SEANCE DU 8 FEVRIER 2001


M. le président. Je suis saisi, par MM. Muzeau, Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur les conclusions de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi de MM. Alain Lambert et Philippe Marini portant création d'un revenu minimum d'activité (n° 206, 2000-2001). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Muzeau, auteur de la motion.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, décidément, la volonté politique affirmée du Gouvernement d'un retour au plein emploi n'en finit pas de stimuler l'imagination ultra-libérale de nos collègues de la majorité sénatoriale.
Il y a quelques semaines, nous débattions d'une proposition de loi relative aux pénuries de main-d'oeuvre qui n'était en fait qu'une attaque en règle contre l'application de la loi sur les 35 heures, attaque inspirée, pour ne pas dire téléguidée, par le MEDEF, dont l'esprit d'ouverture en termes de dialogue dans l'entreprise et de progrès social pour les salariés est connu de chacun...
Il ne se passe pas de semaine sans que fleurissent, çà et là, colloques et déjeuners consacrés à la meilleure façon de lutter contre les « trappes à inactivité » où se lovent avec délices, à entendre les moralistes, les titulaires des minima sociaux.
A l'occasion de ces rencontres, on rivalise d'ingéniosité pour mettre en avant les effets comparés - forcément bénéfiques - sur la situation de l'emploi du crédit d'impôt ou de la prime pour l'emploi. Il faut pourtant vraiment faire preuve de beaucoup d'ingéniosité pour en apprécier les différences !
Progressivement, un arsenal législatif qui a pour conséquence - quand ce n'est pas pour objectif - de déresponsabiliser les entreprises en matière de politique salariale et de faire supporter la charge de celle-ci à la collectivité publique se met en place.
Dernière attaque en date - mais, j'en suis convaincu, d'autres suivront tant la volonté de voir triompher la déflation salariale est grande -, la proposition de loi portant création d'un revenu minimum d'activité : tout un programme !
Partant du constat que, malgré l'amélioration de la situation de l'emploi, le nombre d'allocataires des minima sociaux ne diminue pas suffisamment, nos collègues Philippe Marini et Alain Lambert ont l'ambition de réinsérer ces personnes par le travail et de les sortir de la logique d'assistanat dont elles n'ont pourtant pas la possibilité de s'affranchir étant donné l'attitude d'une partie du patronat.
Certes, on ne peut que louer leur intention, mais nous ne partageons ni leur analyse de la situation ni la philosophie qui les inspire.
L'amélioration que connaît la situation de l'emploi, le taux de chômage étant désormais de 9,2 % de la population active, ne profite pas encore suffisamment aux allocataires des minima sociaux ; c'est un fait incontestable.
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Ça c'est vrai !
M. Roland Muzeau. A vous entendre, cette persistance des bénéficiaires des minima sociaux à demeurer tributaires de l'assistanat serait la conséquence inéluctable d'un trop faible écart entre revenus d'activité et revenus d'assistance.
Ainsi, les personnes concernées hésiteraient à reprendre une activité professionnelle par crainte de voir leurs revenus baisser ou, tout au moins, de devoir travailler pour presque rien.
Voilà qui m'amène à formuler deux observations.
Premièrement, si de nombreuses personnes sont prisonnières de ce dilemme, c'est non pas parce que le montant des minima sociaux est trop élevé, mais parce que les salaires proposés sont bien trop bas, à plus forte raison quand il s'agit de temps partiels. En outre, la reprise d'une activité génère souvent pour les personnes concernées des frais supplémentaires.
Deuxièmement, avec ce genre de discours, on accrédite finalement l'idée pernicieuse et déjà largement répandue que les titulaires de minima sociaux se mobilisent peu pour trouver du travail.
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Ai-je dit cela ?
M. Roland Muzeau. Il est évidemment plus commode d'essayer de culpabiliser les gens modestes, surtout quand on est responsable de leur dégringolade sociale ! Il n'est qu'à voir la persistance de cette attitude pour être révolté, comme le démontre l'exemple de Danone où profits en hausse riment avec licenciements et fermeture d'usines.
