SEANCE DU 24 JANVIER 2001
DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL
DE LA COUR DES COMPTES
M. le président.
L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.
Huissiers, veuillez introduire M. le Premier président de la Cour des
comptes.
(M. le Premier président de la Cour des comptes est introduit selon le
cérémonial d'usage.)
La parole est à M. le Premier président de la Cour des comptes.
M. Pierre Joxe,
Premier président de la Cour des comptes.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le rapport public annuel que je vous
présente aujourd'hui est l'un des vecteurs classiques de la mission
d'assistance au Parlement que la Constitution confie à la Cour des comptes.
Mais, pour être classique, le genre ne doit pas moins en être partiellement
renouvelé et adapté, tâche à laquelle nous nous sommes attelés cette année pour
faciliter la lecture du rapport, et donc son utilisation, mais aussi pour en
accroître l'efficacité.
Ce rapport comporte des innovations par rapport aux éditions précédentes.
Ainsi, le chapitre consacré au compte rendu des activités des juridictions
financières - Cour des comptes et chambres régionales et territoriales des
comptes - a été largement développé. Nous traitons successivement de
l'évolution du champ de compétence des juridictions financières, de la
politique de contrôle, des travaux réalisés ainsi que des moyens dont nous
avons disposé tant en personnels qu'en crédits. J'ai pensé qu'il était normal
que la Cour des comptes s'applique à elle-même cet exercice de transparence et
d'évaluation.
Si les indications fournies dans le rapport sur les programmes de travail de
la Cour des comptes constituent, en France, une innovation, voilà plusieurs
années déjà que, dans les pays d'Europe, les institutions supérieures de
contrôle publient à l'avance les grandes orientations de leur politique de
contrôle, en partie d'ailleurs pour permettre aux commissions parlementaires de
les infléchir ou d'en tirer profit.
Nous efforçant d'évaluer les effets de certaines de nos interventions
antérieures, nous nous sommes intéressés aux suites données à nos contrôles sur
la Caisse des dépôts et consignations, dont nous avons eu l'occasion de nous
entretenir ici même, au Sénat, avec le président de la première chambre, sur
les musées nationaux, sur les conseils de prud'hommes ou sur l'Institut de
France. Ce dernier qui, il y a quelques années, a fait l'objet de vives
critiques de la Cour des comptes, a entrepris, sur l'initiative de son
chancelier, Pierre Messmer, une réforme approfondie de son règlement
administratif et de son règlement financier dont certaines dispositions, qui
remontaient à Charles X, n'étaient pas tout à fait en phase avec les principes
généraux du droit public contemporain !
Dans d'autres domaines, on a pu constater que les observations de la Cour des
comptes avaient été à l'origine de réformes importantes ; c'est le cas pour la
Caisse des dépôts et consignations, avec une meilleure maîtrise de certaines
opérations, ainsi que pour les conseillers prud'hommes. Nos remarques ont
également permis de remédier à de sérieuses défaillances de gestion, comme à
l'Institut de France.
Les conclusions d'une étude consacrée à l'intervention des associations dans
le domaine des politiques sociales vous intéresseront particulièrement. Elles
sont sans doute les prémices de travaux ultérieurs, car, plus on étudie ce
secteur, plus on s'aperçoit que, dans de nombreux domaines, la politique
sociale - c'est vrai en France, mais c'est vrai également dans d'autres pays
européens - est exercée, non plus uniquement par les collectivités locales, par
les collectivités publiques ou par les services de l'Etat, mais par des
associations qui, parfois, reçoivent des responsabilités et des délégations de
crédits immenses, sans être accompagnés des orientations et des contrôles
suffisants.
Naturellement, l'essentiel de notre rapport est consacré aux observations des
juridictions financières, assorties des réponses des ministres et des
dirigeants concernés et regroupées en chapitres correspondant aux grands
domaines d'intervention de l'Etat tels que l'éducation, la culture, la
recherche, l'action sanitaire et sociale.
Je sais que vous serez particulièrement intéressés par un domaine assez
nouveau, celui du contrôle des fonds européens, mais appelé à un développement
important du fait des exigences croissantes de la Commission européenne ainsi
que des risques financiers encourus par la France, comme par les autres membres
de l'Union européenne.
En effet, s'agissant, par exemple, des fonds structurels ou des aides
agricoles, quand il ne respecte pas la réglementation européenne, l'heureux
bénéficiaire de l'infraction garde l'argent pour lui, mais la République
française doit le reverser à l'Union européenne. Ces reversements sont allés
croissant ces dernières années, atteignant plusieurs centaines de millions de
francs. Comme les administrations des Etats membres sont en quelque sorte les
exécutants des décisions des instances européennes, il est normal, me
semble-t-il, que l'institution supérieure de contrôle nationale qu'est la Cour
des comptes exerce son contrôle pour éviter que, ultérieurement, la France ne
soit contrainte à des reversements qui, encore une fois, peuvent atteindre des
sommes considérables.
