SEANCE DU 18 JANVIER 2001
DÉMOCRATIE LOCALE
Adoption des conclusions du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 177,
2000-2001) de M. Jean-Paul Delevoye, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration, sur :
- la proposition de loi de MM. Alain Vasselle, Philippe Adnot, Louis Althapé,
Jean-Paul Amoudry, Pierre André, Georges Berchet, Jean Bernard, Roger Besse,
Jacques Bimbenet, Paul Blanc, Gérard Braun, Dominique Braye, Louis de Broissia,
Michel Caldaguès, Robert Calméjane, Gérard César, Jean Chérioux, Gérard Cornu,
Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Xavier Darcos, Philippe Darniche,
Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Jacques-Richard Delong, Fernand Demilly,
Charles Descours, Michel Doublet, Paul Dubrule, Daniel Eckenspieller, Michel
Esneu, Hilaire Flandre, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Yann Gaillard,
Jean-Claude Gaudin, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Francis
Giraud, Daniel Goulet, Alain Gournac, Georges Gruillot, Emmanuel Hamel, Pierre
Hérisson, Daniel Hoeffel, Bernard Joly, André Jourdain, Alain Joyandet, Roger
Karoutchi, Pierre Laffitte, Patrick Lassourd, Edmond Lauret, René-Georges
Laurin, Dominique Leclerc, Jacques Legendre, Guy Lemaire, Serge Lepeltier,
Jacques Machet, Max Marest, Philippe Marini, Pierre Martin, Paul Masson, Michel
Mercier, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean-Luc Miraux, Aymeri de
Montesquiou, Georges Mouly, Bernard Murat, Paul Natali, Lucien Neuwirth, Mme
Nelly Olin, MM. Jacques Oudin, Jacques Pelletier, Jean Puech, Jean-Pierre
Raffarin, Yves Rispat, Michel Rufin, Jean-Pierre Schosteck, Michel Souplet,
Louis Souvet, Martial Taugourdeau, René Trégouët, Maurice Ulrich, André Vallet,
Jean-Pierre Vial, Serge Vinçon, Guy Vissac et Gérard Larcher relative au statut
de l'élu (n° 59 rectifié 2000-2001) ;
- la proposition de loi de MM. Jacques Legendre, Jean-Pierre Schosteck, Louis
Althapé, Pierre André, Jean Bernard, Mme Paulette Brisepierre, MM. Robert
Calméjane, Auguste Cazalet, Charles Ceccaldi-Raynaud, Gérard César, Gérard
Cornu, Jean-Patrick Courtois, Xavier Darcos, Désiré Debavelaere,
Jacques-Richard Delong, Christian Demuynck, Michel Doublet, Xavier Dugoin,
Daniel Eckenspieller, Michel Esneu, Gaston Flosse, Bernard Fournier, Yann
Gaillard, Patrice Gélard, Francis Giraud, Daniel Goulet, Emmanuel Hamel, Alain
Hethener, Jean-Paul Hugot, Roger Karoutchi, Edmond Lauret, Dominique Leclerc,
Jean-François Le Grand, Serge Lepeltier, Max Marest, Philippe Marini, Jean-Luc
Miraux, Bernard Murat, Paul Natali, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Joseph
Ostermann, Victor Reux et Louis Souvet tendant à assurer le maintien de la
proportionnalité des indemnités de tous les élus municipaux (n° 398,
1999-2000) ;
- la proposition de loi de MM. Jean-Claude Carle, Henri de Raincourt, Nicolas
About, Mme Janine Bardou, MM. Christian Bonnet, Jean Clouet, Charles-Henri de
Cossé-Brissac, Jean Delaneau, René Garrec, Louis Grillot, Mme Anne Heinis, MM.
Jean-François Humbert, Jean-Philippe Lachenaud, Serge Mathieu, Philippe
Nachbar, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, François Trucy, Philippe Adnot, Louis
Althapé, Jean-Paul Amoudry, José Balarello, Jacques Baudot, Georges Berchet,
Jean Bernard, Daniel Bernardet, Roger Besse, Jacques Bimbenet, Jean Bizet, Paul
Blanc, James Bordas, Jean Boyer, Gérard Braun, Mme Paulette Brisepierre, MM.
Robert Calméjane, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel-Pierre Cléach, Gérard Cornu,
Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Marcel Deneux, André Diligent, Michel
Doublet, Ambroise Dupont, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, Alfred Foy, Jean
François-Poncet, Jean-Claude Gaudin, François Gerbaud, Charles Ginésy, Paul
Girod, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Hubert Haenel, Pierre Hérisson, Rémi
Herment, Alain Hethener, Charles Jolibois, Bernard Joly, André Jourdain, Gérard
Larcher, Robert Laufoaulu, Marcel Lesbros, André Maman, Louis Mercier, Jean-Luc
Miraux, Georges Mouly, Paul Natali, Lucien Neuwirth, Joseph Ostermann, Jacques
Oudin, Jacques Pelletier, Jean Pépin, Jacques Peyrat, Bernard Plasait, Ladislas
Poniatowski, Charles Revet, Henri de Richemont, Bernard Seillier, Louis Souvet,
Martial Taugourdeau, André Vallet et Alain Vasselle tendant à revaloriser les
indemnités des adjoints au maire, des conseillers municipaux, des présidents et
vice-présidents d'un établissement public de coopération intercommunale (n°
454, 1999-2000) ;
- la proposition de loi de M. Serge Mathieu, tendant à la prise en compte,
pour l'honorariat des maires, maires délégués et maires adjoints, des mandats
accomplis dans différentes communes (n° 443, 1999-2000) ;
- la proposition de loi de M. Jean Arthuis et des membres du groupe de l'Union
centriste visant à créer une indemnité de retour à l'emploi pour les élus
locaux (n° 98, 2000-2001).
Cette discussion intervient dans le cadre de l'ordre du jour réservé.
Je tiens à vous informer que, durant la présente discussion, deux
collaborateurs de la Chaîne Public-Sénat se déplaceront, avec la plus grande
discrétion possible, dans l'hémicycle, caméra à l'épaule, pour réaliser des
plans de coupe des intervenants, afin de rendre plus vivant l'enregistrement de
nos débats.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, vous avez opportunément rappelé que la discussion intervenait dans
le cadre de l'ordre du jour réservé, car je tenais justement à vous remercier,
au nom de l'ensemble des sénateurs, mais aussi au nom de l'ensemble des élus
locaux, communaux, départementaux et régionaux, de l'action que le Sénat mène
sous votre impulsion en matière de démocratie locale. Grâce notamment au tour
de France que vous avez engagé, la nécessaire réflexion sur l'amélioration du
fonctionnement de celle-ci mobilise désormais les uns et les autres.
Que nous abordions ce sujet pourrait être perçu comme une approche
corporatiste. Je crois qu'il est bon de dire dès à présent qu'il n'en est rien.
J'en veux pour preuve le fait que, partout dans le monde - les contacts qu'au
sein de l'Association des maires de France nous nouons le démontrent - le débat
sur la recherche d'une meilleure efficacité de l'action publique est ouvert.
Partout, il implique la recherche d'une nouvelle articulation entre le pouvoir
national et le pouvoir local. Partout, nous assistons à la montée des pouvoirs
locaux, ce qui, bien évidemment, implique une responsabilisation accrue des
acteurs de terrain.
Une étude américaine montre aussi que l'attractivité des capitaux privés,
donc, le développement économique, dépendra de la qualité des infrastructures
publiques, d'où l'importance, notamment en France, du rôle des collectivités
locales, qui pèsent pour 75 % dans l'investissement public.
Là aussi, bien évidemment, nous avons à faire en sorte de rendre les acteurs
locaux le plus performants possible. Chacun prend également conscience,
aujourd'hui, de la nécessaire et salutaire compétition des territoires, qui
nous oblige à l'excellence des politiques menées, à la mobilisation des talents
et nous conduit à éviter la neutralisation des concurrences.
Si la dimension intercommunale autorise désormais cette ambition, elle
confronte les élus locaux au défi d'élever les problèmes posés : la gestion
d'un territoire ne peut en effet plus se concevoir à l'intérieur de son
périmètre. Elle exige de poser un regard sur le monde. Quant à la gestion du
quotidien et de l'immédiat, elle ne peut faire l'économie d'une lecture très
affinée de l'avenir. Cette sensibilisation pose la question de la formation des
acteurs responsables de la gestion des territoires locaux.
Chacun, enfin, mesure dans la vie de notre démocratie ou de nos systèmes
démocratiques la difficulté de trouver en permanence un nouvel et nécessaire
équilibre entre l'intérêt général et l'intérêt particulier, entre le citoyen
usager, le citoyen consommateur et le citoyen électeur, entre la volonté de
l'expression directe populaire et la démocratie représentative, entre le
pouvoir médiatique, porté à cadrer, à déterminer la justesse des débats, à les
enfermer et le politique, qui doit gérer l'émotion et la raison, le quotidien
et l'avenir.
Cela pose tout le problème de la sensibilisation des acteurs locaux, de leur
nécessaire indépendance dans leurs prises de décisions et, donc, de la
distanciation à prendre pour concilier leur vie privée, leur vie
professionnelle et leur implication dans la vie publique.
Enfin, aujourd'hui, paradoxalement, la croissance économique rend les
inégalités plus douloureuses. Nos concitoyens s'interrogent en permanence sur
l'utilité, voire la réalité du pouvoir politique. Inquiets de l'avenir, ils se
réfugient dans le présent et cherchent une réponse de proximité. Exigeants
quant à leur confort, voyant monter le racisme social, repliés sur leur
individualisme, ils rejettent l'autre et attendent du politique des réponses
aux problèmes dont ils ne veulent pas s'occuper, imposant ainsi aux acteurs
locaux une responsabilisation très lourde de médiateurs, d'animateurs, de
responsables d'une communauté communale.
Cette période de remise en cause du politique est absolument exaltante et
motivante car, au moment où la démocratie semble contestée dans sa forme, elle
apparaît plus nécessaire que jamais face à la jungle d'une économie sans règle.
Il est clair, en effet, qu'une vie collective sans arbitre et sans morale,
c'est l'anarchie.
M. Jean-Claude Carle.
Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
On voit donc bien que le rôle des collectivités locales, la
qualité des politiques menées seront déterminants pour relever ce double défi
de la cohésion sociale et de la compétition économique.
Cela nécessite l'ouverture de quatre chantiers.
Il s'agit, tout d'abord, de celui de la décentralisation, de l'articulation
entre l'Etat et les collectivités locales, et je remercie à cet égard toutes
celles et tous ceux qui, au Sénat ou en d'autres instances, ont contribué à ce
débat que le Gouvernement a engagé hier.
Il s'agit, ensuite, de celui de la modernisation de l'Etat, de sa place et de
son rôle par rapport à l'Europe et à l'échelon local. Ce chantier est ouvert,
ou à ouvrir.
Il s'agit, par ailleurs, bien évidemment, de celui des acteurs de la fonction
publique territoriale, car il n'y aura pas de bonne politique locale sans une
bonne administration locale. Et le passage d'une fonction communale à une
fonction intercommunale est un véritable défi. Le renouvellement, dans quelques
années, de 500 000 fonctionnaires, qui seront en concurrence avec le secteur
privé, est un élément dont il convient de tenir compte, car nous aurons besoin
de l'excellence des conseils, des analyses et des propositions d'une fonction
publique territoriale de qualité.
Il s'agit, enfin, de celui des acteurs politiques, les élus locaux, chantier
que, sous votre impulsion, monsieur le président, le Sénat, l'Association des
maires de France, la commission dont M. Michel Mercier était le rapporteur, la
commission Mauroy, ont ouvert depuis quelques années. Il a commencé avec la loi
sur la responsabilité personnelle et pénale des élus, il s'est poursuivi avec
la loi Fauchon, puis au travers d'un débat qui a été engagé sous un intitulé
qui ne nous plaît pas, celui du « statut de l'élu local » et dont le Premier
ministre, devant le congrès des maires, a accepté le principe en 1999.
Je vous remercie donc, monsieur le président, d'avoir proposé de débattre,
dans le cadre de l'ordre du jour réservé, de sujets qui prolongent la réflexion
qui est menée depuis de nombreuses années tant par Daniel Hoeffel, Michel
Mercier, Alain Vasselle et Jean Arthuis que, sur d'autres travées, par Pierre
Mauroy et Michel Charasse.
Quelles sont les questions de fond qui nous ont interpellés ?
La première question, c'est l'inégalité du citoyen devant l'exercice du
mandat. Nous avons aujourd'hui un problème de déséquilibre de représentation
populaire dans la classe des élus locaux. Nous voyons bien que ce n'est pas
voulu par les décideurs publics.
Il y a, c'est vrai, une surreprésentation des retraités, des inactifs et des
agents de la fonction publique, tant il est évident que l'exigence des
entreprises rend délicat un arbitrage entre une vie professionnelle et une vie
publique. De même, la recherche des nouvelles valeurs auxquelles aspirent les
individus dans leur vie privée est devenue difficilement compatible avec les
exigences de la vie publique.
Aujourd'hui, la condamnation médiatique de la mise en examen fait apparaître
aux uns et aux autres, notamment aux conjoints, que le mandat local est
quelquefois plus un risque de déshonneur qu'une marque d'honneur, et qu'il est
devenu non plus une promotion sociale, mais une mission.
Paradoxalement, c'est au moment où nos concitoyens, conscients qu'une
République sans maire ne fonctionnerait pas, se rendent compte de l'importance
des élus locaux de proximité que l'aspiration à exercer ces fonctions suscite
le plus de réticences chez les éventuels candidats.
La deuxième question est bien évidemment par nécessaire corrélation entre
l'indispensable efficacité d'une politique publique locale et la qualité des
élus locaux, ce qui pose le problème de leur disponibilité et de leur
formation.
La troisième question concerne la prise de risques qu'un certain nombre
d'entre nous ont connue, notamment en voyant se terminer brutalement leur
mandat. C'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale a prévu une
indemnisation de fin de mandat.
Un certain nombre de nos collègues vivent aujourd'hui des situations privées
difficiles lorsque la nécessaire alternance met un terme à leur mandat et
qu'ils se retrouvent sans revenus, sans profession et parfois dépourvus de
toute possibilité de reconversion.
Nous avons souhaité, sur ce vrai sujet, éviter un faux débat. Il ne s'agit en
aucun cas d'envisager un statut qui ferait de l'élu un privilégié ou qui
rendrait le mandat attractif pour des raisons autres que l'investissement dans
la vie locale.
M. Jean-Claude Carle.
Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
D'où le titre de « proposition de loi relative à la
démocratie locale ». La responsabilisation du citoyen passe, sinon par le
désintéressement de l'élu, du moins par la conscience de la noblesse de sa
mission. Cela suppose de garder une dimension de passion, de motivation,
exclusive de tout critère d'intérêt matériel.
Il ne s'agit pas non plus de faire de l'élu un professionnel. Il n'y a pas
d'école d'élus. En effet, si l'élu devient un professionnel, il faut un métier,
un diplôme, une école et une sanction de compétence. Cela remettrait totalement
en cause la démocratie représentative.
Par ailleurs, les collectivités locales doivent garder leur caractère
d'entités politiques, impulsées et guidées par des politiques. Elles ne doivent
pas devenir des entités administratives destinées à fonctionnariser l'élu.
M. Jacques Oudin.
Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Puisque nous souhaitons améliorer la condition des élus, nous
aurions pu, mais nous ne l'avons pas voulu, réfléchir aux devoirs des élus
locaux. En effet, nous aurions pu, dans d'autres textes, réfléchir à la
nécessaire inéligibilité à vie de celles et de ceux qui auraient fait l'objet
d'une condamnation pour manquement à la morale. Lorsqu'un policier commet une
faute professionnelle, il lui est interdit à vie d'exercer sa profession.
Aussi, je considère qu'un élu local ayant été condamné pour un manquement
évident à la morale publique et pour une certaine utilisation des fonds publics
devrait être inéligible à vie.
M. Philippe Darniche.
Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Nous aurions là un équilibre entre les droits et les devoirs
des élus qui permettrait à l'opinion de mieux adhérer à la vie politique.
J'ajoute au passage, monsieur le ministre, que nous devons aujourd'hui
réfléchir à une mode médiatique dont je comprends l'importance, mais qui, là
encore, ne fait pas l'objet de ce texte, à savoir l'exigence de transparence,
salutaire, formulée par l'opinion. Elle consiste à faire en sorte qu'un élu
public soit le plus transparent possible. Aujourd'hui, les campagnes
médiatiques, notamment en ce qui concerne les élections municipales, poussent
les élus locaux à afficher leur patrimoine, à mettre leur richesse sur la place
publique.
Il s'agit d'un vrai problème, mais son approche est mauvaise. Ce qui doit être
mis en place, c'est un dispositif de contrôle systématique de l'accroissement
du patrimoine. Lorsque l'accroissement ne présenterait pas un caractère
légitime, il engendrerait la condamnation de l'élu.
Aujourd'hui, la transparence sur le patrimoine pose un problème. En effet, on
a tendance à faire croire à l'opinion que plus on est pauvre plus on est
honnête et que plus on est riche plus on est détaché par rapport à des
contraintes de corruption. Or c'est un faux débat.
De plus, cette exigence de transparence conduit les élus à rechercher, à
travers un certain nombre de dispositions législatives ou judiciaires, à
protéger leur conjoint. Ainsi, avant de s'engager dans une campagne électorale,
des élus mettent en place un dispositif de séparation de biens afin que leur
conjoint ou leur famille ne soient pas entraînés dans cette nécessaire
information sur leur patrimoine. Je constate aujourd'hui toute une
communication qui consiste à demander aux élus locaux, à l'approche des
élections municipales, de publier leur patrimoine. Un certain nombre de
journaux font état de ce genre d'informations. Nous devons réfléchir sur ce
point.
Nous n'avons pas non plus voulu aborder le problème de la formation préalable
à l'exercice d'un mandat local, l'appétence à l'exercice de la fonction
publique. En effet, cela ressortit au fonctionnement des partis politiques et
ne relève en aucun cas des collectivités locales, même si celles-ci doivent
développer les conseils municipaux de jeunes ou de personnes non impliquées
dans une fonction élective, de façon à les « appâter » pour exercer des
responsabilités.
Enfin, nous nous sommes appuyés sur quelques principes.
Le premier, c'est la responsabilité des collectivités locales. C'est à ces
dernières qu'il appartient d'assumer le coût du fonctionnement de la démocratie
locale. Nous ne pouvons pas, en même temps, réclamer plus d'autonomie et
demander à l'Etat plus d'argent pour financer l'extension du fonctionnement de
la démocratie locale. Nous devons être très clairs sur ce point.
Nous devons aussi responsabiliser totalement l'exécutif local, qui doit
assumer ses responsabilités et les conséquences des choix qu'il propose, et
dont il doit rendre compte à la population.
Nous devons, enfin, réfléchir à la façon d'améliorer le débat, à la
transparence dans la prise de décision et à l'exercice d'une démocratie qui
doit fonctionner dans le respect des droits des élus minoritaires par rapport à
ceux des élus majoritaires.
Nous avons articulé notre réflexion autour de trois axes : l'exercice du
mandat, qui pose le problème de la formation ; le vécu du mandat, qui pose le
problème de l'indemnité et de l'accompagnement social ; l'après-mandat, qui
pose le problème de la réinsertion ou de la réintégration.
Je voudrais, ici, remercier nos collègues MM. Vasselle, Arthuis, Legendre,
Mathieu et Carle, qui, par leurs différentes propositions de loi, ont éclairé
le débat et ouvert un certain nombre de pistes qui ont nourri nos
réflexions.
Nous avons, bien sûr, aussi souhaité jeter un regard sur la situation de nos
collègues d'autres pays européens pour savoir si notre débat sur l'amélioration
du fonctionnement de la démocratie locale, qui passe par la prise en
considération de certaines exigences, est un débat franco-français ou si, au
contraire, il s'inscrit dans la ligne qui a été tracée par un certain nombre
d'entre eux.
Je voudrais très rapidement, pour éclairer le débat, vous dire ce qui se passe
dans d'autres pays européens.
En Allemagne et en Grande-Bretagne, la fonction de maire est bénévole. Au
Danemark, en Espagne, aux Pays-Bas et au Portugal, c'est un statut à temps
plein. Au Danemark, notamment, la rémunération est particulièrement
significative.
En Grande-Bretagne, il y a une indemnité de base égale pour tous, plus une
indemnité spécifique de responsabilité et une indemnité de fonction, notamment
pour les présidents de communauté. Chaque conseil est libre d'en fixer le
montant, mais rien n'est prévu pour la retraite ni pour le retour à
l'emploi.
En Allemagne, il s'agit d'un remboursement de frais et de la compensation du
manque à gagner. Cependant, j'attire votre attention sur le fait que, dans ce
pays, les fonctions locales les plus importantes sont régies par des
fonctionnaires.
Au Danemark, en Espagne, aux Pays-Bas et au Portugal, la loi détermine la
notion de temps plein selon l'importance des collectivités locales. Au
Portugal, c'est un peu différent, puisqu'il y a une rémunération mensuelle,
plus un versement pour la retraite et pour le retour à l'emploi, qui n'existe
pas en Espagne.
J'en viens au montant des rémunérations. Au Danemark, elles sont fixées par
référence aux fonctionnaires. Elles oscillent entre 360 000 francs et 500 000
francs par an, selon la taille de la commune. Au Portugal, la référence
retenue, ce sont les émoluments du Président de la République.
Plusieurs sénateurs.
Ah ?
