceptionnel ».
La définition de la plage horaire du travail de nuit est désormais fixée de
vingt et une heures à six heures, au lieu de vingt-deux heures à cinq heures.
La durée moyenne hebdomadaire calculée sur douze semaines est abaissée à
quarante heures, au lieu de quarante-deux heures.
Les contreparties devront comporter obligatoirement des temps de repos.
C'était une demande que vous aviez exprimée fortement dans les débats en
première lecture.
Mme Gisèle Printz.
Tout à fait !
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Ces temps de repos n'excluent pas, bien évidemment,
d'autres formes de contreparties comme les majorations de salaire, très
répandues dans les accords en vigueur sur le travail de nuit.
Des progrès importants sont proposés en matière de surveillance médicale. Le
texte du Gouvernement étend cette surveillance à l'ensemble des travailleurs de
nuit et prévoit un rythme accru des visites chez le médecin du travail, dont le
rôle est important en la matière.
Les femmes enceintes, quant à elles, ont droit à une protection réelle. Elles
pourront dorénavant, dès qu'elles auront connaissance de leur grossesse, faire
une demande de reclassement en travail de jour auprès de leur employeur. Pour
prendre en compte les cas où un poste de jour ne peut être proposé, je m'étais
engagée, lors du vote de ce texte devant l'Assemblée nationale, à étudier la
possibilité de mettre en place un dispositif de garantie de rémunération
spécifique adossée au régime de couverture sociale de la maternité et complétée
par l'entreprise. Je suis en mesure aujourd'hui de proposer l'attribution d'une
allocation journalière maternité.
C'est avec beaucoup d'intérêt, madame la rapporteure, que j'ai pris
connaissance des amendements de la commission des affaires sociales visant à la
création d'une indemnité journalière. Mais serais heureuse que mes propositions
précises et construites soient soutenues par la commission et que le Sénat
adopte l'amendement que j'ai déposé sur ce sujet.
Il prévoit un dispositif inspiré de l'accord national interprofessionnel du 10
décembre 1977 mais déroge à la condition de trois ans d'ancienneté. Il s'agit
bien d'une mesure de protection de la maternité, les dispositions relatives aux
indemnités journalières figureront dans le code de la sécurité sociale au
chapitre relatif à l'assurance maternité, ce qui avait été réclamé à de
nombreuses reprises tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.
Par ailleurs, je souhaite compléter cette partie du texte sur les femmes
enceintes par un amendement qui donne la possibilité au médecin du travail de
proposer un poste de jour à une femme enceinte travaillant la nuit, même si
celle-ci n'en fait pas la demande, s'il estime que le poste de nuit présente
des risques pour la santé de la salariée ou celle de l'enfant à naître.
Ce texte apporte également des garanties de grande portée pour l'articulation
de la vie professionnelle et de la vie familiale.
Non seulement cette question devra être abordée dans les accords, mais un
salarié pourra refuser le passage au travail de nuit sans s'exposer à une
sanction ou à un licenciement s'il justifie d'obligations familiales
impérieuses, telles que la garde d'un jeune enfant ou la prise en charge d'une
personne très dépendante. Cette faculté vaudra aussi, en sens inverse, pour le
retour à un travail de jour.
En outre, les travailleurs de nuit souhaitant passer à un travail de jour, ou
vice versa, bénéficieront d'une priorité d'emploi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que je vous présente aujourd'hui
en deuxième lecture constitue donc une avancée sociale majeure, de manière
encore plus nette que le texte que je vous avais soumis en première lecture.
D'une part, il tend à promouvoir l'égalité professionnelle entre les hommes et
les femmes et, d'autre part, il prévoit un dispositif protecteur de grande
qualité pour l'ensemble des travailleurs de nuit, femmes et hommes.
C'est donc avec conviction que je défends devant vous l'ensemble de ces
dispositions.
Vous me permettrez maintenant d'évoquer brièvement, au nom de Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, l'égalité
professionnelle dans la fonction publique.
Je vous rappelle l'engagement pris par le Gouvernement de déposer tous les
deux ans devant le Parlement un rapport sur la situation comparée entre les
hommes et les femmes agents de la fonction publique, en termes de recrutement,
d'avancement, de formation et de rémunération effective.
Les jurys et les comités de sélection dont les membres sont désignés par
l'administration seront composés en respectant une représentation équilibrée
entre les femmes et les hommes.
Je rappelle l'objectif du Gouvernement : faire bouger les choses, faire
évoluer les pratiques dans les administrations, autoriser les conditions d'une
égalité en marche entre les hommes et les femmes.
Je note avec satisfaction la réelle convergence de vues, relevée par votre
rapporteure, Mme Bocandé, entre le Sénat et l'Assemblée nationale sur la
nécessité d'améliorer la situation des femmes et d'assurer concrètement
l'égalité. Nombre d'articles ont ainsi été adoptés conformes par les deux
assemblées.
Quelques articles reviennent devant vous. Ils concernent principalement la
mise en oeuvre du principe de mixité dans les jurys de recrutement aux concours
d'accès à la fonction publique et dans les jurys de promotion interne.
Je regrette que, sur ce point, le Sénat n'ait pas suivi l'Assemblée nationale
et que, tout en fixant le principe de mixité, il permette d'y déroger, certes
dans des cas exceptionnels et après avis des instances consultatives. Mais
n'est-ce pas prêter le flanc à l'immobilisme ? Je me permets de poser cette
question.
Il nous faut aller de l'avant, moderniser le recrutement et la gestion de la
fonction publique afin de permettre aux femmes d'y trouver leur juste place.
Pour cela, il est nécessaire de diversifier la composition des jurys, de
manière à permettre la prise en compte des points de vue et des profils
différents.