J'invite notre assemblée à regarder la réalité en face. A force de faire baisser le coût du travail, à force de généraliser les emplois précaires et mal payés, à force de temps partiels exonérés de cotisations sociales, vous avez créé les « trappes à inactivité » que vous dénoncez aujourd'hui.
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Ah bon ?
M. Roland Muzeau. L'autre handicap fatal dont seraient affublés les allocataires des minima sociaux serait la distorsion entre les besoins des entreprises et la qualification de ces personnes.
Vous semblez surpris qu'après trente ans de chômage massif et de plans de licenciement en tous genres - plans dits sociaux à l'origine de l'errance des chômeurs, allant de stages de reconversion en emplois précaires, puis finalement conduits à ne vivre que de revenus d'assistance -, ces personnes ne possèdent plus aujourd'hui la qualification requise pour être directement employables et donc immédiatement performantes au sein d'une entreprise.
Quand on a mis en oeuvre une politique qui a « massacré » l'emploi pendant tant d'années, il ne faut pas s'étonner que nombre de titulaires de minima sociaux en portent les stigmates - et encore faut-il ne pas amalgamer tous les demandeurs d'emplois dans une même problématique sociale.
Pendant de longues années, les employeurs ont pris la mauvaise habitude d'exiger énormément des candidats à l'embauche, puisqu'il y avait pléthore de demandeurs qualifiés. Par voie de conséquence, ils ont complètement négligé la formation, trouvant beaucoup plus pratique de ne recruter que des personnes déjà formées par d'autres.
Il est tellement facile, maintenant, de crier à la pénurie de main-d'oeuvre !
Je citerai, à ce sujet, une déclaration de M. Bernard Brunhes, président de Bernard Brunhes Consultants, dans le magazine Liaisons sociales du mois de janvier dernier :
« Il ne sert à rien de crier à la disette - il y a encore beaucoup de chômeurs - ou de vouer l'éducation nationale aux gémonies. C'est une nouvelle politique de recrutement qu'il faut mettre en oeuvre. Tout d'abord, savoir adapter l'organisation du travail aux compétences disponibles au lieu de la définir a priori . Ensuite, s'interroger sur les raisons de l'absence de candidats pour certains emplois - salaires ? conditions de travail ? image de l'entreprise ou du métier ? Enfin, comprendre que la formation à un emploi est du ressort de l'entreprise : on lui fournit rarement des travailleurs "prêts à l'emploi". »
M. Bernard Brunhes poursuit :
« L'école ne sait pas fabriquer des produits tout faits qu'il ne reste qu'à mettre sur la chaîne, ce n'est pas son rôle ! Dans une période de profonds bouleversements technologiques et de reprise économique, les entreprises doivent former, former et encore former en développant la formation sur le tas, les systèmes d'alternance, l'organisation apprenante. Après le laisser-aller qu'a permis l'état du marché du travail, c'est un gigantesque effort qui est demandé aux entreprises.
« Alors, de grâce, arrêtons de pleurer sur la pénurie, mais pressons les réformes de la formation professionnelle, dans l'entreprise, dans les organisations professionnelles et du côté des pouvoirs publics. »
Cette déclaration, qui émane d'un spécialiste généralement très apprécié par la majorité sénatoriale, vient renforcer le récent rapport du Comité économique et social.
Oui, mes chers collègues, les employeurs ont refusé d'assumer leur mission en termes de formation et ils ont trop tendance, maintenant, à se dégager de toute responsabilité en matière de politique salariale.
Il est tellement plus intéressant d'attendre que l'Etat mette en place un mécanisme de crédit d'impôt pour éviter aux employeurs d'augmenter les salaires.
Avec cette proposition de loi sur le revenu minimum d'activité, on se situe dans la même logique - mon collègue M. Marini l'a d'ailleurs reconnu précédemment - à savoir faire payer à la collectivité publique une partie du salaire, en permettant aux entreprises de récupérer les allocations perçues par les titulaires de minima sociaux.
Vous avez raison, mes chers collègues, cette formule a le mérite d'être limpide. Je ne doute pas que les employeurs l'apprécient. Je suis en revanche dubitatif sur l'intérêt des chômeurs dans cette affaire.