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
C'est en effet un débat, puisque, en France, les indemnités
sont fixées par rapport aux fonctionnaires. Au Portugal, les indemnités, qui
représentent 40 % à 50 % des émoluments du Président de la République,
oscillent entre 16 000 francs et 22 000 francs.
Aux Pays-Bas, la rémunération est déterminée par référence aux fonctionnaires
et oscille entre 21 000 francs et 42 000 francs par mois. En Espagne, elle
dépend d'une décision de la collectivité locale.
J'évoquerai maintenant la retraite.
Au Danemark, les élus locaux doivent cotiser pendant au moins huit ans pour
percevoir leur retraite d'élu local ; mais, au bout de huit ans, elle équivaut
à celle que touche un fonctionnaire qui a cotisé pendant vingt-huit ans. Aux
Pays-Bas et au Portugal, il n'y a pas de durée minimale et on peut avoir une
retraite anticipée après vingt ans de service. En Espagne, c'est la référence
au régime général qui prévaut.
En ce qui concerne le retour à la vie professionnelle, au Danemark, est versée
une allocation spéciale qui correspond à douze mensualités. Aux Pays-Bas, elle
peut être versée pendant six ans. Au Portugal, c'est onze fois le montant de la
rémunération mensuelle. En Espagne, c'est la suspension du contrat de travail
qui, bien évidemment, permet la réintégration dans l'entreprise à la fin du
mandat.
De plus, aux Pays-Bas et au Portugal, des dispositions pour les élus à
mi-temps sont prévues, et il existe même un statut à mi-temps au Portugal, avec
moitié de rémunération, pension de retraite, mais pas d'allocation de fin de
mandat.
Vous le constatez, ce débat intéresse aujourd'hui l'ensemble de la Communauté
européenne et nous nous situons totalement dans cette logique.
Je reviens sur la formation. Je profite de l'occasion, monsieur le ministre,
pour vous demander d'installer le plus rapidement possible le conseil national
de la formation des élus locaux. En effet, sans l'installation de celui-ci, un
certain nombre d'agréments demandés par les organismes de formation ne peuvent
être accordés.
Le débat est ouvert, notamment en ce qui concerne le rapport du CEFEL, le
centre de formation des élus locaux, sur la non-consommation des crédits. Le
comité des finances locales lui-même indiquait que seulement douze millions de
francs ont été consommés sur 1,3 milliard de francs, dans la limite des 20 %
des indemnités.
Le débat se pose en ces termes : faut-il rendre cette dépense obligatoire, et
donc imputer systématiquement les 20 % dans le budget des collectivités
locales, ce qui créerait une formidable manne pour l'ensemble des organismes et
mettrait à mal le principe de l'autonomie des collectivités locales, mais
poserait aussi un vrai problème en ce qui concerne la réalité de la formation ?
Un élu local doit-il bénéficier d'une formation lui permettant d'être aussi
compétent qu'un fonctionnaire qui a la charge d'un service ? Non ! De plus, au
vu de l'expérience des uns et des autres, nous constatons en permanence que des
élus locaux voyagent dans toute la France pour voir ici une usine
d'incinération, là le fonctionnement d'un service social ou d'un service d'état
civil. Cela fait partie de la formation, même si ce n'est pas imputé dans les
crédits de formation, puisque cela ne relève pas d'un organisme agréé.
La commission des lois a très clairement répondu qu'il ne fallait pas rendre
ces dépenses obligatoires, que la responsabilisation des élus et de l'exécutif
de la collectivité locale doit être totale.
A contrario
, pour
accompagner cette responsabilisation, il nous paraît important que, lors de
l'examen des comptes administratifs et du débat d'orientation budgétaire, un
tableau soit proposé par le responsable de l'exécutif, qui indique très
clairement les crédits pouvant être affectés à la formation, leur utilisation
ou leur non-utilisation, et qu'un débat puisse ensuite être ouvert permettant
aux élus de pouvoir s'investir dans cette nécessaire formation.
Nous avons bien entendu aussi le message d'un certain nombre de nos collègues
quant à la nécessité d'une formation initiale, certains voulant même la rendre
obligatoire. Nous sommes, là aussi, d'un avis totalement contraire. En effet,
rendre obligatoire une formation initiale, cela signifierait que nous
déterminerions l'incompétence des élus locaux qui seraient chargés de la prise
de décision au sein des collectivités locales. Ce procès d'incompétence ne nous
paraît pas forcément compatible avec l'exercice normal de la démocratie locale,
qui permet à chaque électeur de pouvoir prétendre à être chef de l'exécutif.
Si, demain, nous devions définir des critères d'éligibilité en fonction de la
compétence, monsieur le ministre, je vous en laisserais le soin, car cela
constituerait une véritable torture intellectuelle. Je ne vois d'ailleurs pas
bien comment nous pourrions nous en sortir.
Il faut maintenir la possibilité pour chacun de nos concitoyens d'exercer
cette fonction.
A contrario,
nous devons, pour rendre attractif
l'exercice de cette fonction, faire en sorte que les crédits qui pourront être
mobilisés soient à la hauteur de l'aspiration de formation des élus locaux.
Nous avons augmenté le crédit d'heures tout au long du mandat pour répondre à
cette exigence que l'on sent monter. Nos concitoyens qui se préparent aux
élections municipales, cantonales ou régionales savent bien que, aujourd'hui,
l'exercice du mandat est difficile et, à l'évidence, ils souhaitent être
performants. Nous devons y prendre garde, monsieur le ministre, car, pour la
première fois, plus de 10 % des élus ont mis un terme à leur fonction au cours
de leur premier mandat.
La recherche d'un confort par la formation et par la qualité de la fonction
publique à la disposition des élus locaux est aujourd'hui plus nécessaire que
jamais. En effet, un certain nombre de personnes se rendent compte assez
rapidement de la difficulté de l'exercice, dont elles n'avaient pas une juste
perception avant d'y accéder.
Nous sentons bien également - cela avait été une proposition de la commission
Mauroy - que, sans vouloir le formaliser, l'intercommunalité va donner un
nouvel espace de capacité de mobilisation de financement pour la formation. Si
le montant des indemnités était obligatoirement fixé à 20 %, un certain nombre
d'élus locaux pourraient dépenser plus de 4 000 francs par mois en formation.
Vous voyez bien l'importance de telles sommes. Maintenons le caractère
facultatif, laissons le plafond à 20 %, mais obligeons les collectivités
locales à débattre de l'utilisation ou de la non-utilisation de ces crédits, de
façon que chacun puisse y prétendre.
En ce qui concerne les indemnités, il convient, là encore, d'évacuer un faux
problème. Selon un sondage réalisé lors du dernier congrès des maires, les élus
locaux ne souhaitent pas une augmentation de l'indemnité, sauf, peut-être, dans
les communes de 10 000 à 50 000 habitants. A l'évidence, il faut modifier la
loi du 5 avril 2000 qui, tout en ayant permis l'augmentation de l'indemnité des
maires, a prévu un décrochement par rapport à celle des maires adjoints. La
proposition de la commission vise à revenir à l'écart précédent.
Cela est important. En effet, après avoir questionné vos services, monsieur le
ministre, il est apparu que le contrôle de légalité interdit d'augmenter
l'indemnité des maires adjoints pour répondre à l'augmentation de celle des
maires résultant de la loi du 5 avril 2000. En revanche, s'agissant de
l'enveloppe globale qui permet à un exécutif de distribuer, en ayant minoré
l'indemnité du maire et celle des adjoints, des indemnités de fonction à des
conseillers municipaux, les services du ministère de l'intérieur laissent
entrevoir la possibilité de calculer l'indemnité maximale des adjoints sur
l'indemnité maximale des maires. Par conséquent, nous devons apporter
aujourd'hui une modification, laquelle figure dans les propositions de la
commission.
Nous proposons aussi d'aller dans le sens de la responsabilisation de
l'exécutif local. Un grand nombre d'élus nous ont laissé entendre qu'ils
avaient du mal à demander l'indemnité maximale par un sentiment de pudeur,
voire de culpabilisation du conseil municipal.
Nous voyons même aujourd'hui apparaître, dans certaines campagnes électorales,
un discours particulièrement démagogique consistant, de la part d'un petit
nombre d'élus locaux, à annoncer que, s'ils sont élus, ils ne demanderont pas
d'indemnités.
Il faut, à mon avis, que nous donnions un sens très responsable à notre
discours : celui qui assume des responsabilités doit légitimement être
indemnisé pour le temps qu'il passe au service des autres. C'est la raison pour
laquelle nous avons souhaité que, lorsque le responsable de l'exécutif
présentera l'organigramme de ce dernier, l'indemnité au taux maximal soit
systématiquement inscrite au budget en dépenses obligatoires. Il appartiendra
en revanche à l'exécutif de proposer la minoration de l'indemnité du maire ou
des maires adjoints de façon que, dans le cadre de l'enveloppe, il puisse,
comme cela est prévu par le code des collectivités locales mais rarement
appliqué, accorder des indemnités de fonction à un conseiller municipal
exerçant, par exemple, la présidence de la commission d'appel d'offres ou de la
commission de surveillance des travaux, deux postes qui sont de gros
consommateurs de temps.
Il appartiendra donc au responsable de l'exécutif d'indiquer très clairement
le montant global des indemnités et l'affectation individuelle de celles-ci par
rapport aux responsabilités exercées par les uns et les autres, de façon que la
transparence soit la plus totale possible et que disparaissent ces systèmes
associatifs tendant, dans un souci de générosité, à faire en sorte que chacun
verse à une association de quoi éventuellement rémunérer certains conseillers
pour le temps qu'ils consacrent à leur fonction.
Nous avons enfin constaté que l'indemnité maximale des présidents de conseil
général et des présidents de conseil régional était inférieure à celle des
maires des villes de plus de 100 000 habitants, fixée quant à elle à 145 % de
l'indice 1015 de la fonction publique.
La commission propose donc que les présidents de conseil général et les
présidents de conseil régional puissent disposer d'une indemnité équivalente à
celle des maires des villes de plus de 100 000 habitants. L'assemblée des
départements français, l'ADF, a proposé une dégressivité par rapport au nombre
d'habitants. L'assemblée des régions, que nous aurions souhaité voir traitée de
façon équivalente, ne s'est pas manifestée. Un amendement lors de l'examen des
articles serait peut-être le bienvenu.
Nous avons aussi autorisé le remboursement des dépenses de toutes natures
exposées par l'élu dans le but d'exercer sa fonction d'élu. Nous voyons bien
que la parité et l'arrivée des femmes qui en découlera vont poser de nouveaux
problèmes de garde d'enfants, voire de garde de conjoint, pour permettre à
quelqu'un d'exercer sa fonction d'élu et de répondre à ses exigences de vie
privée. Nous avons donc souhaité que les dépenses exposées par l'élu dans le
but exclusif d'exercer son mandat électif - frais de garde d'enfants ou de
conjoint - soient remboursées par la collectivité locale afin que l'élu puisse
disposer, en toute liberté, du temps nécessaire à l'accomplissement de sa
mission.
Enfin, nous assistons aujourd'hui à la « réunionnite »,...
M. Jean-Jacques Hyest.
Oh oui !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
... à une multiplication des réunions, grandes consommatrices
de temps, et sur la pertinence desquelles nous nous interrogeons souvent.
Par conséquent, nous avons souhaité afficher un principe très clair : lorsque
la collectivité locale organise des réunions la concernant directement, elle
assume ses responsabilités et assure le remboursement des frais occasionnés par
les déplacements des uns et des autres ; mais lorsque les élus d'une
collectivité locale sont invités par l'Etat ou par d'autres collectivités
locales - collectivités régionales ou départementales, s'il s'agit des
communes, ou inversement - pour discuter de sujets d'intérêt général ne
concernant pas directement la collectivité locale, nous ne voyons pas au nom de
quoi l'Etat pourrait échapper au remboursement des frais de déplacement, qui
sont actuellement à la charge des collectivités locales. Il faut, sur ce point,
que les choses soient tout à fait claires. Et nous tenons peut-être là un moyen
de rationaliser le nombre de réunions et d'aboutir à ce que celles-ci soient
vraiment centrées sur des sujets dont l'efficacité serait perceptible par les
uns et par les autres.
En ce qui concerne le temps nécessaire à l'exercice du mandat, nous avons
majoré le crédit d'heures : actuellement de trois fois la durée du travail,
soit 105 heures, nous l'avons porté à quatre fois la durée du travail, soit 140
heures, pour les communes de plus de 10 000 habitants, et à trois fois la durée
du travail au lieu d'une fois et demie pour les communes de moins de 10 000
habitants, soit 105 heures au lieu de 52 heures 30. Cela me paraît tout à fait
raisonnable.
Je rappelle que ces absences sont assimilées à une durée du travail effectué
pour la détermination de la durée des congés payés et du droit aux prestations
sociales ainsi que pour l'ancienneté. En revanche, le problème de la cotisation
sociale n'est pas réglé.
En ce qui concerne la suspension du contrat de travail, le régime institué
pour les parlementaires par les articles L. 122-24-2 et L. 122-24-3 du code du
travail a été étendu aux élus locaux par la loi du 3 février 1992 et aménagé
par la loi du 5 avril 2000.
Nous proposons d'étendre cette disposition à l'ensemble des élus, car nous ne
voyons plus aujourd'hui la pertinence d'un débat selon lequel la disponibilité
serait directement proportionnelle à la taille de la commune. Nous voyons en
effet un certain nombre d'élus de petites communes être obligés, aujourd'hui,
de consacrer énormément de temps à leur mandat parce que le traitement des
problèmes est tout à fait lourd par rapport aux moyens dont ils disposent.
Nous proposons donc d'étendre le régime de suspension du contrat de travail à
tous les maires adjoints, conseillers généraux et régionaux et présidents
d'établissement public de coopération intercommunale, avec un droit aux
prestations en nature des assurances maladie et vieillesse, les cotisations
étant calculées sur l'indemnité de fonction.
De même, si les élus n'acquièrent pas le droit à pension au titre d'un régime
obligatoire d'assurance vieillesse, les élus ayant suspendu leur contrat de
travail sont affiliés à l'assurance vieillesse du régime général. Il est donc
clair que toute extension du régime de la suspension du contrat de travail
engendre
ipso facto
une extension de ce régime de protection sociale.
En revanche, nous prévoyons - c'est un problème important qui a fait l'objet
de la proposition de l'Association des maires de France, reprise par la
proposition de loi de M. Vasselle - un droit aux prestations en matière
d'assurance maladie aux élus ayant suspendu leur activité professionnelle et
qui sont privés d'une indemnité de fonction par suite d'une maladie survenue au
cours de leur mandat.
Enfin, nous prévoyons le paiement des cotisations d'assurance maladie et
d'assurance vieillesse au titre du temps passé par l'élu en dehors de son
entreprise pour exercer son mandat, ce qui fait que la cotisation patronale
serait à la charge de la collectivité locale et le financement à la charge de
l'élu. Mais un débat sera ouvert par certains de nos collègues sur un fonds
pour la démocratie locale qui passerait par la mutualisation, pour répondre à
cette exigence de protection sociale.
Reste la question de la réinsertion professionnelle à l'issue du mandat. Nous
prévoyons une allocation en fin de mandat. Pendant six mois, une allocation
différentielle permettrait de faciliter le retour à l'activité de celui qui
aurait brutalement perdu son mandat. Cela concerne bien évidemment celles et
ceux qui, ayant une activité indépendante ou salariée dans le secteur privé,
ont besoin de retrouver un revenu d'activité, et cela ne concerne donc pas les
retraités ou les fonctionnaires. Cette indemnité de fin de mandat nous paraît
constituer aujourd'hui un élément de solidarité tout à fait salutaire.
La commission a proposé que ce soit la collectivité locale qui assume le
risque financier que représente cette indemnité, mais un débat a été très
intelligemment ouvert par certains de nos collègues, qui ont estimé que ce
risque était injustement réparti, puisqu'il est fonction du nombre d'élus non
fonctionnaires dans une collectivité locale, et qui ont proposé une
mutualisation. Ce débat se poursuivra au cours de la séance, j'en suis
convaincu, mais la commission a souhaité, pour sa part, maintenir le principe
de la responsabilité totale et entière de la collectivité locale.
Un débat s'ouvrira aussi à propos de l'extension aux communes de 40 000 à 100
000 habitants, que nous avons refusée, des dispositions concernant les groupes
d'élus minoritaires au sein des conseils municipaux. Je crois que ce débat
pourrait avoir lieu.
Nous n'avons pas non plus abordé la question de la réduction à 35 heures du
temps de travail et la demande d'un certain nombre d'exécutifs visant à ce que
le nombre de membres des cabinets puisse être accru à raison de cette
réduction. Nous vous laissons, monsieur le ministre, le soin de réfléchir à ce
problème.
En revanche, nous avons souhaité clarifier les choses s'agissant des frais de
représentation, et nous proposons d'étendre ceux-ci aux présidents de conseil
régional, aux présidents de conseil général et aux présidents d'établissement
public à caractère intercommunal à fiscalité additionnelle, ce qui n'était pas
prévu par les textes, alors que cela l'était pour les maires. Cela permettra de
clarifier les relations avec les chambres régionales des comptes ou les
trésoriers, qui contestent quelquefois les frais de représentation. Je pense
qu'il s'agit là d'un nécessaire éclaircissement dont nous pourrions les uns et
les autres bénéficier.
Nous avons donc souhaité, monsieur le ministre, conjuguer responsabilité
totale et autonomie des collectivités locales, afin de permettre à ces
dernières d'assumer très clairement les décisions qu'elles souhaitent prendre
en vue de l'amélioration des conditions d'exercice des mandats locaux.
Nous avons souhaité veiller à réduire l'inégalité des citoyens par rapport à
l'exercice du mandat. Nous sentons bien, en effet, que la « reconstruction » de
la citoyenneté à laquelle chacun aspire pour nos concitoyens passe par la
motivation des élus. Celle-ci sera directement liée aussi à la capacité que
nous aurons d'alléger l'arbitrage quelquefois difficile entre une vie
professionnelle exigeante, une vie privée non moins exigeante, et la nécessaire
implication quasi totale d'une passion que l'on partage avec ses concitoyens
pour l'exercice d'un mandat.
Nous souhaitons donc que ce débat soit à la hauteur des enjeux par rapport à
la nécessité de redonner aujourd'hui une « oxygénation » salutaire à la
démocratie locale.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur,
mesdames et messieurs les sénateurs, la nouvelle étape de la décentralisation a
été engagée voilà un peu plus d'un an par le Premier ministre, qui a confié à
Pierre Mauroy la mission de présider une commission pluraliste chargée de faire
des propositions pour l'avenir de la décentralisation.
Cette démarche en vue d'une décentralisation plus légitime, plus efficace et
plus solidaire a été confirmée par les discours du Premier ministre à Lille, le
27 octobre, et devant le 83e congrès des maires, à Paris, le 21 novembre
dernier.
Elle doit impérativement s'attacher, en premier lieu, à ceux pour qui elle est
faite : les citoyens et ceux qui la font vivre au quotidien, ceux qui la
portent à bout de bras, jour après jour : les élus locaux.
Le Premier ministre, dans sa déclaration d'ouverture du débat d'orientation
générale sur la décentralisation, hier après-midi, à l'Assemblée nationale,
s'est ainsi largement exprimé sur les propositions du Gouvernement en la
matière, dans le souci de les mettre en oeuvre dans les délais les plus brefs
possible.
J'ai moi-même présenté, à la fin de la discussion générale, très tôt ce matin,
et avant d'en parler avec vous le 31 janvier prochain, si le calendrier est
respecté, les dispositions actuellement à l'étude du premier projet de loi sur
la décentralisation qui s'attachera, dès cette année, à approfondir la
démocratie de proximité au service du citoyen ; j'y reviendrai tout à
l'heure.
Je veux tout d'abord, en effet, rappeler que ce gouvernement, dans le
prolongement de l'action menée en 1982 et en 1983 par Pierre Mauroy et Gaston
Defferre, a pris en compte depuis plus de trois ans et demi l'exigence de
décentralisation, notamment avec la loi du 12 juillet 1999 relative au
renforcement de la coopération intercommunale et avec la loi d'orientation pour
l'aménagement et le développement durable du territoire du 26 juin 1999. Je ne
m'étendrai pas aujourd'hui sur ces dispositions et sur leurs importantes
conséquences puisque nous en débattrons ici-même ensemble, dans deux semaines,
à l'occasion du débat général sur la décentralisation.
Je rappellerai simplement, puisqu'elles interviennent dans les domaines qui
nous intéressent aujourd'hui, la loi sur la réduction du cumul des mandats et
la loi relative à l'institution de la parité entre les femmes et les hommes,
qui s'appliquera dès les prochaines élections municipales.
Le Gouvernement a ainsi facilité un accès plus ouvert qu'auparavant aux
fonctions de responsabilité élective.
Plusieurs avancées ont également été réalisées - M. le rapporteur l'a souligné
- dans le sens d'une meilleure prise en compte des difficultés que connaissent
les élus locaux.
Lors de l'adoption de la loi du 5 avril 2000 relative à la réduction du cumul
des mandats, plusieurs mesures ont été prises afin de faciliter l'exercice des
fonctions électives. Quant à la loi du 10 juillet 2000, d'initiative
parlementaire, elle a défini les délits non intentionnels, et celle du 15 juin
2000 renforçant la présomption d'innocence et le droit des victimes a clarifié
le droit applicable en la matière, conformément au souhait des élus et aux
engagements du Gouvernement.
Il nous faut maintenant aller encore plus loin dans cette direction.