Je rappellerai d'autres décisions du Gouvernement comme la mise en oeuvre,
dans chaque ministère, d'un plan pluriannuel d'amélioration de l'accès des
femmes aux postes de responsabilité, à des emplois d'encadrement, ou encore
l'institution d'un comité de pilotage chargé d'expertiser les critères de
sélection qui président au recrutement des cadres supérieurs de la fonction
publique et de faire des propositions de modification des concours et des
cursus de formation.
L'ensemble de ces mesures doit permettre de rééquilibrer la structure
hiérarchique des administrations afin qu'elle reflète davantage la composition
de la société. Je n'hésite pas à dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que
l'Etat employeur doit montrer l'exemple.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Annick Bocandé,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le texte que nous examinons
aujourd'hui est sensiblement différent de celui que nous avions adopté en
première lecture, le 3 octobre.
Le bilan de la navette apparaît, pour l'instant, comme très mince, l'Assemblée
nationale étant revenue pour l'essentiel à son texte de première lecture et les
apports du Sénat ayant largement disparu. Sur les vingt-deux articles restant
en discussion après le passage au Sénat, seuls cinq ont, en effet, été adoptés
ou supprimés conformes par l'Assemblée nationale.
Surtout, la proposition de loi a été profondément transformée par
l'introduction, sur proposition du Gouvernement, de nouvelles dispositions
relatives au travail de nuit, dispositions dont l'importance tend à faire
passer désormais les mesures initiales sur l'égalité professionnelle au second
plan.
L'examen du texte en première lecture par le Sénat avait permis d'aboutir à un
accord sur un nombre non négligeable d'articles. Sur les trente articles dont
il avait été saisi, le Sénat en avait adopté conformes seize. Cela concernait
notamment les dispositions relatives à la fonction publique.
Cependant, la poursuite de la navette montre que les divergences entre les
deux assemblées demeurent importantes, même s'il convient de faire à cet égard
une distinction entre les deux volets du texte.
C'est sur le volet relatif au droit du travail que les désaccords apparaissent
le plus nettement.
Alors que treize articles restaient en discussion sur le titre Ier de la
proposition de loi après la première lecture au Sénat, l'Assemblée nationale
n'a finalement adopté conformes que deux articles, dont la portée est pour le
moins mineure.
Elle a, en revanche, supprimé ou substantiellement modifié les six articles
introduits par le Sénat et est revenue à son texte initial sur cinq articles.
Elle a, en outre, introduit cinq articles additionnels.
Je regrette vivement que l'Assemblée nationale n'ait pas choisi de débattre en
profondeur de cette importante question de l'égalité professionnelle et qu'elle
ait préféré le plus souvent écarter d'un revers de la main les propositions du
Sénat.
Trois domaines auraient dû faire l'objet d'un tel débat.
Il s'agit d'abord de la négociation collective sur l'égalité professionnelle.
Sur ce point, les positions des deux assemblées demeurent éloignées, témoignant
de deux conceptions finalement très différentes de la négociation
collective.
Il importe, toutefois, de lever un malentendu. Le Sénat, en dépit de certaines
réserves, ne s'oppose pas à l'institution d'obligations de négocier sur
l'égalité professionnelle. Au contraire, la commission des affaires sociales
est persuadée que c'est par la négociation effective, et non par l'instauration
de nouvelles dispositions normatives contraignantes, que les inégalités trop
souvent constatées se résorberont.
C'est sur la forme de ces négociations que les positions respectives
divergent. Notre commission estime que la mise en place d'obligations de
négocier doit rester compatible avec la nécessaire autonomie des partenaires
sociaux. Il faut donc que les partenaires sociaux puissent fixer librement le
socle de la négociation et non que celui-ci leur soit imposé par une
administration trop souvent coupée des réalités économiques et sociales des
branches et des entreprises.
Il faut également que le rythme des négociations sur l'égalité professionnelle
s'intègre au mieux dans le déroulement du dialogue social et non que la
périodicité des négociations relève d'une logique aussi obscure
qu'arbitraire.
Il faut enfin que cette négociation soit souple et directe, et non figée dans
un quelconque rendez-vous institutionnel et factice, dont le non-respect
serait, qui plus est, passible de sanctions pénales. Notre commission doute en
effet que la pénalisation croissante du droit du travail constitue une réelle
solution. Le risque est grand d'aboutir à une succession de négociations
formelles, simplement destinées à éviter toute condamnation pénale. Ce n'est
pas, à l'évidence, un climat très propice à l'ouverture d'un dialogue
serein.
Aussi, sur ce point, la commission, ne désespérant pas de convertir
l'Assemblée nationale à une conception plus moderne du dialogue social,
proposera de revenir largement au texte adopté en première lecture au Sénat.
L'articulation entre vie familiale et vie professionnelle aurait également
mérité d'être plus simplement débattue à l'Assemblée nationale.
Notre commission avait regretté, en première lecture, que la présente
proposition de loi ignore totalement cette question pourtant essentielle. En
effet, ce sont bien souvent les difficultés que rencontrent les femmes pour
concilier leur vie familiale et leur vie professionnelle qui alimentent les
inégalités persistantes. Les femmes restent encore trop fréquemment dans
l'obligation d'interrompre leur carrière professionnelle pour élever leurs
enfants et se heurtent à d'importantes difficultés pour réintégrer le marché du
travail.
Le Sénat avait formulé deux propositions très concrètes sur ces deux points en
adoptant, sur l'initiative de la commission, deux articles additionnels. Mais
l'Assemblée nationale les a supprimés, sans avoir pris le temps de les examiner
en détail. Notre commission le déplore et proposera, en conséquence, de les
rétablir en deuxième lecture.