D'autant plus que la commission des affaires sociales a cru bon d'amender le texte rédigé par MM. Lambert et Marini en ajoutant un article, l'article 8, qui dispose que les personnes embauchées dans le cadre d'une convention de revenu minimum d'activité ne seront pas comptabilisées dans l'effectif de l'entreprise pour le calcul des seuils découlant du code du travail. Ce que M. Nogrix appelle pudiquement dans son rapport « l'allégement des effets de seuil » est un cadeau supplémentaire aux employeurs, qui leur évitera, par exemple, d'avoir à constituer un comité d'entreprise.
En fait, ce texte est inspiré par de vieilles recettes qui ont très vite montré leurs limites dans les pays qui les ont déjà appliquées.
Derrière cet affichage, au premier abord frappé au coin du bon sens, se cache, en fait, une volonté manifeste d'obliger les personnes titulaires des minima sociaux à travailler, pour un coût réduit, dans les entreprises du secteur marchand, afin de « mériter » les maigres allocations qu'elles perçoivent.
C'est une logique de nantis qui trouvent anormal que les gens qu'ils ont contribué à réduire à la misère n'aient pas à effectuer un travail en échange de ce que la collectivité leur verse pour les empêcher de sombrer complètement dans l'exclusion.
L'idée qui se profile est que les chômeurs doivent accepter n'importe quel emploi, à n'importe quelles conditions. Quand on est parfaitement inséré dans la société, on se contente de peu lorsqu'il s'agit des autres !
Que je sache, la richesse produite dans notre pays ne cesse d'augmenter, les profits des entreprises aussi, alors que la part des salaires dans le PIB ne cesse de diminuer dans des proportions inquiétantes.
Aussi, je pense que des marges de manoeuvre existent pour mettre en place une société de véritable plein-emploi dans notre pays.
Vous comprendrez aisément, mes chers collègues, qu'avec de tels désaccords nous ne pouvons que rejeter ce texte nocif. Aussi, nous vous demandons de voter notre motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. )
M. Philippe Marini. Je demande la parole contre la motion.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les arguments que vient d'invoquer M. Muzeau sont très surprenants car ils sont en décalage complet avec ce qui figure dans le rapport et avec le contenu de la proposition de loi.
En écoutant M. Muzeau, nous avions le sentiment que son discours aurait pu être le même, au mot près, quel que soit le texte de notre proposition de loi. Notre initiative esr perçue comme symbolique par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen et, de ce fait, elle suscite de leur part une réaction stéréotypée. C'est comme si on avait appuyé sur un bouton : aussitôt, on entend le discours convenu, préparé par avance, indépendamment de ce qui figure dans notre texte.
Aussi, je voudrais revenir en quelques mots sur les propos de notre excellente collègue Mme Dieulangard. Pour une personne bénéficiaire de revenus d'assistance, le choix de l'activité est en effet un choix difficile, pour toutes sortes de raisons qui ont été décrites. Face à une situation qui, force est de le reconnaître, est moralement avilissante à la longue, l'attrait pour l'emploi doit en effet être suffisant. Si l'emploi est un emploi sous-rémunéré et incertain, comme vous l'avez dit, ma chère collègue, le jeu n'en vaut pas la peine, c'est clair, et l'on préfère rester dans la situation difficile, pénible moralement, situation qui ne peut qu'envenimer la vie familiale et les rapports sociaux ; mais on préfère y rester car, en face, il faut prendre un risque que l'on ne se sent pas en mesure d'assumer.
Que faisons-nous ? M. Nicolas About l'a très justement souligné : nous ne proposons pas une formule contractuelle exceptionnelle ou fabriquée pour les besoins de la cause, nous mettons en place un vrai contrat de travail à durée indéterminée, un CDI. Cela veut dire que, en face de l'assistanat et en alternative à la précarité, nous proposons de vrais emplois, normalement rémunérés, avec un niveau de rémunération par définition égal ou supérieur au SMIC, et de préférence supérieur, bien entendu, pour que la force d'attraction puisse jouer.