Beaucoup d'hommes et de femmes hésitent en effet à poursuivre leur engagement
public, tant celui-ci pèse sur leur vie personnelle et professionnelle. Alléger
ce poids, c'est ouvrir plus largement l'accès à ces fonctions à des candidates
et à des candidats plus représentatifs de la diversité de la société
française.
Plusieurs contributions à ce débat ont été apportées récemment, notamment par
les associations d'élus locaux. Et, surtout, l'Assemblée nationale a adopté, le
14 décembre dernier, sur l'initiative du groupe communiste, plusieurs
dispositions tendant à faciliter l'exercice des fonctions électives.
Je note d'ailleurs avec satisfaction que les auteurs de la principale des cinq
propositions de loi mises en discussion commune aujourd'hui et, surtout, la
commission des lois, sur proposition de son rapporteur, M. Jean-Paul Delevoye,
en ont repris une bonne partie.
M. le sénateur Vasselle est l'auteur de la proposition de loi sur le statut de
l'élu local, qu'ont cosignée plus de quatre-vingts sénateurs, quatre-vingt-sept
exactement ; quatre autres propositions de lois ont été déposées respectivement
par M. Legendre, M. Carle et autres coauteurs sur les indemnités des
conseillers municipaux, par M. Arthuis sur l'indemnité de retour à l'emploi et
par M. Mathieu sur l'honorariat. La commission des lois a rendu ses conclusions
voilà maintenant huit jours.
Je peux vous confirmer, mesdames, messieurs les sénateurs - mais ce n'est
certainement pas une surprise pour vous ! - que les objectifs du texte que nous
allons examiner aujourd'hui rejoignent ceux du Gouvernement et s'inscrivent
dans l'action qu'il mène depuis trois ans et demi, comme je le rappelais tout à
l'heure.
Ce rapprochement est net, particulièrement après le retrait par la commission
des lois d'un certain nombre de dispositions qui témoignaient, quant à elles,
d'une conception quelque peu différente des auteurs du texte initial, et je
veux, à cette occasion, saluer le travail important du rapporteur et rendre
hommage à la qualité du rapport qu'il vient de nous présenter à cette
tribune.
Ce rapprochement s'est même traduit par le retrait de l'expression « statut de
l'élu local » dans le titre de la proposition de loi et son remplacement par la
référence à la « démocratie locale ».
L'accès plus ouvert aux fonctions électives locales et l'amélioration des
conditions d'exercice des mandats locaux vont bien dans le sens d'un
approfondissement de la démocratie locale.
Je tiens cependant à rappeler que l'objectif d'approfondissement de la
démocratie de proximité au service du citoyen doit, en fait, conjuguer de
manière étroite et solidaire accroissement de la participation des citoyens aux
décisions publiques qui les concernent et amélioration des conditions
d'exercice des mandats locaux.
C'est bien le sens de l'action du Gouvernement, de sa volonté, rappelée hier
après-midi par le Premier ministre, et voilà pourquoi le projet de loi que je
vous présenterai bientôt traitera, dans un même texte, de ces deux éléments
fondamentaux et indissociables de l'approfondissement de notre démocratie.
Le texte qui nous est présenté aujourd'hui comporte des dispositions
importantes. Il ne répond cependant pas totalement aux questions ; il s'arrête
en chemin, si vous me permettez cette expression.
Le Gouvernement l'a rappelé hier, dans un souci d'approfondissement de la
démocratie citoyenne, il souhaite favoriser l'accès aux fonctions électives,
grâce, notamment, à une formation délivrée autant que faire se peut avant ou au
début du mandat, et améliorer l'exercice des mandats locaux.
De ce point de vue, pour répondre à la légitime préoccupation de votre
rapporteur, j'indique que le conseil national de la formation des élus locaux a
vu ses instances renouvelées - j'ai signé avant Noël un arrêté en ce sens - et
qu'il sera installé le 7 février prochain, c'est-à-dire très prochainement.
M. le président.
Très bien !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Les assemblées délibérantes devraient
certainement pouvoir non seulement être informées, mais également jouer un rôle
plus actif, voire décisionnel, dans la meilleure utilisation des crédits.
Pour ce faire, elles devraient concilier mieux qu'aujourd'hui le temps du
mandat local et le parcours professionnel du citoyen, grâce à la réinsertion
professionnelle, grâce à la prise en charge, selon des modalités justes et
équitables, d'un revenu de remplacement transitoire à l'issue du mandat, grâce
à l'élargissement et au renforcement du droit aux crédits d'heures, grâce à une
revalorisation du régime indemnitaire, selon une approche contribuant à une
vraie liberté de choix entre maintien, réduction ou cessation de l'activité
professionnelle.
Elles devraient concilier mieux qu'aujourd'hui l'exercice du mandat avec la
vie personnelle et familiale de l'élu, grâce à de meilleures garanties de
couverture sociale pour tous, y compris pour les non-salariés, grâce à
l'amélioration de l'accès à certaines prestations sociales, sans introduire,
bien évidemment, des dispositions plus favorables aux élus qu'à l'ensemble des
citoyens, grâce au développement de moyens accompagnant concrètement la mise en
oeuvre de la parité dans les instances électives locales - il s'agit,
notamment, du remboursement des frais de garde d'enfants.
Le Gouvernement souhaite également améliorer et simplifier le régime des frais
de déplacement et renforcer les moyens techniques et humains à la disposition
des petites collectivités.
Toutes ces dispositions sont actuellement à l'étude et regroupent nombre de
celles qui sont examinées aujourd'hui.
Lorsque nous étudierons chacun des articles, je m'exprimerai favorablement, au
nom du Gouvernement, lorsqu'ils seront à la fois conformes à ses propres
objectifs et, sous réserve parfois d'une plus grande expertise, susceptibles de
répondre aux besoins des élus locaux.
Je m'en remettrai à la sagesse de votre assemblée lorsque je serai favorable
sur le principe, mais constaterai que certaines attentes des élus locaux ne
sont pas satisfaites.
Je donnerai un avis défavorable aux articles dont la rédaction en l'état
présente des inconvénients, sur la forme ou sur le fond, qui ne peuvent, à mon
sens, autoriser leur adoption.
Deux remarques fondamentales, à ce stade de notre discussion, me conduiront à
émettre un avis défavorable sur l'ensemble de la proposition de loi.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Je ne peux que me féliciter du retrait par la commission des lois des
dispositifs de financement à la charge de l'Etat. Je salue cette position
conforme au principe que j'avais rappelé le 14 décembre dernier, à savoir que
le financement des mesures intéressant les élus locaux doit être assuré par les
collectivités locales.
Cependant, on ne peut apprécier la portée de la proposition de loi sans tenir
compte de son coût global. Il convient donc d'expertiser l'ensemble des mesures
de revalorisation pour vérifier que la charge financière qui incombera aux
collectivités locales est justifiée au regard des objectifs à atteindre.
M. Jacques Oudin.
Cela coûtera moins cher que les 35 heures !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
En outre, il est essentiel d'apprécier l'impact
de toutes ces mesures sur chacune des catégories de collectivités locales ; on
ne peut s'en remettre à la seule sentence en découlant directement : « Chacun
appliquera cette mesure selon ses moyens. » Non !
Par ailleurs, une disposition majeure de la proposition de loi autoriserait
les élus, quels que soient leur situation et le montant de leurs indemnités de
fonction, à bénéficier de tout type de prestations sociales en excluant par
principe les indemnités de tout calcul de plafond de ressources.
Si le Gouvernement souhaite faire bénéficier les élus d'une plus grande
protection sociale, il ne peut donner son accord à une disposition conférant
aux élus locaux un avantage exorbitant du droit commun d'entre eux qui
permettrait, par exemple, à certains élus locaux de percevoir le RMI tout en
bénéficiant d'une indemnité de fonction non négligeable.
En conclusion, je souhaite me féliciter avec vous de l'examen de ces
dispositions, qui permettront d'enrichir notre débat et notre concertation sur
les objectifs que vise le Gouvernement.
Pour les raisons que j'ai exposées, je demande cependant au Sénat de ne pas
adopter en l'état - en l'état ! - cette proposition de loi et d'aider le
Gouvernement, dans peu de temps, à améliorer le projet de loi qui lui sera
présenté, projet de loi que certaines des propositions examinées aujourd'hui
pourront utilement compléter, dans la mesure où, par-delà ces propositions, il
abordera également des thèmes liés à la démocratie citoyenne, à la démocratie
de proximité, dont j'ai déjà dit qu'elles étaient indissociables.
Puisque, dans quelques semaines, le Sénat aura à examiner un projet de loi
plus complet reprenant une bonne partie des propositions qui sont faites
aujourd'hui, le Gouvernement ne pourra émettre un avis favorable sur les
conclusions de la commission des lois.
(Applaudissements sur les travées
socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 60 minutes ;
Groupe socialiste, 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 38 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 36 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 23 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est à la
fin du mois de novembre dernier, devant le 83e congrès de l'Association des
maires de France, que le président du Sénat a annoncé la « bonne nouvelle » :
on allait enfin répondre, en France, aux attentes des milliers de maires de
petites communes, véritables « charbonniers de la démocratie locale », toujours
à l'écoute et à la disposition de leurs concitoyens, mais si ridiculement
rémunérés et si faiblement protégés contre les risques liés à leur propre
fonction, en particulier en matière de formation continue, d'aide au retour à
l'emploi, de couverture sociale et de retraite.
Il devenait en effet indispensable d'élaborer pour les élus un statut clair et
lisible, si nécessaire à leurs missions dont la technicité n'a cessé de
s'accroître ces dernières années.
Cosignée par quatre-vingt-neuf de nos collègues, cette excellente proposition
de loi s'attaque, en premier lieu, aux discriminations criantes résultant des
divers statuts professionnels des candidats à l'élection et entend, par
conséquent, favoriser un égal accès des citoyens à l'exercice des mandats
électifs.
Par ailleurs, elle prévoit, dans les faits, la constitution d'un « statut de
l'élu » en favorisant, entre autres, la revalorisation des indemnités des
maires et des adjoints des petites et moyennes communes, la création d'un
véritable droit à la formation, en triplant le nombre de jours de formation par
mandat, et, enfin, l'octroi d'une protection sociale accrue et la garantie d'un
retour à la vie professionnelle après la fin du mandat.
Je veux insister ici, monsieur le ministre, sur deux points particuliers.
Ma première observation concerne l'accès des citoyens à la démocratie locale.
Ainsi que le précisait il y a quelques instants notre rapporteur, il y a, en
effet, de fortes inégalités dans l'accès des citoyens aux fonctions
électives.
Le système actuel défavorise particulièrement les salariés, qui n'ont pas les
crédits d'heures suffisants ou les moyens d'une compensation équitable en cas
de perte de salaire. A l'inverse, ce même système profite amplement aux
fonctionnaires, qui, eux, ont la possibilité de réintégrer leur corps d'origine
à l'issue de leur mandat.
C'est la raison pour laquelle il convient de rendre égal l'accès des citoyens
à la « démocratie locale » et de rendre enfin la vie politique et civile de
proximité suffisamment attractive pour susciter la candidature de jeunes que
les dispositifs actuels rebutent.
Ma seconde observation concerne plus particulièrement les maires des petites
communes.
Monsieur le ministre, ces élus subissent de plein fouet un double « effet
cumulé » qui constitue pour eux un double handicap.
Le premier effet concerne l'insuffisance de leur encadrement et le nombre trop
restreint de leurs collaborateurs. Fort logiquement, ces carences entraînent
pour les maires des petites communes rurales une implication personnelle accrue
dans des dossiers juridiques et financiers de plus en plus techniques.
A cela s'ajoute l'apparition de nouveaux dossiers d'urbanisme,
d'environnement, etc., sans compter la superposition des directives
européennes, qui nécessitent constamment un niveau élevé et une réelle acuité
des connaissances.
Monsieur le ministre, afin de remédier à ce problème permanent de déficit de
formation et d'encadrement, j'en appelle ici aux pouvoirs publics pour
revaloriser en urgence la dotation globale de fonctionnement à destination de
ces petites communes gérées par des maires de bonne volonté qui croulent sous
les dispositions techniques mais doivent continuer à assumer les missions de
service public dans, leurs communes rurales sans avoir les moyens ni
intellectuels ni financiers de leur politique.
Parallèlement, un autre effet insidieux est apparu pour ces maires de petites
communes. En effet, la mise en place, indispensable, des structures
intercommunales a multiplié par deux le nombre des réunions et considérablement
compliqué le calendrier des élus.
Toutes ces raisons expliquent probablement que, depuis douze années
maintenant, le nombre des maires qui ne veulent pas renouveler l'expérience de
leur mandat ne cesse d'augmenter.
A mes yeux, monsieur le ministre, on doit, certes, continuer à considérer dans
notre pays l'exercice d'un mandat local comme une fonction purement bénévole,
mais tout en assurant un minimum de couverture sociale à ses acteurs.
En effet, les élus doivent pouvoir concilier vie professionnelle et vie
personnelle dans l'exercice de leur mandat et se voir rembourser, en tant que
père ou mère de famille, par exemple, les frais de garde de leurs enfants. Ils
doivent tout autant pouvoir prétendre au remboursement de leurs frais et
percevoir des indemnités décentes afin de combler un manque à gagner
évident.
Malheureusement, force est de constater que, pour les petites communes, sur
lesquelles je concentre mon intervention, l'absence de revalorisation des
moyens donnés à ces véritables « commis de l'Etat » demeure révoltante. Faute
de faire le nécessaire, il est indispensable de leur apporter au moins la
reconnaissance statutaire et la couverture sociale qu'ils méritent.
Monsieur le ministre, je vous rappelle que le maire d'une commune de 2 000
habitants ayant assuré ses fonctions pendant vingt-quatre ans et cotisé à la
CNRACL, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales,
percevra une retraite mirifique de 1 200 francs par mois ! Alors que les maires
sont, de tous les élus, ceux qui recoivent la plus grande considération et la
meilleure appréciation de la part de nos concitoyens, le fossé entre les
rémunérations et les insuffisances de leur converture sociale ne cessent de
s'accroître. J'en appelle donc à un effort allant au-delà des excellentes
propositions d'Alain Vasselle pour que les maires des petites communes soient
ceux qui bénéficient d'une rémunération accrue du fait de la surcharge de
tâches qu'ils supportent.
Enfin, je soutiens les propositions de réinsertion professionnelle des élus à
l'issue de leur mandat. Pour moi, elles sont indissociables des efforts à faire
en matière de valorisation des connaissances et d'actualisation de leur
information pendant leurs six années de mandat.
A l'inverse, il m'apparaît justifié, en cas de manquement grave d'un élu,
entraînant notamment une mise en examen suivie d'une condamnation, que ce
dernier soit inéligible à vie. La suspicion de l'opinion publique à l'égard des
élus locaux ne doit pas affecter ceux d'entre eux - c'est l'immense majorité,
bien sûr - qui sont exemplaires, mais l'exclusion de la vie publique de ceux
qui ont gravement fauté est souhaitable.
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte, que j'ai
eu le plaisir de cosigner, devient une pièce importante du dispositif
législatif rénové et actualisé en faveur d'une « véritable république
territoriale » issue de la décentralisation.
En créant les contours d'un statut de l'élu, tout particulièrement favorable
aux maires des petites communes, nous rendrons toute sa vitalité à la
démocratie locale, actuellement en grande difficulté. Car, au sein de l'Union
européenne, nous élus de petites communes restent de loin les moins bien lotis
; M. le rapporteur, président de l'Association des maires de France, y a fait
allusion tout à l'heure.
Au fond, la qualité principale de ce texte est de répondre techniquement aux
problèmes auxquels les élus locaux sont confrontés chaque jour. Il a le mérite
de relancer la décentralisation et d'affirmer clairement une plus grande
démocratie locale pour tous.
Nous le savons bien, nos concitoyens réclament de leurs élus des relations de
confiance accrue et des compétences clairement identifiées. Mais ils estiment
aussi leurs élus de proximité pour leur générosité, leur disponibilité et leur
responsabilité, tout en prenant conscience des conditions d'exercice difficiles
du mandat qui leur est confié.
Pour toutes ces raisons, avec l'ensemble de mes collègues siégeant sur les
travées des sénateurs non inscrits, je voterai ce texte.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me
réjouis de l'initiative prise par le Sénat d'inscrire à son ordre du jour
réservé une proposition de loi sur les conditions d'exercice des mandats d'élus
locaux au moment même où le Gouvernement ne s'intéresse qu'à une chose : le «
tripatouillage » du calendrier électoral de 2002, en vue de la
présidentielle.
(Protestations sur les travées socialistes.)
Privilégiant la politique politicienne, le Gouvernement en oublie que le
creuset de la démocratie, ce sont d'abord les collectivités locales et leurs
élus, conseillers municipaux, maires, maires adjoints, conseillers généraux et
conseillers régionaux.
Ces préoccupations opposées illustrent de manière éloquente deux conceptions
différentes de la démocratie, monsieur le ministre : d'un côté, la démocratie
centralisée, administrée, qui est votre conception ; de l'autre, la démocratie
de partenariat et de proximité, que nous appelons de nos voeux.
Force est aujourd'hui de constater le malaise, le « ras-le-bol » des maires,
notamment de ceux qui exercent leur mandat dans les petites communes. Les élus
locaux assument en effet leurs fonctions dans des conditions morales et
matérielles difficiles.
Nous vivons de plus en plus dans une société de procédures. Ainsi tout
accident donne-t-il lieu à la recherche d'un coupable. Premiers fantassins de
la démocratie, les élus locaux en sont aussi les boucs émissaires idéaux. Ils
peuvent être traduits à tout moment devant les juridictions administratives,
civiles, voire pénales.
Le Sénat s'est d'ailleurs inquiété de cette pénalisation excessive de la
société. Ainsi, la proposition de loi de notre collègue Pierre Fauchon sur la
définition des délits non intentionnels, devenue loi de la République, a visé à
clarifier la notion de faute pour l'ensemble des responsables, qu'ils soient ou
non élus. La distinction opérée par cette loi entre faute directe et faute
indirecte a apporté une réponse équilibrée aux risques que rencontrent ces
responsables, sans abaisser le niveau de protection des victimes. C'était
absolument nécessaire, et le Sénat peut se féliciter d'être à l'origine de
cette initiative.
Mais, aujourd'hui, il faut aller plus loin.
Pour un élu, l'entrée dans la vie publique est souvent conditionnée par sa «
sortie ». Or, en la matière, les élus ne sont pas tous égaux. De plus en plus,
ceux qui acceptent d'exercer des mandats électifs sont issus de la fonction
publique : à l'Assemblée nationale, plus de la moitié des députés sont dans ce
cas, ce qui est vrai au Parlement l'étant aussi dans les collectivités
territoriales, et il n'est pas bien difficile de comprendre pourquoi.
Les élus fonctionnaires ont plus de facilités pour réintégrer la vie active au
terme de leur mandat, qu'ils aient décidé eux-mêmes d'y mettre fin ou que les
électeurs les y aient contraints. Placés en disponibilité, ils peuvent en effet
réintégrer à tout moment leur corps ou leur administration d'origine.
Retenant la rédaction du Sénat, le Parlement a modifié l'article 3 de la
Constitution dans le dessein de préciser que « la loi favorise l'égal accès des
femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».
Cependant, l'égal accès en fonction de l'origine sociale et professionnelle est
loin d'être effectif. Il nous faut donc aujourd'hui améliorer la
représentativité dans notre démocratie. Pour cela, il convient de créer un
cadre adapté à l'exercice d'un mandat électif.
L'engagement au service de la collectivité doit demeurer un engagement
volontaire. Reconnaissons cependant que le bénévolat qu'il requiert connaît
aujourd'hui ses limites. Il s'agit non pas, bien évidemment, de faire carrière,
comme l'a très bien rappelé M. le rapporteur, mais de servir le bien commun.
Il nous faut éviter un écueil, celui de la « course aux mandats ».
La « course aux mandats », c'est la course au cumul afin que les indemnités
atteignent des montants décents. Laissons de côté toute hypocrisie ; nous
savons ce qu'il en est de la réalité.
Lors des débats au Sénat sur la limitation du cumul, j'avais fait des
propositions en vue d'une revalorisation des indemnités. Le Gouvernement avait
repoussé cette proposition, démontrant une fois encore que, des paroles aux
actes, il y a loin.
Le texte dont nous discutons aujourd'hui, issu de cinq propositions de loi
sénatoriales, a le mérite d'aborder cette question.
La revalorisation prévue des indemnités perçues par les adjoints aux maires et
les responsables d'établissements de coopération intercommunale est normale,
particulièrement pour les adjoints, sans qui, nous le savons, les maires ne
pourraient administrer aussi efficacement leurs communes.
C'est avec le même souci que je défendrai un amendement tendant à étendre
cette revalorisation aux conseillers généraux, élus de proximité et de
disponibilité.
On peut, bien sûr, arguer que de telles mesures présentent un coût élevé.
C'est parfaitement vrai. Mais, comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises à
cette tribune, si la démocratie n'a pas de prix, elle a un coût que nous devons
assumer. Il y va de la représentativité et de l'efficacité de notre
démocratie.
Ensuite, le texte prévoit des dispositions sur la réinsertion professionnelle
de l'élu à l'issu de son mandat.
Il m'apparaît en effet légitime de prévoir une possibilité de reconversion
pour ces élus, soit par l'accès à des formations, soit par priorité de
réembauchage. Il me paraît tout aussi justifié de prendre en compte «
l'expérience » acquise et les compétences développées lors de l'exercice du
mandat, expérience et compétences qui, j'en suis sûr, peuvent se révéler utiles
dans le cadre d'une nouvelle activité.