M. Emmanuel Hamel.
Il faut mettre un terme à ces reversements. C'est inadmissible d'être ainsi
spoliés !
M. le président.
Je vous en prie, mon cher collègue.
Monsieur le Premier président, veuillez poursuivre.
M. Pierre Joxe,
Premier président de la Cour des comptes.
Comme chaque année et comme
c'est prévu par la loi, la Cour des comptes rend également compte des travaux
des chambres régionales et territoriales des comptes. Le Sénat, Grand conseil
des communes de France, mais aussi des autres collectivités locales, y trouvera
un intérêt particulier.
Le domaine de compétence des chambres régionales s'est encore accru sans que
leurs moyens de travail aient été modifiés. Cela tient, comme vous le savez, à
la fixité des critères démographiques et financiers qui avaient été définis par
la loi en 1988 pour permettre l'apurement administratif, par le comptable
supérieur du Trésor, des comptes des collectivités de moins de 2 000 habitants
ou dont le budget est inférieur à 2 millions de francs. Ces critères étant
restés inchangés, par un effet mécanique, on enregistre une augmentation
régulière du nombre des comptes des collectivités territoriales à juger. De
même, le nombre des établissements publics locaux de coopération intercommunale
s'est accru, avant de se stabiliser l'année dernière.
Les chambres régionales des comptes voient leur charge de travail s'accroître
du fait de la multiplication des enquêtes et des travaux communs aux chambres
et à la Cour des comptes. Nous avons en effet entrepris, pour certaines
politiques publiques, de conduire des études communes. Ainsi, en matière de
politique sociale, en matière de politique sanitaire, les chambres régionales
des comptes peuvent contrôler les hôpitaux et la Cour des comptes avoir une
vision globale. La pratique des financements croisés induite par le
développement des politiques contractuelles rendant la gestion publique parfois
difficile à appréhender entre les interventions de l'Etat, de la région, des
départements, des communes, des structures intercommunales, - sans oublier les
crédits européens, qui font que, dans bien des cas, on se trouve devant un
véritable cocktail de crédits -, nous avons développé des interventions et des
contrôles croisés qui alourdissent la tâche des chambres régionales des
comptes.
Ces dernières contribuent au rapport public par leurs enquêtes et leurs
lettres d'observations définitives. Ces fameuses lettres dont la réforme est
envisagée dans la proposition de loi que vous avez déposée.
Une partie du rapport est consacrée aux collectivités territoriales. Vous
pourrez prendre connaissance du contenu de ces lettres d'observations
définitives et de la typologie des sujets qui y sont abordés. L'analyse
effectuée fournit un éclairage sur certains aspects des gestions locales, sur
les relations des collectivités territoriales avec les organismes de droit
privé, en particulier les associations, sur les groupements de collectivités.
Ces études intéresseront, je pense, les sénateurs que vous êtes.
Une autre étude concerne le contrôle des dépenses obligatoires. Les chambres
régionales des comptes donnent leur avis sur le contentieux relatif à la
non-inscription de dépenses obligatoires dans les budgets locaux pour les
exercices récents.
Le contentieux des dépenses obligatoires est une source d'informations utiles
sur la situation financière de certaines collectivités et sur le fonctionnement
de certains établissements publics de coopération intercommunale.
Une troisième étude concerne les délégations de service public. Il y est fait
état non seulement des progrès qui sont intervenus depuis les lois de 1993 et
de 1995, mais aussi des obstacles qui subsistent pour faire jouer vraiment la
concurrence et assurer la transparence au regard des normes tant nationales
qu'européennes. Cette partie du rapport mentionne également, ou suggère,
certaines dispositions susceptibles d'améliorer la situation.
Enfin, une quatrième étude est consacrée à la gestion des établissements
publics de coopération intercommunale. Sans vouloir faire un bilan de la
coopération intercommunale, que la loi de juillet 1999 vient de renforcer,
cette partie du rapport présente des caractéristiques communes et je pense
qu'il intéressera non seulement les membres du Sénat, mais aussi le ministre de
l'intérieur, que je salue à cette occasion.
Je ne m'attarderai pas davantage sur ce rapport, que je vais vous remettre. Je
serai, naturellement, à la disposition de vos commissions.