La navette a été beaucoup moins stérile sur le troisième sujet, même si
subsistent, là encore, des incompréhensions ; je veux parler de la
représentation des femmes dans les élections professionnelles.
Dans ce domaine également, le Sénat avait fait deux séries de propositions.
D'une part, sur l'initiative de la commission, il avait adopté un article
favorisant la reconnaissance professionnelle des conjoints collaborateurs
d'artisan en leur permettant d'être électeurs et éligibles aux conseils de
prud'hommes.
D'autre part, sur proposition de notre collègue Gérard Cornu, le Sénat avait
adopté trois articles instaurant la parité sur les listes de candidats aux
élections aux conseils de prud'hommes, aux comités d'entreprise et aux
fonctions de délégué du personnel.
La commission se félicite que ces initiatives aient été, au moins
partiellement, retenues par l'Assemblée nationale.
Ainsi, pour les conjoints collaborateurs, l'Assemblée nationale a accepté de
leur permettre de se substituer au chef d'entreprise pour les élections
prud'homales. C'est un compromis très satisfaisant, qui leur garantit une
reconnaissance professionnelle depuis longtemps attendue.
De même, pour les élections prud'homales, les partenaires sociaux se sont
saisis du dossier, notamment au travers du Conseil supérieur de l'égalité
professionnelle. A la suite de la proposition du Sénat, un consensus s'est
ainsi dégagé autour de l'objectif d'une meilleure représentation des femmes.
Dans un premier temps, et à défaut d'une stricte parité, les disparités
actuelles dans la composition des listes de candidats par rapport à la
composition du corps électoral seraient réduites d'un tiers pour le
renouvellement de 2002. C'est cet objectif que reprend le texte transmis par
l'Assemblée nationale. Là encore, cette proposition, bien que se situant en
retrait par rapport à celle du Sénat, paraît acceptable et elle a le mérite de
débloquer la situation.
En revanche, l'objectif d'une meilleure représentation des femmes dans les
comités d'entreprise ou parmi les délégués du personnel reste lettre morte.
Le texte de l'Assemblée nationale se contente de renvoyer à un énième rapport,
qui ne sera rendu public qu'au 31 décembre 2003. Il prévoit également une
étrange disposition, qui renvoie à un accord entre employeur et organisations
syndicales la définition des « voies et moyens pour atteindre une
représentation équilibrée des femmes et des hommes sur les listes de
candidatures au comité d'entreprise ». Il y aurait là une immixtion évidente du
chef d'entreprise dans un domaine qui relève de la seule responsabilité des
syndicats.
Dans ces conditions, notre commission juge souhaitable de réitérer les
dispositions adoptées par le Sénat en première lecture, mais sous une forme
aménagée, prenant en compte les spécificités des entreprises et des branches,
afin de relancer le dialogue social sur ce sujet.
S'agissant du volet relatif à la fonction publique, les positions des deux
assemblées semblent moins éloignées.
Neuf articles restaient en discussion après le vote du Sénat en première
lecture. En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a adopté ou supprimé
conformes trois de ces articles, mais est revenue à son texte initial pour les
six autres, sous réserve de quelques modifications.
Deux points de désaccord ont été confirmés.
D'une part, l'Assemblée nationale a, une nouvelle fois, supprimé la « clause
de sauvegarde » qu'elle avait déjà supprimée en première lecture, mais que le
Sénat avait souhaité rétablir. Or cette clause, qui prévoit que la mixité dans
les jurys peut être exceptionnellement assurée par la présence d'au moins un
membre de chaque sexe, est à l'évidence une mesure pragmatique. Il s'agit ici
simplement de prendre en compte des difficultés d'application qui pourraient
survenir lorsque la représentation respective des femmes et des hommes est très
déséquilibrée.
D'autre part, l'Assemblée nationale est revenue à la rédaction initiale de
l'article 14
bis
, ignorant les propositions de simplification du Sénat
sur le contenu et l'intitulé du rapport sur l'application du principe de
l'égalité des sexes dans la fonction publique.
Sur ces deux points, la commission des affaires sociales vous propose de
revenir au texte adopté par le Sénat en première lecture sur l'initiative de la
commission des lois.
La portée de la présente proposition de loi a été profondément amplifiée par
l'introduction, en cours de navette et sur l'initiative du Gouvernement, de
nouvelles et importantes dispositions sur le travail de nuit. Ces dispositions
lèvent l'interdiction du travail de nuit des femmes dans l'industrie et
instaurent un nouveau régime légal pour le travail de nuit, à la fois pour les
femmes et pour les hommes.
Nous abordons ici, vous l'aurez compris, mes chers collègues, le coeur du
débat qui va nous occuper ce soir, débat à la charge hautement symbolique, mais
aux répercussions éminemment pratiques pour de très nombreux salariés. En
effet, le travail de nuit est aujourd'hui une réalité pour des milliers de
salariés. On estime que près de trois millions de salariés travaillent plus ou
moins régulièrement la nuit, dont huit cent mille femmes. Ainsi, près de 15 %
des salariés travaillent au moins une nuit par an et 4 % plus de cent nuits par
an.
Cette réalité du travail de nuit, dont on ne soulignera jamais assez la
nocivité et les risques pour la santé et la sécurité des salariés, contraste
fortement avec le silence de la législation.
Certes, depuis 1892, la législation du travail prévoit l'interdiction du
travail de nuit des femmes dans l'industrie, même si quelques assouplissements
ont été apportés en 1979 et en 1987 à cette interdiction de principe.