Enfin, je me félicite que la proposition de loi de mon collègue Serge Mathieu
sur l'honorariat des maires ayant exercé leurs fonctions dans différentes
communes ait été reprise dans les conclusions de la commission. Cet honorariat
ne doit pas, en effet, se limiter à la remise de médailles. Il doit aussi
permettre la prise en compte de considérations matérielles et morales envers
celles et ceux qui ont donné le meilleur d'eux-mêmes pour notre démocratie.
Nous devons reconnaître que la démocratie est aujourd'hui bancale, car elle
n'est pas assez représentative. C'est le problème de notre pays, peut-être trop
administré et pas assez gouverné. Que le Gouvernement n'ait fait aucune
proposition pour remédier au problème ne nous surprend pas. Nombre de ministres
et d'élus de la majorité actuelle sont issus de la fonction publique, ce n'est
donc pas leur problème. De même, il existe une fracture entre une France
engagée et une France protégée. C'est cette fracture socioprofessionnelle qu'il
nous faut nous appliquer à réduire en permettant à des femmes et à des hommes
nouveaux, issus de toutes les couches de la société, de s'engager. C'est
l'avenir même de notre démocratie qui est en jeu.
Ces propositions de loi, et la synthèse remarquable de notre rapporteur qui,
en tant que président de l'Association des maires de France, connaît mieux que
quiconque la situation difficile des milliers d'élus locaux, constituent non
pas un aboutissement, mais une prise de conscience, un point de départ vers une
démocratie de proximité et de partenariat dont les élus sont et seront encore
davantage les premiers acteurs.
C'est donc avec enthousiasme que le groupe des Républicains et Indépendants
suivra vos conclusions, monsieur le rapporteur.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le statut de
l'élu est un véritable enjeu pour notre démocratie, d'abord parce qu'il répond
à une attente très forte de tous les élus locaux ; ensuite, et surtout, parce
qu'il doit permettre de favoriser l'accès de toutes et de tous aux fonctions
électives, et donc d'asseoir la démocratie locale.
Les attentes des élus sont plus que légitimes.
Dès la loi de décentralisation de 1982, il était prévu d'adopter une loi
relative au statut de l'élu. De nombreux rapports et de nombreuses études ont
suivi, sans qu'aucune mesure concrète soit prise jusqu'en 1992.
Les élus communistes s'en sont très tôt préoccupés. Notre groupe a ainsi
déposé, dès 1989, une proposition de loi sur les fonctions électives, dont la
première signataire était sa présidente, Mme Hélène Luc.
Nous avons réitéré, et à plusieurs reprises, en cherchant, bien sûr, à
améliorer notre dispositif pour répondre à la fois aux attentes des élus et aux
besoins de la démocratie locale. C'est là, de notre avis, une bonne chose.
Nous constatons aujourd'hui que la plupart de nos idées sont largement
reprises.
La loi du 3 février 1992 a, en son temps, apporté des améliorations mais,
aujourd'hui, nous constatons tous unanimement les lacunes de ce texte ; elles
tiennent, notamment, à la complexification de la gestion locale. Les
insuffisances sont d'autant plus flagrantes après l'adoption des lois sur la
parité et le non-cumul des mandats.
C'est que le non-cumul des mandats, la parité, mais aussi l'élection des
conseillers régionaux et des sénateurs comme la coopération intercommunale -
coopération que nous aurions préférée davantage fondée sur le libre choix des
communes et sur la démocratie - ainsi que d'autres lois à venir s'inscrivent
dans une vaste réforme de l'Etat visant à démocratiser nos institutions et,
bien sûr, la vie publique.
Vous n'êtes pas sans savoir que la question du statut de l'élu est bien
évidemment au programme. Elle a fait l'objet d'une concertation au sein de la
commission sur l'avenir de la décentralisation, présidée par notre collègue
Pierre Mauroy.
Le principe d'une concertation était incontournable car, comme le souligne
justement Lionel Jospin, le Premier ministre, « la réflexion doit être
concertée et consensuelle (...). Il est des domaines où rien de solide ne peut
être édifié sans un large consensus, en particulier lorsque sont en jeu notre
identité nationale, la cohésion du territoire de la République et les valeurs
qui fondent la démocratie ».
La République n'appartient en effet ni à la droite ni à la gauche.
Vous êtes quelques-uns, messieurs de la majorité sénatoriale, à avoir
participé aux travaux de cette commission, dont la collégialité et l'utilité
ont été très largement reconnues.
M. Jean Puech, président de l'Assemblée des départements de France, l'ADF,
admettait récemment, dans l'éditorial du mensuel
Le Courrier des
départements
, que le rapport Mauroy « formule un certain nombre de
propositions intéressantes qui sont le fruit des réflexions que les
vingt-quatre membres ont mené durant près d'un an ». Et Michel Mercier de
souligner qu'en dehors de l'incident de la vignette automobile les propositions
de la commission sont assez consensuelles. C'est en effet le cas.
Aussi, votre attitude est pour le moins étonnante, pour ne pas dire décevante.
Pourquoi, après avoir été associés à ce processus de réflexion, vouloir à tout
prix tirer la couverture à vous ? Pourquoi vouloir faire croire que vous êtes
les seuls à l'origine de propositions sur le statut de l'élu ? Vous y avez
évidemment contribué - et je voudrais dire à M. Delevoye que je me retrouve
dans bon nombre de ses propositions -, mais l'initiative ne vous revient pas.
Sans quoi vous auriez sûrement réussi à formuler des propositions et à les
faire adopter quand vous étiez au Gouvernement !
Mme Odette Terrade.
Très bien !
M. Thierry Foucaud.
De surcroît, comme vous le savez, Lionel Jospin a annoncé, à l'ouverture du
congrès des maires de France, que les travaux de la commission Mauroy ne
resteraient pas lettre morte. Il s'est engagé à déposer, les élections
municipales passées, un projet de loi relatif à la démocratie locale, qui
traiterait notamment des conditions d'exercice des mandats locaux. Ni une, ni
deux, vous vous êtes empressés de déposer une proposition de loi deux jours
après !
Celle de mon amie députée Jacqueline Fraysse avait déjà été déposée,
proposition sur laquelle vous vous êtes abstenus, après avoir dit, d'ailleurs,
son utilité et son importance. Elle contient des mesures qu'il nous faut
adopter tout de suite, avant les élections, pour permettre une réelle
application des lois que nous avons votées sur la parité et le non-cumul.
Elle a été adoptée le 14 décembre dernier à l'Assemblée nationale et elle a
toutes les chances d'aboutir d'ici à la fin de la session, si toutefois vous ne
vous obstinez pas dans votre démarche. Si vous persistiez, ce serait
préjudiciable à l'installation des nouveaux élus, mais, surtout, des nouvelles
élues, issus de prochaines élections.
Il s'agit, je le répète, de mesures d'urgence, nécessaires notamment pour
l'entrée massive de femmes à des fonctions électives de responsabilité, dans
l'attente d'une réforme plus profonde qui implique une réflexion et un débat
approfondis sur le financement de la démocratie locale.
A ce sujet, la création d'un fonds d'aide à la démocratie locale que vous
proposez n'a que l'apparence d'une solution. Nous ne mettons pas en cause le
principe du fonds, que nous avons proposé depuis longtemps, mais on voit mal
comment un tel fonds, cofinancé par l'Etat et les collectivités locales sans
que soit créée une nouvelle ressource, suffirait pour couvrir la revalorisation
des indemnités de tous les élus, les frais de formation, les pertes de
salaires, la garantie de revenu, les cotisations dues pour absences autorisées
et crédits d'heures. Quelle serait la contribution des collectivités locales ?
Même si les plus riches sont fortement mis à contribution, comment assurer un
financement correspondant aux besoins ? Votre proposition n'est pas sérieuse
!
Nous admettons que l'engagement de l'Etat, par le biais de la dotation « élu
local », est insuffisant, surtout si l'on compare le montant de cette dotation,
280 millions de francs, à ce que rapporte la fiscalisation des indemnités
d'élus à l'Etat, environ 1 milliard de francs. Le montant de cette dotation
est, certes, réparti en fonction de critères très restrictifs : communes de
moins de 1 000 habitants, dont le potentiel fiscal est inférieur à la moyenne
de la strate. Mais, dans mon département de la Seine-Maritime, plus de la
moitié des communes sont concernées. Au titre de l'année 2000, chacune a reçu
13 249 francs pour couvrir les frais de formation et les indemnités des
élus.
La revalorisation de l'indemnité des maires acquise dans la loi sur le
non-cumul des mandats est ainsi restée lettre morte dans de nombreuses
communes, faute de moyens. C'est le cas, par exemple, à Bardouville, petite
commune de mon département, qui compte 600 habitants, et qui a un budget de
fonctionnement de 1 700 000 francs. Le financement de l'indemnité de maire
revalorisée correspondrait à 5 % de ce budget. Le maire - vous comprenez bien
pourquoi - a préféré s'en passer !
Comme vous le savez, nous rencontrons également des difficultés - liées aussi
au fait que le temps nécessaire pour se former n'est pas accordé aux élus -
concernant l'application du droit à la formation des élus. Les crédits
consommés - 12,5 millions de francs - sont bien en deçà de ceux qu'autorise la
loi, à savoir 1,3 milliard de francs.
Un statut de l'élu répondant aux attentes et aux besoins génère, bien
évidemment, une dépense importante. Dès lors, il est nécessaire, selon nous,
d'aborder la question du financement et de trouver notamment de nouvelles
ressources en étendant la base de la taxe professionnelle aux actifs
financiers. Nous avons proposé un amendement sur ce point à l'occasion de
l'examen du projet de loi de finances, mais la majorité sénatoriale n'a pas cru
bon de nous suivre.
La proposition de loi sur l'accès aux fonctions électives locales tentait
également d'introduire un nouveau financement, avec une mise à contribution du
monde économique pour les absences autorisées et les crédits d'heures. La
commission des lois n'a pas retenu cette proposition. Nous le regrettons, tant
il nous semble pertinent de redéfinir le rapport du monde économique et de la
démocratie.
Nous sommes acquis à l'idée qu'un large débat sur les finances locales
s'impose pour rendre applicable le statut de l'élu. Lors de l'examen de la
proposition de loi de Jacqueline Fraysse, M. le ministre de l'intérieur nous
l'a promis pour le prochain débat d'orientation budgétaire.
Dans ce contexte, votre empressement s'apparente à de la démagogie. Nous ne
sommes pas dupes : nous savons que votre engouement précipité est
essentiellement dû à l'approche programmée des municipales et des cantonales.
Votre démarche n'est ni désarticulée, ni irréfléchie. Elle est tout simplement
électoraliste et politicienne.
L'enjeu est pourtant essentiel : le statut de l'élu n'est pas une question qui
concernerait exclusivement les élus, leurs indemnités, leurs avantages sociaux.
Sont concernés autant les élus que les citoyens, les représentants que les
représentés, les politiques que les non-politiques.
Le statut de l'élu doit favoriser l'accès de toutes et de tous aux fonctions
électives. Nous voulons nous opposer à cette dérive qui tend à faire de l'élu
un gestionnaire, un comptable, un professionnel. Il n'est pas besoin de sortir
des grandes écoles, d'être un spécialiste, pour se soucier des affaires de la
cité. Combien de soi-disant spécialistes de la chose publique ont pris
finalement des décisions contraires à l'intérêt des populations !
Ce dont le système politique a besoin, n'est-ce pas d'un second souffle de vie
? Des élus qui soient dans la vraie vie, avec des problèmes vitaux, de liberté,
d'égalité, de fraternité ? Ce qui est en jeu, avec le statut de l'élu, c'est
bien une autre manière de faire de la politique.
Le statut de l'élu doit donc favoriser le renouvellement, contribuer à
diversifier les appartenances socioprofessionnelles des élus. Il se doit
d'accompagner la loi sur le non-cumul des mandats, afin de lui donner toute son
efficacité : il ne suffit pas d'interdire à certains de détenir tous les
pouvoirs, encore faut-il permettre à d'autres d'en assumer.
Si le mandat représentatif n'exige, en aucune manière, que les catégories
socioprofessionnelles des élus reproduisent à petite échelle celles de leurs
électeurs, et s'il n'est, bien sûr, nullement question de porter un jugement de
valeur sur telle ou telle catégorie, force est de constater que des
déséquilibres existent toujours.
Comme le révèle très justement le rapport du Conseil économique et social, les
distorsions « traduisent en fait, de manière certes plus ou moins marquée,
l'adéquation entre les caractéristiques de chaque catégorie sociale et les
qualités requises pour l'exercice de la fonction d'élu local ». Ce constat est
réel en ce qui concerne la formation et les compétences de chacun, la
possibilité de gérer son temps, le fait de retrouver, ou non, facilement son
emploi en fin de mandat.
Donner à chaque citoyen, quel qu'il soit, les moyens d'assumer un mandat
électif exclut hiérarchie élitaire et professionnalisme du mandat.
Le statut de l'élu doit aussi favoriser l'égal accès des femmes et des hommes
aux fonctions électives.
Lors des prochaines élections municipales, la loi sur la parité s'appliquera,
mais elle ne suffira pas à régler la question de l'égalité des femmes et des
hommes dans la vie publique.
Le risque existe, en effet, que, faute d'évolution réelle facilitant la
participation de toutes et de tous à la vie publique, la parité se traduise par
des mesures volontaristes, dans l'esprit des quotas humiliants pour les
candidates, sans réflexion sur ce qui entrave l'engagement politique des
femmes.
La parité doit plutôt être l'occasion d'une évolution globale dans la
conception de la politique et de l'exercice des mandats. Qu'ils soient hommes
ou femmes, les élus locaux ne sont pas des « professionnels de la politique » ;
ce sont des concitoyens qui participent bénévolement à la vie de la cité. Ils
devraient pouvoir rendre compatible l'exercice de leur mandat avec la poursuite
de leur activité professionnelle, d'une vie familiale et de quelques
loisirs.
Or le fait d'exercer un mandat, de participer aussi à la vie associative, tout
simplement, demande du temps et une disponibilité qui manque aux élus salariés,
plus particulièrement lorsqu'il s'agit de femmes.
La première question est donc celle de la disponibilité, de la possibilité
d'exercer pleinement sa fonction élective.
Le droit actuel est extrêmement restrictif quant aux absences puisqu'il
n'autorise l'élu qu'à participer aux réunions du conseil, du bureau ou des
commissions. En outre, ces absences ne sont pas rémunérées - mais elles peuvent
être compensées par la collectivité.
Les élus disposent également de crédits d'heures, qui, vous le savez, même
s'ils ont été revalorisés par la loi du 5 janvier 2000, restent très en deçà
des vrais besoins.
A titre d'exemple, le maire d'une commune de 10 000 habitants ou l'adjoint
d'une commune de plus de 30 000 habitants ne bénéficie que d'un forfait
trimestriel de 117 heures, ce qui est nettement insuffisant.
Voilà pourquoi nous souhaitons, d'une part, que le droit d'absence soit élargi
aux réunions de travail au sein desquelles l'élu représente la collectivité,
et, d'autre part, que les crédits d'heures soient doublés.
Au-delà de ces propositions, ne faut-il pas envisager la création d'un
mi-temps de droit pour les exécutifs locaux ?
Nous posons également le principe du maintien de la rémunération de l'élu au
titre des absences autorisées et des crédits d'heures. Ainsi, nous harmonisons
la situation des élus salariés de droit privé avec celle des fonctionnaires,
lesquels conservent généralement dans la pratique le bénéfice de leur
traitement durant ces périodes.
Et pour ne pas pénaliser les entreprises les plus fragiles, avec le principe
du paiement des heures non effectuées, il conviendrait, selon nous, de créer un
fonds mutualisé. On pourrait également résoudre par ce biais les questions
relatives à la protection sociale et au calcul de la pension retraite.
Une autre solution, qui semble recueillir plus d'avis favorables, consisterait
à rendre la compensation par la commune obligatoire. Une compensation serait
alors versée par le biais de la dotation « élu local ».
Le droit à la formation des élus est à ce jour extrêmement limité - six jours
par mandat - et très peu exercé du fait des contraintes budgétaires.
Pourtant, la formation est absolument nécessaire pour permettre à tous et à
toutes d'exercer un mandat. Elle s'impose également en raison de la complexité
accrue des dossiers qu'un élu rencontre.
Nous proposons donc le triplement des jours de formation auxquels un élu a
droit. La commission des lois fait sienne cette proposition, alors que la
proposition de loi de M. Vasselle prévoyait initialement le principe d'un droit
à la formation pendant la première année du mandat, comme si les élus étaient
exempts de suivre l'évolution du droit. Si tel était le cas, comment les élus
auraient-ils pu notamment relever le défi de la coopération intercommunale ?
Pour ce qui est des indemnités, les élus communistes sont très attachés à ce
qu'il n'y ait aucune dérive élitaire et professionnaliste. En tout cas, il faut
les réévaluer et définir légalement la notion de frais liés à l'exercice du
mandat. Nous pensons, en particulier, à la jurisprudence du Conseil d'Etat
interdisant le remboursement des frais de garde d'enfant contre laquelle le
législateur doit, bien sûr, s'élever. C'est absolument nécessaire pour
faciliter l'accès des femmes à la vie publique.
La commission des lois se rallie, là encore, à notre réflexion en préconisant
le remboursement par les communes des dépenses liées à l'exercice du mandat. La
formulation utilisée nous semble toutefois imprécise et susceptible, par là
même, d'engendrer des abus.
Quant au retour à l'emploi à l'issue du mandat, seuls les fonctionnaires
bénéficient, à l'heure actuelle, de ce type de garantie. Cela explique
certainement, partiellement, qu'ils se lancent plus facilement dans la vie
publique. L'instauration d'une garantie de réemploi, comme elle existe pour les
parlementaires, nous semble une bonne piste de réflexion.
Mais, selon nous, la première des mesures à prendre est d'autoriser le
maintien des indemnités de fonction durant les six mois suivant la fin du
mandat, si l'élu est au chômage et s'il n'est pas titulaire d'un autre
mandat.
Certaines propositions de la commission des lois rejoignent des exigences
qu'expriment les parlementaires communistes. D'autres reprennent des
propositions formulées par la commission sur l'avenir de la
décentralisation.
Nous ne pouvons pas dire que la proposition que nous examinons aujourd'hui est
mauvaise. Mais elle est précipitée. Elle occulte notamment le fait qu'un débat
sur le financement de la démocratie locale doit être tenu pour que le statut de
l'élu soit applicable.
Elle veut nous faire sortir d'un processus de concertation ouvert à tous que
nous souhaitions depuis longtemps, processus qu'a engagé le Gouvernement, qui a
déjà, d'un avis largement partagé, tenu quelques promesses et annonce
l'émergence de nouvelles avancées pour la démocratie locale dans le courant de
l'année.
Compte tenu de la position que vous avez adoptée sur ce texte, nous ne
participerons pas au vote.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Debarge.
M. Marcel Debarge.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
proposition de loi dont M. Jean-Paul Delevoye est le rapporteur comporte, je le
constate, un certain nombre de dispositions positives partant de réalités et
tenant compte de travaux antérieurs.
Je remarque, monsieur Delevoye, que vous avez fait référence, dans votre
rapport écrit - et je vous en remercie - aux deux textes sur lesquels j'ai
travaillé voilà un certain temps déjà. Cela m'a fait un peu penser aux romans
d'Alexandre Dumas :
Les Trois Mousquetaires, Vingt Ans après...
J'espère
que l'on ne va pas attendre
Le Vicomte de Bragelonne (Sourires)
et que
les choses évolueront plus rapidement !
Ces textes avaient permis une première avancée, avec l'adoption de la loi de
février 1992 relative aux conditions d'exercice des mandats locaux. Cela dit,
je ne vais pas me lancer dans une surenchère quant à la paternité des mesures
visant à l'amélioration des conditions d'exercice des mandats locaux,
l'essentiel étant de parvenir à des résultats. En effet, nul, dans cette
enceinte, n'a le monopole de la République ou de la défense des intérêts
légitimes des élus locaux.
Quoi qu'il en soit, au risque d'être quelque peu trouble-fête - après tout, il
faut bien que quelqu'un joue ce rôle dans une assemblée comme la nôtre ! - je
marquerai mon étonnement devant un certain nombre de choses.
La fébrilité avec laquelle est inscrite aujourd'hui cette proposition à
l'ordre du jour du Sénat, en bousculant le calendrier,...
M. Jean-Jacques Hyest.
On parle encore de calendrier !
M. Marcel Debarge.
La fébrilité avec laquelle est inscrite cette proposition de loi à l'ordre du
jour du Sénat, disais-je, à la veille des élections municipales et du
renouvellement sénatorial, n'a d'égal - soyons gentils ! - que la relative
inertie qui a été la vôtre lorsque vous étiez majoritaire au Sénat et à
l'Assemblée nationale.
M. Claude Estier.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
C'est juste !
M. Marcel Debarge.
Vous n'avez alors rien proposé ou presque sur ce sujet.
En effet, force est de constater que la majorité de l'époque, entre 1986 et
1988, ou, plus récemment encore, entre 1993 et 1997, n'a pas fait preuve de
beaucoup d'initiatives en la matière.
De toute façon, au-delà du choix de la date d'examen de cette proposition de
loi, dans lequel certains pourraient voir une touche d'opportunisme, je
constate également que nous n'avons pas la même méthode de travail.