En tant que président du Conseil supérieur des chambres régionales des
comptes, je dois aussi assurer la gestion et me préoccuper du statut des
magistrats des chambres régionales des comptes. Les moyens de ces juridictions
ne sont pas une fin en soi, mais la mission remplie par les chambres régionales
des comptes est tellement importante dans le cadre de la décentralisation que
je voudrais dire un mot sur la réforme du statut des magistrats des chambres
régionales des comptes. Vous devriez être saisis prochainement de cette réforme
à l'occasion de la discussion du projet de loi portant diverses dispositions
statutaires relatives aux magistrats des chambres régionales de comptes, adopté
par le gouvernement en décembre 1999.
Vous avez déjà modifié le statut des magistrats des tribunaux administratifs.
Il s'agira, en quelque sorte, - je dis « en quelque sorte » parce que l'on ne
peut pas complètement les assimiler - d'aligner les uns sur les autres, comme
cela avait été le cas dans le passé lorsque, remplissant à l'époque vos
fonctions, monsieur le ministre de l'intérieur, j'avais créé le premier statut
des magistrats des tribunaux administratifs à l'image du tout récent statut des
magistrats des chambres régionales des comptes. Maintenant, nous sommes dans un
nouvel épisode.
Ce projet de loi statutaire, voté en première lecture par l'Assemblée
nationale le 30 mars 2000, devrait venir en discussion devant votre
assemblée.
La réforme, qui a pour objectif d'offrir aux magistrats des chambres
régionales des comptes une situation comparable à celle de leurs homologues des
tribunaux administratifs. Je pense qu'elle est indispensable à l'évolution de
ces institutions comme certaines réformes que vous avez proposées et qui sont
d'ailleurs aujourd'hui communément admises. Je pense, en particulier, à la
publication des réponses des administrateurs des collectivités locales aux
observations formulées par les chambres régionales des comptes.
Puis-je, en concluant, vous demander, monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, au moment où ce projet de loi viendra devant vous, de
bien vouloir le prendre en considération, sans tenter l'impossible, qui
consisterait à vouloir faire à la fois la réforme du statut des magistrats et
la réforme des chambres régionales des comptes. C'est une requête que je vous
fais parce qu'il s'agit là d'un corps de magistrats qui attend cette réforme
depuis maintenant plusieurs années et qui s'impatiente. Je ne dis pas qu'il
s'impatiente légitimement - ce serait trop dire - mais il s'impatiente.
(Applaudissements.)
(M. le Premier président de la Cour des comptes à M. le président du Sénat le
rapport annuel de la Cour des comptes.
M. le président.
Monsieur le Premier président, le Sénat vous donne acte du dépôt de ce
rapport.
M. Emmanuel Hamel.
Remarquable ! Puisse-t-il avoir des suites !
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finance, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le Premier
président de la Cour de comptes, mes chers collègues, l'exigence de
transparence des comptes publics est l'un des gages d'une saine gestion des
deniers publics.
Elle devient une exigence forte des sociétés modernes, et j'ajouterai que les
Etats les plus mal gérés sont souvent ceux dont les comptes restent opaques et
fermés à toute évolution.
Sous votre impulsion, monsieur le Premier président, la Cour des comptes
participe à cette révolution tranquille. Vous êtes un révolutionnaire
tranquille, finalement.
(Sourires.)
Elle n'hésite pas à révéler ce qu'elle constate, et, lorsque
les comptes de l'Etat apparaissent en pleine lumière, on l'a vu à propos de la
fonction publique en particulier, on mesure combien la gestion de notre pays
reste à parfaire.
Le Sénat, sa commission des finances en particulier, participe à sa manière à
cette révolution tranquille. Le Sénat, lui aussi, est un révolutionnaire
tranquille.
A quelques semaines d'intervalle, la commission des finances a rendu deux
documents significatifs de cette volonté de donner un nouvel élan : une enquête
sur le « mensonge budgétaire » de l'Etat ; une mission en vue de réformer
l'ordonnance de 1959, qu'elle a qualifiée de « constitution financière » de
l'Etat.
L'ensemble de l'activité de notre commission témoigne de cette évolution.
Ainsi, pour assister cet après-midi à la remise du rapport de la Cour des
comptes - avec un peu de retard, ce dont je vous prie de bien vouloir m'en
excuser - j'ai quitté, pour quelques instants la première réunion des
présidents des commissions budgétaires de l'ODCE, qui se tient dans le palais.
Vingt-deux Etats membres sur trente sont représentés pour cette « première »,
et trois observateurs sont présents, dont la commission du budget du Parlement
européen. Une telle réunion est à ma connaissance inédite en France. Elle se
tient au Sénat de la République française, grâce au souci dont témoigne son
président, Christian Poncelet, du rayonnement international de la Haute
Assemblée.