Toutefois, cette interdiction de principe apparaît aujourd'hui comme une
fiction juridique. Notre pays a déjà été condamné à deux reprises par la Cour
de justice des Communautés européennes, et il se trouve aujourd'hui sous la
menace d'une très lourde astreinte pour avoir maintenu une telle disposition
jugée discriminatoire par le droit communautaire.
Dès lors, notre législation sur le travail de nuit des femmes est privée de
toute portée normative, le juge écartant désormais la norme nationale au profit
de la jurisprudence européenne. D'ailleurs, environ cinquante-cinq mille femmes
travaillent déjà, aujourd'hui, la nuit dans l'industrie.
Mais le silence de notre législation sur le travail de nuit va au-delà de la
simple obsolescence de ces dispositions. Le code du travail ne comporte en
effet aucune disposition relative à l'encadrement du travail de nuit en
général, hormis quelques mesures relatives aux jeunes travailleurs.
Certes, la plupart des salariés travaillant la nuit bénéficient d'une
protection juridique satisfaisante, car ils sont couverts par des conventions
ou des accords collectifs abordant le travail de nuit. Toutefois, là encore,
notre législation apparaît en retrait par rapport aux exigences européennes,
deux importantes directives de 1992 et 1993 sur ce sujet n'ayant toujours pas
été transposées.
Au total, et compte tenu de ces observations, une modernisation de notre
législation sur le travail de nuit apparaît désormais nécessaire, ne serait-ce
que pour la mettre en conformité avec le droit européen. C'est sans doute le
constat qu'a formulé le Gouvernement et qui a motivé le dépôt d'un amendement à
la présente proposition de loi.
Cet amendement sur le travail de nuit - vous vous en rappelez sûrement, mes
chers collègues - avait déjà été déposé lors de l'examen de ce texte en
première lecture par le Sénat. La commission avait alors exprimé sa réticence à
légiférer dans la hâte sur ce sujet important. Elle avait ainsi formulé des
réserves sur la procédure retenue par le Gouvernement.
D'une part, il aurait été souhaitable de mieux associer les partenaires
sociaux à la préparation d'une réforme dont les implications les concernent
très directement et pour laquelle ils auraient pu faire valoir des expériences
concrètes. Des solutions adaptées sont en effet fréquemment trouvées dans les
conventions de branche. Mais le Gouvernement a préféré légiférer à la hussarde,
se contentant, semble-t-il, d'une simple consultation de pure forme des
partenaires sociaux, alors que trois organisations syndicales sur les cinq
représentatives au niveau national ont marqué leur opposition au projet
gouvernemental.
D'autre part, il aurait été préférable de respecter le calendrier législatif
initialement annoncé. Les dispositions relatives au travail de nuit figurent en
effet dans le projet de loi de modernisation sociale. Ce projet de loi, annoncé
depuis de longs mois, n'a été déposé que le 24 mai 2000, et son inscription à
l'ordre du jour de l'Assemblée nationale a été différée. Le choix de procéder,
dans la précipitation, par amendement du Gouvernement, au cours de la navette
d'une proposition de loi, dénote une maîtrise pour le moins imparfaite de
l'ordre du jour des travaux parlementaires. D'autant que la présente
proposition de loi ne sera guère promulguée avant le printemps prochain et que
le Gouvernement s'est enfin résolu à inscrire le projet de loi de modernisation
sociale à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale début janvier 2001.
La commission avait également formulé des réserves sur le fond. Elle considère
que cette réforme de la législation sur le travail de nuit ne constitue pas un
progrès social, mais qu'elle est rendue nécessaire par le droit européen. Elle
aurait donc préféré un cadre législatif plus respectueux des prérogatives des
partenaires sociaux. Il aurait en effet été possible de se contenter d'une
transposition
a minima
des directives européennes et de renvoyer très
largement la définition du cadre juridique du travail de nuit à la négociation
collective. Une telle démarche, simple et logique, n'a, hélas ! pas été retenue
par le Gouvernement.
La commission avait pourtant choisi en première lecture, sans enthousiasme, de
ne pas s'opposer à l'adoption de l'amendement du Gouvernement, en dépit des
conditions désastreuses dans lesquelles il était examiné - dépôt tardif,
rectifications multiples - sous réserve de l'adoption de plusieurs
sous-amendements. Ces sous-amendements visaient à apporter un certain nombre de
garanties à la fois pour la protection des salariés, notamment des femmes
enceintes, et pour le bon fonctionnement des entreprises dans l'obligation de
recourir au travail de nuit. Il s'agissait pour la commission de trouver un
équilibre acceptable pour une réforme qu'elle n'avait pas souhaitée.
Le Sénat décidait, en définitive, après avoir adopté ces sous-amendements, de
ne pas voter l'amendement du Gouvernement. Il est probable que la majorité du
Sénat, à laquelle il aurait incombé de voter seule la levée de l'interdiction
du travail de nuit des femmes, a considéré que la primeur que lui réservait
ainsi le Gouvernement n'était pas, de la part de ce dernier, totalement
dépourvue d'ambiguïtés, voire d'arrière-pensées.
La commission considère toutefois qu'il est important, en deuxième lecture,
d'examiner en détail le dispositif voté à l'Assemblée nationale. L'examen de
l'amendement du Gouvernement à l'Assemblée nationale n'a en effet permis de
dissiper ni la confusion ni les ambiguïtés du dispositif. Le Gouvernement donne
ici singulièrement l'impression de « piloter à vue » cette réforme importante,
mais mal préparée, comme en témoigne son inquiétant mutisme au cours des
débats.
La rédaction issue de l'Assemblée nationale est loin d'être satisfaisante.