Nous avons privilégié la concertation. Dans cet esprit, M. le Premier ministre
avait institué une commission pluraliste présidée par notre collègue Pierre
Mauroy. Celle-ci aurait pu permettre de trouver un large accord sur
l'amélioration de la situation des élus locaux. En quittant cette commission,
vous ne l'avez pas permis. Vous avez préféré agir de votre côté et nous
proposer un texte dont certains objectifs sont bons, certes, mais dont les
modalités de mise en oeuvre sont soit insuffisantes - c'est le cas pour la
formation -, soit inadaptées - il en est ainsi pour les prestations sociales -,
soit absentes - je pense à la démocratie participative. En outre, la question
du financement - des financements devrais-je dire - reste en suspens.
Incontestablement, le problème des petites communes, qui a été évoqué à juste
titre par des orateurs précédents, n'est pas réglé. Il faudra bien un jour
engager le dialogue avec l'Etat pour faire en sorte que leur sort soit
comparable à celui de plus grandes communes, toutes proportions gardées.
Le rôle des élus trouve sa place, qui est primordiale, dans un cadre plus
vaste, celui de la décentralisation. Cette décentralisation est maintenant
adoptée, défendue par tous ou presque. Nous nous réjouissons d'en avoir été
quelque peu les pionniers. En effet, dès 1981, sur l'initiative de François
Mitterrand, Pierre Mauroy étant alors Premier ministre et Gaston Defferre
ministre de l'intérieur, la première loi de décentralisation a été votée. Elle
avait comme opposants Michel Debré, qui défendait, à l'encontre de ce projet,
l'exception d'irrecevabilité, et Olivier Guichard, qui avait déposé une notion
tendant à opposer la question préalable. Nous avons cependant avancé
méthodiquement, étape par étape. Je vous épargnerai l'énumération de la bonne
dizaine de lois que nous avons fait adopter, dont tout récemment la loi
favorisant l'égal accès des hommes et des femmes aux fonctions et mandats, dite
loi sur la parité. Je rappellerai tout de même que, à l'époque, vous meniez
plutôt un combat d'arrière-garde ; je pense notamment, à cet égard, à la loi
relative à la limitation du cumul des mandats, dont vous avez assez largement
contribué à défigurer l'objectif initial.
Il nous faut maintenant franchir une nouvelle étape dans la pratique de la
décentralisation afin de poursuivre la modernisation de notre vie politique.
Hier, le débat a été entamé à l'Assemblée nationale ; il se poursuivra au Sénat
dans les prochains jours.
Les élus locaux - nous le savons tous, mais il faut sans cesse le répéter -
contribuent par leur rôle de façon primordiale à la démocratie. La
confrontation d'opinions sur des projets à travers des assemblées délibérantes
est nécessaire.
Là encore, je ne résiste pas à la tentation de poser la question suivante :
qui a permis à l'opposition d'être présente dans les conseils municipaux ?
Mme Odette Terrade.
Eh oui !
M. Marcel Debarge.
Cette présence des élus de l'opposition dans les conseils municipaux, quelle
que soit l'opposition, quelle que soit la majorité, est maintenant effective.
Il y a tout de même eu des progrès de faits !
J'entends dire, ici ou là, que nous menons une politique politicienne. La
politique politicienne a cela de caractéristique qu'elle est toujours menée par
l'adversaire et jamais par soi-même. Alors, il faudrait peut-être que chacun
fasse preuve d'un peu de modestie en répondant à un orateur précédent !
En fait, les différentes options politiques doivent pouvoir s'exprimer et,
sans verser dans le dogmatisme, des choix politiques doivent être formulés,
choix sur lesquels les électrices et les électeurs se prononcent en dernier
ressort.
A cela s'ajoute l'utile concertation avec la population, avec le citoyen et la
citoyenne, avec les associations, les cités, les quartiers, concertation qu'il
convient aujourd'hui de renforcer pour mieux associer la population au suivi
des décisions.
Nos 512 000 élus locaux sont une richesse. Ils constituent un vaste et
indispensable réseau permettant une démocratie vivante proche de la
population.
Tout en restant fondamentalement fidèle à l'esprit républicain et à son
histoire, cette démocratie doit évoluer compte tenu des nouvelles
responsabilités dont les élus locaux ont la charge, du fait de la
décentralisation et de la complexité des normes ainsi que du développement d'un
concept européen qui intéressera de plus en plus les collectivités
territoriales et locales.
L'« élu notable » a existé. Il reste vraisemblablement, en tant que tel, un
point de repère. Cependant, cet élu doit être de plus en plus spécialiste - des
questions sociales, culturelles, de santé, d'environnement, d'aménagement du
territoire -, créateur et réalisateur de projets. Il participe de plus en plus,
à la fois, à la vie de l'Etat, à la décentralisation et, je pense que nous
serons tous d'accord pour le dire, à la force de la République.
Il faut donc donner aux élus locaux les moyens d'exercer pleinement leur
mandat, quels que soient leur situation personnelle et leur rang dans la
société, en améliorant les conditions d'accès aux responsabilités locales et
d'exercice de celles-ci.
C'est pourquoi il convient de traiter de ce sujet dans le cadre plus global de
la décentralisation, car sont en cause non seulement les indemnités, dont
l'attribution doit être réelle, notamment dans les petites communes, mais au
moins tout autant la formation, la protection sociale, la retraite, la
réinsertion professionnelle, le temps nécessaire pour participer à la gestion
locale, en évitant certains décalages entre un exécutif local et les
conseillers municipaux.
Cela exige un débat sur cet ensemble de questions, une expertise approfondie,
des mesures pratiques, ainsi que la vérification de l'harmonie entre la
situation faite à l'élu local et la décentralisation.
Le projet de loi sur la démocratie citoyenne que vous avez évoqué, monsieur le
ministre, et qui sera déposé par le Gouvernement dès le printemps prochain,
aura notamment pour objet d'améliorer les conditions d'exercice des mandats
locaux.
Cette amélioration est indispensable et très attendue par tous les élus
locaux, même si des efforts ont déjà été réalisés en ce sens, notamment avec
les lois sur le cumul des mandats et sur la parité entre femmes et hommes, qui
ouvrent davantage l'accès aux fonctions électives.
Notre position s'inscrit, nul ne s'en étonnera, dans la confiance et le
soutien que nous apportons au Gouvernement en raison, notamment, de notre
appartenance à la majorité gouvernementale, appartenance que nous assumons
pleinement au vu des résultats obtenus par Lionel Jospin et son équipe.
Enfin, nous nous reconnaissons dans les propos qu'a tenus hier le Premier
ministre devant l'Assemblée nationale, concernant le futur projet de loi dont
je faisais mention à l'instant : « Il nous faut encore améliorer les conditions
d'accès aux mandats locaux et d'exercice de ces mandats afin que le travail
accompli par les élus au service de l'intérêt général ne le soit pas au
détriment de leur propre vie professionnelle et personnelle. Dans cet esprit,
le Gouvernement soumettra au Parlement dès cette législature un projet de loi
sur la démocratie citoyenne, présenté par Daniel Vaillant, ministre de
l'intérieur. »
Ce projet de loi global sur la démocratie citoyenne concerne les élus locaux
et - rappelons-le une fois encore - visera à l'amélioration de la formation des
élus, à l'octroi de plus de crédits d'heures, à leur réinsertion
professionnelle une fois leur mandat achevé, à une allocation de fin de mandat,
au renforcement de leur protection sociale, à la préservation de leurs droits à
la retraite, à la revalorisation des indemnités pour certaines responsabilités,
au remboursement des frais de fonctionnement tels que les frais de garde
d'enfants, point qui a été déjà évoqué ici même, ainsi qu'à l'Assemblée
nationale, le 14 décembre dernier.
Compte tenu de la déclaration du Premier ministre jetant les bases d'une
amélioration importante de la démocratie locale, la méthode la plus efficace
pour parvenir aux résultats escomptés consiste, selon notre groupe, à choisir
la voie du projet de loi, ce qui n'exclut en rien la possibilité, pour nous, de
déposer des amendements.
C'est pour ces différentes raisons que nous ne participerons pas au vote sur
la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui.
(Applaudissements
sur les travées socialistes ainsi que celles du groupe communiste républicain
et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
permettez-moi, en préambule, de vous faire part du double sentiment qui est le
mien après avoir entendu les différentes interventions qui ont été faites à la
tribune : sentiment à la fois de satisfaction et de déception.
Ma satisfaction tient d'abord, bien sûr, monsieur le président, à
l'inscription de cette proposition de loi sur le statut de l'élu à notre ordre
du jour. Soyez-en vivement remercié.
Je souligne au passage que c'est bien au Sénat que revient l'initiative de
traiter de ce sujet, avec la constitution de la mission présidée par M.
Delevoye et dont les travaux ont donné lieu à un rapport élaboré par M. Michel
Mercier. Nombre des propositions que contenait ce rapport ont été reprises, au
moins pour partie, dans les conclusions de la commission Mauroy et le seront
sans doute, si l'on en croit ce que vient de nous indiquer M. le ministre de
l'intérieur, dans le projet de loi relatif à la décentralisation.
Bien entendu, on retrouve également beaucoup de ces propositions dans le texte
que j'ai cosigné avec plusieurs de mes collègues ainsi que dans les conclusions
de la commission des lois présentées par M. Delevoye, et c'est évidemment là,
pour moi, une autre source de satisfaction.
Quant à la déception, elle provient avant tout des positions qui ont été
exprimées par M. le ministre de l'intérieur, par le groupe communiste
républicain et citoyen et par le groupe socialiste, mais aussi, un peu, je le
dis amicalement à Jean-Paul Delevoye, du fait que l'on ne retrouve pas dans le
texte qui est finalement soumis à la Haute Assemblée, la totalité des mesures
que j'ai fait figurer dans ma proposition de loi.
Monsieur le ministre, je l'avoue, bien que je siège dans cette Haute Assemblée
depuis bientôt neuf ans, je n'arrive pas à me défaire d'une certaine naïveté,
d'une certaine crédulité, et ma déception n'en est que plus amère. En effet,
même si M. Debarge, à l'instant, a fait un peu son
mea culpa
en
reconnaissant que les préoccupations politiciennes étaient partagées par toutes
les tendances politiques, qu'on pouvait donc les déceler aussi bien chez vous
que chez nous - mais j'ai l'impression qu'elles sont plus que jamais chez vous
! - je constate que votre premier souci est de garder la main sur un thème à
propos duquel les élus locaux de ce pays attendent des mesures concrètes.
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Tout à fait !
M. Alain Vasselle.
Je suppose, monsieur le ministre, que vous avez participé au congrès des
maires de France qui s'est tenu sous la présidence de Jean-Paul Delevoye. Au
sein de l'atelier qui traitait de la fonction publique territoriale et auquel
je participais, la première réaction d'un des maires présents à l'exposé de
Denis Merville dans lequel celui-ci présentait les douze mesures suggérées par
l'Association des maires de France a été pour l'interpeller à peu près en ces
termes : « Les discours, ça suffit ! Cela fait des années et des années que
nous entendons parler de statut de l'élu ! »
Effectivement, ni les gouvernements précédents, j'en donne acte à notre
collègue Marcel Debarge - nous avons mené des réflexions mais, c'est vrai, nous
ne sommes pas allés jusqu'au dépôt d'un projet de loi qui aurait permis de
mettre en oeuvre un véritable statut de l'élu, nous cantonnant à quelques
mesures éparses - ni le gouvernement actuel n'ont pris l'initiative de déposer
un texte global - vous, vous auriez pu vous engager dans cette voie dès juin
1997 - sur le statut de l'élu.
On peut donc considérer que, à cet égard, la responsabilité est tout à fait
partagée. Il reste que c'est vous qui, aujourd'hui, avez le pouvoir : ne
reportez donc pas sur vos prédécesseurs la responsabilité des initiatives qui
n'ont pas été prises. Vous non plus, en trois ans et demi, vous n'avez pas su
les prendre !
Vous faites valoir, monsieur le ministre, comme M. Debarge, comme le groupe
communiste républicain et citoyen, que vous avez répondu à l'attente des élus,
notamment, en faisant voter le texte sur le cumul des mandats et le texte sur
la parité hommes-femmes. Mais, en cela, je l'ai déjà dit et je le répète, vous
avez mis la charrue devant les boeufs ! En effet, l'initiative qu'il aurait
fallu prendre avant toute autre, c'est la mise en place d'un statut de
l'élu.
La preuve nous en est d'ailleurs apportée actuellement par les difficultés que
rencontrent bien des têtes de liste, de toutes les sensibilités politiques,
pour constituer des listes respectant les règles de la parité hommes-femmes. En
effet, un certain nombre de femmes voient parfaitement combien il leur sera
difficile de concilier les contraintes liées à leur activité professionnelle,
quand elles en exercent une, celles qui le sont à leur vie familiale ou tout
simplement à leur vie personnelle et les contraintes qu'entraîne l'exercice
d'une fonction élective.
D'ailleurs, le groupe communiste de l'Assemblée nationale en a bien pris
conscience puisqu'il a déposé une proposition de loi qui a été examinée au
Palais-Bourbon le 14 décembre dernier et qui a notamment pour objet d'essayer
de corriger ce qui avait été fait antérieurement, afin de permettre aux femmes
de pouvoir concilier leur vie familiale, leur vie professionnelle et leur vie
d'élue.
Par conséquent, de ce point de vue, le Gouvernement n'a pas, me semble-t-il,
de leçons à nous donner. Au contraire, il aurait été bien inspiré de réfléchir
de manière plus approfondie aux initiatives à prendre et de commencer par
traiter le statut de l'élu avant de mettre en oeuvre des textes sur la parité
et sur le cumul des mandats.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
Lors de la discussion du texte qui a donné lieu à la loi du 10 juillet 2000,
dite « loi Fauchon », qui concerne l'ensemble des justiciables, j'avais déclaré
qu'il ne s'agissait que d'un élément devant permettre de conforter notre
démocratie locale.
La proposition de loi constitutionnelle du président Poncelet adoptée par la
Haute Assemblée fut un deuxième élément.
Je m'étais engagé, en souhaitant associer l'ensemble de mes collègues, à
rédiger une proposition de loi sur le statut de l'élu, qui m'apparaissait comme
le troisième volet indispensable de ce triptyque.
J'ai donc accompli ce que je pensais être ma mission en tant que parlementaire
et en tant qu'élu local.
Je tiens à remercier une nouvelle fois le président Poncelet, grâce à qui ce
texte ainsi que d'autres doivent d'être soumis aujourd'hui à la représentation
nationale. Son soutien m'a toujours été très précieux.
Je souhaite aussi noter combien j'ai été heureux de constater que l'appel à
mes collègues a été entendu puisque quatre-vingt-sept d'entre eux ont bien
voulu cosigner ma proposition de loi.
Cela confirme que la question soulevée reflète un vrai problème de société,
qui transcende les clivages politiques. C'est sur la mise en place d'un
véritable statut de l'élu que je me sépare de mon collègue et ami Jean-Paul
Delevoye. Oui, je crois à la nécessité d'un statut de l'élu local, et je m'en
expliquerai tout à l'heure. C'est non un statut qui enferme, mais un statut qui
libère et qui doit conforter les élus, à quelque niveau que ce soit et quelle
que soit leur origine professionnelle.
Il y va de la qualité et de la vitalité même de notre démocratie à quelques
semaines d'échéances électorales importantes qui, pour la première fois,
permettront aux citoyens européens qui vivent sur notre sol de s'exprimer dans
un scrutin local.
Répondre positivement à la demande, générale, d'un statut de l'élu local est,
pour moi, une évidente nécessité et, même s'il n'y est pas favorable, notre
rapporteur plaide pour cela : tout y concourt dans son excellent rapport.
En effet, le titre ambitieux de celui-ci met en évidence une des missions
essentielles que se doit d'assurer notre Haute Assemblée : la défense de la
démocratie locale. Car c'est bien de cela qu'il s'agit aujourd'hui :
sauvegarder notre démocratie locale, repère de proximité pour le citoyen, qui
peut se sentir noyé ou ignoré en ces temps de mondialisation.
Ce citoyen exprime d'ailleurs depuis longtemps le sentiment de l'ignorance
dans laquelle il s'estime tenu. Le taux d'abstention lors du référendum relatif
à la réduction de la durée du mandat présidentiel ne peut et ne doit pas être
résumé, de façon simpliste, à la seule expression d'un quelconque désintérêt
civique. Ces résultats expriment, une fois de plus, le malaise de notre
démocratie représentative.
J'en profite pour dire au passage que, selon moi, lorsqu'il s'agit de réformes
constitutionnelles de cet ordre donnant lieu à un référendum, il serait
préférable de s'assurer, avant leur mise en oeuvre, qu'au moins la moitié de
nos concitoyens ont participé au vote. En effet, quelle peut être la valeur
d'une réforme constitutionnelle qui n'aurait recueilli qu'une majorité
relative, à l'occasion d'une consultation n'ayant mobilisé qu'un tiers des
Français ? Je crois qu'il y a là matière à interrogation.
Sauf à se contenter de dresser des constats défaitistes, il est plus qu'urgent
de redonner vie à notre démocratie en redonnant « chair » à la politique et en
cessant d'éluder la question de la redéfinition de la représentation
démocratique. Cette entreprise implique la construction d'un espace de
confiance, de reconnaissance, qui permette de représenter le peuple et de lui
donner le sentiment qu'on le représente bien, sans jamais le trahir.
Redonner du souffle à la démocratie locale peut constituer une étape
importante de cette nécessaire redéfinition. Pour cela, il convient d'agir sur
la représentation locale en ne reculant plus devant les nécessaires réformes
qui s'imposent.
Certes, notre Haute Assemblée a constamment oeuvré dans ce sens. Je ne citerai
ici, à titre d'exemple, que l'initiative la plus récente, qui a abouti à
l'adoption de la proposition de loi constitutionnelle de notre président,
Christian Poncelet, visant à garantir l'autonomie financière des collectivités
locales.
Aujourd'hui, il s'agit de ne plus rester au milieu du gué et de faire un
nouveau pas. Ainsi, il convient, sans faire de l'élu local un professionnel, de
lui donner les garanties et les moyens nécessaires afin qu'il puisse assumer sa
mission et, après le terme de celle-ci, se réinsérer dans la vie
professionnelle.
C'est l'essence même de la démocratie.
Vous me permettrez d'évoquer Périclès, l'homme de l'âge d'or de la démocratie
athénienne. Soucieux que la participation des plus pauvres aux magistratures ne
restât pas théorique, il fit voter, en 451 avant Jésus-Christ, des indemnités
afin que, pour tous ceux qui occupaient une charge publique, fussent compensés
les jours de travail perdus : c'est ce qu'on a appelé la mistophorie.
Le principe de compensation était né. « Pas d'indemnité, c'est le silence aux
pauvres ».
Tel est le constat fait dès l'origine dans les assemblées révolutionnaires.
Eugène Pierre explique, dans son célèbre traité, que « les hommes les plus
dévoués aux intérêts publics peuvent hésiter légitimement à quitter leurs
affaires s'ils ne sont pas assurés d'une compensation pendant l'exercice de
leur mandat. Aussi le principe de l'indemnité a été presque toujours consacré
par nos lois politiques ; il n'a disparu que pendant la période censitaire ».
Il est donc bien consubstantiel à l'idée même de la démocratie !
Pourtant, dans l'opinion publique, l'indemnité versée à un élu n'a guère bonne
réputation. Elle est souvent imaginée, à tort, plus considérable qu'elle n'est,
et certains n'en comprennent pas la justification.
De tels sentiments ne sont d'ailleurs pas nouveaux. En 1851, le député
républicain Baudin, chahuté sur ce point par les ouvriers, monta sur une
barricade en disant, avant de se faire tuer : « Je vais vous montrer comment on
meurt pour 25 francs par jour ! »
Il y a aussi des maires ruraux, des élus de base qui perdent leur honneur pour
moins que cela, car c'est le perdre sans espoir de le recouvrer que de se
trouver mis en cause dans la presse et dans les médias, même avec un droit de
réponse, et, malheureusement, les exemples ne manquent pas dans notre pays !
La complexification des modes de gouvernance locale, l'inflation des normes
législatives et réglementaires, l'accroissement de la mise en jeu de la
responsabilité pénale des élus locaux, sont des facteurs aujourd'hui
parfaitement identifiés et dont les conséquences se font encore sentir à
quelques semaines des élections municipales. En effet, personne ne peut nier le
découragement de nombre de maires en place, et j'ai moi-même recueilli encore
récemment de nombreux témoignages en ce sens, venant de maires de mon
département.
Ainsi, j'en connais une quinzaine qui ont fait l'objet d'une procédure pénale.
Savez-vous, mes chers collègues, qu'ils sont encore en attente de la décision
de justice les concernant ? Ils sont tout à fait en droit de s'interroger pour
savoir s'ils doivent ou non continuer, s'ils seront ou non condamnés. Quelle
est cette démocratie qui laisse ainsi des élus locaux dans l'ignorance du sort
qui pourrait leur être réservé, alors qu'elle devrait mettre un terme aux
dérives éventuelles dont certains auraient pu se rendre responsables dans
l'exercice de leur mandat local ?
Comme je l'ai souligné en d'autres circonstances, le mandat local ne doit pas
être considéré comme un sacerdoce que l'on remplit au détriment de sa carrière
professionnelle et de sa vie privée. Il faut en finir avec le mythe persistant
de l'amateurisme éclairé ou du bénévolat. Le niveau de compétence attendu
aujourd'hui d'un élu est élevé, et l'amateurisme n'est plus de mise, car il
risque d'être sanctionné pénalement. Vous vous en êtes rendus compte !