Comment le faire ? On peut le faire en réinsérant l'entreprise dans le circuit. Bien entendu, l'entreprise doit elle-même être motivée pour jouer ce rôle moteur dans le dispositif. Il faut qu'il y ait une motivation de tous les partenaires : motivation de l'Etat ; motivation de l'UNEDIC, afin de mieux utiliser l'argent public - compte tenu de la croissance économique que nous connaissons actuellement, peut-on se satisfaire de ces crédits d'assistanat qui continuent de croître ? - ; motivation de l'entreprise, avec la possibilité d'intégrer dans ses rangs des personnes qui vont lui être utiles, mais après une période d'acclimatation, de formation, voire de tutorat ; enfin, motivation des intéressés, pour toutes les raisons morales, psychologiques et sociales qui ont été amplement développées.
Certes, cette proposition de loi n'est pas parfaite. Elle peut être améliorée. La commission est prête à le faire. Chers collègues du groupe socialiste, qu'est-ce qui vous empêche d'amender ce texte ? Entrons dans la discussion ! Chers collègues du groupe communiste républicain et citoyen, entrez vous aussi dans le discussion ! Voter la motion tendant à opposer la question préalable reviendrait à dire : nous savons tout, nous avons déjà trouvé toutes les solutions en matière de lutte contre le chômage, notamment contre le chômage structurel.
Mes chers collègues, personne ne stigmatise quiconque dans cette affaire. Cessez de nous faire un procès d'intention ! L'approche qui est la nôtre est une approche sociale à défaut d'être socialiste. Nous avons démontré depuis longtemps, notamment dans les rangs gaullistes depuis des dizaines d'années, dans les rangs démocrates-chrétiens aussi,...
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Merci !
M. Philippe Marini. ... que nous pouvions être sociaux sans être socialistes. En ce domaine, personne n'a le monopole du coeur ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite du débat qui a lieu ce matin. En effet, que ce soit à travers la motion tendant à opposer la question préalable ou dans l'ensemble des autres interventions, on voit bien que nous partageons un souci commun : que pouvons-nous faire en faveur de celles et ceux qui sont encore au chômage pour qu'ils n'aient pas, à un moment donné, l'impression qu'ils pourraient ne plus être concernés par cette idée de retour à l'emploi ?
Cependant, nous divergeons sur les méthodes.
A un système qui se voudrait général et s'appuierait simplement sur l'entreprise, nous, nous préférons, pour essayer de parvenir à une réponse personnalisée, la mobilisation de l'ensemble des services de l'emploi, en relation avec les entreprises. En effet, qui pourrait faire l'impasse sur les entreprises pour permettre à celles et ceux qui sont encore au chômage de retrouver un emploi ?
Je ne crois pas que le système qui est proposé puisse être envisagé à coût nul. En effet, je doute, mesdames, messieurs les sénateurs, que le versement par l'Etat d'une aide automatique puisse ne rien coûter. Mais au-delà de cet aspect, l'ensemble des difficultés sociales que connaissent nos concitoyens qui sont encore au chômage mérite une approche globale de la part des services sociaux et des services de l'emploi, plutôt que cette aide générale.
Monsieur Marini, vous avez évoqué les trois enveloppes de 85 milliards de francs et vous avez comparé ce montant avec le coût de la réduction du temps de travail. D'abord, permettez-moi de vous faire remarquer que, sur ces 85 milliards de francs, 40 milliards de francs correspondent à la ristourne Juppé, qui a été mise en place par la droite.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Effectivement !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. De plus, la totalité de cette dépense est, en fait, une baisse de charges sociales. Dois-je comprendre, à travers vos remarques, que vous êtes contre la baisse des charges sociales des entreprises ?
M. Philippe Marini. Quarante milliards de francs, ce n'est pas 85 milliards de francs !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. En l'occur-rence, mesdames, messieurs les sénateurs, les sommes qui ont été inscrites au budget de l'Etat l'ayant été dans le cadre d'un pari gagnant-gagnant - gagnant pour les entreprises, qui voient leurs charges baisser, gagnant pour la collectivité nationale, qui constate que le chômage diminue - elles doivent être examinées de manière moins caricaturale, d'autant que les chiffres montrent que nous sommes sur la bonne voie.