Elle ne permet en effet ni d'assurer une réelle protection aux salariés
travaillant la nuit ni de garantir aux entreprises la possibilité de recourir
au travail de nuit dans de bonnes conditions, lorsque cela est nécessaire.
Je citerai un exemple parmi d'autres : la garantie de rémunération accordée à
la salariée enceinte qui ne peut être reclassée sur un poste de jour.
L'Assemblée nationale a souhaité que cette rémunération soit intégralement à la
charge de l'employeur et non plus, pour partie, à celle de la sécurité sociale.
Or cela peut se traduire soit par un frein à l'embauche de femmes en âge
d'avoir des enfants dans les entreprises travaillant parfois de nuit, soit par
une charge financière importante pénalisant les entreprises ayant recruté des
femmes. Les effets pervers du dispositif sont alors évidents. Nous avons tenu à
faire des propositions à cet égard et nous nous félicitons de voir que le
Gouvernement s'y rallie, comme vous venez de le rappeler, madame la secrétaire
d'Etat.
Autre exemple, l'obligation de renégocier la majorité des accords sur le temps
de travail. La rédaction retenue oblige les entreprises qui ont introduit le
travail de nuit sur le fondement d'un accord collectif sans pour autant prévoir
de repos supplémentaire à renégocier l'intégralité des accords qu'elles ont pu
conclure sur ce sujet, notamment à l'occasion des trente-cinq heures. Le texte
adopté par l'Assemblée nationale revient donc à desavouer les partenaires
sociaux et à introduire une nouvelle insécurité juridique dans notre droit du
travail.
Ces deux effets pervers avaient d'ailleurs, dans un premier temps, été
soulignés par le Gouvernement. Mais celui-ci a ensuite cédé devant la pression
peu raisonnée de sa majorité plurielle. Je le regrette.
Dès lors, pour les salariés travaillant la nuit et pour les entreprises qui
les emploient, le texte adopté par l'Assemblée nationale comporte en définitive
plus d'interrogations, voire d'effets pervers, qu'il n'apporte de réponses. Il
ne peut rester en l'état et doit être amélioré de façon significative.
La commission a donc souhaité présenter des amendements assurant une
protection effective, au-delà des seules pétitions de principe, des salariés
travaillant la nuit, mais garantissant également le bon fonctionnement de nos
entreprises, sans les pénaliser trop lourdement.
En conséquence, elle vous propose de voter cette proposition de loi, sous
réserve de l'adoption des amendements qu'elle vous présente.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne
créerai pas la surprise dans notre hémicycle en vous disant, au nom du groupe
socialiste, que la proposition de loi relative à l'égalité professionnelle
entre les femmes et les hommes telle qu'elle revient de l'Assemblée nationale
nous convient globalement.
En ce qui concerne l'égalité professionnelle, nous faisons un constat commun,
qu'il s'agisse des rémunérations, de l'avancement ou de l'accès à la formation.
Alors que 80 % des femmes en âge d'être actives travaillent, elles demeurent
particulièrement touchées par la précarité, le temps partiel subi et les bas
salaires.
Rien ne justifie plus ni un écart salarial moyen de 25 % ni que les femmes ne
représentent que 6 % des membres des états-majors des grandes entreprises
françaises. Ces données maintenant bien identifiées sont d'ailleurs reprises
une nouvelle fois dans le récent rapport de Mme Cotta au Conseil économique et
social sur la représentation des femmes dans les lieux de décision, qui est
particulièrement éloquent.
S'il n'y a pas lieu de s'étonner que les femmes ne soient représentées qu'à
hauteur de 5 % au sein du MEDEF, ce qui est proportionnel à leur nombre dans
les grandes entreprises, il n'est absolument pas normal qu'elles ne soient que
10 à 20 % dans les instances de décision d'organismes tels que l'ANPE, l'AFPA
oul'UNEDIC. Manifestement, il y a encore beaucoup à faire pour atteindre la
parité. Ces exemples montrent à quel point il est nécessaire, dans les
entreprises elles-mêmes, de prévoir une négociation périodique et des sanctions
en cas de carence manifeste.
La question est tout aussi aiguë dans la fonction publique. Elle y est même,
apparemment, inexplicable. On peine en effet à comprendre pourquoi il n'y a que
20 % de femmes chefs de service, directeurs-adjoints et sous-directeurs et 13 %
parmi les directeurs d'administration centrale. Les conclusions du rapport
confié à Anicet Le Pors seront sans nul doute édifiantes sur ce point.
Ainsi que l'indiquait le ministre de la fonction publique et de la réforme de
l'Etat à l'Assemblée nationale, « donner aux femmes la place qui leur revient
dans la fonction publique exige une vraie volonté et des actes ». Il est à tout
le moins nécessaire de mieux équilibrer les divers jurys et comités de
sélection.
En ce qui concerne l'articulation entre la vie familiale et la vie
professionnelle, si nous partageons tous la même préoccupation - permettre aux
femmes d'avoir une vie la plus harmonieuse et la moins stressée possible - nos
idées sur les moyens d'y parvenir diffèrent. Nous sommes en particulier très
attachés à ce que les femmes ne s'éloignent pas trop durablement du monde du
travail, ce qui peut leur poser ensuite de cruels problèmes de réinsertion
quand les enfants sont tous scolarisés. Les conséquences en matière de retraite
sont également très néfastes.
Il nous paraît donc préférable, tant pour aides les femmes que pour faciliter
la socialisation des jeunes enfants, de développer et de diversifier les modes
de garde. La nette augmentation des subventions budgétaires aux crèches prévue
cette année dans la loi de finances va dans le bon sens. De même, pourquoi -
j'y reviens à nouveau - ne pas solliciter les comités d'entreprise, afin qu'ils
participent à l'élaboration d'un sytème de tickets halte-garderie pour les
personnes qui sont à temps partiel ?