Pour autant, quand un élu s'investit corps et âme, dans l'accomplissement de
ses fonctions, pour le bien de sa collectivité, dans le sens de l'intérêt
général, le temps passé, la persévérance, l'énergie et la reconnaissance du
travail à accomplir sans faillir nécessitent la mise en place d'un véritable
statut. Pourquoi devrait-on répugner à parler de statut de l'élu ? Les Français
peuvent l'entendre. Mieux encore, ils l'attendent !
La demande d'élaboration d'un statut de l'élu local ne date pas d'aujourd'hui.
Pour ne citer que la loi de 1982 relative à la décentralisation, son article
1er précise que « des lois détermineront... le statut des élus ». Je n'ai rien
inventé, monsieur le ministre de l'intérieur ! Nous sommes trop longtemps
restés à mi-chemin entre la légitimité d'une réforme attendue, je le répète,
par l'opinion publique et les déclarations d'intention des gouvernements.
On ne peut déplorer, dans le même temps, un déséquilibre dans la participation
des diverses catégories socioprofessionnelles aux mandats et fonctions
électives et une professionnalisation de l'élu local sans vouloir établir un
véritable statut de celui-ci, seul remède à ces deux dérives.
On constate une surreprésentation des salariés du secteur public et des
retraités, les premiers ayant les moyens de concilier vie professionnelle et
vie publique, les deuxièmes ayant le bénéfice du temps. Nombre de catégories
professionnelles, vous pourriez l'admettre, sont sous-représentées dans nos
différentes assemblées.
Notre collègue Jean-Paul Delevoye souligne très justement dans son rapport
cette nette surreprésentation : les enseignants, les fonctionnaires et les
agents des entreprises publiques constituent près de 16 % des maires
aujourd'hui, au lieu de 11 % en 1977. La part des maires retraités a doublé en
vingt ans...
Sans tomber dans la confusion entre « représentation » et « représentativité
», il s'agit bien d'une inégalité de moyens permettant de concilier vie privée
et vie publique, qui empêche la plus large participation des citoyens aux
fonctions électives. Regretter le nombre peu élevé de salariés du secteur privé
ne suffit pas. Encore faut-il prendre les dispositions idoines leur permettant
de participer plus activement à la vie de la cité.
Selon un sondage réalisé par IPSOS en octobre 1999, les maires des communes de
moins de 2 000 habitants évaluent à vingt-deux heures le temps moyen qu'ils
consacrent chaque semaine à leurs fonctions. Avant de tirer des conclusions
hâtives, sait-on réellement quelle est la répartition de cette moyenne pour
chaque journée et quels sont les créneaux horaires utilisés ? La vie d'une
collectivité est heureusement encore diurne et non nocturne ! Ainsi, peut-on
réellement conclure que le maire dispose des moyens nécessaires pour remplir sa
mission tout en gardant une activité professionnelle ?
La vitalité d'une démocratie s'évalue à la capacité qu'ont les élus à remplir
la charge de leurs fonctions en tenant compte des réalités du monde économique,
de l'entreprise et du tissu social.
La proposition de la commission Mauroy de créer pour les titulaires de
fonctions exécutives un statut d'agent civique territorial qui en ferait des
salariés de leur collectivité serait, à mon sens, un remède pire que le mal.
Cette solution consacrerait juridiquement non seulement une fonctionnarisation
d'une certaine catégorie de mandats locaux, mais également leur
professionnalisation, entraînant de surcroît une rupture dans la conception
historique française avec, d'un côté, des professionnels de la politique et,
d'un autre côté, les « amateurs ». Tout cela ne m'apparaît pas très sérieux
!
C'est remettre en cause la notion même de mandat représentatif. Doit-on
rappeler à M. Mauroy que, dans le cadre de notre démocratie, la souveraineté
s'exerce par l'intermédiaire de représentants choisis par la nation ? Ainsi, le
représentant élu est-il libre de ses décisions : les électeurs ne lui tracent
pas de programme, ils s'en remettent à lui pour discerner les meilleures
solutions. L'investiture donnée à l'élu est générale, il n'a d'autre engagement
que d'agir en conscience. Il n'y a pas de contrat, au sens juridique du terme,
entre les électeurs et l'élu.
L'élu n'est pas un mandataire qui reçoit des ordres de son mandant. Néanmoins,
au terme de son mandat et de ses fonctions, l'élu peut se représenter devant
ses électeurs en sollicitant de nouveau leurs suffrages ; il s'expose alors à
une sanction politique de sa gestion, c'est-à-dire à sa non-réélection.
Aujourd'hui, devant l'ampleur de la charge, il est parfois exposé à une
sanction pénale.
Pour les raisons que j'ai rappelées dans mes propos liminaires, j'ai décidé, à
l'automne dernier, de déposer, avec mes collègues, une proposition de loi
tendant à apaiser ces inquiétudes.
C'est dans cette perspective et dans l'optique philosophique que j'ai
développée auparavant, qu'il me paraît nécessaire de concevoir un statut de
l'élu local. Sans entrer dans une polémique uniquement sémantique qui serait
donc stérile, je voudrais rappeler que le terme de « statut » ne signifie pas
toujours statut professionnel. L'expression « statut de l'élu » peut être
comprise, au sens sociologique du terme, comme une position occupée dans
l'espace social et politique à laquelle correspondent des fonctions
électives.
Nous sommes très loin d'un statut professionnel. Il ne s'agit en aucun cas de
rétablir le système des corporations. Cependant, on cultive encore le mélange
des genres et la presse ne manque pas de forcer le trait en caricaturant les
demandes des élus.
Très récemment, un journaliste qui m'interrogeait sur la Chaîne Public-Sénat,
me demandait si la création d'un statut de l'élu local ne risquait pas de
donner des privilèges aux élus. Je lui ai répondu que non. En fait, la mise en
place d'un statut de l'élu local garantira l'égalité de tous les citoyens
devant l'accès à la fonction élective. Et tout citoyen qui accèdera à cete
fonction élective y accèdera sans pouvoir bénéficier d'un privilège par rapport
à un citoyen qui exerce d'autres fonctions. C'est là ma conviction profonde. La
fonctionnarisation ou la professionnalisation nous exposeraient à des dérives
qu'il faut absolument éviter.
Dès lors, on se perd en conjectures sur le bien-fondé des termes à utiliser
sous l'angle de la problématique redoutable : le mandat d'un élu est-il un
métier ou une profession ? A mon sens, c'est un honneur qu'il doit remplir le
mieux possible. Et pour cela, il faut qu'il puisse en avoir les moyens.
La démocratie a un coût et les Français le savent. Ils sont même prêts
aujourd'hui à en supporter la charge puisque, selon un sondage de la SOFRES
réalisé en août 2000, 77 % des Français préfèrent « pour un maire de ville
moyenne ou de grande ville, qu'il se consacre à plein temps à son mandat et
soit rémunéré en tant que tel ».
La seule réponse équilibrée que nous devons apporter aujourd'hui, en tenant
compte de l'attente exigeante de nos concitoyens en matière de démocratie
représentative et des légitimes précoccupations des élus locaux, qui ne peuvent
plus supporter à eux seuls le malaise de notre démocratie inachevée, est de
concevoir pour eux un véritable statut adapté à l'évolution de notre
société.
Mes chers collègues, je vous le dis à nouveau solennellement parce que c'est
ma conviction profonde et que je pense que c'est à la fois l'essence de la
démocratie, le mouvement de l'histoire et la tradition française : c'est par la
mise en place d'un véritable statut de l'élu que l'on pourra éviter la
professionnalisation du mandat et permettre l'accès de toutes et de tous à ce
qui reste pour moi un honneur, c'est-à-dire être choisi par ses concitoyens
pour les représenter.
Nous proposons de faire un pas dans la bonne direction. Sera-t-il suffisant ?
Je n'en suis pas complètement persuadé à ce stade.
Je comptais sur la commission des lois pour l'enrichir. Elle y a contribué
pour partie. Je compte sur les débats parlementaires pour aller plus loin.
Mes chers collègues, l'ensemble des élus locaux de France nous attendent sur
ce texte. Soyons ambitieux pour eux. Ne les décevons pas, car si c'est la
déception qu'ils trouvent au bout du chemin, c'est véritablement notre
démocratie qui pourrait être menacée. Et je suis persuadé que telle n'est pas
votre volonté aux uns et ni autres, bien au contraire. Par conséquent, sachons
oeuvrer pour que la démocratie l'emporte dans ce pays !
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nature de
l'élu change. L'adaptation des conditions d'exercice de son mandat est
permanente. Elle se fait étape par étape. Notre rôle est non pas de susciter
des illusions, mais de favoriser, année après année, les conditions les plus
favorables à l'exercice de ce mandat.
Il nous revient d'agir concrètement, et je crois à cet égard qu'un débat tel
que celui qui est organisé aujourd'hui est d'une grande utilité. C'est
d'ailleurs l'esprit dans lequel notre rapporteur, Jean-Paul Delevoye, a
présenté ses conclusions. Je le remercie pour le travail considérable qu'il a
accompli sur ce sujet.
(MM. Neuwirth, Vasselle et Raffarin applaudissent.)
Trois motifs, nous le savons, justifient une amélioration de ce qu'il est
convenu d'appeler un statut.
Le premier motif, qui découle de la décentralisation et du transfert de
nombreuses compétences souvent lourdes, est l'accroissement des
responsabilités, notamment de la responsabilité pénale des élus, soumis, dans
l'exercice de fonctions des plus complexes, à des exigences accrues de leurs
concitoyens.
Cela concerne les communes de toutes tailles. N'oublions pas, en effet, que le
maire d'une petite commune se trouve en première ligne et est amené à exercer
lui-même les fonctions qui, dans des communes importantes, relèvent d'une
structure administrative.
Le deuxième motif justifiant l'amélioration du statut tient à la progression
de l'intercommunalité. L'intercommunalité est nécessaire, elle est
indispensable, elle continuera à progresser. Mais elle prend beaucoup de temps
dans la vie d'un élu.
Non seulement il siège au conseil municipal, au conseil de communauté de
communes ou d'agglomération, mais les syndicats intercommunaux à vocation
multiple, les SIVOM, et les syndicats intercommunaux à vocation unique, les
SIVU, continuent souvent à exister pour remplir un certain nombre de missions
ponctuelles. Autant d'obligations qui rendent difficile pour l'élu la
conciliation avec une vie professionnelle.
Il est d'ailleurs souhaitable, à cet égard, de simplifier davantage encore le
paysage de l'intercommunalité. Je ne suis pas certain que toutes les structures
intercommunales qui subsistent ne puissent pas disparaître au profit d'un
transfert de compétences aux communautés de communes.
Le troisième motif, largement évoqué, concerne l'évolution de la structure
sociologique des élus. Actuellement, les salariés du secteur public et les
retraités représentent 45 % des maires. D'ici à un mandat, leur proportion
passera sans doute à près de la moitié. Les salariés du secteur privé, les
artisans, les commerçants, les cadres et les professions libérales sont de
moins en moins en mesure de concilier leur activité avec l'exercice réel d'une
fonction élective. Il y a donc incontestablement inégalité d'accès, selon les
professions, à la fonction d'élu.
Voilà quelques décennies, c'était un honneur, pour une entreprise privée, de
compter parmi ses salariés un maire ou des élus, notamment en milieu rural.
Aujoud'hui, les impératifs impitoyables de la rentabilité font que ces élus
sont mis en position difficile. Au cours des deux dernières années, combien de
maires de commune rurale m'ont informé de la pression à laquelle ils sont
soumis de la part des dirigeants de l'entreprise dans laquelle ils travaillent
! Cela est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit d'entreprises relevant de grands
groupes internationaux, dans lesquelles l'explication du maire-cadre ou du
maire-salarié ne convainc pas les dirigeants.
Pour résoudre cette difficulté, il existe deux solutions : ou bien la
professionnalisation des élus, ou bien la recherche d'améliorations dans le
cadre de ce qu'il est convenu d'appeler la « spécificité » ou l'« originalité
française ».
Ainsi, nous rencontrons la professionnalisation dans la plupart des Lander de
la République fédérale d'Allemagne - les Allemands sont mes voisins, je les
connais bien. Mais cette professionnalisation est le fruit d'une
restructuration autoritaire du paysage communal de ces Lander. En effet, peu de
communes ne comptent que de 5 000 à 8 000 habitants.
M. Jean-Jacques Hyest.
Exactement !
M. Daniel Hoeffel.
Une telle assise permet de « se payer », si vous me permettez l'expression, un
maire professionnel ; cela est incompatible avec notre paysage communal
français. Dans ces Länder, notamment au Bade-Wurtemberg, le maire est à la fois
élu au suffrage universel direct et chef de l'administration municipale. Il
exerce donc une double fonction. La France n'est manifestement pas prête et, je
crois, pas apte à supporter le choc d'une restructuration autoritaire de son
paysage communal. Souvenons-nous - c'était il y a trente ans - des lois
Marcellin, au début des années soixante-dix ! D'ailleurs, nos collègues
allemands nous disent que la restructuration communale autoritaire qu'ils ont
connue voilà trente ans ne pourrait pas avoir lieu aujourd'hui.
Nous devons donc trouver une solution conforme à notre état d'esprit et qui
tienne compte de notre spécificité française. A cet égard, les propositions de
notre collègue Delevoye, dans leur diversité, vont, je crois, dans la bonne
direction.
L'indemnité ne doit pas être un salaire : c'est la contrepartie d'un effort
entrepris. Le système de protection sociale des maires doit être amélioré. En
effet, c'est le cas partout. Pourquoi pas pour les maires ?
S'agissant de l'amélioration et du développement de la formation, je citerai
un chiffre qui traduit l'ampleur de notre législation et de notre
réglementation. Début décembre, lors du débat budgétaire, nous constations que,
depuis sa publication, en 1996, la partie législative du code général des
collectivités territoriales a été modifiée par 42 lois qui ont eu un effet sur
390 articles. On a recensé 450 modifications. Depuis lors, nous avons fait
mieux, puisque la loi sur la fonction publique a modifié un certain nombre de
dispositions.
Rien que cela justifie amplement un travail plus méthodique s'agissant de la
formation des élus. Celle-ci ne doit pas être préalable. En effet, pourquoi
imposer une formation préalable aux élus locaux alors que n'est pas prescrite
aux élus parlementaires une formation initiale sur le travail législatif ?
M. Jean-Jacques Hyest.
S'agissant de cette dernière, ce serait intéressant !
M. Daniel Hoeffel.
Ne soyons pas plus sévères pour l'élu de base.
La réinsertion professionnelle est un problème important. A cet égard, je
salue l'initiative de la proposition de loi présentée par M. Arthuis. Il s'agit
de savoir si la prise en charge du coût de la réinsertion professionnelle doit
être laissée à la charge exclusive de la commune concernée ou si la solution ne
réside pas dans une mutualisation générale, pour ne pas laisser les communes
concernées seules face à ce problème. Cette question mérite d'être examinée.
Enfin, j'évoquerai le problème du crédit d'heures. A cet égard, je me fais peu
d'illusions. On peut accorder tous les crédits d'heures que l'on veut à des
salariés du secteur privé. Si les responsables des entreprises ne font pas
preuve d'une bonne volonté à l'égard des salariés concernés, l'objectif que
l'on s'est fixé ne sera que partiellement atteint.
En conclusion, la France dispose d'un système original de collectivités
territoriales. Nous devons, dans ce cadre, et seulement dans celui-ci,
rechercher les solutions. Les élus ne souhaitent pas obtenir des privilèges,
ils demandent des compensations pour des efforts, voire des sacrifices,
consentis. Aussi, ils doivent être encouragés, stimulés, à un moment où, trop
souvent, ils ont tendance à baisser les bras.
A cet égard, les conclusions qui sont présentées par M. Jean-Paul Delevoye, au
nom de la commission des lois, vont dans la bonne direction. Nous progresserons
étape par étape, sachant que tout ce qui concerne le statut de l'élu ne saurait
être dissocié des problèmes généraux de la décentralisation. Le débat
d'aujourd'hui n'est donc qu'un pas. Puissent les débats à venir sur la
décentralisation nous permettre de continuer à avancer !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants)
M. le président.
La parole est M. Karoutchi.
M. Roger Karoutchi.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
décentralisation a-t-elle encore un avenir, l'existence à terme d'élus locaux,
départementaux et régionaux a-t-elle encore un sens ? La question peut
assurément paraître provocatrice, mais elle est pourtant bien réelle.
Le général de Gaulle puis le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas avaient
défini un certain nombre de mesures valorisant l'action des collectivités
locales et, par là même, celle des acteurs locaux.
Le gouvernement Mauroy, par les textes de 1982, a relancé le processus. Notre
collègue Marcel Debarge avait établi un rapport sur le statut des élus qui n'a
pas connu un sort très heureux puisque, adopté en conseil des ministres, il n'a
jamais donné lieu à discussion parlementaire. Cependant, notre collègue, qui
évoquait tout à l'heure
Les Trois Mousquetaires
et
Le Vicomte de
Bragelonne
, s'est remis à la tâche peu après, puisque, faisant montre de
constance, il est à l'origine de la loi du 3 février 1992 relative aux
conditions d'exercice des mandats locaux.
Depuis cette date, certains éléments ont bien évolué, mais d'autres ont connu
des dérives très négatives.
D'abord, monsieur le ministre, la décentralisation est battue en brèche avec
une régularité alarmante.
Le Gouvernement - je devrais dire, soyons francs entre nous, « les
gouvernements » - semble considérer que l'autonomie des collectivités locales -
cette autonomie qui est le fondement même de la légitimité des élus locaux -
n'a pas d'importance majeure, et que sa politique prime sur le respect des
compétences locales.
Voilà quelques mois, dans cette hémicycle, nous avons débattu de la loi
Gayssot qui, en matière de construction sociale, n'a pas cherché à inciter les
maires ni à les aider ; elle a seulement prévu de les sanctionner, tout en
transférant une partie de leurs pouvoirs aux préfets s'ils n'appliquent pas
strictement les nouvelles obligations.
Il y a quelques mois, le Premier ministre, M. Lionel Jospin, annonçait en
direct à la télévision, dans le cadre de son programme de baisse des impôts, la
suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, sans la moindre
concertation préalable avec les présidents de région ou avec les élus
régionaux.
Pour la seule Ile-de-France - monsieur le ministre, vous êtes un élu de cette
belle région - cette suppression correspondait à 1,1 milliard de francs ; bien
sûr, cette suppression sera compensée, mais cela aboutit à une perte
d'autonomie fiscale. Sur cette décision, l'avis des élus n'a jamais été
sollicité.
La situation de la région d'Ile-de-France frise d'ailleurs la caricature. En
trois ans, entre 1998 et 2001, la part de fiscalité et des ressources propres
de notre région est passée de 51 % à 28 %. Bien sûr, ce n'est pas uniquement le
fait d'un gouvernement. C'est une politique, une attitude générale par rapport
à certaines collectivités, notamment cette collectivité-là.
Certes, ces mesures ne concernent pas directement le statut des élus locaux,
mais elles concernent très directement leurs compétences et leur existence. A
quoi sert, à quoi rime l'existence d'élus locaux, d'élus régionaux si, à terme,
ceux-ci ne maîtrisent plus rien des ressources de leur collectivité ?
Que reste-t-il en effet, dans ces conditions, du principe de libre
administration des collectivités territoriales établi par l'article 72 de la
Constitution ?
Alors, effectivement, on comprend le malaise des 550 000 élus locaux, de ces
550 000 « hussards de la République », comme aime à le rappeler le président
Poncelet.
En mars prochain, combien de maires ou de conseillers généraux ne seront pas
candidats à leur renouvellement ? Un quart ? Un tiers ? Peu importe ! En tout
cas, c'est beaucoup trop !
Est-ce lié seulement au nécessaire renouvellement, au rajeunissement, voire à
un sens suraigu de l'application de la parité ?
Non, bien sûr ! Il y a, monsieur le ministre, une profonde lassitude, pour ne
pas parler d'un profond découragement, de la part de bien des élus.
Dans un monde de plus en plus compliqué, où la demande des citoyens à l'égard
des élus est à la fois plus exigeante en temps et en résultats immédiats, dans
un monde où la pénalisation des responsabilités et des actes a été
considérablement amplifiée, faisant du maire l'accusé de la chute d'une grue et
du président du conseil régional le coaccusé avec le proviseur de la chute d'un
panneau de basket dans un lycée, dans un monde juridico-administratif où
l'application des lois et des règlements est de plus en plus complexe et où,
même de bonne foi, l'élu peut faire des erreurs, dans ce monde-là, monsieur le
ministre, il faut aider les élus locaux, départementaux et régionaux parce
qu'ils sont l'expression de la démocratie, mais aussi sa seule chance de
survie. Le pouvoir des médias, la complexité juridique, la tentation de tout
gouvernement de voir ses décisions strictement et immédiatement appliquées :
tous ces éléments pourraient conduire, par glissements progressifs, vers un
état tentaculaire, moderne Léviathan n'ayant nul besoin d'élus locaux et ne
s'appuyant que sur des élus fonctionnarisés.
Je crois sincèrement que, dans ces conditions, il nous faut réagir.
En ce sens, la promulgation de la proposition de loi de M. Fauchon sur la
responsabilité pénale personnelle des décideurs publics va dans le bons sens,
en clarifiant les textes et en les rendant plus raisonnables.