Monsieur Marini, vous avez cité un chiffre très intéressant, qui m'a moi-même perturbé lorsque je l'ai lu : il concerne le nombre de chômeurs aux Pays-Bas. Vous auriez pu prendre l'exemple de la Grande-Bretagne...
M. Philippe Marini. En effet, mais on m'aurait caricaturé !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Non, car il est tout à fait intéressant d'étudier ces chiffres. Mais pour faire des comparaisons, il faut aussi prendre en compte le nombre d'adultes qui entrent dans la catégorie des « handicapés » aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. En effet, compte tenu d'un système de protection sociale qui leur est propre, ces deux pays ont tendance à sortir un certain nombre de personnes de la catégorie des chômeurs de longue durée pour les inscrire dans la catégorie - permettez-moi cette expression horrible - des « handicapés sociaux ». Si on additionne le taux de chômeurs et le taux de « handicapés » aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, on obtient des taux quasiment identiques à celui de la France.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Effectivement !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Il faut avoir ces éléments présents à l'esprit car, parfois, les comparaisons au niveau européen sont faussées compte tenu des habitudes sociales qui existent dans un certain nombre de pays.
Monsieur Marini, je voudrais également revenir sur un autre chiffre, qui sert actuellement d'argument à l'opposition nationale : je veux parler de la comparaison entre le coût de la réduction du temps de travail et le coût police-gendarmerie.
M. Philippe Marini. ... et justice !
M. Alain Lambert. Ce n'est pas inintéressant !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. C'est tout à fait intéressant. Je vous dirai même, mesdames, messieurs les sénateurs, pour vous prouver mon ouverture d'esprit, que j'ai relu récemment avec beaucoup d'attention le discours prononcé par le Président de la République, à Dreux, sur le problème de la sécurité.
M. Alain Lambert. Il était très bien écrit !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Effectivement ! Ce discours faisait d'ailleurs référence à nombre de concepts que je reprendrai presque entièrement...
M. Alain Lambert. Suivez-le !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Le Président de la République affirmait dans son intervention que la sécurité, c'est 80 % de social et 20 % de sécurité. Cela me paraît également valable s'agissant des dépenses : si nous voulons obtenir des résultats en termes de sécurité, il nous faut savoir consacrer, le cas échéant, des fonds en faveur du retour à l'emploi, les dépenses sociales étant, à mon avis, le meilleur des facteurs pour assurer cette sécurité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, si le ton de nos débats a été à la fois passionné et, finalement, très modéré, c'est que nous nous rendons compte que, sur un sujet comme celui du retour à l'emploi, notre préoccupation est commune. Il y a, dans le pays, une majorité et une opposition.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Heureusement !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Le fait que, grâce au débat démocratique, des solutions différentes puissent être proposées pour un même sujet constitue un enrichissement collectif, dont je tiens à me féliciter. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini. Merci, monsieur le ministre !
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Je ne comprends pas pourquoi M. Muzeau s'acharne tant contre les entreprises et pourquoi il ne voit, dans cette proposition de loi, que des avantages supplémentaires accordés aux entrepreneurs et aux employeurs.
M. Alain Lambert. Il est contre les entreprises ! C'est son droit !
M. Roland Muzeau. C'est l'inverse !
M. Philippe Nogrix, rapporteur. En effet, la simple lecture du texte, lequel fait référence à un contrat, à une convention et à un accord de branche, permet de se persuader du caractère partenarial de la démarche et du fait que cette dernière s'adresse à tout le monde.
M. Jacques Machet. Tout à fait !
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Par conséquent, si c'est une idéologie que de défendre les bénéficiaires des minima sociaux et de donner aux entreprises la possibilité de créer des emplois, j'y adhère, comme le font, à mon avis, beaucoup de nos concitoyens. C'est pourquoi je ne peux, au nom de la commission, émettre qu'un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable.
Monsieur le ministre, je tiens tout de même à vous dire que les temps ont changé. Nous vous avons tendu la perche pour que vous reconnaissiez tout le bien-fondé de l'engagement des entreprises dans la lutte contre le chômage. Il est à mon avis temps de faire preuve d'un peu de reconnaissance à l'égard de ceux qui créent des emplois dans ce pays.