Je dirai un dernier mot sur cette partie du texte. Nous sommes heureux qu'un
compromis ait été trouvé sur les élections prud'homales, pour les conjoints
collaborateurs et la représentation des femmes sur les listes de candidats.
J'en viens maintenant à ce qui est devenu le point le plus important, en tout
cas le plus médiatisé et polémique de cette proposition de loi : le travail de
nuit, considéré à tort comme le travail de nuit des femmes.
En effet, je ne reviens pas sur la nécessité de résoudre rapidement le
problème juridique posé par l'interdiction de principe du travail de nuit des
femmes qui subsiste dans notre droit positif. Mais il faut rappeler avec force
que, contrairement à ce que d'aucuns affirment, l'on ne saurait considérer une
interdiction de principe que nul ne respecte plus comme une protection
efficace. Il était de toute façon nécessaire d'actualiser cette législation
rendue caduque par l'évolution des choses. Il est en même temps important
d'apporter enfin un ensemble de garanties à tous les travailleurs de nuit,
qu'ils soient hommes ou femmes.
Ces principes posés, nul ne saurait prétendre que ce texte soit emblématique
du progrès social. Les problèmes sérieux et parfois graves posés par le travail
de nuit, sur le plan de la santé, de la vie familiale et sociale, sont
connus.
Toutefois, le travail de nuit existe et répond à une absolue nécessité dans
des secteurs tels que la santé ou la séurité publique et à des besoins
économiques, dans d'autres. Nous ne pouvons pas faire qu'il en soit autrement.
Nous devons donc faire preuve de lucidité dans l'intérêt même de ceux que nous
voulons protéger.
Il nous faut donc veiller à ce que les salariés dans cette situation
bénéficient au moins de garanties sanitaires et légales correctes.
De ce point de vue, le groupe socialiste du Sénat enregistre avec une
particulière satisfaction les progrès accomplis depuis la première lecture.
Nous nous réjouissons de constater que les amendements que nous aurions
souhaité que le Sénat adopte ont pu être introduits dans le texte par
l'Assemblée nationale.
Ainsi, le travail de nuit devra rester exceptionnel. Il sera soumis à la
conclusion préalable d'un accord collectif et devra être justifié. A défaut
d'aboutissement des négociations, l'autorisation de l'inspecteur du travail
sera requise.
Le recours au travail de nuit devra prendre en compte les impératifs de
protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. C'est une absolue
nécessité en égard aux conséquences sur la santé des horaires atypiques,
surtout lorsque le travail de nuit dure plus de huit ou dix ans. C'est pourquoi
la surveillance médicale semestrielle que nous avions demandée lors de la mise
en place du travail de nuit est un facteur positif.
Bien évidemment, nous voterons également l'amendement que le Gouvernement nous
propose afin de permettre l'intervention écrite du médecin du travail pour
qu'une femme enceinte travaillant de nuit soit affectée à un poste de jour
pendant toute la durée de sa grossesse.
Ainsi que nous vous l'avions fait observer, il était à craindre que la femme
enceinte ne subisse des pressions ou n'ose pas même demander à passer au
travail de jour. Elle sera ainsi mieux protégée, sans que l'on aille toutefois
jusqu'au passage automatique au travail de jour, sauf dérogation, ce qui aurait
pu se concevoir, puisqu'il ne peut y avoir de diminution de la rémunération.
L'élargissement de la plage horaire de 21 heures à 6 heures, ou de 22 heures à
7 heures est également un point positif. Surtout, nous sommes satisfaits de la
limitation de la durée maximale à huit heures par jour et 40 heures par
semaine, qui nous a toujours parue indispensable pour rendre le travail de nuit
supportable.
L'accord collectif mettant en oeuvre le travail de nuit devra prévoir une
contrepartie sous forme de repos supplémentaire et, le cas échéant, sous forme
de compensation salariale, ce à quoi nous avons toujours été très attachés.
Il serait d'ailleurs souhaitable de prévoir une durée minimale pour ce repos
compensateur, ce qui rendrait la disposition plus efficace, quelle que soit la
situation sociale dans l'entreprise.
Il est tout à fait important de rappeler, et il convient, à cet égard, de
rendre hommage à la ténacité de Mme la sécrétaire d'Etat, que cette disposition
relative au repos compensateur s'appliquera, dans le délai d'un an, aux
entreprises qui pratiquent déjà le travail de nuit.
Enfin, la possibilité pour les salariés de refuser le travail de nuit est
mieux prise en compte, pour des motifs divers, qu'il s'agisse d'obligations
familiales impérieuses ou des garanties accordées aux femmes enceintes. Comme
nous le souhaitions également, le refus d'un salarié de passer au travail de
nuit ne sera pas une faute ou un motif de licenciement.
Sans doute est-il juridiquement utile d'affiner maintenant le dispositif de la
garantie de rémunération accordée à la salariée enceinte que l'employeur ne
peut reclasser en travail de jour. Il paraît en effet anormal de faire peser
sur le seul employeur la charge de cette garantie, d'autant que cela peut se
retourner contre les femmes.
L'amendement du Gouvernement est, à cet égard, un bon compromis entre le
principe et la pratique. Nous attirons néanmoins votre attention, madame la
secrétaire d'Etat, sur la nécessité de prévoir les conditions d'égalité entre
l'indemnité journalière maladie-maternité et ce dispostif spécifique. Le niveau
légal de base : en ce domaine ne serait pas acceptable pour les salariées et
constituerait pour elles un facteur puissamment dissuasif.