Les propositions de loi d'aujourd'hui vont également dans le bons sens, qu'il
s'agisse de la formation, notamment de la formation initiale des élus face au
maquis juridique et réglementaire que je dénonçais tout à l'heure, qu'il
s'agisse de la réévaluation des indemnités des maires adjoints, rattrapage de
la faille qui avait consisté, dans un texte précédent, à ne réévaluer que les
indemnités des maires, alors que les maires adjoints, nous le savons tous, sont
souvent les chevilles ouvrières de l'action sociale, qu'il s'agisse de la
nature juridique des indemnités des élus - et c'est là, monsieur le ministre,
qu'il faut éviter tout ce qui peut ressembler à une fonctionnarisation - qu'il
s'agisse, bien sûr, de la réinsertion dans le monde du travail au terme des
mandats électifs ou des droits à retraite, qui, malgré des aménagements,
paraissent encore aujourd'hui bien insuffisants par rapport au temps consacré à
leurs collectivités par tous ces élus qui se dévouent pendant des années sans
compter leur peine.
Dans ce contexte, les travaux du Sénat, notamment de la commission des lois,
résultant de plusieurs propositions de loi constitueront une sorte de baromètre
qui permettra de juger de la réalité des bonnes intentions du Gouvernement et
de sa majorité.
Tout d'abord, chacune des dispositions que nous allons adopter répond à un
véritable besoin des élus locaux. Or certaines ont déjà subi, l'an passé, à
l'Assemblée nationale, les foudres de la majorité plurielle. C'est le cas
notamment de la réévaluation des indemnités des maires adjoints et de l'article
qui permet - enfin ! - de préciser la nature juridique des indemnités des élus.
Nous espérons que, en 2001, la majorité plurielle de l'Assemblée nationale nous
rejoindra.
Ensuite, les travaux du Sénat constitueront une sorte de baromètre parce que
le projet de loi qui a été annoncé par M. le Premier ministre au congrès des
maires de France et, hier, à l'Assemblée nationale, répondant, en quelque
sorte, à la grande campagne en faveur de l'acte II de la décentralisation
lancée depuis trente ans par le président du Sénat, semble bien ambigu. Nous ne
pourrons bien sûr qu'être favorables à toute disposition qui ira dans le sens
des revendications des élus locaux ! Il ne peut cependant être question que ce
texte, sous couvert de bonnes intentions, impose aux élus locaux, en
particulier aux maires de villes moyennes et grandes, de nouvelles contraintes.
Je pense notamment - mais nous ne disposons pas pour l'instant de beaucoup
d'éléments supplémentaires - à la création éventuelle de conseils de quartier
que le Gouvernement veut imposer et réglementer. Si cela devait être le cas,
cela risquerait fort d'apparaître comme une manifestation de défiance à
l'endroit des élus locaux, en l'occurrence municipaux, qui seraient réputés
incapables d'appréhender par eux-mêmes la vie de leurs concitoyens dans les
différents quartiers de leurs communes. En réalité, et selon des modalités qui
diffèrent très heureusement d'une ville à l'autre, tous les maires se
préoccupent, ce qui est bien normal, de la vie dans les quartiers.
Alors nous disons dès à présent ceci au Gouvernement : le Sénat a, une fois
encore, beaucoup travaillé. Inspirez-vous de nos travaux ! Evitez d'inventer de
nouvelles usines à gaz centralisatrices ! Faites confiance, réellement, à la
démocratie locale ! C'est ainsi que vous répondrez aux aspirations qu'expriment
les élus locaux d'aujourd'hui et que vous exprimeront de nouveau tous ceux qui
tireront leur légitimité renouvelée des élections de mars prochain.
Mes chers collègues, nous devons apporter notre soutien déterminé aux travaux
de nos collègues Jean-Paul Delevoye, Alain Vasselle, Jacques Legendre, Serge
Mathieu, Jean Arthuis et Jean-Claude Carle.
Au cours des débats, je présenterai quelques amendements, notamment au sujet
des conseillers municipaux des villes moyennes, qui peuvent apparaître comme le
premier socle de la démocratie locale et qui s'engagent, dans des conditions
souvent difficiles, dans des collectivités importantes où leur investissement
quotidien est fréquemment moins reconnu qu'ailleurs. Je ne peux que vous
exhorter dès à présent à leur réserver un accueil favorable, car je suis
convaincu que la décentralisation ne peut vivre de façon satisfaisante que si
tous les élus locaux bénéficient des moyens nécessaires à l'exercice de leur
mandat.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le refus de la recentralisation, la
défense des élus locaux et de l'autonomie des collectivités locales sont,
aujourd'hui, de véritables priorités pour notre pays et pour la démocratie.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. Pierre Hérisson.
Excellent !
(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à les
entendre, il semble que certains de nos collègues ne souhaitent pas vraiment
que l'initiative parlementaire, gain que nous avons pourtant obtenu lors d'une
révision constitutionnelle, devienne une réalité.
Il nous arrive souvent de discuter de propositions de loi émanant de membres
de la Haute Assemblée. Mais il nous arrive également de débattre de
propositions de loi émanant de l'Assemblée nationale que le Gouvernement,
reconnaissant leur pertinence, inscrit parfois à l'ordre du jour prioritaire du
Sénat.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
L'inverse se produit aussi !
M. Jean-Jacques Hyest.
Effectivement !
S'agissant du débat que nous avons ce matin sur ce que j'appellerai non pas le
statut de l'élu, mais les conditions d'exercice des mandats locaux, selon les
termes de la loi de 1992, nous sommes en présence de différentes propositions
de loi qui ont été synthétisées par la commission des lois. Et, la semaine
prochaine, nous débattrons d'une proposition de loi émanant de l'Assemblée
nationale et portant sur le même sujet, quoique de façon plus limitée. Tous ces
textes auraient d'ailleurs pu être examinés d'une manière coordonnée, mais il
n'est pas toujours facile d'organiser les travaux parlementaires.
En même temps, le caractère utile de l'initiative parlementaire est volontiers
reconnu. Ainsi, les gouvernements déclarent toujours que nos propositions sont
bonnes, mais ils nous demandent d'attendre l'élaboration d'une grande loi
d'ensemble.
Bien entendu, monsieur le ministre, vous vous attendiez à ce que je cite la
loi Fauchon ! Le Gouvernement nous disait qu'il réfléchissait à cette
question.
M. Pierre Fauchon.
Il a le temps de réfléchir, ce n'est pas comme nous !
(Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest.
Mais, pour notre part, nous étions pressés parce qu'il y avait là un vrai
problème. Je rappelle d'ailleurs que la loi Fauchon s'applique non pas
exclusivement aux élus locaux, mais à tous ceux qui exercent une
responsabilité, c'est-à-dire des fonctionnaires, des responsables
d'associations, etc., qui peuvent se trouver confrontés à une situation
identique à celle des élus locaux.
Je crois d'ailleurs que le débat de ce matin et les différences d'appréciation
sur ce que doivent être les conditions d'exercice du mandat local révèlent bien
des différences d'orientations.
Certains sont favorables à un statut. Daniel Hoeffel a exprimé très clairement
ce qu'était devenu le mandat local en Allemagne à la suite d'un certain nombre
de modifications. Voulons-nous cela ? Je crois que non.
La volonté de fusionner les 36 000 communes françaises avait suscité une
réaction extrêmement vive, non pas seulement des élus locaux mais aussi des
citoyens, qui avaient exprimé leur attachement à leur territoire, à leur
histoire. Ce qui fait la richesse de notre démocratie locale, ce sont les
quelque 500 000 élus locaux.
De quoi souffrent ces élus locaux ? Le problème principal me paraît concerner
non pas les indemnités, mais la disponibilité, et ce en raison d'une
administration communale que nous nous ingénions à compliquer de plus en
plus.
Monsieur le ministre, j'ai fait le compte du nombre très élevé de réunions
qu'il fallait mener simplement pour modifier un plan d'occupation des sols et
du nombre de personnes - des fonctionnaires bien souvent - qu'il fallait faire
déplacer. Je pense que, bien souvent, les procédures auraient pu être
simplifiées. J'ajoute que les élus locaux sont convoqués à des dizaines de
réunions en préfecture ou en sous-préfecture puisque, pour chaque loi, une
commission départementale est créée.
Alain Peyrefitte, lorsqu'il était ministre des réformes administratives et du
Plan, était parvenu à supprimer une centaine de commissions départementales en
les regroupant. Depuis, on en a créé 300 !
Par conséquent, cette maladie française qui consiste à organiser des réunions
pour résoudre un problème, alors qu'il existe des moyens modernes de
communication, nuit vraiment à l'efficacité. Bien souvent, la concertation
serait simplifiée si nous évitions aux élus d'être pris à tout instant, et, en
plus, aux moments où ils seraient disponibles.
Par ailleurs, je crois que, si la démocratie locale change, c'est parce que
les exigences de nos concitoyens vis-à-vis de leurs élus changent aussi. Les
citoyens consommateurs de services publics sont de plus en plus nombreux ; ils
exigent que les élus fassent preuve d'une grande disponibilité et s'occupent de
tout. J'ajoute que, compte tenu de la disparition d'un certain nombre de
relais, le maire doit bien souvent assumer un rôle de confident, de médiateur,
d'arbitre, d'ingénieur, de juriste, avec, bien évidemment, tous les risques que
cela comporte, notamment en ce qui concerne la sécurité juridique.
Certes, des lois tendant à une simplification administrative ont été votées.
Mais ce sont, à mon avis, pour les raisons que je viens d'exposer, beaucoup
plus que pour des motifs liés au statut, aux indemnités ou à la formation, que
nombreux sont les élus locaux à ne pas souhaiter se représenter lors des
prochaines élections municipales.
Selon moi, la loi de 1992 constituait un grand progrès par rapport à ce qui
existait, notamment en matière de formation, d'exercice des mandats. Il
suffirait de l'adapter, de la compléter, sans qu'il soit forcément besoin d'un
grand texte dans ce domaine. Les propositions de la commission des lois me
paraissent donc équilibrées, et j'y suis bien sûr favorable.
Il faut permettre aux élus de bénéficier d'une formation plus longue. Ne
parlons pas de formation initiale : cela s'apparenterait trop à ce que l'on a
imposé aux fonctionnaires territoriaux, par exemple, en ne tenant pas compte
des acquis professionnels.
En ce qui concerne les indemnités, il faut tenir compte, en particulier, du
développement de la coopération intercommunale.
Quant au retour à l'emploi, il doit être facilité, comme nous l'avons fait
pour les parlementaires, les députés étant alors essentiellement concernés :
des hommes jeunes, après avoir abandonné pendant cinq ou dix ans leur
profession pour exercer un mandat local, s'étaient en effet heurtés à un
véritable problème de réinsertion professionnelle. Une telle disposition est
donc également nécessaire pour certains élus locaux, à condition, bien sûr -
nous aurons ce débat tout à l'heure - que le risque soit mutualisé ; autrement,
il n'y aurait pas d'égalité. Certaines collectivités locales comptent parmi
leurs élus nombre de retraités ou de fonctionnaires. C'est le hasard. Une
mutualisation est forcément nécessaire, car faire supporter la mesure proposée
à une collectivité pourrait déséquilibrer profondément son budget.
Je formulerai une dernière observation sur la notion d'équilibre de la
représentation socioprofessionnelle parmi les élus locaux.
Au risque de choquer certains, je dirai qu'il me paraît très utile que, dans
nos petites communes, des jeunes retraités - n'oublions pas que l'âge de la
retraite a été abaissé - occupent les fonctions de maire ou d'ajoint. Ils ont
généralement acquis une compétence professionnelle et ils sont très
disponibles.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Ils ont acquis la sagesse !
M. Jean-Jacques Hyest.
Effectivement, monsieur le ministre, et c'est une notion qu'ici nous
connaissons bien !
Après tout, d'autres pays, à la culture différente, ont toujours fait
confiance aux sages, à ceux qui ont beaucoup d'expérience, qui sont disponibles
et qui n'attendent pas de leur mandat une réussite nouvelle dans la vie.
Il ne faut donc pas mépriser cet apport des retraités, qui, souvent, dans nos
villages, ont remplacé, en matière de disponibilité, les agriculteurs. Ils
enrichissent la démocratie. Veillons, dès lors, à ne pas tenir de propos trop
définitifs sur les uns ou sur les autres.
Ce qu'il faut, c'est non pas moins de candidats retraités mais plus de
candidats tout court aux fonctions électives dans nos villages, car le risque
est grand de ne plus pouvoir trouver d'élus. Ce serait alors le dépérissement
d'une structure que nous avons héritée de l'histoire, mais que nous souhaitons
conserver et qui a encore un bel avenir devant elle, à savoir la structure
communale.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de même que
nous avons souhaité garantir l'autonomie financière des collectivités locales
par l'adoption rapide d'une proposition de loi, de même, le Sénat, représentant
des collectivités locales par excellence et garant de leur bon fonctionnement,
se devait de garantir l'autonomie et un accès facilité à la fonction à celui ou
à celle qui se dévoue au bien commun : l'élu local. Grâce en soit rendue à nos
collègues auteurs de ces propositions de loi, que j'ai été heureux de cosigner
avec eux.
Il fallait garantir au plus vite, car c'était attendu depuis trop longtemps,
les conditions d'exercice du mandat local à celui qui l'exerçait ou
l'exercera.
Or, il nous est possible d'améliorer dès maintenant le sort de nos collègues
qui sont au plus près du terrain, qui sont les vrais acteurs de notre
démocratie locale, les mieux à même d'oeuvrer au bien-être de nos concitoyens.
Dois-je rappeler que 75 % des investissements publics sont le fait de leurs
décisions ?
Il fallait pallier les difficultés actuelles liées au quotidien d'un élu, à
savoir le sacrifice de sa carrière professionnelle ou du maintien
a
minima
de son activité professionnelle - je pense notamment à ceux qui sont
maires ou maires adjoints dans les petites communes - et garantir une formation
initiale et continue, une protection sociale là où elle n'existait pas, le
réemploi ou une réinsertion professionnelle à la fin du mandat.
Si je partage la position de notre rapporteur, qui se refuse à élaborer un
statut de l'élu susceptible d'être perçu comme comportant des privilèges pour
les titulaires de mandat, je souhaite attirer l'attention sur la situation
particulière des élues, c'est-à-dire des femmes.
En effet, la mise en oeuvre de la parité politique sans que soient mises en
place les dispositions sociales nécessaires fait qu'un certain nombre de
candidates potentielles - ceux qui ont la charge de constituer les listes
actuellement s'en rendent bien compte - hésitent à s'engager, et ce pour des
raisons matérielles évidentes que rencontre ou a rencontré toute femme qui
travaille et qui élève en même temps ses enfants.
Or, il s'agit bien, dans les propositions de loi soumises au Sénat, de
favoriser l'égalité des citoyennes et des citoyens devant le mandat.
Ainsi, il était de simple justice de compenser les frais de garde d'enfant
pendant l'exercice du mandat. Notre rapporteur, Jean-Paul Delevoye, a eu raison
de préconiser cette mesure et de prévoir le maintien des prestations maternité
dans les cas indiqués aux articles 16 à 18. Je me réjouis donc de voir
certaines dispositions proposées aujourd'hui.
Je mettrai l'accent sur ce qui touche plus particulièrement les femmes élues
et qui, je l'espère, les incitera à rejoindre encore plus nombreuses la
fonction élective : une meilleure couverture sociale, étendue aux maires
adjoints, pendant la suspension du contrat de travail et pour ceux qui ont
cessé leur activité professionnelle, et des facilités de garde d'enfant et
d'aménagement de l'aide à domicile, y compris pour les non-salariés.
Bien entendu, il faut, avant tout, encourager les élus les plus nombreux, ceux
de nos toutes petites communes, et, dans ce cadre, il est essentiel que la
formation soit non pas une contrainte supplémentaire, une obligation, mais au
contraire une faculté à leur disposition.
Par ailleurs, les élus doivent pouvoir compter sur l'appui, disponible à tout
moment, d'interlocuteurs avertis de l'inextricable magma des réglementations et
de l'instabilité des normes, afin qu'ils puissent se concentrer sur
l'essentiel, c'est-à-dire la prise de décision au plus près des réalités de
leur collectivité, afin de faire vivre la démocratie locale.
Le débat qui va s'ouvrir cet après-midi sur le choix du type de financement
nécessaire aux nouvelles dispositions proposées - par exemple, la création
d'une indemnité d'aide à la réinsertion professionnelle ou la majoration des
indemnités de fonction - devra aboutir à un engagement réaliste et, avant tout,
faire coïncider notre souhait de rendre attractif le mandat avec notre souci de
ne pas alourdir la fonction de contraintes supplémentaires : ni complexité du
nouveau statut, ni complication de la comptabilité publique, ni charges
disproportionnées pour le budget de la collectivité.
Nous voulons une loi lisible, à l'image de ce que nous souhaitons pour le
statut des élus, à savoir la transparence et la facilité d'application.
Les structures, telles qu'elles apparaissent, ne doivent pas masquer l'élément
humain, qui impulse la vie dans nos collectivités. Les fonctionnaires
territoriaux assument les fonctions techniques de mise en oeuvre des options
déterminées par les élus issus du suffrage universel.
La France compte 550 000 élus locaux. La grande majorité d'entre eux - 98 % -
sont des élus des communes : maires, maires adjoints et conseillers municipaux.
Ils constituent une formidable force, animée, dans un esprit largement partagé,
par le désir de s'impliquer et de servir leurs concitoyens.
Les collectivités locales seraient bien en peine de fonctionner sans ces
hommes et ces femmes qui acceptent d'assumer un mandat !
Il est vrai que la modernisation du statut de l'élu local apparaît comme une
impérieuse nécessité, et ce pour trois raisons principales : pour faciliter, je
l'ai dit, l'accès aux fonctions électives de toutes les catégories
socioprofessionnelles ; pour assurer aux élus en question une sécurité
statutaire - et surtout une sécurité matérielle - qui est loin d'être réelle
aujourd'hui ; pour que l'implication des femmes dans la vie politique en vertu
de la loi sur la parité ne soit pas mise en échec par les difficultés concrètes
qu'elles peuvent rencontrer spécifiquement.
Et puis, disons-le franchement, que seraient les structures les plus élaborées
sans la capacité et les moyens donnés aux hommes de les animer et de les faire
vivre ?
Nous avons l'incommensurable chance de vivre en régime démocratique
authentique, c'est-à-dire le bonheur de pouvoir, grâce au suffrage universel,
choisir nos élus, voter pour eux. Encore faudrait-il leur donner à tous les
moyens d'exercer sans contrainte matérielle leur mandat.
Nous voilà ainsi revenus, mes chers collègues, à la question essentielle :
quelle place allons-nous donner à l'homme dans ce troisième millénaire ? Eh
bien ! le Sénat, à son niveau, à travers ces propositions de loi, veut donner
aux élus locaux les moyens d'occuper leur juste place dans l'organisation
démocratique de la nation.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Daniel
Hoeffel l'a dit tout à l'heure, notre société change. Nous devons donc nous
adapter à ces changements. Le statut de l'élu, qui constitue l'un des volets du
tryptique de la réforme pour une meilleure démocratie locale, s'inscrit dans
cette volonté de voir les choses s'adapter à notre temps.
Il est vrai que nous avons abordé les problèmes peut-être dans le désordre, de
façon quelque peu anarchique. Le statut de l'élu aurait dû être examiné avant
la parité, avant le cumul des mandats.
Mais ne polémiquons pas. Notre esprit toujours vif va nous permettre de
remettre les choses dans l'ordre, car l'essentiel - c'est le sujet qui nous
occupe aujourd'hui - c'est l'accès facilité à la vie publique pour chacun de
nos concitoyens.
La richesse d'un conseil municipal, d'un conseil général, d'un conseil
régional ou de toute autre assemblée, c'est la diversité des origines des
femmes et des hommes qui le composent. Chacun, quelles que soient ses origines
socioprofessionnelles et ses aspirations, doit pouvoir faire profiter le plus
grand nombre de son expérience s'il le souhaite. L'expérience, dans une
démocratie, c'est une richesse à partager.
En avril 1998 s'annonçaient les discussions sur la limitation des mandats
électifs, de même qu'un large débat s'instaurait, au sein des formations
politiques, sur la modernisation de la vie publique, et chacun était d'accord
pour donner un nouveau souffle à la démocratie en renouvelant les cadres de la
vie publique.
Toutefois, les ingrédients pour susciter les candidatures n'étaient pas
réunis, et ce n'est pas la responsabilité pénale des élus, heureusement à ce
jour redéfinie grâce à un texte de notre excellent collègue Pierre Fauchon, qui
aurait pu inverser la tendance.
Aussi, j'avais sollicité, à cette époque, les cinq mille élus de mon
département de Haute-Savoie pour qu'ils me donnent leur avis sur le cumul des
mandats, sur la parité, mais aussi pour qu'ils me fassent part de leurs
propositions sur la modernisation de la vie publique.
J'avais, en son temps, rédigé un document qui fait ressortir à l'évidence que,
au-delà du fait qu'ils étaient pour partie pour une limitation raisonnable du
cumul des mandats et, sur le principe, plutôt contre le cumul des mandats, ils
déploraient que le statut de l'élu ne fût pas abordé de façon générale en
priorité et beaucoup plus tôt.
Ils regrettaient la prédominance chez les élus locaux du profil homme exerçant
une profession libérale et homme fonctionnaire, avec des traits que je tiens à
souligner ici un peu plus en détail.
Toujours dans cette enquête, de nombreux élus ont proposé des solutions
concrètes, telles que la révision du code du travail, le rajeunissement de la
classe politique, la limitation de la durée des mandats, la limitation du
nombre de mandats successifs et la possibilité d'aller et venir plus aisément
entre la société civile et la vie publique.