Le débat qui s'y déroule s'intitule : « Renforcer le contrôle du Parlement sur
l'exécutif : l'évolution du rôle du Parlement dans le processus budgétaire.
»
Alors que nous nous promettons de réformer nos propres règles, à l'évidence,
un éclairage international nous est également particulièrement utile. Notre
collègue Joël Bourdin, pour sa part, nous rendra prochainement des travaux
portant sur les différents systèmes d'information statistique sur les
administrations publiques, ainsi que sur la pratique du contrôle budgétaire aux
Etats-Unis.
Au coeur de toutes ces questions se placent les relations entre les assemblées
parlementaires et la Cour des comptes.
Les relations nouées entre la Cour des comptes et la commission des finances
de l'Assemblée nationale dans le cadre de la mission d'évaluation et de
contrôle nous apparaissent d'une étroitesse et d'une intensité qui n'a pas
encore été tout à fait atteinte avec la commission des finances du Sénat. Nous
avons, il est vrai, choisi une autre voie, qui est celle de l'évaluation des
politiques publiques, même si évaluer et contrôler sont deux notions à
l'évidence complémentaires. Dans ce cadre, la commission des finances n'a pas
fait appel à la Cour des comptes.
En revanche, dans le cadre de nos activités traditionnelles de contrôle, nous
réitérons, monsieur le Premier président, notre souhait d'une mise en oeuvre
d'auditions tripartites contradictoires entre la commission des finances, la
Cour des comptes et l'administration, à l'instar de ce que nous avions déjà
fait, comme vous l'avez souligné tout à l'heure, à propos de la Caisse des
dépôts et consignations. Je souhaite que nous parvenions à les réaliser,
notamment s'agissant de la mise en oeuvre des suites de l'enquête de la Cour
des comptes sur la fonction publique.
L'approfondissement des relations entre la Cour et la commission des finances
passe aussi par la revitalisation du droit d'enquête que détient la commission.
M. le Premier président m'a fait savoir qu'il était disposé à communiquer le
programme de travail de la Cour de manière à faciliter les demandes de notre
commission des finances. Je sais parfaitement qu'il est plus facile de demander
une enquête que de la réaliser. Dans mon esprit, ce droit d'enquête ne peut pas
s'interpréter comme un droit d'exiger toute enquête, sur n'importe quel sujet
et à n'importe quel moment, cela va de soi. Cela étant, si nouspouvons
coordonner nos informations, cela pourra être utile à l'exercice de nos
missions respectives.
Mais, monsieur le Premier président, la Cour jouera, je n'en doute pas, un
rôle important dans la réforme de l'ordonnance de 1959. Elle a déjà joué un
rôle moteur en rendant les premiers travaux sur ce sujet ; notre commission les
a publiés dans son rapport sur la « constitution financière » de la France. Je
la consulte actuellement sur les options retenues par ce rapport, et je sais,
monsieur le Premier président, que vous marquez votre volonté de dialogue sur
ce sujet.
La Cour est, me semble-t-il, concernée par cette réforme, non seulement parce
qu'elle y a réfléchi et y réfléchit encore, mais aussi parce que son propre
rôle pourrait en être modifié. Sera-t-elle amenée à émettre un avis préalable
aux projets de budget ? Procédera-t-elle à une véritable certification des
comptes de l'Etat ?Comment son contrôle s'articulera-t-il avec celui des
commissions des finances ? Faudra-t-il mettre en place une chambre de la Cour
dédiée au contrôle parlementaire, ou de nouveaux organes de contrôle budgétaire
et comptable au service du Parlement ?
Je vous livre franchement mes intentions sur ce point.
La première est ma volonté de proposer au Sénat d'introduire cette question du
contrôle à l'occasion de la réforme de l'ordonnance. La seconde est de tout
faire pour que le contrôle ne reste désormais plus vain. Constater est une
chose, porter remède aux dysfonctionnements en est une autre. Or, ces remèdes,
seul le Gouvernement peut, le plus souvent, les apporter. Si la mise en
évidence des dysfonctionnements n'y suffisait pas pour l'avenir, alors il
faudrait activer des incitations plus fortes.
Voilà ce que je voulais vous dire à l'occasion du dépôt, sur le bureau de
notre Haute Assemblée, du rapport public. C'est à cette tâche de réforme de
notre ordonnance, monsieur le Premier président, que notre Haute Assemblée
souhaite s'engager avec, si vous le voulez bien, le concours de la Cour des
comptes.
(Applaudissements.)
M. le président.
Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président de la Cour des
comptes.
(M. le Premier président est reconduit selon le même cérémonial qu'à son
entrée dans l'hémicycle.)
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