M. Roland Muzeau. Danone !
M. Philippe Nogrix, rapporteur. A votre argument consistant à dire que seuls l'Etat et les services sociaux peuvent se permettre d'accompagner de façon individuelle les personnes à la recherche d'un emploi, je rétorquerai que les entreprises peuvent très bien faire de même une fois qu'elles ont signé un contrat de travail.
Nous considérons que mieux vaut, pour tous ceux qui veulent entrer dans le circuit du travail, une fiche de paie plutôt qu'un mandat de la caisse d'allocations familiales, des ASSEDIC ou du trésorier-payeur général.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Par ailleurs, je pense aussi que lesdits intéressés préféreraient être face à un employeur plutôt que face à un travailleur social.
Voilà deux objectifs principaux qui ressortent très bien de la proposition de loi que nous avons été conduits, les uns et les autres, à défendre ce matin.
Enfin, madame Dieulangard, vous avez dit que j'effectuais, à votre avis, une distinction anormale entre, d'une part, les titulaires des cinq minima soxiaux - le RMI, l'allocation de solidarité spécifique, l'allocation de parent isolé, l'allocation d'insertion et l'allocation veuvage - et, d'autre part, les bénéficiaires du minimum vieillesse, du minimum d'invalidité ou de l'allocation aux adultes handicapés.
Je rappelle néanmoins, ma chère collègue, qu'une telle distinction a été opérée dans la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998, adoptée sur l'initiative du gouvernement de Lionel Jospin, puisque la procédure de l'intéressement n'était prévue que pour les cinq minima sociaux que j'ai retenus. Je pense donc que nous pouvons aussi nous accorder sur cette distinction, qui tend non pas à stigmatiser les uns ou les autres, mais à être le plus efficace possible.
M. le ministre a considéré que cette proposition de loi ne désignait pas de cibles. Mais si ! Elles sont toutes désignées : il s'agit, d'une part, des bénéficiaires des cinq minima sociaux et, d'autre part, des entreprises qui, du fait de la reprise économique, sont obligées, dans un contexte de concurrence internationale, de prendre en compte le coût du travail : faire baisser ce dernier, en France, permettra de conserver dans notre pays des outils de production. C'est un argument supplémentaire pour voter la proposition de loi de nos deux collègues, MM. Alain Lambert et Philippe Marini. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Jacques Machet. Très bien !
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
M. Alain Lambert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lambert.
M. Alain Lambert. Dans sa conclusion, M. le ministre a très justement dit que notre débat était utile à la fois pour la démocratie et pour le redressement de notre pays.
J'ai noté qu'il y avait des objectifs et des valeurs que nous partagions, monsieur le ministre.
Il en est ainsi, tout d'abord, de l'affirmation de la dignité de la personne humaine. Et il est vrai que tout ce qui concourt à permettre à une personne de se réaliser par le travail est un progrès.
Il est une autre valeur que nous partageons : nous plaçons en effet le travail au premier rang de nos priorités.
En revanche, certains tabous ne sont toujours pas levés dans notre pays et justifient notre engagement politique : il importe, en effet, que les Français connaissent bien la différence entre les politiques proposées tant par les socialistes, les communistes et les Verts, que par l'opposition nationale.
Tout d'abord, monsieur le ministre, le groupe auquel j'appartiens affirme sans complexe que le travail est une valeur.
M. André Jourdain. Mon groupe également !
M. Alain Lambert. Par ailleurs, l'entreprise est le premier offreur d'emplois dans un pays en économie de marché.
Elle est donc appelée tout naturellement à jouer un rôle dans la réinsertion de ceux qui sont privés d'emploi.
Par conséquent, il n'y a pas pour nous d'ambiguïté possible : on ne peut pas à la fois vouloir la réinsertion et douter du rôle des entreprises et de ce qu'elles peuvent apporter à cette grande cause nationale qu'est la réinsertion des personnes éloignées de l'emploi.