C'est sur ce dernier point que j'insisterai, car beaucoup de choses ont déjà
été dites à cette tribune. Il convient en effet de redéfinir les liens qui
unissent l'employeur public et l'employeur privé respectivement à son agent et
à son salarié par ailleurs élus locaux.
Je le dis devant notre rapporteur, efficace président de l'Association des
maires de France, ainsi que devant le premier vice-président de celle-ci,
Daniel Hoeffel, qui appartient comme moi au groupe de l'Union centriste, des
facilités doivent être accordées au fonctionnaire comme au salarié du secteur
privé. Mais il faut prendre garde à ce qu'il n'y ait pas rupture d'égalité et à
ce que le fonctionnaire ne soit pas surprotégé.
Tout d'abord, une formation initiale et spécifique s'impose pour les nouveaux
élus, non seulement pour leur faciliter la prise de décision, mais aussi pour
leur permettre d'acquérir une expertise face à l'autorité chargée du contrôle
de légalité ou pour dialoguer d'égal à égal avec les représentants des services
de l'Etat, plus particulièrement dans les départements.
Cela étant, il ne s'agit pas non plus de les transformer en juristes, car
l'élu est avant tout porteur d'un projet politique. Il est la représentation
populaire ; il n'est pas là pour se substituer aux fonctionnaires.
La fin du mandat est également un aspect important des nouvelles dispositions
que la commission des lois, dont je salue le remarquable travail de synthèse
des cinq propositions de loi, a mis en exergue. En effet, elle a prévu la «
réinsertion professionnelle » des élus, bien que ma préférence aille plutôt à
l'expression « retour à la vie professionnelle ». Je crois qu'il y a là une
nuance qu'il faut souligner.
Actuellement, le code du travail permet la suspension du contrat de travail et
prévoit un droit à la réintégration à l'issue d'un seul mandat. Il convient
d'aller plus loin et de permettre à l'ancien élu de réintégrer son poste à
l'issue de plusieurs mandats successifs, ainsi que, plus généralement, à
l'issue d'une durée de vie politique qu'il aura décidée et que ses concitoyens
lui auront autorisée, pour qu'il reprenne, avec son engagement professionnel,
le cours de sa carrière.
Bien sûr, tous les obstacles ne seront pas levés pour permettre un plus large
accès à la démocratie locale, surtout pour ceux de nos concitoyens qui exercent
leur activité professionnelle dans le privé. Nous sommes cependant sur la bonne
voie pour faire évoluer les mentalités et démontrer que, à terme, le
va-et-vient entre l'action privée et l'action publique ne peut qu'enrichir les
échanges au sein de nos assemblées locales, dès lors que la gestion des
affaires publiques se fait avec la plus grande honnêteté. C'est déjà le cas
pour la très très grande majorité des élus de notre pays.
Mes chers collègues, je voterai, avec l'ensemble du groupe de l'Union
centriste, les conclusions de la commission des lois.
(Applaudissements sur
les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Goulet.
M. Daniel Goulet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque,
voilà quelques mois, notre collègue Alain Vasselle a soumis sa proposition de
loi à nos signatures, j'ai immédiatement et avec enthousiasme souscrit à ce
texte intitulé
Statut de l'élu,
comme quatre-vingt-six de nos collègues.
C'est dire tout l'intérêt qu'avait suscité cette initiative.
Certes, le texte, incomplet, était destiné, comme il est d'usage, à être
amélioré et enrichi, notamment par les travaux remarquables de la commission
compétente et par les nôtres.
Cette proposition a le mérite de répondre à une attente et, plus encore, à une
impérieuse nécessité, celle d'établir, pour les élus locaux, un statut auquel
ils aspirent depuis longtemps. Aucun sénateur, élu par ces élus locaux, ne
saurait l'ignorer !
M. Christian Poncelet, président du Sénat, ne s'y est d'ailleurs pas trompé,
qui a inscrit à l'ordre du jour réservé de notre assemblée cette heureuse
proposition.
Qui, mieux que le Sénat, chambre des collectivités territoriales et des élus
locaux, pouvait s'atteler à cette mission au service de la démocratie locale au
service de la démocratie au quotidien ?
La commission des lois, saisie de ce texte, a, me semble-t-il, procédé à une
requalification, puisque le rapport s'intitule
Démocratie locale.
Du
statut de l'élu, il n'est plus autant question. On peut donc s'interroger.
Alors que les besoins sont connus de tous et analysés par le rapporteur, alors
que la proposition de loi est inscrite à notre ordre du jour, voilà que des
débats qui devaient être nourris et consensuels aboutissent à un texte
réducteur et carencé, ne répondant que bien accidentellement non seulement aux
nécessités mais aussi, ce qui est peut-être plus grave encore, à l'attente des
élus locaux.
Nous sommes quelques-uns à connaître un sentiment où se mêlent déception,
incompréhension et frustration.
Il n'a jamais été question de faire des élus locaux des fonctionnaires. Alors,
pourquoi rejeter ce terme de « statut », qui signifie simplement un cadre
législatif et réglementaire ?
Quelles interrogations restrictives ont pu animer les esprits pourtant avertis
de notre commission des lois pour la faire ainsi renoncer à aborder au fond un
sujet essentiel pour la démocratie locale et pour l'avenir de nos communes, de
nos départements et de nos régions ?
L'amendement n° 1, dont je suis signataire, tend à réaffirmer la nature
bénévole des activités électives, de façon à lever toute ambiguïté et toute
confusion avec les agents des collectivités territoriales.
A quoi servent nos réformes, à quoi servent tous ces efforts déployés sans
compter par les collectivités territoriales et leurs élus en termes de maillage
du territoire, de désenclavement et de regroupement communaux ? Et si nous
n'avons pas des animateurs motivés et adaptés à ces nouvelles fonctions, où
allons-nous ?
Notre rapporteur parle, à juste titre, de la paupérisation des fonctions de
maire et mentionne, dans son rapport, des chiffres alarmants illustrant
l'absence de candidats face à ces missions quasi sacerdotales.
Le texte que nous propose la commission est-il de nature à susciter les
vocations et même à apaiser les craintes des élus en place ?
M. Alain Vasselle.
Non !
M. Daniel Goulet.
Je n'en suis pas convaincu.
Ainsi, par exemple, aucune référence n'est faite aux maires exerçant des
professions libérales. Je ne fais pas allusions aux notaires, aux avocats ou
aux médecins de ville, qui ont l'avantage de pouvoir compter sur des associés
et peuvent sur ces derniers une partie de leur activité pour se consacrer aux
tâches électives.
Non, je parle, notamment, des médecins de campagne, qui voient effectivement
leur clientèle se modifier dès lors qu'ils accèdent à un mandat municipal.
Ainsi, il n'est pas rare, j'en ai reçu témoignage, que des patients, pourtant
fidèles, refusent désormais d'être soignés par le maire et décident de
consulter un autre praticien. Et comment évaluer des pertes de revenus ou
reconstituer des carrières, ce que nous réclamons pour les maires qui sont
aussi salariés ?
Concrètement, mes chers collègues, je vous propose de suivre l'élu local tout
au long de son parcours.
Pour ce qui est du candidat, rien n'est prévu dans la proposition de loi pour
leur faciliter l'accès aux fonctions électives et le protéger dans sa démarche.
C'est, dès cet instant, pourtant, qu'il faut aider le candidat potentiel et
l'encourager à poursuivre sur la voie de son engagement dans la vie locale.
Telle est la raison pour laquelle j'ai déposé un deuxième amendement, afin que
le candidat bénéficie des mêmes mesures de protection que celles qui sont
inscrites dans le droit des entreprises contre les risques éventuels de
licenciement ou de sanctions.
Je pense que c'est important pour l'exercice de la démocratie, je m'en
expliquerai en défendant cet amendement.
Mais, une fois élu, le maire risque de se perdre dans un dédale inextricable
d'administrations et de paperasseries en tout genre, tâches auxquelles il n'est
pas préparé.
Nous en arrivons ainsi, tout naturellement, aux dispositions concernant la
formation des élus.
A cet égard, le rapport mentionne l'existence et les activités du centre de
formation des élus. Cet organisme, créé par la loi de 1992 et qui figure dans
le code général des collectivités territoriales, est inconnu des quelque deux
cents élus locaux que j'ai consultés.
Moi-même, je n'avais qu'une idée très confuse de son existence et je mets au
défi les membres présents de notre assemblée de me donner les caractéristiques
de cette noble institution, voire le nom de son président !
Donc, puisque nous avons l'intention de prendre des mesures en matière de
formation, créons un institut d'aide à la démocratie locale, un vrai institut,
alimenté par un fonds qu'il faudrait aussi créer, mais qui permette de donner
les meilleures chances à cette formation spécifique et maintenant européenne
que doit être la formation des élus non seulement de demain mais aussi celle
des élus d'aujourd'hui et d'hier. Tel est l'objet de l'amendement n° 5
rectifié.
La formation est, en effet, plus que jamais nécessaire, à l'heure de l'Europe
et du multimédia, notamment quand on sait que la réglementation a connu en peu
de temps 231 modifications législatives, 213 modifications rédactionnelles, la
partie législative du code ayant été modifiée par 42 lois, avec un impact sur
390 articles, et connu 50 abrogations.
Bref, c'est un univers kafkaïen, magnifiquement décrit par le maire d'une
commune du bocage ornais en ces termes : « Monsieur le sénateur, m'écrit-il,
votre proposition de loi concernant le statut de l'élu local m'est parvenue au
moment où je venais de signer huit kilos - j'ai pesé - de documents pour le
simple aménagement d'une maison de ma commune ! Tournant plusieurs milliers de
pages souvent répétitives, outre mon paraphe, j'ai écrit "lu et approuvé" sous
ma signature aux emplacements indiqués par la secrétaire ; en réalité, je n'ai
rien lu. »
Et, pour terminer, ce maire ajoute : « En six ans de mandat, je ne compte plus
le nombre de délibérations ayant fait des allers et retours préfecture, DDE,
DDA, perception, CDC, ABF, contrôle de légalité... Une litanie à la Prévert !
»
Mes chers collègues, l'amélioration de la formation passe aussi et avant tout
par une simplification administrative, que nous appelons de nos voeux. Sinon,
par exemple, comment l'élu peut-il se consacrer à rechercher le bénéfice des
programmes européens et des fonds structurels qui sont attribués aux régions
françaises pour un montant de près de 16 milliards d'euros au titre des années
2000-2006 ? Je cite le chiffre parce qu'il est significatif.
Alors, si l'élu dont je parlais à l'instant passe son temps à remplir des
formulaires et à guetter, anxieux, le contrôle de légalité, commment
pourrons-nous penser qu'il fera oeuvre utile, même s'il en a le désir ?
Une formation adaptée et de proximité rendra l'élu plus autonome et renforcera
d'autant la démocratie locale.
Mieux armé, c'est-à-dire informé et averti de ses droits et des moyens dont il
dispose, le maire pourra plus aisément défendre ses positions et l'intérêt de
ses administrés devant les commissions locales - je pense à la commission de
modernisation des services publics - qui, dans certaines régions, sont plutôt
des commissions de modification, voire de désengagement du service public et
devant lesquelles le maire est souvent démuni.
Et ce n'est pas le président de la toute puissante Association des maires de
France qui me démentira sur le problème spécifique mais ô combien significatif
du service public postal, par exemple, ou sur la fermeture programmée de
certains services du Trésor dans des communes rurales !
Quant à l'exercice de son mandat proprement dit, l'élu doit aussi pouvoir
bénéficier de garanties financières, on l'a dit, indemnités de représentation
et représentatives du temps passé au service de la collectivité.
Le maire, le président du conseil général et le président du conseil régional
ne doivent pas être les seuls bénéficiaires de ces indemnités, qui doivent
aussi pouvoir être versées à leurs mandataires. Tel est l'objet des amendements
que j'ai déposés sur ces sujets, mais qui n'ont pas été retenus par la
commission.
De plus, les élus rencontrés ont tous, sans exception, souligné le caractère
injuste de la fiscalité afférente aux indemnités perçues. Tel est le motif qui
a guidé le dépôt de l'amendement n° 8.
S'agissant, enfin, de la retraite des élus, il convient de remédier à la
situation actuelle et d'améliorer les prestations versées.
Le montant ridicule, indécent même, accordé à ceux qui, parfois, ont consacré
dix, vingt ou trente ans au service de la collectivité, le plus souvent au
détriment de leur vie professionnelle, est inadmissible. Le Sénat doit traiter
cette question : c'est sa compétence, son devoir mais aussi son honneur.
Monsieur le rapporteur, le texte en discussion comporte, bien entendu, de
nombreuses mesures « utiles », puisque le mot est à la mode, mais, très
franchement, il est très en deçà de ce que nous sommes en droit d'attendre des
prérogatives, j'allais dire de la responsabilité de notre assemblée.
Mes chers collègues, chacun, de retour dans son département, va devoir
expliquer la raison du vote d'un texte imparfait, « un texte de plus »,
dira-t-on, qui viendra s'ajouter à une liste déjà longue d'autres textes votés
en hâte, mal coordonnés entre eux, quand ils ne sont pas contradictoires.
Méfions-nous du compte rendu que nous ferons de cette séance à nos élus locaux
!
Et que dire des brillants rapports enfouis et rapidement oubliés ? Que
d'espoirs déçus !
Pourquoi avoir différé le traitement de cette question ? Je vous le demande !
Non, vraiment, je ne comprends pas.
Le Sénat est à l'origine de la loi du 10 juillet 2000, qui porte, notamment,
sur la responsabilité pénale des élus. Très bien ! Le 14 juillet dernier, le
président Poncelet rendait un hommage grandiose, dans les jardins du Sénat, aux
maires qui avaient tant fait pour leurs concitoyens, et le Président Chirac
lui-même remerciait chaleureusement les praticiens de la démocratie locale en
les comparant à des médecins généralistes, efficaces et proches de leurs
malades. Aujourd'hui, il arrive quelquefois, c'est vrai, que les médecins
descendent dans la rue. Mes chers amis, prenons garde que, demain, ce ne soit
pas les maires !
Pour terminer, je souhaite, mes chers collègues, que notre débat, qui, aux
yeux des élus locaux de France, revêt une très grande importance, car il est
crucial non seulement pour eux mais, au-delà, pour la démocratie locale qu'ils
ont la charge d'animer, ne les déçoive point et ne soit pas, pour le Sénat,
plus particulièrement, une occasion manquée. Car l'occasion exceptionnelle qui
s'offre à nous aujourd'hui, compte tenu des circonstances et de conditions
favorables, risque de ne pas se représenter de sitôt : à nous d'y prendre
garde.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union
centriste.)
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je ne souhaite pas revenir sur les propos que j'ai tenus ce matin au
début de la discussion générale. Je veux cependant revenir sur les principes
qui nous guident aujourd'hui et répondre très brièvement aux quelques orateurs
qui se sont exprimés ce matin.
Le Gouvernement, avec l'ensemble de sa majorité, comme l'ont rappelé MM.
Debarge et Foucaud, ne se contente pas de discours : il agit et souhaite
continuer. Il agit dans le domaine de la décentralisation, comme dans les
autres domaines, avec un objectif fondamental : le service des citoyens et le
lien entre les citoyens et leurs élus.
Le Premier ministre a lancé la deuxième étape de la décentralisation pour
aller plus loin dans ce sens, dans le prolongement de l'action qu'il mène
depuis plus de trois ans et demi et dans l'esprit des grandes lois de
décentralisation de 1982 et 1983.
Il a donné hier après-midi, après plusieurs annonces de plus en plus précises,
le programme qui est le nôtre : ouverture de chantiers importants sur les
finances locales et les transferts de compétences - ce débat doit avoir lieu
tout au long de l'année 2001 et nous trouverons les modalités nécessaires à sa
poursuite dans le cadre de la nouvelle législature - et, examen, dès cette
année, d'un premier projet de loi relatif à la démocratie de proximité.
Cette démarche, qui relie, je le répète, de manière indissociable
participation des citoyens et exercice des mandats locaux, si important comme
le rappelait à l'instat M. Goulet, nécessite une expertise et une concertation
qui sont l'une et l'autre en cours, même si je vous ai déjà donné les éléments
actuellement à l'étude et en voie d'être actés pour élaborer le projet de loi
que je présenterai au Parlement.
A ce propos, comment peut-on être favorable à cette proposition de loi
relative à la démocratie locale et se défier - c'est ce que j'ai cru percevoir
dans les propos de M. Karoutchi - de la participation des citoyens à la vie de
leur quartier et donc de leur commune ? Il m'a semblé en effet que M. Karoutchi
exprimait le risque que les élus soient quasiment « délégitimés » par le fait
que les groupes de femmes et d'hommes, de citoyens, se préoccupent eux-mêmes,
dans les quartiers, d'un certain nombre de questions. Dans l'esprit du rapport
de la commission présidée par Pierre Mauroy, comme dans l'esprit du
Gouvernement, cela va de soi, qu'il n'a jamais été question de remettre en
cause la légitimité, la capacité de décision et d'orientation des élus
municipaux.
En tant qu'élu parisien - monsieur Karoutchi, vous devriez le savoir - je suis
personnellement sûr, si j'en crois les déclarations des candidats actuels à la
mairie de Paris - il me semblait que vous étiez proche de l'un d'eux ! -, qu'un
large consensus devrait se faire dans le sens de la démocratie citoyenne, de la
participation des citoyens. Ou alors j'ai mal compris. Je demanderai à
l'intéressé - vous l'avez reconnu - ce qu'il en pense lui-même.
Il n'est pas nécessaire, il serait même contre-productif, de céder à la
précipitation pour éviter les déceptions des élus locaux et surtout des
citoyens, ce que craignait M. Vasselle. Même si je reconnais des qualités à ce
texte élaboré par la commission, je crois qu'une bonne partie de ses
propositions sont encore aujourd'hui insuffisamment travaillées ensemble.
Je ne pense pas, contrairement à M. Hyest, que nous aurions pu, à partir de ce
texte, répondre à l'ensemble des objectifs que cette question appelle.
Par ailleurs, monsieur Darniche, sans refaire ici le débat budgétaire, je
voudrais vous rappeler que la DGF des communes augmente cette année de 3,42 %,
ce qui est la meilleure des évolutions ces dernières années. Le contrat de
croissance et de solidarité permet aux collectivités locales de bénéficier des
fruits de la croissance économique et, en trois ans, de quatre milliards de
francs de plus que ce qu'aurait permis l'application du pacte de stabilité
proposé par le précédent gouvernement et voté par la majorité parlementaire de
l'époque.
Sur la question de la protection sociale, particulièrement sur celle des
retraites, je vous rappelle que tous les maires ont désormais, depuis la loi du
5 avril 2000, la possibilité de cesser leur activité salariée, ce qui leur
assure une affiliation de plein droit au régime général pour la retraite de
base.
Je vous rappelle également que dans une loi toute récente, celle du 3 janvier
2001 relative à la résorption de la précarité dans la fonction publique, ce
Gouvernement s'est déjà soucié de la prise en compte du mandat local dans
l'expérience professionnelle.
D'une manière générale, enfin, je relève dans les propos tant de M. Foucaud,
que de M. Vasselle ou de M. Hoeffel, et, bien sûr, à travers la position de la
commission, le souci partagé d'éviter une dérive vers une « fonctionnarisation
» des élus locaux.
Pour autant, il faut tendre à de réelles améliorations, à condition qu'elles
soient techniquement opérationnelles et, de ce point de vue, je remercie M.
Hérisson d'être intervenu, et je salue le souci en ce sens de M. Neuwirth à
destination des élus et des élues.
Il faut aussi réfléchir - je salue à cet égard l'intervention de M. Hoeffel -
à la meilleure manière de répartir la charge financière liée à ces
améliorations entre les différentes collectivités.
En conclusion, je voudrais vraiment rassurer M. Karoutchi : la
décentralisation a un passé grâce, en particulier, à la volonté et à l'action
de Pierre Mauroy. Elle a un présent grâce, notamment, à l'action de ce
Gouvernement. Je pense très sincèrement qu'elle a aussi un avenir, et je ne
doute pas que vous nous aiderez à le préparer. L'adoption d'une loi spécifique
consacrée aux seuls élus locaux est-il le meilleur moyen d'y parvenir ? Ne
vaudrait-il pas mieux que vous vous rapprochiez de la démarche du Gouvernement
en faveur d'un projet de loi mêlant de manière indissociable et, je l'espère,
harmonieuse, démocratie participative des citoyens et exercice démocratique des
fonctions d'élus ?
Cette démarche globale va, me semble-t-il, dans le sens de la démocratie de
proximité. Ce faisant, le Gouvernement ne recherche pas à s'approprier le débat
- je rassure l'ensemble de ceux qui sont intervenus ce matin sur ce point.
C'est un débat public. A nous, bien sûr, de le faire vivre, c'est la liberté de
chacun, mais à nous aussi d'avancer, et je peux vous dire ici, comme je le
dirai le 31 janvier prochain dans le cadre du débat sur la décentralisation,
que le Gouvernement ne sera pas absent lors du rendez-vous pris pour cette
législature : au cours de cette session parlementaire, je présenterai bien, au
nom du Gouvernement, un projet de loi qui répondra aux légitimes préoccupations
que vous avez vous-mêmes exprimées à travers le rapport de la commission des
lois du Sénat ce matin.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi
que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Vasselle.
A chaque jour suffit sa peine !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze
heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)