Au total, madame la secrétaire d'Etat, cette proposition de loi nous agrée,
telle qu'elle nous revient de l'Assemblée nationale, parce qu'elle comporte les
garanties indispensables ; nous la voterions donc volontiers. J'emploie ici le
conditionnel, car il me paraît très probable que les amendements de la majorité
sénatoriale viendront écrêter sérieusement le dispositif. Cette hypothèse, qui
n'est en rien hasardeuse, nous conduirait bien entendu à ne pouvoir accepter
des restrictions au détriment des salariés.
Mais nous n'en sommes pas encore là, et vous pouvez compter sur notre soutien
tout au long de ce débat.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
constat de l'inégalité professionnelle entre les hommes et les femmes est
malheureusement indéniable.
Comme je l'indiquais en première lecture, en dépit de l'inscription dans
différents textes du principe d'égalité, qu'il s'agisse de salaires, de
formation ou encore de non-discrimination fondée sur le sexe dans la relation
salariale, la réalité reste celle d'inégalités persistantes.
Je procéderai à quelques rappels. Ainsi, l'écart moyen des salaires entre les
hommes et les femmes demeure de 24 % ; les femmes sont davantage touchées par
le chômage ; 80 % des salariés gagnant moins de 3 650 francs par mois sont des
femmes ; 80 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes qui, de
fait, représentent aujourd'hui une main-d'oeuvre en situation d'extrême
précarité, voire de pauvreté, trop souvent victimes d'un temps partiel subi.
Aujourd'hui même, le Conseil économique et social se réunit afin d'arrêter des
propositions pour améliorer « la place des femmes dans les lieux de décision ».
Le rapport remis aujourd'hui au CES met en évidence la très faible
représentation des femmes dans les lieux de décision. Il souligne, notamment,
l'écart qu'il qualifie de « fantastique » entre leur place dans la vie
socio-économique - 46 % - et la réalité de leur place dans les institutions et
les fonctions de direction. Le retard accumulé est tel que « si l'on ne fait
rien, cela ne bougera pas ». Cette assemblée a dressé un bilan et formulera des
propositions. Il nous faudra y être attentifs, afin de ne pas laisser l'égalité
professionnelle devenir un concept vide de réalité concrète.
C'est donc à ces discriminations flagrantes que la proposition de loi de Mme
Génisson s'attaque. Il s'agit de procéder à une réaffirmation plus large et
plus contraignante que la loi Roudy.
Le dispositif initial de la proposition de loi visait l'élaboration d'un bilan
permettant « une analyse de la situation de l'égalité des femmes sur la base
d'indicateurs pertinents ». En outre, il introduisait et rendait obligatoire
dans toutes les négociations la recherche de l'égalité professionnelle, en
imposant aux partenaires sociaux de négocier sur ce thème.
La proposition de loi Génisson abordait enfin l'égalité professionnelle dans
la fonction publique, volet non contenu dans la loi Roudy de 1983.
Adhérant à l'économie générale de ce texte, mon groupe avait, en première
lecture, proposé plusieurs amendements visant à l'enrichir. L'un d'entre eux
visait notamment la périodicité de la négociation nécessaire à l'élaboration de
l'accord sur l'égalité dans l'entreprise, que nous souhaitions fixée à deux ans
au lieu de trois ans.
Nous voulions également que la reconnaissance des qualifications
professionnelles et des salaires figure au rang des indicateurs de la
négociation sur l'égalité professionnelle.
Dans un souci d'efficacité, l'obligation de résultat fixée dans le cadre de la
négociation sur les 35 heures nous semblait, elle aussi, devoir trouver une
place dans cette proposition de loi.
Enfin, le renversement de la charge de la preuve nous paraissait de nature à
permettre un rééquilibrage des inégalités professionnelles constatées entre
hommes et femmes en permettant aux victimes d'inégalités de demander à
l'employeur de faire la preuve d'un traitement égalitaire des personnels de son
entreprise.
Je regrette qu'aucun de ces amendements n'ait été adopté par le Sénat et que
les débats à l'Assemblée nationale n'aient pas permis de satisfaire notre
attente.
Voilà donc, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'esprit
constructif qui animait les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste
républicain et citoyen au moment de la parution de la proposition de loi de Mme
Génisson.
Or, la presse en a beaucoup parlé, le Gouvernement a souhaité introduire, lors
de la première lecture au Sénat, un amendement portant sur le travail de nuit,
revenant ainsi sur une législation vieille de plus de cent ans qui interdisait
le travail de nuit pour les femmes dans certains secteurs pénibles.
A partir du constat selon lequel le travail de nuit, de manière générale, ne
faisait pas l'objet, dans notre code du travail, d'une attention particulière
du législateur, vous nous avez proposé un amendement qui procédait au «
remodelage » complet du travail de nuit dans notre pays, et ce pour transcrire
la directive européenne 93/104 et, par là même, se soumettre à l'obligation
d'égalité entre les hommes et les femmes prévue par la directive 76/207.
Nous avons entendu certains ici et là, qui se réclament de l'égalité entre les
hommes et les femmes, défendre l'idée du libre choix des femmes de travailler
la nuit plutôt que le jour, allant même jusqu'à parler de « volontariat ». Ces
propos n'émanaient jamais de salariés concernés par la dureté du travail de
nuit ! Ceux-là savent bien que « choisir » de travailler la nuit ne dépend que
de la prime qui viendra rendre un salaire faible un peu plus décent !