Enfin - troisième constat qui semble nous séparer - la croissance actuelle peut ne pas durer, comme M. Marini l'a signalé tout à l'heure. Elle rend inacceptable le niveau de chômage structurel actuel. Il faut donc faire vite.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, il vous faut accepter l'instrument qui nous est proposé ! Il ne prétend pas, comme M. le rapporteur l'a dit avec beaucoup d'éloquence et comme Philippe Marini l'a souligné, résoudre tous les problèmes. Mais quand bien même il ne servirait qu'à une seule personne - et c'est un paradoxe de le dire - monsieur le ministre, pourquoi le refuseriez-vous ?
Il nous faut donc élucider ce qui semble encore un mystère : tout le monde est contre le chômage, tout le monde veut que chacun puisse trouver un emploi, mais certains tabous ne sont toujours pas levés. En effet, on n'ose pas encore reconnaître et dire aux Français que la dignité de la personne passe par un emploi et que le travail est une valeur, que l'entreprise, dans une économie de marché, est indispensable pour la résorption du chômage,...
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Très bien !
M. Alain Lambert. ... et que des instruments simples doivent être trouvés pour que l'entreprise soit la meilleure garantie, pour chaque Français, de retrouver un emploi !
C'est la raison pour laquelle nous voterons contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. André Jourdain. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après plusieurs années de croissance importante, depuis 1995, le rythme d'évolution du RMI a fortement diminué, mais s'est maintenu à un niveau globalement plus élevé que celui du chômage.
Le retour de la croissance aurait pu laisser espérer une baisse plus rapide des effectifs du RMI. Or, ce n'est pas le cas.
On peut s'interroger sur ce phénomène d'autant plus inquiétant que l'embellie n'est pas éternelle et qu'un retournement de conjoncture est toujours à craindre.
En fait, ce sont les jeunes et les allocataires récents qui profitent davantage du contexte favorable de l'activité économique.
Le RMI semble donc se recentrer autour des personnes « au potentiel professionnel » le moins élevé, puisque le nombre des bénéficiaires du RMI percevant cette allocation depuis plus d'un an continue de croître.
Cela montre bien, au demeurant, que le RMI est de plus en plus conçu comme un revenu minimum au détriment de la notion d'insertion.
L'amélioration conjoncturelle ne dispense donc pas d'une réflexion en profondeur sur les moyens d'accompagner la réinsertion des personnes durablement enracinées dans le RMI. Celui-ci ne doit pas devenir, sous couvert de solidarité, une « trappe de pauvreté » sous l'effet conjugué d'une logique de « stigmatisation », que nous réprouvons, des personnes en situation d'exclusion et des effets pervers liés au caractère incitatif de la reprise d'une activité.
Toutes les formules susceptibles d'aider les allocataires du RMI doivent donc être explorées. Le dispositif créé par la proposition de loi que nous examinons va en ce sens.
Il s'agit, ni plus ni moins, de lutter contre l'exclusion durable de l'emploi en favorisant la reprise de l'activité par une aide dégressive dans le temps. Je ne reviendrai pas sur les caractéristiques de ce disposif simple, souple, ingénieux et efficace dans la lutte contre le chômage structurel, dont les caractéristiques ont été excellemment présentées et commentées par M. le rapporteur et les différents orateurs, dont Philippe Marini, qui est également auteur de cette proposition de loi.
Vous avez donc, monsieur le ministre, toutes les raisons de vous rallier au dispositif proposé par la Haute Assemblée, d'autant plus que, si le traitement individualisé auquel vous avez fait allusion semble bien séduisant, les auditions de la commission ont montré le déficit actuel de gestion administrative du dispositif qui nous laisse sceptiques sur son efficacité.
Nous n'avons pas la prétention d'avoir trouvé la solution ; nous proposons simplement une solution parmi d'autres, qui doit être entendue par le Gouvernement comme telle.
Pour toutes ces raisons, le groupe du Rassemblement pour la République votera contre la motion tendant à opposer la question préalable et donc pour cette proposition de loi telle qu'elle a été modifiée par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, repoussée par la commission.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet de la proposition de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. Nous passons donc à la discussion des articles.

Article 1er