C'est particulièrement vrai pour ce qui concerne les femmes, victimes des plus
bas salaires. Mais, en plus, si elles acceptent d'exercer leur profession la
nuit, c'est souvent pour conjuguer leur travail et leurs obligations
domestiques ou parce que c'est la seule solution qui s'offre à elles pour
garder un enfant en bas âge. La réalité, nous le savons tous, est bien loin de
la liberté de choix ou du « volontariat ».
Le Sénat, le 3 octobre dernier, a rejeté cet amendement. J'aurais aimé pouvoir
dire qu'il l'a fait pour s'opposer à une mesure qui ne constitue en aucun cas
un progrès social. Malheureusement, ce n'est pas exact. Cet amendement, rendu
encore plus nocif par les sous-amendements de la majorité sénatoriale, ne doit
son rejet qu'au nombre de sénatrices et de sénateurs présents ce jour-là et au
règlement de notre assemblée !
La droite sénatoriale l'a bien compris, le travail de nuit des femmes et des
hommes est un outil supplémentaire pour permettre une plus grande flexibilité.
Il s'inscrit complètement dans la construction ultralibérale de la société
chère à la droite sénatoriale. C'est pourquoi, loin de désapprouver la logique
de l'amendement du Gouvernement, vous avez voulu, chers collègues de la
majorité, limiter les quelques garanties proposées aux salariés, notamment aux
femmes.
Ce n'était bien entendu pas la position du groupe communiste républicain et
citoyen.
C'est la raison pour laquelle nous avions déposé un amendement visant à poser
le principe de l'interdiction du travail de nuit, pour les hommes comme pour
les femmes. Cela aurait ainsi levé la discrimination - positive - faite à
l'encontre des femmes, selon la directive européenne. Cette interdiction était
assortie de conditions dérogatoires et des garanties offertes aux salariés dont
l'entreprise fait l'objet d'une dérogation. Cet amendement n'avait rien de
démagogique, il s'appuyait simplement sur une constatation irréfutable : les
travailleurs postés la nuit ont une espérancce de vie nettement inférieure à
ceux qui travaillent le jour. N'est-il pas, alors, de notre responsabilité de
tout mettre en oeuvre pour remédier à cette situation ? Nous le pensons.
A nos yeux, le progrès économique ne doit pas forcément rimer avec une plus
grande exploitation des femmes et des hommes, bien au contraire ! Le progrès
économique ne sera vraiment utile que s'il s'accompagne d'un progrès social
significatif !
Bien loin de la position du « tout ou rien », mon groupe s'était attaché, en
première lecture, à présenter des sous-amendements à l'amendement
gouvernemental, visant à renforcer les garanties offertes aux travailleurs de
nuit. Ces textes n'ont pas été adoptés au Sénat et n'ont, pour une grande
majorité d'entre eux, pas été retenus lors de leur récent passage devant
l'Assemblée nationale.
Nous examinons aujourd'hui le texte issu de ces travaux. Le Gouvernement a
donc dû présenter, le 28 novembre dernier, à l'Assemblée nationale, une
nouvelle version de son amendement relatif au travail de nuit.
J'admets, certes, que le texte tel qu'il nous parvient est plus complet que
celui qui nous avait été soumis en première lecture. Il comporte toutefois le
risque très grave de remplacer les dérogations légales par des dérogations
contractuelles.
Plus fondamentalement, mon groupe ne saurait admettre la banalisation d'une
forme de travail portant atteinte à la santé humaine, dès lors qu'elle n'est
pas imposée par des impératifs sociaux ou techniques. C'est pourquoi nous avons
déposé un amendement qui supprime la totalité du chapitre relatif au travail de
nuit.
En effet, ce chapitre s'inscrit dans une logique de levée de l'interdiction du
travail de nuit à laquelle nous ne souscrivons pas. Nous sommes au contraire
attachés à une interdiction du travail de nuit, pour les hommes comme pour les
femmes.
Nous aurions aimé pouvoir discuter des améliorations qu'il convient, certes,
d'apporter aux salariés exerçant la nuit dans les secteurs d'activité
dérogatoires. Je pense, par exemple, aux contreparties auxquelles ces salariés
devraient avoir droit et qui devraient se matérialiser, selon nous, par des
repos compensateurs mais aussi par une majoration significative de salaire. Je
pense également au renforcement du suivi médical, qui est aujourd'hui
insuffisant, à la protection des femmes enceintes, qui devraient bénéficier
d'un poste de jour le temps de leur maternité ou, si cela n'est pas possible,
d'un congé de maternité exceptionnel leur permettant de ne pas travailler la
nuit. Je pense également au nécessaire abaissement de l'âge de la retraite pour
les travailleurs de nuit, avec la possibilité d'annuités de bonification.
Tout cela nous est impossible à réaliser aujourd'hui avec ce texte dont nous
ne souscrivons pas à l'économie générale. Nous le regrettons, mais nous ne
voulons pas entrer dans une logique de banalisation du travail de nuit.
S'agissant des amendements de la commission des affaires sociales, je constate
qu'ils visent principalement à revenir au texte issu de la première lecture au
Sénat. Pour ce qui concerne plus spécifiquement le travail de nuit, là encore,
les amendements proposés ne cherchent qu'à réduire les contraintes faites aux
employeurs et, ainsi, à limiter les garanties accordées aux salariés. Nous nous
opposerons donc à l'essentiel de ces amendements de la majorité sénatoriale.
Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, tels sont les quelques
points que je souhaitais préciser à l'occasion de cette deuxième lecture. Notre
position n'est guidée que par la seule recherche du progrès social pour le plus
grand nombre. J'aurais aimé que ce souci soit partagé sur l'ensemble des
travées de notre assemblée. Ce n'est malheureusement pas le cas, raison pour
laquelle notre groupe ne pourra voter ce texte.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une
heures trente.)